prophéties (Orígenes)

Et fort judicieusement, il ne reproche point à l’Evangile son origine barbare, car il a cet éloge : Les barbares sont capables de découvrir des doctrines. Mais il ajoute : Pour juger, fonder, adapter à la pratique de la vertu les découvertes des barbares, les Grecs sont plus habiles. Or voici ce que je peux dire, partant de son observation, pour défendre la vérité des thèses du christianisme : quiconque vient des dogmes et des disciplines grecs à l’Evangile peut non seulement juger qu’elles sont vraies, mais encore prouver, en les mettant en pratique, qu’elles remplissent la condition qui semblait faire défaut par rapport à une démonstration grecque, prouvant ainsi la vérité du christianisme. Mais il faut encore ajouter : la parole (divine) a sa démonstration propre, plus divine que celle des Grecs par la dialectique. Et cette démonstration divine, l’Apôtre la nomme « démonstration de l’Esprit et de la puissance » : « de l’Esprit », par les prophéties capables d’engendrer la foi chez le lecteur, surtout en ce qui concerne le Christ ; « de la puissance », par les prodigieux miracles dont on peut prouver l’existence par cette raison entre bien d’autres qu’il en subsiste encore des traces chez ceux qui règlent leur vie sur les préceptes de cette parole. LIVRE I

Voyons comment Celse qui se vante de tout savoir accuse calomnieusement les Juifs, quand il dit : “Ils honorent les anges et s’adonnent à la magie à laquelle les initia Moïse”. Où donc a-t-il trouvé dans les écrits de Moïse que le législateur ait prescrit d’honorer les anges, qu’il le dise, lui qui proclame savoir les doctrines des chrétiens et des Juifs ! De plus, comment la magie peut-elle exister chez ceux qui ont reçu la loi de Moïse et qui lisent : « N’ayez pas de commerce avec les magiciens, car ils vous souilleraient». » ? Il promet ensuite “qu’il enseignera comment les Juifs aussi, bernés par ignorance, sont tombés dans l’erreur”. S’il reconnaissait que l’ignorance des Juifs sur Jésus-Christ venait de leur refus d’écouter les prophéties à son sujet, il aurait vraiment montré comment les Juifs sont tombés dans l’erreur ; mais en fait, parce qu’il n’a même pas voulu se représenter cela, il prend pour une erreur des Juifs ce qui n’est pas une erreur. LIVRE I

Et ensuite, le signe est donné : « Voici : la Vierge va concevoir et enfanter un fils. » Or, quel signe y aurait-il si c’était une jeune fille non vierge qui enfante ? Et à laquelle sied-il mieux d’enfanter Emmanuel, Dieu avec nous : à la femme qui a eu des relations sexuelles et qui a conçu par passion féminine, ou à celle qui est encore pure, sainte et vierge ? C’est à celle-ci, bien sûr, qu’il convient d’enfanter un enfant à la naissance duquel il soit dit : « Dieu avec nous ». Et si, même dans ce cas, on continue à chicaner en disant que c’est à Achaz que s’adresseraient les mots : « Demande pour toi au Seigneur un signe », je répliquerai : Qui donc est né au temps d’Achaz, à la naissance duquel il soit dit « Emmanuel », « Dieu avec nous » ? Si l’on ne trouve personne, il est évident que la parole dite à Achaz l’est à la maison de David, car le Seigneur, d’après l’Écriture, est né « de la postérité de David selon la chair ». De plus, ce signe est dit être « dans la profondeur ou sur la hauteur », puisque « Celui qui est descendu, c’est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses ». Voilà ce que je dis à l’adresse du Juif qui donne son adhésion à la prophétie. A Celse ou à l’un de ses adeptes de dire dans quel état d’esprit le prophète fait du futur cette prédiction ou d’autres, écrites dans les prophéties : est-ce bien en prévoyant le futur, oui ou non ? Si c’est en prévoyant le futur, les prophètes avaient un esprit divin ; si ce n’est pas en prévoyant le futur, qu’il explique l’état d’esprit de celui qui ose parler de l’avenir et que les Juifs admirent pour sa prophétie ! LIVRE I

Après cela, je ne sais comment, le point capital de la démonstration de Jésus, à savoir qu’il a été prédit par les prophètes juifs, par Moïse et ceux qui lui ont succédé, voire par ceux qui l’ont précédé, est volontairement omis par lui, incapable qu’il était, je crois, de réfuter l’argument : car ni les Juifs, ni aucune de toutes leurs sectes n’ont nié que Jésus ait été prédit. Mais peut-être ne connaissait-il même pas les prophéties ; s’il avait compris ce qu’affirment les chrétiens, que de nombreux prophètes ont prédit la venue du Sauveur, il n’aurait pas attribué au personnage du Juif des paroles qui conviennent mieux à un Samaritain ou un Sadducéen. Et ce ne pourrait être un Juif, celui qui a dit dans son discours fictif : ” Mais mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait rendre justice aux saints et châtier les pécheurs “. Car ce n’est pas un prophète unique qui a prophétisé sur le Christ. Et même si les Samaritains et les Sadducéens, qui acceptent les seuls livres de Moïse, affirment que le Christ y est prophétisé, ce n’est certes point à Jérusalem, qui n’est pas encore nommée au temps de Moïse, que la prophétie a été dite. Plût donc au ciel que tous les accusateurs de l’Évangile soient d’une égale ignorance non seulement des faits, mais des simples textes de l’Écriture, et qu’ils attaquent le christianisme sans que leur discours ait la moindre vraisemblance capable d’éloigner, je ne dis pas de leur foi, mais de leur peu de foi, les gens instables qui croient ” pour un temps “. Mais un Juif ne proclamerait pas qu’un prophète a dit que le Fils de Dieu viendrait, car ce qu’ils disent, c’est que viendra le Christ de Dieu. Bien plus, souvent, ils nous posent directement des questions sur le titre de Fils de Dieu, disant qu’un tel être n’existe pas et n’a pas été prophétisé. Et je ne veux pas dire que le Fils de Dieu n’est pas prédit par les prophètes, mais que c’est faire une attribution en désaccord avec le personnage d’un Juif, incapable de rien dire de tel, que de lui prêter ce mot : « Mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait. » LIVRE I

Ensuite, comme s’il n’était pas le seul dont il est prophétisé qu’il rend la justice aux saints et châtie les pécheurs, comme s’il n’y avait aucune prédiction sur le lieu de sa naissance, la passion qu’il endurerait des Juifs, sa résurrection, les miracles prodigieux qu’il accomplirait, il dit : ” Pourquoi serait-ce à toi plutôt qu’à une infinité d’autres nés depuis la prophétie que s’appliquerait ce qui est prophétisé ? ” Je ne sais pourquoi il veut attribuer à d’autres la possibilité de conjecturer qu’ils sont eux-mêmes l’objet de cette prophétie, et ajoute : ” Les uns, fanatiques, les autres, mendiants, déclarent venir d’en haut en qualité de Fils de Dieu “. Je n’ai pas appris que ce soit un fait reconnu chez les Juifs. Il faut donc répondre d’abord que bien des prophètes ont fait des prédictions de bien des manières chez les Juifs sur le Christ : les uns en énigmes, les autres par allégorie ou autres figures, et certains même littéralement. Il déclare ensuite dans le discours fictif du Juif aux croyants de son peuple : Les prophéties rapportées aux événements de sa vie peuvent aussi bien s’adapter à d’autres réalités, et il le dit avec une habileté malveillante ; j’en exposerai donc quelques-unes entre beaucoup d’autres ; et à leur sujet, qu’on veuille bien dire ce qui peut contraindre à les renverser et détourner de la foi les croyants à l’intelligence prompte. LIVRE I

L’amour de la dispute et la prévention laissent difficilement regarder en face même les choses évidentes, de peur qu’il faille abandonner des doctrines qui ont imprégné ceux à qui elles sont devenues une sorte d’habitude et dont elles ont façonné l’âme. Il est encore plus aisé en d’autres domaines d’abandonner ses habitudes, même invétérées, qu’en matière de doctrines. Du reste, celles-là aussi, les habitués les négligent malaisément : ainsi abandonner maisons, villes, villages, compagnons habituels, n’est pas aisé à qui est prévenu en leur faveur. Ce fut donc la raison pour laquelle bien des Juifs de l’époque ne purent regarder en face dans leur évidence les prophéties et les miracles, ce que Jésus a fait et a souffert d’après l’Écriture. Que la nature humaine soit affligée de ce travers sera manifeste si l’on réfléchit à la difficulté qu’on éprouve à changer d’avis une fois prévenu, fût-ce en faveur des plus honteuses et des plus futiles traditions des ancêtres et des concitoyens. Il sera long par exemple d’inspirer à un Egyptien le mépris d’une de ses traditions ancestrales, de cesser de croire à la divinité de tel animal sans raison ou de se garder jusqu’à la mort de goûter à sa chair. Si j’ai longuement examiné ce point et détaillé l’exposé du cas de Bethléem et la prophétie qui s’y rapporte, c’est que je pensais nécessaire de le faire pour répondre à l’objection : si telle était l’évidence des prophéties juives sur Jésus, pourquoi, à sa venue, n’a-t-on pas adhéré à son enseignement et ne s’est-on pas converti aux doctrines supérieures qu’il révélait ? Mais qu’on évite de faire pareil reproche à ceux d’entre nous qui croient, à la vue des raisons sérieuses de croire en Jésus présentées par ceux qui ont appris à les mettre en valeur. LIVRE I

