Et nous aussi, hâtons-nous de monter, par la grâce d’une indissoluble charité, à ce troisième degré des fils, qui regardent comme étant à soi tout ce qui appartient à leur père; méritons de recevoir en nous l’image et la ressemblance de notre Père des cieux. Alors, à l’imitation du Fils véritable, nous pourrons proclamer : «Tout ce qu’a mon Père est à moi.» (Jn 16,15). Paroles dont le bienheureux Apôtre se faisait l’écho, lorsqu’il disait : «Tout est à vous, et Paul, et Apollo, et Céphas, et le monde, et la vie, et la mort, et les choses présentes, et les choses à venir : tout est à vous.» (1 Cor 3,22). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 7
Pour ces derniers, si quelqu’un ne voulait s’en retirer ni s’en purifier, saint Jean déclare en un autre endroit que l’on ne doit même pas prier pour lui : «Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu’il prie; et Dieu donnera la vie à ce frère, à tous ceux dont le péché ne va pas à la mort. Il y a tel péché qui va à la mort; ce n’est pas pour celui-là que je dis de prier.» (1 Jn 5,16). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9
Au contraire, des péchés qui ne vont pas à la mort, et dont ceux-là mêmes qui servent fidèlement le Christ ne sauraient être exempts, quelque circonspects qu’ils soient à garder leur âme, il est ainsi parlé : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous»; (Ibid. 1,8). «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous faisons Dieu menteur, et sa parole n’est pas en nous.» (1 Jn 1,10). Prenez, en effet, parmi les saints tel qu’il vous plaira, il n’en est point qui ne tombe fatalement en ces manquements minimes qui se font par paroles, par pensées, par ignorance et oubli, impulsion, volonté ou distraction, et qui, pour différer du péché qui va à la mort, ne sont point cependant sans faute ni reproche. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9
Tout d’abord, qu’en pense au juste le bienheureux Apôtre ? «Mortifiez, dit-il, les membres de l’homme terrestre.» (Col 3,5). Mais, avant de pousser plus loin, quels sont ces membres qu’il ordonne de mortifier ? Son dessein n’est pas de nous porter à quelque mutilation barbare. Ce qu’il désire, c’est que le zèle de la sainteté parfaite détruise au plus tôt le corps de péché, lequel naturellement est formé de membres divers. «Afin que soit détruit le corps de péchés,» dit-il en un autre endroit, puis, il explique en quoi consiste cette destruction : «Pour que nous ne soyons, plus esclaves du péché.» (Rom 6,6). C’est aussi de ce corps qu’il demande avec gémissement d’être délivré : «Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ?» (Ibid.) Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 1
Ce sont là en vérité les divines merveilles que l’âme du prophète et celles qui lui ressemblent, découvrent avec étonnement dans une contemplation pleine de miracles. Ce sont là les prodiges que Dieu a opérés sur la terre, et dont la vue fait dire au même prophète, en appelant tous les peuples à les admirer : «Venez et voyez les oeuvres de Dieu, les prodiges qu’il a opérés sur la terre; il a brisé l’arc et rompu les armes, et consumé par le feu les boucliers.» (Ps 45,9-10). Car quel plus grand prodige, que de voir en un moment les publicains cupides devenir apôtres, les persécuteurs farouches se charger en prédicateurs de l’Évangile et propager au prix de leur sang la foi qu’ils poursuivaient ? Tels sont les divins ouvrages que le Fils atteste qu’il accomplit chaque jour en union avec son Père : «Mon Père agit jusqu’aujourd’hui, et moi aussi j’agis.» (Jn 5,17). Telles sont les oeuvres de Dieu que le bienheureux David chante en esprit : «Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui seul fait des prodiges !» (Ps 71,18). C’est d’elles que parle le prophète Amos : «Il a fait toutes choses, et il les change; il change en matin l’ombre de la mort.» (Amos 5,18). «Ce sont là, en effet, les changements de la droite du Très-Haut.» (Ps 76,11). C’est au sujet de cet ouvrage de salut que le prophète adresse au Seigneur cette prière : «Affermissez, ô Dieu, ce que vous avez fait en nous !» (Ps 67,29). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 12
Dieu n’a pas créé l’homme pour qu’il se perde, mais pour qu’il vive éternellement : ce dessein demeure immuable. Dès qu’il voit éclater en nous la plus petite étincelle de bonne volonté, ou qu’il la fait jaillir lui-même de la dure pierre de notre coeur, sa bonté en prend un soin attentif. Il l’excite, il la fortifie par son inspiration. Car «il veut que tous les hommes soient sauvés et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité !» (1 Tim 2,4) «C’est la volonté de votre Père qui est dans les cieux, dit le Seigneur, qu’il ne se perde pas un seul de ces petits !» (Mt 18,4) Et il est écrit ailleurs : «Dieu ne veut pas qu’une seule âme périsse; mais il diffère l’exécution de son arrêt, afin que celui qui a été rejeté ne se perde pas sans retour.» (2 Rois 14,14) Dieu est véridique; et il ne ment pas, lorsqu’il assure avec serment : «Je suis vivant, dit le Seigneur Dieu : je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse de sa voie mauvaise et qu’il vive !» (Ez 33,11) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 7
La grâce du Christ est donc toujours à notre disposition. Comme «il veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité,» il les appelle aussi tous, sans exception : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai !» (Mt 11,28) S’il n’appelait tous les hommes en général, mais quelques-uns seulement, il suivrait que tous ne sont pas non plus chargés, soit du péché originel, soit du péché actuel. Et cette parole ne serait pas juste : «Car tous ont péché, et sont privés de la gloire de Dieu !» (Rm 3,23) On aurait tort aussi de croire que «la mort a passé dans tous les hommes.» (Ibid. 5,12) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 7
Tous ceux qui se perdent se perdent contre sa volonté: cela est si vrai que la mort même ne l’a point pour auteur. L’Écriture l’atteste : «Dieu n’a pas fait la mort, et il n’a point de joie de la perte des vivants !» (S 1,13) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 7
De là vient que très souvent, si nous demandons des choses nuisibles, au lieu de ce qui nous serait bon, il se montre lent à exaucer nos prières, ou ne les exauce point du tout. En revanche, lorsqu’il y va de notre bien, sa bonté s’abaisse à nous imposer, en dépit de toutes nos résistances, ce que nous estimons contraire, comme ferait le meilleur des médecins. D’autres fois, il retarde ou empêche le détestable effet de nos mauvaises dispositions et de nos tentatives meurtrières. Nous nous hâtions vers la mort : il nous en retire, pour nous conduire à la vie; il nous arrache, à notre insu, de la gueule de l’enfer. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 7
