Jean Trithème, abbé de Spanheim, mourut en 1516, vingt ans après Pic de la Mirandole. Il avait été, autant que l’Italien, un maître incontesté en « l’art » occulte ; et il avait initié à sa haute science Paracelse et Cornélius Agrippa. Sous la protection de l’empereur Maximilien, et parfois pour répondre à ses questions, il avait écrit plusieurs traités qui font date dans l’histoire du cabalisme. Héritier d’une longue tradition, il lui répugnait d’exprimer trop clairement ces vérités ésotériques. « Ne jetez pas vos perles aux pourceaux », disait-il ; car ce n’est pas dans la concision d’une formule imprimée que pouvait se refléter une expérience dépassant l’entendement et son véhicule ordinaire, le langage. La sagesse du mage était chose plus intérieure et plus discrète, moins accessible aux foules qui l’eussent abâtardie et galvaudée. Aussi, dans son horreur de la superstition, Trithème se défendait-il d’être un magicien ; mais l’Europe entière parlait de son pouvoir miraculeux.
On traduisait et l’on rééditait ses œuvres durant tout le XVIe et le début du XVIIe siècles et l’on s’accordait pour les considérer comme la base des sciences occultes. Elles défendaient l’idéal hermétique : l’Unité primitive de toute chose. Une essence unique, début et fin de tout, aurait permis la création par la fragmentation du Nombre Un et l’avilissement progressif des éléments, d’émanation en émanation, au fur et à mesure de leur éloignement du centre divin. Mais « puisque c’est dans l’unité que consiste le nombre total » toute manifestation doit à l’issue des temps rentrer dans le sein de l’Unité originelle. Telle est la monade primitive qu’exaltera de son côté en Angleterre John Dee au milieu du siècle.
L’âme humaine, enseignait encore l’abbé Trithème, est issue de cette essence et traversée comme toute la création par une sorte de fluide universel et éternel. Divine par nature, elle a été sujette à l’orgueil et s’est ainsi séparée de l’Un. Telle est sa tragédie que chantera Paracelse dans les versets de son Prognosticatio1 : « Tu jouissais d’un repos délicieux, mais tu n’as pas su le reconnaître et tu t’es laissé gagner par l’agitation. Ta présomption t’a renversé, elle t’a divisé ». Mais c’est son destin de rejoindre finalement l’Unité primitive, lorsque — après plusieurs réincarnations — elle aura atteint la pureté nécessaire. L’œuvre suprême, le « grand œuvre » était simplement la recherche de cette perfection spirituelle ou angélique dont la pierre philosophale ou Azoth est une autre dénomination. Pour y atteindre il est une méthode philosophique, nous assure Trithème, une gradation incessante allant de la « raison » raisonnante, au mysticisme transcendant. « L’étude engendre la connaissance, la connaissance engendre l’amour, l’amour engendre la ressemblance, la ressemblance la communauté, la communauté la force, la force la dignité, la dignité la puissance et la puissance fait des miracles. » Toutes expressions qu’il faut prendre au sens transcendantal. « Voilà la seule voie vers la perfection magique, tant divine que naturelle », car il n’est point de frontières entre le naturel et le divin puisque le premier n’est qu’une expression du second. Paracelse décrit autrement cette même voie du salut : puisque « le savoir humain » affecté par les passions « n’engendre que l’inquiétude et la peine », il recommande l’inaction de l’esprit et cette suprême ignorance où les Hindous verront, comme les Rose-Croix, la sagesse ultime (nirvana) « Il vivra dans le bonheur celui qui sera paisible comme l’enfant. »
Ce bonheur, cette perfection spirituelle permettra, nous dit l’abbé Trithème, de comprendre et de voir « l’harmonie céleste, non pas l’harmonie matérielle (de la mécanique des astres) mais l’harmonie spirituelle inscrite partout (Polygraphia) en une écriture secrète (Stéganographia) dans les œuvres de la manifestation ». Harmonie céleste par le nombre, l’ordre et la mesure des corps2, distribution d’accords ineffables. Tel est le premier stade de cette alchimie de l’âme, la première étape de son périple vers l’unité, celle où elle reconnaît les hiérarchies célestes. « Mais celle-ci doit être dépassée pour que par la triplicité », c’est-à-dire le ternaire pythagorique ou trinité gnostique, « soit préparée la montée vers l’harmonie qui est supra-céleste et où rien n’est plus matériel mais tout spirituel. Car c’est là qu’est la ressemblance et l’origine de l’âme. » Voilà la vraie parousie à laquelle il faut travailler de toutes ses forces et que Paracelse brûla d’annoncer, après son maître : « Il adviendra une rénovation et une transformation qui nous rendra comme les enfants qui ne savent rien de la ruse et de l’astuce des vieillards. » C’est en haut d’un Carmel, à l’issue d’un chemin pénible d’épreuves que s’accomplira ce miraculeux renouvellement de l’être, comme une seconde naissance. « Comme l’or et l’argent, tu dois être purifié de tes souillures et mis à l’épreuve plus de sept fois, avec une sévérité plus stricte que le feu ne purifie l’or et l’argent de leurs scories. » Alors nous retrouverons ce paradis perdu, cet âge d’or objet de tous nos vœux : « Tu auras peiné durement pour amener l’âge d’or dans le monde. Heureux qui naîtra dans cette ère de sommeil. Il n’aura point connu le mal puisque tu as été purifié au prix de grands efforts et de grandes souffrances durant ces jours. » Voilà l’espoir qui nous est offert, la grande espérance de tous les Elizabéthains : « Dites-vous bien qu’on ne peut rien garder courbé indéfiniment, que tout reprend sa position normale. »
Mais l’âme humaine n’est qu’un échelon sur l’échelle de la création. L’univers est un ordonnancement (cosmos) strictement hiérarchisé en esprits supracélestes, célestes, sublunaires et infernaux ou, suivant les divisions alchimiques reprises par Trithème : en esprits du lieu qui se tiennent dans les régions supérieures, en esprits aériens qui habitent les airs (Ariel en est un), en esprits terrestres précipités du ciel sur la terre, habitant coteaux et campagnes, en esprits des eaux, sirènes et nymphes, en esprits souterrains des grottes et des antres, enfin en ceux qui craignent la lumière et errent dans les ténèbres.