Mais s’il est encore besoin, sur Jésus, d’une seconde prophétie évidente à nos yeux, nous citerons celle écrite par Moïse, bien des années avant la venue de Jésus. Il y affirme que Jacob, au moment de quitter la vie, adressa des prophéties à chacun de ses fils et dit entre autres à Juda : « Le prince ne s’éloignera pas de Juda, ni le chef, de sa race, jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être. » A la lecture de cette prophétie, en vérité bien plus ancienne que Moïse, mais qu’un incroyant suspecterait d’avoir Moïse comme auteur, on peut s’étonner de la manière dont Moïse a pu prédire que les rois des Juifs, alors qu’il y avait parmi eux douze tribus, sortiraient de la tribu de Juda et gouverneraient le peuple ; c’est la raison pour laquelle tous les hommes de ce peuple sont nommés Judéens, du nom de la tribu régnante. Un second motif d’étonnement, à une lecture judicieuse de la prophétie, est la manière dont, après avoir dit que les chefs et les princes du peuple seraient de la tribu de Juda, elle a fixé le terme de leur gouvernement en disant que le prince ne s’éloignerait pas de Juda, ni le chef, de sa race, « jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être, et il est lui-même l’attente des nations ». Il est venu, en effet, celui à qui il est réservé de l’être, le Christ de Dieu, « le prince » des promesses de Dieu. Manifestement seul, à l’exclusion de tous ceux qui l’ont précédé, j’oserais même dire et de ceux qui le suivront, il est « l’attente des nations », car, de toutes les nations, on a cru en Dieu par lui, et les nations ont espéré en son nom suivant la parole d’Isaïe : « En son nom espéreront les nations. » Et à « ceux qui sont dans les fers », suivant que « chaque homme est serré dans les liens de ses péchés », il dit : « Echappez-vous », et à ceux qui sont dans l’ignorance : venez à la lumière, en accomplissement de la prophétie : « Je t’ai donné pour une alliance des nations, pour relever le pays, pour hériter de l’héritage dévasté, disant à ceux qui sont dans les fers : Echappez-vous, et à ceux qui sont dans les ténèbres : Apparaissez à la lumière.» Et on peut voir, à son avènement, réalisé par ceux qui croient avec simplicité dans tous les lieux de la terre, l’accomplissement de cette parole : « Et sur toutes les routes ils paîtront, et sur toutes les hauteurs seront leurs pâturages. » LIVRE I

Je me rappelle avoir un jour, dans un débat avec des hommes réputés savants chez les Juifs, cité ces prophéties. A quoi le Juif répliqua que ces prédictions visaient comme un individu l’ensemble du peuple, dispersé et frappé pour que beaucoup de prosélytes fussent gagnés à l’occasion de la dispersion des Juifs parmi les autres peuples. Ainsi interprétait-il les mots : « Ta forme sera méprisée par les hommes », « ceux qui n’avaient pas reçu de message sur lui verront », « homme dans la calamité ». J’amenais donc alors plusieurs arguments dans le débat, pour prouver qu’on n’a aucune raison d’appliquer à l’ensemble du peuple ces prophéties qui visent un seul individu. Je demandais à quel personnage attribuer la parole : « C’est lui qui porte nos péchés et endure pour nous les douleurs », « Il a été blessé à cause de nos péchés, affaibli à cause de nos iniquités » ; et à quel personnage attribuer la parole : « Par ses meurtrissures nous avons été guéris ». Ce sont manifestement des paroles de ceux qui ont vécu dans leurs péchés et ont été guéris par la passion du Sauveur, qu’ils fassent partie de ce peuple ou des Gentils : le prophète les avait prévues et les leur avait attribuées par l’action du Saint-Esprit. Mais j’ai paru élever la plus grande difficulté avec le texte : « Par les iniquités de mon peuple il a été conduit à la mort. » Car si l’objet de la prophétie, selon eux, est le peuple, comment dit-on qu’il est conduit à la mort « par les iniquités du peuple » de Dieu, s’il n’est autre que le peuple de Dieu ? Qui est-ce donc sinon Jésus-Christ par les meurtrissures de qui nous avons été guéris, nous qui croyons en lui, lorsqu’il a dépouillé les principautés et les puissances, faisant d’elles l’objet de la dérision publique sur la croix ? Mais développer chacun des points contenus dans la prophétie et n’en laisser aucun sans examen est pour une autre circonstance. Voilà des considérations assez longues, nécessitées, je pense, par le passage que j’ai cité du Juif de Celse. LIVRE I

Mais il a échappé à Celse, à son Juif, à tous ceux qui ne croient pas en Jésus, que les prophètes parlent de deux avènements du Christ : le premier, tout de souffrances humaines et d’humilité, permettant au Christ, vivant au milieu des hommes, d’enseigner la route qui mène à Dieu, sans laisser à personne, durant la vie, l’excuse qu’il ignore le jugement à venir ; le second, uniquement glorieux et divin, sans aucun mélange d’infirmité humaine à sa divinité. Il serait trop long de citer les prophéties ; il suffira pour l’instant du psaume quarante-quatrième, qui, entre autres choses, porte le titre de « chant du bien-aimé ». Le Christ y est manifestement proclamé Dieu dans ces paroles : « La grâce a été répandue sur tes lèvres, c’est pourquoi Dieu t’a béni à jamais. Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta jeunesse et ta beauté élance-toi, avance avec succès et règne, pour la vérité, la douceur et la justice, et ta droite t’ouvrira une voie miraculeuse. Tes traits sont aiguisés, héros, les peuples tomberont au-dessous de toi dans le coeur des ennemis du roi. » Mais observe avec soin la suite où Dieu est nommé : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais ; le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture. Tu as aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction de l’huile d’allégresse, comme à nul de tes compagnons. » Note que le prophète s’adresse à un Dieu dont « le trône est pour toujours et à jamais » et que « le sceptre de sa royauté est un sceptre de droiture » ; il déclare que ce Dieu a reçu l’onction d’un Dieu qui était son Dieu et qui lui a donné l’onction parce que, « plus que ses compagnons », « il a aimé la justice et haï l’iniquité ». Et je me rappelle même avoir, par cette parole, mis dans une grande difficulté le Juif considéré comme savant. Embarrassé pour donner une réponse en harmonie avec son judaïsme, il dit : c’est au Dieu de l’univers que s’adressent : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais, et le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture », mais au Christ : « Tu as aimé la justice et haï l’iniquité, c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction » etc. LIVRE I

Je dirai donc aux Grecs : les mages ont commerce avec les démons et les invoquent selon leur art et leurs desseins. Ils réussissent tant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons et l’incantation qui les évoque n’apparaît pas ou n’est pas prononcée. Mais s’il survient une manifestation plus divine, sont détruites les puissances des démons, incapables de résister à la lumière de la divinité. Il est donc vraisemblable aussi qu’à la naissance de Jésus, lorsqu’« une troupe nombreuse de l’armée céleste », ainsi que l’écrivit Luc et que j’en suis persuadé, loua Dieu et dit : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, paix sur la terre, et bienveillance divine chez les hommes » ! », de ce fait, les démons perdirent leur vigueur et leur force ; leur magie fut confondue et leur pouvoir cessa ; ils furent ruinés non seulement par la venue des anges à l’entoure de la terre pour la naissance de Jésus, mais encore par l’âme de Jésus et la divinité présente en lui. Aussi les mages, voulant accomplir comme auparavant leurs habituelles incantations et sorcelleries et n’y parvenant pas, en recherchèrent-ils la cause dont ils comprenaient l’importance. A la vue du signe céleste, ils désirèrent voir ce qu’il signalait. A mon sens donc, en possession des prophéties de Balaam rapportées par Moïse, lui aussi expert en cet art, ils y trouvèrent à propos de l’étoile ces mots : « Je lui montrerai, mais non maintenant ; je le félicite, mais il n’approchera pas. » Ils conjecturèrent que l’homme prédit avec l’étoile était venu à la vie, et, l’accueillant comme supérieur à tous les démons et aux êtres qui d’habitude leur apparaissaient et manifestaient leur puissance, ils voulurent « l’adorer ». Ils vinrent donc en Judée parce qu’ils étaient persuadés qu’un roi était né, mais sans savoir la nature de sa royauté, et parce qu’ils connaissaient le pays où il naîtrait. Ils apportaient « des présents » qu’ils offrirent comme à quelqu’un qui tienne à la fois, pour ainsi dire, de Dieu et de l’homme mortel, et des présents symboliques : l’or comme à un roi, la myrrhe comme à un être mortel, l’encens comme à un Dieu ; ils les « offrirent » après s’être informés du lieu de sa naissance. Mais puisqu’il était Dieu, ce Sauveur du genre humain élevé bien au-dessus des anges qui secourent les hommes, un ange récompensa la piété des mages à adorer Jésus, et les avertit de ne pas aller vers Hérode, mais de retourner chez eux par un autre chemin. LIVRE I

Il dit encore : “Beaucoup d’autres auraient pu paraître tels que Jésus à ceux qui consentaient à être dupes.” Que le Juif de Celse montre donc non pas beaucoup, ni même quelques-uns, mais un seul homme tel que Jésus qui, par la puissance qui est en lui a introduit dans l’humanité une doctrine et des dogmes bienfaisants, et a converti les hommes du flot de péchés ! Il poursuit : “Ceux qui croient au Christ font un grief aux Juifs de n’avoir pas cru que Jésus était Dieu”. Sur ce point, j’ai répliqué d’avance ci-dessus, en montrant à la fois comment nous pensons qu’il est Dieu, et en quoi nous disons qu’il est homme. Il poursuit : “Mais comment, après avoir enseigné à tous les hommes l’arrivée de celui qui viendrait de la part de Dieu punir les injustes, l’aurions-nous, après sa venue, indignement traité ?” Répondre à cette attaque qui est fort sotte ne me semble pas raisonnable. Elle équivaut à dire : comment, nous qui avons enseigné la tempérance, aurions-nous fait quelque chose de licencieux ou nous qui prétendons à la justice, aurions-nous été coupables d’injustice ? De même que ces inconséquences se trouvent chez les hommes, il était humain aussi que des gens qui affirmaient croire aux prophètes annonçant la venue du Christ aient refusé de croire en lui quand il fut venu conformément aux prophéties. LIVRE II

Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II

Pour faire comprendre ce point, je citerai, de l’Écriture, les prophéties qui concernent Judas et la prescience que notre Sauveur avait de sa trahison, et, de l’histoire grecque, la réponse de l’oracle a Laios, en admettant son authenticité pour l’instant, puisqu’elle n’affecte pas le raisonnement. Or, à propos de Judas, le Sauveur est représenté, dans le psaume cent-huitième, disant « O dieu, ne cesse de parler à ma louange, car la bouche du méchant et la bouche du trompeur s’est ouverte contre moi ». Précisément, si l’on considère la teneur du psaume, on découvrira que Judas connu d’avance comme celui qui trahirait le Sauveur, l’est également comme responsable de la trahison et digne, par sa méchanceté, des malédictions que contient la prophétie. Qu’il les encoure, en effet, dit le Psaume, « parce qu’il oublia d’exercer la miséricorde, et persécuta le pauvre et l’indigent ». Donc, il aurait pu se souvenir « d’exercer la miséricorde » et de ne pas persécuter celui qu’il persécuta , mais bien qu’il l’ait pu, loin de le faire, il a trahi, en sorte qu’il mérite les malédictions que la prophétie contient contre lui. Et, à l’adresse des Grecs, je citerai l’oracle à Laios, rendu de la manière suivante, que le poète tragique le rapporte littéralement ou d’une façon équivalente , voici donc ce que lui dit l’homme qui a prévu l’avenir « Garde-toi d’ensemencer, malgré les dieux, le sillon générateur ! Si tu procrées un fils, cet enfant te tuera et ta maison entière s’abîmera dans le sang ». Là encore donc il est clair qu’il était possible à Laios de ne pas ensemencer « le sillon générateur » car l’oracle ne lui aurait pas ordonne une chose impossible. Mais il était possible également d’ensemencer Et ni l’un ni l’autre ne s’imposait nécessairement Et parce qu’il ne s’est point garde d’ensemencer « le sillon générateur », le résultat fut que pour avoir ensemencé, il souffrit les désastres tragiques d’?dipe, de Jocaste et de leurs enfants. LIVRE II

Et comme, après cela, le Juif de Celse fait ce reproche ” Les chrétiens citent les prophètes qui ont prédit l’histoire de Jésus “, j’ajouterai à ce que j’ai dit plus haut il aurait dû, s’il traite les hommes avec ménagement comme il l’assure, citer les prophéties elles mêmes et, après avoir plaide leurs vraisemblances, proposer ce qui lui aurait paru être une réfutation des textes prophétiques. Il eût ainsi évité l’apparence de trancher en sa faveur un sujet de cette importance en si peu de mots. D’autant plus qu’il ajoute ” Il en est une infinité d’autres auxquels les prophétie peuvent s’adapter avec bien plus de vraisemblance qu’a Jésus ” Il aurait dû, précisément, s’opposer avec soin à cette démonstration qui a conquis les chrétiens par sa force sans égale, expliquer, à chaque prophétie, comment elle peut s’adapter à d’autres avec bien plus de vraisemblance qu’a Jésus. Mais il n’a pas compris que s’il y avait là une objection plausible contre les chrétiens, elle serait peut-être plausible de la part d’hommes étrangers aux écrits prophétiques , mais Celse attribue au personnage de son Juif ce qu’un Juif n’eût jamais dit. Car un Juif n’admettra pas qu’il y en ait une infinité à qui les prophéties peuvent s’adapter avec bien plus de vraisemblance qu’à Jésus , mais donnant sur chacune l’explication qui lui paraît bonne, il s’efforcera de se dresser contre l’interprétation des chrétiens , non certes qu’il présente des arguments convaincants, mais il s’efforce de le faire LIVRE II

Je l’ai déjà dit plus haut les prophéties envisagent un double avènement du Christ au genre humain. Aussi n’est-il plus besoin que je réponde a l’objection mise dans la bouche du Juif. ” C’est un grand prince, seigneur de toute la terre, de toutes les nations et armées qui doit venir, disent les prophètes “. Et à la manière des Juifs, je pense, laissant libre cours à leur bile pour invectiver Jésus sans preuve ni argument plausible, il ajoute ” Mais ils n’ont pas annoncé cette peste “. Pourtant ni Juifs, ni Celse, ni personne d’autre ne pourraient établir avec preuve à l’appui qu’une peste convertisse tant d’hommes du débordement des vices à la vie conforme a la nature dans la pratique de la tempérance et de toutes les autres vertus Celse lance encore cette attaque ” Personne ne prouve une divinité ou une filiation divine par de si faibles indices mêlés d’histoires fausses et d’aussi médiocres témoignages “. Mais il lui fallait citer ces histoires fausses et les réfuter, établir rationnellement la médiocrité des témoignages il aurait pu alors, aux déclarations semblant plausibles du chrétien, s’efforcer de les combattre et de renverser l’argument. Son affirmation que Jésus serait grand s’est bien vérifiée, mais il n’a pas voulu voir qu’elle s’était vérifiée, comme l’évidence le prouve de Jésus ” Comme le soleil qui illumine toutes les autres choses se montre d’abord lui-même, ainsi aurait dû faire le Fils de Dieu “, dit-il. Or on peut dire qu’il l’a vraiment fait. Car la parole « En ces jours s’est levée la justice, et l’abondance de la paix » commença a se réaliser dés sa naissance Dieu préparait les nations à recevoir son enseignement, en les soumettant toutes au seul empereur de Rome, et en empêchant que l’isolement des nations dû a la pluralité des royautés ne rendît plus difficile aux apôtres l’exécution de l’ordre du Christ « Allez, de toutes les nations faites des disciples» » Il est manifeste que Jésus est né sous le règne d’Auguste qui avait pour ainsi dire réduit à une masse uniforme, grâce à sa souveraineté unique, la plupart des hommes de la terre. L’existence de nombreux royaumes eût été un obstacle à la diffusion de l’enseignement de Jésus par toute la terre non seulement pour la raison déjà dite, mais encore à cause de la contrainte imposée aux hommes de tous les lieux de prendre les armes et de faire la guerre pour défendre leurs patries. La chose s’était produite avant les jours d’Auguste et même encore auparavant, quand il fallut, par exemple, que se déchaînât la guerre entre les habitants du Péloponnèse et ceux d’Athènes, et à leur suite, d’autres nations entre elles. Comment donc cet enseignement pacifique, qui ne permet pas de tirer vengeance même des ennemis, eut-il pu triompher, si la situation de la terre, à l’avènement de Jésus, n’eût été partout changée en un état plus paisible. LIVRE II

A sa question ” Pourquoi donc, s’il ne l’a pas fait avant, du moins maintenant ne manifeste-t-il pas quelque chose de divin, ne se lave-t-il pas de cette honte, ne se venge-t-il de ceux qui l’outragent lui et son Père ? “, il faut répondre que c’est équivalemment poser aux Grecs qui admettent la Providence et acceptent l’existence de signes divins, la question : pourquoi enfin Dieu ne punit-il pas ceux qui outragent la divinité et qui nient la Providence ? Car si les Grecs ont une réponse à cette objection, nous aussi nous en aurons une semblable et même supérieure. Mais il y eut bien un signe divin venu du ciel, l’éclipse de soleil, et les autres miracles . preuves que le crucifié avait quelque chose de divin et de supérieur au commun des hommes. Celse continue :” Que déclare-t-il même lorsque son corps est fixé à la croix ? Son sang est-il l’ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ? “. Le voilà donc qui badine. Mais nous, grâce aux Evangiles qui, quoi que prétende Celse, sont des écrits sérieux, nous établirons ceci l’ichôr de la fable et d’Homère ne s’écoula point de son corps, mais, alors qu’il était déjà mort, « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côte, et il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, son témoignage est véridique, et il sait qu’il dit vrai » Or, pour les autres cadavres, le sang est coagulé, et il ne peut couler d’eau pure , mais pour le cadavre de Jésus, le miracle était que même de son cadavre « du sang et de l’eau » se soient écoulés du côte. Mais Celse, qui tire des griefs contre Jésus et les chrétiens de textes évangéliques qu’il ne sait même pas interpréter correctement et tait ce qui établit la divinité de Jésus, veut-il se rendre attentif aux manifestations divines ? Qu’il lise alors l’Évangile et qu’il y voie entre autres ce passage « Le centurion et les hommes qui gardaient Jésus avec lui, témoins du séisme et des prodiges survenus, furent saisis d’une grande frayeur et dirent Celui-là était Fils de Dieu ! » Ensuite, extrayant de l’Évangile les passages qu’il ose lui opposer, il reproche à Jésus son ” avidité à boire le fiel et le vinaigre, sans savoir dominer une soif que même le premier venu domine d’ordinaire “. Ce texte, pris a part, comporte une interprétation allégorique , mais ici on peut donner une réponse plus commune aux objections : même cela les prophéties l’ont prédit. Il est écrit en effet dans le psaume soixante-huitième cette parole rapportée au Christ : « Pour me nourrir, ils m’ont donné du fiel, pour apaiser ma soif, fait boire du vinaigre. » C’est aux Juifs de dire qui le prophète fait parler de la sorte et d’établir, d’après l’histoire, qui a reçu du fiel en nourriture et du vinaigre pour boisson. Ou s’ils se hasardent à dire qu’il est question du Christ dont ils croient la venue future, alors je répondrai : qu’est-ce qui empêche la prophétie d’être déjà réalisée ? Le fait que cela ait été dit si longtemps d’avance, avec les autres prévisions des prophètes, si l’on fait un examen judicieux de toute la question, est capable d’amener à reconnaître Jésus comme le Christ prophétisé et le Fils de Dieu. LIVRE II

Souvent déjà, Celse, incapable de regarder en face les miracles de Jésus rapportés dans l’Écriture, les disqualifie en les traitant de sorcellerie. Souvent, j’ai fait mon possible pour réfuter cette allégation. Ici encore, il suppose notre réponse “Nous l’avons cru Fils de Dieu, car il avait guéri des boiteux et des aveugles,” et il ajoute “et, a ce que vous dites, ressuscité des morts”. Or, qu’il ait guéri des boiteux et des aveugles, et que pour ce motif nous le croyions Christ et Fils de Dieu, c’est pour nous l’évidence d’après ce qu’attestent les prophéties « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds entendront, alors le boiteux bondira comme un cerf ». Mais qu’il ait ressuscitée des morts, et que ce ne soit point une fiction des évangélistes, s’établit de la sorte si c’était une fiction, il serait question de nombreux ressuscités et d’un séjour plus long dans leurs sépulcres. Parce qu’il ne s’agit point de fiction, on n’en rappelle qu’un tout petit nombre il y a la fille du chef de la synagogue, et à son sujet, il dit, je ne sais pourquoi « Elle n’est pas morte, mais elle dort », ce qui n’était pas le cas de tous les morts , il y a le fils unique de la veuve que, dans sa compassion, il a ressuscite après avoir arrête les porteurs , en troisième lieu, il y a Lazare, au tombeau depuis quatre jours. LIVRE II