Il y a bien d’autres énigmes. On fait honneur au libre arbitre de toute l’oeuvre du salut : «Si vous le voulez, et m’écoutez, vous mangerez les biens de votre pays.» (Is 1,19) Puis, il est dit — «Ce n’est au pouvoir, ni de celui qui veut, ni de celui qui court; mais de Dieu, qui fait miséricorde.» (Rm 9,16) — Dieu «rendra à chacun selon ses oeuvres.» (Ibid. 2,6) Mais, «c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, selon son bon plaisir;» (Phil 2,13) et nous lisons de même : «Cela ne vient pas de vous, mais c’est le don de Dieu; ce n’est pas le fruit de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie.» (Ép 2,8-9) — Il est dit d’une part : «Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous;» (Jac 4,8) et d’autre part : «Personne ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 65,44) — «Conduis ta course par des chemins droits, est-il écrit, rends droites tes voies.» (Pro 4,26) Et nous disons dans nos prières — «Dirige mes pas devant ta face» (ps 5,9); «Affermis nos pas dans tes sentiers, afin qu’ils ne chancellent point.» (ps 16,5) — On nous donne cet avertissement : «Faites-vous un coeur nouveau et un esprit nouveau.» (Ez 18,31) Et l’on nous fait cette promesse : «Je leur donnerai un seul coeur, et je mettrai dans leur poitrine un esprit nouveau; et j’ôterai de leur chair leur coeur de pierre, et je leur donnerai un coeur de chair, afin qu’ils marchent selon mes commandements et qu’ils gardent mes lois.» (Ibid. 11,19-20) — Le Seigneur nous intime ce précepte : «Purifie ton coeur de toute malice, Jérusalem, afin que tu sois sauvée.» (Jér 4,14) Et voici que le prophète lui demande cela même qu’il nous ordonne : «Crée en moi, ô Dieu, un coeur pur» (ps 50,16); «Tu me laveras, et je serai plus blanc que la neige.» (Ibid. 9) — Il nous est dit «Allumez en vous la lumière de la science». (Puis, il est dit de Dieu : «Il enseigne à l’homme la science» (ps 93,10); «Le Seigneur donne la lumière aux aveugles.» (ps 145,8) Et nous-mêmes, nous demandons avec le prophète : «Donne la lumière à mes yeux, afin que je ne m’endorme jamais dans la mort.» (ps 12,4) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 9
Si nous attribuons à notre libre arbitre la gloire de nous conduire à la vertu parfaite et l’accomplissement des commandements de Dieu, comment pouvons-nous demander : «Affermis, ô Dieu, ce que tu as accompli en nous !» (ps 57,29); «Dirigez pour nous les oeuvres de nos mains !» (ps 89,17) ? — Balaam est payé pour maudire Israël, et nous voyons qu’il ne lui fut pas permis de remplir son désir. (cf. Nb 22,5 et ss.) — Dieu garde Abimélech, de peur qu’il ne touche Rebecca, et ne pèche contre lui (cf. Gn 20,6). — La jalousie de ses frères fait emmener Joseph au loin (cf. Ibid. 37, 28), pour ménager la descente des fils d’Israël en Égypte; ils méditaient un fratricide, et le secours va leur être préparé pour les jours de famine. C’est ce que Joseph lui-même leur découvre, après avoir été reconnu par eux : «N’ayez point peur, et ne vous affligez pas de m’avoir vendu, pour être conduit dans ce pays. C’est pour votre salut que Dieu m’a envoyé devant vous» (Gn 45,5); et un peu après : «Dieu m’a envoyé devant vous, afin que vous soyez gardés sur la terre, et que vous ayez de la nourriture pour vivre. Ce n’est point par votre conseil, mais par la volonté de Dieu que j’ai été envoyé. Il m’a fait comme le père du Pharaon, le seigneur de toute sa maison et le prince de toute la terre d’Égypte» (Ibid. 7,8). Et comme, après la mort de leur père, ils étaient en proie à la terreur, pour leur ôter tout soupçon de crainte, il leur dit : «N’ayez point peur. Est-ce que nous pouvons résister à la volonté de Dieu ? Vous avez médité de me faire du mal; mais Dieu l’a changé en bien, pour m’exalter, comme vous le voyez présentement, afin de sauver des peuples nombreux» (Ibid. 50,19-20). Pareillement, le bienheureux David déclare, dans le psaume 104, que toutes ces choses arrivaient par une conduite spéciale de Dieu : «Il appela la famine sur le pays, et il les priva de tout le pain qui les soutenait. Il envoya devant eux un homme; Joseph fut vendu comme esclave» (ps 104,16-17). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 11
C’est ce qui arriva, comme il nous souvient, pour l’officier royal de l’Évangile. Persuadé qu’il sera plus facile de guérir son fils malade que de le ressusciter une fois mort, il supplie, il presse le Seigneur de daigner le suivre : «Seigneur, descendez avant que mon fils ne meure» (Jn 4,49). Et le Christ, qui a pourtant blâmé son incrédulité : «Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croyez pas» (Ibid. 48), ne se règle pas sur la faiblesse de cette foi, pour déployer la grâce de sa divinité. Il chasse la fièvre qui menait le malade à la mort, non par sa présence — la foi de l’officier n’allait pas plus loin —, mais par le verbe de sa puissance : «Va, ton fils vit» (Ibid. 50). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 16
Tantôt il inspire le commencement du salut et met en chacun l’ardeur de la bonne volonté; tantôt il donne de passer aux actes et de parvenir à la consommation des vertus. Il nous sauve d’une ruine prochaine, d’une chute rapide, à notre insu et sans notre aveu; il ménage les occasions de salut et les circonstances favorables ; il empêche les efforts les plus violents et les plus emportés d’aboutir, les desseins de mort de se réaliser. Les uns courent vers lui d’un volontaire élan : il les accueille. Les autres lui résistent : il les tire malgré eux, et les amène de force à la bonne volonté. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 18
La prophétie, que l’Apôtre nomme en troisième lieu, signifie l’anagogie, qui transporte le discours aux choses invisibles et futures comme dans ce passage : «Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance sur le sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne vous contristiez pas, comme fait le reste des hommes, qui n’a point d’espérance. Si, en effet, nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui se sont endormis en Lui. Aussi, nous vous déclarons sur la parole du Seigneur que nous, les vivants, réservés pour le temps de l’avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui se sont endormis. Car le Seigneur Lui-même, au signal donné, à la voix de l’archange, au son de la trompette divine, descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord.» (1 Thes 4,12-15). C’est la figure de l’anagogie qui parait dans une exhortation de cette nature. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8
La doctrine dit l’ordre tout simple de l’explication historique, laquelle ne renferme point de sens plus caché que celui qui sonne dans les mots. Ainsi, dans les textes qui suivent : «Je vous ai enseigné premièrement, comme je l’ai appris moi-même, que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’Il a été enseveli, qu’Il est ressuscité le troisième jour et qu’Il est apparu à Céphas»; (1 Cor 15,3-5). «Dieu a envoyé son Fils, formé d’une femme, né sous la Loi, afin d’affranchir ceux qui étaient sous la Loi»; (Gal 4,5). «Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique.» (Deut 4,4). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8
Puis, après avoir banni tous les soins et les pensées terrestres, efforcez-vous de toutes manières de vous appliquer assidûment, que dis-je ? constamment à la lecture sacrée, tant que cette méditation continuelle imprègne enfin votre âme, et la forme, pour ainsi dire, à son image. Elle en fera de quelque façon l’arche de l’alliance, renfermant en soi les deux tables de pierre, c’est-à-dire l’éternelle fermeté de l’un et l’autre Testament; — l’urne d’or, symbole d’une mémoire pure, et sans tache qui conserve à jamais le trésor caché de la manne, entendez l’éternelle et céleste douceur des pensées spirituelles et du pain des anges; la verge d’Aaron, c’est-à-dire l’étendard, signe du salut, de notre Souverain, et véritable pontife Jésus Christ, toujours verdoyant dans un immortel souvenir : le Christ, en effet, est la verge qui, après avoir été coupée de la racine de Jessé, reverdit de sa mort avec une vigueur nouvelle. Toutes ces choses sont couvertes par deux chérubins, c’est-à-dire la plénitude de la science historique et spirituelle. Car chérubin signifie plénitude de science. Ils couvrent sans cesse le propitiatoire de Dieu, c’est-à-dire la tranquillité de votre coeur, et la protègent contre toutes les attaques des esprits malins. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 10
D’un mort ressuscité par l’abbé Macaire. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 3
C’est ainsi, il nous en souvient, que l’abbé Macaire, le premier qui habita le désert de Scété, ressuscita un mort. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 3