On conçoit que d’un échelon à l’autre il y ait des échanges et que spécialement l’homme soit sujet à l’influence des esprits supérieurs. Ces influences occultes sont l’un des enseignements les plus importants de l’abbé Trithème. Sur la foi de Menastor et de la cabale juive, il assure que tous les événements de la terre, l’âme humaine elle-même, subissent le pouvoir des hauts esprits qui ont leur siège assigné sur l’une des sept planètes marquées par une tendance ou un caractère particuliers. Ces esprits régneraient à tour de rôle durant une période de trois cent cinquante-quatre années en qualité de gouverneurs ou recteurs de la terre. Nous trouverons notamment chez Lyly une application brutale de cette doctrine.
C’est, pense Trithème, la connaissance de tous ces principes cosmiques qui procure l’accès à la haute magie. Elle nous initie à un système de correspondances entre le microcosme humain et le macrocosme universel, suivant cette règle fondamentale par lui énoncée et répétée depuis par tous les illuministes et mages : « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. » Cette « loi » de la théurgie, les sorcières de Macbeth ne la connaissent qu’à moitié, nous le verrons ; car seule la sainteté procure ouverture à la véritable harmonie divine. Elle est au-dessus des choses de la terre et des enfers avec lesquelles le nécromancien est en contact, ne possédant pouvoir que sur les esprits de géomantie, tandis que le théurge peut imposer ses ordres aux esprits de la région du feu ou pyromantiques. Car, comme Bodin plus tard, Trithème et ses disciples distinguent magie blanche et magie noire. « L’une est un don de Dieu aux créatures de lumière, dit Agrippa3, l’autre venant également de Dieu est celle des créatures de ténèbres. Lorsque le magicien obéit à la foi, à la crainte de Dieu et au désintéressement, il peut soumettre à sa volonté les anges eux-mêmes ; tandis que celui qui cherche égoïstement la satisfaction de ses désirs de chair et de possession ou de domination, y parviendra, certes, par le secret de son art d’évocation et par l’entremise des démons ; mais c’est toujours pour sa perte, car il « ne songe à rien de plus qu’à jouir pour son éternelle perte, de délices immortelles ». Nous retrouverons cette idée dans la bouche du Faust de Marlowe.
On aperçoit de la sorte combien la querelle des magies engageait les tenants de la doctrine cabalistique. Mais l’aspect pratique et sensationnel risquait de prendre le dessus chez les esprits vulgaires.
C’est ce qui se produisit au lendemain de la mort de Paracelse survenue en 1540. La seconde moitié du XVIe siècle fut pour l’occultisme une époque moins brillante que la première. Certes, les porteurs du message illuministe ne faisaient pas défaut. Mais si l’on met à part un Jacques Boehme, mystique authentique, les grands emplois de mage et d’inspiré étaient tenus par des personnalités de second ordre, Pictorius, puis Figulus en Allemagne, John Dee en Angleterre : compilateurs plutôt que novateurs.
Les querelles et polémiques religieuses se portaient sur un plan plus immédiat et plus pressant ; les grandes Ligues se formaient en Allemagne. L’Europe se préparait aux intransigeances, aux bas calculs politiques et aux dévastations de la Guerre de Trente Ans.
