sage (Orígenes)

Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la doctrine, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces doctrines, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux doctrines avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I

Ensuite, il tire de l’Évangile selon Matthieu, et peut-être aussi des autres Evangiles, l’histoire de la colombe qui a volé sur le Sauveur lors de son baptême par Jean, et veut la disqualifier comme une fiction. Mais croyant avoir mis en pièces l’histoire que notre Sauveur est né d’une vierge, il ne cite pas dans l’ordre les événements qui suivent : car la passion et la haine n’ont rien d’ordonné, mais les gens pris de colère et de haine lancent contre ceux qu’ils haïssent les injures qui leur passent par la tête, empêchés par la passion de formuler leurs griefs d’une manière réfléchie et ordonnée. S’il avait gardé l’ordre, en effet, il aurait pris l’Évangile et, décidé à l’accuser, il aurait critiqué le premier récit, puis aurait passé au second, et ainsi du reste. Mais non ! Après la naissance d’une vierge, Celse qui proclame tout savoir de nos doctrines, incrimine l’apparition du Saint-Esprit lors du baptême sous la forme d’une colombe, puis calomnie ensuite la prophétie de la venue de notre Sauveur, après quoi il revient aux événements racontés à la suite de la naissance de Jésus, au récit de l’étoile et des mages venus de l’Orient « adorer » l’enfant. Et que de passages confus de Celse à travers tout le livre révélerait une observation attentive ! Nouveau moyen, pour ceux qui savent chercher et garder l’ordre, de le convaincre d’impudence et de vantardise lorsqu’il intitule son livre “Discours véritable”, ce que n’a fait aucun des philosophes de valeur ! Car Platon dit que ce n’est pas faire preuve d’esprit sensé que de trancher avec force sur des sujets de cet ordre et plus obscurs encore. Et souvent Chrysippe, après avoir cité les raisons qui l’ont persuadé, nous renvoie à ceux chez qui l’on pourrait trouver une meilleure explication que la sienne. Voilà donc un homme qui, plus sage même que ces deux auteurs et que tous les autres Grecs, dans la logique de son affirmation de tout savoir, intitula son livre “Discours véritable” ! LIVRE I

Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I

Ensuite, à propos des pratiques des Égyptiens, qui parlent avec respect même des animaux sans raison et affirment qu’ils sont des symboles de la divinité, ou quelque titre qu’il plaise à leurs prophètes de leur donner, il dit : Elles provoquent chez ceux qui ont acquis ce savoir l’impression que leur initiation ne fut pas vaine. Quant aux vérités que nous présentons à ceux qui ont une connaissance approfondie du christianisme dans nos discours faits sous l’influence de ce que Paul appelle « don spirituel », dans le discours de sagesse « grâce à l’Esprit », dans le discours de science « selon l’Esprit» », Celse semble n’en avoir pas la moindre idée. On le voit non seulement d’après ce qu’il vient de dire, mais encore d’après le trait qu’il lance plus tard contre la société des chrétiens quand il dit qu’ils excluent tout sage de la doctrine de leur foi, mais se bornent à inviter les ignorants et les esclaves ; ce que nous verrons en son temps, en arrivant au passage. Il affirme même que nous nous moquons des Égyptiens. Cependant, ils proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, puisqu’ils enseignent que ce sont là des hommages rendus non à des animaux éphémères, comme le pense la foule, mais à des idées éternelles. Tandis que c’est une sottise de n’introduire dans les explications sur Jésus rien de plus vénérable que les boucs ou les chiens de l’Egypte. A quoi je répondrai : tu as raison, mon brave, de relever dans ton discours que les Égyptiens proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, et des explications obscures sur leurs animaux ; mais tu as tort de nous accuser dans ta persuasion que nous ne disons que de méprisables sottises quand nous discutons en détail les mystères de Jésus, selon la sagesse du Logos, avec ceux qui sont parfaits dans le christianisme. Paul enseigne que de telles gens sont capables de comprendre la sagesse du christianisme quand il dit : « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d’une sagesse de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont à leur perte. Nous parlons au contraire d’une sagesse de Dieu, ensevelie dans le mystère, dès avant les siècles fixée par Dieu pour notre gloire, et qu’aucun des princes de ce siècle n’a connue. » LIVRE III

Et même si j’accordais qu’un démon médecin, du nom d’Asclépios, guérit les corps, je dirais à ceux qui admirent ce pouvoir comme la faculté divinatoire d’Apollon : l’art de guérir les corps est chose indifférente, don qui peut échoir aux bons comme aux méchants ; indifférente aussi la prévision de l’avenir, car le voyant ne manifeste pas nécessairement de la vertu. Etablissez alors que ces guérisseurs et ces voyants n’ont aucune méchanceté, que, de toute manière, ils font preuve de vertu et ne sont pas loin d’être considérés comme dieux. Mais ils ne pourront pas montrer cette vertu des guérisseurs et des voyants, puisqu’on rapporte la guérison de bien des gens indignes de vivre qu’un sage médecin n’eût pas voulu guérir à cause de leur vie désordonnée. LIVRE III