Il arrive. Et l’hérétique de l’attaquer à grand renfort de syllogismes. Triomphant de son ignorance, il prétendait l’entraîner dans le maquis aristotélicien. Mais le bienheureux, Macaire mit fin à tous ses discours par une brièveté tout apostolique : «Le royaume de Dieu, dit-il, ne consiste pas en paroles, mais en oeuvres de puissance.» Allons donc vers les tombeaux, et invoquons le nom du Seigneur sur le premier mort qui se trouvera. Selon qu’il est écrit, montrons notre foi par des oeuvres. Le témoignage divin déclarera où sont les marques de la vraie foi; et ce ne sera point par de vaines disputes de mots que nous rendrons la vérité manifeste, mais par la puissance des miracles et par le jugement de Celui qui ne peut se tromper. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 3
Le bienheureux Macaire s’arrête donc près d’une tombe des plus anciennes : «Ô homme, s’écrie-t-il, si cet hérétique, ce fils de perdition fût venu ici avec moi; et qu’en sa présence, invoquant le nom du Christ, mon Dieu, je t’eusse appelé : dis-moi si tu te serais levé devant tout ce monde que son imposture a failli conduire à la ruine.» Le mort se leva, et répondit que oui. L’abbé Macaire lui demanda ce qu’il avait été durant sa vie, en quel temps il avait vécu et s’il avait alors connu le nom du Christ. Il répondit qu’il avait vécu sous les plus anciens rois, et qu’il n’avait pas même entendu prononcer le nom du Christ à cette époque. «Dors en paix, reprit l’abbé Macaire, en attendant que le Christ te ressuscite en ton rang avec tous les autres, à la fin des temps.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 3
Il était sorti de son désert, pour aller moissonner en Égypte, durant les jours de la Pentecôte. Une femme portant dans ses bras son enfant déjà tout languissant et mort à demi faute de lait, vint l’assiéger de ses prières et de ses larmes. Il finit par lui donner à boire un verre d’eau sur lequel il avait tracé le signe de la croix. Elle ne l’eut pas plus tôt bu, que son sein desséché se remplit merveilleusement, et que le lait trop abondant se mit à couler. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 4
Agité de ces tristes pensées, un sommeil soudain le saisit, et un ange du Seigneur lui apparaît : «Pourquoi es-tu triste, Paphnuce, de ce que ce feu terrestre ne soit pas en paix avec toi, alors que tes membres gardent un reste de concupiscence qui n’est pas encore parfaitement éteint. Tant que ses racines demeureront vivaces dans tes moelles, nul moyen que le feu matériel te soit pacifique. Tu ne cesseras d’être sensible à ses atteintes, que du jour où tu connaîtras par ce signe que tout mouvement intérieur est mort en toi : si, en présence d’une jeune fille de grande beauté, ton coeur garde inaltérable toute sa tranquillité, alors oui, le contact de cette flamme visible te sera doux et inoffensif, comme il le fut aux trois enfants dans la fournaise de Babylone. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 10
Il est encore une autre sorte d’affection, née de l’instinct de la nature et de la loi du sang, par laquelle on préfère naturellement à tous les autres ceux de sa race, son époux ou son épouse, ses père et mère, ses frères ou ses enfants. On ne la voit pas seulement parmi les hommes, mais chez les oiseaux et tous les êtres vivants, que leur affection naturelle pousse à protéger et défendre leur nichée ou leurs petits, jusqu’à ne pas craindre de s’exposer pour eux au péril et à la mort. Les espèces mêmes de bêtes sauvages, de reptiles ou d’oiseaux que leur férocité insupportable ou leur mortel venin sépare et tient éloignés de tous les autres êtres — tels le basilic, le rhinocéros et le griffon —, bien que leur seule vue, dit-on, soit un danger pour tous, ne laissent pas de vivre constamment en paix les uns avec les autres et sans se nuire, à raison justement de leur communauté d’origine et de l’attachement qui en provient. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 2
Parmi toutes les différentes amitiés, il ne s’en trouve qu’une sorte qui soit indissoluble : c’est celle qui a pour principe, non la faveur qu’une recommandation concilie, ni la grandeur des services ou des bienfaits reçus, ni quelque contrat, oui l’irrésistible poussée de la nature, mais la seule ressemblance de la vertu. C’est là, dis-je, l’amitié qu’aucun accident ne rompt, que la distance ou le temps ne peuvent désunir, ne peuvent effacer, bien plus, que la mort elle-même ne réussit point à briser. C’est là la vraie et indissoluble dilection, qui croît avec la perfection et la vertu des deux amis, et dont le noeud, une fois formé, n’est rompu, ni par la diversité des désirs ni par la lutte des volontés contraires. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 3
Le dernier procédé, qui est aussi, à n’en pas douter, la mort de tous les vices, consiste à penser chaque jour que l’on peut jusqu’au soir émigrer de ce monde. Cette persuasion ne permettra pas qu’il séjourne dans notre coeur une ombre de tristesse; mais encore elle étouffera tous les mouvements des convoitises et des vices. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 6
Rien ne vous servirait, en effet, d’affirmer que vous n’avez point, quant à vous, de colère, et de vous persuader que vous remplissez ce commandement : «Que le soleil ne se couche pas sur votre colère», (Ep 4,26). «Quiconque se met en colère contre son frère méritera d’être puni par les juges,» (Mt 5,22) si vous méprisez d’un coeur superbe et dur la tristesse de votre prochain, quand votre mansuétude aurait pu l’adoucir. Vous encourez au même titre le reproche de prévarication contre le précepte du Seigneur; car Celui qui a dit que vous ne deviez pas entrer en colère contre votre prochain, a dit du même coup que vous ne deviez pas faire fi de sa tristesse. Que vous vous perdiez vous-même oui un autre, cela ne fait point de différence aux yeux de Dieu, «qui veut que tous les hommes soient sauvés.» (1 Tim 2,4). Quel que soit celui qui périt, c’est pour lui un même dommage. Pareillement, celui qui trouve tant de plaisir à l’universelle perdition, retire un même gain de votre mort éternelle ou de celle de votre frère. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 6
On a maintes fois éprouvé la vérité de ce que dit l’Apôtre, que «Satan lui-même se transforme en ange de lumière», (2 Cor 11,14) afin de répandre les obscures et affreuses ténèbres de l’erreur pour la vraie lumière de la science. Heureux, si ses suggestions rencontrent un coeur humble et doux, qui les soumette à l’examen d’un frère mûri par l’expérience ou d’un ancien de vertu consommée, puis les rejette ou les accueille selon qu’ils en auront jugé, après les avoir soigneusement éprouvées. Autrement, il n’est pas douteux que nous ne révérions l’ange des ténèbres comme un ange de lumière, et ne périssions de la mort la plus terrible. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 11
Qu’importe que l’on tue son frère par l’épée, ou qu’on le pousse à la mort par quelque fourberie ? Ruse ou crime, n’est-il pas constant qu’il meurt par vous ? Depuis quand suffit-il de ne point jeter de sa propre main l’aveugle au précipice ? Celui qui, le pouvant, néglige de le retenir, lorsqu’il le voit penché déjà et suspendu sur l’abîme, n’est-il pas responsable également de sa mort ? Ou bien sera-t-on criminel seulement à la condition d’étrangler soi-même son prochain; et point lorsqu’on prépare la corde, ou qu’on la lui passe, ou que l’on néglige de la lui ôter, quoiqu’on le puisse ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 18
Le premier renonce à une détermination qu’il avait confirmée par une manière de serment : «Non, jamais vous ne me laverez les pieds.» (Jn 13,8). Mais il mérite pour ce fait d’avoir part éternellement avec le Christ; tandis qu’il était, sans aucun doute, retranché de cette grâce et béatitude, s’il se fût obstinément tenu à sa parole. L’autre, pour garder la foi d’un serment inconsidéré, se fait le sanglant meurtrier du Précurseur; la vaine crainte de se parjurer l’engloutit dans la damnation et les supplices de l’éternelle mort. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 9