C est dans cette ambiance d’insécurité qu’en 1614, le monde assista, plus narquois que passionné, à la naissance d un mouvement illuministe tapageur qui, sous le nom de Fraternité des Rose-Croix, se prétendit chargé par le ciel de mener à bien la réformation du monde entier et de préparer l’avènement imminent de la lumière divine, précédée par des manifestations d’aspect apocalyptique. Seule dépositaire de la révélation qui lui aurait été transmise par une chaîne ininterrompue d’élus professione média, la Fraternité, assurait son manifeste, ne rompait aujourd’hui le silence qu’afin de hâter cet avènement. Etait-ce mystification ou prophétisme ? Dernier flamboiement du mysticisme médiéval ou réaction contre la sécheresse du luthérianisme ?
L’histoire des Rose-Croix et de leurs origines est une des plus obscures qui soient. Ceux qui s’en sont occupés ou qui s’en occupent encore n’ont guère fait que la rendre plus ténébreuse soit par leur légèreté — en reproduisant de décade en décade de faux documents dont il eût été aisé de vérifier la nature — soit par leur partialité qui les portait à des interprétations tendancieuses. Obsédés par l’idée erronée d’une succession ininterrompue de sociétés secrètes d’initiation plus ou moins analogues aux loges maçonniques, les historiographes reportent dans un passé fabuleux la naissance d’un ordre organisé, héritier des Templiers qui ne seraient eux-mêmes qu’un simple maillon d’une même chaîne. Spencer Lewis, imperator de la Rosae Crucis Society d’Amérique prétend établir une filiation directe entre les Rose-Croix du début du XVIIe siècle et les mystères d’Eleusis. Pour lui Thotmès III, pharaon d’Egypte, fut le véritable fondateur de l’ordre. A peine moins ambitieux, Kiesewetter en 1898 et, à sa suite, Sédir, en 1937, font allusion à un certain Falkenstein « imperator » des Rose-Croix, en 1374. Mais si l’on prend la peine de se reporter à l’ouvrage de 1613 dont tous deux prétendent tirer ce renseignement, il se révèle qu’il n’y est parlé ni d’imperator ni de Rose-Croix mais du prince-évêque de Trêves, Frankenstein « père des philosophes »4.
A l’époque même, les premiers défenseurs de la doctrine Rose-Croix, entre 1614 et 1620, n’étaient d’accord ni sur les dates ni sur les personnes. Le manifeste de 1614, dit Fama fraternitatis roseae crucis (Fama der Bruderschaft des löblichen Ordens des Rosen-Creutzes), rapporte que le fondateur de l’ordre fut l’Allemand Christian Rosencreutz, né en 1378 de parents pauvres, enfermé dans un couvent dès l’âge de cinq ans et jusqu’à sa seizième année. Initié alors aux sciences occultes, il part à vingt et un ans pour l’Orient où des maîtres arabes lui révèlent leurs doctrines secrètes du salut et de la transmigration des âmes. A Fès, il rencontre les cabalistes juifs. Il rentre enfin en Allemagne onze ans plus tard pour n’y mourir qu’à l’âge de cent six ans, en 1484, après avoir fondé l’ordre qui porte son nom (Rosencreutz : littéralement Croix de Rose ou Rose-Croix). Conformément à sa propre prédiction son corps n’est découvert que cent vingt ans plus tard, en 1604, par les Frères qui dès lors sortiront de la clandestinité pour prêcher l’avènement des temps nouveaux.
C’était évidemment une légende et, suivant les termes mêmes de la Fama, une «mise en scène philosophique». Je pense en avoir retrouvé les éléments dans la vie de Joachim de Flore et de Thomas a Kempis qui furent officiellement les inspirateurs de la doctrine prophétique des premiers Rose-Croix et fournirent à certains leur pseudonyme. En annexe à un traité posthume de Michael Maier, un des plus fervents propagandistes rosicruciens, tant en Allemagne qu’en Angleterre où il publie à partir de 1612 et où il prend contact avec Robert Fludd, le principal Rose-Croix anglais, un polémiste nous explique quel fut de toute apparence, le sens probable du mythe de Christian Rosencreutz et du nom de la Fraternité : « Si leur chef et fondateur ne fut pas Christian Rosencreutz et si c’est eux-mêmes qui imaginèrent ce nom, à mon avis, du moins, on a voulu dire par là que pour ces hommes, doués de la plus haute sagesse comme amis et enfants de Dieu, la croix commune a été changée dès cette vie même en une rose plaisante à voir et fleurissante… Pour eux, les mystères de l’Ecriture Sainte tout entière sont demeurés manifestés. » Et le jeune diacre Johann-Valentin Andreæ qui, selon mes recherches, fut, avec une trentaine de théologiens luthériens du Wurtemberg (Allemagne), l’auteur du manifeste qu’il annulera deux ans plus tard, lorsque l’affaire tournera à la bouffonnerie, Andreæ dont l’histoire n’a jamais été écrite sérieusement, affirme en maint endroit qu’il n’y a jamais eu de « frères » Rose-Croix et qu’il s’agissait d’un simple jeu (ludibrium).