Mais le Logos entend que nous soyons sages, et on peut le montrer soit par les anciennes Écritures juives dont nous gardons l’usage, soit aussi par celles qui sont postérieures à Jésus dont les églises reconnaissent l’inspiration divine. Or il est écrit, au cinquantième psaume, que David dit dans sa prière à Dieu : « Tu m’as révélé les secrets et les mystères de ta sagesse. » Et en lisant les psaumes, on trouve ce livre rempli d’un grand nombre de sages doctrines. De plus, Salomon demanda et obtint la sagesse ; et de sa sagesse, on peut reconnaître les marques dans ses écrits, quand il enferme en peu de mots une grande profondeur de pensée : on y trouverait, entre autres, nombre d’éloges de la sagesse et d’exhortations sur le devoir de l’acquérir. Et telle était même la sagesse de Salomon que la reine de Saba, ayant appris sa « renommée et la renommée du Seigneur », vint « le mettre à l’épreuve en lui posant des énigmes. Elle lui dit tout ce qui était dans son coer. Et Salomon répondit à toutes ses questions ; et il n’y eut pas une question qui resta cachée au roi, sur laquelle il ne lui fournit de réponse. La reine de Saba vit toute la sagesse de Salomon » et toutes ses ressources. « Et hors d’elle-même, elle dit au roi : C’est donc la vérité que j’ai entendu dire dans mon pays sur toi et sur ta sagesse ; je n’ai pas voulu y croire quand on m’en faisait part, avant de venir et de voir de mes yeux. Et voici qu’on ne m’en avait pas dit la moitié. Tu surpasses en sagesse et en magnificence tout ce que j’ai appris par ouï-dire. » Et justement il est écrit de lui : « Dieu donna à Salomon une intelligence et une sagesse extrêmement grandes, et un coer aussi vaste que le sable du rivage de la mer. Et la sagesse de Salomon surpassait de beaucoup l’intelligence de tous les anciens et de tous les sages d’Egypte. Il fut plus sage que tous les hommes, plus sage que Gétan l’Ezrahite, et qu’Emad, Chalcad, Aradab, fils de Mad. Il était renommé dans toutes les nations d’alentour. Salomon prononça trois mille paraboles, et ses cantiques étaient au nombre de cinq mille. Il a parlé des plantes, depuis le cèdre du Liban jusqu’à l’hysope qui se fraye un chemin dans la muraille. Il a parlé des poissons comme du bétail. Tous les peuples venaient entendre la sagesse de Salomon, et on venait de la part de tous les rois de la terre qui avaient entendu parler de sa sagesse. » LIVRE III

Le Logos entend si bien qu’il y ait des sages parmi les croyants, que pour exercer l’intelligence des auditeurs, il a exprimé certaines vérités sous forme d’énigmes, d’autres en « discours obscurs », d’autres en paraboles, d’autres en questions. C’est l’aveu même de l’un des prophètes, Osée, à la fin de son livre : « Qui est sage et comprendra ces paroles? Qui est intelligent et les pénétrera ? » Et Daniel et ses compagnons de captivité progressèrent si bien dans les sciences pratiquées à Babylone par les sages de la cour royale, qu’ils se montrèrent « dix fois » supérieurs à eux tous. Il est dit également, dans Ézéchiel, au prince de Tyr qui s’enorgueillissait de sa sagesse : « N’es-tu pas plus sage que Daniel ? Tout secret ne t’a-t-il pas été montré ? » LIVRE III

De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III

Il n’est pas nécessaire de s’y arrêter, car, bien qu’il eût pu le faire de manière plausible, il n’a pas insisté : il n’a peut-être pas compris l’argument plausible qu’on pourrait y opposer, ou s’il l’a compris, il a vu la réponse à l’objection. Or, selon nous, Dieu peut tout ce qu’il peut faire sans cesser d’être Dieu, d’être bon, d’être sage. Celse, comme s’il n’avait pas compris dans quel sens on dit que Dieu peut tout, déclare : Il ne voudra rien d’injuste, donnant à croire qu’il peut même l’injuste, mais ne le veut pas. Nous, au contraire, nous disons : de même qu’une chose adoucissante de nature par la douceur qu’elle possède, ne peut rendre amer, contrairement à sa seule propriété, ni une chose lumineuse de nature, parce qu’elle est lumière, ne peut causer l’obscurité : de même Dieu non plus ne peut commettre l’injustice, car le pouvoir de commettre l’injustice est contraire à sa divinité et à sa toute-puissance divine. Mais si un être peut commettre l’injustice par une propension naturelle à l’injustice, il peut commettre l’injustice parce que sa nature n’implique pas l’impossibilité absolue de commettre l’injustice. LIVRE III

Puis, comme de la bouche de notre maître de doctrine, il énonce : Les sages repoussent ce que nous disons, égarés et entravés qu’ils sont par leur sagesse. A cela donc je répondrai : s’il est vrai que « la sagesse » est la science « des choses divines et humaines » et de leurs causes, ou comme la définit la parole divine : « le souffle de la puissance de Dieu, l’effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, le reflet de la gloire éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté », jamais un véritable sage ne repoussera ce que dit un chrétien qui a une vraie connaissance du christianisme, ni ne sera égaré et entravé par la sagesse. Car la vraie sagesse n’égare pas, mais bien l’ignorance, et la seule réalité solide est la science et la vérité qui proviennent de la sagesse. Si, contrairement à la définition de la sagesse, on donne le nom de sage à qui soutient par des sophismes n’importe quelle opinion, nous admettrons que celui que qualifie cette prétendue sagesse repousse les paroles de Dieu, égaré et entravé qu’il est par des raisons spécieuses et des sophismes. Mais d’après notre doctrine, « la science du mal n’est pas la sagesse » ; « la science du mal » pour ainsi parler, réside en ceux qui tiennent des opinions fausses et sont abusés par des sophismes ; aussi dirai-je qu’elle est chez eux ignorance plutôt que sagesse. LIVRE III