Judas, au contraire, ne se proposait aucunement le salut des hommes, mais il sacrifiait au péché de l’avarice, lorsqu’il livrait à la mort notre Rédempteur à tous. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 12
GERMAIN — Tout cela est parfaitement raisonnable; c’est le langage de la prudence. Et si nous ne regardions qu’à la force de vos discours, nous n’aurions pas de peine à lever le scrupule de notre promesse. Mais une chose nous effraye très fort. Notre exemple semblera fournir aux faibles une occasion de mentir, lorsqu’ils apprendront que l’on peut licitement déroger à la foi du serment. Il y a, pour interdire le mensonge, des paroles si graves et si menaçantes : «Vous perdrez tous ceux qui disent le mensonge»; (Ps 5,7) «La bouche qui ment donne la mort à l’âme »! (Sag 1,11) Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 15
Il faut juger et user du mensonge, comme on ferait de l’hellébore. Pris sous la menace d’une maladie mortelle, ce remède sauve hors ce péril extrême, il cause la mort sur-le-champ. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 17
Telle fut Rahab. L’Écriture ne fait mémoire à son sujet d’aucune vertu, mais seulement de son impudicité. Cependant, plutôt que de livrer les espions de Josué, elle les cache par un mensonge : pour cela seul, elle mérite d’être agrégée au peuple de Dieu, dans une bénédiction éternelle. Or, supposez qu’elle eût préféré dire la vérité, et pourvoir au salut de ses concitoyens. Il est clair à tous les yeux qu’elle n’eût pas échappé, avec toute sa maison, à la mort suspendue sur sa tête; elle n’aurait pas pris rang parmi les ascendants du Seigneur; elle n’était point comptée sur la liste des patriarches; elle ne méritait, point de donner le jour, par les générations sorties de son sein, au Sauveur du monde. Voyez, en effet, Dalila. Elle prend les intérêts de ses concitoyens, et trahit la vérité qu’elle a réussi à connaître : son sort est la perte éternelle, et elle ne laisse à l’humanité que le souvenir de son crime. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 17
On a vu clairement la justesse de ces principes dans le cas de Rahab de Jéricho et du patriarche Jacob : ni elle n’eût échappé à la mort, ni lui n’eût obtenu la bénédiction des premiers-nés autrement que par ce moyen extrême. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 17
C’est que Dieu n’examine et ne juge pas seulement nos paroles et nos actes; mais il considère aussi notre volonté et nos intentions. Nous voit-il faire ou promettre quelque chose pour notre salut éternel ou en vue de la contemplation divine : même si notre conduite revêt, aux yeux des hommes, des apparences de dureté et d’injustice, lui regarde aux sentiments de religion qui sont au fond de notre coeur, et nous juge, non d’après le son des mots, mais sur le voeu de notre volonté. La fin de l’acte, les dispositions de celui qui agit, voilà ce qui est à considérer. Par là, comme on l’a dit plus haut, l’un peut se justifier en mentant; et l’autre, tomber dans un péché qui le condamne à la mort éternelle, en disant la vérité. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 17
Répondez-moi, je vous prie. Qu’auriez-vous fait, vous qui vivez sous l’Évangile, si vous vous étiez trouvés en pareil cas ? Auriez-vous préféré aussi les cacher par un mensonge, en disant comme elle : «Ils ont passé, après avoir bu un peu d’eau,» et accomplir ainsi le précepte : «Délivre ceux que l’on traîne à la mort, et sauve ceux que l’on va égorger, n’épargne rien;» (Pro 24,11) oui bien, en disant la vérité, les livrer à leurs meurtriers ? Et que faites-vous de cette parole de l’Apôtre : «Que personne ne cherche son propre avantage, mais celui d’autre ?» (1 Cor 10,24). Et de celle-ci : «La charité ne cherche pas son intérêt mais celui des autres »? (Phil 2,4). Il dit encore de lui-même: «Je ne cherche pas mon avantage, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés.» (1 Cor 10,33) Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 19
Instruits par les faits que nous avons rappelés, le bienheureux apôtre Jacques et tous les principaux chefs de la primitive Église exhortent l’apôtre Paul à descendre jusqu’aux artifices et à la simulation, afin de ménager la pusillanimité des faibles. Ils l’engagent à se soumettre aux purifications d’usage sous la loi, à se raser la tête et à offrir des voeux. Le préjudice inhérent à cette feinte ne compte pas à leurs yeux; ils n’ont égard qu’aux avantages qui résulteront du long apostolat d’un tel homme. Il n’aurait pas tant gagné, en effet, à se retrancher dans la stricte rigueur des principes, que sa mort immédiate n’eût causé de tort aux Gentils. Tort qui frappait infailliblement toute l’Église, si cette feinte utile et salutaire ne l’eût conservé pour la prédication de l’Évangile. On est excusable de consentir au dommage qui résulte du mensonge, il y a même nécessité de le faire, lorsque, comme nous l’avons dit, la vérité en causerait elle-même un plus grand, sans que, l’avantage qu’elle comporte suffise à le compenser. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20
Où a-t-il vécu avec ceux qui étaient sous la Loi, comme s’il eût été lui-même sous la Loi ? — À Jérusalem. Les Juifs convertis, ou, pour mieux dire, les chrétiens judaïsants avaient reçu la foi du Christ avec la conviction qu’elle demeurait astreinte aux cérémonies légales. Jacques et tous les anciens de l’Église, redoutant que cette multitude ne se jetât sur lui, s’efforcent de parer au danger, et lui insinuent ce conseil : «Tu vois, frère, combien de milliers de Juifs ont cru, et tous sont zélés pour la Loi. Or, ils ont ouï dire que tu enseignes aux Juifs qui sont parmi les Gentils, de se séparer de Moïse, en disant qu’ils ne doivent pas circoncire leurs enfants;» (Ac 21,20-21) et plus loin : «Fais donc ce que nous allons te dire. Nous avons ici quatre hommes qui ont fait un voeu; prends-les, purifie-toi avec eux, et fais pour eux les frais des sacrifices, afin qu’ils se rasent la tête. Ainsi, tous sauront que ce qu’ils ont entendu dire de toi est faux, et que toi aussi tu observes la Loi.» (Ac 21,23-24). Et lui, pour le salut de ceux qui étaient sous la Loi, d’oublier un instant la rigueur de la parole qu’il avait dite : «C’est par la Loi que je suis mort à la Loi, afin de vivre à Dieu.»(Gal 2,19). Il se laisse engager à se raser la tête, à subir les purifications légales, à offrir des voeux dans le Temple suivant le rite mosaïque. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20
Celui qui était mort à la Loi par la loi du Christ, afin de vivre à Dieu, qui tenait pour un préjudice la justice de la Loi dans laquelle il avait vécu sans reproche, et la considérait comme de la balayure, afin de gagner le Christ, celui-là, dis-je, n’a pu se soumettre d’un coeur sincère aux observances légales. Il n’est pas permis de penser que celui qui avait dit : «Si ce que j’ai détruit, je le rebâtis, je me constitue moi-même prévaricateur,» (Gal 2,18) soit tombé dans la faute qu’il avait lui-même condamnée. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20
Quant à l’observance des commandements principaux, il faut des résolutions très constantes, jusqu’à ne pas reculer devant la mort même, s’il est nécessaire; et c’est à leur sujet qu’il convient de dire : «J’ai juré, j’ai résolu.» Tel est en particulier notre devoir, lorsqu’il s’agit de la charité. Il faut que tout nous soit à mépris pour elle, pour qu’elle demeure immaculée dans sa tranquillité et dans sa perfection. Mêmes serments pour la pure chasteté; même conduite aussi pour ce qui est de la foi, de la sobriété, de la justice. Ces vertus doivent être gardées avec une persévérance qui jamais ne se démente. S’en éloigner, si peu que ce soit, est damnable. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 28