Telle est l’exacte vérité qui résulte d’un examen impartial des documents : la Fraternité de Rose-Croix n’a pas existé en tant que telle avant la fondation des loges maçonniques qui remontent au plus tôt à la fin du XVIIe siècle5. Ils s’emparèrent de la doctrine Rose-Croix et d’une organisation qui en réalité n avait été qu une parabole.
Le mythe de Rosencreutz et de sa « Fraternité » fut lancé par Andreæ et ses amis parce que, convaincus de l’imminence de la fin du monde actuel, se croyant à la veille de l’avènement du royaume de Dieu sur la terre, ils voulaient appeler les hommes à la repentance et leur proposer, par la parabole de Rosencreutz et de ses « frères », une discipline, une voie du salut par la pratique de la mysticité et une initiation spirituelle étrangement voisine de celle que préconisent les yogui de l’Inde. Tout le reste ne fut que littérature et supercherie ; et Leibnitz qui, à la fin du siècle, interrogea des personnes bien informées, eut des raisons d’écrire que « tout ce qu’on dit des Frères de la Croix de la Rose est une pure invention de quelque personne ingénieuse ».
Quoiqu’il en soit, voici en gros traits l’histoire du mouvement rosicrucien durant les années 1614 à 1640.
La Fama fraternitatis, aussitôt accueillie avec une curiosité exaltante ou avec les pires injures, s’adressa sous forme de proclamation anti-jésuitique à tous les bons chrétiens dont il semblait urgent à « l’ordre », à la « fraternité de Rose-Croix » d’assurer le salut, compte tenu des événements attendus et, assurait-on, déjà annoncés par les astres. Dans une parabole qui précède la Fama proprement dite et qui n’est pas autre chose que la traduction d’un chapitre des Nouvelles du Parnasse (Ragguagli di Parnaso) de l’Italien Boccalini, parus à Venise deux ans plus tôt, on démontre par l’absurde que les réformes religieuses ou sociales qu’on ne cessait d’entreprendre depuis un siècle n’aboutissent qu’à des mesures inopérantes, pure dérision. La vraie réforme est affaire de l’âme, œuvre toute spirituelle que la « Fraternité » a pour mission de hâter grâce à la doctrine secrète rapportée d’Orient par « le Père » Christian Rosencreutz. Car c’est d’Orient que « viennent tous les commencements de la magie », une assertion empruntée à Paracelse dont la Fama exalte le savoir pêle-mêle avec la Bible, Platon et Pythagore. Ainsi le monde connaîtra bientôt la lumière de Dieu, les hommes, à l’instar de Rosencreutz et de ses disciples, s’occuperont à « construire le sanctus spiritus », lisez : à purifier leur âme que le Saint-Esprit pourra dès lors habiter. Alors pourra venir le « quatrième empire » ou règne de Dieu sur la terre que précéderont de terribles convulsions, la mort de beaucoup de justes, le triomphe momentané de l’Adversaire. Mais le petit troupeau des élus précédé par « le lion de minuit » (Christ) verra la fin de ces affres, la chute du pape et de sa « chevalerie babylonienne », l’avènement de Dieu.
L’année suivante, pour répondre aux railleries des sceptiques, les auteurs de la Fama, publient une Confession qui reprend tous ces thèmes en langage plus clair. En 1616, Andreæ — il en reconnaîtra publiquement la paternité dans son autobiographie — offre sans nom d’auteur l’étonnante parabole des Noces chymiques de Christian Rosencreutz : anno 14596 qui résume la doctrine hermétique et la méthode de l’illumination par le renoncement et les épreuves initiatiques.
Mais la polémique qui s’éleva dès la publication de la Fama ne cessa de s’envenimer. Dès 1615, l’alchimiste allemand, Libavius publia une violente diatribe contre « les frères Rose-Croix » qu’il accusa d’ignorance et d’hérésie, tandis que d autres proposaient de sévir par le fer et par le feu. L’Anglais Robert Fludd (1554-1637), médecin et philosophe-alchimiste, lui répondit de Londres, en 1617, par un Traité apologétique défendant l’intégrité de la société de Rose-Croix qu’il compléta la même année par un Traité théologo-philosophique de la vie, de la mort et de la résurrection, lequel, par des détails précis, s’inscrit dans la même tradition philosophique et ésotérique que la Fama et les Noces chymiques.
Brusquement des centaines de livres, satires, pamphlets ou défenses pour ou contre la mystérieuse fraternité sortent des presses, en Allemagne surtout. On met les « frères » en demeure de se montrer publiquement. Cela devient un sujet de scandale ou de jeu. Les pays catholiques restent assez à l’écart de cette mêlée. Des affichettes placardées à divers carrefours de Paris attirèrent l’attention des Français sur ce qui ne semblait au clergé catholique qu’une querelle d’anabaptistes7. On parla quelques mois de ceux qu’on appelait les Invisibles ; le publiciste superficiel Gabriel Naudé fit paraître une Instruction à la France sur la vérité de l’histoire des Frères Roze-Croix ajoutant de ridicules développements sur une prétendue maffia. Puis on oublia leurs « impertinences », comme avait dit Richelieu.