Celse aurait dû reconnaître la sincérité des auteurs des divines Écritures à ce qu’ils n’ont pas caché des actes même déshonorants, et en conséquence, regarder comme authentiques les autres histoires encore plus étonnantes. Il a fait tout le contraire et, sans examiner la lettre ni rechercher l’esprit, a appelé plus abominable que les crimes de Thyeste l’histoire de Lot et de ses filles. Il n’est pas nécessaire d’exposer ici ce que signifient allégoriquement ce passage, et Sodome, et la parole des anges à celui qu’ils sauvaient de là : « Ne regarde pas en arrière et ne t’arrête pas dans toute la plaine d’alentour ; sauve-toi vers la montagne de peur que tu périsses avec les autres » ; ou ce que signifient Lot, sa femme changée « en colonne de sel » pour s’être retournée, ses filles enivrant leur père pour devenir mères grâce à lui. Essayons pourtant d’atténuer en quelques mots les inconvenances de l’histoire. Les Grecs aussi ont cherché la nature des actions bonnes, mauvaises, indifférentes. Ceux d’entre eux qui en ont le mieux traité font dépendre les bonnes et les mauvaises de la seule liberté ; ils disent indifférentes au sens propre toutes celles qui sont recherchées indépendamment de la liberté : la liberté en use-t-elle comme il convient, elle est louable, dans le cas contraire blâmable. Ils disent donc, à cette question des actions « indifférentes », que s’unir à sa fille est au sens propre indifférent, quoiqu’il ne faille point le faire dans les sociétés constituées. Par manière d’hypothèse, pour montrer le caractère indifférent d’un tel acte, ils ont supposé le cas d’un sage, laissé avec sa fille seule après la destruction de tout le genre humain et se demandent s’il serait convenable que le père s’unît à sa fille pour éviter, d’après l’hypothèse, la perte du genre humain tout entier. LIVRE IV

Est-ce donc chez les Grecs une opinion saine, que défend l’école des Stoïciens qui à leurs yeux n’est pas négligeable ? Mais quand des jeunes filles, instruites de l’embrasement du monde mais d’une manière confuse, à la vue du feu qui dévaste leur ville et leur pays, supposèrent que la dernière étincelle de vie pour l’humanité subsistait dans leur père et en elles, et pourvurent, dans cette perspective, au maintien du monde, seraient-elles inférieures au sage de l’hypothèse stoïcienne qui s’unirait légitimement à ses filles dans la destruction de l’humanité ? Je n’ignore pas le scandale causé à certains par l’intention des filles de Lot, et leur jugement sur l’impiété de leur acte : ils ont dit que de cette union impie étaient issues les nations maudites des Moabites et des Ammonites. A vrai dire, on ne trouve pas que l’Écriture approuve clairement comme bonne cette action, ni qu’elle l’accuse ou la blâme. LIVRE IV

Et quand il lit que le dragon vit dans le fleuve d’Egypte et que les poissons se cachent sous ses écailles, ou que les montagnes d’Egypte sont remplies des « excréments » du Pharaon, n’est-il pas aussitôt conduit à chercher quel est celui qui remplit les montagnes d’Egypte de cette quantité d’excréments fétides, quelles sont les montagnes d’Egypte, quels sont les fleuves d’Egypte, dont le Pharaon susnommé dit par vantardise : « A moi sont les fleuves et c’est moi qui les ai faits », quel est le dragon, dans le contexte de l’interprétation allégorique des fleuves, et quels sont les poissons sous ses écailles? Mais qu’ai-je à prouver encore ce qui n’a pas besoin de preuve, et dont il est dit : « Quel est le sage ? et il le comprendra ; l’intelligent ? et il le connaîtra. » LIVRE IV

En effet, il serait absurde de croire que des pierres ou des édifices sont plus ou moins purs que d’autres pierres ou d’autres édifices, parce qu’ils ont été construits pour l’honneur de Dieu ou pour recevoir des corps sans honneur et maudits, mais que des corps ne différeraient pas d’autres corps selon qu’ils sont habités par des êtres raisonnables ou des êtres sans raison, et par les plus vertueux des êtres raisonnables ou les pires des hommes. Voilà pourtant la raison qui a poussé certains à prétendre diviniser les corps des gens supérieurs, pour avoir reçu une âme vertueuse, et à rejeter et déshonorer ceux des scélérats. Non que cette pratique soit parfaitement saine, mais elle dérive d’une saine notion. Est-ce que le sage, après la mort d’Anytos et de Socrate, prendrait un soin égal de la sépulture du corps de Socrate et de celle d’Anytos, et élèverait-il à la mémoire des deux le même tertre funéraire ? Voilà les réflexions amenées par la formule de Celse : aucun d’eux n’est oeuvre de Dieu, le mot « eux » pouvant se rapporter au corps de l’homme ou des serpents qui viennent de ce corps, et à celui du boeuf ou des abeilles qui viennent du corps de boeuf, et à celui du cheval ou de l’âne et des guêpes issues du cheval, des scarabées issus de l’âne. LIVRE IV

