monde (Orígenes)

Paul a bien vu que la philosophie grecque contient des raisons non négligeables, plausibles aux yeux du grand public, qui présentent le mensonge comme vérité. Il dit à leur sujet : « Prenez garde que personne ne vous réduise en esclavage par la philosophie et une vaine séduction, selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. » Et parce qu’il voyait dans les discours de la sagesse du monde se manifester une certaine grandeur, il a dit que les discours des philosophes étaient « selon les éléments du monde ». Mais tout homme sensé nierait que les écrits de Celse soient de même « selon les éléments du monde ». Ceux-là ont quelque chose de séduisant, et Paul a parlé d’une vaine séduction peut-être pour la distinguer d’une séduction qui n’est pas vaine, celle qu’avait en vue Jérémie quand il eut l’audace de dire à Dieu : « Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit, tu as été plus fort que moi et plus puissant. » Mais ceux de Celse me paraissent n’avoir aucune séduction du tout, donc même pas la vaine séduction qu’offrent ceux des fondateurs d’écoles philosophiques, doués en ces matières d’une intelligence peu commune. Et de même que dans les spéculations géométriques, une faute banale ne peut être appelée « une donnée faussée », ou encore être proposée pour un exercice à partir de telles données, ainsi faut-il que ressemblent aux pensées des fondateurs d’écoles philosophiques celles qu’on pourrait qualifier comme les leurs de vaine séduction « selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde ». PRÉFACE

Il dit ensuite : En cachette les chrétiens pratiquent et enseignent ce qui leur plaît. Ils ont une bonne raison de le faire: ils écartent la peine de mort suspendue sur leur tête. Et il compare ce risque aux risques courus pour la philosophie par un Socrate. Il eût pu ajouter : par un Pythagore et par d’autres philosophes. A quoi on peut répondre : dans le cas de Socrate, les Athéniens se repentirent aussitôt et ne lui gardèrent pas de ressentiment, pas plus que (d’autres) à Pythagore : du moins, les disciples de Pythagore ont établi pendant longtemps leurs écoles dans la partie de l’Italie appelée Grande Grèce. Mais dans le cas des chrétiens, le Sénat romain en ses assises, les empereurs contemporains, l’armée, le peuple, les parents des fidèles, en guerre contre le christianisme, l’auraient entravé et vaincu par la conspiration de tant de forces s’il n’eût, par la puissance divine, surpassé et surmonté l’opposition, jusqu’à vaincre le monde entier conjuré contre lui. LIVRE I

Ensuite, puisqu’il appelle souvent secrète notre doctrine, il faut aussi le réfuter sur ce point. Le monde presque entier connaît . la prédication des chrétiens mieux que les thèses favorites des philosophes. Qui donc ignore de Jésus sa naissance d’une vierge, sa crucifixion, sa résurrection objet de foi pour un grand nombre, et la menace du jugement de Dieu qui, selon leurs mérites, punira les pécheurs et récompensera les justes ? Bien plus, le mystère de la résurrection, parce qu’il n’est point compris, est la risée incessante des incroyants. Dire que sur ces points notre doctrine est secrète, c’est le comble de l’absurdité. Et qu’il existe, comme au delà des matières d’enseignement public, certains points inaccessibles à la foule n’est pas propre à la seule doctrine des chrétiens , c’est aussi le cas des philosophes dont certaines doctrines étaient exotériques, et d’autres, ésotériques Des auditeurs de Pythagore s’en tenaient au « Il l’a dit », mais d’autres étaient instruits en secret de vérités inaccessibles aux oreilles profanes et non encore purifiées. De plus, tous les mystères célèbres en tous lieux de la Grèce ou de la barbarie, pour être secrets, n’ont pas été calomniés. C’est donc sans fondement, ni intelligence exacte du secret du christianisme qu’il le calomnie. LIVRE I

Ensuite Celse déclare en propres termes : “S’ils veulent bien répondre à mes questions, non que je cherche à me documenter, car je sais tout, mais je porte à tous une égale sollicitude, à la bonne heure ! Mais s’ils ne veulent pas, avec leur habituelle fin de non recevoir: N’examine pas… etc., alors il sera nécessaire de leur apprendre la nature vraie des doctrines qu’ils professent et la source dont elles proviennent…” etc. A son « car je sais tout », le comble de vantardise dont il ait eu l’audace, il faut répliquer : si jamais il avait lu les prophètes notamment, remplis de ce que tout le monde reconnaît comme des énigmes et des paroles qui restent obscures à la foule, s’il avait abordé les paraboles évangéliques, le reste de l’Ecriture, la loi, l’histoire juive, les discours des apôtres, et s’il avait voulu, par une lecture judicieuse, pénétrer jusqu’au sens des expressions, il n’aurait pas eu cette audace de dire « car je sais tout ». Même moi, qui leur ai consacré mon temps, je ne dirais pas «car je sais tout», car j’aime la vérité. Nul d’entre nous ne dira « car je sais tout » du système d’Épicure, ou n’aura la témérité de croire qu’il sait tout du platonisme, tant sont nombreuses les divergences même entre ceux qui en font l’exposé. Qui donc est assez téméraire pour dire « car je sais tout » du stoïcisme, tout du péripatétisme ? A moins par hasard qu’il n’ait appris ce « car je sais tout » de gens du peuple inconscients de leur propre ignorance, et qu’il ne croie tout connaître pour avoir eu de tels maîtres ! Son attitude évoque celle d’un homme qui aurait séjourné en Egypte ; là les sages donnent, d’après les livres sacrés du pays, nombre d’interprétations philosophiques d’usages qu’ils tiennent pour divins, tandis que le vulgaire, connaissant par ouï-dire quelques mythes dont il ne sait pas la portée doctrinale, en conçoit un vif orgueil ; et notre homme croirait savoir toute la doctrine des Egyptiens, pour s’être fait disciple des profanes de là-bas, sans avoir fréquenté un seul des prêtres, ni reçu d’aucun d’eux les enseignements secrets des Egyptiens. Et ce que j’ai dit des sages et des profanes de l’Egypte, on peut le voir également chez les Perses : là aussi il y a des initiations interprétées rationnellement par l’élite du pays, mais accomplies dans leurs figures extérieures par la multitude plus superficielle. Et il faut en dire autant des Syriens, des Indiens, de tous ceux qui possèdent des mythes et des livres sacrés. LIVRE I

Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la doctrine, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces doctrines, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux doctrines avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I

Mais je m’étonne que Celse ait classé “les Odryses, les habitants de Samothrace et d’Eleusis, les Hyperboréens parmi les peuples les plus anciens et les plus sages”, et qu’il n’ait daigné admettre les Juifs ni avec les sages ni avec les anciens. Bien des ouvrages circulent en Egypte, en Phénicie, en Grèce qui témoignent de leur antiquité, mais j’ai jugé superflu de les citer. Tout le monde peut lire les deux livres de Flavius Josèphe sur “l’Antiquité des Juifs”, où il mentionne une importante collection d’écrivains qui attestent l’antiquité judaïque. On cite encore le “Discours aux Grecs” de Tatien le Jeune, très savant compilateur des historiens de l’antiquité des Juifs et de Moïse. Celse paraît donc avoir écrit cela sans souci de la vérité, mais par malveillance, pour attaquer l’origine du christianisme, qui dépend du judaïsme. Il dit de plus : “Les Galactophages d’Homère, les Druides de la Gaule, les Gètes sont des peuples antiques et de haute sagesse qui professent des doctrines apparentées à celle des Juifs”. En trouve-t-on des écrits, je l’ignore. Mais aux seuls Juifs il dénie autant qu’il peut l’antiquité et la sagesse. LIVRE I

Je pourrais l’inviter à comparer nos livres respectifs et dire : Allons, mon brave, apporte les poèmes de Linos, de Musée, d’Orphée, les écrits de Pherecyde, et confronte-les avec la loi de Moïse. Mets en parallèle les histoires avec les histoires, les préceptes de morale avec les lois et les commandements. Et vois lesquels d’entre eux sont plus capables de convertir d’emblée ceux qui les entendent, et lesquels d’entre eux de faire périr l’auditeur. Et remarque combien la cohorte de tes auteurs s’est peu inquiétée de ceux qui liraient sans préparation , c’est pour les seuls gens capables d’interprétation figurée et allégorique, qu’elle a écrit, dis-tu, sa propre philosophie. Moïse, au contraire, à procédé dans ses cinq livres comme un rhéteur de race qui soigne son style et veille a présenter partout le double sens des mots à la foule des Juifs soumis à ses lois, il ne donne pas d’occasions d’un dommage moral , à l’élite capable d’une lecture pénétrante, il ne présente pas de texte qui ne soit plein de spéculation pour qui peut chercher son intention profonde. Et les livres de tes sages poètes, à ce qu’il semble, ne sont même plus conservés, on les eût conservés si le lecteur en avait tiré profit. Mais les écrits de Moïse ont incité un grand nombre de gens, même étrangers à la culture juive, à croire, comme le proclament les écrits, que le premier auteur des lois données à Moïse, c’est Dieu le créateur du monde. Il convenait en effet que l’artisan de tout l’univers imposât ses lois à tout l’univers et donnât à ses paroles une puissance capable d’en soumettre tous les habitants. Et cela, je l’affirme sans traiter encore de Jésus, mais toujours de Moïse, qui est bien inférieur au Seigneur, et je montre, comme l’argument le prouvera, que Moïse est bien supérieur a tes sages poètes et philosophes. LIVRE I

Ensuite, dans le secret dessein de calomnier le récit de la création d’après Moïse, qui révèle que le monde n’a pas encore dix mille ans, tant s’en faut, Celse prend parti, tout en cachant son intention, pour ceux qui disent que le monde est incréé. Car en disant : “Il y eut de toute éternité bien des embrasements, bien des déluges, dont le plus récent est l’inondation survenue naguère au temps de Deucalion”, il suggère clairement à ceux qui sont capables de le comprendre que, selon lui, le monde est incréé. Mais qu’il nous dise, cet accusateur de la foi chrétienne, par quels arguments démonstratifs il a été contraint d’admettre qu’il y eut bien des embrasements, bien des déluges, et que les plus récents de tous furent l’inondation du temps de Deucalion et l’embrasement du temps de Phaéton ! S’il produit à leur sujet les dialogues de Platon, nous lui répondrons : à nous aussi il est permis de dire que dans l’âme pure et pieuse de Moïse, élevé au-dessus de tout le créé et uni au Créateur de l’univers, résidait un esprit divin qui fit connaître la vérité sur Dieu bien plus clairement que Platon et les sages grecs ou barbares. Et s’il nous demande des raisons de cette foi, qu’il nous en donne le premier de ce qu’il avance sans preuves, ensuite nous prouverons que nos affirmations sont fondées. LIVRE I

Cependant, même malgré lui, Celse en est venu à témoigner que le monde est plus récent et qu’il n’a pas encore dix mille ans, quand il dit : “Les Grecs tiennent ces événements pour antiques, car de plus anciens, ils n’en ont, du fait des déluges et des embrasements, ni observé, ni conservé de souvenirs”. Libre à Celse d’avoir, pour lui enseigner le mythe des embrasements et des inondations, les Egyptiens, gens, à son dire, d’une haute sagesse ! Sagesse dont les vestiges sont des animaux sans raison qu’ils adorent et des arguments qui prouvent que le culte ainsi rendu à la divinité est raisonnable et relève du secret et des mystères ! Ainsi quand les Egyptiens, pour vanter leur doctrine sur les animaux, apportent des raisons théologiques, les voilà devenus des sages. Mais, qu’on admette la loi et le législateur des Juifs, qu’on rapporte tout au Dieu unique, créateur de l’univers, on est moins considéré, aux yeux de Celse et de ses semblables, que si on ravale la divinité non seulement aux vivants raisonnables et mortels, mais encore aux êtres privés de raison, ce qui dépasse le mythe de la métensomatose concernant l’âme qui tombe de la voûte du ciel et descend jusqu’aux animaux sans raison, non seulement les animaux domestiques mais les bêtes les plus féroces. Et si les Egyptiens développent des mythes, c’est, croit-on, philosophie par énigmes et mystères ; mais si Moïse, qui écrit des histoires pour toute sa nation, lui laisse des récits et des lois, ses paroles, pense-t-on, sont fables vides et n’admettent pas d’allégorie ! . Voilà l’opinion de Celse et des Epicuriens. LIVRE I

“C’est donc cette doctrine, dit-il, courante chez les nations sages et les hommes illustres, que Moïse a connue par oui-dire et qui lui valut un nom divin”. A supposer que Moïse ait appris une doctrine plus ancienne et l’ait transmise aux Hébreux, il faut répondre : si, apprenant une doctrine mensongère, sans sagesse ni sainteté, il l’a acceptée et transmise à ses sujets, il est blâmable. Mais si, comme tu dis, il a donné son adhésion à des doctrines sages et vraies, et a fait l’éducation de son peuple grâce à elles, est-ce un acte qui mérite accusation ? Plût au ciel qu’Épicure, qu’Aristote un peu moins impie envers la providence, que les Stoïciens qui font de Dieu un être corporel, aient appris cette doctrine ! Le monde n’eût pas été plein d’une doctrine qui rejette ou coupe en deux la providence ; ou qui introduit un premier principe corruptible, corporel, en vertu duquel Dieu même est un corps pour les Stoïciens : ils n’ont pas honte de le dire susceptible de changement, d’altération intégrale, de transformation, bref, capable de corruption s’il avait un agent corrupteur, mais ayant la chance de n’être pas corrompu parce qu’il n’y a rien qui le corrompe. Mais la doctrine des Juifs et des chrétiens, qui garde l’invariabilité et l’immutabilité de Dieu, est tenue pour impie, parce qu’elle n’est pas complice de ceux qui ont sur Dieu des pensées impies : elle qui dit dans ses prières à la divinité : « Mais toi, tu es toujours le même », et qui croit que Dieu a dit : « Je ne change pas ». LIVRE I

Ensuite, Celse prétend que sous “la conduite de Moïse leur chef, des gardeurs de chèvres et de moutons, l’esprit abusé d’illusions grossières, ont cru qu’il n’y a qu’un seul Dieu”. Qu’il nous montre alors comment, si des gardeurs de chèvres et de moutons, sans motif raisonnable, d’après lui, se sont détournés du culte des dieux, il peut lui-même justifier la multitude des dieux honorés chez les Grecs et les autres peuples barbares. Qu’il montre alors l’existence et la réalité de Mnémosyne rendue par l’action de Zeus mère des Muses, et celle de Thémis, mère des Heures. Qu’il établisse que les Grâces peuvent réellement avoir existé toujours nues. Mais il ne pourra montrer par les faits que les fictions des Grecs, qui semblent bien être des personnifications, sont des dieux. En quoi la mythologie religieuse des Grecs est-elle plus vraie, par exemple, que celle des Egyptiens qui ne connaissent dans leur langue ni Mnémosyne mère des neuf Muses, ni Thémis mère des Heures, ni Eurynome mère des Grâces, ni le nom des autres ? Combien plus efficace et supérieure à toutes ces fantaisies est la persuasion, par ce qui est visible, du bon ordre du monde et l’adoration de l’artisan unique d’un monde qui est un, en harmonie avec la réalité totale ; qui ne peut, en conséquence, avoir été l’oeuvre de plusieurs démiurges, ni être maintenu par plusieurs âmes mouvant l’ensemble du ciel. Une seule, en effet, suffît, portant tout le firmament du levant au couchant, contenant en elle-même tout ce qui est nécessaire au monde mais n’a pas sa fin en soi. Toutes choses sont parties du monde, mais Dieu n’est point partie du tout ; car Dieu ne doit pas être imparfait comme la partie est imparfaite. Mais sans doute un raisonnement plus profond montrerait-il que, en rigueur de termes, Dieu n’est pas plus un tout qu’il n’est une partie, puisque le tout est fait de parties. Et la raison ne permet pas d’admettre que le Dieu suprême soit fait de parties dont chacune ne peut faire ce que peuvent les autres. LIVRE I

Ensuite, il dit : “Ces gardeurs de chèvres et de moutons crurent en un seul Dieu Très-Haut, Adonaï, Ouranos, Sabaoth, ou tout autre nom qu’ils se plaisent à donner à ce monde, et ils n’en savent pas davantage”. Il ajoute ensuite : “Il n’importe en rien qu’on appelle le Dieu suprême « Zeus » du nom qu’il a chez les Grecs, ou « un tel » comme par exemple chez les Indiens, ou « un tel » comme chez les Egyptiens”. Il faut répondre que ce sujet touche à la question profonde et mystérieuse de la nature des noms. Sont-ils, comme croît Aristote, conventionnels ? ou, suivant l’opinion des Stoïciens, tires de la nature les premiers vocables imitant les objets qui sont à l’origine des noms, — vue selon laquelle ils proposent certains principes d’étymologie ? Ou bien, suivant l’enseignement d’Épicure, différent de l’opinion du Portique, les noms existent-ils naturellement, les premiers hommes ayant émis des vocables conformes aux choses ? Si nous pouvions, dans la question présente, établir la nature des noms « efficaces », dont certains sont en usage chez les sages d’Egypte, les doctes parmi les mages de Perse, les Brahmanes ou les Samanéens parmi les philosophes de l’Inde, et ainsi de suite pour chaque peuple , si nous étions capables de prouver que ce qu’on nomme la magie n’est pas, comme le pensent les disciples d’Épicure et d’Aristote, une pratique entièrement incohérente, mais, comme le démontrent les gens experts en cet art, un système cohérent, dont très peu connaissent les principes nous dirions alors que le nom de Sabaoth, d’Adonai, et tous les autres transmis chez les Hébreux avec une grande vénération, ne sont pas donnés d’après des réalités communes ou créées, mais d’après une mystérieuse science divine qui est attribuée au Créateur de l’univers Pour cette raison, ces noms ont de l’effet quand on les dit dans un enchaînement particulier qui les entrelace, de même encore d’autres noms prononcés en langue égyptienne à l’adresse de certains démons qui ont de l’effet dans tel domaine, ou d’autres en dialecte perse à l’adresse d’autres puissances, et ainsi dans chaque peuple. Et on trouverait de même que les noms des démons terrestres qui ont en partage des régions différentes sont prononcés de la façon qui convient au dialecte du lieu et du peuple. Celui donc qui possède de tout cela une plus noble compréhension, fut-elle restreinte, prendra soin d’adapter exactement chaque nom à chaque réalité, afin d’éviter toujours le malheur de ceux qui appliquent à faux le nom de Dieu à la matière inanimée, ou qui ravalent l’appellation du Bien, de la Cause première, de la vertu ou de la beauté à la richesse aveugle, à l’équilibre de la chair, du sang et des os qui font la santé et le bien-être, ou à ce qu’on regarde comme la noblesse de naissance. LIVRE I

Si l’on est capable de réflexion philosophique sur la signification mystérieuse des noms, on peut trouver beaucoup à dire encore sur l’appellation des anges de Dieu l’un d’eux se nomme Michel, un autre Gabriel, un autre Raphaël, d’après les fonctions qu’ils ont à remplir dans le monde entier de par la volonté du Dieu de l’univers. D’une semblable philosophie des noms relève notre Jésus on a déjà vu clairement son nom expulser d’innombrables démons des âmes et des corps, et exercer sa vertu sur ceux dont ils ont été chassés. LIVRE I

Parmi les hommes, ce qui contribue à rendre l’un d’eux remarquable, illustre et d’un nom célèbre, c’est la naissance de parents d’un rang supérieur et influent, la richesse de ceux qui l’ont élevé et ont pu dépenser de l’argent pour l’éducation de leur fils, une patrie puissante et renommée. Mais quand un homme, dans une situation toute contraire, se montre capable, surmontant les obstacles, de se faire connaître, d’ébranler ceux qui entendent prononcer son nom, d’emplir de sa renommée glorieuse le monde entier qui répète ses exploits incomparables, comment refuser une admiration immédiate à une telle nature pour sa noblesse d’âme, son audace aux grandes entreprises, son franc-parler remarquable. LIVRE I

Voilà donc, ce me semble, exactement démontré non seulement que notre Sauveur naîtrait d’une vierge, mais encore qu’il y avait des prophètes parmi les Juifs : ils ne prédisaient pas uniquement les événements futurs d’intérêt général, comme la destinée du Christ et celle des royaumes de ce monde, les malheurs futurs d’Israël, la foi des Gentils au Sauveur et bien d’autres choses dites à son sujet, mais même les événements particuliers, comme la manière de retrouver les ânesses perdues de Cis, la maladie dont souffrait le fils du roi d’Israël et toutes les autres histoires de ce genre. LIVRE I

Mais, à l’adresse des Grecs qui ne croient pas que Jésus soit né d’une vierge, il faut ajouter : le Créateur a montré dans la naissance d’animaux variés que, ce qu’il fait pour un animal, il lui était possible, s’il le voulait, de le faire pour d’autres et pour les humains eux-mêmes. On trouve certaines femelles d’animaux qui n’ont pas commerce avec un mâle, comme les naturalistes le disent du vautour, et cet animal sauve la continuité de son espèce sans union sexuelle. Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire que Dieu, ayant voulu envoyer un maître divin à la race humaine, au lieu de créer par un principe séminal résultant de l’union des mâles aux femelles, ait décidé que le principe de celui qui allait naître fût d’un autre ordre ? De plus, selon les Grecs eux-mêmes, tous les hommes ne sont pas nés d’un homme et d’une femme. Si, en effet, le monde a été créé, comme bien des Grecs l’ont admis, nécessairement les premiers hommes ne sont pas nés d’une union sexuelle, mais de la terre qui contenait les raisons séminales : ce que je trouve plus extraordinaire que la naissance de Jésus à demi semblable à celle du reste des hommes. Et à l’adresse des Grecs, il n’est pas déplacé de citer encore des histoires grecques, pour qu’ils ne paraissent pas les seuls à user de cette extraordinaire histoire. Certains ont jugé bon, à propos non plus d’anciennes légendes héroïques, mais d’événements d’hier ou avant-hier, d’écrire comme chose possible que Platon même fut né d’Amphictione alors qu’Ariston avait été empêché d’approcher d’elle avant qu’elle eût enfanté ce fils conçu d’Apollon. Il s’agit là en réalité de mythes qui ont poussé à imaginer un prodige de ce genre au sujet d’un homme, parce que, jugeait-on, il était d’une sagesse et d’une puissance supérieures à celles de la plupart et il avait reçu de semences supérieures et divines le principe de sa constitution corporelle, comme il convient à ceux qui ont une grandeur plus qu’humaine. Mais quand Celse, après avoir introduit le Juif s’entretenant avec Jésus, crible de sarcasmes ce qu’il considère comme la fiction de sa naissance d’une vierge, et qu’il cite les mythes grecs de “Danaé”, “de Mélanippe”, “d’Auges et d’Antiope”, il faut dire que ces propos convenaient à un bouffon, non à un écrivain qui prend son message au sérieux. LIVRE I

Le Juif peut bien demeurer sans réponse sur Ézéchiel et Isaïe, lorsque je rattache le récit de l’ouverture du ciel au-dessus de Jésus et de la voix entendue par lui à des récits semblables que l’on trouve dans Ézéchiel, Isaïe ou quelque autre prophète, pour moi du moins, j’étaierai autant que possible mon argumentation. C’est une croyance générale qu’en songe beaucoup se représentent certaines réalités divines et certains signes annonçant des événements futurs de cette vie, clairement ou par énigmes, et la chose est évidente pour tous ceux qui admettent une providence ; aussi pourquoi serait-il absurde que ce qui affecte l’esprit dans un songe puisse encore l’affecter dans une vision pour l’utilité du sujet affecté ou de ceux qui l’entendront de sa bouche ? Et de même qu’en songe nous recevons l’impression que nous entendons et que des sons frappent notre oreille physique ou que nous voyons avec nos yeux, sans que rien n’atteigne ni les yeux du corps, ni l’oreille, mais parce que l’esprit reçoit ces impressions, ainsi n’y a-t-il aucune absurdité que tel ait été le cas des prophètes, quand l’Écriture rapporte qu’ils ont eu des visions merveilleuses, entendu les paroles du Seigneur, vu le ciel s’entrouvrir. Car je ne pense pas que le ciel sensible ait été ouvert et que sa réalité physique, en s’entrouvrant, se soit partagée pour permettre à Ézéchiel de décrire une telle vision. Peut-être faut-il donc que dans le cas du Sauveur aussi le lecteur sensé des Evangiles admette la même chose, fût-ce au scandale des simples qui dans leur grande naïveté remuent le monde et fendent l’immense masse unifiée de tout le ciel. LIVRE I

Un examen approfondi de la question fera dire : suivant le terme de l’Écriture, il existe une sorte de genre, un sens divin, que le bienheureux seul trouve à présent, au dire de Salomon « Tu trouveras un sens divin » Et ce sens comporte des espèces, la vue, qui peut fixer les réalités supérieures aux corps, dont font partie les Chérubins et les Séraphins , l’ouïe, percevant des sons dont la réalité n’est pas dans l’air , le goût, pour savourer le pain vivant descendu du ciel et donnant la vie au monde ; de même encore l’odorat, qui sent ces parfums dont parle Paul qui se dit être « pour Dieu la bonne odeur du Christ » , le toucher, grâce auquel Jean affirme avoir touche de ses mains « le Logos de vie ». Ayant trouvé le sens divin, les bienheureux prophètes regardaient divinement, écoutaient divinement, goûtaient et sentaient de même façon, pour ainsi dire d’un sens qui n’est pas sensible , et ils touchaient le Logos par la foi, si bien qu’une émanation leur arrivait de lui pour les guérir. Ainsi voyaient-ils ce qu’ils écrivent avoir vu, entendaient-ils ce qu’ils disent avoir entendu, éprouvaient-ils des sensations de même ordre lorsqu’ils mangeaient, comme ils le notèrent, « le rouleau » d’un livre qui leur était donné. Ainsi encore Isaac « sentit l’odeur des vêtements » divins de son fils et put ajouter à sa bénédiction spirituelle : « Voici l’odeur de mon fils, pareille à l’odeur d’un champ fertile béni par le Seigneur. » De la même manière que dans ces exemples et de façon plus intelligible que sensible, Jésus « toucha » le lépreux pour le guérir doublement, à mon avis, en le délivrant non seulement, comme l’entend la foule, de la lèpre sensible par son toucher sensible, mais encore de l’autre lèpre par son toucher véritablement divin. C’est donc ainsi que « Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Oui, j’ai vu et j’atteste que c’est Lui le Fils de Dieu. » De plus, c’est bien pour Jésus que le ciel s’est ouvert ; et à ce moment là, de nul autre que Jean il n’est écrit qu’il vit le ciel ouvert. Mais le Sauveur prédit à ses disciples que de cette ouverture du ciel ils seront plus tard les témoins, et dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme. » Ainsi encore Paul fut ravi au troisième ciel, après l’avoir vu d’abord ouvert, puisqu’il était disciple de Jésus. Mais expliquer maintenant pourquoi Paul dit : ” Etait-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais. Dieu le sait “, est hors de propos. LIVRE I

Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I

On a observé, lors des grands événements et des changements les plus considérables qui surviennent sur terre, que de tels astres se lèvent, indiquant des changements de règne, des guerres, tout ce qui peut advenir chez les hommes et provoquer des secousses dans le monde terrestre. J’ai lu dans le traité “Sur les comètes” de Chaerémon le Stoïcien comment il arrive parfois que des comètes se sont levées à l’approche d’événements heureux, et il en cite des exemples. Si donc à l’occasion de nouveaux règnes ou d’autres événements importants sur terre se lève une « comète » ou un des astres semblables, quoi d’étonnant qu’un astre se soit levé à la naissance de celui qui allait ouvrir de nouvelles voies pour la race humaine et introduire sa doctrine, non seulement chez les Juifs, mais encore chez nombre de Grecs et chez les peuples barbares? Quant à moi, je peux dire : au sujet des comètes, on ne rapporte aucune prophétie que sous tel règne, à telle époque, se lèverait telle comète ; mais sur l’astre qui s’est levé à la naissance de Jésus, Balaam a prophétisé, disant, comme le nota Moïse : « Un astre se lèvera de Jacob, et un homme s’élèvera d’Israël » Et s’il est nécessaire encore d’examiner ce que l’Écriture dit des mages à la naissance de Jésus, et de l’apparition de l’étoile, voici des observations que je pourrais présenter les unes aux Grecs, les autres aux Juifs. LIVRE I

Il n’est pas étonnant qu’Hérode ait tramé un complot contre le nouveau-né, même si le Juif de Celse refuse de le croire : la méchanceté est aveugle et voudrait, comme si elle était plus forte que lui, vaincre le destin. Dans ce sentiment, Hérode crut bien à la naissance du roi des Juifs, mais il prit une décision en désaccord avec cette croyance, sans avoir vu le dilemme : ou effectivement il était roi et il régnerait, ou il ne régnerait pas et vouloir sa mort était mutile. Il désira donc le mettre à mort, ayant à cause de sa méchanceté des jugements discordants, poussé par le diable aveugle et méchant qui, dès l’origine, conspirait contre le Sauveur, et présageant que Celui-ci était et deviendrait quelqu’un de grand. Cependant un ange, qui, bien que Celse refuse de le croire, veillait à la suite des événements, avertit Joseph de partir en Egypte avec l’enfant et sa mère ; mais Hérode fit tuer tous les enfants de Bethléem et des alentours, dans l’espoir de supprimer le roi des Juifs qui venait de naître. C’est qu’il ne voyait pas la Puissance toujours vigilante à protéger ceux qui méritent d’être gardés avec soin pour le salut de l’humanité. Au premier rang, supérieur à tous en honneur et en excellence, se trouvait Jésus : il serait roi, non pas au sens où l’entendait Hérode, mais où il convenait que Dieu lui conférât la royauté, pour le bienfait de ceux qui seraient sous sa loi : à lui qui allait non point accorder à ses sujets un bienfait ordinaire et pour ainsi dire indifférent, mais les former et les soumettre à des lois qui sont vraiment celles de Dieu. Cela aussi, Jésus le savait : il nia être roi au sens reçu par la multitude, et enseigna l’excellence de sa royauté personnelle en ces mots : « Si ma royauté était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais en fait, elle n’est pas de ce monde, ma royauté ». » Si Celse l’avait vu, il n’aurait pas dit : ” Si c’était de peur que, devenu grand, tu ne règnes à sa place, pourquoi, maintenant que te voilà grandi, ne règnes-tu pas, toi le Fils de Dieu, au lieu de mendier si lâchement, courbant l’échine de crainte, et te consumant par monts et par vaux ?” Mais il n’y a pas de lâcheté à éviter prudemment de s’exposer aux dangers, non par crainte de la mort, mais pour secourir utilement les autres en continuant à vivre, jusqu’à ce que vienne le temps opportun pour que Celui qui avait pris une nature humaine meure d’une mort d’homme, utile aux hommes ; c’est une évidence pour qui a compris que Jésus est mort pour le salut des hommes, comme je l’ai dit précédemment de mon mieux. LIVRE I

Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa doctrine n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa doctrine et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux doctrines des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma doctrine et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la mort pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I

Celse a traité les apôtres de Jésus d’hommes décriés, en les disant « publicains et mariniers fort misérables ». Là encore je dirai : il semble tantôt croire à son gré aux Écritures, pour critiquer le christianisme, et tantôt, pour ne pas admettre la divinité manifestement annoncée dans les mêmes livres, ne plus croire aux Evangiles. Il aurait fallu, en voyant la sincérité des écrivains à leur manière de raconter ce qui est désavantageux, les croire aussi en ce qui est divin. Il est bien écrit, dans l’épître catholique de Barnabé, dont Celse s’est peut-être inspiré pour dire que les apôtres de Jésus étaient des hommes décriés et fort misérables, que « Jésus s’est choisi ses propres apôtres, des hommes qui étaient coupables des pires péchés ». Et, dans l’Évangile selon Luc, Pierre dit à Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. » De plus, Paul déclare dans l’épître à Timothée, lui qui était devenu sur le tard apôtre de Jésus : « Elle est digne de foi la parole : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je tiens moi, le premier rang. » Mais je ne sais comment Celse a oublié ou négligé de mentionner Paul fondateur, après Jésus, des églises chrétiennes. Sans doute voyait-il qu’il lui faudrait, en parlant de Paul, rendre compte du fait que, après avoir persécuté l’Église de Dieu et cruellement combattu les croyants jusqu’à vouloir livrer à la mort les disciples de Jésus, il avait été ensuite assez profondément converti pour « achever la prédication de l’Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie », tout en « mettant son point d’honneur de prédicateur de l’Évangile », pour éviter de « bâtir sur les fondations posées par autrui », à ne prêcher que là où n’avait pas du tout été annoncée la bonne nouvelle de Dieu réalisée dans le Christ. Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que Jésus, dans le dessein de montrer au genre humain quelle puissance il possède de guérir les âmes, ait choisi des hommes décriés et fort misérables, et les ait fait progresser jusqu’à devenir l’exemple de la vertu la plus pure pour ceux qu’ils amènent à l’évangile du Christ ? LIVRE I

A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I

Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II

Qu’est-ce donc que Jésus « a promis » et n’a pas accompli ? Que Celse l’établisse et le prouve ! Mais il en sera bien incapable : pour la raison majeure qu’il croit tirer ses arguments contre Jésus et contre nous soit d’histoires mal comprises, soit même de lectures évangéliques, soit de récits juifs. De plus, puisque le Juif répète : « Nous l’avons convaincu, condamné, jugé digne du supplice », qu’on nous montre comment ceux qui cherchaient à établir de faux témoignages contre lui l’ont convaincu ! A moins peut-être que la grande charge contre Jésus ne fût cette déposition des accusateurs : « Cet homme a affirmé : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours » ? Mais « il parlait du temple de son corps ». Tandis qu’ils croyaient, ne sachant l’interpréter au sens de son auteur, que le propos concernait le temple de pierre, plus honoré chez les Juifs que Celui qu’il aurait fallu honorer comme le véritable temple du Dieu Logos, de la Sagesse, de la Vérité. Et que l’on dise comment Jésus « s’est caché et a fui de la manière la plus honteuse » ! Qu’on y montre une conduite digne de blâme ! Il affirme encore qu’« il fut pris ». Je pourrais répliquer : si « être pris » implique que c’était contre son gré, Jésus ne fut pas pris. De lui-même, au moment voulu, il ne s’est pas gardé de tomber aux mains des hommes, comme « Agneau de Dieu », afin « d’ôter le péché du monde ». « Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! C’est moi ! leur dit-il. Judas, qui le livrait se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : C’est moi ! ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là. » De plus, à celui qui, voulant le secourir, frappa le serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille, il dit : « Remets ton glaive au fourreau ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Écritures, d’après lesquelles il devait en être ainsi ? » Fiction des évangélistes que tout cela, croira-t-on ? Pourquoi la fiction ne serait-elle pas plutôt dans les paroles inspirées par l’hostilité et la haine contre le Christ et les chrétiens, et la vérité, dans le témoignage de ceux qui ont prouvé la sincérité de leur attachement à Jésus en supportant pour ses paroles toutes sortes de peines ? Les disciples de Jésus auraient-ils reçu une telle patience et constance à résister jusqu’à la mort, s’ils avaient été disposés à des inventions mensongères au sujet de leur maître ?… Qu’ils aient été convaincus de la vérité de ce qu’ils ont écrit ressort, avec une évidence manifeste pour tout bon esprit, des cruelles et multiples souffrances qu’ils ont supportées pour celui qu’ils croyaient être Fils de Dieu. LIVRE II

Ensuite qu’il ait été livré par ceux qu’il appelait ses disciples, le Juif de Celse l’a appris des Evangiles, bien qu’il désigne comme plusieurs disciples le seul Judas, afin de paraître corser l’accusation. Mais il n’a pas sérieusement examiné tout ce qui est écrit de Judas : Judas était tiraillé par des jugements opposés et contradictoires, il ne mit pas toute son âme à être hostile à Jésus, ni toute son âme à garder le respect d’un disciple envers son maître. Car, à la troupe venue pour s’emparer de Jésus, « le traître avait donné ce signe : Celui que je baiserai, c’est lui, arrêtez-le. » Il gardait un reste de respect envers son maître, sinon, il l’aurait livré ouvertement, sans baiser hypocrite. N’est-ce donc point suffisant pour persuader tout le monde que, dans sa détermination, Judas, avec l’avarice et la décision perverse de livrer son maître, avait dans son âme quelque chose de mêlé, suscité en lui par les paroles de Jésus, et qui ressemblait, pour ainsi dire, à un reste de bonté ? Car il est écrit « Alors Judas qui l’avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands-prêtres et aux anciens « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang juste » Ceux-ci répondirent « Que nous importe ? A toi de voir ! » Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre “. Mais si Judas, qui était avare et volait ce qu’on jetait dans la bourse pour le compte des pauvres, « pris de remords, rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens », il est clair que les enseignements de Jésus avaient pu susciter en lui quelque remords, et que le traître ne les avait pas totalement méprisés et rejetés. Bien plus le « J’ai péché en livrant un sang innocent » était l’aveu public du péché commis. Vois donc la véhémence et l’excès du chagrin que lui donna le remords de ses péchés il ne pouvait plus supporter de vivre, mais, après avoir jeté les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. En se faisant justice, il montra combien avait eu de puissance l’enseignement de Jésus même dans un pécheur comme Judas, voleur et traître, incapable de mépriser totalement ce qu’il avait appris de Jésus. Les partisans de Celse diront-ils que ces preuves manifestes que l’apostasie de Judas ne fut pas totale, en dépit même de ce qu’il osa contre son maître, ne sont que des fictions, tandis que le seul fait avéré est la trahison d’un des disciples, et ajouteront-ils au récit qu’il l’a encore trahi de toute son âme ? Ce qui est sans force persuasive, c’est, à partir des mêmes textes, de tout faire en esprit de haine, soit donner sa créance, soit la refuser. LIVRE II

Il accuse “les disciples d’avoir inventé qu’il avait su par avance et prédit tout ce qui lui est arrivé”. C’est cependant la vérité, quoique Celse refuse de l’admettre ; je l’établirai par beaucoup d’autres paroles prophétiques du Sauveur, où il a prédit ce qui est arrivé aux chrétiens même dans les générations postérieures. Qui donc n’admirerait cette prédiction : « Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi, pour leur rendre témoignage à eux et aux Gentils », et toutes les autres prédictions qu’il a faites sur les persécutions futures de ses disciples ? Y eut-il une autre doctrine au monde dont on ait châtié les adeptes, pour que l’un des détracteurs de Jésus dise : prévoyant les contradictions que susciteraient les impiétés et les mensonges de ses doctrines, il a décidé de s’en faire un titre de gloire par la prédiction qu’il en faisait dès l’origine ? Car si l’on devait, pour leurs doctrines, traîner des hommes au tribunal des gouverneurs et des rois, quels autres fallait-il traîner que les Epicuriens pour leur négation radicale de la Providence et que les Péripatéticiens pour leur affirmation de l’inutilité totale des prières et des sacrifices qu’on croit offrir à la divinité ? LIVRE II

Considère s’il n’y a pas une grande autorité dans sa parole : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, à mon tour je me déclarerai pour lui devant mon père qui est dans le ciel ; mais quiconque me reniera devant les hommes… » etc. Remonte avec moi par la pensée à Jésus prononçant ces paroles, et note que ce qu’il prédisait n’est pas encore arrivé. Peut-être, par manque de foi en lui, diras-tu : ce ne sont que sornettes et paroles en l’air, car la chose prédite n’arrivera pas. Ou peut-être le doute sur l’assentiment à donner à ses paroles te fera dire : si ces prédictions sont accomplies, si l’enseignement des paroles de Jésus est accrédité, du fait que les gouverneurs et les rois se préoccupent de détruire ceux qui reconnaissent Jésus, alors nous croirons qu’il a dit cela parce qu’il avait reçu de Dieu une grande autorité pour répandre cette doctrine dans le genre humain, et était persuadé de son triomphe. Et qui ne serait rempli d’admiration en remontant par la pensée à Celui qui enseignait alors et disait : « Cet Évangile sera prêché dans le monde entier, en témoignage pour eux et les Gentils », et en considérant que, comme il l’avait dit, l’Évangile de Jésus a été prêché « à toute créature sous le ciel», « aux Grecs et aux barbares, aux savants et aux ignorants » ? Car sa parole prêchée avec puissance a soumis toute l’humanité et il n’est pas possible de voir une race d’hommes qui ait pu se soustraire à l’enseignement de Jésus. LIVRE II

J’ai ainsi répondu à l’objection : ” Comment donc est-il croyable qu’il l’ait prédit ? ” Quant à cette autre : “Comment un mort est-il immortel ? ” apprenne qui voudra que ce n’est pas le mort qui est immortel, mais le ressuscité des morts. Non seulement donc le mort n’était pas immortel, mais Jésus lui-même, qui était un être composé, avant sa mort n’était pas immortel. Nul homme destiné à mourir n’est immortel ; il est immortel quand il ne doit plus mourir. « Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus d’empire », quoi que veuillent les gens incapables de comprendre le sens de ces paroles. Voici une autre rare insanité : ” Quel dieu, quel démon, quel homme sensé, prévoyant que de tels malheurs lui arriveraient, ne les auraient pas évités, s’il en avait eu le moyen, au lieu de donner tête baissée dans les dangers prévus ?” Socrate, en tout cas, savait que s’il buvait la ciguë, il mourrait, et il avait le moyen, s’il avait obéi à Criton, de s’évader de la prison et de ne rien souffrir de tout cela. Mais il décida, suivant ce qui lui semblait raisonnable, qu’il valait mieux pour lui mourir en philosophe que mener une vie indigne de sa philosophie. De plus, Léonidas, stratège de Lacédémone, sachant qu’il allait bientôt mourir avec ceux qui l’accompagnaient aux Thermopyles, ne se soucia pas de vivre dans la honte, mais il dit à son entourage : « Déjeunons en hommes qui vont souper aux Enfers. » Ceux qui ont le goût de collectionner de pareils récits en trouveront beaucoup d’autres. Quoi d’étonnant dès lors que Jésus, tout en sachant les malheurs qui lui arriveraient, ne les ait pas évités, mais se soit exposé aux dangers même prévus ? Et lorsque Paul, son disciple, eut appris les malheurs qui lui arriveraient dans sa montée à Jérusalem, il alla au-devant des dangers, et blâma ceux qui pleuraient sur lui et voulaient l’empêcher de monter à Jérusalem. Et combien de nos contemporains, sachant que la confession de leur christianisme entraînerait leur mort, et l’apostasie, leur libération et le recouvrement de leurs biens, ont méprisé la vie et volontairement choisi la mort pour leur religion ! Vient ensuite une autre niaiserie du Juif de Celse : ” Puisqu’il a prédit qui le trahirait et qui le renierait, comment ne l’ont-ils pas craint comme Dieu, renonçant l’un à trahir, l’autre à renier ? ” Il n’a même pas vu, le docte Celse, qu’il y avait là une contradiction. Si Jésus a eu la prescience divine et que cette prescience n’ait pu être erronée, il était impossible que l’homme connu comme futur traître ne trahît point, et l’homme déclaré futur renégat, ne reniât point. Si au contraire il eût été possible que l’un ne trahît point et l’autre ne reniât point, en sorte qu’il n’y eût pas de trahison ni de reniement en ceux qui en avaient été prévenus d’avance, alors Jésus n’aurait plus été dans le vrai en disant : celui-ci trahira, cet autre reniera. En effet, s’il a su d’avance qui le trahirait, il a vu la malice d’où proviendrait la trahison et qui n’était nullement détruite par sa prescience. De même, s’il a compris qui le renierait, c’est en voyant la faiblesse d’où viendrait le reniement qu’il a prédit qu’il renierait, et cette faiblesse n’allait pas non plus être d’emblée détruite par sa prescience. Mais d’où tire-t-il ceci : ” Eux, pourtant, l’ont trahi et renié sans se soucier de lui ? ” Car on a déjà montré, à propos du traître, qu’il est faux de dire qu’il ait trahi son maître sans se soucier de lui le moins du monde ; et il n’est pas moins facile de le montrer aussi du renégat qui, après son reniement, « sortit dehors et pleura amèrement ». LIVRE II

Il accuse ensuite ” les chrétiens d’user de sophismes quand ils disent que le Fils de Dieu est son propre Logos “, et il croît renforcer son accusation en disant que ” tout en proclamant que le Logos est Fils de Dieu, nous présentons au lieu du Logos pur et saint, un homme ignominieusement battu de verges et conduit au supplice “. Sur ce point aussi on a déjà sommairement répondu aux accusations de Celse, en montrant que, premier-né de toute créature, il avait pris un corps et une âme d’homme, que Dieu avait prononcé un ordre sur la multitude des choses qui sont dans le monde, qu’elles avaient été créées, et que Celui qui avait reçu cet ordre était le Dieu Logos. Puisque c’est un Juif qui parle ainsi chez Celse, il sera fort à propos d’utiliser la citation « Il a envoyé son Logos et il les guérit, et il les a tirés de leurs corruptions » Je l’ai rappelée plus haut. Pour ma part, dans mes entretiens avec de nombreux Juifs renommés pour leur science, je n’en ai entendu aucun qui approuvât l’opinion que le Logos fût le Fils de Dieu, comme l’a dit Celse en l’attribuant au personnage du Juif à qui il fait dire ” Si vraiment le Logos est pour vous Fils de Dieu, nous aussi nous approuvons “. J’ai déjà dit que Jésus ne peut être ni arrogant ni charlatan. Aussi n’est-il pas nécessaire d’y revenir, pour éviter de répondre aux redites de Celse par mes propres redites. Mais dans ses critiques de la généalogie, il ne fait nulle mention des recherches existant même chez les chrétiens, ni des griefs que certains tirent de la discordance des généalogies. Celse en effet, cet arrogant véritable qui se vante de tout savoir du christianisme, ne sait pas élever un doute prudent sur l’Écriture. Il déclare ” Quelle présomption de rattacher la généalogie de Jésus au premier homme et aux rois des Juifs “. Et il se figure ajouter un trait d’esprit en disant ” La femme du charpentier, si elle avait été de race si illustre, ne l’eût pas ignore “. Qu’est-ce que cela vient faire dans la question ? Admettons qu’elle ne l’ait pas ignoré quel inconvénient en résulterait-il ? Qu’elle l’ait ignoré au contraire, comment, de ce qu’elle ignorait, conclure qu’elle ne descendait pas du premier homme et que sa race ne remontait point aux rois des Juifs ? Est-il nécessaire, au jugement de Celse, que les pauvres naissent d’ancêtres tous pauvres, ou que les rois naissent des rois ? S’attarder à cet argument me paraît vain, car il est clair que, même de notre temps, des gens plus pauvres que Marie sont issus d’ancêtres riches et glorieux, tandis que des rois et des chefs de nations sont nés de gens fort obscurs. LIVRE II

Mais comment n’est-ce pas un mensonge flagrant que l’assertion du Juif de Celse : ” De toute sa vie, n’ayant persuadé personne, pas même ses disciples, il fut châtié et endura ces souffrances ! ” Car d’où vient la haine excitée contre lui par les grands-prêtres, les anciens et les scribes, sinon de ce que les foules étaient persuadées de le suivre jusqu’aux déserts, conquises non seulement par la logique de ses discours, toujours adaptés à ses auditeurs, mais encore par ses miracles qui frappaient d’étonnement ceux qui ne croyaient pas à la logique de son discours ? Comment n’est-ce pas un mensonge flagrant de dire qu’il ne persuada pas même ses disciples. Ils ont bien ressenti alors une lâcheté tout humaine, car ils n’étaient pas encore d’un courage éprouvé, mais sans toutefois se départir de leur conviction qu’il était le Christ. Car Pierre, aussitôt après son reniement, eut conscience de la gravité de sa chute, et «sortant dehors, il pleura amèrement» » ; les autres, bien que frappés de découragement à son sujet, car ils l’admiraient encore, furent affermis par son apparition à croire qu’il était Fils de Dieu d’une foi encore plus vive et plus ferme qu’auparavant. Par un sentiment indigne d’un philosophe, Celse imagine que la supériorité de Jésus sur les hommes ne consistait pas dans sa doctrine du salut et la pureté de ses moers. Il aurait dû agir contrairement au caractère du rôle qu’il avait assumé : ayant assumé une nature mortelle, il aurait dû ne pas mourir ; ou il devait mourir, mais non d’une mort qui pût servir d’exemple aux hommes : car cet acte leur apprendrait à mourir pour la religion, et à en faire hardiment profession en face de ceux qui sont dans l’erreur en matière de piété et d’impiété et qui tiennent les gens pieux pour très impies, et pour très pieux ceux qui, fourvoyés dans leurs idées sur Dieu, appliquent à tout plutôt qu’à Dieu la juste notion qu’ils ont de lui ; et leur erreur est au comble quand ils massacrent avec fureur ceux qui, saisis par l’évidence de l’unique Dieu suprême, se sont consacrés de toute leur âme jusqu’à la mort. Celse met dans la bouche du Juif un autre reproche contre Jésus :” Il ne s’est pas montré pur de tout mal.” De quel mal Jésus ne s’est-il pas montré pur ? Que le lettré de Celse le dise ! S’il entend que Jésus ne s’est pas montré pur du mal au sens strict, qu’il fasse clairement la preuve d’un acte mauvais accompli par lui ! Si, au contraire, il entend par mal la pauvreté, la croix, la conspiration d’hommes insensés, il est évident qu’on peut dire que du mal est arrivé aussi à Socrate, qui n’a pas pu prouver qu’il était pur de ce mal. Mais qu’il est nombreux chez les Grecs le choeur des philosophes qui furent pauvres et d’une pauvreté volontairement choisie ! La plupart des Grecs le connaissent par leurs histoires : Démocrite laissa son bien abandonné en pâturage aux brebis ; Cratès se libéra en gratifiant les Thébains de l’argent que lui avait procuré la vente de tout ce qu’il possédait ; de plus, Diogène, par exagération de pauvreté, vivait dans un tonneau, et nulle personne d’intelligence même modérée n’en conclut que Diogène vivait dans le mal. De plus, puisque Celse veut que ” Jésus n’ait pas même été irréprochable,” c’est à lui de montrer lequel de ceux qui ont adhéré à sa doctrine a rapporté de Jésus quoi que ce soit de vraiment répréhensible. Ou bien, si ce n’est pas d’après eux qu’il l’accuse d’être répréhensible, qu’il montre d’après quelle source il a pu dire qu’il n’était pas irréprochable. Jésus a tenu ses promesses en faisant du bien à ceux qui se sont attachés à lui. Et en voyant sans cesse accomplis les événements qu’il avait prédits avant qu’ils arrivent, l’Évangile prêché dans le monde entier, ses disciples partis annoncer sa doctrine à toutes les nations, en outre, leur procès devant gouverneurs et rois sans autre motif que son enseignement, nous sommes remplis d’admiration pour lui et nous fortifions chaque jour notre foi en lui. Mais je ne sais pas de quelles preuves plus fortes et plus évidentes Celse voudrait qu’il ait confirmé ses prédictions ; à moins peut-être qu’ignorant, à ce qu’il semble, que le Logos est devenu l’homme Jésus, il eût voulu qu’il n’éprouvât rien d’humain et ne devînt pas pour les hommes un noble exemple de la manière de supporter l’adversité. Mais peut-être celle-ci apparaît-elle à Celse lamentable et des plus répréhensibles, puisqu’il regarde la peine comme le plus grand des maux et le plaisir comme le bien parfait : ce qui n’est accepté par aucun des philosophes qui admettent la Providence, et qui conviennent que le courage est une vertu ainsi que l’endurance et la grandeur d’âme. Ainsi, par les souffrances qu’il a supportées, Jésus n’a pas discrédité la foi en sa personne, mais il l’a fortifiée plutôt dans ceux qui veulent admettre le courage, et dans ceux qui ont appris de lui que la vie heureuse au sens propre et véritable n’est point ici-bas, mais dans ce qu’il appelle « le siècle à venir », tandis que la vie dans « le siècle présent » est un malheur, la première et la plus grande lutte à mener par l’âme. LIVRE II