Déjà le mouvement agonisait en Allemagne même. Andreæ s’aperçut dès 1616, que le public s’était complètement mépris sur le sens de la parabole, que c’était devenu une comédie » et qu’il était urgent de changer d’étiquette si on ne voulait pas compromettre les chances de succès de ce qu’il pensait être sa mission : fonder la vraie société chrétienne. Aussi décida-t-il de mettre un terme au mythe de la Fraternité de Rose-Croix : « la Fama avait dit oui, présentement elle dit non. » Il « lâche » la Fraternité mais non la « vraie fraternité chrétienne qui sous la croix sent la rose » et il fonde avec les membres amis qui avaient inauguré la mythique Fraternité de Rose-Croix, successivement trois Unions chrétiennes aux buts absolument identiques à ceux qu’avait proposés la Fama.
Nous sommes en 1619. Maier meurt en 1622. Fludd poursuit quelques années encore la défense de la doctrine ésotérique sous le nom de la Fraternité8. Mais en 1633, il écrit que celle-ci n’a été qu’une dérision et que déjà son souvenir se trouve enfoui dans la mémoire des hommes. Il mourra à son tour en 1637. Lorsque, cent ans plus tard, on ressuscitera le nom désormais fameux de la Fraternité, il ne s’agira plus de la même doctrine, mais d’un emprunt tout extérieur par les loges maçonniques d’une étiquette et d’une organisation dont on ne soupçonnera pas la nature mythique.
Si l’histoire du mouvement ne nous importe guère ici, il est en revanche remarquable que la prodigieuse littérature Rose-Croix nous ait conservé, avec leur sens et leur contexte, la majeure partie des formules, mythes, rites et allégories que les Elizabéthains avaient recueillis dans certaines de leurs œuvres. C’est qu’il y avait eu entre la doctrine Rose-Croix (Fama) et celle des grands illuministes des siècles précédents une continuité absolue dont nous trouverons précisément dans la littérature élizabéthaine des preuves palpables éclairant curieusement ce chapitre de l’histoire occultiste.
De même en effet que Trithème et ses disciples, Paracelse et Agrippa, les illuministes, que pour la commodité de l’exposé je nommerai « Rose-Croix », se réclament avant tout de la cabale juive, du Poimandres d’Hermès, de Pythagore et des philosophes grecs, de Platon à Jamblique, de Plotin à Porphyre. Ils ne devaient du reste pas toujours étudier leurs sources dans les textes mêmes : Fludd, par exemple, prend le livre du Zohar pour le nom d’un rabbin, et j’ai relevé au passage des citations d’Hermès qu’on aurait beaucoup de mal à identifier, encore qu’elles ne trahissent pas l’esprit de la doctrine hermétique.
Comme leurs prédécesseurs, ils ont recueilli tout le legs des alchimistes dont ils adoptent le vocabulaire de laboratoire au sens ésotérique. Andreæ et Maier nous en livrent de bons exemples, avec la traduction du naturel au métaphysique. Andreæ lui-même était peut-être le mieux informé de tous et le plus près des sources grecques et hébraïques, grâce à ses amis, surtout au grand hébraïsant Schickard et au professeur Christophe Besold, juriste, historien, philologue et philosophe d’une érudition prodigieuse. Besold pratiquait et commentait les penseurs grecs, avant tout les pythagoristes ; il s’informait de toutes les traditions religieuses, consacrait des travaux aux grands mystiques allemands et flamands, connaissait à fond l’œuvre de Paracelse, de Ramus, de Pic de la Mirandole « platonicus et hermeticus ». Il nous a livré de l’occultisme une des professions de foi peut-être des plus décisives et qui pourrait bien exprimer avec le plus de précision technique et de traditionalisme les vérités rosicruciennes les plus élevées : « Une fois qu’ont été créées et instituées toutes choses qui sont contenues par une loi immuable de la nature et par la discorde-concorde éternelle (une terminologie dont se sert aussi Lyly) le Créateur vit que rien ne manquait à la perfection de son œuvre ; que si quelque mélange de l’éternité céleste et de la fragilité caduque du monde était réalisé, miroir des choses douées de pérennité et des choses assujetties à la mort, alors en vérité, voilà créé un microcosme exprimant et représentant par un artifice ingénieux ce macrocosme qui s’appuie (à la fois) au ciel et à la terre… Et ainsi l’homme n’est rien d’autre que certain esprit divin attaché par des liens terrestres : il est une partie de l’esprit divin plongé dans un corps ». Besold eût pu ajouter — mais comme tous les cabalistes, il se gardait de formuler clairement ce grand secret qu’Andreae lui-même ne disait qu’allusivement — que c’est le destin de cette âme divine d’habiter alternativement le ciel et la terre en des réincarnations et une délivrance périodiques.