Mais, après la mort des apôtres, la foule des croyants commença de se refroidir, celle-là surtout qui affluait du dehors il la foi du Christ, de tant de peuples divers. Par égard pour leur foi encore bégayante et leur paganisme invétéré, on ne demandait rien de plus aux gentils que de s’abstenir «des viandes offertes aux idoles, de l’impureté, de la chair étouffée et du sang». (Ibid. 15,29). Cette liberté qu’on leur accordait par condescendance pour la faiblesse de leur foi naissante, ne laissa pas de contaminer insensiblement la perfection de l’Église de Jérusalem. Le nombre des recrues s’augmentant chaque jour, du judaïsme et de la gentilité, la ferveur de la foi primitive se perdit. Ce ne fut pas seulement la foule des prosélytes que l’on vit se relâcher de l’antique austérité, mais jusqu’aux chers de l’Église. Plusieurs, estimant licite pour eux-mêmes la concession faite à la faiblesse des gentils, se persuadèrent qu’il n’y avait aucun détriment à garder biens et fortune, tout en confessant la foi du Christ. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 5
Elle n’avait cessé d’être tenue parmi les moines pour détestable et maudite; et on ne l’avait plus revue chez personne, tant que vécut dans la mémoire des fidèles la terreur d’une sentence si rigoureuse. Le crime était nouveau; mais aussi le bienheureux apôtre n’avait-il laissé à ceux qui en donnaient le premier exemple, le loisir ni du repentir ni de la satisfaction : une mort foudroyante avait retranché le germe fatal. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 7
C’est là le fléau dont il est dit en figure par la bouche du prophète : «Voici que j’enverrai contre vous des basilics, contre lesquels il n’y a point d’enchantements, et ils vous mordront.» (Jer 8,17). Fort justement, le prophète compare au venin mortel du basilic la morsure de l’envie, dont le premier auteur et le prince de tout mal a péri lui-même, en faisant périr les autres. Meurtrier de soi-même, avant de verser le virus de la mort en l’homme qu’il jalousait, il fut la cause de sa propre ruine : «C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde,» dit le sage. Mais il ajoute : «Ceux qui se rangent à son parti, deviennent ses imitateurs.» (Sag 2,24-25). De même, en effet, que le démon, gâté le premier par cette peste, demeure inaccessible au remède de la pénitence, à tout traitement capable d’adoucir son mal; pareillement, ceux qui s’abandonnent aux mêmes morsures empoisonnées, excluent tout secours. Car, ce qui fait leur tourment, ce ne sont pas les fautes de celui qu’ils jalousent, c’est son bonheur. Rougissant dès lors de produire au jour la vérité, ils cherchent de vaines et absurdes raisons de s’offenser. Comme elles sont absolument fausses, et que d’ailleurs le mortel venin qu’ils ne veulent pas manifester reste caché dans leurs moelles, tout traitement devient inutile. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 16
Aussi le sage dit-il fort justement à leur propos : «Si le serpent mord sans siffler, l’enchanteur ne sert de rien.» (Ec 10,11). Ce sont là, en effet, ces morsures secrètes, les seules auxquelles la médecine des sages ne puisse apporter remède. Jusqu’à quel point ce mal n’est-il pas incurable ! Les caresses l’exaspèrent, les bons procédés l’augmentent, les présents l’irritent : «L’envie, dit encore Salomon, ne peut rien souffrir.» (Pro 27,4). Plus le prochain grandit par les abaissements de l’humilité, la vertu de patience ou la gloire de la munificence; plus l’envieux se sent blessé des aiguillons de sa passion. C’est la ruine de son frère, c’est sa mort qu’il voudrait, et rien d’autre. Voyez les fils de Jacob. La soumission de Joseph innocent était loin d’apaiser le feu de leur jalousie : «Ses frères le jalousaient, rapporte l’Écriture, parce que son père l’aimait; et ils ne pouvaient lui dire une parole pacifique.» (Gen 37,4). Les choses en vinrent à tel point, que leur rage, impatiente de ses complaisances et de ses soumissions, et avide de sa mort, put à peine se satisfaire en le vendant comme esclave. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 16
Afin que le basilic ne tue pas, d’une seule de ses morsures empoisonnées, tout ce qui est vivant en nous et, pour ainsi dire, animé par le mouvement vital du saint Esprit Lui-même, il nous faut implorer sans cesse le secours de Dieu, à qui rien n’est impossible. Car, pour le venin des autres serpents — et par ce venin, j’entends les péchés ou les vices charnels —, autant l’humaine fragilité est prompte à y succomber, autant il est facile de l’en délivrer. Les blessures qu’ils font se reconnaissent à de certaines marques extérieures et corporelles; et, pour dangereuse que puisse être l’enflure qu’elles déterminent, si quelque enchanteur, habile à se servir des formules magiques de l’Écriture, y applique le remède des paroles salutaires, le poison n’ira pas jusqu’à donner la mort à l’âme. Mais l’envie, tel le venin jeté par le basilic, détruit la religion et la foi jusque dans les racines de leur vie, avant que la blessure ait paru au dehors. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 16
Enfin, à supposer même que la vie commune m’enlève quelque chose de la pureté de coeur dont je jouissais autrefois, je trouve une compensation qui me satisfait, dans l’accomplissement du précepte évangélique. Car, tous les avantages de la solitude ne dépassent certainement pas celui de n’avoir aucun souci du lendemain, et de pouvoir, en me soumettant jusqu’à la fin à la conduite d’un abbé, imiter de quelque manière Celui dont il est dit : «Il s’est abaissé Lui-même, Se faisant obéissant jusqu’à la mort,» (Phil 2,8) et répéter humblement après lui : «Je ne suis pas venu faire ma Volonté, mais celle de mon Père qui M’a envoyé.» (Jn 6,38). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 6
Parfois, c’est l’intercession des saints qui obtient le pardon de nos fautes : «Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu’il prie; et Dieu donnera la vie à ce frère, dont le péché ne va pas à la mort.» (1 Jn 5,163). Et de nouveau : «Quelqu’un parmi vous est-il malade, qu’il appelle les prêtres de l’Église, et que ceux-ci prient sur lui, l’oignant d’huile au nom du Seigneur. Et la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le soulagera; et s’il a commis des péchés, ils lui seront remis.» (Jac 5,14-15). D’autres fois, c’est le mérite de la miséricorde et de la foi qui réduit la souillure de nos vices, selon cette parole : «Les péchés s’expient par la miséricorde et la foi.» (Pro 15,27). Souvent aussi, c’est la conversion et le salut de ceux que ramènent au bien nos avis et notre prédication : «Celui qui convertira un pécheur de l’égarement de ses voies, sauve cette âme de la mort et couvrira la multitude de ses propres péchés.» (Jac 5,20). Enfin, l’oubli et le pardon que nous accordons aux autres, nous méritent le pardon de nos propre méfaits : «Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos manquements.» (Mt 6,14). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8
C’est pour des fautes de cette nature que David implore d’être purifié, et pardonné, lorsqu’il prie le Seigneur en ces termes : «Qui connaît ses manquements ? De ceux que j’ignore, purifiez-moi; faites grâce à votre serviteur de ceux que je ne connais pas.» (Ps 18,13-14). Et l’Apôtre à son tour : «Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas.» (Rom 7,19). Toujours pour le même sujet, il s’écrie avec un sanglot : «Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ?» (Ibid. 24). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 12