Mais le Juif, après avoir rapporté les histoires grecques de ces conteurs de merveilles et des soi-disant ressuscites des morts, dit aux Juifs qui croient en Jésus : «Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme ? » Nous répondrons au Juif : les exemples que tu as cités, nous les tenons pour mythes, mais ceux des Écritures, qui nous sont communes avec vous et en égale vénération, nous nions absolument que ce soient des mythes. Voilà pourquoi nous croyons que ceux qui ont écrit sur les personnages autrefois ressuscites des morts n’usent pas de contes merveilleux ; nous croyons de même que Jésus est alors ressuscité tel qu’il l’a prédit et qu’il fut prophétisé. Mais voici en quoi sa résurrection des morts est plus miraculeuse que la leur : eux furent ressuscités par les prophètes Élie et Elisée ; Lui ne le fut par aucun des prophètes, mais par son Père qui est dans les cieux. Pour la même raison, sa résurrection a eu plus d’efficacité que la leur : car quel effet eut pour le monde la résurrection de petits enfants par Élie et Elisée, qui soit comparable à l’effet de la résurrection de Jésus prêchée et admise des croyants grâce à la puissance divine ? Il juge contes merveilleux le tremblement de terre et les ténèbres ; je les ai défendus plus haut de mon mieux en citant Phlégon qui a rapporté que ces faits survinrent au temps de la passion du Sauveur. Il ajoute, de Jésus : « Vivant, il ne s’est pas protégé lui-même ; mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. » Je lui demande alors : que signifie « il s’est protégé lui-même » ? S’il s’agit de la vertu, je dirai qu’il s’est bel et bien protégé : sans dire ni faire quoi que ce fût d’immoral, mais vraiment « comme une brebis il a été conduit à l’abattoir, comme un agneau devant le tondeur il est resté muet », et l’Évangile atteste : « ainsi, il n’a pas ouvert la bouche ». Mais si l’expression « il s’est protégé » s’entend de choses indifférentes ou corporelles, je dis avoir prouvé par les Évangiles qu’il s’y est soumis de plein gré. Puis, après avoir rappelé les affirmations de l’Évangile : « ressuscité des morts, il montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées », il pose la question : « Qui a vu cela ? » et, s’en prenant au récit de Marie-Madeleine dont il est écrit qu’elle l’a vu, il répond : « Une exaltée, dites-vous ». Et parce qu’elle n’est pas la seule mentionnée comme témoin oculaire de Jésus ressuscité, et qu’il en est encore d’autres, le Juif de Celse dénature ce témoignage : « et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement ». Ensuite, comme si le fait était possible, je veux dire qu’on puisse avoir une représentation imaginaire d’un mort comme s’il était en vie, il ajoute, en adepte d’Épicure, que « quelqu’un a eu un songe d’après une certaine disposition, ou, au gré de son désir dans sa croyance égarée, une représentation imaginaire » et a raconté cette histoire ; « chose, ajoute-t-il, arrivée déjà à bien d’autres ». Or c’est là, même s’il le juge très habilement dit, ce qui est propre néanmoins à confirmer une doctrine essentielle : l’âme des morts subsiste ; et pour qui admet cette doctrine, la foi en l’immortalité de l’âme ou du moins à sa permanence n’est pas sans fondement. Ainsi même Platon, dans son dialogue sur l’âme, dit qu’autour de tombeaux sont apparues à certains « des images semblables aux ombres », d’hommes qui venaient de mourir. Or ces images apparaissant autour des tombeaux des morts viennent d’une substance, l’âme qui subsiste dans ce qu’on appelle le « corps lumineux » Celse le rejette, mais veut bien que certains aient eu une vision en rêve et, au gré de leur désir, dans leur croyance égarée, une représentation imaginaire. Croire à 1’existence d’un tel songe n’est point absurde, mais celle d’une vision chez des gens qui ne sont pas absolument hors de sens, frénétiques ou mélancoliques, n’est pas plausible. Celse a prévu l’objection il parle d’une femme exaltée. Cela ne ressort pas du tout de l’histoire écrite d’où il tire son accusation Ainsi donc, après sa mort, Jésus, au dire de Celse, aurait provoqué une représentation imaginaire des blessures reçues sur la croix, sans exister réellement avec ces blessures. Mais suivant les enseignements de l’Evangile, dont Celse admet à sa guise certaines parties pour accuser, et rejette les autres, Jésus appela près de lui l’un des disciples qui ne croyait pas et jugeait le miracle impossible. Il avait bien donné son assentiment à celle qui assurait l’avoir vu, admettant la possibilité de voir apparaître l’âme d’un mort, mais il ne croyait pas encore vrai que le Christ fût ressuscite dans un corps résistant. D’où sa repartie « Si je ne vois, je ne croirai pas », puis ce qu’il ajoute « Si je ne mets ma main à la place des clous et ne touche son côté, je ne croirai pas. » Voilà ce que disait Thomas, jugeant qu’aux yeux sensibles pouvait apparaître le corps de l’âme « en tout pareil » a sa forme antérieure « par la taille, les beaux yeux, la voix », et souvent même « revêtu des mêmes vêtements » Mais Jésus l’appela près de lui « Avance ton doigt ici voici mes mains , avance ta main et mets-la dans mon côte , et ne sois plus incrédule, mais croyant » LIVRE II

Apres quoi Celse, blâmant ce qui est écrit, fait une objection non négligeable. Si Jésus voulait réellement manifester sa puissance divine, il aurait dû apparaître à ses ennemis, au juge, bref a tout le monde. Il est vrai que selon l’Évangile, il nous semble qu’après la résurrection il n’est point apparu comme auparavant en public et à tout le monde. S’il est écrit dans les Actes que, « leur apparaissant pendant quarante jours », il annonçait à ses disciples le Règne de Dieu, dans les Evangiles, il n’est pas dit qu’il fût sans cesse avec eux une fois, huit jours aprés, toutes portes closes, « il parut au milieu d’eux », puis une autre fois, dans des conditions semblables. Paul de même, vers la fin de sa première Épître aux Corinthiens, insinuant que Jésus n’apparut point en public comme au temps précédant sa passion, écrit : « Je vous ai transmis d’abord ce que j’ai reçu moi-même : que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures », qu’il est ressuscité, « qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore et quelques-uns sont endormis. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. » Qu’elles me paraissent grandes, admirables, sans proportion avec le mérite non seulement de la foule des croyants, mais encore de l’élite en progrès dans la doctrine, les vérités de ce que contient ce passage ! Elles pourraient montrer la raison pour laquelle, après sa résurrection d’entre les morts, il n’apparaît point comme auparavant. Mais, parmi les nombreuses considérations qu’exigé un traité écrit comme celui-ci contre le discours de Celse qui attaque les chrétiens et leur foi, vois si on peut en offrir quelques-unes de vraisemblables pour toucher ceux qui prêteront attention à notre défense. LIVRE II

J’ai donc répondu du mieux possible pour un traité de ce genre à l’objection : « Si Jésus voulait réellement manifester sa puissance divine, il aurait dû apparaître à ses ennemis, au juge, bref à tout le monde. » Non, il ne devait pas apparaître à son juge ni à ses ennemis. Car Jésus ménageait son juge et ses ennemis, pour qu’ils ne fussent point frappés d’aveuglement comme le furent les Sodomites lorsqu’ils conspirèrent à l’occasion des anges reçus en hospitalité chez Lot. Voici en quels termes l’incident est raconté « Mais les hommes étendirent les bras, firent rentrer Lot auprès d’eux dans la maison et refermèrent la porte. Quant aux hommes qui étaient à l’entrée de la maison, ils les frappèrent de berlue, du plus petit au plus grand, et ils n’arrivaient pas à trouver la porte » Jésus voulait donc manifester sa puissance divine à tous ceux qui étaient capables de la voir et dans la mesure de cette capacité de voir. Et il n’avait sans doute pas d’autre raison pour se garder d’apparaître que les capacités de ceux qui étaient inaptes à le voir. LIVRE II

Voyons la manière dont le Juif de Celse poursuit : S’il y avait une telle urgence a faire voir sa divinité, c’est bien du haut de la croix qu’il aurait dû soudain disparaître. Voilà qui me paraît ressembler a l’argument des adversaires de la Providence ils décrivent l’univers autre qu’il n’est et disent : le monde serait meilleur s’il était tel que nous l’avons décrit. Mais s’ils décrivent des possibles, on les convainc qu’ils font le monde pire pour autant qu’il dépend d’eux et de leur description. S’ils ne semblent pas représenter le monde pire que la réalité, on montre qu’ils désirent ce qui est impossible à la nature. Ainsi de part et d’autre ils sont ridicules. Or ici, il n’était pas impossible pour une nature divine de disparaître à son gré : chose de soi évidente et clairement affirmée de lui par l’Écriture, du moins si on n’en accepte pas qu’une partie pour attaquer la doctrine, en tenant le reste pour des fictions. Car il est écrit dans l’Évangile selon Luc que Jésus, après la résurrection, « prit du pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le donna » à Simon et à Cléophas ; et quand ils prirent le pain, « leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent ; mais il avait disparu de leurs regards. » LIVRE II

Mais je veux établir qu’il n’était pas plus utile pour l’ensemble de l’Économie que « c’est du haut de la croix que Jésus aurait dû soudain disparaître » corporellement. La simple lettre et le récit de ce qui est arrivé à Jésus ne laissent point voir la vérité totale. Car à une lecture plus pénétrante de la Bible, chaque événement se révèle de plus symbole d’une vérité. Ainsi en est-il du crucifiement : il contient la vérité qu’exprimé ce mot : « Je suis crucifié avec le Christ » », et cette idée : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de mon Seigneur Jésus-Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde. » Ainsi, de sa mort : elle était nécessaire pour que l’on pût dire : « Car sa mort fut une mort au péché une fois pour toutes », et pour que le juste ajoute qu’« il lui devient conforme dans la mort », et : « Si en effet nous sommes morts avec lui, avec lui aussi nous vivrons ». Ainsi encore, de son ensevelissement : il s’étend à ceux qui lui sont devenus conformes dans la mort, crucifiés avec lui, morts avec lui, suivant ces autres mots de Paul : « Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême », nous sommes aussi ressuscites avec lui. LIVRE II

Ensuite, le Juif de Celse tire une conséquence qui n’en est pas une : car sa volonté de nous enseigner, par les supplices qu’il a endurés, le mépris de la mort n’implique pas qu’il aurait dû, après sa résurrection d’entre les morts, appeler ouvertement tous les hommes à la lumière et leur enseigner la raison pour laquelle il était descendu. En effet, d’abord, il appela tous les hommes à la lumière en disant : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi, je vous soulagerai » ». Et puis, la raison pour laquelle il est descendu, l’Écriture l’indique dans le long discours qu’il prononça sur les Béatitudes et les proclamations qui leur font suite, dans les paraboles, dans les entretiens avec les Scribes et les Pharisiens. Et l’Évangile selon Jean a rapporté tout ce qu’il avait enseigné montrant que l’éloquence de Jésus consistait moins en paroles qu’en actes. Il est clair d’après les Évangiles qu’« il parlait avec autorité », à l’émerveillement de tout le monde. LIVRE II

Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II

Que ce ne soit pas non plus « la crainte des étrangers » qui maintienne notre société, la preuve en est dans le fait que, par la volonté de Dieu, elle a cessé voici longtemps déjà. Mais il est probable que la sécurité pour leur vie dont jouissent les croyants va cesser, lorsque de nouveau ceux qui calomnient de toute manière notre doctrine penseront que la révolte, poussée au point où elle en est, a sa cause dans la multitude des croyants et le fait qu’ils ne sont plus persécutés par les gouverneurs comme au temps jadis. Nous avons appris en effet de l’Évangile en temps de paix à ne point nous relâcher ni nous abandonner à la mollesse, et dans la guerre que nous fait le monde, à ne point perdre courage ni nous écarter de l’amour qu’en Jésus-Christ nous portons au Dieu de l’univers. Nous montrons donc clairement le caractère sacré de notre origine, loin de le cacher comme le croit Celse : car nous inspirons à ceux qui viennent d’être initiés le mépris des idoles et de toutes les images, et en outre, élevant leurs pensées les détournant de servir les créatures plutôt que Dieu, nous les faisons monter vers le Créateur de l’univers. Nous mettons en pleine lumière Celui qui fut prophétisé, soit par les prophéties à son sujet qui sont nombreuses, soit par les Évangiles et les discours des apôtres soigneusement transmis par ceux qui sont capables les comprendre à fond. LIVRE III

Il veut ensuite comparer notre foi à la religion des Égyptiens, chez qui, dès l’abord, on rencontre de magnifiques enclos et bois sacrés, des vestibules immenses et beaux, des temples admirables entourés d’imposants péristyles, des cérémonies empreintes de respect et de mystère; mais dès qu’on entre et pénètre à l’intérieur, on y contemple, objet d’adoration, un chat, un singe, un crocodile, un bouc, un chien. Mais quelle ressemblance y a-t-il entre la majesté extérieure offerte dès l’abord par les Égyptiens et ce qu’on trouve chez nous ? Quelle ressemblance avec ces animaux sans raison qui après ces vestibules vénérables sont objets d’adoration à l’intérieur du temple? Faut-il penser que les prophéties, le Dieu suprême, le mépris des idoles soient ce qui d’après lui est vénérable, mais que Jésus-Christ crucifié corresponde à l’animal sans raison qu’on adore ? Si telle est sa pensée, et je ne crois pas qu’il dirait autre chose, je répondrai que j’ai abondamment prouvé plus haut que, pour Jésus, même ce qui apparaît humainement comme son malheur fut un bienfait pour l’univers et le salut du monde entier. LIVRE III

Apollon, donc, d’après Celse, et assemblées voulait que les Métapontins placent Aristéas au rang des dieux. Mais les Métapontins jugèrent que l’évidence qu’Aristéas était un homme, et peut-être sans vertu, l’emportait sur l’oracle qui le proclamait dieu ou digne des honneurs divins ; aussi refusèrent-ils d’obéir à Apollon, et ainsi personne ne considère Aristéas comme dieu. Mais de Jésus voici ce qu’on peut dire : il était utile au genre humain de le recevoir comme Fils de Dieu, Dieu même venu dans une âme et un corps d’homme ; mais cela paraissait dommageable à la gourmandise des démons qui aiment les corps et à ceux qui les tiennent pour des dieux ; c’est pourquoi les démons terrestres, considérés comme dieux par ceux qui en ignorent la nature, aussi bien que leurs serviteurs ont voulu empêcher l’enseignement de Jésus de se répandre, car ils voyaient que cesseraient les libations et le fumet de graisses dont ils sont friands, si l’enseignement de Jésus prévalait. Mais Dieu qui avait envoyé Jésus déjoua toute la conspiration des démons. Il fit triompher l’Évangile de Jésus dans le monde entier pour la conversion et la réforme des hommes, il constitua partout des églises en opposition aux assemblées de gens superstitieux, désordonnés, injustes : car telles sont les multitudes qui partout constituent les assemblées politiques des citoyens. Et les églises de Dieu, instruites par le Christ, si on les compare aux assemblées du peuple avec qui elles voisinent, sont « comme des flambeaux dans le monde ». Qui donc refuserait d’admettre que même les membres les moins bons de ces églises, inférieurs, en comparaison des parfaits, sont bien supérieurs aux membres de ces assemblées politiques ? LIVRE III

De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III

Il est également faux que les maîtres de la divine doctrine ne veuillent convaincre que les gens niais, vulgaires, stupides : esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants. Même eux, le Logos les appelle pour les améliorer ; mais il appelle aussi ceux qui leur sont bien supérieurs : car le Christ est « Sauveur de tous les hommes, et surtout des croyants », qu’ils soient intelligents ou simplets, « il est victime de propitiation devant son Père pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais pour ceux du monde entier ». Il est dès lors superflu de vouloir répondre à ces paroles de Celse : D’ailleurs, quel mal y a-t-il donc à être cultivé, à s’être appliqué aux meilleures doctrines, à être prudent et à le paraître ? Est-ce un obstacle à la connaissance de Dieu ? Ne serait-ce pas plutôt une aide et un moyen plus efficace de parvenir à la vérité ? Assurément, il n’y a pas de mal à être réellement cultivé : car la culture est le chemin vers la vertu. Cependant, compter au nombre des gens cultivés ceux qui professent des doctrines erronées, les sages mêmes de la Grèce n’y souscriraient pas. Par ailleurs, qui ne reconnaîtrait que c’est un bien de s’être appliqué aux meilleures doctrines? Mais qu’appellerons-nous les meilleures doctrines, sinon celles qui sont vraies et invitent à la vertu ? De plus, s’il est bien d’être prudent, ce ne l’est plus de le paraître, comme l’a dit Celse. Et loin d’être un obstacle à la connaissance de Dieu, c’est une aide que d’être cultivé, de s’être appliqué aux meilleures doctrines, d’être prudent. Plutôt qu’à Celse, c’est à nous qu’il revient de le dire, surtout si on le convainc d’épicurisme. LIVRE III

Après cela, il insulte de nouveau le prédicateur du christianisme, lui reprochant d’exposer des choses ridicules mais sans désigner ni établir clairement ce qu’il entend par choses ridicules. Il continue ses insultes : Nul homme sensé ne croit à cette doctrine, dont l’éloigné la foule de ses adeptes. Cela revient à dire : à cause de la foule des gens simples qui se laissaient mener par leurs lois, nul homme sensé n’obéit, par exemple, à Solon, Lycurgue, Zaleukos ou tout autre législateur, surtout si on entend par homme sensé un homme vertueux. En effet, dans ces exemples, les législateurs ont accompli ce qui leur parut bienfaisant en entourant leurs peuples d’une discipline et de lois particulières ; de même Dieu, légiférant en Jésus pour les hommes de partout, conduit même ceux qui n’ont pas de bon sens, dans la mesure où il est possible de les conduire au mieux. Telle était bien sa pensée, comme on l’a dit plus haut, quand il déclare par Moïse : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles, eh bien ! moi, je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai au moyen d’une nation inintelligente. » Telle était aussi la pensée de Paul : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages », appelant sages au sens large tous ceux que leur apparent progrès dans les sciences n’a pas empêchés de sombrer dans le polythéisme athée, puisque, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE III

Après cela, il assimile le maître à un homme aux yeux malades et les disciples à des gens aux yeux malades et il déclare. Cet homme devant des gens aux yeux malades accuse de cécité ceux dont la vue est perçante. Quels sont donc les gens aux yeux malades d’après nous, sinon ceux qui, de l’immense grandeur des choses qui sont dans le monde et de la beauté de la création sont incapables de lever les yeux et de voir qu’il faut adorer, admirer et vénérer Celui-là seul qui les a faites, tandis qu’on ne peut convenablement vénérer rien de ce qui est fabriqué chez les hommes et employé au culte des dieux, ni sans le Dieu Créateur, ni même avec lui ? Comparer ce qui n’est nullement comparable à Celui qui surpasse d’une supériorité infinie toute la nature créée, voilà le fait de gens atteints de cécité d’esprit. Nous ne disons donc pas que ceux dont la vue est perçante ont les yeux malades ou sont aveugles, mais que ceux qui, par ignorance de Dieu s’attachent aux temples, aux images, « aux fêtes de chaque mois », sont des aveugles en esprit ; ce qui est surtout vrai quand, à leur impiété, ils ajoutent une vie dans la débauche, ne cherchent jamais la moindre action honnête, mais accomplissent toutes les actions honteuses. LIVRE III

Et s’il le sait, pourquoi ne réforme-t-il pas ? Nous faut-il expliquer pourquoi, bien qu’il le sache, il ne réforme pas? Alors que toi qui, dans ton ouvrage, ne te montres pas précisément comme épicurien, mais affectes de reconnaître la Providence, tu n’auras pas eu à dire également pourquoi Dieu, sachant tout ce qui se passe chez les hommes, ne réforme pas, et ne délivre point tous les hommes du mal par sa puissance divine. Mais nous n’avons pas honte de dire que Dieu envoie sans cesse des gens pour réformer les hommes : c’est par un don de Dieu que se trouvent dans l’humanité les doctrines qui les invitent aux plus hautes vertus. Or parmi les ministres de Dieu, il y a bien des différences : il en est peu qui prêchent dans toute sa pureté la doctrine de la vérité et réalisent une parfaite réforme. Tels furent Moïse et les prophètes. Mais supérieure à leur oeuvre à tous est la réforme opérée par Jésus qui a voulu guérir, non seulement les habitants d’un coin de la terre, mais, autant qu’il dépendait de lui, ceux du monde entier ; car il est venu comme « Sauveur de tous les hommes ». LIVRE IV

Or, malgré la négation de Celse, après de nombreux prophètes qui avaient réformé ce peuple d’Israël, le Christ est venu en réformateur du monde entier, sans avoir besoin, comme lors de la première économie, d’employer contre les hommes des fouets, des chaînes, des instruments de torture. Car, « lorsque le Semeur sortit pour semer », son enseignement suffit pour que la doctrine fût partout semée. A supposer qu’il advienne un temps qui impose au monde une limite qui est nécessaire, puisqu’il a eu un commencement, et qu’il advienne aussi une fin pour le monde, et après la fin, un juste jugement universel, alors le philosophe devra établir les vérités de cette doctrine par des preuves de toutes sortes, tirées des divines Écritures, ou déduites par raisonnements ; et la foule, incapable dans sa simplicité de suivre par la pensée les aspects très variés de la sagesse de Dieu, devra se confier à Dieu et au Sauveur de notre race, plus satisfaite de l’affirmation « Il l’a dit » que de toute autre raison. LIVRE IV

Il pense même que nous faisons cela pour effrayer les simples, nous gardant bien de dire la vérité sur les châtiments inévitables à ceux qui ont péché. Aussi nous compare-t-il aux mystagogues des initiations bacchiques évoquant spectres et fantômes. Aux Grecs de dire si les initiations aux mystères de Bacchus présentent ou non une doctrine plausible ; à Celse et à ses adeptes de se mettre à leur école ! Pour nous, nous défendons ainsi la nôtre : notre but est de réformer le genre humain soit par les menaces de châtiments que nous croyons nécessaires à tout le monde, sans doute profitables à ceux qui doivent les subir, soit par les promesses à ceux dont la vie fut vertueuse, y compris celles de la béatitude dans le Royaume de Dieu pour ceux qui méritent de vivre sous sa royauté. LIVRE IV

De plus, le Dieu des Stoïciens, en tant que corporel, tantôt comme principe hégémonique est la réalité totale, quand a lieu l’embrasement, tantôt devient une partie de celle-ci, quand a lieu le nouvel ordre du monde. Car ces philosophes n’ont pas su élucider la notion naturelle de Dieu absolument incorruptible, simple, sans composition, indivisible. LIVRE IV

Puisqu’il dit que les chrétiens ajoutent à cela d’autres raisons, il est clair que pour lui, ils donnent également celle-là. Et qu’y a-t-il d’absurde à croire, vu le flot du vice, à la venue de celui qui purifiera le monde et traitera chacun selon son mérite ? Il n’est pas digne de Dieu de ne pas arrêter la diffusion du vice par un renouvellement des choses. Les Grecs eux-mêmes savent que la terre est périodiquement purifiée par le déluge et par le feu, au dire encore de Platon : « Lorsque les dieux, pour purifier la terre, la submergent sous les eaux, les uns, sur les montagnes… », etc. Faut-il dire alors que ce sont là, lorsque les Grecs les affirment, des doctrines méritant respect et considération, mais que, quand nous établissons nous-mêmes certaines de ces doctrines qu’approuvent les Grecs, elles perdent toute valeur? Pourtant, ceux qui s’attachent à l’exposition nette et précise de toutes les Écritures s’efforceront de prouver non seulement l’ancienneté de leurs auteurs mais encore le sérieux de leurs affirmations et leur cohérence entre elles. LIVRE IV

Et tout provient d’une seule faute : il n’a point tenu compte de l’ancienneté de Moïse. On ne paraît guère avoir rapporté le mythe de Phaéton que postérieurement à Homère, lequel est bien plus récent que Moïse. Nous ne nions donc pas le feu purificateur et la destruction du monde, pour supprimer le vice et rénover toutes choses : c’est la leçon que nous disons avoir reçue des prophètes par les livres sacrés. En vérité puisque les prophètes, comme je l’ai dit plus haut, dans leurs multiples prédictions de l’avenir ont montré qu’ils avaient dit la vérité sur bien des événements accomplis et fait la preuve qu’un Esprit divin les habitait, il est clair qu’on doit aussi les croire sur l’avenir, ou plutôt croire à l’Esprit divin qui était en eux. LIVRE IV

Ensuite, il raille à son habitude la race des Juifs et des chrétiens et les compare tous à une troupe de chauves-souris, à des fourmis sorties de leur trou, à des grenouilles tenant conseil autour d’un marais, à des vers formant assemblée dans un coin de bourbier, se disputant pour savoir qui d’entre eux sont les plus grands pécheurs, et disant : « A nous Dieu révèle et prédit tout d’avance : il néglige le monde entier et le mouvement du ciel, et sans souci de la vaste terre, pour nous seuls il gouverne, avec nous seuls il communique par ses messagers, ne cessant de les envoyer et de chercher par quel moyen nous lui serons unis pour toujours. » Il poursuit la fiction nous peignant semblables à des vers qui disent: « Il y a Dieu, et, immédiatement après lui, nous, puisque nous sommes créés par lui entièrement semblables à Dieu; tout nous est subordonné: la terre, l’eau, l’air, les étoiles; tout existe pour nous, est ordonné à notre service. » Et les vers dont il parle, nous évidemment, continuent : « Puisqu’il en est parmi nous qui pèchent, Dieu viendra ou enverra son Fils, afin de livrer aux flammes les injustes, et pour que nous qui restons, nous ayons avec lui une vie éternelle. » Et brochant sur le tout il dit : Voilà des sottises plus supportables de la part de vers et de grenouilles que de Juifs et de chrétiens dans leurs disputes ! LIVRE IV

Est-ce à cause de leurs doctrines que Celse n’approuve pas et dont il paraît ignorer le premier mot, que les Juifs et les chrétiens seraient des vers et des fourmis à la différence du reste des hommes? Alors, comparons les doctrines des chrétiens et des Juifs qui sont d’elles-mêmes connues de tous, aux doctrines des autres hommes. N’est-il pas évident, dès qu’on a admis que certains hommes sont vers et fourmis, que ces vers, fourmis et grenouilles sont ceux qui, déchus d’une saine compréhension de Dieu, adorent par une apparence de piété des animaux sans raison, des statues, ou même les créatures, alors qu’il faut, à partir de leur beauté, admirer leur Artisan et l’adorer ? Ne doit-on pas considérer comme des hommes, et des êtres plus honorables que des hommes s’il en est, ceux qui, sous la conduite du Logos, ont pu s’élever à partir de la pierre et du bois, et même de la matière estimée la plus précieuse, l’argent et l’or, et qui, après s’être élevés des merveilles du monde jusqu’au Créateur de l’univers, se sont confiés à Lui ? Car du moment qu’il est seul capable de combler tous les êtres, de percevoir les pensées de tous et d’entendre la prière de tous, ils lui adressent leurs prières, ils accomplissent toutes leurs actions en pensant qu’il voit ce qui arrive, et sachant qu’il entend ce que l’on dit, ils se gardent bien de dire un mot qui ne pourrait être rapporté à Dieu sans lui déplaire. LIVRE IV

Puisqu’il a fait dire aux chrétiens qu’il regarde comme des vers : Dieu néglige le monde entier et le mouvement du ciel et, sans souci de la vaste terre, c’est pour nous seuls qu’il gouverne, avec nous seuls qu’il communique par ses messagers, ne cessant de les envoyer et de chercher par quel moyen nous lui serons unis pour toujours, il faut répondre : c’est nous prêter des propos que nous ne tenons pas, car nous lisons et savons que « Dieu aime tous les êtres et n’a de dégoût pour rien de ce qu’il a fait ; car s’il avait haï quelque chose, il ne l’aurait pas formé ». Nous avons lu aussi : « Mais tu épargnes tout, parce que tout est à toi, ô Ami de la vie. Car ton souffle impérissable est en toutes choses. Aussi peu à peu tu châties ceux qui tombent, tu les avertis et tu leur rappelles en quoi ils pèchent. » Comment pourrions-nous dire : Dieu néglige le mouvement du ciel et le monde entier, et sans souci de la vaste terre pour nous seuls il gouverne ? Nous savons que, dans les prières, il faut dire en le pensant : « La terre est remplie de la miséricorde du Seigneur » ; « La miséricorde du Seigneur s’étend à toute chair » ; Dieu dans sa bonté « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, pleuvoir sur les justes et les injustes » ; et pour que nous soyons ses fils, il nous exhorte à la même attitude et nous enseigne à étendre autant que possible nos bienfaits à tous les hommes. LIVRE IV