Mais quelle impiété pour qui nous accuse d’impiété d’oser dire, non seulement que les animaux sans raison sont plus savants que la nature humaine, mais encore qu’ils sont plus chers à Dieu ! Et qui ne détournerait son attention d’un homme pour qui dragon, renard, loup, aigle, épervier sont plus chers à Dieu que la nature humaine ? Il suivrait de son propos que si vraiment ces animaux sont plus chers à Dieu que les hommes, évidemment ces animaux sont plus chers à Dieu que Socrate, Platon, Pythagore, Phérécyde, et ces théologiens qu’il a célébrés peu auparavant. Et on pourrait bien lui exprimer ce souhait : si vraiment ces animaux sont plus chers à Dieu que les hommes, puisses-tu devenir cher à Dieu dans leur compagnie, et ressembler à ceux qui, d’après toi, sont plus chers à Dieu que les hommes ! Et qu’on ne prenne pas ce voeu comme une malédiction ! Qui donc ne souhaiterait ressembler entièrement à ceux dont il est persuadé qu’ils sont plus chers à Dieu, et de devenir autant qu’eux lui aussi cher à Dieu ? Pour prouver que les entretiens des animaux sans raison sont plus saints que les nôtres, Celse n’attribue pas cette histoire aux premiers venus, mais aux intelligents. Or ce sont les vertueux qui sont en réalité intelligents, aucun homme mauvais n’est intelligent. Voici donc la manière dont il s’exprime : « Des hommes intelligents disent même qu’il y a entre les oiseaux des entretiens, évidemment plus saints que les nôtres ; eux-mêmes comprennent quelque peu leurs paroles ; la preuve qu’ils donnent en pratique de cette compréhension est que, quand ils ont prévenu que les oiseaux leur ont annoncé qu’ils iraient à tel endroit pour y faire une chose ou l’autre, ils montrent qu’ils y vont bien et font ce qu’ils avaient déjà prédit. » Mais en vérité, aucun homme intelligent n’a raconté de telles histoires, et aucun sage n’a dit que les entretiens des animaux sans raison sont plus saints que ceux des hommes. Et si pour apprécier les vues de Celse on en examinait les conséquences, il est évident que selon lui les entretiens des animaux sans raison seraient plus saints que les entretiens respectables de Phérécyde, Pythagore, Socrate, Platon et autres philosophes. Ce qui, de soi, est non seulement invraisemblable, mais tout à fait absurde. En acceptant de croire que certains aient appris du ramage indistinct des oiseaux que les oiseaux déclarent d’avance qu’ils iraient à tel endroit faire une chose ou l’autre, je dirais que cela encore les démons l’indiquent aux hommes par des signes : leur but est de tromper l’homme et de rabaisser son esprit du ciel et de Dieu vers la terre et plus bas encore. LIVRE IV

Ainsi les hommes du Portique disent qu’après une période a lieu un embrasement de l’univers, et après lui, une ordonnance de l’univers tout à fait semblable à la précédente ordonnance. Ceux d’entre eux qui eurent honte de cette doctrine ont bien admis un changement léger et tout à fait menu entre les événements d’une période et ceux de la précédente. Mais ces auteurs maintiennent qu’à la période suivante les choses seront pareilles : Socrate de nouveau sera fils de Sophronisque et athénien, et Phénarée, femme de Sophronisque, de nouveau l’enfantera. Donc, même s’ils n’emploient pas le terme de résurrection, ils en indiquent du moins la réalité en disant : Socrate de nouveau surgira, issu de la semence de Sophronisque, formé dans le sein de Phénarète ; après son éducation à Athènes, il s’adonnera à la philosophie qui, comme par une renaissance de sa philosophie antérieure, sera de même toute semblable à celle d’avant. De plus, Anytos comme Mélètos renaîtront eux aussi de nouveau comme accusateurs de Socrate, et le conseil de l’Aréopage condamnera Socrate. Et plus ridicule encore que cela, Socrate revêtira des habits tout semblables à ceux de la période précédente, et sera d’une pauvreté toute semblable, dans la ville d’Athènes toute semblable à celle de la période précédente. De nouveau Phalaris sera tyran, et son taureau d’airain mugira de la voix des victimes qui y sont enfermées, toutes semblables aux condamnés de la période précédente. Alexandre de Phères sera de nouveau tyran, avec une cruauté toute semblable à la précédente, et il condamnera les victimes toutes semblables aussi aux précédentes. Mais pourquoi faut-il que je passe en revue la doctrine développée sur ces matières par les philosophes du Portique que Celse s’abstient de railler et peut-être qu’il vénère, puisque Zénon lui paraît plus sage que Jésus. LIVRE V