C’est ainsi qu’à son tour David va plus loin que la Loi n’ordonne. Moïse voulait que l’on rendit le talion à ses ennemis. David ne le fit pas. Mieux encore, il enveloppa dans sa dilection ses persécuteurs, pleura leur mort et comme un deuil et la vengea, tout en priant le Seigneur pour eux avec grande pitié. (cf. 1 Roi 24). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 4
Il retourne chez lui, percé jusqu’au fond du coeur de cette tristesse qui opère le repentir salutaire et durable. Ne doutant plus de ses propres intentions, qu’il sent bien arrêtées, il tourne sa sollicitude et ses soins vers le salut de sa compagne. Il tâchait d’exciter en elle le même désir dont il était embrasé, en reprenant les exhortations de l’abbé Jean. Nuit et jour, il lui recommandait avec larmes le saint propos de servir Dieu de concert, dans la continence et chasteté. Il ne fallait point différer de se convertir à une vie meilleure. Les vains espoirs qui bercent le jeune âge, n’arrêtent point les coups soudains de la mort, que l’on voit emporter l’enfance, l’adolescence et la jeunesse pêle-mêle avec les vieillards. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 8
Il répondait en alléguant la condition de l’humaine nature, combien fragile, combien incertaine ! Quel péril à s’engager dans les désirs et les oeuvres de la chair ! Il ajoutait qu’il n’était loisible à personne, de mettre comme une frontière entre soi et le bien que l’on avait reconnu infiniment digne d’être embrassé. Puis, il y avait plus de danger à mépriser le bien connu, qu’à ne pas l’aimer inconnu. Lui-même, n’était-il pas déjà sous la prévarication, dès là qu’ayant découvert des biens si magnifiques et si célestes, il leur en avait préféré de terrestres et de sordides ? Les grandeurs de la perfection convenaient à tout âge, à tout sexe; tous les membres de l’Église étaient invités à gravir les hauteurs des vertus les plus sublimes : Courez, avait dit l’Apôtre, afin de remporter le prix. (1 Cor 9,24). Les retards des apathiques et des lâches ne devaient point retenir la prompte ardeur des enthousiastes. N’était-ce pas le droit, que l’avant-garde entraînât les paresseux, plutôt que de voir sa course entravée par leur poids mort ? Au surplus, sa résolution était prise, de renoncer au siècle et de mourir au monde, afin de vivre à Dieu; et s’il ne pouvait obtenir ce bonheur, de passer avec sa compagne dans la société du Christ, il aimait mieux être sauvé avec un membre de moins, et entrer mutilé dans le royaume des cieux, plutôt que d’être damné avec son corps entier. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9
Si je ne puis vous arracher à la mort, dit alors le bienheureux Théonas, vous non plus, vous ne me séparerez pas du Christ. Il est plus sûr pour moi de faire divorce avec une créature, plutôt qu’avec Dieu. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9
Sa sainteté et son humilité y jetèrent en peu de temps un grand éclat. Aussi, lorsque l’abbé Jean, de bienheureuse mémoire, eut émigré de la lumière de ce monde vers le Seigneur, et que saint Élie, son égal pour la vertu, fut mort à son tour, Théonas, le troisième, fut élu d’un consentement unanime, pour leur succéder dans l’office de diacre et la dispensation des aumônes. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9
Par conséquent, lorsqu’il s’agit de pratiques auxquelles nous voyons un mode et un temps déterminés, et dont l’observance sanctifie, sans pourtant qu’il y ait faute à les omettre : manifestement, elles sont de soi indifférentes. Ainsi, le mariage, l’agriculture, les richesses la retraite au désert, les veilles, la lecture et la méditation des livres sacrés, le jeûne enfin, qui fut l’occasion de ce discours. Ce sont là des buts pour notre activité, que ni les préceptes divins ni l’autorité des saintes Écritures ne nous ordonnent de poursuivre avec une telle continuité, que ce soit un crime de prendre quelque relâche. Tout ce qui fait l’objet d’un commandement proprement dit, nous mérite la mort, s’il n’est observé; mais ce qui est plutôt conseillé qu’ordonné, procure des avantages, si on le fait, sans attirer de châtiment, si on l’omet. Aussi nos pères nous ont-ils recommandé de ne nous livrer à toutes ces pratiques, à certaines du moins, qu’avec prudence et circonspection, tenant compte du pourquoi, du lieu, du mode, du temps. C’est qu’en effet tout va à souhait, si elles viennent opportunément; mais embrassées mal à propos, elles sont nuisibles autant que déplacées. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14
Nous ne pouvons remplir, en effet, ce qui se chante dans le psaume : J’ai devancé le matin, et j’ai crié vers vous; (Ps 118,147). Mes yeux ont devancé le point du jour, pour méditer votre parole; (Ibid. 148) Le matin, ma prière vous préviendra, (Ps 87,14 que si, rappelés à la lumière du jour après le repos du sommeil, comme du sein des ténèbres et de la mort, nous n’osons rien prélever pour nos propres besoins, des fonctions de notre âme ni de notre corps. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 26
Puis, l’Apôtre ajoute : C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup de gens débiles et de malades, et qu’un grand nombre sont morts (Ibid., 30), affirmant que la maladie et la mort spirituelles doivent principalement à cette présomption leur origine. Beaucoup, en effet, qui osent communier illicitement, sont faibles dans la foi et d’âme débile, c’est-à-dire, en proie aux langueurs du vice; ils dorment du sommeil du péché, sans que jamais une salutaire sollicitude vienne les réveiller de cette funeste léthargie. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 5
On pouvait penser qu’Il portait une chair pécheresse, aussi bien que les autres, lorsque, dans le péril de mort et frappé de terreur à la vue des supplices qui Le menaçaient, Il faisait cette prière : Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de Moi ! (Mt 26,39) ou qu’Il disait : Mon âme est triste jusqu’à la mort (Ibid., 38). Mais cette tristesse ignorait la souillure du péché, parce que l’Auteur de la vie ne pouvait redouter la mort. Il dit, en effet : Personne ne Me prend ma Vie, c’est de Moi-même que Je la donne; J’ai le pouvoir de la donner, et J’ai le pouvoir de la reprendre (Jn 10,18). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11
C’est de lui et des saints qui lui ressemblent, que nous devons entendre ce que chante David : Le Seigneur affermit les pas de l’homme, et Il prend plaisir à sa voie. Si le juste tombe, il ne se brisera pas, parce que le Seigneur le soutient de sa Main (Ps 36,23-24). Celui dont les pas sont affermis par le Seigneur, peut-il ne pas être juste ? Et pourtant, c’est de lui qu’il est dit : S’il tombe, il ne se brisera pas. Que signifie : S’il tombe, sinon : S’il tombe en quelque péché ? Il ne se brisera pas, est-il dit. Qu’est-ce là ? Que les assauts du péché ne l’accableront pas longtemps. Sur l’heure, il peut bien paraître brisé; mais, relevé par le Secours divin, qu’il implore, sa promptitude à se remettre debout fait qu’il ne perd point l’immobile rectitude de la justice, ou du moins, s’il la perd un instant par la fragilité de la chair, la Main du Seigneur, en le soutenant, la lui rend. Un homme pourrait-il cesser d’être saint après sa chute, lorsque, reconnaissant qu’il ne saurait être justifié par la confiance en ses propres oeuvres, et persuadé que la seule Grâce du Seigneur le délivrera des innombrables liens du péché, il ne cesse de proclamer avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 24,25) ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 13
