N’est-ce pas parce que l’homme est tombé qu’il a eu besoin d’être racheté, et n’est-ce pas parce qu’il a perdu les droits de sa nature primitive que l’Évangile vient lui offrir les moyens de la recouvrer ? Certainement, s’il n’est pas déchu de l’état pour lequel il avait été créé, s’il possède cette perfection de vie dont Dieu respira le souffle au-dedans de lui, si cet univers extérieur, dans lequel il se trouve, est celui auquel il appartient par sa véritable nature, et dans lequel Dieu le plaça en l’émanant de lui, dès lors il n’a pas plus besoin de rédemption que l’ange de gloire et de pureté ; et lui prêcher la nécessité de se réconcilier avec Dieu, celle de mourir à lui-même et au monde dans lequel il se trouve, est aussi contraire au bon sens et à la raison que de prêcher à cet ange la nécessité de mourir à lui-même, ainsi qu’à la vie divine et au royaume céleste, pour lesquels Dieu l’a créé. Il est donc évident que c’est uniquement parce que l’homme est tombé dans la vie de ce monde terrestre, à laquelle il est étranger par sa véritable nature, qu’il a besoin de la Rédemption que lui offre l’Évangile ; aussi ne lui présente-t-il d’autre alternative que celle de la vie ou de la mort de la vie, s’il prend volontairement les moyens d’entrer dans le royaume des cieux ; de la mort, s’il choisit de rester enseveli dans le royaume de ce monde. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE SILVESTRE
Un ange peut vous instruire comme le fait l’Écriture, mais il ne peut comme elle que vous enseigner le moyen d’obtenir cette lumière que ni la lettre de l’Écriture ni la voix de l’ange ne peuvent manifester au-dedans de vous. L’ange du plus haut degré ne possède pas plus en lui la vertu réparatrice que le papier sur lequel les Écritures Saintes sont imprimées. Remarquez bien que vous ne pouvez recevoir la lumière divine que de celui-là seul qui possède le complément de la vertu réparatrice nécessaire pour votre salut. Or la lumière est plus que la vie, puisqu’elle en est encore le complément et la perfection ; aussi cela seul peut produire la lumière qui a le pouvoir de produire la réalité et la perfection de la vie. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE
C’est le désir qui est la base de toute opération, soit dans l’ordre divin, soit dans le naturel et le créaturel. Dieu n’a créé les anges et les hommes que par le désir de manifester en eux sa bonté et sa félicité ; ainsi ni l’ange ni l’homme ne peuvent trouver et sentir Dieu en eux, comme vie de félicité et de bien, qu’autant que la nature de l’un et de l’autre est devenue une faim et une soif de Dieu. C’est ce désir famélique qui a été le commencement de toutes choses, c’est lui qui les conduit toutes au terme du bonheur et de la perfection. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
De là vient que, dans toutes les controverses qui ont agité l’Église, à commencer par celle d’Augustin et de Pélage sur le libre arbitre, la vérité a toujours été plus ou moins martyrisée. Car du moment que vous savez que l’opinion de tous deux était que la volonté humaine avait été créée de Rien, vous n’êtes plus étonné de la foule de volumes et d’erreurs que cette dispute a enfantés !… Certes, qui peut dire ce qu’est ou n’est pas la volonté, quelle doit être sa nature et sa force essentielle, si elle est créée de Rien ? Mais si ces deux adversaires eussent été instruits par un principe fondamental de la nature de la volonté de l’homme, qu’ils eussent connu qu’elle ne peut être une chose faite, et encore moins une chose faite de Rien, que la volonté de l’ange et de l’homme est la volonté éternelle, incréée, devenue créaturelle, qu’elle provient de la volonté divine, par un engendrement direct, et que c’est d’elle qu’elle est née et descendue, que c’est par elle qu’elle a été constituée créaturelle, dès lors ils eussent reconnu que la volonté de l’homme et de l’ange doit nécessairement avoir la nature et la liberté de la volonté éternelle, que la liberté ne consiste pas seulement en sa spontanéité de mouvement, mais encore et par-dessus tout en ce qu’elle ne peut rien posséder, ni rien être, ni rien recevoir, soit pour son bonheur, soit pour son malheur, que suivant qu’elle opère ; et l’Église eût été préservée de tant de vaines disputes sur la prédestination qui n’ont cessé de déchirer son sein depuis le temps d’Augustin. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Que j’ai de joie, cher Silvestre, du compte que vous venez de me rendre de ce qui se passe au-dedans de vous ; c’était là précisément cette faim et cette soif que je désirais exciter en votre âme ; c’est en effet un feu de Dieu qui s’y est allumé, c’est le jour de l’éternité qui a commencé à y poindre ; c’est le gage de votre rédemption ; c’est la résurrection de la vie divine au-dedans de vous, et la racine de la foi toute puissante, qui ont commencé à s’y manifester ; c’est enfin ce qui vous fera retrouver tout ce que vous avez perdu. Ah ! livrez-vous de plus en plus dans le fond de votre être à cette opération céleste de l’esprit de Dieu, et détournez-vous avec soin de tout ce qui pourrait la contrarier ! Souvenez-vous que c’est au-dedans de vous qu’est cet ange de Dieu qui mourut dans le paradis, ou plutôt qui fut caché pour un temps pour vous, comme si réellement il n’était pas. Oui, quelque corrompue que soit la nature humaine, il est pourtant certain qu’il se trouve dans l’âme de chaque homme le principe du feu de la lumière et de l’amour de Dieu ; à la vérité il n’y est qu’en germe, comme une semence imperceptible, sans action et sans mouvement, jusqu’au moment où l’esprit divin, par les moyens divers qu’il choisit dans sa sagesse, vient le réactionner et le rappeler à la vie. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE THÉOPHILE
Je n’ai rien à objecter à tout ce que vous venez de dire ; je dois cependant vous avouer que je ne saisis pas encore bien la nécessité de la naissance en nous de l’esprit et de la vie de Dieu, ni la manière dont elle s’opère. Je vois bien que ni la raison naturelle, ni aucune instruction humaine ne peuvent me donner la plus petite parcelle de lumière divine ; mais supposons que Dieu voulût bien m’envoyer un ange pour m’instruire, ne serait-il pas en son pouvoir de m’enseigner la science divine ? Et cependant on ne pourrait pas appeler cela une naissance de Dieu en moi ; ou bien prétendez-vous que Dieu n’ait pas le pouvoir de me donner cette connaissance, même par le ministère des anges du ciel le plus élevé ? La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE LE DOCTEUR