Au dire de l’Écriture, il est « Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants », et son Christ est « propitiation pour nos péchés, et non pas pour nos péchés seuls, mais pour ceux du monde entier ». Certains Juifs peuvent dire, sinon tout ce qu’a écrit Celse, du moins, des propos vulgaires ; assurément pas les chrétiens, car ils ont appris la parole : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. » Et pourtant, « à peine voudrait-on mourir pour un homme juste ; pour un homme de bien peut-être accepterait-on de mourir ». En fait, suivant notre prédication, c’est pour les pécheurs du monde entier, afin qu’ils abandonnent leurs péchés et se confient en Dieu, qu’est venu Jésus, appelé encore, suivant l’usage traditionnel de la Bible, le Christ de Dieu. LIVRE IV

Nous dirions, d’après lui, nous qui pour lui sommes des vers, que, puisqu’il en est parmi nous qui pèchent, Dieu viendra vers nous, ou enverra son Fils afin de livrer aux flammes les injustes, et pour que nous, les grenouilles qui restons, nous ayons avec lui une vie éternelle. Remarque à quel point, comme un bouffon, ce grave philosophe tourne en raillerie, en ridicule et en dérision la promesse divine d’un jugement, châtiment pour les injustes, récompense pour les justes ! Et brochant sur le tout il dit : Voilà des sottises plus supportables de la part de vers et de grenouilles que de Juifs et de chrétiens dans leurs disputes ! Nous nous garderons bien de l’imiter et de dire pareille chose des philosophes qui prétendent connaître la nature du monde et débattent entre eux le problème de la constitution de l’univers, de l’origine du ciel et de la terre et de tout ce qu’ils renferment, et la question de savoir si les âmes sont inengendrées et non créées par Dieu, bien qu’elles soient soumises à son gouvernement, et si elles changent de corps, ou si, inséminées avec les corps, elles leur survivent ou ne leur survivent pas. Car on pourrait là aussi, loin de prendre au sérieux et d’admettre la sincérité de ceux qui se sont voués à la recherche de la vérité, déclarer en injurieuse moquerie que c’est le fait de vers qui dans un coin du bourbier de la vie humaine ne mesurent pas leurs limites, et pour cette raison en viennent à trancher, comme s’ils les avaient dominés, sur des sujets sublimes, et qu’ils parlent avec assurance, comme s’ils les avaient contemplées, de réalités qu’on ne peut contempler sans une inspiration supérieure et une puissance divine : « Car personne chez les hommes ne sait les secrets de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui. De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. » Nous n’avons pas la folie de comparer la splendide intelligence de l’homme, en prenant intelligence au sens usuel, au grouillement des vers et autres bêtes de ce genre, quand elle n’a cure des affaires de la foule mais s’adonne à la recherche de la vérité. Au contraire, sincèrement nous rendons témoignage que certains philosophes grecs ont connu Dieu, puisque « Dieu s’est manifesté à eux », même s’« ils ne l’ont pas honoré ni remercié comme Dieu, mais sont devenus vains dans leurs raisonnements », et si, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE IV

Risible en soi-même est aussi ce qu’il ajoute sur la jarre : « La race humaine vivait auparavant sur la terre à l’écart et à l’abri des peines, de la dure fatigue, des maladies douloureuses, qui apportent le trépas aux hommes. Mais la femme, en levant de ses mains le large couvercle de la jarre, les dispersa par le monde et prépara aux hommes de tristes soucis. Seul l’espoir restait là, à l’intérieur de son infrangible prison, sans passer les lèvres de la jarre, car Pandore avait déjà replacé le couvercle de la jarre. » LIVRE IV

Est-ce donc chez les Grecs une opinion saine, que défend l’école des Stoïciens qui à leurs yeux n’est pas négligeable ? Mais quand des jeunes filles, instruites de l’embrasement du monde mais d’une manière confuse, à la vue du feu qui dévaste leur ville et leur pays, supposèrent que la dernière étincelle de vie pour l’humanité subsistait dans leur père et en elles, et pourvurent, dans cette perspective, au maintien du monde, seraient-elles inférieures au sage de l’hypothèse stoïcienne qui s’unirait légitimement à ses filles dans la destruction de l’humanité ? Je n’ignore pas le scandale causé à certains par l’intention des filles de Lot, et leur jugement sur l’impiété de leur acte : ils ont dit que de cette union impie étaient issues les nations maudites des Moabites et des Ammonites. A vrai dire, on ne trouve pas que l’Écriture approuve clairement comme bonne cette action, ni qu’elle l’accuse ou la blâme. LIVRE IV

Une fois qu’il a présenté les dieux comme créateurs de tous les corps, tandis que seule l’âme serait l’oeuvre de Dieu, s’il voulait répartir la multitude des oeuvres créées et l’attribuer à plusieurs dieux, ne devait-il pas établir par un argument valable les différences entre les dieux produisant, certains les corps des hommes, d’autres ceux des bestiaux, d’autres ceux des bêtes sauvages ? Voyant des dieux créateurs de dragons, d’aspics, de basilics, d’autres créateurs de chaque espèce d’insectes, d’autres de chaque espèce de plantes et d’herbes, il lui fallait donner les raisons de cette division du travail. Car peut-être s’il s’était livré à un examen précis de la question, ou bien il aurait maintenu qu’un seul Dieu est créateur de toutes choses et a fait chacune en vue d’une fin et pour une raison, ou bien, s’il ne le maintenait pas, il aurait vu la réplique à faire à l’objection que ce qui est corruptible est de sa propre nature matière indifférente, et qu’il n’y a aucune absurdité à soutenir que le monde, constitué d’éléments dissemblables, est l’oeuvre d’un unique Artisan qui établit les différences entre les espèces pour le bien du tout. Ou, finalement, s’il ne savait pas établir ce qu’il professait d’enseigner, il aurait dû ne pas faire connaître du tout son avis sur une doctrine de cette importance ; à moins, par hasard, que lui qui se moque de ceux qui professent une foi simple ait voulu lui-même que nous ajoutions foi à ce qu’il avançait, bien qu’il ait prétendu non pas exprimer son avis, mais enseigner. LIVRE IV

Je n’ai pas encore fait remarquer que s’il avait eu la patience de supporter la lecture, comme il dit, des écrits de Moïse et des prophètes, il se serait demandé : pourquoi donc l’expression « Dieu fit » ne s’applique-t-elle qu’au ciel, à la terre, au « firmament », puis aux luminaires et aux étoiles, ensuite aux grands monstres marins et à chacun « des êtres vivants qui glissent et grouillent dans les eaux selon leur espèce », à tout volatile ailé « selon son espèce », après eux aux fauves de la terre « selon leur espèce », aux bestiaux « selon leur espèce », aux bestioles « selon leur espèce », enfin à l’homme, tandis que ce mot « il fit » n’est pas appliqué au reste. Quand il s’agit de créer la lumière, l’Écriture se borne à dire : « et la lumière fut », et quand il s’agit de rassembler en une masse unique toute l’eau qui est sous le ciel, elle ajoute : « et il en fut ainsi ». De même quand il s’agit des produits de la terre, elle dit : « La terre produisit de la verdure, des herbes portant semence selon leur espèce et ressemblance, des arbres fruitiers donnant des fruits contenant leur semence selon leur espèce sur la terre. » Il aurait cherché à quel être ou quels êtres s’adressent dans la Bible les commandements de Dieu sur la formation de chaque partie du monde. Et il n’aurait pas aisément critiqué comme inintelligible et sans signification secrète ce qui est écrit dans ces livres par Moïse, ou dirions-nous, par l’Esprit divin qui était en Moïse et par lequel il a prophétisé, puisqu’« il connaissait le présent, l’avenir et le passé » plus que les devins pourvus chez les poètes de telles connaissances. LIVRE IV

Vois donc s’il faut prendre parti pour l’homme qui, avec de pareilles doctrines, accuse les chrétiens, et s’il faut abandonner une doctrine qui explique la diversité par les qualités inhérentes aux corps ou qui leur sont extérieures. Nous savons, nous aussi, qu’il y a « des corps célestes et des corps terrestres » et que, autre est « l’éclat des corps célestes » et autre celui des « terrestres » ; et que, même entre « les corps célestes » il n’est pas identique, car « autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat des étoiles » ; et que, parmi les étoiles, « une étoile diffère d’une étoile en éclat ». Et c’est pourquoi, comme nous attendons la résurrection des morts, nous disons que les qualités inhérentes « aux corps » changent ; certains d’entre eux, semés « dans la corruption, se lèvent dans l’incorruptibilité » ; semés « dans l’ignominie, ils se lèvent dans la gloire » ; semés « dans la faiblesse, ils se lèvent dans la puissance », semés corps psychiques, ils se lèvent spirituels. Que la matière fondamentale est capable de recevoir les qualités que veut le Créateur, nous tous qui avons admis la Providence, nous en sommes assurés : par la volonté de Dieu, quelle que soit la qualité actuelle de telle matière, elle sera dans la suite, disons-le, meilleure et supérieure. De plus, puisqu’il y a des lois établies concernant les changements qui s’effectuent dans les corps depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, leur succédera peut-être une loi nouvelle et différente après la destruction du monde que nos Écritures nomment sa consommation. Aussi n’est-il pas étonnant que dès à présent, comme on le dit couramment, d’un cadavre d’homme soit formé un serpent venant de la moelle épinière, du boeuf une abeille, d’un cheval une guêpe, d’un âne un scarabée, et généralement de la plupart, des vers. Celse juge que cela peut fournir la preuve qu’aucun d’eux n’est oeuvre de Dieu, qu’au contraire, les qualités, déterminées pour je ne sais quelles raisons à changer d’un caractère à l’autre, ne sont pas l’oeuvre d’une raison divine qui ferait se succéder les qualités inhérentes à la matière. LIVRE IV

Il ajoute encore : Commune est la nature de tous les corps susnommés, unique dans le flux et le reflux de changements alternés. Il faut répondre que manifestement, d’après ce qu’on a dit, la nature est commune, non seulement celle des corps précédemment nommés, mais aussi celle des corps supracélestes. Dans cette perspective, évidemment pour lui, mais j’ignore si c’est vrai, unique est la nature de tous les corps dans le flux et le reflux de changements alternés. C’est évidemment la pensée de ceux qui pensent que le monde est corruptible. Et même ceux qui refusent de le croire corruptible et n’admettent pas un cinquième élément s’efforceront de montrer que d’après eux aussi, unique est la nature de tous les corps dans le flux et le reflux de changements alternés. Mais ainsi, même ce qui est périssable demeure à travers le changement ; car d’après ceux qui tiennent qu’elle est incréée la matière qui est le substrat de la qualité périssable demeure lorsque périt la qualité. Si toutefois un argument peut établir qu’elle n’est pas incréée, mais qu’elle a été créée pour un usage déterminé, manifestement elle n’aura pas la même nature permanente que dans l’hypothèse où elle serait incréée. Mais il ne s’agit pas ici de philosopher sur la nature pour répondre aux critiques de Celse. LIVRE IV

A quoi il suffira de répondre : Si rien n’est immortel de ce qui provient de la matière, ou bien le monde entier est immortel et ainsi il ne provient pas de la matière, ou bien il n’est pas immortel. Or si le monde est immortel, et tel est l’avis de ceux qui disent que l’âme seule est oeuvre de Dieu et sort d’un cratère, que Celse montre qu’il ne provient pas d’une matière sans qualité, pour être dans la logique de son affirmation que rien n’est immortel de ce qui provient de la matière. Mais si le monde, provenant de la matière, n’est pas immortel, est-ce que ce monde mortel est corruptible ou non ? S’il est corruptible, c’est comme oeuvre de Dieu qu’il sera corruptible. Dès lors, dans cette corruption du monde, que fera l’âme qui est l’oeuvre de Dieu, à Celse de le dire ! Veut-il dire, pervertissant la notion d’immortalité : le monde est immortel, car, bien que sujet à la corruption, il ne sera pas corrompu, puisque, susceptible de subir la mort, en fait il ne meurt pas ? Il est clair qu’il y aurait alors, d’après lui, une réalité à la fois mortelle et immortelle, parce que susceptible de l’un et l’autre sort ; qu’elle serait mortelle tout en ne mourant pas ; et que n’étant pas immortelle par nature, elle peut être dite en un sens particulier immortelle, pour la raison qu’elle ne meurt pas. En quel sens donc, s’il faisait cette distinction, dirait-il que rien n’est immortel de ce qui provient de la matière ? Visiblement, à les soumettre à un examen serré, on prouve que les idées de ce livre n’ont rien de noble ni d’incontestable. LIVRE IV

Ensuite, nous croyant capables d’apprendre en quelques maximes la nature du mal, cette question à laquelle tant de traités de valeur consacrent des recherches variées et apportent des réponses différentes, il affirme : Il ne saurait y avoir ni plus ni moins de mal dans le monde, autrefois, aujourd’hui, à l’avenir : car la nature de l’univers est une et la même, et l’origine du mal est toujours la même. Il me semble que c’est encore une paraphrase de ce passage du Théétète où Platon faisait dire à Socrate : « Il n’est possible ni que le mal disparaisse de chez les hommes, ni qu’il ait une place chez les dieux… », etc. Et il me paraît même ne pas avoir entendu exactement Platon, quoiqu’il prétende enfermer la vérité dans un seul traité et intitule Discours véritable son livre contre nous. Car le passage qui affirme dans le Timée : « Quand les dieux purifient la terre par les eaux », a bien démontré que la terre une fois purifiée par les eaux contient moins de mal qu’avant sa purification. Et qu’alors il y ait eu moins de mal, je le dis d’après Platon, à cause du passage du Théétète soutenant qu’il n’est pas possible que le mal disparaisse de chez les hommes. LIVRE IV

Mais je ne sais comment Celse peut, en admettant la Providence, autant qu’on en juge par les expressions de son livre, dire qu’il n’y a ni plus ni moins de mal, mais un mal en quelque sorte limité, et ruiner la très belle doctrine que la malice est illimitée et le mal à strictement parler indéfini. La thèse qu’il n’y a eu, il n’y a, il n’y aura ni plus ni moins de mal, semble impliquer cette conséquence : de même que, pour ceux qui tiennent que le monde est incorruptible, l’équilibre des éléments est maintenu par la Providence, empêchant que l’un d’eux prédomine, pour éviter au monde de périr, de même une sorte de providence présiderait au mal, si multiplié soit-il, pour qu’il n’y en ait ni plus ni moins. LIVRE IV

A la lumière de ces faits et d’autres semblables Celse n’apparaît-il pas ridicule en déclarant qu’il ne saurait y avoir ni plus ni moins de mal ? En effet, même si la nature de l’univers est une et la même, il est absolument faux que l’origine du mal soit toujours la même. Car, bien que la nature d’un individu donné soit une et la même, il n’y a pas identité continuelle dans son esprit, dans sa raison, dans ses actions : il est un temps où il n’a pas reçu la raison, un autre où la raison s’accompagne de malice, et d’une malice plus ou moins étendue : tantôt il s’oriente vers la vertu et fait plus ou moins de progrès, tantôt il atteint la perfection et parvient à la vertu avec plus ou moins de contemplation. La même remarque s’impose à plus forte raison au sujet de la nature de l’univers ; bien qu’elle soit une et la même génériquement, les événements dans l’univers ne sont pas toujours les mêmes ni de même genre. Pas plus qu’il n’y a toujours de saisons fertiles ou stériles, abondance de pluie ou de sécheresse, pas davantage n’est déterminée l’abondance ou la disette d’âmes vertueuses, ou le flot croissant ou décroissant d’âmes vicieuses. La doctrine qui s’impose quand on veut parler aussi exactement que possible, c’est que le mal ne subsiste pas toujours au même degré, parce que la Providence veille jalousement sur la terre, ou bien la purifie par les déluges et les embrasements, et peut-être pas seulement la terre, mais encore le monde entier, qui a besoin de purification chaque fois que la malice y surabonde. LIVRE IV

Mais je ne sais pourquoi Celse a jugé utile, en écrivant contre nous, de traiter à la légère une doctrine qui demanderait une longue démonstration, au moins plausible, pour montrer dans la mesure du possible que la période des êtres mortels est semblable du commencement à la fin, et au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont et seront toujours les mêmes choses. Si cela était, c’en serait fait de notre liberté. Car si, au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont et seront toujours les mêmes choses dans la période des êtres mortels, il est clair que nécessairement toujours Socrate s’adonnera à la philosophie, sera accusé d’introduire des divinités nouvelles et de corrompre la jeunesse, et qu’Anytos et Mélétos toujours l’accuseront, et le Conseil dans l’Aéropage prononcera par décret contre lui la condamnation à mort par la ciguë. Nécessairement toujours aussi, au cours des périodes déterminées Phalaris sera tyran et Alexandre de Phères commettra les mêmes cruautés, et les condamnés au taureau de Phalaris mugiront toujours en lui. Qu’on admette cela, et je ne sais comment notre liberté sera sauvée, et comment on pourra raisonnablement mériter louange ou blâme. A l’hypothèse de Celse on opposera que, si la période des êtres mortels est toujours semblable du commencement à la fin, et que, au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont, et seront toujours les mêmes choses, alors au cours des périodes déterminées nécessairement toujours Moïse avec le peuple juif sort d’Egypte, et Jésus revient au monde pour faire les mêmes choses qu’il a faites non pas une fois, mais un nombre infini de fois au cours des périodes. De plus, les mêmes gens seront chrétiens dans les cycles déterminés et Celse, de nouveau, écrira ce livre qu’il a auparavant écrit une infinité de fois. LIVRE IV

Pour Celse, la période des êtres mortels seule, au cours des cycles déterminés, nécessairement a été, est, et sera toujours. Mais pour la plupart des Stoïciens, c’est non seulement cette période des êtres mortels, mais encore celle des êtres immortels et de ceux qu’ils regardent comme dieux. Après l’embrasement de l’univers, qui a été une infinité de fois et sera une infinité de fois, c’est le même ordre qui, du commencement à la fin a été et sera. Pour essayer pourtant d’atténuer les invraisemblances, les Stoïciens déclarent que, je ne sais comment, tous les hommes au cours d’une période seront tout semblables à ceux des périodes précédentes : si bien que ce n’est point Socrate qui naîtra de nouveau, mais quelqu’un de tout semblable à Socrate qui, de façon toute semblable, se mariera à Xanthippe, et sera condamné par des gens tout semblables à Anytos et Mélétos. Mais je ne sais pas comment le monde est toujours le même, non un monde tout semblable à un autre, tandis que les choses qu’il renferme ne sont pas les mêmes, mais toutes semblables. LIVRE IV

Il déclare ensuite : Les choses que l’on voit n ont pas été données a l’homme; chacune naît et périt pour le salut de l’ensemble, selon le changement que j’ai déjà dit des unes aux autres. Mais il est superflu de s’arrêter à la réfutation de ces principes, que j’ai déjà faite de mon mieux. On a répondu encore à ceci : Il ne peut g avoir plus ou moins de bien et de mal dans les êtres mortels. On a discuté de même ce point : Dieu n’a pas besoin d’appliquer de nouvelle réforme. De plus, ce n’est pas à la manière d’un artisan qui a fabriqué un ouvrage défectueux maladroitement charpenté que Dieu apporte une réforme au monde quand il le purifie par le déluge ou l’embrasement. Mais il empêche le flot du vice de s’étendre davantage ; je crois même qu’avec ordre il le détruit entièrement pour le bien de l’univers. Qu’après cette destruction du vice, il y ait ou non une raison qu’il recommence à exister, la question fera l’objet d’un traité spécial. Dieu tient donc toujours à réparer les erreurs par une nouvelle réforme. Il a certes ordonné au mieux et de la manière la plus stable toutes choses lors de la création du monde ; néanmoins il a eu besoin d’appliquer un traitement médicinal aux victimes du péché et au monde entier souillé par lui en quelque sorte. LIVRE IV

Certes Dieu n’a jamais omis ni n’omettra de faire à tout moment ce qu’il convient qu’il fasse en ce monde variable et changeant. Comme l’agriculteur aux diverses saisons de l’année accomplit les différents travaux des champs que demandent la terre et ses produits, Dieu, de même, administre l’ensemble des siècles comme s’ils ne formaient pour ainsi dire que quelques années. Il opère en chacun d’eux tout ce qu’exigé ce qui de soi est raisonnable pour l’ensemble et que Dieu est le seul, puisqu’il possède la vérité, à très clairement saisir et accomplir. LIVRE IV

Car ceux-ci placent à bon droit l’homme et, en général, la nature raisonnable, au-dessus de tous les êtres sans raison, disant que la Providence a fait toutes choses principalement pour le bien de la nature raisonnable. Les êtres raisonnables qui sont les créatures principales jouent le rôle des enfants mis au monde, les êtres sans raison et inanimés, celui du placenta créé avec l’embryon. En outre, à mon avis, comme dans les villes, les inspecteurs des marchandises et des marchés n’exercent leur surveillance que pour les hommes, mais les chiens et les autres animaux sans raison profitent en passant du surplus de nourriture, la Providence aussi pourvoit principalement aux êtres raisonnables, mais en conséquence, les êtres sans raison profitent de ce qui est fait pour les hommes. Donc, comme on aurait tort de dire que les inspecteurs des marchés ne pourvoient pas davantage aux besoins des hommes qu’aux chiens puisque les chiens profitent en passant du surplus des marchandises, ainsi est-ce à plus forte raison, pour Celse et ceux qui pensent comme lui, une impiété envers Dieu qui pourvoit aux êtres raisonnables, de déclarer : Pourquoi ces choses seraient-elles produites davantage pour la nourriture des hommes que pour celle des plantes, des arbres, des herbes, des épines ? LIVRE IV

Puis, il s’adresse à la race des hommes conscients de leur supériorité sur les animaux sans raison : A votre prétention que Dieu nous a donné le pouvoir de prendre les fauves et d’en user à notre guise, nous répondrons que probablement, avant qu’il y eût des villes, des arts, les liens sociaux d’aujourd’hui, des armes, des filets, c’étaient les hommes que ravissaient et dévoraient les fauves, et pas du tout les fauves que capturaient les hommes. Même si les hommes capturent les fauves et les fauves ravissent les hommes, vois la grande différence entre le triomphe de l’intelligence sur la force de la sauvagerie et de la cruauté, et la sauvegarde contre la férocité des fauves sans mise en oeuvre de l’intelligence. Et quand il dit : « Avant qu’il y eût des villes, des arts, les liens sociaux d’aujourd’hui », il semble oublier ce qu’il a dit plus haut : Le monde est incréé et incorruptible, et seules les choses terrestres sont soumises aux déluges et aux embrasements, et elles ne tombent pas toutes à la fois dans ces calamités. Dès lors, comme on ne peut, en supposant le monde incréé, parler de son commencement, on ne peut non plus trouver de temps où il n’y ait absolument pas eu de villes ni d’arts. Mais supposons qu’il soit d’accord avec nous sur ce point, bien qu’il ne le soit plus avec lui-même et avec ce qu’il dit plus haut. En quoi cela contribue-t-il à prouver qu’à l’origine les hommes étaient ravis et dévorés par les fauves mais les fauves pas encore capturés par les hommes ? Car si le monde existe grâce à la Providence, et si Dieu veille sur l’ensemble, il était nécessaire que les petites étincelles de ce qui est le genre humain, aient été, au commencement de leur existence, placées sous la garde d’êtres supérieurs, en sorte qu’il y eût dès l’origine un lien social entre la nature divine et les hommes. C’est ce que le poète d’Askra a compris quand il a dit : « Car il y avait alors des banquets communs et des assemblées communes entre dieux immortels et hommes mortels. » LIVRE IV

De plus, la parole de Dieu, rapportée par Moïse, a présenté les premiers hommes comme écoutant la voix divine et ses oracles, et ayant parfois des visions d’anges de Dieu venant les visiter. Il convenait en effet qu’au début du monde la nature humaine ait été davantage secourue, jusqu’au moment où par leurs progrès dans la voie de l’intelligence et des autres vertus, dans l’invention des arts, les hommes ont pu vivre par eux-mêmes, sans qu’il leur fallût l’aide et le gouvernement continuels, miraculeusement manifestés, des serviteurs du vouloir divin. LIVRE IV

Puis, continuant à défendre la piété des animaux sans raison, Celse donne en exemple : L’oiseau d’Arabie, le Phénix, qui après de longues années émigré en Egypte, transporte le corps de son père, enfermé dans une boule de myrrhe comme en un cercueil, et le dépose au lieu où se trouve le temple du soleil. C’est bien ce que l’on raconte ; mais le fait, fut-il exact, peut encore venir de la nature. La générosité de la divine Providence apparaît aussi dans les différences entre les animaux, pour montrer aux hommes la variété qui existe dans la constitution des êtres de ce monde, et jusque chez les oiseaux. Et elle a créé un animal unique afin de faire admirer par là, non point l’animal, mais Celui qui l’a créé. LIVRE IV

A tout cela, voici la conclusion que donne Celse : Ce n’est donc pas pour l’homme que tout a été créé, pas plus que pour le lion, ni pour l’aigle, ni pour le dauphin, mais afin que ce monde se réalise comme une oeuvre de Dieu, complète et parfaite dans toutes ses parties. Aussi toutes choses sont-elles accordées, non les unes aux autres, sinon secondairement, mais à l’ensemble. C’est de l’ensemble que Dieu prend soin ; jamais sa providence ne l’abandonne; il ne se détériore pas; Dieu ne le rappelle pas à lui après un moment, il ne s’irrite point à cause des hommes, pas plus qu’à cause des singes et des rats; il ne menace point ces êtres dont chacun a reçu son destin à sa place. Qu’on me permette une brève réponse. Je crois vraiment avoir démontré, par ce qui précède, comment toutes choses ont été faites pour l’homme et pour tous les êtres raisonnables. Car c’est principalement pour l’animal raisonnable que toutes choses ont été créées. LIVRE IV

Libre à Celse de dire que ce n’est pas plus pour l’homme, que pour le lion et les autres animaux qu’il mentionne. Nous dirons : ce n’est ni pour le lion, ni pour l’aigle, ni pour le dauphin que le Créateur les a faites, mais il a créé toutes choses pour l’animal raisonnable, et afin que ce monde se réalise comme une oeuvre de Dieu complète et parfaite dans toutes ses parties. C’est là une belle pensée à laquelle il faut souscrire. Mais Dieu ne prend pas soin, comme le croit Celse, uniquement de l’ensemble, mais outre l’ensemble, de chaque être raisonnable en particulier. Jamais la Providence n’abandonnera l’ensemble. Au cas où une partie de l’ensemble se détériore par la faute de l’être raisonnable, Dieu pourvoit à le purifier et après un moment, à ramener vers lui l’ensemble. De plus, il ne s’irrite ni contre les singes, ni contre les rats, mais il fait subir aux hommes pour la transgression des tendances naturelles un jugement et un châtiment. Il leur adresse des menaces par ses prophètes et par le Sauveur qui est venu à l’ensemble du genre humain, pour que ceux qui prêtent l’oreille à la menace se convertissent, et que ceux qui négligent les appels à la conversion subissent les peines qu’ils méritent ; et il convient que Dieu, dans sa volonté de pourvoir au bien de l’univers, les inflige à ceux qui ont besoin de recevoir un tel traitement et une correction si sévère. Mais comme ce quatrième livre a pris une dimension suffisante, j’arrêterai ici le raisonnement. Et que Dieu accorde, par son Fils qui est Dieu Logos, Sagesse, Vérité, Justice et tout ce que la théologie des saintes Écritures dit de lui, de commencer encore le cinquième livre pour l’utilité des lecteurs et de le mener à bien avec le secours de son Logos qui habite dans notre âme. LIVRE IV