Tel est le point de départ de l’hermétisme et de la Cabale. Il laisse pressentir la genèse dont Fludd, démarquant le livre Ietzira, dépeint ainsi le processus incessant : « Plus la matière à former est éloignée de l’essence créatrice noble (ou « Verbe » d’où est issue « la lumière », « cause de toute manifestation»), plus elle est grossière, impure, sombre et sans valeur ». Dans cette théorie des émanations successives, les anges ont gardé « une certaine faculté de connaissance lumineuse » dépassant la raison, voisine de l’extase mystique et de sa préhension directe. Au bas de l’échelle, « en l’homme (ne) domine (qu’) un rayonnement lumineux de la raison ». Nous retrouverons tout cela chez les Elizabéthains. C’est par le symbolisme des nombres que toutes choses furent formées à partir de l’Unité, comme le veut Hermès ainsi cité par Fludd : « Toutes choses sont mesurées et pesées par l’esprit de feu ». « Les œuvres de Dieu, reprend Fludd, accomplies durant la toute première semaine ne dépassaient pas le nombre 22 ». Allusion à la doctrine du Ietzira suivant laquelle Elohim créa l’univers avec trois livres et fut lui-même le premier des dix sephirots dont le second a « gravé et sculpté 22 lettres » qui ont elles-mêmes « gravé, sculpté, combiné, pesé, changé et fait former par elles tout ce qui a été formé et tout ce qui sera formé ». Nous trouverons en littérature bien des échos de cette conception.
Dans cette échelle de la création, les esprits supérieurs peuvent influencer les inférieurs. Comme Trithème un siècle plus tôt, Fludd consacre tout un livre à démontrer que l’homme peut « ressentir les effets des sept régents » ou planètes ou gouverneurs des régions sublunaires — on peut y voir la preuve de la survivance de cette doctrine astrologique que Lyly applique en 1597 dans sa dernière pièce. De cette manière, Dieu nous permet de « participer » de la nature de ces êtres angéliques. Il y a donc de haut en bas de l’échelle cosmique une harmonie, un accord musical troublé parfois par l’effet de l’influence céleste. C’est l’harmonie des sphères « qui n’est certes pas perceptible à nos oreilles à cause du grand éloignement » — une phrase que nous lirons presque mot à mot chez Shakespeare — mais qui explique l’influence de la musique sur l’âme humaine qu’elle rend « noble, joyeuse et aimable ». Aussi Fludd, comme Andreæ, se range-t-il à l’opinion de Platon sur ces matières.
Ce sont ces mystérieuses relations — Trithème les situait dans une sorte de fluide — qui expliquent à Fludd la « théurgie » ou « magie » blanche ou « conjuration de Dieu ». Celle-ci, qu’il distingue lui aussi soigneusement de la magie noire ou cacomagie, repose sur la connaissance des lois du microcosme et du macrocosme et « s’effectue avec l’aide de forces naturelles et de certaines cérémonies, de certains rites par lesquels nous attirons les puissances divines et célestes et nous nous unissons à elles ». Elle « permet de faire de plus grandes choses que le secours du Diable » car « de celui qui possède cette science » (écrite dans certains livres occultes qu’il cite) « on dit qu’il est pourvu d’un pouvoir merveilleux si bien qu’il peut savoir à son gré tout l’avenir et dominer toute la nature, commander aux esprits et aux anges et faire des miracles ». Tout cela, nous l’avions déjà appris dans la fréquentation des auteurs du siècle précédent, mais on ne trouve nulle part un résumé aussi complet de l’art de Prospéro dans sa lutte avec la magie noire de Sycorax.
Pour Fludd, comme pour ses amis, comme pour ses prédécesseurs, le plus bel exemple de théurgie est Moïse qui «atteignit le pays de la félicité, a parlé avec Dieu lui-même et a possédé la clef de la double connaissance, tant de la connaissance surnaturelle que de la connaissance naturelle, par le secours divin et l’illumination du Saint-Esprit ». Voilà la preuve que « l’homme peut atteindre dès cette vie à une certaine et infaillible félicité ». Et c’est précisément la mission de la Fraternité Rose-Croix d’y conduire toute l’humanité. Car cette voie de la félicité, révélée à Adam, Moïse et Elie, et inscrite dans les Ecritures, mais « cachée sous l’écorce de la lettre» c’est «l’admirable fraternité de Rose-Croix » qui la « récupéra ». Elle seule possède la révélation sans laquelle les hommes « sont aveugles et leur cœur est obscurci si bien que le Saint-Esprit ne descend pas sur eux avant que cet habitacle du cœur et de l’âme ait été purifié et purgé de toutes impuretés ». Mais ce miracle, l’homme ne peut l’accomplir sans le secours d’en haut. Puisqu’il est certain, comme l’écrit Michael Maier dans le jargon des alchimistes, que «les corps fixes (esprit pur, angélique) ne se marieront jamais avec les volatils (corps corruptible)… s’il ny a point un doux lien qui rapproche les extrêmes… il faut chercher un médiateur ». Ce n’est autre que le Saint-Esprit dans le symbole de la Trinité ou encore le Fils (mais un Christ gnostique dont toute l’action et toute la passion sont pure allégorie)9.