Il a donc vu le fond de sa propre fragilité, de la fragilité humaine; et, saisi d’effroi devant cet incommensurable abîme, il cherche un refuge au port assuré du Secours divin. Désespérant, si je puis ainsi dire, de sa frêle embarcation, qu’il voit toujours près de sombrer sous le fardeau de la mortalité, il supplie Celui à qui rien n’est impossible, de le sauver du naufrage, et pousse ce cri pathétique : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Et la délivrance qu’il n’attendait plus de la faiblesse de la nature, il se la promet aussitôt de la Bonté divine : il poursuit, plein de confiance : La Grâce de Dieu, par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 7,19-25). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 14
Ils ont accoutumé de dire : Si nous supplions quelque personnage élevé en dignité, non pour avoir la vie sauve, mais seulement en vue de quelque avantage temporel : rivés à lui par les yeux et par toute l’âme, suspendus dans une attente pleine d’alarmes à un signe de sa tête, nous tremblons qu’un mot inopportun ou maladroit ne vienne à détourner sa miséricorde. Ou bien, voici que nous sommes à l’audience, devant le tribunal des juges de ce monde. En face, se tient notre partie. Si, au beau milieu des débats, nous nous prenions à tousser, cracher, rire, bâiller ou dormir, combien la haine vigilante de notre ennemi serait-elle prompte à exciter, pour notre perte, la sévérité du juge ! Eh ! lorsque nous supplions le Juge divin, infaillible témoin de tous les secrets, afin qu’Il écarte le péril de mort éternelle dont nous sommes menacés, ayant en face de nous surtout celui qui est à la fois notre perfide séducteur et notre accusateur, avec quelle attention, quelle ferveur de prière devons-nous implorer sa Clémence ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 6
Or, les funambules, qui jouent leur vie sur un passage aussi étroit, savent que la mort les attend, cruelle, instantanée, si le moindre défaut d’équilibre vient à les faire dévier et quitter la direction d’où dépend leur salut. Tandis qu’avec une habileté merveilleuse, ils dirigent péniblement leur marche aérienne, quelle prudence, quel soin ne leur faut-il pas, à tenir ce sentier plus étroit que le pas d’un homme ! Autrement, la terre, qui est pour tous la base naturelle, le fondement solide et sûr, devient leur perte immédiate et manifeste. Non qu’elle change de nature; mais parce qu’ils y sont précipités par le poids de leur corps. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9
De même la Bonté infatigable et l’immuable Substance de Dieu ne blessent personne. C’est nous qui nous donnons la mort, en nous écartant des cimes du ciel, pour tendre vers les bassesses de la terre. Que dis-je ? l’écart lui-même est notre mort : Malheur à eux, est-il dit, parce qu’ils se sont retirés de Moi; ils seront la proie des dévastateurs, parce qu’ils ont prévariqué contre Moi (Os 7,13); Malheur à eux lorsque Je Me serai retiré d’eux (Ibid., 9,12). Il est dit encore : Ta malice t’accusera, et ton infidélité te reprendra. Sache donc et comprends quel mal c’est pour toi, quelle amertume, d’avoir abandonné le Seigneur (Jér 2,19). C’est qu’en effet, tout homme est prisonnier dans les liens de ses péchés (Prov 5,22). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9
Déchoir, par le poids victorieux des pensées terrestres, des hauteurs sublimes de la contemplation; passer, contre sa volonté, et qui plus est à son insu, sous la loi du péché et de la mort; se voir détourner de la divine Présence, pour ne rien dire des autres causes de distractions, par les oeuvres énumérées plus haut, bonnes et justes à la vérité, terrestres néanmoins : voilà donc qui est pour les saints d’une expérience quotidienne. Certes, ils ont sujet de pousser des gémissements continuels vers le Seigneur; ils ont sujet de se proclamer pécheurs, non pas seulement de bouche, mais aussi de coeur, avec les sentiments d’une vraie humilité et componction; ils ont sujet de répandre sans cesse de vraies larmes de pénitence, en implorant le pardon des fautes où les entraîne chaque jour la fragilité de la chair. Aussi bien, c’est pour jusqu’au dernier instant de leur vie qu’ils se voient la proie des agitations qui leur sont une perpétuelle et cuisante douleur, hors d’état d’offrir leurs supplications elles-mêmes sans mélange d’inquiétude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 10
Conscients désormais de l’inanité des forces humaines, pour atteindre, malgré le fardeau de la chair, à la fin désirée, de leur impuissance à s’unir selon le désir de leur coeur au Bien incomparable et souverain; des distractions qui les mènent captifs vers les choses de ce monde, loin de la contemplation divine : ils recourent à la Grâce de Dieu, qui justifie les impies (Rm 4,5), et protestent avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par notre Seigneur Jésus Christ. Ils sentent, en effet, qu’ils ne peuvent accomplir le bien qu’ils veulent; mais qu’ils tombent sans cesse dans le mal qu’ils ne veulent pas, qu’ils détestent, je veux dire dans l’agitation des pensées ou le souci des choses temporelles. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 10
De là vient que le bienheureux Apôtre, tout en confessant ouvertement cette inévitable nécessité de péché où lui et les autres saints se trouvent engagés, ne laisse pas de prononcer hardiment que pas un d’eux n’est damnable pour ce fait : Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus. Car la Loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort (Rm 8,1-2). C’est-à-dire : La Grâce que le Christ répand chaque jour sur tous ses saints, les absout, lorsqu’ils implorent la remise de leurs dettes, de cette loi du péché et de la mort à laquelle les assujettit sans cesse une involontaire fatalité. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 13
GERMAIN. – Selon nous, ces textes ne conviennent pas plus à ceux qui vivent dans les péchés mortels, qu’à l’Apôtre ou aux parfaits qui ont atteint sa mesure. Proprement, ils doivent s’entendre de ceux qui, après avoir reçu la Grâce divine et connu la Vérité, désirent s’abstenir des vices charnels, mais se voient entraînés vers leurs convoitises invétérées, par la force d’une habitude ancienne qui domine tyranniquement dans leurs membres, telle une loi de nature. L’habitude et la répétition du mal deviennent, en effet, comme une loi naturelle. Inhérente aux membres de la faible humanité, celle-ci captive et emporte au vice les inclinations de l’âme insuffisamment formée aux pratiques de la vertu et, si l’on peut ainsi dire, de chasteté novice encore et tendre. Elle la soumet, en vertu de l’antique condamnation, à la mort et au joug tyrannique du péché, ne lui permettant pas d’atteindre au bien de la pureté qu’elle aime, mais la contraignant plutôt de faire le mal qu’elle déteste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14
Car, quelles sortes de péchés pourraient-ils commettre, selon vous, dont la Grâce quotidienne du Christ dût les délivrer, s’ils s’y engageaient après le baptême ? De quel corps de mort faut-il penser que l’Apôtre a dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? N’est-il pas manifeste, comme la vérité vous a contraints de l’avouer à votre tour, qu’il ne s’agit point ici des péchés mortels, dont le prix est la mort éternelle : homicide, fornication, adultère, ivresse, vol, rapine; mais du corps de péché dont nous avons précédemment parlé, et auquel porte remède la Grâce quotidienne du Christ ? Tel, après avoir reçu le baptême et la science de Dieu, s’abandonne-t-il à l’autre corps de mort, celui des péchés graves : qu’il le sache, son crime ne sera pas effacé par la Grâce quotidienne du Christ, c’est-à-dire le pardon facile que le Seigneur accorde à notre prière, pour des erreurs sans conséquences; mais il devra subir les longues afflictions de la pénitence et de grandes peines expiatoires, à moins qu’il ne soit voué, dans la vie future, aux supplices du feu éternel. C’est le même apôtre qui le déclare : Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu (1 Co 6,9-10). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15