La question présente est donc de réfuter le passage que voici : ” Juifs et chrétiens, nul Dieu, nul Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre. Que si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont, dieux ou des êtres d’une autre espèce ? D’une autre espèce, sans doute, des démons.” Ces redites de Celse – car il l’a maintes fois déjà répété plus haut -, n’exigent pas une longue discussion : les réponses données suffiront. Je me bornerai entre bien d’autres à quelques remarques qui semblent être dans la ligne des précédentes, bien qu’elles n’aient pas cependant tout à fait le même sens. J’établirai donc que, dans sa thèse absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est jamais descendu vers les hommes, Celse réduit à néant les manifestations de Dieu généralement admises que lui-même avait mentionnées plus haut. En effet si, dans l’affirmation absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre, Celse a dit la vérité, c’en est fait évidemment de toutes les descentes des dieux du ciel sur la terre pour prédire aux hommes ou les guérir par leurs oracles. Ni Apollon de Pytho, ni Asclépios, ni aucun de ceux auxquels on attribue des actes pareils ne peut être un dieu descendu du ciel, si ce n’est peut-être un dieu dont le sort est de toujours habiter la terre, comme banni du séjour des dieux ou un des êtres incapables d’entrer en communion avec les dieux qui s’y trouvent. Ou bien Apollon, Asclépios et tous ceux dont on vénère l’action sur la terre ne peuvent être des dieux, mais certains démons bien inférieurs aux hommes sages qui s’élèvent par la vertu jusqu’à la voûte du ciel. Remarque à quel point, dans son dessein de ruiner notre foi, on le prend, lui qui tout au long de son traité refuse de s’avouer épicurien, à passer en transfuge au camp d’Épicure. Le moment est venu pour toi, lecteur des arguments de Celse qui admets ce qui précède, ou bien de nier la présence de Dieu qui étend sa providence à tous les hommes individuellement, ou bien de l’admettre et de prouver que la doctrine de Celse est fausse. Nies-tu radicalement la Providence? Alors pour établir la vérité de ta position, tu prouveras la fausseté des raisons qui lui font admettre des dieux et une providence. Affirmes-tu néanmoins la providence, en refusant d’adhérer à l’assertion de Celse : Ni Dieu ni Fils de Dieu n’est descendu ou ne descend vers les hommes ? Alors pourquoi ne point examiner sérieusement, dans ce que j’ai dit de Jésus et dans les prophéties qui le concernent, quel est celui qu’il faut plutôt croire Dieu ou Fils de Dieu descendu vers les hommes : Jésus qui a mené à bien et accompli de si grandes oeuvres, ou ceux qui, sous prétexte d’oracles et de divinations, loin de réformer les m?urs de ceux qu’ils guérissent, vont jusqu’à éloigner du culte vénérable, pur et sans mélange dû au Créateur de l’univers et divisent l’âme de ceux qui s’attachent à eux, sous prétexte d’honneur à rendre à de multiples dieux au lieu de l’unique, seul manifeste et véritable Dieu ? Puis, comme si Juifs et chrétiens avaient répondu que ceux qui descendent vers les hommes sont des anges, il reprend : Si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont : des dieux ou des êtres d’une autre espèce ? Et, supposant notre réponse, il ajoute : ? D’une autre espèce sans doute, les démons. Eh bien ! précisons ce point. D’un commun accord nous disons que les anges sont « des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ». Ils montent porter les supplications des hommes dans les régions célestes les plus pures du monde, ou même dans les supracélestes plus pures que celles-là. Ensuite, ils en descendent porter à chacun suivant son mérite une des grâces que Dieu leur enjoint de dispenser à ceux qui reçoivent ses faveurs. Eux donc, que nous avons appris à nommer anges à cause de leur fonction, nous les trouvons parfois aussi dans les saintes Écritures nommés dieux, parce qu’ils sont divins ; mais ils ne le sont pas au point qu’il nous soit ordonné de vénérer et d’adorer à la place de Dieu ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Dieu. Car il faut faire remonter toute demande, prière, supplication et action de grâce vers le Dieu suprême par le Souverain Prêtre qui est au-dessus de tous les anges, Logos vivant et Dieu. Et nous offrirons au Logos lui-même des demandes, des prières, des actions de grâce, et même des supplications, si nous sommes capables de discerner entre le sens absolu et le sens relatif du mot supplication. LIVRE V

Ensuite, il a ce passage sur les Juifs : ” Voici un premier trait surprenant chez les Juifs : ils vénèrent le ciel et les anges qui s’y trouvent, mais les parties du ciel les plus respectables et les plus puissantes, le soleil, la lune et les autres astres, étoiles et planètes, ils n’en ont cure: comme s’il était admissible que le tout soit dieu et que ses parties ne soient pas divines; ou que l’on rende un culte suprême à des êtres apparaissant, dit-on, je ne sais dans quelles ténèbres, à ceux qu’aveugle une magie suspecte ou qui voient en rêve des fantômes indistincts, tandis que ceux qui prédisent avec tant de clarté et d’éclat pour tout le monde, par qui sont dispensés les pluies, les chaleurs, les nuées, les tonnerres que les Juifs adorent, les éclairs, les fruits et tous les produits de la terre, ceux par qui Dieu se révèle à eux, les hérauts les plus manifestes d’en haut, les véritables messagers célestes, on les tienne pour rien ! ” Celse me semble là être tombé dans la confusion et avoir écrit des choses apprises par ouï-dire, qu’il ne comprenait pas. Car l’examen du judaïsme et sa comparaison avec le christianisme le manifestent clairement : les Juifs observent la loi disant au nom de Dieu : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. Tu ne te feras pas d’image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans le ciel là-haut, ni à ce qui est sur la terre ici-bas, ou dans les eaux en-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas. » Ils n’adorent que le Dieu suprême Créateur du ciel et de tout le reste. Il est clair que ceux qui vivent selon la loi, s’ils adorent celui qui a fait le ciel, n’adorent point en même temps le ciel et Dieu. De plus, aucun observateur de la loi de Moïse n’adore les anges qui sont au ciel. N’adorant pas le soleil, la lune, les étoiles, « le monde du ciel », ils évitent aussi bien d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, par obéissance à leur loi : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune, les étoiles et tout le monde du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir : le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à tous les peuples. » LIVRE V

Bien plus, supposant que les Juifs regardent le ciel comme dieu, il ajoute que c’est absurde et leur reproche d’adorer le ciel mais non le soleil, la lune et les étoiles, et ainsi de se comporter comme s’il était admissible que le tout soit dieu et que ses parties ne soient pas divines ; il semble dire que le ciel est le tout, et le soleil, la lune et les étoiles sont ses parties. Or il est bien clair que ni Juifs ni chrétiens ne disent que le ciel est dieu. Mais accordons qu’il ait raison de dire que les Juifs nomment dieu le ciel, supposons même que le ciel, la lune et les étoiles soient des parties du ciel, – ce qui n’est pas absolument vrai, pas plus que les animaux sur la terre ne sont parties de la terre – : serait-il donc vrai, même aux yeux des Grecs, que si le tout est dieu alors aussi ses parties soient divines ? Sans aucun doute ils disent que le monde en sa totalité est dieu, les Stoïciens, qu’il est le premier, les Platoniciens le second, certains d’entre eux le troisième. Est-ce donc que d’après eux, puisque le monde en sa totalité est dieu, alors aussi ses parties sont divines : si bien que non seulement les hommes mais encore tous les animaux sans raison, comme parties du monde, sont des êtres divins, et en plus d’eux même les plantes ? Et si les montagnes, les fleuves et les mers sont des parties du monde est-ce que, le monde en sa totalité étant dieu, alors aussi les fleuves et les mers sont des dieux ? Mais non, les Grecs ne diraient point cela : ce sont les êtres, démons sans doute, ou dieux selon l’appellation de certains, préposés aux fleuves et aux mers qu’ils appelleraient dieux. Même pour les Grecs qui admettent la Providence, est fausse l’affirmation générale de Celse : si le tout est dieu, nécessairement ses parties sont divines. Il suit de son argument que, si le monde était dieu, toutes les choses qui y sont, étant des parties du monde, seraient divines. A ce compte, les animaux seraient divins : mouches, vers de bois, vers de terre, chaque espèce de serpents, et encore, d’oiseaux et de poissons ; assertion que ne tiendraient pas même ceux qui disent que le monde est dieu. Mais les Juifs, qui vivent selon la loi de Moïse, même s’ils ne savent pas interpréter la signification obscure de la loi dans son sens caché, ne diront jamais que le ciel ou les anges sont des dieux. LIVRE V

Non assurément ! Après avoir été instruit à s’élever noblement au-dessus de toutes les choses créées et à espérer de Dieu les plus glorieuses récompenses d’une vie très vertueuse ; après avoir entendu la parole : « Vous êtes la lumière du monde », « que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux»; quand on s’efforce d’acquérir ou qu’on a même acquis déjà la sagesse resplendissante et inaltérable qui « est un reflet de la lumière éternelle », – il ne serait pas raisonnable de se laisser impressionner par la lumière sensible du soleil, de la lune ou des étoiles au point de penser qu’à cause de leur lumière sensible on leur est inférieur, alors qu’on possède une aussi puissante lumière intelligible de connaissance, « lumière véritable, lumière du monde, lumière des hommes », et de les adorer. S’il avait fallu les adorer, ce n’est point leur lumière sensible, admirée de la foule, qui eût mérité l’adoration, mais la lumière intelligible et véritable, à supposer que les étoiles du ciel soient des êtres vivants raisonnables et vertueux, illuminés de la lumière de la connaissance par la sagesse qui est « le rayonnement de la lumière éternelle ». Et en effet, leur lumière sensible est l’ouvrage du Créateur de l’univers, tandis que la lumière intelligible qu’ils possèdent peut-être eux aussi dérive encore de leur liberté. LIVRE V

Mais cette lumière intelligible elle-même ne doit pas être adorée par qui voit et comprend la lumière véritable dont la lumière des astres est sans doute une participation, et par qui voit Dieu, le Père de la Véritable Lumière, dont il a été dit magnifiquement : « Dieu est lumière et il n’y a en lui aucune obscurité. » Et si l’on adore le soleil, la lune et les étoiles pour leur lumière sensible et céleste, on ne voudrait pas adorer une étincelle ou une lampe sur la terre, car on voit l’évidente supériorité des astres jugés dignes d’adoration relativement à la lumière des étincelles et des lampes. De même aussi, réfléchir au sens dans lequel « Dieu est lumière » et saisir comment le Fils de Dieu est « la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde », et comprendre en outre ce qui lui fait dire : « Je suis la lumière du monde », interdit en bonne logique d’adorer ce qui, dans le soleil, la lune et les étoiles, n’est qu’une petite étincelle en comparaison de Dieu, lumière de la Véritable Lumière. LIVRE V

Dieu donc, dans sa bonté, descend vers les hommes non par mouvement local mais par sa providence2 ; et le Fils de Dieu non seulement était présent jadis avec ses disciples, mais il l’est encore sans cesse, accomplissant la parole : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Et si « un sarment ne peut porter de fruit s’il ne demeure sur la vigne », il est bien clair que les disciples du Logos, sarments spirituels de la Vigne véritable, le Logos, ne peuvent porter les fruits de la vertu s’ils ne demeurent sur la Vigne véritable, le Christ de Dieu. Il est avec nous qui sommes localement ici-bas sur la terre, étant avec ceux qui partout adhèrent à lui ; mais déjà il est partout même avec ceux qui ne le connaissent pas. Voilà ce que montre Jean l’Evangéliste par ces mots de Jean-Baptiste : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Il a rempli le ciel et la terre, et il a dit : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas moi ? dit le Seigneur » ; il est avec nous et proche de nous, car je le crois lorsqu’il dit : « Je suis un Dieu de près et non un Dieu de loin », dit le Seigneur. » Il serait donc absurde de chercher à prier le soleil, la lune ou quelque étoile, dont la présence ne s’étend pas au monde entier. LIVRE V

Vois donc tout d’abord comme il tourne en ridicule dans ce passage l’embrasement du monde, admis même par des philosophes grecs de valeur, lorsqu’il prétend qu’en admettant la doctrine de l’embrasement, nous faisons de Dieu un cuisinier. Il n’a pas vu que, selon l’opinion de certains Grecs qui l’ont peut-être empruntée à la très ancienne nation des Hébreux, le feu est infligé en purification au monde et vraisemblablement aussi à chacun de ceux qui ont besoin d’être à la fois châtiés et guéris par le feu. Il brûle mais ne consume pas ceux en qui il n’y aurait pas de matière exigeant cette destruction par le feu, mais il brûle et consume ceux qui ont bâti, comme on dit au sens figuré, « en bois, en foin, en chaume », l’édifice de leurs actions, de leurs paroles, de leurs pensées. Les divines Écritures disent que le Seigneur visitera « comme le feu du fondeur, comme l’herbe du foulon » chacun de ceux qui ont besoin, à cause du mélange pour ainsi dire d’une malice mauvaise découlant du vice, – ont besoin, dis-je, du feu comme pour affiner les âmes mélangées d’airain, d’étain, de plomb. Voilà ce que n’importe qui peut apprendre du prophète Ézéchiel. On ne veut pas dire que Dieu applique le feu, tel un cuisinier, mais que Dieu agit en bienfaiteur de ceux qui ont besoin d’épreuve et de feu, et c’est ce que le prophète Isaïe attestera dans la sentence contre une nation pécheresse : « Puisque tu as des charbons de feu, assieds-toi sur eux, ils te seront un secours. » Le Logos, qui dispense des enseignements adaptés aux foules de ceux qui liront l’Écriture, dit avec une sagesse cachée des choses sévères pour effrayer ceux qui ne peuvent autrement se convertir du flot de leurs péchés. Même dans ces conditions, l’observateur perspicace trouvera une indication du but visé par ces châtiments sévères et douloureux à ceux qui les endurent : il suffit de citer ici le passage d’Isaïe : « A cause de mon nom, je te montrerai ma colère, et j’amènerai sur toi ma gloire pour ne pas t’exterminer. » J’ai été contraint de rapporter en termes obscurs les vérités dépassant la foi des simples qui ont besoin d’une instruction simple dans les termes ; je ne voulais point paraître laisser sans réfutation l’accusation de Celse qui dit : Lorsque Dieu, tel un cuisinier, appliquera le feu. De ce qu’on vient de dire ressortira pour les auditeurs intelligents la manière dont il faut répondre aussi à la parole : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. Rien d’étonnant que telle soit la pensée de ceux qui, parmi nous, sont appelés par l’Écriture : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, ce qui est sans naissance et que l’on méprise, ce qui n’est pas, qu’il a plu à Dieu de sauver, eux qui croient en lui, par la folie de la prédication puisque le monde par le moyen de la sagesse n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu ». Ils ne peuvent pénétrer le sens du passage et ne veulent pas consacrer leurs loisirs à chercher le sens de l’Écriture, en dépit de la parole de Jésus : « Scrutez les Écritures » ; et ils ont conçu une telle idée du feu appliqué par Dieu et du sort destiné au pécheur. Et sans doute convient-il de dire aux enfants des choses proportionnées à leur condition puérile à dessein, si petits qu’ils soient, de les convertir au mieux ; ainsi, à ceux que l’Écriture nomme fous dans le monde, sans naissance, objets de mépris, convient l’interprétation obvie des châtiments, puisque seules la crainte et la représentation des châtiments peuvent les convertir et les éloigner de nombreux maux. Aussi, l’Écriture déclare-t-elle que seront les seuls à survivre, sans goûter le feu et les châtiments, ceux qui sont tout à fait purs dans leurs opinions, leurs m?urs, leur esprit ; tandis que ceux qui ne le sont pas, mais, selon leur mérite, ont besoin du ministère des châtiments par le feu, elle déclare qu’ils y seront soumis jusqu’à un certain terme qu’il convient à Dieu d’assigner à ceux qui ont été créés « à son image », et ont vécu contrairement à la volonté de la nature qui est « selon l’image ». Voilà ma réponse à sa remarque : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. LIVRE V

Ensuite, pour avoir mal compris les saintes Écritures, ou entendu ceux qui ne les avaient pas pénétrées, il nous fait dire que seront seuls à survivre au moment où la purification par le feu sera infligée au monde non seulement les vivants d’alors, mais même ceux qui seront morts depuis longtemps. Il n’a pas saisi la sagesse cachée qu’enfermé la parole de l’Apôtre de Jésus : « Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés, en un instant, en un clin d’oeil, au son de la trompette finale ; car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. » Il aurait dû savoir la pensée qui portait l’auteur à s’exprimer de la sorte : à ne pas se présenter comme un mort, à se distinguer des morts, lui-même et ceux qui lui ressemblent, et, après avoir dit que « les morts ressusciteront incorruptibles », à ajouter : « et nous, nous serons transformés ». Pour confirmer que telle avait été la pensée de l’Apôtre, quand il a écrit ce que j’ai cité de la Première aux Corinthiens, je présenterai encore le passage de la Première aux Thessaloniciens, où Paul, en homme vivant, éveillé, distinct de ceux qui sont endormis, déclare : « Voici, en effet, ce que nous avons à vous dire sur la parole du Seigneur : nous, les vivants, qui serons encore là lors de l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas les morts. Car au signal donné, à la voix de l’Archange, au son de la trompette divine, le Seigneur en personne descendra du ciel. » Et de nouveau, après cela il ajoute, sachant que les morts dans le Christ sont différents de lui et de ceux qui sont dans le même état que lui : « Ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous, les vivants, qui serons encore là, nous serons emportés ensemble avec eux dans les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs. » LIVRE V

De plus, les disciples de Pythagore et de Platon, même s’ils semblent garder le monde incorruptible, tombent pourtant dans des aberrations analogues. Car les étoiles, après certaines périodes déterminées, prenant les mêmes positions et les mêmes relations mutuelles, toutes choses sur terre, assurent-ils, sont semblables à celles du moment où le monde comportait la même position relative des étoiles. D’après cette doctrine, lorsque les étoiles après une longue période viennent à la même relation mutuelle qu’elles avaient au temps de Socrate, il est nécessaire que Socrate naisse de nouveau des mêmes parents, souffre les mêmes traitements, l’accusation d’Anytos et de Mélètos, la condamnation par le Conseil de l’Aréopage. De plus, les savants d’Egypte, parce qu’ils transmettent des doctrines pareilles, sont pour Celse et ses adeptes objet de vénération et non de raillerie. Et nous qui disons que l’univers est gouverné par Dieu, eu égard à la disposition des libertés de chacun, et autant que possible toujours conduit au mieux, qui savons que la nature de notre liberté est d’admettre des possibilités variées, car elle est incapable de recevoir l’immutabilité absolue de Dieu, ne paraissons-nous pas dire des choses dignes d’examen et de recherche ? Qu’on n’aille pas, à cause de cette explication, nous prendre pour ces gens qui, tout en se disant chrétiens, refusent la doctrine des Écritures sur la résurrection ! En effet, dans la mesure où ils appliquent leurs principes, ils ne peuvent absolument pas prouver que « du grain de blé ou de quelque autre semence » ressuscite, pour ainsi dire, « un épi ou un arbre ». Mais nous, nous sommes persuadés que ce que l’on sème « ne reprend pas vie s’il ne meurt », et que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé. Car « Dieu lui donne un corps à son gré » : semé « dans la corruption, il le ressuscite « incorruptible », semé dans l’abjection, il le ressuscite « glorieux », semé « dans la faiblesse », il le ressuscite « plein de force », semé « corps psychique », il le ressuscite « corps spirituel ». Nous gardons et la doctrine de l’Église du Christ et la grandeur de la promesse de Dieu. Que ce soit une chose possible, nous le prouvons non par une affirmation mais par un argument. Nous savons que même si le ciel et la terre avec tout ce qu’ils contiennent doivent passer, au contraire les paroles de chaque point de la doctrine étant comme parties d’un tout ou espèces d’un genre, celles du Logos Dieu qui était « au commencement » Logos « près de Dieu », ne passeront nullement. Car il a dit et nous voulons l’entendre : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » LIVRE V

De plus, explique qui voudra la manière dont, réparties en autant de gouvernements, les parties de la terre sont administrées par les puissances qui veillent sur elles ; qu’on nous apprenne encore comment ce qui est fait dans chaque nation est accompli avec rectitude si c’est de la manière agréée de ces puissances : si cette rectitude caractérise, par exemple, les lois des Scythes sur le parricide, ou celles des Perses n’interdisant le mariage ni des mères avec leurs fils, ni des pères avec leurs filles. A quoi bon rassembler les exemples des auteurs qui ont traité des lois des différents peuples, pour contester l’affirmation que dans chaque nation les lois sont accomplies , avec rectitude dans la mesure où elles agréent aux puissances tutélaires ? A Celse de nous dire l’impiété qu’il y aurait à enfreindre les lois traditionnelles pour qui épouser sa mère ou sa fille est permis, finir la vie par pendaison mérite la béatitude, se livrer aux flammes et quitter la vie par le feu obtient la purification parfaite. A lui de dire l’impiété qu’il y aurait à enfreindre les lois contraignant par exemple les habitants de la Tauride à offrir les étrangers comme victimes à Artémis, ou chez certaines tribus de Libye à sacrifier les enfants à Cronos. Mais dans la logique de l’opinion de Celse, il y a impiété pour les Juifs à enfreindre les lois traditionnelles interdisant de vénérer un autre dieu que le Créateur de l’univers. D’après lui, la piété serait divine non point par nature mais par convention et opinion ; car c’est pour les uns acte de piété d’honorer le crocodile et de manger des animaux adorés parmi d’autres tribus, et c’est un acte de piété chez d’autres de vénérer le veau, et chez d’autres de considérer le bouc comme un dieu. Et ainsi les actions d’un même individu seraient piété d’après telles lois, impiété d’après telles autres : ce qui est le comble de l’absurdité. On répliquera probablement : la piété consiste à garder les traditions, et il n’y a pas le moins du monde impiété à ne pas observer en outre celles des étrangers ; ou encore, bien que cela paraisse impie à certains d’entre eux, il n’y a pas impiété à honorer suivant les traditions ses propres divinités, et d’autre part à combattre et à dévorer celles des peuples dont les lois sont contraires. Mais vois si ce n’est pas faire preuve d’une grande confusion sur la justice, la piété et la religion, que de ne pas les définir ni leur assigner une nature propre permettant de caractériser comme des hommes religieux ceux qui leur conforment leur conduite. Si vraiment la religion, la piété, la justice sont choses si relatives que la même attitude soit pieuse ou impie suivant la diversité des conditions et des lois, ne s’ensuit-il pas que la tempérance aussi est relative, de même que le courage, la prudence, la science et les autres vertus : rien ne pourrait être plus absurde. LIVRE V

Et puisque ceux qui se sont éloignés du Levant par leurs péchés ont été livrés « à un esprit perverti », à « leurs passions avilissantes » et « selon les convoitises de leur c?ur à l’impureté », pour que, rassasiés du péché, ils le haïssent, nous refusons de souscrire à l’affirmation de Celse : A cause de ces puissances tutélaires assignées aux différentes parties de la terre, ce qui est fait dans chaque région est accompli avec rectitude. En outre, nous voulons faire ce qui, chez elles, n’agrée pas à ces puissances. Car nous voyons qu’il y a piété à enfreindre les lois établies dès l’origine dans chaque région, à cause des lois supérieures et divines que Jésus, comme le plus puissant, a établies, nous arrachant « à ce monde présent et mauvais » et « aux princes de ce monde voués à la destruction » ; il y a impiété, au contraire, à ne pas se jeter aux pieds de celui qui s’est manifesté et démontré plus pur et plus puissant que tous les princes : lui à qui Dieu a dit, comme les prophètes l’ont prédit bien des générations auparavant : « Demande-moi, et je te donnerai les nations pour ton héritage, et pour ta possession, les extrémités de la terre. » C’est lui qui est devenu notre « attente », à nous qui, venus « des nations », avons cru en lui et au Dieu suprême son Père. LIVRE V

Celse ajoute encore :” C’est donc le même Dieu qu’ont les Juifs et ces gens-là, ” évidemment les chrétiens. Et comme s’il tirait une conclusion qu’on ne saurait lui accorder, il dit :” C’est bien ce que reconnaissent ouvertement ceux de la grande Église qui reçoivent pour véridique la tradition courante parmi les Juifs sur la création du monde, par exemple sur les six jours et sur le septième. Ce jour-là,” dit l’Écriture, ” Dieu arrêta ses travaux, se retirant dans la contemplation de lui-même. Celse, ne remarquant pas ou ne comprenant pas ce qui est écrit, traduit se reposa, ce qui n’est pas écrit. Mais la création du monde et le repos sabbatique réservé après elle au peuple de Dieu offrent matière à une doctrine ample, profonde et difficile à expliquer. Il me paraît ensuite gonfler son livre et lui donner quelque importance en ajoutant des traits au hasard, par exemple l’histoire du premier homme que nous disons identique à celui que nommèrent les Juifs; et la généalogie de ses descendants que nous déterminons comme eux. Quant au complot que les frères ont ourdi l’un contre l’autre, je l’ignore. Je connais celui de Caïn contre Abel et celui d’Esaü contre Jacob. Mais il n’y en eut pas d’Abel contre Caïn, ni de Jacob contre Esaü. S’il y en avait eu, Celse aurait raison de dire que nous racontons après les Juifs les mêmes complots que les frères ont ourdis l’un contre l’autre. Accordons encore que nous parlons, eux et nous, de la même descente en Egypte, et du même exode de ce pays, et non pas d’une fuite comme pense Celse. Y a-t-il là de quoi fonder une accusation contre nous ou contre les Juifs ? Quand il pensait nous ridiculiser par l’histoire des Hébreux, il parlait de fuite ; mais quand il s’agissait d’examiner l’histoire des plaies que Dieu infligea à l’Egypte, il a préféré se taire. S’il faut préciser ma réponse à Celse, pour qui nous avons les mêmes opinions que les Juifs sur ces questions, je dirai : nous reconnaissons comme eux que ces livres ont été écrits par inspiration divine, mais nous ne sommes plus d’accord sur l’interprétation de leur contenu. Nous ne vivons pas comme les Juifs, car nous pensons que le sens de la législation dépasse l’interprétation littérale des lois. Et nous disons : « Toutes les fois que Moïse est lu, un voile est étendu sur leur c?ur », car l’intention de la loi de Moïse est cachée à ceux qui ne sont pas engagés avec ardeur sur la voie indiquée par Jésus-Christ. Nous savons que, « quand on se convertit au Seigneur – et le Seigneur c’est l’Esprit -, le voile » tombe ; l’on réfléchit pour ainsi dire comme en un miroir « à visage découvert la gloire du Seigneur » qui est dans les pensées cachées sous la lettre, et l’on participe pour sa propre gloire à ce qu’on appelle la gloire divine. Le mot visage, employé au figuré, est tout simplement ce qu’on pourrait dire entendement, et tel est le visage « selon l’homme intérieur », rempli de lumière et de gloire par la vérité contenue dans ces lois. LIVRE V