Ainsi la mission du Rose-Croix est claire : par des purifications rituelles, il doit préparer le cœur et l’âme de l’homme à entrer en communion avec le Saint-Esprit. Car c’est par leur austérité, par leurs symbolismes ou leurs représentations allusives ou terrifiantes ou envoûtantes — voies du corps, voies de l’intellect, voies du cœur et voies de l’âme — que ces rites nous mettent dans la disposition la plus favorable pour passer dans un état second.
C’est pourquoi, dira Agnostus, le vrai frère Rose-Croix est silencieux, tranquille, humble, généreux ; il évite les pompes, il est frugal, il dort peu et avant tout il pratique le plus possible la chasteté ; il « préfère mourir plutôt que de perdre sa virginité » (ce sont trait pour trait et presque mot à mot, on le verra, les conditions que le roi de Navarre exige des adeptes de son « académie » dans Peines d’Amour perdues). Ce n’est qu’au bout d’un an de pratiques ascétiques que « viendra la délivrance » du Seigneur et que les postulants pourront être admis comme frères dans la Fraternité. Durant ce temps, qu’ils tremblent, car « vous devez habiter un trimestre sous la terre avec les morts, pour un total rejet (Ablegung) de vos imperfections » et « afin d’éviter tous les corrompus, ainsi qu’ont vécu les humbles, justes, véridiques, chastes, honnêtes et pudiques». Imitant en toute chose le Christ, « vous apprendrez à bien vous connaître vous-mêmes, tous les désirs charnels en vous se tairont. Une sagesse héroïque vous remplira, bien plus majestueuse que celle qui amena la chute de Salomon ». Cette allusion au séjour sous terre avec les morts n’est pas simplement une façon métaphorique d’exprimer les mortifications du corps et le renoncement total de l’ascète et visionnaire qui « ne souffre ni de la faim, ni de la soif » et fait « son habitacle d’un rocher grossier et dur, ni la chaleur ni le froid ne pouvant lui nuire ». C’est aussi l’annonce d’un rite parfaitement mythique assez macabre. Je le décrirai en détail, le moment venu, suivant la peinture fort vivante des Noces chymiques d’Andreæ. Il nous introduit dans une salle tendue de noir et fort analogue à ces basiliques pythagoriciennes dont on a retrouvé des vestiges. Sur un autel sont disposés divers objets symboliques, entre autres une tête de mort habitée par un serpent (image reproduite au frontispice du Traité théologo-philosophique de Fludd), et une petite lampe posée sur le livre de la sagesse avec, au-dessus, cette inscription : « Si Cupidon n’avait pas de temps à autre soufflé dessus, par amusement, nous ne l’aurions pas pris pour un feu. » C’est une façon de nous dire que la flamme du désir est simple illusion et duperie qui nous dévoie : (un des thèmes les plus fréquents de la littérature élizabéthaine, nous le verrons). Derrière l’autel sont assis le roi et la reine — allégories de l’âme — qui tout à l’heure seront décapités, mis en bière, symboliquement portés en terre, sous le signe du Phénix renaissant toujours de ses cendres, puis ressuscites dans toute leur gloire par le moyen des vertus et du patient labeur de Christian Rosencreutz. Cette allégorie nous représente plastiquement que l’homme parti sur le chemin du salut rosicrucien est mort à la vie corruptible, à la vie dans l’ignorance et le péché, et qu’il renaît à une vie supérieure dans la lumière divine.
C’est par le moyen de tels mythes que s’exprime l’espoir, non seulement de la rédemption de l’individu, mais de la rénovation du monde qu’annoncent pour demain Andreæ, Maier et Fludd. « Béni sois-tu, chante ce dernier dans l’espoir de cette rédemption, ô Lion de la tribu de Judée (le Fils), ô Phébé au-dessus du ciel de la Nouvelle Jérusalem!… ô fruit de la Vie ! ô éclat de la lumière éternelle ! ô vraie Sapience ! » Mais ces temps heureux n arriveront pas sans des événements apocalyptiques auxquels il faut se préparer.
Tel fut le prophétisme qui remplit le monde de ses clameurs entre 1614 et 1630.
On peut difficilement contester qu’à tout le moins en ses principes essentiels, cette doctrine coïncide avec celle des illuministes du XVIe siècle, de Trithème à Paracelse. Et l’on est fondé à croire qu’une tradition ininterrompue a porté un même enseignement d un siècle à l’autre. On peut donc admettre sans trop s’avancer que l’illuminisme Rose-Croix — doctrine et mythe — n’était pas très éloigné de la philosophie occultiste du début de l’époque élizabéthaine. C’est pourquoi, dans les cas où une documentation antérieure fait défaut, on peut s’autoriser à combler ces lacunes en recourant à des documents rosicruciens.