Je vous le demande encore une fois, quelle est cette loi qui milite dans nos membres et lutte contre la loi de notre esprit, qui, après nous avoir menés, en dépit de notre résistance, tels des captifs sous la loi du péché et de la mort et rendus ses esclaves quant à la chair, nous laisse néanmoins servir Dieu par l’esprit ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15
Qu’est-ce que servir la loi du péché, sinon accomplir ce que le péché commande ? Mais quel est le péché, dont une sainteté aussi achevée que celle de l’Apôtre peut se sentir captive, sans douter pourtant que la Grâce du Christ ne la délivre ! Car il dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. Quelle sera, dis-je, à votre sens, cette loi dans nos membres, qui, en nous arrachant à la Loi de Dieu, pour nous captiver sous la loi du péché, fait de nous des malheureux, plutôt que des coupables ? Tellement, qu’au lieu d’être voués aux éternels supplices, nous soupirons seulement de voir s’interrompre la joie de notre béatitude, et nous écrions avec l’Apôtre, en quête d’un secours qui nous y rétablisse : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Être emmené captif sous la loi du péché, qu’est-ce autre chose que demeurer dans les actes du péché ? Or, quel est le bien par excellence que les saints ne peuvent accomplir, sinon celui au prix de quoi tous les autres cessent d’être des biens ? Certes, il existe, nous le savons, des biens multiples en ce monde, et avant tout, la chasteté, la continence, la sobriété, l’humilité, la justice, la miséricorde, la tempérance, la piété. Mais ils ne sauraient aller de pair avec ce bien souverain. D’autre part, ils sont à la portée, je ne dirai pas des apôtres, mais des âmes médiocres. Aussi bien, si ou ne les accomplit, on sera puni de l’éternel supplice on des labeurs d’une longue pénitence; mais il ne faut point espérer sa délivrance de la Grâce quotidienne du Christ. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15
Supposons un instant que, par cette loi des membres, ils se sentissent engagés en des crimes quotidiens : ce n’est pas la félicité qu’ils se plaindraient d’avoir perdue, mais l’innocence. L’Apôtre Paul ne dirait pas : Malheureux homme que je suis ! mais : Homme impur, scélérat que je suis ! Il ne souhaiterait pas la délivrance de ce corps de mort, c’est-à-dire de la condition mortelle, mais des hontes et des crimes de la chair. Or, au contraire, se voyant, de par l’humaine fragilité, tenu captif et entraîné vers les sollicitudes et les soins charnels, fruits de la loi du péché et de la mort, il gémit sur cette loi à laquelle il est soumis malgré lui et recourt sur-le-champ au Christ, dont la Grâce le sauve par une prompte délivrance. Tout ce que la loi du péché, racine féconde en épines et chardons de pensées et de soucis terrestres, vient à produire de sollicitudes au coeur de l’Apôtre, la Loi de la Grâce l’arrache sans tarder : Car, dit-il lui-même, la Loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort (Rm 8,2). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15
Tel est l’inévitable corps de mort, où les parfaits, après avoir goûté combien le Seigneur est bon (ps 33,9), retombent journellement, éprouvant avec le prophète quel mal c’est pour eux, quelle amertume, d’avoir abandonné le Seigneur leur Dieu (Jér 2,19). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16
Tel est le corps de mort qui les retire de la contemplation céleste et les abaisse aux choses de la terre; qui, durant qu’ils psalmodient ou se tiennent prosternés pour la prière, évoque dans leur pensée le souvenir de formes humaines, de paroles, d’affaires, d’actions superflues. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16
Tel est le corps de mort qui fait obstacle à leur ambition, lorsque, jaloux d’imiter la sainteté des anges et désireux d’adhérer constamment au Seigneur, ils ne réussissent point à rencontrer un si grand bien, mais font le mal qu’ils ne veulent pas, emportés qu’ils sont, même par l’esprit, vers des choses qui n’intéressent ni le progrès ni la consommation des vertus. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16
Je rapprocherais cette parole : Voici que Tu T’es irrité, et nous avons péché, de celle de l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Ce que le prophète ajoute : Nous fûmes toujours dans nos péchés, mais nous serons sauvés, s’accorde bien aussi à la suite de saint Paul : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. De même, ce passage du prophète : Malheur à moi ! Je suis un homme aux lèvres impures et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures, paraît comme un écho de ce que nous avons entendu tout à l’heure : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Enfin, quand le prophète continue : Et voici que l’un des séraphins vola vers moi, et dans sa main était un charbon (ou une pierre) de feu, qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel; et il en toucha ma bouche, et il dit : Vois, avec ceci j’ai touché tes lèvres, et ton iniquité va être ôtée, ton péché effacé (Is 6,6-7); lorsque, dis-je, le prophète parle de la sorte, ne croirait-on pas entendre saint Paul, qui dit de son côté : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 17
Une chose est bonne : et c’est à tort parfois que l’on en prend exemple. Quelque présomptueux va se mêler d’imiter son prochain; mais il n’a pas les mêmes sentiments, le même propos, une égale vertu : il se prendra dans les pièges de l’erreur et de la mort, où d’autres se sont acquis le fruit de l’éternelle vie. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 8
Pourquoi, fait alors Apollon, n’avoir pas demandé notre frère cadet, qui était plus proche que moi sur votre chemin ? L’autre pensa : Il a oublié que ce frère est mort et enterré depuis longtemps. Trop d’abstinence et de solitude lui aura fait perdre le sens. Comment, réplique-t-il, pouvais-je appeler de son tombeau un homme mort depuis quinze ans ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 9
Et l’abbé Apollon : Ignorez-vous qu’il y a vingt ans que je suis mort à ce monde, et que, du tombeau de cette cellule, je ne puis vous être d’aucun secours pour ce qui regarde la vie présente. Le Christ pourrait-il souffrir la moindre trêve à la vie de mortification que j’ai embrassée, pour vous aider à retirer votre boeuf ? Il n’a pas accordé un moment de délai pour la sépulture d’un père, qui était un office beaucoup plus prompt, plus digne, plus religieux ! Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 9
C’est aussi de cette méthode que la malignité perfide des puissances spirituelles s’emploie à nous tenter. Elles tendent principalement leurs pièges insidieux par les côtés de l’âme où elles la sentent malade. Voient-elles, par exemple, que la partie raisonnable est viciée en nous, elles s’efforcent de nous tromper par le même procédé qui servit jadis aux Syriens pour le roi Achab, selon que l’Écriture nous le raconte : Nous savons, dirent les Syriens, que les rois d’Israël sont cléments. Mettons donc des sacs sur nos reins et des cordes à notre cou; sortons vers le roi d’Israël, et nous lui dirons : Ton serviteur Benadab dit : Je t’en prie, que mon âme vive ! (3 Rois 20,31-32) Et Achab, ému du vain éloge que l’on faisait de sa miséricorde, plutôt que de vraie clémence : S’il vit encore, dit-il, il est mon frère. (Ibid.,32) Ainsi les démons s’efforcent-ils de nous abuser quant à la partie raisonnable, afin de nous faire offenser Dieu par où nous penserions obtenir une récompense et recevoir le prix de la clémence. Mais alors, nous entendrions à notre tour le reproche fait à Achab : Parce que tu as laissé échapper de tes mains un homme digne de mort, ta vie répondra pour sa vie, et ton peuple pour son peuple (Ibid., 42) Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 17