Tout ce qui n’est pas la vie et la lumière de Dieu ne peut remplir auprès de vous que l’emploi de ministre, et soit que la parole du message divin qui vous est envoyé se trouve écrite sur du papier ou gravée sur des tables de pierre, soit qu’elle soit prononcée par un prophète, un ange ou un apôtre, tous ces organes ne sont que des créatures, dont le ministère se borne nécessairement à montrer le chemin qui mène à celui qui, seul, peut être au-dedans de vous la vérité, la vie et la lumière. Car Dieu même ne saurait vous communiquer sa lumière immédiate par une créature, et cela parce que la lumière de Dieu est Dieu lui-même ; elle est la lumière de sa propre vie ; aussi lui seul peut la produire, et nulle créature ne peut y participer que par une naissance véritable de la nature divine. La lumière de Dieu ne peut jamais être séparée de sa nature divine, c’est pourquoi elle ne peut luire que là où est une naissance divine. Il est donc évident que rien ne peut être connu selon la science divine, soit dans le ciel, soit sur la terre, que par la voie unique et par le seul moyen par lesquels l’homme peut être sauvé, je veux dire, par une renaissance véritable de la lumière et de l’esprit de Dieu en nous. C’est pourquoi la route simple, tracée dans l’Évangile, est l’unique qui conduise à la connaissance de tout ce qui peut se connaître de Dieu et de la nature, parce que rien ne peut manifester réellement à l’homme Dieu et la nature que l’esprit même de Dieu opérant en lui, comme il le fait dans la nature, et il n’opère ainsi dans l’homme que dans la proportion de l’avancement en lui de sa nouvelle naissance de la nature divine. Lorsqu’un homme est enfin parvenu à être né de Dieu, dès ce moment, la vie et l’esprit de Dieu sont en lui et y opèrent comme ils opèrent dans la nature éternelle ; il peut alors s’appeler à juste titre disciple de la philosophie divine, puisque Jésus-Christ, la lumière de Dieu et de la nature, est révélé en lui ; et que le Verbe de vie par lequel toutes choses ont été faites dans le commencement est en lui, et qu’il est lui-même dans ce Verbe, lequel crée et opère en lui, comme il opère en toutes choses, tant dans le ciel que sur la terre. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE
Rappelez-vous, Docteur, que tout ce que je puis faire pour vous, en développant, même dans son entier, le sujet dont il s’agit, se borne à vous donner une assurance raisonnable de l’existence d’une perle merveilleuse qui renferme les qualités les plus sublimes, mais qui est cachée dans les entrailles de la terre, au milieu d’un certain champ ; et à vous montrer en détail par quel moyen et par quelle route vous pouvez parvenir à la trouver. Je suppose maintenant que vous passassiez tout votre temps à rechercher quelques nouvelles vertus de cette perle céleste, et à écouter les différents récits qu’on en fait ; croyez-vous que cela vous avançât beaucoup ? Non, sans doute, vous vous trouveriez également éloigné d’elle, et vous ne la posséderiez pas plus réellement que lorsque vous en entendîtes parler pour la première fois ; et quelque plaisir que vous goûtassiez à en discourir vous-même et à en entendre parler aux autres, si vous vous en teniez là, le même intervalle vous en séparerait jusqu’à la fin de votre vie. Aussi l’unique but que je me suis proposé, dans tout ce que je vous ai dit sur la nouvelle naissance, c’est de vous en démontrer la réalité, et de vous indiquer le chemin qui y conduit. Or la voie à cette naissance dépend entièrement de la direction de votre volonté, et chaque pas en avant dans cette route consiste en une mort continuelle aux désirs naturels, corrompus que produisent en nous la chair et le sang. Rien ne peut opérer un changement réel en vous que le changement de votre volonté. Car tout ce que vous êtes est un engendrement de la volonté qui opère en vous. Ainsi donc, si vous voulez connaître ce que vous êtes, vous n’avez qu’à examiner l’état vrai de votre âme, la direction de votre volonté et où vous entraîne votre désir ; et de cet examen fait sérieusement et avec impartialité, vous tirerez plus de lumière que ne peuvent vous en donner tous les hommes et tous les livres de l’Univers. Vous êtes ce que sont votre volonté et votre désir ; là où ils sont, là vous avez votre être et votre vie ; c’est d’eux, en un mot, que vous vient tout le bien et tout le mal que vous pouvez appeler vôtre. Car c’est l’opération seule de votre esprit, de votre volonté et de votre désir qui détermine votre manière d’être et qui engendre pour vous, soit la vie, soit la mort. Si votre volonté est angélique, vous êtes un ange et la félicité angélique vous appartient. Si votre volonté est avec Dieu et qu’elle opère avec lui, Dieu est alors la vie de votre âme, et votre vie sera en Dieu dans toute l’éternité. Si vous suivez au contraire une volonté terrestre, chaque pas que vous ferez dans cette direction vous éloignera de Dieu, jusqu’à ce qu’enfin Dieu et la vie divine soient devenus pour vous, comme pour les autres animaux, comme s’ils n’étaient pas. Si votre volonté se repaît d’orgueil, de vanité, d’envie, de colère, de haine, de méchanceté, de fourberie, d’hypocrisie et de mensonge, vous opérez dès lors avec Satan, vous enfantez sans cesse sa nature au-dedans de vous, vous vous préparez enfin pour le royaume infernal. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE
En effet, le principe de la vie de notre âme étant une émanation du Dieu Triun, il appartient nécessairement à la nature divine, mais quant à nous, il se trouve comme enseveli par les opérations de la chair et du sang, jusqu’au moment où quelques coups de la Providence venant à frapper et à ébranler cette chair et ce sang, nos yeux, si longtemps fermés, s’ouvrent enfin et nous forcent à chercher et à trouver quelque chose au-dedans de nous que ni notre raison ni nos sens ne nous avaient fait soupçonner auparavant. Ne vous étonnez donc point du conflit qui s’est élevé dans votre âme, du désir vif que vous avez de pénétrer plus avant dans la connaissance de ces sublimes vérités, non plus que de l’impatience que vous sentez de les communiquer aux autres ; ce sont là les témoins qui attestent qu’il est né dans vous un esprit céleste ; seulement, veillez exactement sur tous les mouvements de la nature, et prenez garde que quelque sentiment humain, terrestre et propriétaire, ne vienne se mêler à ce feu divin. Il faut, en effet, que votre esprit soit libre, dégagé de toute partialité, qu’il aime tout ce qui est bon, qu’il pratique tout ce qui est vertueux, pour l’amour de la vertu et de la bonté elles-mêmes, parce qu’elles viennent de Dieu, qu’il ne désire la lumière, soit pour lui soit pour les autres, que dans la volonté de Dieu et afin que sa bonté devienne vivante et dans eux et dans lui. Toute bonté venant de Dieu, nous ne pouvons être bons, en réalité, qu’en proportion que le bien que nous faisons, ou que nous voulons faire, est effectué dans l’esprit et par l’esprit par lequel Dieu lui-même est bon ; car comme il n’y en a qu’un seul de bon, il ne peut y avoir non plus qu’une seule bonté réelle. Pourquoi m’appelles-tu bon, dit ce divin maître, il n’y a qu’un seul Bon, qui est Dieu. Aussi, n’est-ce point à cette bonté qui est selon la prudence humaine et adaptée à notre raison propriétaire et à notre caractère naturel que nous sommes appelés, mais à être parfaits comme notre Père qui est au ciel est parfait. Or si notre Père est dans le ciel, il faut que notre esprit et notre vie y soient aussi, autrement nous ne sommes point ses enfants véritables ; si donc nous avons été faits pour le ciel, et que ce soit le ciel que nous ayons perdu, ce n’est point une bonté humaine qui pourra nous faire redevenir les enfants célestes de notre Père qui est aux cieux ; il faudra nécessairement que, par une renaissance céleste, cet esprit qui procède de la bonté même de Dieu vienne opérer dans nous, comme il opère en lui, nous faire aimer sa lumière comme il l’aime lui-même, enfin nous faire désirer que les autres en jouissent, comme il le désire lui-même. Or Dieu est un amour libre, universel, impartial, aimant et opérant toute sorte de bien, pour l’amour du bien lui-même ; et c’est en cela que consiste la plus noble et la plus parfaite opération de la vie ; ainsi tout être qui n’est pas bon pour l’amour de la bonté même est imparfait, participant du mal, de la misère et de la mort ; et il faut nécessairement qu’il naisse de nouveau à cette bonté de Dieu pure, libre et sans mélange, pour qu’il puisse sortir de cet état d’imperfection, de misère et de mort. Oui, quand nous pratiquerions extérieurement toutes les vertus, et que nous ferions en apparence tout ce que les saints de Dieu ont fait, si nous ne le faisons pas par le même esprit, par lequel Dieu lui-même est bon, et que ce ne soit pas lui qui opère tout cela en nous, nos efforts sont vains pour nous élever au-delà de la circonscription terrestre, et nous demeurons sans communication avec le Ciel. Quand je parlerais le langage des anges et des hommes, dit saint Paul, si je n’ai point la charité je ne suis qu’un airain retentissant. Quand j’aurais le don de prophétie, que je comprendrais tous les mystères, que je connaîtrais tout, et que j’aurais une foi capable de transporter des montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. Quand je donnerais tout mon bien aux pauvres, que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE THÉOPHILE
Il est vrai, Silvestre, que tout consiste à mourir entièrement aux affections et aux passions qui nous ont été communiquées par l’esprit de ce monde, dans lequel notre prévarication nous a précipités, et plus nous poursuivons cette oeuvre de renoncement et de mort avec constance et énergie, plus nous hâtons notre retour dans la patrie que nous avons perdue, dans ce royaume de gloire qui nous avait été destiné. C’est également avec raison que vous avez dit que nous devons être bon d’une bonté céleste, puisqu’il n’y a en effet qu’une bonté céleste qui puisse nous communiquer la vie du ciel. L’on répète souvent que nous ne sommes que de misérables mortels et non des anges, qu’ainsi nous devons nous contenter des vertus qui sont l’apanage du genre humain dans son infirmité et sa misère. Certes, il est incontestable que nous sommes infirmes, pauvres et misérables, mais c’est justement pour cela que nos vertus propres naturelles ne peuvent nous être d’une utilité réelle. Dieu ne nous avait pas créés pauvres et infirmes, mais nous sommes devenus tels en nous détournant du principe unique de toute réalité, par lequel seul nous pouvions posséder les richesses véritables. C’est nous qui avons attiré sur nous-mêmes cette pauvreté, cette corruption et cette infirmité qui sont les fruits naturels du principe d’illusion et de néant par lequel nous avons préféré d’agir. Il est donc évident que notre oeuvre véritable consiste à nous sortir entièrement de cet état d’impuissance et de misère, et que nous aurions tort de nous croire arrivés au degré de bonté qui appartient à notre vraie nature, tant que nous ne sommes pas parvenus à recouvrer celle pour laquelle Dieu nous avait créés. Ainsi, tout ce qui est étranger à cette vie divine qui devait être la nôtre, tout ce dont elle n’est pas le principe et tout ce qui n’est pas la manifestation de ses propriétés doit être finalement abandonné. Il n’est qu’une bonté vraiment céleste qui soit capable de surmonter le mal qui est en nous, puisque ce mal est le résultat de l’absence même de cette bonté, et c’est aussi elle seule qui peut nous faire atteindre le but sublime exprimé par ces paroles : que votre volonté soit faite sur la terre comme elle l’est dans le ciel. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE THÉOPHILE
Nous n’avons pas plus été créés pour exister au milieu des chagrins, des souffrances et des angoisses de la vie terrestre que les anges ne l’ont été pour habiter le royaume de ténèbres et de colère, et notre existence en dehors du Paradis est aussi opposée à la volonté et à la bonté de Dieu à notre égard que l’est au dessein et à la bonté de Dieu, à l’égard des anges, leur existence hors du ciel dans les lieux d’obscurité. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE SILVESTRE