Théophraste Bombast von Hohenheim dit Paracelse ne laissera pas moins de 364 écrits dont le Prognosticatio est peut-être le plus hermétique et à la fois le plus substantiel. C’est un traité de la connaissance de l’avenir «en 32 articles qui ne peuvent manquer de se vérifier dans le temps». ↩
Echo de la théorie du Sepher Ietzira sur la genèse de la manifestation que nous retrouverons un peu plus bas. ↩
Henri-Cornélius Agrippa von Nettesheim, parfait connaisseur du Poimandres d’Hermès Trismégiste, dont il a publié une édition annotée, nous a laissé le traité d’occultisme et de haute magie, peut-être le plus complet qui soit, sa Philosopha occulta. ↩
Ce ne sont là que quelques-uns des innombrables faux qu’une étifde minutieuse de toute la documentation originale allemande, anglaise, française et latine m’a permis de découvrir tout le long de l’histoire des Rose-Croix. Le British Museum, par exemple, possède parmi les papiers inédits de John Dee un abondant folio de 501 feuillets intitulé The Rosie-Crucian Secrets, their excellent method of making medicines and mettals, also their lawes and mysteries (Les secrets des Rose-Croix, leur excellente méthode pour faire des médecines et métaux, ainsi que leurs lois et mystères). Ce manuscrit en marge duquel a été inscrit le nom de John Dee est daté de 1713. Dee étant mort en 1608, le British Muséum l’offre comme une copie de 1 original perdu. J’en ai examiné le texte : il commence par un banal traité d’alchimie où rien ne signale la paternité de Dee et qui, mis à part le titre, ne fait nulle allusion à la Fraternité de Rose-Croix. Suit un second traité consacré aux Lois de la fameuse confrérie et à la défense de son intégrité. Mais ce second traité n’est qu’une traduction littéraire du Ex legibus fraternitatis de Michel Maier paru en Allemagne en 1617, neuf ans après la mort de Dee.
Tous ces faux avaient pour but de faire remonter la mystérieuse fraternité à une époque reculée et avant tout aux grands illuministes des XVe et XVIe siècles.
Pour l’histoire de ce mouvement philosophique dont je me borne à esquisser ici les grandes lignes, je renvoie à mon Histoire des Rose-Croix et de l’origine de la Franc-Maçonnerie. ↩
Antérieurement, semble-t-il, à 1686, date à laquelle un auteur signale l’existence dans le Warwikshire de « lodges » de « Free-Masons » honorifiques dotées d’une constitution partiellement secrète (Robert Plot, The natural history of Staffordshire, Oxford, 1686). ↩
Le caractère sérieux de cette parabole a été mis en doute par des historiens mal informés et victimes des apparences. Nous trouverons dans la Reine des Fées d’Edmund Spenser une version plus ancienne (1589), du mythe mis en scène par Andreae (infra pp. 76 sqq.) lequel sera l’une des principales clefs de l’œuvre shakespearienne. ↩
Telle fut l’opinion des Pères Jésuites Gaultier et Garasse. Voici le texte de l’affiche : « Nous députés du Collège principal des Frères de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible en cette ville par la grâce du Très-Haut, vers lequel se tourne le cœur des Justes. Nous montrons et enseignons sans livres ni masques à parler toutes sortes de langues des pays où voulons être, pour tirer les hommes nos semblables d’erreur de mort.» ↩
Du moins a-t-il avoué une part de responsabilités dans la rédaction d’un livre Rose-Croix d’un certain Frisius, paru en 1629. ↩
Car les Trois Personnes de la Trinité « sont le Corps paternel, le Lion filial (une expression à retenir) et l’Esprit qui s’unissant à l’un et à l’autre produit entre eux un doux accord, unissant les métaux de façon qu’aucune violence ne peut les séparer» (Cantilenenœ intellectuales de Phœnice redivivo, Rome, 1622).
J’ai écarté délibérément, pour ne pas compliquer les choses, toute l’interprétation ésotérique des dogmes chrétiens, en réalité inséparable de la philosophie illuministe. Celle-ci n’a jamais cherché à renier l’ambiance chrétienne, se réclamant le plus souvent de la confession d’Augsbourg, Mais tous les mystères chrétiens adoptent ici un aspect gnostique ou hermétique absolument intolérable pour les confessions établies. Ainsi tel mythe de la Vierge que j’emprunte aux mêmes Cantilènes de Maier : « Notre Vierge est entre les astres voisine de l’âme et de la crèche : elle a pour Epoux l’homme de Diane, qui est en même temps son frèreet son fils. »
La nécessité d’un médiateur proclamée par tous les alchimistes et illuministes semble éloigner leur doctrine de celle de Plotin, du moins si l’on adopte l’interprétation que propose de sa philosophie M. Emile Bréhier (La Philosophie de Plotin, 1928), l’opposant — peut-être avec un peu d’exagération si l’on tient compte des enseignements occultes — aux doctrines helléniques et hermétiques. ↩