De plus, je pourrais dire à ceux qui croient qu’en ces matières le Juif de Celse fait à Jésus de justes griefs : il y a dans le Lévitique et le Deutéronome un grand nombre d’imprécations ; dans la mesure où le Juif les défendra en avocat de l’Écriture, dans cette même mesure ou mieux encore, nous défendrons ces prétendues invectives et menaces de Jésus. Bien plus, de la loi de Moïse elle-même nous pourrons présenter une meilleure défense que celle du Juif, pour avoir appris de Jésus à comprendre plus intelligemment que lui les textes de la loi. En outre, si le Juif a vu le sens des discours prophétiques, il pourra montrer que Dieu n’use pas à la légère de menaces et d’invectives, quand il dit : « Malheur, Je vous prédis », et comment Dieu a pu employer pour la conversion des hommes ces expressions, qu’au jugement de Celse n’imaginerait même pas un homme de bon sens. Mais les chrétiens aussi, sachant que le même Dieu parle par les prophètes et par le Seigneur, prouveront le caractère raisonnable de ce que Celse juge des menaces et nomme des invectives. On fera sur la question une courte réplique à Celse qui se vante d’être philosophe et de savoir nos doctrines : Comment, mon brave, quand Hermès dans Homère dit à Ulysse : « Pourquoi donc, malheureux, t’en vas-tu seul le long de ces coteaux ? » tu supportes qu’on le justifie en disant qu’Hermès chez Homère interpelle Ulysse de la sorte pour le ramener au devoir ? car les paroles flatteuses et caressantes sont le fait des Sirènes, près de qui s’élève « tout autour un tas d’ossements », elles qui disent : « Viens ici, viens à nous, Ulysse tant vanté, l’honneur de l’Achaïe. » ? Mais lorsque mes prophètes et Jésus même, pour convertir les auditeurs, disent : « Malheur à vous ! » et ce que tu prends pour des invectives, ils ne s’adaptent point à la capacité des auditeurs par ces expressions, et ne leur appliquent pas cette manière de parler comme un remède de Péon ? A moins peut-être que tu ne veuilles que Dieu, ou Celui qui participe à la nature divine, conversant avec les hommes, n’ait en vue que les intérêts de sa nature et le respect qu’on lui doit, sans plus considérer ce qu’il convient de promettre aux hommes gouvernés et conduits par son Logos et de proposer à chacun d’une manière adaptée à son caractère fondamental ? De plus, comment n’est-elle pas ridicule cette impuissance à persuader qu’on attribue à Jésus ? Car elle s’applique aussi, non seulement au Juif qui a beaucoup d’exemples de ce genre dans les prophéties, mais encore aux Grecs : parmi eux, chacun de ceux que leur sagesse a rendus célèbres auraient été impuissants à persuader les conspirateurs, les juges, les accusateurs de quitter la voie du vice pour suivre, par la philosophie, celle de la vertu. LIVRE II

Dans le premier livre de la réponse au traité que Celse composa contre nous sous le titre pompeux de ” Discours véritable”, j’ai de mon mieux, suivant ton ordre, très fidèle Ambroise, discuté sa préface et les allégations qui la suivent, examinant chacune d’entre elles, jusqu’à la fin de la déclamation fictive de son Juif contre Jésus. Dans le second livre, j’ai répondu selon mes moyens à tous les points de la déclamation de son Juif contre nous qui croyons en Dieu par le Christ. J’aborde ce troisième livre avec le propos d’y combattre ce qu’il formule de son propre chef. Il déclare donc que ” rien n’est plus sot que la dispute entre les chrétiens et les Juifs “; il dit que ” notre controverse sur le Christ n’aurait pas plus de valeur que la proverbiale querelle sur l’ombre d’un âne” . Il pense ” qu’il n’y a rien de sérieux dans ce débat entre Juifs et chrétiens : on croit de part et d’autre à la prédiction, par un esprit divin, d’un Sauveur qui viendrait au genre humain, on ne s’entend plus sur le fait que le personnage prédit soit oui ou non déjà venu “. En effet, nous, chrétiens, nous croyons que Jésus est venu conformément aux prophéties ; mais les Juifs, en majorité, sont si loin de croire en lui, que ses contemporains conspirèrent contre Jésus, et que ceux d’aujourd’hui approuvent ce que les Juifs ont alors osé contre lui ; ils accusent Jésus d’avoir feint, par des artifices magiques, de bien être celui dont les prophètes avaient prédit la venue, et que les Juifs appelaient traditionnellement Christ. LIVRE III

D’ailleurs des miracles s’opéraient partout, ou du moins en beaucoup d’endroits, et Celse lui-même mentionne ensuite Asclépios qui accordait des guérisons et des prédictions de l’avenir à toutes les villes à lui consacrées comme Trikkè, Épidaure, Cos, Pergame, Aristéas de Proconnèse, le héros de Clazomène, et Cléomède d’Astypalée.” Et chez les seuls Juifs, affirmant leur consécration au Dieu de l’univers, il n’y aurait eu aucun signe ou prodige pour aider et affermir leur foi au Créateur de l’univers et leur espérance d’une autre vie meilleure ? Mais comment eût-ce été possible ? Ils auraient aussitôt passé au culte des démons diseurs d’oracles et guérisseurs et auraient abandonné le Dieu au secours duquel théoriquement on avait foi, mais qui ne leur eût pas donné la moindre manifestation de lui-même. Et puisqu’il n’en est rien, qu’au contraire ils ont enduré des maux sans nombre plutôt que de désavouer le judaïsme et sa loi, et souffert en Syrie, en Perse, sous Antiochus, comment n’est-ce pas la démonstration plausible pour ceux qui refusent de croire aux récits de miracles et aux prophéties, qu’il n’y a point là de fictions, mais au contraire qu’un esprit divin résidait dans les âmes pures des prophètes qui ont accepté toutes les peines pour la défense de la vertu, et les incitait à prédire certaines choses pour leurs contemporains, d’autres pour la postérité, mais spécialement la venue future d’un Sauveur au genre humain ? LIVRE III

S’il en est ainsi, comment parler d’un débat sur l’ombre d’un âne, quand Juifs et chrétiens examinent les prophéties auxquelles ils croient ensemble, pour savoir si le personnage prédit est déjà venu, ou s’il n’est point venu du tout mais à attendre encore ? A supposer qu’on accorde à Celse que Jésus n’est pas celui qu’ont annoncé les prophètes, il n’en est pas moins vrai que le débat portant sur le sens des écrits prophétiques ne concerne pas l’ombre d’un âne : on veut mettre en lumière le personnage annoncé d’avance, les qualités que lui donnent les prophéties, les exploits qu’il accomplira, et si possible la date de sa venue. J’ai déjà dit plus haut en citant quelques-unes des nombreuses prophéties que le Christ prédit est Jésus. Donc, ni les Juifs ni les chrétiens ne se trompent, en admettant l’inspiration divine des prophéties ; mais ceux-là seuls se trompent qui tiennent l’opinion fausse qu’on attend encore le personnage prédit, dont l’identité et l’origine ont été proclamées par le discours véritable des prophètes. LIVRE III

Que ce ne soit pas non plus « la crainte des étrangers » qui maintienne notre société, la preuve en est dans le fait que, par la volonté de Dieu, elle a cessé voici longtemps déjà. Mais il est probable que la sécurité pour leur vie dont jouissent les croyants va cesser, lorsque de nouveau ceux qui calomnient de toute manière notre doctrine penseront que la révolte, poussée au point où elle en est, a sa cause dans la multitude des croyants et le fait qu’ils ne sont plus persécutés par les gouverneurs comme au temps jadis. Nous avons appris en effet de l’Évangile en temps de paix à ne point nous relâcher ni nous abandonner à la mollesse, et dans la guerre que nous fait le monde, à ne point perdre courage ni nous écarter de l’amour qu’en Jésus-Christ nous portons au Dieu de l’univers. Nous montrons donc clairement le caractère sacré de notre origine, loin de le cacher comme le croit Celse : car nous inspirons à ceux qui viennent d’être initiés le mépris des idoles et de toutes les images, et en outre, élevant leurs pensées les détournant de servir les créatures plutôt que Dieu, nous les faisons monter vers le Créateur de l’univers. Nous mettons en pleine lumière Celui qui fut prophétisé, soit par les prophéties à son sujet qui sont nombreuses, soit par les Évangiles et les discours des apôtres soigneusement transmis par ceux qui sont capables les comprendre à fond. LIVRE III

Il veut ensuite comparer notre foi à la religion des Égyptiens, chez qui, dès l’abord, on rencontre de magnifiques enclos et bois sacrés, des vestibules immenses et beaux, des temples admirables entourés d’imposants péristyles, des cérémonies empreintes de respect et de mystère; mais dès qu’on entre et pénètre à l’intérieur, on y contemple, objet d’adoration, un chat, un singe, un crocodile, un bouc, un chien. Mais quelle ressemblance y a-t-il entre la majesté extérieure offerte dès l’abord par les Égyptiens et ce qu’on trouve chez nous ? Quelle ressemblance avec ces animaux sans raison qui après ces vestibules vénérables sont objets d’adoration à l’intérieur du temple? Faut-il penser que les prophéties, le Dieu suprême, le mépris des idoles soient ce qui d’après lui est vénérable, mais que Jésus-Christ crucifié corresponde à l’animal sans raison qu’on adore ? Si telle est sa pensée, et je ne crois pas qu’il dirait autre chose, je répondrai que j’ai abondamment prouvé plus haut que, pour Jésus, même ce qui apparaît humainement comme son malheur fut un bienfait pour l’univers et le salut du monde entier. LIVRE III