C’est nous qui avons attiré sur nous-mêmes cette corporisation impure, grossière, sujette à la maladie, à la souffrance et à la corruption, comme les anges déchus ont produit eux-mêmes les formes hideuses de serpents, etc… par lesquels ils se manifestent. Ne serait-ce pas une absurdité de dire avec l’Écriture et l’Église que nous sommes enfants de colère, nés dans l’iniquité, si notre nature actuelle était celle pour laquelle Dieu nous avait créés primitivement ? Si Dieu eût créé dans le principe cet univers dans l’état où il existe actuellement, que deviendraient les attributs divins, en considérant que dans la réalité ce monde n’est qu’une vallée de misères, qu’il est plein de désordres, de maux de toutes espèces, de pièges, de tentations, et que nous n’y habitons que dans l’ombre de la mort. En effet, si l’homme et le monde existaient dans cet ordre dans lequel Dieu les avaient créés au commencement, il serait aussi absurde et aussi inconciliable avec la bonté et la perfection divines de parler des souffrances, des misères de l’un et de la vanité de l’autre que de prétendre que les saints anges qui n’ont point pris de part à la prévarication sont au ciel dans un état de désordre et de misère, et que leur existence céleste n’est qu’une existence de vanité, de vide et de souffrance. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE SILVESTRE
Telle était nécessairement sa position, et il n’eût pas été réellement constitué volonté libre si quelque chose, indépendamment de la spontanéité de sa volonté, eût pu influer sur sa détermination ; voilà la possibilité, l’origine et la cause de la chute, soit du cercle angélique, soit du cercle humain. C’est par le premier acte de leur volonté seulement qu’ils pouvaient prendre possession de la vie divine ou qu’ils pouvaient la perdre, et qu’ils l’ont perdue en effet ; ils sont donc morts avant d’y être nés, et n’ont jamais eu ni la connaissance réelle, ni la jouissance de ce qu’ils ont perdu. L’Écriture nous dit que ce fut par l’orgueil et la convoitise que les anges et les hommes tombèrent primitivement ; en effet, s’étant arrêtés, c’est-à-dire ayant cessé de fixer leur regard sur leur principe éternel, et l’ayant recourbé dès lors sur eux-mêmes, ils conçurent par ce regard la pensée d’orgueil, c’est-à-dire qu’ils conçurent l’idée qu’ils pouvaient devenir par eux-mêmes tout ce pour quoi Dieu les avait créés ; cette idée devint pour eux l’objet de leur convoitise, et leur volonté détermina leur action en conséquence ; mais Dieu seul étant la réalité de la vie, et la créature n’étant, en elle-même, et par elle-même, que le néant de l’être réel, c’est-à-dire le désir aveugle et ténébreux de la vie, ils se virent engloutis dans un abîme affreux d’obscurité et d’angoisse dévorante, sans aucun espoir ou possibilité en eux-mêmes de pouvoir en être délivrés. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE THÉOPHILE
C’est ici où vous pouvez voir d’une manière plus complète la nécessité de l’esprit de prière et l’avantage ineffable qu’il nous procure ; comment en dépit de toutes les oppositions, il délivre l’âme déchue des misères de la chair et du sang, pour lui faire posséder les richesses de la nature céleste, devenue vivante en elle. Puisque donc toutes les choses qui sont dans le ciel ou sur la terre ont leur base dans une naissance magique, produite par l’opération de la volonté, il faut donc que celle-ci soit toute-puissante dans sa circonscription. Or il est évident que c’est elle qui unit tout dans le ciel et sur la terre ; et c’est elle également qui divise et sépare tout dans la nature ; elle fait le ciel, elle fait l’enfer ; il ne peut y avoir d’enfer que là où la volonté de la créature est tournée à l’opposé de Dieu ; et il ne peut non plus y avoir de ciel que là où la volonté de la créature est dirigée vers Dieu ; et qu’autant qu’elle opère avec lui. C’est le but auquel nous aspirons qui nous fait être ce que nous sommes ; et selon que l’esprit de notre volonté opère secrètement en nous, nous sommes ou engloutis dans la volonté du temps, ou introduits dans les trésors de l’Éternité. Aussi conçoit-on et exprime-t-on d’une manière juste et simple ce qu’est la véritable prière, lorsque l’on dit qu’elle est une opération de l’âme par laquelle elle tend à sortir de la vanité du temps, pour s’élever vers les richesses de l’Éternité. Pourquoi donc ne sommes-nous que vanité ? C’est parce que nous n’envisageons que les choses de ce monde, que nous n’aimons qu’elles, et que nous ne vivons que par elles et pour elles. Nous ne cesserons donc d’être ce que nous sommes que dans la proportion que nous nous dirigerons vers ce qui est vrai, et que notre vie se manifestera dans l’ordre réel, qui est le trésor de l’Éternité, et qu’il deviendra l’objet de notre désir et de notre amour. L’esprit de prière est la faim de l’âme ; or tout être mange ce dont il a faim, et sa vie est toujours en analogie avec la nature, le genre et l’essence, soit de sa faim, soit de sa nourriture : celui qui a faim de ce qui appartient à la chair et au sang ne mange que la chair et le sang, et la vie animale, seule, se développe en lui ; et il ne pourra moissonner de la chair que la corruption qui lui appartient. Celui au contraire qui a faim de Dieu mange la nourriture qui donne la vie aux anges ; il mange le pain qui est descendu du ciel, qui est véritablement le corps et le sang réels de Christ, qu’on peut bien nommer le trésor de l’Éternité ; et la vie divine se développe en lui, et il en moissonnera l’immortalité et le bonheur. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE
” Ceci est aussi vrai par rapport aux démons que par rapport aux anges les plus parfaits et les plus élevés. Le degré de misère ou de félicité de toutes les créatures est donc uniquement mesuré par celui dans lequel elles possèdent Dieu, ou en sont privées, et dépend absolument de leurs différentes manières d’exister en Dieu. Or si cela est vrai (et qui pourrait le nier ?), il reste démontré que rien dans la religion ne peut nous procurer d’avantage réel que ce qui peut nous communiquer quelque chose de Dieu, ou de la nature divine, ou bien améliorer notre manière d’exister en Dieu. ” La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE SILVESTRE
