prudence (Orígenes)

Qu’ils répondent alors, ceux qui refusent de croire que Jésus est mort sur la croix pour les hommes. Est-ce qu’ils rejetteront aussi les multiples histoires, grecques et barbares, de personnes mortes pour le bien public, afin de détruire les maux qui s’étaient emparés des villes et des peuples ? Ou bien diront-ils ces faits réels, mais absolument invraisemblable la mort de cet homme — ainsi le jugent-ils — pour la destruction du grand démon, prince des démons, qui avait asservi toutes les âmes humaines venues sur terre ? Mais les disciples de Jésus en sont témoins, ainsi que d’autres choses en plus grand nombre qu’ils ont probablement apprises de Jésus en secret, en outre, ils furent remplis d’une certaine puissance, lorsque leur donna « fougue et courage », non la vierge dont parle le poète, mais la véritable prudence et sagesse de Dieu, « pour qu’ils se distinguent entre tous », non seulement « les Argiens », mais tous les Grecs ensemble avec les barbares, et « remportent une noble gloire ». LIVRE I

De plus, explique qui voudra la manière dont, réparties en autant de gouvernements, les parties de la terre sont administrées par les puissances qui veillent sur elles ; qu’on nous apprenne encore comment ce qui est fait dans chaque nation est accompli avec rectitude si c’est de la manière agréée de ces puissances : si cette rectitude caractérise, par exemple, les lois des Scythes sur le parricide, ou celles des Perses n’interdisant le mariage ni des mères avec leurs fils, ni des pères avec leurs filles. A quoi bon rassembler les exemples des auteurs qui ont traité des lois des différents peuples, pour contester l’affirmation que dans chaque nation les lois sont accomplies , avec rectitude dans la mesure où elles agréent aux puissances tutélaires ? A Celse de nous dire l’impiété qu’il y aurait à enfreindre les lois traditionnelles pour qui épouser sa mère ou sa fille est permis, finir la vie par pendaison mérite la béatitude, se livrer aux flammes et quitter la vie par le feu obtient la purification parfaite. A lui de dire l’impiété qu’il y aurait à enfreindre les lois contraignant par exemple les habitants de la Tauride à offrir les étrangers comme victimes à Artémis, ou chez certaines tribus de Libye à sacrifier les enfants à Cronos. Mais dans la logique de l’opinion de Celse, il y a impiété pour les Juifs à enfreindre les lois traditionnelles interdisant de vénérer un autre dieu que le Créateur de l’univers. D’après lui, la piété serait divine non point par nature mais par convention et opinion ; car c’est pour les uns acte de piété d’honorer le crocodile et de manger des animaux adorés parmi d’autres tribus, et c’est un acte de piété chez d’autres de vénérer le veau, et chez d’autres de considérer le bouc comme un dieu. Et ainsi les actions d’un même individu seraient piété d’après telles lois, impiété d’après telles autres : ce qui est le comble de l’absurdité. On répliquera probablement : la piété consiste à garder les traditions, et il n’y a pas le moins du monde impiété à ne pas observer en outre celles des étrangers ; ou encore, bien que cela paraisse impie à certains d’entre eux, il n’y a pas impiété à honorer suivant les traditions ses propres divinités, et d’autre part à combattre et à dévorer celles des peuples dont les lois sont contraires. Mais vois si ce n’est pas faire preuve d’une grande confusion sur la justice, la piété et la religion, que de ne pas les définir ni leur assigner une nature propre permettant de caractériser comme des hommes religieux ceux qui leur conforment leur conduite. Si vraiment la religion, la piété, la justice sont choses si relatives que la même attitude soit pieuse ou impie suivant la diversité des conditions et des lois, ne s’ensuit-il pas que la tempérance aussi est relative, de même que le courage, la prudence, la science et les autres vertus : rien ne pourrait être plus absurde. LIVRE V

Après avoir tant insisté là-dessus, voyons encore un autre passage de Celse que voici : Les hommes naissent liés à un corps, soit en raison de l’économie de l’univers, soit en expiation de leur faute, soit parce que l’âme est chargée de passions jusqu’à ce qu’elle soit purifiée à des périodes déterminées. Car, selon Empédocle, il faut que « pendant mille ans erre loin des bienheureux l’âme des mortels changeant de forme avec le temps ». Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison. Observe ici encore qu’en de si graves questions, il hésite d’une manière bien humaine, et il fait preuve de prudence en citant les théories de nombreux auteurs sur la cause de notre naissance, sans oser affirmer que l’une d’elles soit fausse. Mais une fois décidé à ne pas donner son assentiment à la légère et à ne pas opposer un refus téméraire aux opinions des Anciens, ne parvenait-il pas à cette conséquence logique : s’il ne voulait pas croire à la doctrine des Juifs énoncée par leurs prophètes ni à Jésus, il devait rester hésitant et admettre comme probable que ceux qui ont rendu leur culte au Dieu de l’univers et qui, pour l’honneur qui lui est dû et pour l’observation des lois qu’ils croyaient tenir de lui, se sont exposés maintes fois à des dangers sans nombre et à la mort, n’ont pas encouru le mépris de Dieu, mais qu’une révélation leur a été faite à eux aussi : car ils ont dédaigné les statues produites par l’art humain et ont tâché de monter par le raisonnement jusqu’au Dieu suprême lui-même. Ils auraient dû considérer que le Père et Créateur commun de tous les êtres, qui voit tout, entend tout, et juge selon son mérite la détermination de quiconque à le chercher et à vouloir vivre dans la piété, accorde à ceux-là aussi le fruit de sa protection, pour qu’ils progressent dans l’idée de Dieu qu’ils ont une fois reçue. Réfléchissant sur ce point, Celse et ceux qui haïssent Moïse et les prophètes parmi les Juifs, Jésus et ses véritables disciples qui se dépensent pour sa parole, n’auraient pas insulté de la sorte Moïse et les prophètes, Jésus et ses apôtres. Ils ne mettraient pas les seuls Juifs au-dessous de toutes les nations de la terre, en les disant inférieurs même aux Égyptiens qui, par superstition ou toute autre cause ou erreur, ravalent autant qu’ils peuvent jusqu’à des animaux sans raison l’honneur qu’ils doivent à la divinité. LIVRE VIII