Puisque Celse rappelle ensuite l’histoire du héros de Clazomène et y ajoute : Ne raconte-t-on pas que son âme s’échappait fréquemment de son corps pour errer ça et là incorporelle ? Et pourtant les hommes ne le considérèrent pas comme dieu, je répliquerai : il se peut que des démons pervers se soient arrangés pour que ces merveilles fussent écrites – car je ne pense pas qu’ils soient parvenus à les réaliser -, afin que les prophéties sur Jésus et ses enseignements fussent ou bien attaqués comme fictions du même genre que celles-là, ou bien que, n’ayant rien de plus que les autres, elles n’excitent aucune admiration. Or, mon Jésus disait à propos de la séparation entre son âme et son corps, non par une nécessité humaine, mais en vertu du pouvoir miraculeux qui lui avait été donné à cet effet : « Personne ne m’enlève mon âme, mais je la livre de moi-même. J’ai le pouvoir de la livrer, et le pouvoir de la reprendre. » Et puisqu’il avait le pouvoir de la livrer, il l’a livrée lorsqu’il a dit : « Mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? », et que, « poussant un grand cri, il rendit l’esprit », devançant ainsi les bourreaux chargés du supplice qui brisaient les jambes des crucifiés, afin que le châtiment ne les fît pas souffrir trop longtemps. Mais il reprit « son âme » lorsqu’il se manifesta à ses disciples, selon la prédiction faite en leur présence aux Juifs incrédules : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » Mais « il parlait du temple de son corps », car les prophètes l’avaient annoncé par avance dans ce passage entre bien d’autres : « Bien plus, ma chair reposera dans l’espérance, car tu n’abandonneras pas mon âme à l’Hadès, tu ne permettras pas que ton Saint voie la corruption. » LIVRE III

Celse pour montrer qu’il a lu beaucoup d’histoires grecques cite encore celle de Cléomède d’Astypalée, et raconte : Celui-ci entra dans un coffre, s’enferma à l’intérieur, et on ne put l’y retrouver, mais il s’en était envolé par une providence miraculeuse, lorsqu’on vint briser le coffre pour le prendre. Cette histoire, si elle n’est pas une fiction comme elle semble l’être, n’est point comparable à celle de Jésus ; car la vie de ces hommes ne présente aucune preuve de la divinité qu’on leur attribue, alors que celle de Jésus a pour preuves les églises de ceux qu’il a secourus, les prophéties faites à son sujet, les guérisons accomplies en son nom, la connaissance de ces mystères dans la sagesse et la raison que l’on trouve chez ceux qui s’appliquent à dépasser la simple foi et à scruter le sens des Écritures ; car tel est l’ordre de Jésus : « Scrutez les Écritures », telle est l’intention de Paul qui a enseigné que nous devons « savoir répondre à chacun » comme il se doit, et celle d’un autre auteur qui a dit : « Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque demande raison de la foi qui est en vous. » Mais Celse veut qu’on lui accorde qu’il ne s’agit pas d’une fiction : à lui de dire le dessein de la puissance surhumaine qui a fait envoler Cléomède de l’intérieur du coffre par une providence miraculeuse. Car s’il présente de cette faveur faite à Cléomède une raison valable et une intention digne de Dieu, on jugera de la réponse à lui faire. Mais s’il demeure embarrassé pour en donner la moindre raison plausible, parce que, de toute évidence, cette raison est impossible à trouver, ou bien en accord avec ceux qui ont refusé d’admettre cette histoire, on prouvera sa fausseté, ou bien on dira qu’en faisant disparaître l’homme d’Astypalée, un démon a joué un tour semblable à ceux des sorciers et trompé les regards ; et cela contre Celse qui a pensé qu’un oracle divin avait déclaré qu’il s’était envolé du coffre par une providence miraculeuse. LIVRE III

J’en viens à un quatrième livre contre les objections qui suivent, après avoir prié Dieu par le Christ. Puissent m’être données de ces paroles dont il est écrit dans Jérémie, quand le Seigneur parlait au prophète : « Voici que j’ai mis dans ta bouche mes paroles comme un feu, voici que je t’ai établi en ce jour sur les nations et les royaumes, pour déraciner et pour détruire, pour perdre et pour abattre, pour bâtir et pour planter. » J’ai besoin désormais de paroles capables de déraciner les idées contraires à la vérité de toute âme trompée par le traité de Celse ou par des pensées semblables aux siennes. J’ai aussi besoin d’idées qui renversent les édifices de toute opinion fausse et les prétentions de l’édifice de Celse dans son traité, pareilles à la construction de ceux qui disent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel. » J’ai encore besoin d’une sagesse qui abatte toutes les puissances altières qui s’élèvent « contre la connaissance de Dieu », et la puissance altière de la jactance de Celse qui s’élève contre nous. Et puisque je ne dois pas me borner à déraciner et à détruire toutes ces erreurs, mais, à la place de ce qui est déraciné, planter la plantation du champ de Dieu, à la place de ce qui est détruit, construire l’édifice de Dieu et le temple de la gloire de Dieu, voilà autant de raisons pour lesquelles je dois prier le Seigneur, dispensateur des dons mentionnés dans Jérémie, de me donner à moi aussi des paroles efficaces pour bâtir l’édifice du Christ et planter la loi spirituelle et les paroles des prophètes qui s’y rapportent. Il me faut surtout établir, contre les objections actuelles de Celse faisant suite aux précédentes, que l’avènement du Christ a bel et bien été prédit. En effet, il se dresse à la fois contre les Juifs et les chrétiens : les Juifs qui refusent que la venue du Christ soit déjà réalisée mais espèrent qu’elle aura lieu, et les chrétiens qui professent que Jésus est le Christ prédit, et il affirme : Voici la prétention de certains chrétiens et des Juifs : un Dieu ou Fils de Dieu, selon les uns est descendu, selon les autres descendra sur la terre pour en juger les habitants : propos si honteux qu’il n’est pas besoin d’un long discours pour le réfuter. Il semble bien parler avec exactitude quand il dit, non pas certains Juifs, mais tous les Juifs croient que quelqu’un descendra sur la terre, tandis que certains chrétiens seulement disent qu’il est descendu. Il veut indiquer ceux qui établissent par les Écritures juives que la venue du Christ a déjà eu lieu, et il paraît connaître l’existence de sectes qui nient que le Christ Jésus soit la personne prophétisée. Or j’ai déjà établi plus haut de mon mieux que le Christ avait été prophétisé ; aussi ne reviendrai-je pas sur les nombreuses preuves qui pourraient être fournies sur ce point, afin d’éviter les redites. Vois donc que s’il avait voulu, avec une logique au moins apparente, renverser la foi aux prophéties ou à l’avènement futur ou passé du Christ, il devait citer les prophéties mêmes auxquelles, chrétiens ou Juifs, nous avons recours dans nos débats. Ainsi il eût, du moins en apparence, détourné ceux qui sont attirés, à l’en croire, par leur caractère spécieux, de l’adhésion aux prophéties et de la foi, fondée sur elles, en Jésus comme au Christ. LIVRE IV

Mais en fait, incapacité de répondre aux prophéties sur le Christ, ou ignorance totale des prédictions faites sur lui, il ne cite pas un seul passage prophétique, alors qu’il en est d’innombrables sur le Christ. Il pense qu’il peut accuser les textes prophétiques, sans produire ce qu’il appellerait leur argument spécieux. Il ignore, en tout cas, que les Juifs ne disent pas du tout que le Christ, Dieu ou Fils de Dieu, descendra, je l’ai dit plus haut. LIVRE IV

Et je ne dis rien des autres vices des hommes, dont ne sont peut-être pas exempts ceux qui passent pour philosophes, car il y a bien des bâtards de la philosophie. Je n’insiste pas sur la présence fréquente de ces désordres chez ceux qui ne sont ni Juifs ni chrétiens. Mais, ou bien on ne les trouve absolument pas chez les chrétiens, à considérer strictement ce qu’est un chrétien, ou si on les rencontre, ce n’est certes pas chez ceux qui tiennent conseil, viennent aux prières communes et n’en sont pas exclus ; sauf peut-être l’un ou l’autre, dissimulé dans la foule. Nous ne sommes donc pas des vers formant assemblée, quand, nous dressant contre les Juifs au nom des Écritures qu’ils croient sacrées, nous montrons que Celui qu’annonçaient les prophètes est venu, qu’eux-mêmes, pour l’énormité de leurs fautes, ont été abandonnés, mais que nous, pour avoir accueilli le Logos, nous avons en Dieu les meilleures espérances, fondées sur notre foi en lui, et sur une vie capable de faire de nous ses familiers, purs de toute perversité et de tout vice. Donc, se proclamer Juif ou chrétien, ce n’est pas dire tout uniment : c’est pour nous surtout que Dieu a créé l’univers et le mouvement du ciel. Mais être, comme Jésus l’a enseigné, pur « de coeur », doux, pacifique, courageux à supporter les périls pour la piété, permet à juste titre de se confier à Dieu, et, quand on a compris la doctrine des prophéties, d’aller jusqu’à dire : tout cela Dieu l’a révélé d’avance et prédit à nous les croyants. LIVRE IV

Une lecture loyale de l’Écriture eût empêché Celse de dire que nos livres ne sont pas susceptibles d’allégorie. En effet, c’est en partant des prophéties où sont relatés les faits historiques et non à partir de l’histoire, qu’on peut se convaincre que même les faits historiques ont été relatés en vue d’une interprétation allégorique, et très sagement adaptés aux besoins de la foule à la foi simple, et de l’élite qui veut et peut examiner les questions avec intelligence. Si ceux qui, d’après Celse, passent aujourd’hui pour des Juifs et des chrétiens raisonnables étaient les seuls à allégoriser les Écritures, on pourrait supposer que Celse a dit une chose plausible. Mais puisque les auteurs de nos doctrines et les écrivains ont recours eux-mêmes à ces interprétations allégoriques, qu’y a-t-il à supposer sinon qu’ils ont écrit de manière que ces faits soient interprétés allégoriquement suivant leur intention principale. LIVRE IV

Ensuite, parmi tous les traités renfermant des allégories et des interprétations en un style qui n’est pas sans beauté, il a fait choix du plus ordinaire, apte peut-être à favoriser la foi de la multitude des simples, mais bien incapable d’impressionner les intelligents. Il dit : De ce genre, justement, je connais une controverse d’un certain Papiscos et Jason, qui mérite moins le rire que la pitié et la haine. Donc loin de moi le propos d’en réfuter les inepties : elles sautent aux yeux de tous, surtout de celui qui a la patience de supporter la lecture du livre lui-même. Je préfère enseigner ceci conformément à la nature : Dieu n’a rien fait de mortel; mais tous les êtres immortels sont oeuvres de Dieu, et les êtres mortels sont leurs oeuvres. L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. En fait, à cet égard, il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille ou d’homme: la matière en est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. Néanmoins je voudrais que quiconque a entendu Celse s’indigner et déclarer que le traité intitulé “Controverse de Papiscos et de Jason” sur le Christrite moins le rire que la haine prenne en mains le petit traité, et ait la patience de supporter la lecture de ce qu’il contient, afin de condamner aussitôt Celse, parce qu’il n’y trouve rien qui mérite la haine. Un lecteur sans parti pris trouvera que le livre ne porte même point à rire : on y présente un chrétien discutant avec un Juif, à partir des Écritures juives, et montrant que les prophéties sur le Christ s’appliquent à Jésus, bien que l’autre s’oppose à l’argument d’une manière qui n’est pas sans noblesse et qui convient au personnage d’un Juif. LIVRE IV

La question présente est donc de réfuter le passage que voici : ” Juifs et chrétiens, nul Dieu, nul Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre. Que si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont, dieux ou des êtres d’une autre espèce ? D’une autre espèce, sans doute, des démons.” Ces redites de Celse – car il l’a maintes fois déjà répété plus haut -, n’exigent pas une longue discussion : les réponses données suffiront. Je me bornerai entre bien d’autres à quelques remarques qui semblent être dans la ligne des précédentes, bien qu’elles n’aient pas cependant tout à fait le même sens. J’établirai donc que, dans sa thèse absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est jamais descendu vers les hommes, Celse réduit à néant les manifestations de Dieu généralement admises que lui-même avait mentionnées plus haut. En effet si, dans l’affirmation absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre, Celse a dit la vérité, c’en est fait évidemment de toutes les descentes des dieux du ciel sur la terre pour prédire aux hommes ou les guérir par leurs oracles. Ni Apollon de Pytho, ni Asclépios, ni aucun de ceux auxquels on attribue des actes pareils ne peut être un dieu descendu du ciel, si ce n’est peut-être un dieu dont le sort est de toujours habiter la terre, comme banni du séjour des dieux ou un des êtres incapables d’entrer en communion avec les dieux qui s’y trouvent. Ou bien Apollon, Asclépios et tous ceux dont on vénère l’action sur la terre ne peuvent être des dieux, mais certains démons bien inférieurs aux hommes sages qui s’élèvent par la vertu jusqu’à la voûte du ciel. Remarque à quel point, dans son dessein de ruiner notre foi, on le prend, lui qui tout au long de son traité refuse de s’avouer épicurien, à passer en transfuge au camp d’Épicure. Le moment est venu pour toi, lecteur des arguments de Celse qui admets ce qui précède, ou bien de nier la présence de Dieu qui étend sa providence à tous les hommes individuellement, ou bien de l’admettre et de prouver que la doctrine de Celse est fausse. Nies-tu radicalement la Providence? Alors pour établir la vérité de ta position, tu prouveras la fausseté des raisons qui lui font admettre des dieux et une providence. Affirmes-tu néanmoins la providence, en refusant d’adhérer à l’assertion de Celse : Ni Dieu ni Fils de Dieu n’est descendu ou ne descend vers les hommes ? Alors pourquoi ne point examiner sérieusement, dans ce que j’ai dit de Jésus et dans les prophéties qui le concernent, quel est celui qu’il faut plutôt croire Dieu ou Fils de Dieu descendu vers les hommes : Jésus qui a mené à bien et accompli de si grandes oeuvres, ou ceux qui, sous prétexte d’oracles et de divinations, loin de réformer les m?urs de ceux qu’ils guérissent, vont jusqu’à éloigner du culte vénérable, pur et sans mélange dû au Créateur de l’univers et divisent l’âme de ceux qui s’attachent à eux, sous prétexte d’honneur à rendre à de multiples dieux au lieu de l’unique, seul manifeste et véritable Dieu ? Puis, comme si Juifs et chrétiens avaient répondu que ceux qui descendent vers les hommes sont des anges, il reprend : Si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont : des dieux ou des êtres d’une autre espèce ? Et, supposant notre réponse, il ajoute : ? D’une autre espèce sans doute, les démons. Eh bien ! précisons ce point. D’un commun accord nous disons que les anges sont « des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ». Ils montent porter les supplications des hommes dans les régions célestes les plus pures du monde, ou même dans les supracélestes plus pures que celles-là. Ensuite, ils en descendent porter à chacun suivant son mérite une des grâces que Dieu leur enjoint de dispenser à ceux qui reçoivent ses faveurs. Eux donc, que nous avons appris à nommer anges à cause de leur fonction, nous les trouvons parfois aussi dans les saintes Écritures nommés dieux, parce qu’ils sont divins ; mais ils ne le sont pas au point qu’il nous soit ordonné de vénérer et d’adorer à la place de Dieu ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Dieu. Car il faut faire remonter toute demande, prière, supplication et action de grâce vers le Dieu suprême par le Souverain Prêtre qui est au-dessus de tous les anges, Logos vivant et Dieu. Et nous offrirons au Logos lui-même des demandes, des prières, des actions de grâce, et même des supplications, si nous sommes capables de discerner entre le sens absolu et le sens relatif du mot supplication. LIVRE V

Mais accordons, pour citer les expressions de Celse, que le soleil, la lune, les étoiles prédisent d’avance les pluies, les chaleurs, les nuées, les tonnerres. S’ils font des prédictions si importantes, n’est-ce pas une raison d’adorer davantage Dieu qu’ils servent par leurs prédictions et de l’honorer lui et non ses prophètes ? Qu’ils prédisent donc les éclairs, les fruits et tous les produits de la terre, et qu’ils dispensent tous les biens de ce genre ! Nous n’irons pas pour autant adorer ces adorateurs, et pas davantage Moïse et ses successeurs qui ont prédit par Dieu les biens d’un genre supérieur aux pluies, à la chaleur, aux nuées, aux tonnerres, aux éclairs, aux fruits et à tous les produits sensibles. Bien plus, même s’il est au pouvoir du soleil, de la lune et des étoiles de prédire des événements plus importants que les pluies, ce n’est pas eux pour autant que nous adorerons, mais l’Auteur de leurs prophéties et le Logos de Dieu leur ministre. LIVRE V

Voici le passage de Celse que je veux maintenant examiner : ” soit ! Nous laissons de côté tout ce qui les confond au sujet de leur maître; admettons qu’il fut un ange véritable. Fut-il le premier et le seul à venir ou y en eut-il d’autres auparavant? S’ils répondaient qu’il fut le seul, ils seraient convaincus de mensonge et de contradiction. Car ils disent qu’il en est souvent venu d’autres, et même jusqu’à soixante ou soixante-dix à la fois; qu’ils se sont pervertis et, en punition, ont été enchaînés sous terre, d’où vient que les sources chaudes sont leurs larmes. De plus, à son tombeau il vint, les uns disent un ange, les autres deux, annoncer aux femmes qu’il était ressuscité. Car le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Bien plus, il vint encore un ange auprès du charpentier pour expliquer la grossesse de Marie, et un autre ange pour les faire fuir en arrachant le bébé au péril. Mais à quoi bon tout rechercher avec minutie et dénombrer ceux qu’on dit avoir été envoyés à Moïse et à d’autres des leurs? Or, si d’autres encore ont été envoyés, il est manifeste que Jésus est lui aussi venu de la part du même Dieu. Accordons même qu’il ait eu un message d’une autre importance: par exemple, que les Juifs étaient en train de commettre des fautes, de falsifier la religion, d’accomplir des actions impies. C’est ce qu’on nous laisse entendre.” Il suffirait, pour répondre aux paroles de Celse, de renvoyer à ce que j’ai dit dans les recherches particulières sur notre Sauveur Jésus-Christ. Mais pour ne point paraître négliger exprès un passage de son traité comme si j’étais incapable de le réfuter, qu’on me permette, au risque de me répéter puisque Celse m’y engage, de le discuter aussi brièvement que possible : peut-être les mêmes questions présentent-elles un aspect plus clair ou plus nouveau. Il déclare bien avoir laissé de côté tout ce qui confond les chrétiens au sujet de leur Maître, mais il n’a rien laissé de ce qu’il pouvait dire, comme le montre la précédente tirade, ce qui n’est après tout qu’un procédé de rhétorique. Mais nous ne sommes pas confondus à propos de notre si grand Sauveur, bien que notre calomniateur se figure nous confondre : c’est ce que fera ressortir une lecture soigneuse et loyale de tout ce qui le concerne, prophéties et histoire. LIVRE V

Il est bien vrai que nous utilisons les discours des prophètes pour prouver que Jésus est le Christ annoncé par eux, et pour montrer par les prophéties que les événements racontés à propos de Jésus dans les Évangiles en sont l’accomplissement. L’expression cercles sur cercles est peut-être un emprunt à la secte dont on vient de parler qui enfermait dans un cercle unique, qu’elle appelle l’âme de l’univers et Léviathan, les sept cercles des puissances archontiques ; ou peut-être a-t-il mal compris cette parole de l’Ecclésiaste : « Tourne, tourne, s’en va le vent, et à ses cercles revient le vent. » LIVRE VI

Le propos de Celse est ici d’attaquer l’assertion que l’histoire du Christ Jésus a été prédite par les prophètes de Judée. Le premier point à critiquer est le principe de son raisonnement : que ceux qui admettent un autre dieu que le dieu des Juifs sont absolument incapables de répondre à ses difficultés, et que nous, qui avons gardé le même Dieu, nous cherchons refuge pour notre défense dans les prophéties sur le Christ. A ce propos, il dit : Voyons comment ils trouveront une excuse. LIVRE VI

Ceux qui admettent un autre dieu n’en donneront aucune, mais ceux qui gardent le même Dieu rediront la même phrase, évidemment bien subtile : « Il fallait qu’il en fut ainsi et la preuve, c’est que jadis cela avait été prédit. » La réponse à faire est que ses propos sur Jésus et les chrétiens un peu avant ce passage sont d’une telle faiblesse que même ceux qui admettent un autre dieu, commettant là une impiété, répondraient fort aisément aux critiques de Celse. Et s’il n’était point absurde de fournir aux esprits faibles des prétextes pour admettre de mauvaises doctrines, j’aurais moi-même donné cette réponse pour convaincre de mensonge l’affirmation que ceux qui admettent un autre dieu n’ont aucune défense contre les critiques de Celse. Mais il faut se borner à défendre les prophéties en poursuivant ce qu’on disait plus haut. LIVRE VI

La vie de chacun des prophètes a été écrite ; mais il suffira pour l’instant de mentionner la vie de Moïse, dont on rapporte également des prophéties inscrites dans la Loi ; celle de Jérémie, relatée dans la prophétie qui porte son nom ; celle d’Isaïe qui, surpassant toute austérité, marcha « nu et déchaussé » pendant trois ans. Considère encore la vie pleine de force des tout jeunes gens Daniel et ses compagnons, en lisant que leur habitude était de ne boire que de l’eau et que, s’abstenant de viande, ils ne se nourrissaient que de légumes. LIVRE VI

Il n’est pas d’étrangers à la foi qui aient rien fait de semblable à ce que firent les prophètes ; il n’en est pas de plus récents, même postérieurs à la venue de Jésus, dont l’histoire dise qu’ils aient prophétisé parmi les Juifs. Car, de l’aveu de tous, le Saint-Esprit a abandonné les Juifs coupables d’impiété envers Dieu et envers Celui qui avait été prédit par leurs prophètes. Mais les signes du Saint-Esprit sont apparus, d’abord au temps de l’enseignement de Jésus, et en plus grand nombre après son ascension, mais par la suite en moins grand nombre. Cependant il en reste encore aujourd’hui des vestiges chez quelques-uns dont les âmes ont été purifiées par le Logos et les actions qu’il inspire. « Car l’Esprit Saint qui nous éduque fuit la duplicité, il s’éloigne des pensées sans intelligence. » Celse promet d’indiquer la manière dont se font les divinations en Phénicie et en Palestine, comme une chose dont il est instruit et qu’il sait de première main. Examinons donc ce point. Il dit d’abord qu’il y a plusieurs espèces de prophéties, mais sans les indiquer : il en était incapable, ce n’était là qu’une hâblerie. Mais voyons celle qu’il présente comme le type le plus achevé chez les hommes de celte région. LIVRE VI

S’il avait été de bonne foi dans son accusation, il aurait dû citer les prophéties dans leur texte : celles dont l’auteur s’est proclamé le Dieu tout-puissant, ou celles où l’on croit entendre le Fils de Dieu ou le Saint-Esprit. Car ainsi il eût au moins tâché d’en réfuter la teneur et de montrer qu’il n’y a aucune inspiration divine dans les discours qui par leur contenu détournent des fautes, blâment l’état présent, annoncent l’avenir. Aussi les contemporains des prophètes ont-ils écrit et gardé leurs prophéties pour que la postérité, en les lisant, les admire comme des paroles de Dieu et que, bénéficiant non seulement de celles qui blâment et qui convertissent, mais encore de celles qui prédisent, et convaincue par les événements que c’était l’Esprit divin qui avait prédit, elle persévère dans la piété conforme au Logos, persuadée par la loi et les prophètes. LIVRE VI

Les prophètes, suivant la volonté de Dieu, ont dit sans aucun sens caché tout ce qui pouvait être compris d’emblée par les auditeurs comme utile et profitable à la réforme des m?urs. Mais tout ce qui était plus mystérieux et plus secret, relevant d’une contemplation qui dépasse l’audience commune, ils l’ont fait connaître sous forme d’énigmes, d’allégories, de « discours obscurs », de « paraboles ou proverbes » ; et cela, afin que ceux qui ne renâclent pas devant l’effort, mais supportent tout effort pour l’amour de la vertu et de la vérité, après avoir cherché trouvent, après avoir trouvé se conduisent comme la raison l’exige. Mais le noble Celse, comme irrité de ne pas comprendre ces paroles prophétiques, en vint à l’injure : A ces outrecuidances, ils ajoutent aussitôt des termes inconnus, incohérents, totalement obscurs, dont aucun homme raisonnable ne saurait découvrir la signification tant ils sont dépourvus de clarté et de sens, mais qui fournissent en toute occasion à n’importe quel sot ou charlatan le prétexte de se les approprier dans le sens qu’il désire. Voilà, à mon avis, des propos de fourbe, dits pour détourner autant qu’il pouvait les lecteurs des prophéties d’en rechercher et d’en examiner le sens : disposition analogue à celle que dénote la question posée au sujet d’un prophète venu prédire l’avenir : « Qu’est allé faire chez toi cet insensé ? » Il est sans doute des raisons bien au-dessus de mes capacités pour établir que Celse ment et que les prophéties sont inspirées de Dieu. Je n’en ai pas moins tâché de le faire dans la mesure où je le pouvais, en expliquant mot à mot les termes incohérents et totalement obscurs, comme les qualifie Celse, dans mes Commentaires d’Isaïe, d’Ézéchiel et de quelques-uns des Douze. Et si Dieu permet d’avancer dans sa Parole, au moment où il voudra, viendront s’ajouter aux commentaires déjà cités sur ces auteurs ceux de tout le reste ou du moins ce que je parviendrai à élucider. Mais il y en a d’autres qui, désireux d’examiner l’Écriture et possédant l’intelligence, sauraient en découvrir la signification. Elle est vraiment dépourvue de clarté en bien des endroits, mais nullement dépourvue de sens, comme il dit. Il est non moins faux qu’un sot ou un charlatan puisse les éclaircir et se les approprier dans le sens qu’il désire. Seul, le véritable sage dans le Christ peut expliquer tout l’enchaînement des passages prophétiques qui ont un sens caché, en « comparant les choses spirituelles aux spirituelles » et en interprétant d’après le style habituel des Écritures tout ce qu’il découvre. LIVRE VI

Il ne faut pas croire Celse quand il dit avoir entendu de ses oreilles de pareilles gens. Il n’y avait plus, à son époque, de prophètes semblables aux anciens ; sinon, comme celles d’autrefois, leurs prophéties auraient ensuite été consignées par ceux qui les auraient recueillies et admirées. Le mensonge me paraît flagrant quand Celse dit que ces soi-disant prophètes qu’il a entendus de ses oreilles, une fois qu’il les eût démasqués, lui ont avoué leur imposture et qu’ils forgeaient des discours sans suite. Il aurait dû encore fournir les noms de ceux qu’il affirme avoir entendus de ses oreilles : afin que ces noms, s’il avait pu les citer, permettent aux critiques compétents de juger s’il disait vrai ou faux. LIVRE VI

Il pense en outre que ceux qui arguent des prophètes pour plaider la cause du Christ n’ont plus rien à dire si l’on trouve à propos de Dieu une parole perverse, honteuse, impure, souillée. Aussi, croyant son attaque sans réplique, il s’accorde mille conclusions à partir de prémisses qu’on n’a point concédées. Il faut savoir que ceux qui veulent vivre selon les divines Écritures ont appris que la « science de l’insensé n’est que discours incohérents », et qu’ils ont entendu la parole : « Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque nous demande raison de l’espérance qui est en nous »; ceux-là ne cherchent pas refuge dans la simple allégation des prophéties. Ils s’efforcent d’expliquer les obscurités apparentes et de montrer qu’aucune des paroles n’est perverse, honteuse, impure, souillée, mais qu’elles le deviennent pour ceux qui ne comprennent pas comment il faut recevoir la divine Écriture. Il aurait dû citer parmi les paroles des prophètes celle qui lui semble perverse, qui lui paraît honteuse, qu’il juge impure, qu’il suppose souillée, si vraiment il avait découvert de telles paroles chez les prophètes. Alors son argument eût été plus impressionnant et plus efficace pour son dessein. Bien au contraire, sans un exemple, il a l’outrecuidance de proclamer avec menace qu’il s’en trouve de telles dans les Écritures, ce qui est une calomnie. A un cliquetis de mots vide de sens il n’y a aucune raison de répondre pour montrer que parmi les paroles des prophètes il n’en est aucune qui soit perverse, honteuse, impure, souillée. LIVRE VI

Il semble bien par ces mots avoir soupçonné la force de persuasion qu’aurait pour les auditeurs l’argument que Jésus a été prophétisé, et il essaie d’en ruiner la valeur par une autre raison plausible en affirmant : On n’a donc point à examiner s’ils l’ont prédit ou non. Or s’il voulait opposer à l’affirmation une raison non point captieuse mais apodictique, il aurait dû dire : il faut donc prouver qu’ils n’ont pas prédit, ou que les prophéties sur le Christ n’ont pas été accomplies en Jésus comme ils l’ont prédit, et il aurait dû ajouter la preuve qui lui semblait bonne. Ainsi on aurait vu ce que disent les prophéties que nous rapportons à Jésus et la manière dont il réfute notre interprétation ; et on aurait reconnu s’il réfute honnêtement les textes de prophètes que nous appliquons à la doctrine sur Jésus, ou s’il est surpris à vouloir impudemment faire violence à la vérité évidente comme si elle n’était pas la vérité. LIVRE VI

Mais ce qu’on a admis dans l’hypothèse n’a rien de comparable aux prophéties concernant Jésus. Les prophéties n’ont pas prédit que Dieu serait crucifié, elles qui disent de celui qui allait subir la mort : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté, mais sa forme était méprisable, inférieure aux enfants des hommes ; homme plongé dans l’affliction et la peine, sachant porter l’infirmité. » Vois donc comme ils ont dit clairement que celui qui a enduré des souffrances humaines était un homme. Et Jésus lui-même, sachant avec précision que ce qui mourrait c’était l’homme, déclare à ceux qui complotent contre lui : « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. » S’il y avait quelque chose de divin dans l’homme que l’esprit discerne en lui, c’était le Fils unique de Dieu, le Premier-né de toute créature, celui qui dit : « Je suis la Vérité, je suis la Vie, je suis la Porte, je suis la Voie, je suis le Pain vivant descendu du ciel. » Le raisonnement sur cet être et son essence est tout autre que celui qui concerne l’homme que l’esprit discerne en Jésus. LIVRE VI

Il suffira de citer ici les passages du psaume trente-sixième sur la terre des justes : « Ceux qui attendent le Seigneur hériteront la terre » ; et peu après : « Les doux hériteront la terre et jouiront d’une abondante paix » ; et peu après : « Ceux qui le bénissent hériteront la terre » ; et de nouveau : « Les justes hériteront la terre et ils y habiteront pour toujours. » Et n’est-ce pas l’existence de la terre pure dans la partie pure du ciel qui est indiquée à ceux qui sont capables de comprendre ce que dit ce même psaume : « Attends le Seigneur, observe sa voie ; il t’exaltera pour que tu hérites la terre. » En outre, l’idée que l’éclat des pierres considérées ici-bas comme précieuses serait un reflet de celui des pierres de la terre supérieure, me paraît empruntée par Platon à la description faite par Isaïe de la cité de Dieu, dont il est écrit : « Je ferai tes créneaux de jaspe, tes pierres de cristal, ton enceinte de pierres précieuses » ; et encore : « Je ferai tes fondations de saphir ». » Or les partisans les plus sérieux du philosophe expliquent le mythe de Platon comme une allégorie. Et les prophéties, auxquelles selon moi Platon a emprunté son mythe, c’est à ceux qui ont, sous l’inspiration divine, mené une vie pareille à celle des prophètes et consacré tout leur temps à scruter les saintes Écritures, de les exposer à ceux qui y sont préparés par la pureté de leur vie et leur désir d’apprendre les secrets de Dieu. LIVRE VI

Remarquons l’étourderie de son propos : Si en effet on rendre un culte à un autre des êtres de l’univers. Il indique par là que nous pouvons sans aucun tort pour nous-mêmes rendre un culte divin à l’un quelconque des êtres qui appartiennent à Dieu. Mais comme s’il sentait lui-même l’insanité du propos : si en effet on veut rendre un culte à un autre des êtres de l’univers, il se reprend et ajoute cette correction : il n’est pas permis d’honorer celui à qui Dieu n’a pas donné ce privilège. Demandons à Celse, à propos des honneurs qu’on rend aux dieux, aux démons, aux héros : comment peux-tu montrer, mon brave, que ces honneurs qu’ils reçoivent sont dus à un privilège donné par Dieu et non à l’ignorance et à la sottise humaine de ceux qui sont dans l’erreur et sont tombés loin de Celui à qui de plein droit revient l’honneur ? On honore par exemple, comme tu viens de le dire, Celse, le mignon d’Hadrien. Tu ne vas pas dire, je suppose, que le privilège d’être honoré comme dieu a été donné à Antinoos par le Dieu de l’univers ! On dira la même chose des autres, demandant la preuve que le privilège d’être honoré comme dieux leur a été accordé par le Dieu suprême. Si on nous fait la même réplique sur Jésus, nous prouverons que le privilège d’être honoré lui a été donné par Dieu, « pour que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Déjà les prophéties, avant sa naissance, affirmaient son droit à cet honneur. Plus tard les miracles qu’il accomplit, non par magie comme le croit Celse, mais par sa divinité prédite par les prophètes, bénéficiaient du témoignage de Dieu. Ainsi en honorant le Fils qui est Logos, on ne fait rien de déraisonnable : on tire avantage de l’honneur qu’on lui rend et en l’honorant, lui qui est la Vérité, on devient meilleur parce qu’on honore la vérité ; ainsi en est-il quand on honore la Sagesse, la Justice et toutes les prérogatives que les divines Écritures accordent au Fils de Dieu. LIVRE VIII

Voyons encore le passage suivant : Faut-il énumérer tous les oracles rendus dans les sanctuaires d’une voix divine par les prophètes et prophétesses et d’autres inspirés, hommes et femmes; toutes les merveilles qu’on a entendues au fond de leurs sanctuaires ; toutes les révélations obtenues des victimes et des sacrifices ; toutes les manifestations venant d’autres prodiges ? D’autres ont bénéficié d’apparitions notoires. La vie entière est remplie de ces faits ! Combien de cités ont été bâties grâce aux oracles ou délivrées d’épidémies ou de famines ! Combien, pour les avoir méprisés ou négligés ont misérablement péri ! Combien furent fondées de colonies sur leur ordre, et qui ont prospéré pour avoir suivi leurs prescriptions ! Combien de princes, combien de particuliers ont dû au même motif leur succès ou leur échec ! Combien de personnes désolées de n’avoir pas d’enfants ont obtenu ce qu’elles ont demandé et échappé à la colère des démons ! Combien d’infirmités corporelles ont été guéries ! Combien, en revanche, pour avoir outragé des sanctuaires, en ont été aussitôt châtiés ! Les uns furent à l’instant frappés de démence, les autres avouèrent leurs forfaits, ceux-ci se donnèrent la mort, ceux-là furent saisis de maladies incurables. Il y en eut même qui furent anéantis par une voix redoutable venant du sanctuaire. Je ne sais pourquoi Celse, qui présente ces histoires comme manifestes, a considéré comme fables les prodiges relatés dans nos écrits à propos des Juifs, de Jésus et de ses disciples. Pourquoi nos écrits ne seraient-ils pas vrais, et les histoires de Celse des inventions fabuleuses ? Elles ne trouvent même pas créance auprès d’écoles philosophiques des Grecs comme celles de Démocrite, d’Épicure, d’Aristote, qui peut-être eussent ajouté foi aux nôtres à cause de leur évidence, s’ils avaient connu Moïse ou l’un des prophètes qui ont accompli des miracles, ou encore Jésus lui-même. On raconte que la Pythie s’est parfois laissée corrompre pour rendre des oracles. Nos prophètes, au contraire, ont été admirés pour la clarté de leurs messages, non seulement par leurs contemporains mais aussi par la postérité. Car, grâce aux oracles des prophètes, des cités ont été bâties, des hommes ont recouvré la santé, des famines ont pris fin. De plus, il est clair que la nation entière des Juifs, selon les oracles, vint d’Egypte fonder une colonie en Palestine. Tant qu’elle suivit les prescriptions de Dieu, elle a prospéré ; quand elle s’en écarta elle eut à s’en repentir. Et qu’est-il besoin de dire combien de princes et combien de particuliers d’après les récits de l’Écriture ont connu le succès ou l’échec suivant qu’ils ont été fidèles aux prophéties ou qu’ils les ont méprisées ? LIVRE VIII

Faut-il encore parler de l’absence d’enfants dont se désolaient des pères et des mères qui élevaient leurs prières pour cela au Créateur de l’univers ? Qu’on lise l’histoire d’Abraham et de Sara : c’est d’eux, alors qu’ils étaient déjà dans la vieillesse, que naquit Isaac, le père de toute la race juive et d’autres races. Qu’on lise aussi l’histoire d’Ézéchias qui non seulement obtint d’être délivré d’une maladie, selon les prophéties d’Isaïe, mais osa dire en pleine assurance : « A partir de maintenant, en effet, je procréerai des enfants qui annonceront ta justice. » De plus, dans le quatrième livre des Rois, l’hôtesse d’Elisée, qui par la grâce de Dieu prophétisa la naissance d’un enfant, devint mère à la prière du prophète. En outre d’innombrables infirmités ont été guéries par Jésus. Et beaucoup qui avaient osé se livrer aux sacrilèges contre le culte exercé dans le temple de Jérusalem ont souffert les châtiments racontés dans les livres des Macchabées. LIVRE VIII

Alors je ne sais pourquoi Celse, faisant état du courage de ceux qui luttent jusqu’à la mort pour ne point abjurer le christianisme, ajoute, comme s’il assimilait nos doctrines à celles que professent les initiateurs et les mystagogues : Par dessus tout, mon brave, comme tu crois à des châtiments éternels, les interprètes des mystères sacrés, initiateurs et mystagogues, y croient aussi. Les menaces que tu adresses aux autres, ils te les adressent à toi-même. Il est permis d’examiner lesquelles des deux sont les plus vraies ou plus puissantes. Car en paroles chacun affirme avec une égale énergie la vérité de ses doctrines propres. Mais quand il faut des preuves, les autres en montrent un grand nombre de manifestes, présentent des oeuvres de certaines puissances démoniaques et d’oracles, et résultant de toutes sortes de divinations. Il prétend donc par là que notre doctrine sur les châtiments éternels est la même que celle des initiateurs aux mystères, et veut examiner laquelle des deux est la plus vraie. Or je puis dire qu’est vraie la doctrine capable de mettre les auditeurs dans la disposition de vivre conformément à ses principes. Et telle est bien la disposition des Juifs et des chrétiens, relativement à ce qu’ils nomment le siècle à venir avec ses récompenses pour les justes, ses châtiments pour les pécheurs. Que Celse donc ou tout autre montre ceux à qui les initiateurs et les mystagogues inspirent de telles dispositions par rapport aux châtiments éternels ! Il est probable que l’intention de l’auteur de cette doctrine n’est pas seulement de donner lieu aux sacrifices expiatoires et aux discours sur les châtiments, mais encore de disposer les auditeurs à faire tout leur possible pour se garder eux-mêmes des actes qui sont la cause des châtiments. De plus, la lecture attentive des prophéties me paraît capable, par la prévision de l’avenir qu’elles contiennent, de persuader le lecteur intelligent et de bonne foi que l’Esprit de Dieu était présent en ces hommes. A ces prophéties on ne peut comparer le moins du monde aucune des oeuvres démoniaques que l’on exhibe, ni des actions miraculeuses dues aux oracles, ni des divinations. LIVRE VIII

Sans doute les prophéties parlent beaucoup en termes obscurs de la totale destruction du mal et de la réforme de toutes les âmes, mais il suffit pour l’instant de faire état du passage suivant de Sophonie : « Tiens-toi prêt, debout dès l’aurore : ils ne sont que du grappillon gâté. Aussi, dit le Seigneur, attends-moi au jour où je me lèverai pour porter témoignage. Car mon décret est de rassembler les nations, d’y faire comparaître les rois, de déverser sur eux toute l’ardeur de ma colère. Oui, toute la terre sera consumée dans le feu de ma jalousie. Alors je redonnerai aux peuples une langue pour sa génération, afin qu’ils invoquent tous le nom du Seigneur, qu’ils le servent sous un seul joug. Des extrémités des fleuves d’Ethiopie, ils m’offriront des sacrifices. En ce jour-là, tu n’auras plus à rougir de tout ce que tu as commis d’impiété contre moi. Car alors je te délivrerai du mépris de ton arrogance et tu cesseras de te pavaner sur ma montagne sainte. Je laisserai au milieu de toi un peuple doux et humble, et le reste d’Israël craindra le nom du Seigneur. Ils ne commettront plus d’injustices, ils ne prononceront plus de paroles vaines, et il n’y aura plus de langue trompeuse dans leur bouche. Aussi pourront-ils paître et se reposer sans que personne les inquiète. » LIVRE VIII