” Si les démons, de même que les anges bienheureux, ne sont ce qu’ils sont que par leur manière respective d’exister en Dieu, il en résulte incontestablement que tous les êtres qui se trouvent placés entre les deux extrêmes, occupés par les bons et les mauvais anges, doivent également de toute nécessité être heureux ou malheureux, selon leur manière d’exister en Dieu ; c’est-à-dire dans la proportion qu’ils participent plus ou moins à l’état des uns ou des autres. Rien donc dans la religion ne peut nous être véritablement utile que ce qui a le pouvoir d’améliorer notre existence en Dieu, et de nous procurer une participation plus complète de la nature divine. ” La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE SILVESTRE
” Or, quand vous enverriez aux anges de ténèbres tous les systèmes religieux que la raison humaine a bâtis jusqu’à ce jour, pour leur apprendre qu’ils ont au-dedans d’eux, en leur puissance, le pouvoir d’être rendus à la lumière et au bonheur, qu’ils n’ont pas besoin d’autre secours que celui de leur propre raison, de leur entendement naturel, de la force et de l’activité de leurs propres facultés pour parvenir à tout le degré de bonheur dont ils sont susceptibles ; n’est-il pas évident qu’une pareille religion, loin d’améliorer leur existence en Dieu, ou de leur faire du bien, ne serait propre qu’à fortifier leurs chaînes, et à les confirmer, et les fixer de plus en plus dans leur séparation d’avec Dieu ? Et cependant, cette même religion qui ne pourrait que les enfoncer davantage dans leur abîme est la seule que vous vouliez admettre pour vous faire arriver au ciel ! quelle erreur ! quelle illusion ! ” La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE SILVESTRE
Tout ce qui existe, soit dans le ciel, soit dans l’enfer, soit dans ce monde, n’est substantiel que par ces trois premières propriétés de la nature ; elles sont également la base de la substantialité des anges, des démons, comme elles le sont du caillou sans vie ; seulement ce qui distingue les êtres et les place plus ou moins haut sur l’échelle de la perfection, c’est la mesure dans laquelle ils participent aux quatre dernières propriétés de la nature. Mais ces quatre dernières ne peuvent se manifester que dans les trois premières ; aussi celles-ci se trouvent-elles aussi nécessairement dans la plus inférieure des créatures que dans celle qui est la plus élevée. Il faut nécessairement qu’il y ait un premier fond de substantialité dans la nature pour que la lumière, l’amour et l’esprit de Dieu puissent s’y manifester ; sans ce fond, l’esprit ne trouverait pas en quoi et sur quoi opérer, ni rien qui put manifester son oeuvre ; ainsi la lumière ne luirait pas s’il n’y avait pas dans la nature un fond plus dense qu’elle pour la recevoir et la réfléchir ; de sorte que les ténèbres, ou la densité, sont aussi anciennes que la manifestation visible de la lumière. Les ténèbres ne sont donc pas une simple négation, une absence de la lumière, elles sont, au contraire, l’unique base de substantialisation de la lumière dans la nature ; sans elles, cette lumière ne serait pas visible, et ne pourrait ni luire ni briller d’aucune couleur. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
C’est ici où nous pouvons apercevoir clairement la manière dont les anges ont pu détruire leur royaume et s’y trouver privés de la lumière et du bonheur célestes ; et découvrir, en même temps, comment Dieu a pu créer de nouveau, et changer en la forme de ce monde matériel, leur habitation primitive, obscurcie, dévastée et livrée à la contrariété et à la division des propriétés de la nature par leur propre faute. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Aucune créature n’aurait jamais dû connaître, ni goûter ces trois premières propriétés de la nature, telles qu’elles sont en elles-mêmes ; leur densité, leur opacité et leur opposition n’ont été produites par le vouloir divin qu’en union avec la lumière, la gloire et la majesté célestes, dans une harmonie parfaite, pour être la manifestation de l’essence divine. Aussi ce qu’elles sont en elles-mêmes par leur propre nature, indépendamment de Dieu, n’a pu être révélé et connu qu’au moment où les anges retournant volontairement en arrière, par l’énergie de leur désir, cherchèrent à découvrir et à pénétrer la racine cachée de la vie ; or ils ne pouvaient y parvenir qu’en pénétrant dans ces propriétés, qui sont elles-mêmes la base première et cachée de toute vie ; en se tournant ainsi par leur désir vers cette racine de la vie, ils se détournèrent par là même de la lumière de Dieu, et dès lors ils se trouvèrent enfermés dans le principe dans lequel ils étaient entrés par leur désir ; je veux dire dans le centre de la nature, dans les trois premières propriétés qui constituent le centre ténébreux, ou la racine cachée de toute vie, et qu’aucune créature n’aurait jamais dû ni connaître ni manifester. Par ce centre ténébreux de la nature, il faut toujours entendre ces trois propriétés, lesquelles séparées et privées de la lumière et de la bonté divines, ne sont en elles-mêmes que l’opacité, la densité et l’horreur résultantes d’une compression et d’une résistance toute-puissante, et d’une rotation également toute-puissante, produite par l’opposition de ces deux forces contraires. J’appelle ces propriétés toutes-puissantes, parce que chacune d’elles est invincible, et que malgré leur opposition réciproque, elles ne font qu’accroître mutuellement leurs forces, de sorte que la toute-puissance de l’une est la toute-puissance de l’autre ; et c’est là cette vie infernale de ténèbres, de combats et d’horreur sans fin et sans borne, la seule que puisse connaître tout être qui n’existe que par ces trois premières propriétés de la nature. Aussi les anges qui entrèrent par leur désir dans ce centre de la nature tombèrent-ils dans la vie et l’activité de ces trois propriétés ; ils ne sentirent plus, dès lors, que par elles, et il ne leur fut plus possible de vouloir et d’opérer autrement que selon elles ; conséquemment, comme créatures vivantes et actives, ils ne purent vivre et agir sur la nature extérieure, ni s’unir et coopérer avec elle que par son principe central, ténébreux, analogue à celui qui était manifesté en eux ; ils ne purent donc exciter, réveiller, manifester, respirer et manger que les ténèbres, l’opacité et la contrariété qui étaient cachées dans la nature, comme un crapaud au milieu d’un beau jardin ne peut sucer même dans les plantes les plus salutaires que le poison qui y est caché. Ainsi les anges déchus, n’ayant en eux de manifesté que le centre ténébreux de la nature, ne purent, quoique dans le ciel même, communiquer qu’avec ce centre, cette racine ténébreuse, la base de la manifestation extérieure de la gloire céleste ; et ce fut de leur opération active sur ce centre que provint cette substantialité âpre, ténébreuse, séparée de la lumière divine, laquelle devint leur royaume et fut pour eux une habitation extérieure analogue au principe inférieur de leur propre vie, c’est-à-dire une manifestation de la nature, privée de Dieu et de sa lumière. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Vous pouvez déjà apercevoir la marche par laquelle cette compaction ou densité primitive de la première propriété de la nature, qui n’était que la base substantielle cachée de la manifestation de la lumière et de la gloire céleste, put devenir, par degrés, plus extérieure, jusqu’à arriver à l’état de matérialité que nous avons sous les yeux ; et comment put être produit un Univers de ténèbres, de densité et de dureté qui n’avait jamais existé auparavant. En effet, la lumière s’étant évanouie ou éclipsée, la première propriété de la nature perdit son principe de béatification, de douceur, de transparence et de fluidité spirituelles, et devint roide, âpre, opaque et dure ; et c’est là le principe et la cause de la dureté de l’opacité de ce monde, manifestées en des degrés divers dans tout ce qu’il contient, même après que la puissance divine l’eut créé et ordonné pour une lumière et une vie inférieure et analogue à sa dégradation, selon les plans de sa miséricorde insondable, éternelle. Voilà d’où vient, comme le dit Moïse, que les ténèbres étaient sur la face de l’abîme ; ce qui n’aurait jamais pu exister si les anges, par leur prévarication, n’eussent pas manifesté le centre caché, ténébreux de la nature et opéré dans ses trois premières propriétés, en exclusion de la lumière de Dieu. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Mais dans le même temps que les anges, par leur opération puissante dans le centre, ou les trois premières propriétés de la nature, manifestèrent cette substantialité ténébreuse, dure et opaque, Dieu, de son côté, ne cessa pas de se manifester en bonté et en miséricorde envers tous les prévaricateurs, et sa lumière poursuivit, pour ainsi dire, la nature déchue jusque dans son dernier terme de dégradation, et s’enveloppant dans sa descente d’une manière analogue aux régions qu’elle traversait, afin de pouvoir leur être communicable, elle neutralisa et paralysa partout l’oeuvre ténébreuse, et empêcha les conséquences terribles qui devaient en être la suite naturelle. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Telles sont, en peu de mots, la loi et la progression par lesquelles cet Univers est devenu ce qu’il est : il est réellement un engendrement extérieur, temporel, circonscrit, du monde éternel, dans lequel les sept propriétés de la nature éternelle opèrent d’une manière temporelle, matérielle, et dont la densité et l’opacité doivent avoir un terme, lorsque les plans de la bonté et de la miséricorde divine, en faveur de la nature déchue, auront eu leur accomplissement parfait. L’on peut dire dans un sens, avec vérité, que ce système matériel dans lequel nous vivons, est un ordre de choses contre nature, qui a été occasionné par le bouleversement que la prévarication des anges introduisit dans leur circonscription dans la Nature Éternelle ; et son commencement ne date que du moment auquel le vouloir divin commanda à la première propriété de la nature de compacter cette circonscription bouleversée en une matière plus dense et plus inférieure, pour servir, sous la direction de sa Providence, de remède et de moyen de réhabilitation à tous les êtres tombés ; arrêter le mal et détruire dans la nature les conséquences terribles de cette catastrophe. Il est donc clair que lorsque le remède aura eu son effet, et que la force de compaction ordonnée par le vouloir de Dieu arrivera à son terme, tout doit se dissoudre et chaque élément retourner à son principe éternel. C’est alors qu’infailliblement tout ce qui sera né dans ce monde de la racine, ou du centre ténébreux de la nature, et qui par conséquent lui appartiendra, et qui aura opéré avec lui et par lui, sans jamais avoir voulu recevoir le principe de la lumière, se trouvera naturellement englouti dans les ténèbres abyssales de la Nature Éternelle, qui ne peuvent à jamais comprendre la lumière, mais qui servent de base à sa manifestation ; tandis qu’au contraire, tout ce qui sera né du principe de vie céleste, et qui aura opéré avec lui et par lui, se trouvera naturellement englouti dans le royaume éternel de Dieu, dans l’océan abyssal de la gloire et de la majesté divine. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Oui, Théophile, je le vois clairement ; toute la sagesse de ce monde, toute ambition, tous les plans de gloire et de grandeur, qui n’ont pour but que les choses de cet Univers, ne sont que les vains et inutiles efforts que font journellement les hommes pour trouver le bonheur dans les ruines du royaume des anges. Ce monde n’est, en effet, qu’une compaction opaque, matérielle, de vie animale, dont la base est le principe ténébreux infernal, ou les trois premières propriétés de la nature déchue, amenées à un degré de condensation plus grand que dans l’abîme infernal, et dans lesquelles la vertu du soleil a allumé une vie animale, astrale et terrestre. Aussi, tout ce que ce monde peut offrir de plus relevé et de plus désirable, ne va pas au-delà de la vie animale, et des moyens de l’entretenir et de la conserver, et toutes les créatures qui appartiennent à sa circonscription ne lui demandent pas autre chose. Mais l’homme, par sa prévarication, étant tombé dans un monde pour lequel il n’avait pas été créé, se trouve le seul qui en contredise les lois naturelles, et qui exige de lui ce qu’il ne pourra jamais lui donner. Destiné primitivement à posséder la sagesse, la grandeur et la félicité, la chute qui lui a fait perdre ces avantages ne lui a pas ôté le désir vif et le besoin impérieux d’en jouir ; et dans son aveuglement, il ne peut s’empêcher de les solliciter des ruines de ce monde déchu. Ainsi il veut être sage, grand et heureux dans un monde et par un monde qui ne peut fournir que le bonheur animal, et qui ne peut rien pour l’homme que l’amener à reconnaître qu’il n’est dans cet univers qu’un pauvre misérable exilé, banni de sa vraie patrie… Mais, au lieu d’écouter cette utile leçon, l’unique réalité de sagesse, l’unique base de grandeur et de félicité que puisse lui fournir ce monde dans lequel il se trouve, il se livre au contraire à une sagesse qui n’est que folie, il recherche avec avidité une grandeur qui n’est que poussière, et un bonheur qui, commençant par l’illusion, se termine infailliblement par une affreuse réalité !