Et puisqu’il dit : Tous ces gens si radicalement séparés, on les entendra répéter : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde, je vais le convaincre de mensonge. Il y a des sectes qui ne reçoivent pas les Epîtres de l’Apôtre Paul : les Ébionites des deux sortes et ceux qu’on appelle Encratites. Ils ne citent donc pas l’Apôtre comme un bienheureux et un sage et ne sauraient dire : « Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde. » Voilà encore un mensonge de Celse. Il a beau insister dans son accusation contre la différence des sectes, il n’a, me semble-t-il, aucune idée claire de ce qu’il dit, il n’a même pas sérieusement examiné ni compris la raison pour laquelle les chrétiens avancés dans les Écritures prétendent connaître plus de choses que les Juifs. Veut-il dire que tout en admettant les mêmes livres que les Juifs, ils les interprètent en sens contraire, ou qu’ils refusent d’admettre les livres des Juifs ? On pourrait en effet trouver ces deux attitudes dans les sectes. Après quoi il déclare : Eh bien ! même si leur religion n’a aucun fondement, examinons la doctrine elle-même. Il faut d’abord dire tout ce qu’ils ont mal compris et gâté par l’ignorance, la présomption les faisant aussitôt trancher à tort et à travers sur les principes en des matières qu’ils ne connaissent pas. En voici des exemples. Et aussitôt, à certaines expressions continuellement sur les lèvres de ceux qui croient à la doctrine chrétienne, il en oppose d’autres tirées des philosophes ; il prétend que celles des doctrines dont il reconnaît la beauté chez les chrétiens ont été exprimées avec plus de beauté et de clarté chez les philosophes ; il veut par là entraîner à la philosophie ceux que captivent ces doctrines par elles-mêmes resplendissantes de beauté et de piété. Mais terminons ici même ce cinquième livre, et commençons le sixième avec le passage qui suit. LIVRE V

Celse cite un autre passage de la Lettre de Platon: « Si j’avais jugé qu’on dût l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public, qu’aurais-je pu accomplir de plus beau dans ma vie que de rendre à l’humanité le grand service de l’écrire et de mettre pour tous en lumière le fond des choses ? » Qu’on me permette de le discuter brièvement. D’abord, Platon a-t-il eu oui ou non une doctrine plus sage que celle qu’il a écrite et plus divine que celle qu’il a laissée, je laisse à chacun le soin de le rechercher de son mieux. Mais je montre que nos prophètes aussi ont eu dans l’esprit des pensées trop élevées pour être écrites et qu’ils n’ont pas écrites. Ainsi, Ézéchiel prend « un volume roulé, écrit au recto et au verso, où étaient des lamentations, des gémissements et des plaintes » et, sur l’ordre du Logos il mange le livre, afin qu’il ne soit ni transcrit ni livré aux indignes. Et il est rapporté que Jean a vu et fait des choses semblables. De plus, Paul « entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer ». Jésus, qui leur est supérieur à tous, comme il est dit, « expliquait à ses disciples en particulier » la parole de Dieu, surtout dans la solitude ; mais ses paroles n’ont pas été écrites. C’est qu’ils n’ont pas jugé devoir l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public. Et s’il n’est pas outrecuidant de dire la vérité sur de tels génies, j’affirme que, recevant leurs pensées par une grâce de Dieu, ils voyaient mieux que Platon ce qu’on devait écrire et comment l’écrire et ce qu’on ne devait absolument pas écrire pour le grand public, ce qu’on devait dire et ce qui était d’un autre ordre. C’est encore Jean qui nous enseigne la différence entre ce qu’on doit écrire et ce qu’on ne doit pas écrire, quand il dit avoir entendu sept tonnerres l’instruire de certains points, mais lui interdire de transmettre leurs paroles par écrit. LIVRE VI

Il est vrai qu’il s’agit là d’une opinion ancienne ; mais non, comme le croit Celse, que l’ancienneté de cette distinction remonte à Héraclite et à Platon. Avant eux, les prophètes avaient distingué chacune des deux sagesses. Il suffit pour le moment de citer, parmi les paroles de David, celle qui a trait au sage inspiré par la divine sagesse : « Même s’il voit mourir les sages, il ne verra pas la corruption. » Aussi, la sagesse divine, qui diffère de la foi, est le premier de ce qu’on appelle les charismes de Dieu. Après elle le second, aux yeux de ceux qui ont une science précise en ce domaine, est ce qu’on appelle la connaissance. Et le troisième est la foi, puisqu’il faut que soient sauvés même les plus simples qui s’adonnent de leur mieux à la pitié. LIVRE VI

S’il en est qui, n’ayant pu voir clairement, dans leur simplicité, la doctrine de l’humilité, se livrent à de pareilles pratiques, il ne faut pas mettre en cause l’Évangile, mais pardonner à la simplicité de ces gens qui, avec les meilleures intentions, n’arrivent point à les réaliser à cause de leur naïveté même. Plus que le sage humble et rangé de Platon, est humble et rangé le juste : rangé, parce qu’il marche dans des chemins sublimes et admirables qui le dépassent ; humble, parce que, tout en suivant ces chemins, il s’humilie volontairement, non sous un homme quelconque, mais « sous la puissante main de Dieu », grâce à Jésus qui enseigne ces doctrines : « Il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais s’anéantit lui-même, prenant condition de serviteur », « et s’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix. » Telle est la grandeur de la doctrine de l’humilité que, pour nous l’enseigner, nous n’avons pas n’importe quel maître, mais notre puissant Sauveur lui-même qui déclare : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. » LIVRE VI

Celse aurait dû le savoir : ceux qui ont pris le parti du serpent, comme ayant donné un bon conseil aux premiers hommes, et qui ont dépassé ainsi les Géants et les Titans de la fable, d’où leur est venu le nom d’Ophites, sont si loin d’être chrétiens qu’ils ne sont pas moins des accusateurs de Jésus que lui, et que personne n’est admis à leur assemblée sans avoir au préalable maudit Jésus. Voilà bien le comble de l’illogisme de Celse dans son Discours contre les chrétiens : prendre pour des chrétiens ceux qui n’acceptent même pas d’entendre le nom de Jésus, fût-ce à titre de sage vertueux ! Peut-on trouver sottise plus délirante que la leur pour s’être prévalu du nom du serpent comme du chef des honnêtes gens, et même que la sottise de Celse pour avoir pensé que ses accusations contre les Ophites valaient contre les chrétiens ? Jadis le philosophe grec qui aima la pauvreté et donna le modèle d’une vie vertueuse pour prouver que l’extrême pauvreté n’empêche pas le bonheur se proclama lui-même Cynique. Mais ces impies mettent leur gloire à être appelés Ophites, tirant leur nom du serpent, l’ennemi des hommes le plus redoutable ; c’est à croire qu’ils sont non pas des hommes dont le serpent est l’ennemi, mais des serpents eux-mêmes ; et ils célèbrent un certain Euphratès comme l’initiateur de leurs doctrines sacrilèges. LIVRE VI

Si elle fait défaut à quelqu’un c’est pour sa négligence à recevoir le pain vivant et la boisson véritable : nourri et désaltéré par eux, l’être ailé se restaure, suivant le mot de Salomon le très sage sur le véritable riche : « Il s’est fait les ailes comme l’aigle et s’en retourne vers la maison de son Seigneur. » Car il fallait que Dieu, qui sait utiliser pour le bien même les conséquences de la malice, assignât quelque place dans l’univers aux êtres à ce point méchants, et instituât une arène pour la vertu, destinée à ceux qui désirent lutter « selon les règles » pour la reconquérir ; il entendait que, après avoir été éprouvés par la malice des démons comme l’or par le feu, après avoir tout fait pour éviter la moindre dégradation de leur nature raisonnable, ils se révèlent dignes de monter jusqu’aux réalités divines et soient élevés par le Logos à la béatitude qui surpasse tout et, si j’ose dire, au sommet des biens. LIVRE VI

De plus, si les philosophes du Portique, qui affirment que la vertu est la même chez l’homme et chez Dieu, nient que le Dieu suprême soit plus heureux que leur sage parmi les hommes, quand ils font goûter à l’un et à l’autre une égale félicité, de leur opinion Celse ne rit ni ne se moque. LIVRE VI

Si Apollon de Delphes était le dieu que croient les Grecs, qui devait-il choisir comme prophète sinon un sage ou, à son défaut, un homme en progrès vers la sagesse ? Pourquoi ne choisirait-il pas pour prophétiser un homme de préférence à une femme ? Et en admettant qu’il préférait le sexe féminin, parce qu’il n’avait peut-être ni pouvoir ni plaisir sinon dans le sein des femmes, comment ne devait-il pas choisir une vierge plutôt qu’une autre femme comme interprète de sa volonté ? Mais non ! Apollon le Pythien, admiré par la Grèce, n’a attribué à aucun sage ni même à aucun homme l’honneur de ce qui passe aux yeux des Grecs pour la possession divine. Et parmi les femmes, il n’a pas choisi une vierge ou une femme formée à la sagesse par la philosophie, mais une femme vulgaire. Peut-être les meilleurs des humains étaient-ils supérieurs à l’influence de son inspiration. De plus, si vraiment il était dieu, il devait employer la prescience pour amorcer, si j’ose dire, la conversion, la guérison, la réforme morale des hommes. Or l’histoire ne nous transmet de lui rien de tel : même quand il a dit que Socrate était le plus sage de tous les hommes, il émoussait l’éloge en ajoutant sur Sophocle et Euripide : « Sophocle est sage, mais Euripide encore plus sage. » LIVRE VI

Ainsi il décerne bien à Socrate la supériorité sur les poètes tragiques qualifiés par lui de sages, eux qui disputent un prix banal sur la scène et l’orchestre et provoquent chez les spectateurs tantôt des larmes et des lamentations, tantôt des rires malséants, car tel est le but du drame satirique. Mais il ne met pas en valeur la noblesse que confère la philosophie et la vérité, ni la louange que mérite cette noblesse. Et s’il a déclaré Socrate le plus sage des hommes, c’est peut-être moins pour sa philosophie que pour les sacrifices et les fumets de graisse qu’il lui avait offerts ainsi qu’aux autres démons. LIVRE VI

Les prophètes, suivant la volonté de Dieu, ont dit sans aucun sens caché tout ce qui pouvait être compris d’emblée par les auditeurs comme utile et profitable à la réforme des m?urs. Mais tout ce qui était plus mystérieux et plus secret, relevant d’une contemplation qui dépasse l’audience commune, ils l’ont fait connaître sous forme d’énigmes, d’allégories, de « discours obscurs », de « paraboles ou proverbes » ; et cela, afin que ceux qui ne renâclent pas devant l’effort, mais supportent tout effort pour l’amour de la vertu et de la vérité, après avoir cherché trouvent, après avoir trouvé se conduisent comme la raison l’exige. Mais le noble Celse, comme irrité de ne pas comprendre ces paroles prophétiques, en vint à l’injure : A ces outrecuidances, ils ajoutent aussitôt des termes inconnus, incohérents, totalement obscurs, dont aucun homme raisonnable ne saurait découvrir la signification tant ils sont dépourvus de clarté et de sens, mais qui fournissent en toute occasion à n’importe quel sot ou charlatan le prétexte de se les approprier dans le sens qu’il désire. Voilà, à mon avis, des propos de fourbe, dits pour détourner autant qu’il pouvait les lecteurs des prophéties d’en rechercher et d’en examiner le sens : disposition analogue à celle que dénote la question posée au sujet d’un prophète venu prédire l’avenir : « Qu’est allé faire chez toi cet insensé ? » Il est sans doute des raisons bien au-dessus de mes capacités pour établir que Celse ment et que les prophéties sont inspirées de Dieu. Je n’en ai pas moins tâché de le faire dans la mesure où je le pouvais, en expliquant mot à mot les termes incohérents et totalement obscurs, comme les qualifie Celse, dans mes Commentaires d’Isaïe, d’Ézéchiel et de quelques-uns des Douze. Et si Dieu permet d’avancer dans sa Parole, au moment où il voudra, viendront s’ajouter aux commentaires déjà cités sur ces auteurs ceux de tout le reste ou du moins ce que je parviendrai à élucider. Mais il y en a d’autres qui, désireux d’examiner l’Écriture et possédant l’intelligence, sauraient en découvrir la signification. Elle est vraiment dépourvue de clarté en bien des endroits, mais nullement dépourvue de sens, comme il dit. Il est non moins faux qu’un sot ou un charlatan puisse les éclaircir et se les approprier dans le sens qu’il désire. Seul, le véritable sage dans le Christ peut expliquer tout l’enchaînement des passages prophétiques qui ont un sens caché, en « comparant les choses spirituelles aux spirituelles » et en interprétant d’après le style habituel des Écritures tout ce qu’il découvre. LIVRE VI

Dès lors, ce qu’on a fait à Jésus, si l’on considère la divinité qui est en lui, n’est pas contraire à la piété et ne répugne point à la notion de la divinité. Par ailleurs, en tant qu’homme, plus orné que tout autre par la participation la plus élevée au Logos en personne et à la Sagesse en personne, il a supporté en sage parfait ce que devait supporter celui qui accomplit tout en faveur de toute la race des hommes ou même des êtres raisonnables. Et il n’est nullement absurde que l’homme soit mort et que sa mort non seulement soit un exemple de la mort subie pour la religion, mais encore qu’elle commence et poursuive la ruine du Mauvais, le Diable, qui s’était attribué toute la terre. Cette ruine est attestée par ceux qui de toutes parts, grâce à l’avènement de Jésus, échappent aux démons qui les tenaient assujettis et, libérés de cet esclavage qui pesait sur eux, se vouent à Dieu et à la piété envers lui, laquelle, selon leurs forces, devient plus pure de jour en jour. LIVRE VI

Après quoi Celse en vient à une objection à propos de la sagesse. Il croit que, d’après l’enseignement de Jésus, il n’y a pas d’accès auprès du Père pour le sage. Répliquons lui : pour quel sage ? S’il s’agit de l’homme ainsi qualifié pour la sagesse dite de ce monde, qui est folie « devant Dieu », nous aussi nous dirons qu’il n’y a pas d’accès auprès du Père pour un tel sage. Mais si par sagesse on comprend le Christ, puisque le Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu», non seulement nous dirons qu’il y a pour un tel sage accès auprès du Père, mais encore nous affirmons : l’homme gratifié du charisme nommé « discours de sagesse », communiqué par l’Esprit, l’emporte de beaucoup sur ceux qui ne le sont pas. LIVRE VI

De plus, comme il y a une demeure terrestre de la tente, qui est nécessaire en quelque sorte à la tente, les Écritures déclarent que la demeure terrestre de la tente sera détruite, mais que la tente revêtira « une demeure qui n’est pas faite de main d’homme, éternelle dans le ciel ». Et les hommes de Dieu disent : « Cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité », qui est différente de ce qui est incorruptible, « cet être mortel revêtira l’immortalité », qui est autre que ce qui est immortel. En effet, le même rapport que la sagesse a avec ce qui est sage, la justice avec ce qui est juste, la paix avec ce qui est pacifique, existe également entre l’incorruptibilité et ce qui est incorruptible, entre l’immortalité et ce qui est immortel. Vois donc à quoi nous exhorte l’Écriture en disant que nous revêtirons l’incorruptibilité et l’immortalité ; comme des vêtements pour celui qui en a été revêtu et qui en est entouré, elles ne permettent pas que celui qui en est enveloppé subisse la corruption ou la mort. Voilà ce que j’ai osé dire parce qu’il n’a pas compris ce qu’on entend par la résurrection, et qu’il en prend occasion pour tourner en dérision une doctrine qu’il ne connaît pas. LIVRE VI

Pour répondre à sa prosopopée qui nous attribue des paroles que nous dirions pour défendre la résurrection de la chair, je dirai d’abord : l’habileté d’un auteur de prosopopée est de maintenir l’intention et le caractère habituel du personnage mis en scène ; son défaut, d’attribuer à celui qui parle des expressions en désaccord avec son personnage. Deux catégories d’auteurs méritent pareillement la critique : d’abord, ceux qui attribuent dans une prosopopée à des barbares, des gens incultes, des esclaves, qui n’ont jamais entendu de raisonnements philosophiques et ne savent pas correctement les articuler, une philosophie que connaît peut-être l’auteur, mais qu’on ne peut sans invraisemblance supposer connue du personnage mis en scène ; ensuite, ceux qui attribuent à des gens présentés comme des sages versés dans les choses divines les paroles dites par des gens incultes sous l’influence des passions vulgaires ou dictées par l’ignorance. Aussi l’un des nombreux titres d’Homère à l’admiration est d’avoir maintenu les personnages des héros tels qu’il les avait proposés au début : par exemple Nestor, Ulysse, Diomède, Agamemnon, Télémaque, Pénélope ou l’un des autres. Mais Euripide est bafoué par Aristophane comme discourant à contretemps, pour avoir souvent prêté à des femmes barbares ou esclaves l’expression de doctrines tirées par lui d’Anaxagore ou d’un autre sage. LIVRE VI

Celse n’a donc pas expliqué comment l’erreur accompagne la génération, ni montré ce qu’il voulait dire pour que nous le comprenions en confrontant ses idées avec les nôtres. Mais les prophètes suggèrent une sage doctrine sur le sujet de la génération : ils disent qu’un sacrifice « pour le péché » est offert même pour les nouveau-nés, parce qu’ils ne sont pas purs de péché. LIVRE VI

Eh bien, voyons ce qu’il déclare ensuite : Tenons-nous en là ! Ils ne peuvent tolérer la vue des temples, des autels, des statues. Mais les Scythes non plus, ni les Nomades de Libye, ni les Sères, peuple sans dieu, ni d’autres nations sans foi ni loi. C’est aussi le sentiment des Perses, ainsi que le rapporte Hérodote : « Les Perses, à ma connaissance, observent les coutumes suivantes: ils n’ont pas l’usage d’élever des statues, ni des temples, ni des autels ; au contraire, ils taxent de folie ceux qui le font ; la raison en est, à mon avis, qu’ils n’ont jamais pensé, comme les Grecs, que les dieux soient de même nature que les hommes. » Bien plus, voici à peu près ce que déclare Héraclite : « Et encore ces statues qu’ils prient, comme si l’on bavardait avec des maisons. Ils ne savent rien de la vraie nature des dieux et des héros. » Que nous enseignent-ils donc de plus sage qu’Héraclite ? Lui, du moins, insinue qu’il est stupide de prier les statues quand on ne connaît pas la vraie nature des dieux et des héros. LIVRE VI

Si toutefois les fêtes publiques, qui ne sont telles que de nom, ne présentent aucune raison démonstrative qu’elles s’harmonisent avec le culte offert à la divinité, s’il était prouvé au contraire qu’elles sont des inventions de gens qui les ont instituées d’aventure en relation avec des événements historiques ou des théories naturalistes sur l’eau, la terre, les fruits qu’elle semble produire, il est clair que, pour qui veut honorer la divinité avec le soin requis, il sera raisonnable de s’abstenir de prendre part aux fêtes publiques. En effet, comme dit excellemment un sage grec : « Célébrer une fête n’est rien d’autre que de faire son devoir. » Et c’est même célébrer la fête selon la vérité que de faire son devoir en priant toujours, en ne cessant pas d’offrir à la divinité les sacrifices non sanglants dans les prières. Pour cette raison, je trouve magnifique le mot de Paul : « Vous observez les jours, les mois, les saisons, les années ? J’ai bien peur pour vous d’avoir peut-être chez vous perdu ma peine. » LIVRE VIII

Considérons cet autre passage de Celse : Quoi ! Le satrape, le gouverneur, le général, le procurateur du roi de Perse ou de l’empereur de Rome, voire ceux qui exercent les charges, offices ou services inférieurs, auraient le pouvoir de causer de graves dommages si on les néglige, tandis que les satrapes et ministres de l’air ou de la terre n’en causeraient que de légers si on les outrage ? Vois donc de quelle façon il représente comme auteurs de graves dommages pour ceux qui les outragent des ministres humains du Dieu suprême : satrapes, gouverneurs, généraux procurateurs et ceux qui exercent des charges, offices et services inférieurs ! Il ne voit pas que même un homme sage ne voudrait nuire à quiconque, mais ferait son possible pour convertir et améliorer jusqu’à ceux qui l’outragent. A moins peut-être que ceux que Celse présente comme les satrapes, gouverneurs, généraux du Dieu suprême ne soient pires que Lycurgue, législateur de Lacédémone, et Zénon de Cittium ! Car Lycurgue, ayant en son pouvoir l’homme qui lui avait crevé un oeil, non seulement ne se vengea pas, mais ne cessa de l’amadouer jusqu’à ce qu’il l’ait persuadé de se mettre à l’étude de la philosophie. De même Zénon : quelqu’un lui disait : « Que je meure si je ne tire vengeance de toi ! » Il répondit : « Et moi, si je ne gagne ton amitié ! » Et je ne dis rien encore de ceux qui ont été formés par l’enseignement de Jésus et qui ont entendu le commandement : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui cherchent à vous nuire, afin de devenir fils de votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, pleuvoir sur les justes et les injustes. » Et dans les paroles du prophète, le juste dit : « Seigneur, si j’ai fait cela, si j’ai commis de mes mains l’injustice, si j’ai rendu aux autres le mal qu’ils me causaient, que je tombe alors impuissant devant les ennemis ; que l’ennemi alors poursuive mon âme et l’atteigne, et qu’il foule à terre ma vie » LIVRE VIII