Et cet homme qui professe tout savoir ajoute ces déclarations :” Tous ces gens si radicalement séparés, qui dans leurs querelles se réfutent si honteusement eux-mêmes, on les entendra répéter : le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde”. Voilà tout ce que Celse paraît avoir retenu de Paul. Pourquoi donc ne citerais-je pas tant d’autres passages comme celui-ci : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, pour la cause de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses. Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu. » LIVRE V

Et puisqu’il dit : Tous ces gens si radicalement séparés, on les entendra répéter : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde, je vais le convaincre de mensonge. Il y a des sectes qui ne reçoivent pas les Epîtres de l’Apôtre Paul : les Ébionites des deux sortes et ceux qu’on appelle Encratites. Ils ne citent donc pas l’Apôtre comme un bienheureux et un sage et ne sauraient dire : « Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde. » Voilà encore un mensonge de Celse. Il a beau insister dans son accusation contre la différence des sectes, il n’a, me semble-t-il, aucune idée claire de ce qu’il dit, il n’a même pas sérieusement examiné ni compris la raison pour laquelle les chrétiens avancés dans les Écritures prétendent connaître plus de choses que les Juifs. Veut-il dire que tout en admettant les mêmes livres que les Juifs, ils les interprètent en sens contraire, ou qu’ils refusent d’admettre les livres des Juifs ? On pourrait en effet trouver ces deux attitudes dans les sectes. Après quoi il déclare : Eh bien ! même si leur religion n’a aucun fondement, examinons la doctrine elle-même. Il faut d’abord dire tout ce qu’ils ont mal compris et gâté par l’ignorance, la présomption les faisant aussitôt trancher à tort et à travers sur les principes en des matières qu’ils ne connaissent pas. En voici des exemples. Et aussitôt, à certaines expressions continuellement sur les lèvres de ceux qui croient à la doctrine chrétienne, il en oppose d’autres tirées des philosophes ; il prétend que celles des doctrines dont il reconnaît la beauté chez les chrétiens ont été exprimées avec plus de beauté et de clarté chez les philosophes ; il veut par là entraîner à la philosophie ceux que captivent ces doctrines par elles-mêmes resplendissantes de beauté et de piété. Mais terminons ici même ce cinquième livre, et commençons le sixième avec le passage qui suit. LIVRE V

Voici en quels termes Paul s’explique à leur sujet : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. Ses oeuvres invisibles, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit, et sa puissance éternelle et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent s’est enténébré. Dans leur prétention à être sages, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. » Comme en témoigne notre Ecriture, ils retiennent la vérité captive ceux qui pensent que « le Souverain Bien est absolument ineffable » et ajoutent : « c’est d’un long commerce avec lui et d’une vie commune qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme, et désormais il se nourrit lui-même. » LIVRE VI

Mais ceux qui ont si bien écrit sur le Souverain Bien descendent au Pirée pour prier Artémis comme une déesse, et pour voir la fête publique célébrée par les simples. Après avoir enseigné cette profonde philosophie sur l’âme et décrit en détail l’état futur de celle dont la vie fut vertueuse, ils abandonnent ces idées sublimes que Dieu leur a manifestées pour songer à des choses vulgaires et basses et sacrifier un coq à Asclépios. Ils s’étaient représenté les oeuvres invisibles de Dieu et les idées à partir de la création du monde et des choses sensibles, d’où ils s’étaient élevés aux réalités intelligibles : ils avaient vu, non sans noblesse, son éternelle puissance et sa divinité ; néanmoins ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent se traîne pour ainsi dire, dans l’ignorance au sujet du culte de Dieu. Et l’on peut voir ces hommes, fiers de leur sagesse et de leur théologie, adorer une représentation, simple image d’homme corruptible, pour honorer, disent-ils, cette divinité, parfois même descendre avec les Égyptiens jusqu’aux oiseaux, quadrupèdes, reptiles. LIVRE VI

Si certains paraissent s’être élevés au-dessus de tout cela, on découvrira cependant qu’ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature de préférence au Créateur. Aussi, parce que les sages et les savants de la Grèce se fourvoyaient dans leurs pratiques religieuses, « Dieu a choisi ce qu’il y a de fou dans le monde, pour confondre les sages, ce qui est sans naissance, ce qui est faible, ce que l’on méprise, ce qui n’est rien, pour réduire à néant ce qui est », et cela en vérité « afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu ». LIVRE VI

5. Ensuite, que soudain comme d’une flamme jaillissante surgit une lumière dans l’âme, le Logos l’a su le premier, au dire du prophète : « Illuminez-vous vous-mêmes de la lumière de la connaissance. » Et Jean, qui a vécu après lui, dit encore : « Ce qui fut fait » était « vie » dans le Logos, « et la vie était la lumière des hommes, lumière véritable, qui éclaire tout homme qui vient dans le monde » véritable et intelligible, et qui le constitue « lumière du monde ». Car « il a fait luire cette lumière dans nos coeurs pour qu’y resplendisse l’Évangile de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ ». C’est pourquoi un prophète très ancien, dans ses prédictions antérieures de plusieurs générations au règne de Cyrus qu’il précède de quatorze générations, a pu dire : « Le Seigneur est mon illumination et mon Sauveur : qui craindrai-je ? » ; « Ta loi est un flambeau sur mes pas, une lumière sur mon sentier » ; « La lumière de ta face est scellée sur nous, Seigneur » ; « Par ta lumière nous voyons la lumière. » C’est à cette lumière que le Logos nous exhorte dans Isaïe : « Illumine-toi, illumine-toi, Jérusalem ; car voici ta lumière, et sur toi s’est levée la gloire du Seigneur. » Et ce même auteur prophétise sur la venue de Jésus qui détournerait du culte des idoles, des statues et des démons : « Une lumière s’est levée pour ceux qui se tenaient dans le pays et l’ombre de la mort » ; et de nouveau : « Le peuple qui se tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » LIVRE VI

Je passe donc à une autre accusation de Celse. Il ne connaît même pas nos textes, mais, par suite de méprises, nous accuse de soutenir que la sagesse humaine est folie devant Dieu, alors que Paul dit : « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » Celse ajoute : La raison de cette maxime a été dite depuis longtemps. D’après lui, la raison qui nous fait tenir ce langage est la volonté d’attirer les seuls gens incultes et stupides. Mais comme il l’a noté lui-même, il en a déjà parlé plus haut, et j’ai répondu de mon mieux à l’argument. Il n’en a pas moins tenu à montrer que nous l’avions imaginé, ou emprunté aux sages de la Grèce disant qu’autre est la sagesse humaine, autre la sagesse divine. Il cite même deux passages d’Héraclite ; l’un où il dit : « Le caractère humain n’a pas de pensée, le divin en a » ; et l’autre : « Marmot! L’homme s’entend appeler ainsi par le génie, comme l’enfant par l’homme. » Il cite en outre l’Apologie de Socrate par Platon: « Quant à moi, Athéniens, ce n’est à rien d’autre qu’à la sagesse que je dois ce nom qu’on me donne. Mais de quelle sorte, celte sagesse? Celle-là même qu’est sans doute une sagesse humaine. Réellement oui, il y a des chances que cette sagesse je la possède. » LIVRE VI

Il y a donc, d’après Platon, une sagesse divine et une sagesse humaine. La sagesse humaine, que nous appelons « sagesse de ce monde, est folie devant Dieu ». La sagesse divine, qui diffère de l’humaine puisqu’elle est divine, survient par une grâce de Dieu qui l’accorde à ceux qui se sont préparés convenablement à la recevoir et surtout à ceux qui, reconnaissant la différence d’une sagesse à l’autre, disent dans leurs prières : « Y eut-il quelqu’un de parfait parmi les enfants des hommes sans la sagesse qui vient de toi, on le comptera pour rien. » Nous affirmons : la sagesse humaine n’est qu’un exercice de l’âme ; la divine en est la fin : elle est présentée comme la nourriture solide de l’âme dans le texte : « La nourriture solide est pour les parfaits, eux qui par l’habitude ont le sens exercé au discernement du bien et du mal. » LIVRE VI

Ainsi, à qui peut comprendre, Paul présente sans ambages les choses sensibles, sous le nom de visibles et les réalités intelligibles que l’esprit seul peut saisir, sous le nom d’invisibles. Il sait que les choses sensibles ou visibles n’ont qu’un temps, que les réalités intelligibles ou invisibles sont éternelles. Pour parvenir à leur contemplation, soutenu par l’ardent désir qui le porte vers elles, il regarde toute tribulation comme un rien ou une chose bien légère. Au temps même de la tribulation et des épreuves, loin d’en être accablé, il regarde comme légère toute vicissitude, grâce à la contemplation de ces réalités. Car nous avons « un Grand-Prêtre insigne qui a pénétré les cieux » par la grandeur de sa puissance et de son esprit, « Jésus le Fils de Dieu ». Il a promis à ceux qui ont véritablement appris les choses divines et qui ont vécu d’une manière digne d’elles, de les conduire aux biens qui sont au-delà du monde. Car il dit : « Afin que là où je suis, vous soyez vous aussi ». C’est pourquoi nous espérons après les peines et les luttes d’ici-bas, parvenir aux sommets célestes, et recevoir des sources « d’eau jaillissant en vie éternelle » suivant l’enseignement de Jésus, contenir des fleuves de contemplations et être avec ces eaux dites supracélestes qui louent le nom du Seigneur. Tant que durera notre louange, nous ne serons pas emportés loin du cercle du ciel, mais nous nous appliquerons à contempler les oeuvres invisibles de Dieu : elles nous seront perceptibles non plus comme « depuis la création du monde grâce aux choses créées », mais comme l’a indiqué le véritable disciple de Jésus en disant : « mais alors, face à face », et « Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est imparfait disparaîtra. » LIVRE VI

Il comportait un dessin de dix cercles, séparés les uns des autres, mais réunis par un autre cercle, que l’on disait l’âme du monde et que l’on nommait Léviathan. Les Écritures juives, quel que soit le sens qu’elles suggèrent, disent que ce Léviathan a été créé par Dieu comme un jouet. LIVRE VI

Puis s’en prenant à l’expression, il critique avec raison l’audace d’un tel propos. Sur ce point nous partageons nous aussi l’indignation de ceux qui blâment ces gens, s’ils existent, qui appellent Dieu maudit le Dieu des Juifs, le maître de la pluie et du tonnerre, le créateur de ce monde, le Dieu de Moïse et de la création décrite par lui. Les paroles de Celse ne laissent voir aucune bienveillance ; au contraire, elles sont inspirées par sa haine, indigne d’un philosophe, d’une extrême malveillance envers nous. Il a voulu qu’à la lecture de son livre, ceux qui n’ont pas l’expérience de nos doctrines nous attaquent comme si nous disions que le magnifique Créateur de ce monde est un dieu maudit. Son procédé me semble analogue à celui des Juifs qui, au début de l’enseignement du christianisme, répandirent contre l’Évangile la calomnie qu’on immolait un petit enfant dont on se partageait la chair, et encore que les disciples de l’Évangile, pour accomplir les oeuvres de ténèbres, éteignaient la lumière et chacun s’unissait à sa voisine. LIVRE VI

Ensuite, comme si le reproche atteignait les chrétiens, quand il accuse ceux qui appellent Dieu maudit le Dieu de Moïse et de sa loi, et s’imagine que ceux qui le disent sont des chrétiens, il ajoute : Peut-il y avoir sottise plus délirante que cette sagesse stupide ? Quelle erreur a donc commise le législateur des Juifs ? D’où vient alors que tu adoptes, grâce, dis-tu, à une allégorie sommaire, sa cosmogonie ou la loi des Juifs et que tu loues bien malgré loi, ô très impie, le Créateur du monde, celui qui a tout promis aux Juifs, annonçant que leur race se multiplierait jusqu’aux extrémités de la terre et ressusciterait d’entre les morts avec la même chair et le même sang, et celui qui inspirait les prophètes; et qu’en même temps tu l’injuries ? Cependant, lorsque les Juifs le pressent, tu reconnais que tu adores le même Dieu; mais quand ton maître Jésus, et Moise, le maître des Juifs, établissent des lois contraires, tu cherches un autre dieu à la place de celui-ci, le Père. LIVRE VI

Veut-on apprendre encore les artifices par lesquels ces sorciers, prétendant posséder certains secrets, ont voulu gagner les hommes à leur enseignement et sans beaucoup de succès ? Qu’on écoute ce qu’ils apprennent à dire une fois passé ce qu’ils nomment « la barrière de la malice », les portes des Archontes éternellement fermées de chaînes : « Roi solitaire, bandeau d’aveuglement, oubli inconscient, je te salue, première puissance, gardée par l’esprit de providence et par la sagesse ; d’auprès de toi je suis envoyé pur, faisant partie déjà de la lumière du Fils et du Père ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Voilà, d’après eux, où commence l’Ogdoade8. Puis, ils apprennent à dire ensuite, en traversant ce qu’on nomme Ialdabaoth : « O toi, premier et septième, né pour dominer avec assurance, Ialdabaoth, raison souveraine de la pure intelligence, chef-d’oeuvre du Fils et du Père, je porte un symbole empreint d’une image de vie ; j’ai ouvert au monde la porte que tu avais fermée pour ton éternité, et retrouvant ma liberté je traverse ton empire ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Et ils disent que l’astre brillant est en sympathie avec l’archonte à forme de lion. Ils croient ensuite qu’après avoir traversé Ialdabaoth, et être arrivé à la on doit dire : « 0 toi qui présides aux mystères cachés du Fils et du Père, et qui brilles pendant la nuit, Iao second et premier, maître de la mort, lot de l’innocent, voici que, portant comme symbole la soumission de mon esprit, je m’apprête à traverser ton empire ; car, par une parole vivante, je l’ai emporté sur celui qui vient de toi ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Immédiatement après, c’est Sabaoth à qui, selon eux, on devra dire : « Archonte du cinquième empire, puissant Sabaoth, premier défenseur de la loi de ta création, que la grâce a libérée par la vertu plus puissante du nombre cinq, laisse-moi passer en voyant intact ce symbole de ton art que je conserve dans l’empreinte d’une image, un corps délivré par le nombre cinq ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! »… A sa suite, c’est Astaphaios auquel ils pensent qu’on doit s’adresser en ces termes ! «Archonte de la troisième porte, Astaphaios, qui veilles sur la source originelle de l’eau, regarde-moi comme un myste, et laisse-moi passer, car j’ai été purifié par l’esprit d’une vierge, toi qui vois l’essence du monde ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI

Après les considérations que je viens de citer en y ajoutant d’autres de même ordre, Celse continue : Ils entassent pêle-mêle discours de prophètes, cercles sur cercles, ruisseaux de l’église terrestre et de la circoncision, une vertu émanant d’une certaine vierge Prunicos, une âme vivante, un ciel immolé pour qu’il vive, une terre immolée par l’épée, des hommes en grand nombre immolés pour qu’ils vivent, une mort qui doit finir dans le monde quand mourra le péché du monde, une nouvelle descente étroite et des portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes. Il y est partout question du bois de la vie et de la résurrection de la chair par le bois, parce que, je crois, leur maître a été cloué à la croix et qu’il était charpentier de profession. En sorte que, si par hasard on l’avait précipité d’un rocher, jeté dans un gouffre, étranglé par une corde, ou s’il eût été cordonnier, tailleur de pierres, ouvrier en fer, il y aurait au-dessus des deux un rocher de vie, un gouffre de résurrection, une corde d’immortalité, une pierre de béatitude, un fer de charité, un cuir de sainteté. Quelle vieille femme prise de vin, fredonnant une fable pour endormir un bébé, n’aurait honte de chuchoter pareilles sornettes ? Celse me paraît ici confondre des idées mal comprises. On dirait un homme qui, ayant saisi quelques bouts de phrases prononcés dans une secte ou l’autre sans en avoir compris le sens et l’intention, en a rassemblé les bribes pour donner à ceux qui ne savent rien ni de nos doctrines ni de celles des sectes l’impression qu’il connaît toutes les doctrines du christianisme. C’est ce qui ressort du passage cité. LIVRE VI

Que la mort doive finir dans le monde quand mourra le péché du monde, on pourrait le dire en commentant le mystérieux passage de l’Apôtre : « Au moment où il mettra tous ses ennemis sous ses pieds, alors le dernier ennemi sera détruit : la mort. » Et il dit encore : « Quand donc cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, alors s’accomplira la parole de l’Écriture : la mort a été engloutie dans la victoire. » LIVRE VI

Elucider chacun de ces points ne répond pas à notre propos actuel. Il y a aussi dans Daniel la prophétie sur l’Antéchrist, bien capable de porter le lecteur sensé et judicieux à admirer ces paroles véritablement inspirées et prophétiques : elles renferment l’histoire des empires futurs depuis l’époque de Daniel jusqu’à la destruction du monde. Chacun peut la lire si bon lui semble. D’ailleurs vois si la prédiction de l’Antéchrist n’a pas ce caractère : « Et à la fin de leur règne, quand ils seront au comble de leurs péchés, se lèvera un roi au visage impudent, au fait des questions ; sa force sera puissante, il fera des ravages prodigieux, il réussira dans ses entreprises, il détruira les puissants et le peuple saint ; le joug de sa chaîne sera prospère ; la ruse dans la main, la fierté dans le coeur, il détruira par ruse beaucoup de gens ; il se tiendra debout pour la perte de beaucoup et, comme des oeufs, il les brisera dans sa main. » Et ce qui est dit chez Paul, dans le passage que j’ai cité de lui : « Il ira jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu en se produisant lui-même comme Dieu », a également été dit dans Daniel de cette manière : « Et sur le temple sera l’abomination de la désolation, et jusqu’à l’accomplissement du temps sera accomplie la désolation. » LIVRE VI

Après ces remarques, il poursuit : Je vais signaler d’où leur est venue cette idée de l’appeler Fils de Dieu. Comme ce monde tient son existence de Dieu, les Anciens l’ont nommé enfant de Dieu ou demi-dieu. LIVRE VI

Belle ressemblance vraiment entre l’un et l’autre enfant de Dieu ! Il a donc cru que nous l’appelions Fils de Dieu en déformant des traditions qui disent que le monde vient de Dieu, est son Fils, et est Dieu. C’est qu’il n’a pu connaître l’époque de Moïse et des prophètes et voir que, bien avant les Grecs et ceux que lui, Celse, déclare les Anciens, les prophètes juifs en général avaient prophétisé l’existence du Fils de Dieu. Il n’a même pas voulu citer la parole des Lettres de Platon rappelée plus haut, sur l’ordonnateur de l’univers qu’il présente comme le Fils de Dieu ; il voulait éviter que Platon, qu’il a maintes fois exalté, ne le contraigne à admettre lui-même que le Créateur de cet univers est Fils de Dieu et que le Dieu premier et suprême est son Père. LIVRE VI

Ensuite, en se bornant à les énoncer, il amasse les différences des opinions sur l’origine du monde et des hommes, soutenues par les Anciens et dit que Moïse et les prophètes qui ont laissé nos écrits, dans l’ignorance de la nature du monde et des hommes ont composé les pires balivernes. Or, s’il avait dit en quel sens les divines Écritures lui paraissent les pires balivernes, j’aurais essayé de réfuter les arguments plausibles qui lui semblaient prouver que ce sont là les pires balivernes. En fait, usant du même procédé, je dirai en badinant que Celse, dans son ignorance de la nature du sens et de la doctrine chez les prophètes, a composé les pires balivernes, qu’il a intitulées par vantardise Discours véritable. LIVRE VI

A propos des jours de la création, comme s’il en avait des idées claires et précises, il objecte que certains ont eu lieu avant l’existence de la lumière, du ciel, du soleil, de la lune, des étoiles, et d’autres après cette création. Je lui répliquerai par cette simple observation : Moïse avait-il oublié ce qu’il venait de dire, que le monde fut créé en six jours, pour ajouter par oubli : « Voici le livre de la génération des hommes, le jour où Dieu créa le ciel et la terre » ? Mais il n’y a aucune vraisemblance que Moïse, après ce qu’il avait dit des six jours, ait pu ajouter sans avoir rien compris : « le jour où Dieu créa le ciel et la terre. » Si l’on pense que ces mots peuvent se rapporter au texte : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », qu’on le sache, la parole : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » est dite avant les paroles : « Que la lumière soit, et la lumière fut », et « Dieu appela la lumière jour. » LIVRE VI

Pour expliquer le récit mosaïque de la création, il faudrait un long commentaire : je l’ai fait de mon mieux, bien avant d’entreprendre ce traité contre Celse, en discutant durant plusieurs années selon ma capacité d’alors les six jours du récit mosaïque de la création du monde. Il faut bien savoir pourtant que le Logos promet aux justes par Isaïe qu’il y aura encore des jours à la restauration où « le Seigneur » lui-même et non plus le soleil sera « leur lumière éternelle et où Dieu sera leur gloire ». Mais pour avoir mal compris, je pense, une secte pernicieuse qui explique à tort le mot « que la lumière soit ! » comme exprimant un souhait de la part du Créateur, Celse ajouta : Ce n’est tout de même pas de la manière dont on allume sa lampe à celle du voisin que le Créateur a emprunté d’en haut la lumière ! Et, pour avoir mal compris une autre secte impie, il dit encore : S’il y avait un dieu maudit ennemi du Grand Dieu, créant contre sa volonté, pourquoi lui prêterait-il sa lumière ? Loin de moi l’idée de répondre à ces critiques ! Je veux au contraire plus nettement convaincre ces gens d’erreur et me dresser, non pas à la manière de Celse contre celles de leurs affirmations dont je n’ai pas connaissance, mais contre celles que je connais avec précision soit pour les avoir entendues d’eux-mêmes, soit pour avoir lu soigneusement leurs traités. LIVRE VI

Après cela, Celse déclare : Pour moi, des hypothèses sur l’origine du monde et sa destruction: qu’il soit incréé et incorruptible, ou créé mais incorruptible, ou l’inverse, je ne dis rien maintenant. Moi non plus je n’en parle pas maintenant, car ce traité ne l’exige pas. Mais on ne veut pas dire que l’Esprit du Dieu suprême soit venu aux hommes d’ici-bas comme à des étrangers, en disant que « l’Esprit de Dieu planait sur les eaux » ; on ne dit pas non plus qu’il y ait eu des choses créées par la ruse d’un démiurge distinct du Grand Dieu, contre son Esprit, que le Dieu d’en haut le supportait et qu’elles aient dû être détruites. Bonne chance donc aux auteurs de tels propos et à Celse qui les critique sans compétence ! Il aurait dû, en effet, ou bien n’en faire aucune mention, ou bien, dans la mesure où il croyait rendre service aux hommes, en faire un exposé consciencieux et combattre ce que leurs propos ont d’impie. Jamais non plus je n’ai ouï dire que le Grand Dieu, après avoir donné son Esprit au démiurge, le lui ait redemandé. LIVRE VI

Ensuite il mélange les sectes, je pense, et ne précise pas les doctrines d’une secte et celles d’une autre. Ce sont nos propres critiques à Marcion qu’il nous oppose ; peut-être les a-t-il mal comprises de la bouche de certains qui s’en prennent à la doctrine d’une manière vulgaire et triviale, et assurément sans aucune intelligence. Il cite donc les attaques faites à Marcion et, omettant d’indiquer qu’il parle contre lui, il déclare : Pourquoi envoyer secrètement détruire les oeuvres du démiurge ? Pourquoi l’irruption clandestine, la séduction, la tromperie? Pourquoi ramener les âmes que, d’après vous, le démiurge a condamnées ou maudites, et les dérober comme un marchand d’esclave ? Pourquoi leur enseigner à se soustraire à leur Seigneur ? Pourquoi, à fuir leur Père ? Pourquoi les adopter contre la volonté du Père? Pourquoi se proclamer le Père d’enfants étrangers ? A quoi il ajoute, feignant la surprise : Le beau dieu, en vérité, qui désire être le père de pécheurs condamnés par un autre, d’indigents ou, comme ils disent eux-mêmes, de déchets ! Le dieu incapable de reprendre et de punir celui qu’il a envoyé pour les dérober ! Après quoi, comme s’il s’adressait à nous qui confessons que ce monde n’est pas l’oeuvre d’un dieu étranger ou hostile, il déclare : Si ces oeuvres sont de Dieu, comment pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? Comment peut-il, quand les hommes sont devenus ingrats et pervers, se repentir, blâmer et haïr son oeuvre, menacer et détruire ses propres enfants ? Sinon, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Là encore, faute d’élucider la question du mal, alors que même parmi les Grecs il y a plusieurs écoles sur le bien et le mal, il me semble bien faire une pétition de principe : de notre affirmation que même ce monde est l’oeuvre du Dieu suprême, il conclut que, d’après nous, Dieu serait l’auteur du mal. LIVRE VI

Quoi qu’il en soit de la question du mal, qu’on y voie l’oeuvre de Dieu ou une conséquence des oeuvres primaires, je m’étonnerais fort si la conclusion : Dieu a créé le mal, qu’il croit tirer de notre affirmation que même ce monde est l’oeuvre du Dieu suprême, ne résultait pas aussi bien de ce qu’il dit lui-même. Car on pourrait dire à Celse : Si ces oeuvres sont de Dieu comment pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? Le vice capital d’une argumentation est de taxer de sottise les opinions de l’adversaire, quand par ses doctrines on mérite bien davantage le même reproche. LIVRE VI

Voyons donc brièvement la question du bien et du mal à la lumière des divines Écritures, et la réponse à faire à l’objection : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? D’après les divines Écritures, le bien au sens propre consiste dans les vertus et les actions vertueuses, et le mal au sens propre, dans leurs contraires. Je me contenterai ici des paroles du psaume trente-troisième qui établissent ce point : « Qui cherche le Seigneur ne manque d’aucun bien. Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous apprendrai la crainte du Seigneur. Quel est l’homme qui désire la vie, qui aime voir des jours heureux ? Garde ta langue du mal, tes lèvres des paroles trompeuses. Détourne-toi du mal et fais le bien. » En effet, l’injonction « détourne-toi du mal et fais le bien » n’a en vue ni le bien et le mal physiques, comme les nomment certains, ni les choses extérieures, mais le bien et le mal de l’âme. Car justement, celui qui s’est détourné de ce genre de mal et accomplit ce genre de bien par désir de la vie véritable y parviendra ; « Celui qui aime voir des jours heureux » où le Logos est le soleil de justice les atteindra, Dieu le délivrant « du monde présent qui est mauvais » et de ces mauvais jours dont Paul disait : « Mettez à profit le temps présent ; car les jours sont mauvais. » LIVRE VI