… Voulez-vous savoir quel est le terme de sagesse, de grandeur et de félicité auquel il aspire, quel est ce faîte de gloire terrestre auquel il sacrifie tout ?… de vains titres qui n’ont de réalité que dans les mots, l’encens grossier d’une foule de parasites, l’estime de plats adulateurs qui l’apprécient par le poids de son coffre-fort, quelques plumes d’oiseau à son chapeau, des rubans de diverses couleurs, des habits brodés, des attelages d’animaux pour le transporter d’un lieu à un autre !… et bien quelque misérable, quelque fausse et contre nature que soit cette fiction de gloire terrestre, c’est là, pourtant, cette idole puissante devant laquelle tout genou vient se prosterner, et dont l’influence anéantit tout sentiment de la bonté et de la vertu divines ; c’est sur son autel que l’homme vient brûler tout son encens, c’est à son culte enfin qu’il dévoue si complètement son coeur qu’il perd toute idée de cette éternité qui est au-dedans de lui, qui ne se souvient plus que c’est d’elle qu’il est sorti, et que c’est elle qui l’engloutira de nouveau un jour !… La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE LE DOCTEUR
Dieu, en créant ce monde, a eu encore un but bien plus grand que celui de fournir à la vie animale des moyens de bonheur. Il est vrai que la condensation des propriétés colériques ténébreuses de la nature déchue ne pouvait fournir que la base d’une vie végétale et animale ; mais remarquez que dans la création de ce monde, c’est-à-dire dans la compaction du royaume entier des anges, la partie pure, lumineuse, céleste, se trouva serrée et enfermée avec la partie colérique ténébreuse, et cela pour deux grands buts : le premier fut de paralyser l’action des mauvais anges, et les empêcher d’incendier leur propre royaume ; le second, de faire que cette partie bonne pût devenir le principe de la manifestation d’un paradis terrestre, destiné à devenir, durant le temps, l’habitation des esprits déchus qui retourneraient volontairement à la vérité et à la lumière. C’est pourquoi Dieu émana, de lui-même, un cercle de créatures humaines, dont l’emploi devait être de faire sortir, par leur action, cette vie paradisiaque terrestre du sein de cette compaction ténébreuse, comme on voit le soleil faire sortir la vie végétale et animale du sein de la substance dure et opaque de ce monde matériel destiné à gouverner ce paradis terrestre, et à servir de communication entre Dieu et les esprits qui viendraient y renaître à la lumière ; il fallait à l’homme un organe analogue, par le moyen duquel il put agir sur tout l’Univers temporel, et communiquer à tous les êtres de cette circonscription l’influence divine qu’il était chargé de leur transmettre, selon la mesure de leur capacité et de leur volonté de recevoir ; c’est pourquoi il lui fut donné une armure substantielle, extraite de la partie bonne de tous les points de cet Univers matériel, par laquelle il pouvait agir, et réagir partout et contenir tout ; et c’est là ce corps qui fut formé de la terre, c’est-à-dire du principe de substance glorieuse lumineuse, qui ayant été enfermé dans la même prison, avec le principe de substance ténébreuse, opaque, était descendu avec lui, jusqu’au degré de compaction matérielle. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Mais l’homme, ayant cessé de fixer son principe éternel, se trouva lui-même en face de ce nouvel ordre temporel, dont la vue excita dans lui le désir de connaître et de goûter ce double principe bon et mauvais qu’il renfermait ; s’étant alors laissé entraîner à opérer selon le désir qu’il avait conçu, par le principe analogue qui était en son pouvoir, mais qui n’aurait jamais dû être manifesté en lui, au lieu d’opérer par le centre de vie éternelle, qui constituait sa véritable force ; le résultat de son oeuvre fut de se voir lui-même environné de barrières ténébreuses, matérielles, qui interceptèrent pour lui toute communication de la lumière et de l’esprit de Dieu. À cet instant, son corps glorieux lumineux, dans lequel la lumière divine aurait habité corporellement et se serait manifestée, comme elle le fait dans le ciel, disparut, et fit place à un corps animal opaque, de chair et de sang, corruptible, terrestre, produit du principe ténébreux matériel qu’il venait d’éveiller et qui engloutit en lui le principe de corporisation glorieuse ; de sorte que ce dernier entra, relativement à lui, dans le même état de mort, dans lequel il était, depuis la prévarication des anges, pour toute la nature déchue. Ainsi le centre ténébreux, que le principe divin lumineux devait tenir absorbé en lui, et auquel il ne devait servir que de base pour sa manifestation en un corps substantiel glorieux, l’absorba lui-même et le fit entrer dans un état d’impuissance et de mort, et ce développement du centre ténébreux fut la base de cette corporisation dure et opaque qui fixa dès lors la mesure et le mode de tous les rapports de l’homme avec l’univers corporel. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Dès lors, les anges déchus, trouvant dans leur propre circonscription une base et un moyen d’action, conservèrent un degré de puissance et purent agir par les hommes devenus plus ou moins leurs organes. En effet, l’âme de l’homme se trouvant privée de l’esprit et de la lumière célestes, le centre ténébreux de la nature et ses trois premières propriétés se trouvèrent manifestées en lui, comme elles l’étaient dans les anges déchus, et par ce moyen, ces derniers eurent accès en lui, et purent l’influer et le faire agir ; et c’est ainsi qu’il conservèrent, dans leur royaume, puissance et action, et qu’ils purent faire du premier fils de l’homme déchu un meurtrier. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Et déjà se manifeste d’une manière lumineuse et évidente la base fondamentale et l’absolue nécessité de cette Rédemption unique, qui est appelée, avec raison, la douceur et le sang célestes de l’Agneau : car ces paroles, dans leur vrai sens, n’expriment pas autre chose, sinon la transmutation des trois premières propriétés de la nature en ces trois dernières de vie, de lumière et d’amour célestes, par lesquelles la vie de Dieu est de nouveau manifestée dans l’âme. Souffrez donc qu’en peu de mots je vous conjure de vous détourner de tout ce qui appartient au principe colérique, comme vous fuiriez le plus horrible démon ; car c’est là son domaine, c’est là sa force, c’est lui-même au-dedans de vous. Soit que ce principe colérique se manifeste dans les éléments, dans les bêtes ou dans l’homme, il vient toujours de la même source ; il est produit par la même cause, je veux dire par l’action, ou l’explosion de ce centre ténébreux de la nature, que les anges pervers ont révélé par leur prévarication ; c’est lui qui est le principe de toute colère, de tout mouvement désordonné, de quelle manière qu’il se manifeste, soit dans l’homme, soit dans les bêtes, soit dans les éléments de ce monde. Tant que l’action de ce centre ne sera pas surmontée, qu’elle ne sera pas absorbée et comme engloutie par le principe céleste, comme nous voyons que la lumière du soleil engloutit les ténèbres de la nuit, il y aura du désordre et de la colère ; et les esprits pervers auront puissance et action, soit sur les êtres moraux, soit sur les êtres physiques, selon la mesure de l’explosion du centre ténébreux en eux. Avec quelle ardeur donc ne devons-nous pas nous pénétrer de tous les sentiments de douceur, d’amour et d’humilité ! Et ne devrions-nous pas les embrasser, avec le même empressement que nous mettrions à nous prosterner aux pieds du Sauveur, de Jésus-Christ, puisqu’ils sont, d’une manière essentielle, son royaume, sa réalité, sa puissance et sa vertu réparatrice en nous… Mais gardez-vous de vous engager dans aucune discussion, controverse ou dispute avec personne, soit qu’on vous attaque directement, ou que votre doctrine soit l’objet de l’animadversion ; souvenez-vous seulement que si vous appartenez réellement à Christ, si vous êtes uni à lui pour faire le bien avec lui, l’épée de colère de votre homme naturel doit être imperturbablement enfoncée dans son fourreau ; toute arme que vous présente la chair ténébreuse doit être mise de côté ; et vous ne devez opérer que par la douceur, la bénignité, l’humilité, l’amour et la patience de l’Agneau de Dieu ; car c’est à lui seul qu’appartient de faire le bien, de surmonter la colère et de ramener au bonheur et à la gloire la nature tombée. Si, pour vous faire un reproche, quelqu’un vous appelle enthousiaste, que le sentiment que c’est la réalité de votre propre piété, et la fausseté de la sienne, qui le porte à vous attaquer ainsi, que ce sentiment, dis-je, ne soit pas pour vous un sujet de consolation, d’amour-propre, car même cela fût-il vrai, il ne serait pas convenable pour vous de vous livrer à de pareilles réflexions. Souvenez-vous que si vous cessez d’être vous-même en paix avec eux, ce n’est pas la paix de Dieu qui opère en vous. Ainsi, comme lorsqu’on vous approuve, et qu’on dit du bien de vous, vous ne devez rien vous attribuer à vous-même, mais tâchez de ne pas même l’entendre ; de même lorsqu’on vous accuse, vous devez également vous oublier vous-même ; et, dans l’un et l’autre cas, il faut uniquement vous envelopper et vous pénétrer de plus en plus de l’humilité, de la douceur, de l’amour et de l’esprit de l’Agneau de Dieu, aussi bien vis-à-vis de vous-même que de ceux qui parlent de vous, soit en bien soit en mal. L’unique volonté du principe céleste, l’unique but de son opération, c’est de convertir tout le colérique, tout le mal et tout le désordre de la nature, en un royaume divin céleste ; or celui qui veut être un serviteur de Dieu et opérer par le principe céleste doit vouloir tout ce qu’il veut, faire tout ce qu’il fait, supporter tout ce qu’il supporte, et cela, dans le même esprit et pour le même but. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Par le développement de ces bases fondamentales, vous avez vu comment les anges purent perdre la nature glorieuse pour laquelle ils avaient été créés et comment encore ils en ont été déchus. Vous avez vu, de plus, comment les ruines mêmes de leur royaume sont devenues les matériaux d’un nouvel édifice, d’une nouvelle création, telle que pouvait l’admettre l’état de la nature tombée ; et dans quel ordre et pour quel but elle fut effectuée par la parole créatrice, miséricordieuse de Dieu. L’on vous a de plus montré comment cette nouvelle création, par la prévarication de l’homme, qui avait été destiné à être son souverain, ayant été de nouveau exposée à l’action destructive de la puissance ténébreuse, en fut préservée par cette parole réparatrice ; comment la puissance ennemie fut contenue, et par quelle dispensation miséricordieuse la créature fut remise sur la voie de la restauration, par l’opération du Verbe réparateur, par ce Jésus, qui lui rapporta et lui communiqua de nouveau la lumière et la vie divines, selon les lois mêmes de la nature et par l’action de ses propres forces, rendues à leur activité primitive. Vous devez donc concevoir maintenant que rien n’est l’effet d’une volonté arbitraire ; mais tout est le résultat nécessaire des lois opérantes immuables de la nature, dirigées, aidées et soutenues par la miséricorde du Verbe réparateur, dans la proportion de la capacité de cette même nature. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE
Telles sont les bases fondamentales de toute la doctrine de Jacob Boehme, et, une fois que vous les avez saisies, vous êtes établi, dès lors, dans ce centre de vérité, d’où procède la lumière qui vous montre graduellement, d’une manière aussi certaine et aussi évidente que le sont pour vous, les diverses opérations de votre propre vie, tout ce qu’il vous est essentiel de connaître de Dieu, de la nature, du ciel, de l’enfer, des chutes des anges et de l’homme, et enfin de la nature de cette Rédemption, préparée par le Verbe ou le fils de Dieu fait homme. C’est elle qui vous montre encore que la misère ou la félicité, la vie ou la mort, ne peuvent être que le produit d’une naissance dans la nature, suivant les lois de cette même nature, par la foi, ou le pouvoir magique de la volonté de l’homme, suivant qu’il opère, ou en conformité, ou en opposition avec la parole réparatrice de Dieu. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE