Un joachimite moderne (par surcroît dantophile : son dernier livre, paru en 1940, est consacré à Dante), Dimitri Merejkowski, a été obsédé par le « Mystère de Trois ». C’est le titre de l’un de ses écrits dans lequel il en vient à définir le Saint-Esprit comme un Principe maternel : le monde que ni le Père ni le Fils n’ont sauvé, dit-il, la Mère en tant que Saint-Esprit le sauvera dans le temps à venir. Conformément à cette identification, D. Merejkowski interprète le « grand signe dans le Ciel » : « la Femme vêtue de soleil avec la lune sous ses pieds » (Apoc. XII. 1) comme « l’apocalypse » par excellence : la Révélation du Saint-Esprit. Nous ignorons quelles sources joachimites ont inspiré cette apocalyptique ; quoi qu’il en soit la maternité divine du Saint-Esprit y est trop affirmée pour ne pas être relevée.
La « maternité » du Saint-Esprit est également mise en évidence dans divers fragments de L’Evangile apocryphe selon les Hébreux qui nous ont été conservés par des citations anciennes, notamment chez Origène et saint Jérôme.
1° Origène, dans son Comm. in Jn (II.6) : « Et si quelqu’un accepte l’Evangile selon les Hébreux où le Sauveur en personne dit : ‘Ma Mère PEsprit Saint vient de me saisir par un de mes cheveux et de m’emporter jusqu’au sommet du mont Thabor’, il se demandera avec perplexité comment la Mère du Christ peut être (dite) Esprit Saint alors qu’il est engendré par le Verbe. »
2° Saint Jérôme.
a) dans Comm. in Is. XI.9 et Ezech. XVI.13 où le latin Mater mea Spiritus Sanctus reproduit le grec de l’Apocryphe.
b) dans Comm. IV in Is. XI.2 où saint Jérôme explique la première proposition : « sur lui (Isaïe) se posera l’Esprit de YHVH » par référence à l’Apocryphe rapportant les paroles suivantes du Saint-Esprit adressées à Jésus sortant de l’eau baptismale : Factum est autem, cum ascendisset Dominus de aqua, descendit fons omnis Spiritus Sancti et requievit super eum, et dixit illi : Fili mi in omnibus prophetis exspectabam te, ut venires et requiescerem in te. Tu es enim requies mea, tu es filius meus primogenitus.
Le texte postule sans ambiguité une relation de mère à fils entre le Saint-Esprit et le Christ.
Cette « maternité » du Saint-Esprit implique une féminité que la sémantique des langues anciennes ne révèle pas : en grec le mot pneuma est du genre neutre, en latin spiritus est masculin. C’est à l’hébreu qu’il faut s’adresser pour avoir affaire à un terme féminin : RUaH. Encore s’agit-il d’une donnée indécise : RUaH a été initialement utilisé au masculin, en maints passages il est d’un genre indéterminé, c’est progressivement que le genre féminin est devenu prépondérant au point d’être quasi exclusif (comme dans la Mishna). On pourra consulter à ce sujet l’étude de D. Lys : « Rûach », le souffle dans l’AT, P.1962 et notamment la note synthétique de la p.336. Ajoutons que l’équivalent arabe Rûh bien qu’attesté au masculin, est plutôt du genre féminin dans les expressions soufiques. Dans l’article intitulé Er-Rûh (ET, n° spécial 224-5 été 1938), R. Guénon ne manque pas de souligner que la lettre représentative de Rûh est Bâ, la seconde lettre, dont la connotation féminine par rapport à Alif est bien établie.