Mais, à prendre le terme au sens impropre de maux physiques et extérieurs, on accorde que parfois Dieu en crée un certain nombre qu’il fait servir à la conversion. Et qu’y a-t-il d’absurde dans cette doctrine ? Si l’on entend par maux au sens impropre les peines qu’infligent les pères, les maîtres et les pédagogues à ceux qu’ils éduquent, ou les médecins à ceux qu’ils amputent ou cautérisent pour les guérir, on peut dire que le père fait mal à ses enfants comme les maîtres, les pédagogues ou les médecins, sans accuser le moins du monde ceux qui frappent ou qui amputent. Ainsi, la doctrine n’a-t-elle rien d’absurde quand l’Écriture dit que Dieu applique de pareils traitements pour convertir et guérir ceux qui ont besoin de ces peines, ni quand elle dit que « les maux descendent d’auprès du Seigneur contre les portes de Jérusalem », puisque ces maux consistent dans des peines infligées par les ennemis pour la conversion ; ou qu’il châtie « avec la verge les iniquités » de ceux qui ont transgressé la loi de Dieu, et « leurs péchés avec les fouets » ; ou quand Dieu dit : « Tu as des charbons de feu ; assieds-toi sur eux, ce sera ton secours. » De cette manière aussi nous expliquons : « C’est moi qui fais la paix et qui crée le mal. » Il crée les maux physiques et extérieurs pour purifier et pour élever ceux qui ont refusé l’éducation par une doctrine et un enseignement sains. Voilà pour répondre à sa question : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? LIVRE VI

Ensuite, parce qu’il soupçonne ou peut-être comprend lui aussi ce qu’on peut dire pour justifier la destruction des hommes par le déluge, Celse objecte : S’il ne détruit pas ses propres enfants, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Je réponds : Dieu ne relègue pas absolument hors de l’ensemble du monde, qui est formé du ciel et de la terre, les victimes du déluge, mais il les retire de cette vie dans la chair : et en les délivrant de leur corps, il les délivre aussi en même temps de l’existence sur la terre, couramment appelée monde en bien des endroits des Écritures. C’est surtout dans l’Évangile selon Jean qu’on trouve souvent appelé monde ce lieu terrestre, comme dans ces passages : « Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans le monde » ; « Dans le monde vous avez la tribulation ; mais ayez confiance, moi, j’ai vaincu le monde». » Si donc on entend l’expression reléguer hors du monde en la référant à ce lieu terrestre, il n’y a aucune absurdité à le dire. Mais si on nomme monde le système formé par le ciel et la terre, les victimes du déluge ne sont pas absolument reléguées hors du monde ainsi entendu. Toutefois, en considérant les versets : « Nous ne regardons pas à ce qu’on voit, mais à ce que l’on voit pas », « Ses oeuvres invisibles, en effet, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit », on pourrait dire : celui qui s’occupe des réalités invisibles, généralement nommées « ce qu’on ne perçoit pas », s’éloigne du monde, car le Logos le retire d’ici-bas et le transporte dans le lieu supracéleste pour en contempler les beautés. LIVRE VI

Après le passage examiné, comme pour grossir son livre de n’importe quel verbiage, il fait en d’autres termes des remarques analogues à celles qu’on a examinées un peu plus haut : Mais la plus belle sottise, c’est de répartir la formation du monde en plusieurs jours avant qu’il n’y eût de jours ! En effet, le ciel n’étant pas encore créé, ni la terre affermie, ni le soleil en révolution autour d’elle, comment eut-il pu y avoir des jours ? Quelle différence y a-t-il entre ces paroles-là et celles-ci : Mais encore, reprenant les choses de plus haut, examinons comment il ne serait point absurde que le premier et très grand Dieu ordonne que telle chose soit, ou telle ou telle autre, et produise le premier jour seulement une chose, le deuxième de nouveau quelque chose de plus, et de même le troisième, le quatrième, le cinquième, le sixième. LIVRE VI

On a donné la réponse qu’on pouvait à sa formule. Dieu ordonne que telle chose soit, ou telle ou telle autre, en citant le texte : « Il a dit et elles ont été faites, il a ordonné et elles ont été créées », en expliquant que le Créateur immédiat du monde et pour ainsi dire son artisan en personne est le Logos Fils de Dieu, mais que le Père du Logos, pour avoir commandé au Logos son Fils de créer le monde, est le premier Créateur. LIVRE VI

Quant à la production de la lumière, le premier jour ; à celle du firmament, le second ; le troisième, au rassemblement dans leurs réservoirs « des eaux qui sont sous le ciel », permettant à la terre de faire germer ce qui est du domaine de la seule nature ; à la production, le quatrième, des « grands luminaires et des étoiles » ; à celle des animaux aquatiques, le cinquième ; et le sixième, à celle des animaux terrestres et de l’homme, j’ai développé tout cela de mon mieux dans mon Commentaire sur la Genèse. Et plus haut, j’ai critiqué l’interprétation superficielle de ceux qui affirment que la création du monde s’est effectuée en une durée de six jours, quand j’ai cité le texte : « Voici le livre de la génération du ciel et de la terre, quand ils furent faits, le jour où Dieu créa le ciel et la terre. » LIVRE VI

Ensuite, il n’a pas saisi non plus le passage : « Et Dieu acheva le sixième jour son ouvrage qu’il avait fait, et le septième jour, il s’arrêta après tout l’ouvrage qu’il avait fait. Et Dieu bénit le septième jour et en fit un jour saint, car alors il s’est arrêté de tous les travaux qu’il avait entrepris de faire. » Il s’est donc imaginé que « Il s’arrêta le septième jour » a le même sens que « Il se reposa le septième jour », et il dit : Après ce travail donc, comme un fort méchant ouvrier, il fut accablé de fatigue et eut besoin de repos pour se refaire. C’est qu’il ignorait le sens que prenait, après la création du monde qu’il effectue tant que le monde dure, le jour du sabbat et de l’arrêt du travail de Dieu ; jour où ceux qui auront accompli toutes leurs oeuvres pendant les six jours festoieront ensemble avec Dieu et, n’ayant rien omis de leurs devoirs, s’élèveront à la contemplation de Dieu et à l’assemblée des justes et des bienheureux qui y prennent part. LIVRE VI

Or de l’aveu général, les Écritures disent que le corps de Jésus était laid, mais non pas vulgaire, comme l’a expliqué Celse, et il n’est pas d’indication claire qu’il était petit. Voici en quels termes Isaïe annonce qu’il ne viendrait pas aux foules dans une forme agréable et une beauté supérieure : « Seigneur, qui a cru à ce que nous entendons dire ? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé ? Nous l’avons annoncé devant lui, comme un jeune enfant, comme une racine dans une terre desséchée ; nulle forme pour lui, nulle gloire ; nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté ; mais sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes. » Celse a-t-il donc retenu ces paroles parce qu’il les croyait utiles à son accusation contre Jésus, mais n’a-t-il plus prêté attention aux paroles du psaume quarante-quatrième, et à la manière dont il est dit : « Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta splendeur et ta beauté tends ton arc, avance, et règne » ? Accordons qu’il n’a pas lu la prophétie, ou qu’il l’a lue mais fut égaré par ceux qui l’interprètent à tort comme si elle n’était pas une prophétie sur Jésus-Christ : que dira-t-il du passage même de l’Évangile où Jésus, « ayant gravi une haute montagne », « fut transfiguré devant » ses disciples et apparut en gloire pendant que « Moïse et Élie » « apparus en gloire parlaient de sa sortie du monde qu’il allait accomplir à Jérusalem». » Qu’un prophète dise : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté » etc., Celse lui-même accepte que cette prophétie se rapporte à Jésus, bien qu’il s’aveugle sur son interprétation et ne voie pas que, du fait que bien des années avant sa naissance même sa forme a été l’objet d’une prophétie, il y a une forte preuve que ce Jésus, quoique sans forme en apparence, est le Fils de Dieu. Et qu’un autre prophète parle de sa grâce et de sa beauté, Celse ne veut-il plus admettre que cette prophétie se rapporte à Jésus-Christ ? Si l’on pouvait tirer clairement de l’Évangile qu’il « n’avait ni forme ni beauté, mais que sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes », on conviendrait que les dires de Celse s’inspirent non des prophètes mais de l’Évangile. Mais en fait, comme ni les Évangiles ni les apôtres ne déclarent qu’il n’avait ni forme ni beauté, le voilà manifestement contraint d’admettre que la prophétie s’est réalisée dans le Christ : ce qui coupe court aux critiques contre Jésus. LIVRE VI

En effet, comme nous avons appris que « l’Antéchrist vient », et néanmoins savons qu’il y a dans le monde « un grand nombre d’antéchrists », de la même manière nous savons que le Christ est venu et nous voyons aussi que par lui il y a dans le monde un grand nombre de christs qui, à son exemple, ont « aimé la justice et haï l’injustice ». Voilà pourquoi Dieu, le Dieu du Christ, leur a donné à eux aussi « l’onction d’une huile d’allégresse4 ». Mais lui-même « a aimé la justice et haï l’iniquité » plus que ceux qui ont part avec lui : il a reçu les prémices de l’onction et, si j’ose dire, dans sa plénitude l’onction de l’huile d’allégresse ; et ceux qui ont part avec lui, chacun à sa mesure, ont participé de même à son onction. Voilà pourquoi, le Christ étant « tête de l’Église », au point que le Christ et l’Église ne sont qu’un seul corps, « l’huile précieuse, répandue sur la tête » est descendue « sur la barbe d’Aaron », type de l’homme parfait, et cette huile est parvenue en descendant «jusqu’à la bordure de sa robe ». LIVRE VI

Voilà ce que j’avais à dire contre le propos inconvenant de Celse : Il aurait fallu qu’il insufflât de la même manière un grand nombre de corps et les envoyât par toute la terre. Le poète comique, donc, fait rire en représentant Zeus endormi qui à son réveil envoie Hermès aux Grecs. Mais que le Logos, qui sait que la nature de Dieu n’est pas sujette au sommeil, nous enseigne que Dieu administre les affaires du monde à tout moment, comme l’exige la droite raison ! Rien d’étonnant si, dans la profondeur inscrutable des jugements de Dieu, les âmes sans instruction s’égarent, et Celse avec elles. Il n’y a donc rien de dérisoire à ce que le Fils de Dieu ait été envoyé aux Juifs chez qui avaient vécu les prophètes, afin que, partant de là corporellement, il se levât avec sa puissance et son esprit sur le monde des âmes qui ne voulait plus rester vide de Dieu. LIVRE VI

Ensuite, Celse juge bon de dire : Les peuples les plus inspirés dès l’origine furent les Chaldéens. C’est à partir d’eux cependant que l’art fallacieux des horoscopes s’est répandu parmi les hommes. En outre, Celse range au nombre des peuples les plus inspirés, les Mages, bien que la magie tire d’eux son nom et ait été transmise aux autres peuples pour la corruption et la ruine de ceux qui l’emploient. Quant aux Égyptiens, les pages précédentes et Celse ont montré leur erreur d’avoir des enceintes vénérables pour leurs prétendus temples, mais à l’intérieur rien d’autre que des singes, des crocodiles, des chèvres, des aspics ou quelque autre animal. Et ici, il a paru bon à Celse de dire : Le peuple d’Egypte aussi est très inspiré, et inspiré dès l’origine : sans doute pour avoir dès l’origine combattu les Juifs ! Les Perses encore, qui épousent leurs mères et s’unissent à leurs filles, semblent à Celse un peuple inspiré, et aussi les Indiens dont il disait, aux pages précédentes, que certains ont mangé la chair humaine. Mais les Juifs, surtout ceux d’autrefois, qui ne font rien de tout cela, non seulement il ne les a pas dits les plus inspirés, mais il affirme leur perte imminente. Voilà le sort qu’il prédit d’eux, comme un devin, sans voir toute l’économie de Dieu relative aux Juifs et à leur vénérable régime d’autrefois, et comment leur faux pas a procuré le salut aux païens, « et leur faux pas a fait la richesse du monde et leur amoindrissement la richesse des païens », « jusqu’à ce que la totalité soit entrée », afin qu’ensuite « tout Israël », dont Celse ne comprend pas le sens, « soit sauvé ». LIVRE VI

Parmi les prophètes juifs, les uns étaient sages avant de recevoir le don de prophétie et l’inspiration divine, les autres le devinrent lorsqu’ils eurent l’esprit illuminé par la prophétie même. Ils ont été choisis par la providence pour être dépositaires de l’Esprit divin et des paroles qu’il inspire, à cause de leur vie inimitable, d’une fermeté absolue, d’une liberté, d’une impassibilité totales devant les périls et la mort. La raison exige que tels soient les prophètes du Dieu suprême, en comparaison de qui la fermeté d’Antisthène, de Cratès, de Diogène sont un jeu d’enfant. Ainsi, à cause de la vérité et de leur liberté à reprendre les pécheurs, « ils ont été lapidés, sciés, torturés, passés au fil de l’épée ; car ils ont mené une vie vagabonde, vêtus de peaux de brebis et de chèvres, dénués de tout, maltraités, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes et les antres de la terre, eux dont le monde terrestre n’était pas digne »; les regards toujours fixés sur Dieu et les biens de Dieu non perceptibles aux sens et pour cette raison éternels. LIVRE VI

Et me voici. Car déjà le monde est perdu et vous, ô hommes, vous allez périr à cause de vos fautes. Mais moi je veux vous sauver. LIVRE VI

Si donc le texte de la loi promet la richesse aux justes, Celse peut suivre « la lettre » qui tue et penser que la promesse vise la richesse aveugle. Nous pensons, nous, qu’il s’agit de l’homme doué d’une vue pénétrante : au sens où on est riche « en tout discours et en toute science », et où nous recommandons « aux riches du monde présent de ne pas s’enorgueillir, de ne pas mettre leur espoir dans la richesse précaire, mais en Dieu qui nous pourvoit largement de tout pour que nous puissions en jouir, faire le bien, nous enrichir de bonnes ?uvres, être généreux et bienfaisants » Car, d’après Salomon, la richesse en véritables biens « est rançon d’une âme d’homme », tandis que la pauvreté qui lui est contraire est ruineuse, à cause d’elle « le pauvre ne supporte pas la menace ». LIVRE VI

Après quoi Celse en vient à une objection à propos de la sagesse. Il croit que, d’après l’enseignement de Jésus, il n’y a pas d’accès auprès du Père pour le sage. Répliquons lui : pour quel sage ? S’il s’agit de l’homme ainsi qualifié pour la sagesse dite de ce monde, qui est folie « devant Dieu », nous aussi nous dirons qu’il n’y a pas d’accès auprès du Père pour un tel sage. Mais si par sagesse on comprend le Christ, puisque le Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu», non seulement nous dirons qu’il y a pour un tel sage accès auprès du Père, mais encore nous affirmons : l’homme gratifié du charisme nommé « discours de sagesse », communiqué par l’Esprit, l’emporte de beaucoup sur ceux qui ne le sont pas. LIVRE VI

En revanche, aux Juifs d’alors, possédant en propre une constitution et un territoire, interdire d’attaquer leurs ennemis et de faire campagne pour la défense de leurs traditions, de mettre à mort ou châtier de quelque manière les adultères, les meurtriers, les criminels de cette espèce, c’eût été les réduire en masse à une destruction totale au moment d’une attaque ennemie contre la nation, car leur propre loi les aurait privés de force et empêchés de repousser les ennemis. Mais la Providence, qui avait jadis donné la loi et de nos jours l’Évangile de Jésus-Christ, ne voulait plus que le judaïsme restât en vigueur ; elle a donc détruit leur ville, leur temple, et le service de Dieu effectué dans le temple par le culte et le sacrifice qu’elle avait prescrits. Et de même que la Providence a mis fin à ces pratiques dont elle ne voulait plus, de même elle a donné au christianisme un essor croissant de jour en jour, lui accordant désormais la liberté de s’exprimer, malgré les obstacles innombrables opposés à la diffusion de l’enseignement de Jésus dans le monde. Et comme c’est Dieu qui a voulu étendre aux Gentils le bienfait de l’enseignement de Jésus-Christ, tout projet des hommes contre les chrétiens a été mis en échec, et plus les empereurs, les chefs de nations, le peuple les humiliaient en tous lieux, plus ils devenaient nombreux « et puissants à l’extrême ». LIVRE VI

Celse renvoie à plus tard l’explication du mythe de Platon qui se trouve dans le Phédon : Mais que veut-il indiquer par là ? Il n’est pas facile à tout le monde de le savoir, à moins qu’on puisse comprendre ce que signifie ce qu’il dit : « La faiblesse et la lenteur nous rendent incapables de parvenir à la limite de l’air ; si notre nature était capable de soutenir cette contemplation, on reconnaîtrait là le vrai ciel et la véritable lumière. » A son exemple moi aussi, pensant qu’il n’est pas de mon propos actuel d’élucider le thème de la terre sainte et bonne, de la cité de Dieu qui s’y trouve, je renvoie aux Commentaires des prophètes, ayant en partie expliqué autant que je pouvais la cité de Dieu dans mes études sur le quarante-cinquième et le quarante-septième psaumes. Mais la très ancienne doctrine de Moïse et des prophètes savait que les réalités véritables ont toutes le même nom que les choses plus communes d’ici-bas : par exemple, il y a une lumière véritable et un ciel qui est différent du firmament, et le soleil de justice est autre que le soleil sensible. Bref, en contraste avec les choses sensibles dont aucune n’est véritable, elle déclare : « Dieu dont les ?uvres sont véritables » ; elle met au rang des réalités véritables les ?uvres de Dieu, et au rang des choses inférieures « les ?uvres de ses mains ». LIVRE VI

Celse n’a pas compris notre doctrine de la résurrection, doctrine riche, difficile à exposer, requérant plus qu’aucune autre un interprète fort avancé pour montrer combien cette doctrine est digne de Dieu et sublime : d’après elle, il y a une raison séminale dans ce que l’Écriture appelle la tente de l’âme, dans laquelle les justes gémissent accablés ; et ils voudraient non « s’en dévêtir, mais revêtir par-dessus un autre vêtement ». Celse, parce qu’il en a entendu parler par des gens simples, incapables de l’étayer d’aucune raison, tourne en dérision ce qu’on affirme. Il sera utile d’ajouter à ce que j’en ai dit plus haut cette simple observation sur la doctrine : ce n’est pas, comme le croit Celse, pour avoir compris de travers la doctrine de la métensomatose que nous parlons de résurrection; c’est parce que nous savons que l’âme, qui par sa propre nature est incorporelle et invisible, a besoin, lorsqu’elle se trouve dans un lieu corporel quelconque, d’un corps approprié par sa nature à ce lieu. Ce corps, elle le porte d’abord après avoir quitté le vêtement autrefois nécessaire, mais superflu pour un second état, ensuite après l’avoir revêtu au-dessus de celui qu’elle avait d’abord, parce qu’elle a besoin d’un vêtement meilleur pour parvenir aux régions plus pures, éthérées et célestes. Elle a quitté, en naissant au monde, le placenta qui était utile à sa formation dans le sein de sa mère tant qu’elle y était ; elle a revêtu sous lui ce qui était nécessaire à un être qui allait vivre sur terre. LIVRE VI

Si tels sont les qualités et les défauts dans l’art de la prosopopée, n’y a-t-il pas une bonne raison de se moquer de Celse quand il attribue aux chrétiens des affirmations qu’ils ne tiennent pas ? S’il avait imaginé des paroles de gens simples, comment des gens de cette sorte pourraient-ils distinguer les sens de l’intelligence, le sensible de l’intelligible et dogmatiser à la manière des Stoïciens qui nient les réalités intelligibles et affirment que les choses dont nous avons la compréhension sont comprises par les sens, et que toute compréhension dépend des sens ? Mais s’il prête ces paroles qu’il invente à ceux qui interprètent philosophiquement les mystères du Christ et mettent tous leurs soins à les examiner, sa fiction ne leur est pas applicable. En effet, il n’est personne qui, sachant que Dieu est invisible et que certaines créatures sont invisibles, c’est-à-dire intelligibles, dirait pour défendre la résurrection : comment, si on ne l’atteint par les sens, arriver à connaître Dieu, ou que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Et ce n’est pas dans des ouvrages peu accessibles, lus seulement d’un petit nombre d’érudits, mais dans les plus populaires, qu’il écrit : « Les ?uvres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit. » De là cette conclusion : quoique les hommes en cette vie doivent partir des sens et du sensible quand il veulent s’élever jusqu’à la nature de l’intelligible, ils ne doivent nullement s’en tenir au sensible. On ne dira pas davantage qu’il est impossible sans l’usage des sens de connaître l’intelligible, même si on pose la question : qui peut connaître sans l’usage des sens ? On prouvera que Celse n’a pas eu raison d’ajouter que ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. LIVRE VI

Il faut répondre que Moïse, décrivant la création du monde, représente l’être humain avant sa transgression tantôt voyant, tantôt ne voyant pas : il est dit voyant, lorsqu’il est écrit de la femme : « La femme vit que l’arbre était appétissant à manger, séduisant pour les yeux, désirable pour acquérir l’entendement. » Il est dit ne voyant pas, non seulement dans les paroles du serpent à la femme, qui supposent des yeux aveugles : « Car Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront », mais encore lorsqu’il est dit : « Ils en mangèrent et leurs yeux à tous deux s’ouvrirent. » Ils s’ouvrirent donc, les yeux de leurs sens qu’ils avaient eu raison de tenir fermés, pour n’être pas empêchés par les distractions de regarder avec l’oeil de l’âme ; mais les yeux de l’âme qu’ils avaient jusqu’alors plaisir à tenir ouverts sur Dieu et son Paradis, voilà ceux, je crois, qu’ils fermèrent par leur péché. LIVRE VI

De là vient aussi que notre Sauveur, sachant qu’il y a en nous ces deux sortes d’yeux, déclare : « C’est pour un jugement que je suis venu en ce monde : pour que voient ceux qui ne peuvent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Par ceux qui ne voient pas, il laisse entendre les yeux de l’âme, à qui le Logos donne de voir, et par ceux qui voient, les yeux des sens que le Logos rend aveugles, pour que l’âme voie sans distraction ce qu’elle doit voir. Tout homme donc vivant son christianisme comme il convient tient éveillé l’oeil de son âme et fermé celui des sens. Et dans la mesure où l’oeil supérieur est ouvert et fermée la vue des sens, chacun comprend et contemple le Dieu suprême et son Fils, qui est Logos, Sagesse, etc. LIVRE VI

Mais Dieu, j’imagine, voyait l’arrogance et le mépris pour les autres de ceux qui s’enorgueillissent d’avoir, par la philosophie, connu Dieu et appris ses secrets et qui cependant, tout comme les plus incultes, s’empressent autour des statues, de leurs temples, et des mystères tant célébrés ; il a donc choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde » les chrétiens les plus simples, dont la conduite est plus modérée et plus pure que celle de bien des philosophes, « pour faire honte aux sages » qui ne rougissent pas de leur commerce avec des êtres inanimés en les traitant comme des dieux ou des images de dieux. LIVRE VI

Quel homme sensé ne rirait de celui qui, après tant de sublimes spéculations philosophiques sur Dieu ou les dieux, tourne ses regards vers les statues et ou bien leur adresse sa prière ou, à travers ces images qu’il voit, l’offre en réalité à l’être objet de sa pensée vers lequel il s’imagine qu’il faut monter à partir du visible et du symbole ? Mais le chrétien le plus simple sait que n’importe quel lieu du monde est une partie du tout et que le monde entier est le temple de Dieu. LIVRE VI

Priant « en tout lieu », après avoir fermé l’entrée des sens et donné l’éveil aux yeux de l’âme, il s’élève au-dessus du monde entier ; il ne s’arrête même pas à la voûte du ciel, mais atteignant par la pensée le lieu supracéleste, guidé par l’Esprit divin et, pour ainsi dire, hors du monde, il fait monter à Dieu sa prière qui n’a point pour objet les choses passagères. Car il a appris de Jésus à ne chercher rien de petit, c’est-à-dire de sensible, mais seulement les choses grandes et véritablement divines qui surviennent comme dons de Dieu pour guider vers la béatitude auprès de lui, par son Fils, le Logos qui est Dieu. LIVRE VI

C’est bien la manière dont les disciples de Jésus considèrent ce qui est sujet à la génération, s’en servant comme d’un degré pour arriver à comprendre la nature des réalités intelligibles. Car « les ?uvres invisibles de Dieu », c’est-à-dire les réalités intelligibles, « depuis la création du monde, grâce aux choses créées se laissent voir » par l’acte de l’esprit. Cependant, après s’être élevés des choses créées du monde aux ?uvres invisibles de Dieu, ils ne s’arrêtent pas. Mais, après s’être suffisamment exercés par elles et les avoir comprises, ils montent jusqu’à l’éternelle puissance de Dieu, bref, à sa divinité. Il savent que Dieu dans son amour pour les hommes a manifesté la vérité et ce qu’on peut connaître de lui-même non seulement à ceux qui lui sont consacrés, mais encore à ceux qui sont étrangers à la pure religion et à la piété envers lui. Malheureusement, certains, élevés par la Providence de Dieu à la connaissance de si hautes réalités, ont une conduite indigne de cette connaissance, commettent l’impiété, retiennent « la vérité captive dans l’injustice » et, du fait de leur connaissance de ces hautes réalités, ils ne sauraient plus trouver une chance d’excuse auprès de Dieu. LIVRE VI

Et ils ajoutent : « J’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a enfanté dans le péché ». » De plus, ils déclarent que « les pécheurs sont devenus étrangers dès le sein de leur mère », et font cette remarque étonnante : « Ils se sont égarés dès le sein, ils ont dit des mensonges. » Mais nos sages ont un tel dédain pour la nature des choses sensibles qu’ils qualifient les corps tantôt de vanité : « Car la création fut soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise avec l’espérance » ; tantôt, de vanité de vanités, selon le mot de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Où trouver un tel discrédit jeté sur la vie de l’âme humaine ici-bas que chez l’auteur qui dit : « Vanité cependant que toutes choses, que tout homme vivant ! » Il ne met pas en doute la différence pour l’âme entre la vie d’ici-bas et la vie hors de ce monde, il ne dit pas : « Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si mourir n’est pas vivre ? » Mais il a le courage de la vérité dans ces paroles : « Notre âme a été humiliée dans la poussière » ; « Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort ». Et comme il est dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ainsi encore : « Qui transformera notre corps de misère ? » Il y a aussi la parole du prophète : « Tu nous a humiliés dans un lieu d’affliction », où « lieu d’affliction désigne le lieu terrestre dans lequel vient Adam, qui est l’homme, après avoir été pour son péché expulsé du paradis. Et considère la profondeur de vue que possédait sur la condition de vie différente pour les âmes celui qui a dit : « Aujourd’hui nos voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » ; et encore : « Tant que nous demeurons dans ce corps, nous vivons en exil loin du Seigneur », aussi « préférons-nous déloger de ce corps et aller demeurer près du Seigneur ». LIVRE VI

Nous souhaitons donc voir nous-mêmes, et être guides des aveugles jusqu’à les faire parvenir au Logos de Dieu et recouvrer la vue de l’âme offusquée par l’ignorance. En menant une conduite digne de Celui qui avait dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde », du Logos qui avait enseigné que « la lumière luit dans les ténèbres », nous serons encore la lumière de ceux qui vivent dans l’obscurité, nous éduquerons les insensés, et nous instruirons les petits enfants. LIVRE VI

Ensuite, comme s’il visait à gonfler son livre, il a voulu nous faire croire à la divinité de Jonas plutôt qu’à celle de Jésus ; il préféra Jonas, qui a prêché la pénitence à la seule ville de Ninive, à Jésus, qui l’a prêchée au monde entier avec plus de succès. Il a voulu nous faire proclamer la divinité de celui qui accomplit l’extraordinaire prodige de passer trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine. Mais celui qui avait accepté de mourir pour les hommes, auquel Dieu avait rendu témoignage par les prophètes, Celse n’a point admis qu’il méritât la seconde place d’honneur après le Dieu de l’univers, pour les belles actions qu’il accomplit au ciel et sur la terre. Jonas, pour avoir refusé de prêcher ce que Dieu lui avait enjoint, fut englouti par la baleine. Mais Jésus, lui, pour avoir enseigné ce que Dieu voulait, a accepté de mourir pour les hommes. LIVRE VI

Telles sont les idées concernant le Seigneur et les seigneurs que les divines Écritures proposent à notre recherche et à notre réflexion, disant ici : « Célébrez le Dieu des dieux, car sa pitié est éternelle, célébrez le Seigneur des seigneurs », et là : « Dieu est Roi des rois et Seigneur des seigneurs ». Et l’Écriture distingue les prétendus dieux de ceux qui le sont en effet, qu’ils en aient ou non le titre. Paul enseigne la même doctrine sur les seigneurs authentiques ou non : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, et de fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs.» Puis, comme «le Dieu des dieux », par Jésus, appelle du levant et du couchant ceux qu’il veut à son héritage, comme le Christ de Dieu qui est Seigneur prouve qu’il est supérieur à tous les seigneurs, du fait qu’il a pénétré les territoires de tous et qu’il appelle à lui les gens de tous ces territoires, Paul, parce qu’il savait tout cela, dit après le passage cité : « Mais pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Et, percevant là une doctrine admirable et mystérieuse, il ajoute : « Mais tous n’en ont pas la science. » Or, en disant : « Mais pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe », il désigne par « nous » lui-même et tous ceux qui se sont élevés jusqu’au suprême Dieu des dieux et au Seigneur des seigneurs. On s’est élevé jusqu’au Dieu suprême lorsqu’on l’adore sans séparation, division ni partage, par son Fils, Logos de Dieu et Sagesse que l’on contemple en Jésus, qui seul Lui amène ceux qui s’efforcent en toutes manières de s’unir au Créateur de l’univers par la qualité de leurs paroles, de leurs actions et de leurs pensées. Pour cette raison, je crois, et d’autres semblables, le Prince de ce monde, se transformant en ange de lumières, a fait écrire : « A sa suite vient toute une armée de dieux et de démons, répartis en onze sections », dans l’ouvrage où à propos de lui-même et des philosophes il dit : « Nous sommes, nous, avec Zeus, et d’autres sont avec d’autres démons. » LIVRE VIII

Après quoi, il déclare : En vérité, celui qui affirme qu’un seul être a été appelé Seigneur, en parlant de Dieu, commet une impiété : il divise le Royaume de Dieu et y introduit la révolte, comme s’il y avait une faction et un autre dieu son adversaire. Cette réflexion serait de mise s’il établissait avec des preuves rigoureuses que ceux qui sont adorés comme dieux chez les païens sont réellement dieux, et que les êtres qui hantent, croit-on, les statues, les temples et les autels ne sont pas des mauvais démons. De plus, ce Royaume de Dieu continuellement prêché dans nos discours et nos écrits, nous aspirons à le comprendre et à devenir tels que nous ayons Dieu seul pour roi et que le Royaume de Dieu devienne aussi le nôtre. Celse, au contraire, qui nous enseigne à adorer plusieurs dieux, pour être conséquent avec lui-même, aurait dû parler de royaume des dieux plutôt que de Dieu. Il n’y a donc pas chez Dieu de factions ni un autre dieu son adversaire ; et cela, en dépit de ceux qui, à l’instar des Géants et des Titans, veulent par leur perversité batailler contre Dieu avec Celse et les autres qui ont déclaré la guerre à Dieu qui a établi par tant de moyens la vérité sur Jésus, et à Celui-là même qui pour le salut de notre race s’est livré lui-même, en Logos qu’il est, au monde entier dans son ensemble, selon la capacité de chacun. LIVRE VIII

Il croit ensuite que, du fait que nous rendons un culte en même temps à Dieu et à son Fils, il suit que, selon nous, non seulement Dieu mais encore ses ministres reçoivent un culte. Et certes, s’il avait pensé à ceux qui sont les véritables ministres de Dieu après le Fils unique de Dieu, Gabriel, Michel et le reste des anges, et dit qu’il faut leur rendre un culte, peut-être aurais-je tiré au clair le sens de l’expression rendre un culte, et les actions de celui qui le rend, et dirais-je sur ce point, qui comporte la discussion de sujets difficiles, ce que j’ai pu en comprendre. Mais, quand il croît que les démons adorés par les païens sont les ministres de Dieu, il ne nous amène point à la conséquence que nous devons leur rendre un culte. Car l’Écriture les présente comme ministres du Mauvais, du Prince de ce monde, qui détourne de Dieu ceux qu’il peut. Donc, puisqu’ils ne sont pas ministres, nous évitons d’adorer tous ceux que les autres hommes adorent et de leur rendre un culte. Car si nous avions appris qu’ils étaient des ministres du Dieu suprême, nous ne dirions pas qu’ils sont des démons. C’est pourquoi nous adorons le Dieu unique et son Fils unique, Logos et Image, par nos meilleures supplications et demandes, offrant nos prières au Dieu de l’univers par son Fils unique. C’est à lui d’abord que nous les offrons en lui demandant, puisqu’il est « propitiation pour nos péchés », de présenter comme Grand-Prêtre au Dieu suprême nos prières, nos sacrifices et nos supplications. Telle est la foi que nous avons en Dieu par son Fils qui la fortifie en nous, et Celse ne peut montrer la moindre faction au sujet du Fils de Dieu. Oui, nous adorons le Père en admirant son Fils, Logos, Sagesse, Vérité, Justice et tout ce que nous avons appris de ce qu’est le Fils de Dieu : nous admirons donc aussi Celui qui est né d’un tel Père. Mais en voilà assez. LIVRE VIII

Que Celse ait pu se méprendre sur le refus de certains d’identifier le Fils de Dieu avec celui du Créateur de cet univers, cela le regarde lui et les adeptes de cette doctrine. Jésus n’est donc pas un chef de parti, mais l’auteur de toute paix, lui a qui a dit à ses disciples : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix ». Ensuite, comme il savait la guerre que nous feraient les hommes qui sont du monde et non pas de Dieu, il ajoute : « Ce n’est pas comme le monde vous donne la paix que je vous donne ma paix. » Aussi, dans toutes les tribulations que nous fait subir le monde, notre confiance repose en Celui qui dit : « Dans le monde vous aurez de la tribulation, mais ayez confiance, moi j’ai vaincu le monde, » C’est lui que nous proclamons Fils de Dieu, mais pour reprendre les termes de Celse, du Dieu à qui nous offrons une suprême adoration, et nous savons que c’est son Père qui lui a donné une suprême exaltation. LIVRE VIII

Après cela, Celse continue : Pour montrer que cette opinion ne s’écarte pas du but, je citerai leurs paroles mêmes. Dans un passage du Dialogue céleste, ils s’expriment en ces termes : « Si le Fils de Dieu est plus puissant, et si le Fils de l’homme est son Maître ( et quel autre dominera le Dieu souverain ? ), pourquoi tant de gens autour du puits et personne pour y descendre ? Pourquoi au terme d’une si longue route manquer d’audace ? – Erreur! J’ai du courage et une épée. » Ainsi leur dessein n’est pas d’adorer le Dieu supracéleste, mais le Père qu’ils ont donné à celui autour duquel ils se sont rassemblés : sous prétexte que ce serait lui le Grand Dieu, ils rendent un culte à celui-là seul qu’ils prennent comme chef, le Fils de l’homme qu’ils proclament plus puissant que le Dieu souverain et son Maître. De là chez eux, cette défense de servir deux maîtres pour maintenir leur faction groupée autour de lui seul. Le voilà encore qui emprunte à je ne sais quelle secte très obscure ce dont il fait grief à tous les chrétiens. Si je dis très obscure, c’est que même après tant de controverses avec les fauteurs de sectes, je ne puis voir clairement la doctrine à laquelle il a emprunté ses propos ; du moins s’il s’agit d’un emprunt et non pas d’une invention ou d’une conclusion de sa part. Nous affirmons clairement en effet, nous pour qui même le monde sensible est l’oeuvre du Créateur de toutes choses, que le Fils n’est pas plus puissant que le Père, mais qu’il lui est inférieur ; et nous le disons parce que nous croyons en la parole : « Le Père qui m’a envoyé est plus grand que moi. » LIVRE VIII

Voyons les paroles de Celse qui nous exhorte à manger des viandes offertes aux idoles et à participer aux sacrifices publics au cours des fêtes publiques. Les voici : Si ces idoles ne sont rien, quel danger y a-t-il à prendre part au festin? Et si elles sont des démons, il est évident qu’eux aussi appartiennent à Dieu, qu’il faut croire en eux et leur offrir selon les lois des sacrifices et des prières pour les rendre bienveillants. En réponse, il sera utile de prendre en main la Première aux Corinthiens et d’expliquer tout le raisonnement de Paul sur les idolothytes. Là, contre l’opinion qu’une idole n’est rien dans le monde, il établit le préjudice causé par les idolothytes. Il montre à ceux qui sont capables d’entendre ses paroles que recevoir une part des idolothytes est un acte tout aussi criminel que de verser le sang, car c’est faire périr des frères pour lesquels le Christ est mort. Ensuite, posant le principe que les victimes des sacrifices sont offertes aux démons, il déclare que participer à la table des démons est entrer en communion avec les démons et il affirme l’impossibilité « d’avoir part en même temps à la table du Seigneur et à la table des démons. » Mais comme l’explication détaillée de ces points de l’épître aux Corinthiens demanderait tout un traité d’amples discussions, je me contenterai de ces brèves remarques. A bien les examiner, on verra que même si les idoles ne sont rien, il n’en est pas moins dangereux de prendre part au festin des idoles. J’ai suffisamment prouvé aussi que même si les sacrifices sont offerts à des démons, nous ne devons pas y prendre part, nous qui savons la différence qu’il y a entre la table du Seigneur et celle des démons et qui, le sachant, faisons tout pour avoir toujours part à la table du Seigneur, mais évitons de toute manière d’avoir jamais part à la table des démons. LIVRE VIII

Aussi nous ne nions pas qu’il y ait beaucoup de démons sur terre. Au contraire nous affirmons leur existence, leur pouvoir sur les méchants à cause de la malice de ceux-ci, leur totale impuissance contre ceux qui sont revêtus de « l’armure de Dieu », qui ont reçu la force pour résister « aux artifices du diable » et qui s’exercent à lutter sans cesse contre eux, parce qu’ils savent que « nous n’avons point à lutter contre le sang et la chair, mais contre les principautés et contre les puissances, contre les dominations de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais répandus dans les espaces du ciel. » LIVRE VIII

Mais il n’est pas vrai, comme le croit Celse, que les anges, véritables satrapes, gouverneurs, généraux, procurateurs de Dieu, causent des dommages à ceux qui les outragent. Si certains démons causent des dommages, ces démons dont même Celse a une idée, ils le font parce qu’ils sont mauvais et sans avoir reçu de Dieu aucune mission de satrape, général, procurateur ; et ils causent des dommages à ceux qui leur sont soumis et se sont livrés à eux comme à des maîtres. C’est peut-être la raison pour laquelle ceux qui, en chaque région, enfreignent les lois établies sur les aliments qu’il est interdit de manger éprouvent des dommages, s’ils sont parmi les sujets de ces démons. Mais s’il y en a qui ne sont pas de leurs sujets et ne se sont pas livrés au démon de ce lieu, ils restent exempts de tout sévice de leur part et se rient de ces puissances démoniaques. Cependant si, à cause de leur ignorance sur d’autres points, ils se sont soumis à d’autres démons, ils peuvent souffrir de leur part. Mais non pas le chrétien, le véritable chrétien qui s’est soumis à Dieu seul et à son Logos : il ne saurait souffrir quoi que ce soit des êtres démoniaques, puisqu’il est supérieur aux démons. Et il ne saurait souffrir puisque « l’ange du Seigneur établira ses tentes autour de ceux qui le craignent», et que son ange, « qui voit sans cesse la face du Père qui est dans les cieux », sans cesse présente ses prières par le seul Grand-Prêtre au Dieu de l’Univers et s’unit lui-même à la prière de celui qui est sous sa tutelle. Que Celse ne nous effraie donc pas en nous menaçant de dommage à subir de la part de démons que nous aurions négligés. Car il n’est aucun dommage que les démons qu’on néglige puissent nous causer : nous appartenons à Celui qui seul est capable de secourir ceux qui le méritent, et qui a néanmoins préposé aussi ses anges à la garde de ceux qui ont de la piété envers lui, afin que ni les anges adversaires ni leur chef appelé « prince de ce monde » ne puissent rien exécuter contre ceux qui sont consacrés à Dieu. LIVRE VIII

Puis après cela, sans l’avoir entendu dire par aucun chrétien, sinon par un chrétien de la foule, étranger à nos lois et à notre culture, il déclare : Les Chrétiens disent : voici que je me tiens devant la statue de Zeus, d’Apollon ou de quelque autre dieu, je l’injurie et le frappe, et il ne se venge pas de moi. C’est ne pas connaître la prescription de la Loi : « Tu ne diras pas de mal des dieux », pour que notre bouche ne s’habitue point à dire du mal de qui que ce soit, car nous connaissons le précepte : « Bénissez, ne maudissez pas », et nous recevons l’enseignement : « Les calomniateurs n’hériteront pas le royaume de Dieu. » Y a-t-il chez nous quelqu’un d’assez stupide pour dire cela sans voir que ce genre de propos est absolument inapte à détruire l’opinion qu’on a des prétendus dieux ? Car ceux qui professent l’athéisme radical et nient la Providence, et qui par leurs doctrines perverses et impies ont donné naissance à une école de soi-disant philosophes, n’ont eux-mêmes rien eu à souffrir de ce que la foule tient pour des maux, pas plus que ceux qui ont embrassé leurs doctrines ; mais ils ont au contraire richesse et santé corporelle. Que si l’on recherche le dommage qu’ils ont subi, on verra que c’est un dommage dans l’intelligence. Car quel dommage plus grand que de ne pas comprendre à partir de l’ordre du monde Celui qui l’a fait ? Et quelle misère pire que l’aveuglement de l’intelligence empêchant de voir le Créateur et père de toute intelligence ? LIVRE VIII

Voilà donc ce qui est arrivé de nouveau depuis la passion de Jésus : je veux dire la destinée de cette cité et de toute la nation juive, et la naissance soudaine de la race des chrétiens qui paraît avoir été mise au monde tout d’un coup. Ce qui est encore nouveau, c’est que des gens étrangers aux alliances de Dieu et exclus des promesses, éloignés de la vérité l’aient acceptée par un miracle divin. Ce ne fut pas l’oeuvre d’un sorcier, mais celle de Dieu qui pour porter son message a envoyé son Logos en Jésus. On l’a si cruellement torturé que cette cruauté doit être imputée à ceux qui l’ont injustement torturé, et il l’a supportée avec un courage extrême et une douceur totale. Mais sa passion, loin de faire périr le message de Dieu, a au contraire, s’il faut le dire, concouru à le faire connaître, comme Jésus lui-même l’avait enseigné : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Donc, par sa mort, le grain de blé que fut Jésus a porté beaucoup de fruit, et le Père exerce une providence continuelle envers ceux qui ont été, sont encore et seront les fruits produits par la mort de ce grain de blé. Le Père de Jésus est donc un père juste : il n’a point épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous comme son agneau, afin que l’Agneau de Dieu, en mourant pour le salut de tous, ôtât le péché du monde. Aussi n’est-ce pas contraint par le Père, mais de lui-même qu’il a enduré les supplices que lui infligeaient les persécuteurs. LIVRE VIII

Cependant, puisque les âmes de ceux qui meurent pour le christianisme, glorieusement libérées de leur corps pour la religion, détruisaient la puissance des démons et faisaient échouer leur complot contre les hommes, pour cette raison, je pense, les démons, reconnaissant par expérience leur défaite et la victoire des témoins de la vérité, ont craint de revenir se venger, et ainsi, jusqu’à ce qu’ils aient oublié les peines qu’ils ont souffertes, le monde sera probablement en paix avec les chrétiens. Mais quand ils rassembleront leur puissance et voudront, dans leur méchanceté aveugle, se venger encore des chrétiens et les persécuter, ils subiront encore la défaite ; et alors encore les âmes des fidèles pieux, qui pour leur religion se défont de leur corps, détruiront l’armée du Malin. LIVRE VIII

Alors je ne sais pourquoi Celse, faisant état du courage de ceux qui luttent jusqu’à la mort pour ne point abjurer le christianisme, ajoute, comme s’il assimilait nos doctrines à celles que professent les initiateurs et les mystagogues : Par dessus tout, mon brave, comme tu crois à des châtiments éternels, les interprètes des mystères sacrés, initiateurs et mystagogues, y croient aussi. Les menaces que tu adresses aux autres, ils te les adressent à toi-même. Il est permis d’examiner lesquelles des deux sont les plus vraies ou plus puissantes. Car en paroles chacun affirme avec une égale énergie la vérité de ses doctrines propres. Mais quand il faut des preuves, les autres en montrent un grand nombre de manifestes, présentent des oeuvres de certaines puissances démoniaques et d’oracles, et résultant de toutes sortes de divinations. Il prétend donc par là que notre doctrine sur les châtiments éternels est la même que celle des initiateurs aux mystères, et veut examiner laquelle des deux est la plus vraie. Or je puis dire qu’est vraie la doctrine capable de mettre les auditeurs dans la disposition de vivre conformément à ses principes. Et telle est bien la disposition des Juifs et des chrétiens, relativement à ce qu’ils nomment le siècle à venir avec ses récompenses pour les justes, ses châtiments pour les pécheurs. Que Celse donc ou tout autre montre ceux à qui les initiateurs et les mystagogues inspirent de telles dispositions par rapport aux châtiments éternels ! Il est probable que l’intention de l’auteur de cette doctrine n’est pas seulement de donner lieu aux sacrifices expiatoires et aux discours sur les châtiments, mais encore de disposer les auditeurs à faire tout leur possible pour se garder eux-mêmes des actes qui sont la cause des châtiments. De plus, la lecture attentive des prophéties me paraît capable, par la prévision de l’avenir qu’elles contiennent, de persuader le lecteur intelligent et de bonne foi que l’Esprit de Dieu était présent en ces hommes. A ces prophéties on ne peut comparer le moins du monde aucune des oeuvres démoniaques que l’on exhibe, ni des actions miraculeuses dues aux oracles, ni des divinations. LIVRE VIII

Ainsi, en voyant le monde et, dans le monde, le mouvement réglé du ciel et des étoiles dans la sphère des fixes, et l’ordre des planètes emportées en sens inverse du mouvement du monde, en voyant le mélange des airs et des eaux pour l’utilité des animaux et surtout de l’homme, et l’abondance des choses créées pour les hommes, que tous les hommes prennent garde de ne rien faire qui déplaise au Créateur de l’univers, de leurs âmes et de l’esprit qui est en elles. Qu’ils soient persuadés qu’ils seront châtiés pour leurs péchés, mais qu’ils recevront de Celui qui traite chacun selon son mérite une récompense proportionnée aux oeuvres parfaites et convenables. Que tous les hommes soient persuadés qu’ils passeront à une vie heureuse pour leurs bonnes actions, mais que les méchants seront misérablement livrés aux peines et aux tourments pour leurs injustices, leurs intempérances, leurs excès, et encore pour leur lâcheté, leur pusillanimité et pour toute leur folie. LIVRE VIII

Si Celse et ceux qui ont la même hostilité contre nous pouvaient pénétrer le sens profond des Évangiles, ils ne nous auraient pas conseillé d’obéir à ceux qu’il nomme les geôliers de cette prison. Au contraire, il est écrit dans l’Évangile : « Une femme était courbée et ne pouvait absolument pas se redresser. » Jésus la vit, et voyant pour quelle cause elle était courbée sans pouvoir se redresser du tout, il dit : « Mais cette fille d’Abraham que Satan tenait courbée voici dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer de ce lien le jour du sabbat ? » Combien d’autres, actuellement liés par Satan, sont courbés et ne peuvent absolument pas se redresser, parce qu’il veut nous contraindre à regarder en bas ! Et il n’y a personne pour les redresser sinon le Logos venu habiter en Jésus et qui auparavant avait inspiré les prophètes. Oui, Jésus est venu délivrer tous ceux qui étaient asservis par le diable, au sujet duquel il a déclaré avec une profondeur digne de lui : « Maintenant le prince de ce monde est jugé. » LIVRE VIII

Ainsi donc Celse tente de soumettre notre âme aux démons, comme s’ils avaient obtenu la charge de nos corps. Il soutient que chacun préside à une partie de notre corps. Il veut que nous croyons à ces démons qu’il mentionne, et que nous leur rendions un culte pour être en bonne santé plutôt que malade, pour avoir une vie heureuse plutôt que misérable et, dans toute la mesure du possible, échapper aux tortures. Il méconnaît l’honneur indivise et indivisible qui s’adresse au Dieu de l’univers, jusqu’à ne pas croire que Dieu seul, adoré et hautement honoré suffît à fournir à qui l’honore, et par le fait même de cette adoration, un pouvoir qui arrête les attaques des démons contre le juste. Car il n’a pas vu comment la formule « au nom de Jésus », prononcée par les authentiques croyants, a guéri maintes personnes de maladies, de possessions diaboliques et d’autres afflictions. Il est bien probable que nous ferons rire un partisan de Celse en disant : « Au nom de Jésus tout genou fléchira au ciel, sur terre, aux enfers, et toute langue est tenue de confesser que Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père. » Mais ce rire ne peut empêcher notre invocation d’avoir des preuves de son efficacité plus manifestes que ce qu’il raconte à propos des noms de Chnoumen, Chnachoumen, Knat, Sikat et les autres de la liste égyptienne, dont l’invocation guérirait les maladies des diverses parties du corps. Vois en outre de quelle façon, en nous détournant de croire au Dieu de l’univers par Jésus-Christ, il nous invite à croire, pour guérir notre corps, en trente-six démons barbares que les magiciens d’Egypte sont seuls à invoquer en nous promettant je ne sais quelles merveilles. D’après lui, il serait temps pour nous d’être magiciens et sorciers plutôt que chrétiens, de croire à un nombre infini de démons plutôt que de croire au Dieu suprême de lui-même évident, vivant et manifeste, par Celui qui avec une grande puissance a répandu la pure doctrine de la religion par tout le monde des hommes et même, ajouterai-je sans mentir, le monde des autres êtres raisonnables qui ont besoin de réforme, de guérison et de conversion du péché. LIVRE VIII

Il se demande ce qui arriverait si les Romains étaient convaincus par la doctrine chrétienne, négligeaient les honneurs à rendre aux prétendus dieux et les coutumes autrefois en usage chez les hommes, et adoraient le Très-Haut. Qu’il entende notre opinion sur ce point. Nous disons : « Si deux ou trois d’entre vous s’accordent sur la terre à demander quoi que ce soit, cela sera accordé par le Père des justes qui est dans les cieux. » Car Dieu prend plaisir à l’accord des êtres raisonnables et se détourne de leur désaccord. Que faut-il penser pour le cas où l’accord existerait non seulement comme aujourd’hui entre très peu de personnes mais dans tout l’empire romain ? Alors ils prieront le Logos qui autrefois dit aux Hébreux poursuivis par les Égyptiens : « Le Seigneur combattra pour vous et vous n’aurez qu’à vous taire. » Et l’ayant prié d’un accord total, ils pourront détruire un bien plus grand nombre d’ennemis lancés à leur poursuite que n’en détruisit la prière de Moïse poussant des cris vers Dieu en même temps que ceux qui étaient avec lui. Si les promesses de Dieu à ceux qui observent la loi ne sont pas réalisées, ce n’est pas que Dieu aurait menti, mais que les promesses étaient faites sous cette condition qu’ils garderaient la loi et y conformeraient leur vie. Et si les Juifs qui avaient reçu ces promesses conditionnelles n’ont plus ni feu ni lieu, il faut en accuser toutes leurs transgressions de la loi et singulièrement leur faute contre Jésus. Mais, comme Celse le suppose, que tous les Romains, convaincus, se mettent à prier, ils triompheront de leurs ennemis ; ou plutôt, ils n’auront même plus de guerre du tout, car ils seront protégés par la puissance divine qui avait promis, pour cinquante justes, de garder intactes cinq villes entières. Car les hommes de Dieu sont le sel du monde assurant la consistance des choses de la terre, et les choses terrestres se maintiennent tant que le sel ne s’affadit pas : « Car si le sel perd sa saveur, il n’est plus bon ni pour la terre, ni pour le fumier, mais on le jette dehors et les hommes le foulent aux pieds. Que celui qui a des oreilles entende » le sens de cette parole. Pour nous, quand Dieu, laissant la liberté au Tentateur, lui donne tout pouvoir de nous persécuter, nous sommes persécutés. Mais lorsqu’il veut nous soustraire à cette épreuve, en dépit de la haine du monde qui nous entoure, nous jouissons d’une paix miraculeuse, nous confiant en Celui qui a dit : « Courage, moi j’ai vaincu le monde. » En toute vérité, il a vaincu le monde, et le monde n’a de force que dans la mesure où le veut son vainqueur qui tient de son Père sa victoire sur le monde. Notre courage repose sur sa victoire. LIVRE VIII

S’il faut dire quelque chose sur cette question qui demanderait tant de recherches et de preuves, voici quelques mots pour mettre en lumière, non seulement la possibilité, mais la vérité de ce qu’il dit sur cet accord unanime de tous les êtres raisonnables pour observer une seule loi. Les gens du Portique disent que, une fois réalisée la victoire de l’élément qu’ils jugent plus fort que les autres, aura lieu l’embrasement où tout sera changé en feu. Nous affirmons, nous, qu’un jour le Logos dominera toute la nature raisonnable et transformera chaque âme en sa propre perfection, au moment où chaque individu, n’usant que de sa simple liberté, choisira ce que veut le Logos et obtiendra l’état qu’il aura choisi. Nous déclarons invraisemblable que, comme pour les maladies et les blessures du corps où certains cas sont rebelles à toutes les ressources de l’art médical, il y ait aussi dans le monde des âmes une séquelle du vice impossible à guérir par le Dieu raisonnable et suprême. Car le Logos et sa puissance de guérir sont plus forts que tous les maux de l’âme. Il applique cette puissance à chacun selon la volonté de Dieu ; et la fin du traitement, c’est la destruction du mal. Est-ce de manière qu’il ne puisse absolument pas ou qu’il puisse revenir, on n’a point à l’envisager ici. LIVRE VIII