divinité (Orígenes)

Cependant, même malgré lui, Celse en est venu à témoigner que le monde est plus récent et qu’il n’a pas encore dix mille ans, quand il dit : “Les Grecs tiennent ces événements pour antiques, car de plus anciens, ils n’en ont, du fait des déluges et des embrasements, ni observé, ni conservé de souvenirs”. Libre à Celse d’avoir, pour lui enseigner le mythe des embrasements et des inondations, les Egyptiens, gens, à son dire, d’une haute sagesse ! Sagesse dont les vestiges sont des animaux sans raison qu’ils adorent et des arguments qui prouvent que le culte ainsi rendu à la divinité est raisonnable et relève du secret et des mystères ! Ainsi quand les Egyptiens, pour vanter leur doctrine sur les animaux, apportent des raisons théologiques, les voilà devenus des sages. Mais, qu’on admette la loi et le législateur des Juifs, qu’on rapporte tout au Dieu unique, créateur de l’univers, on est moins considéré, aux yeux de Celse et de ses semblables, que si on ravale la divinité non seulement aux vivants raisonnables et mortels, mais encore aux êtres privés de raison, ce qui dépasse le mythe de la métensomatose concernant l’âme qui tombe de la voûte du ciel et descend jusqu’aux animaux sans raison, non seulement les animaux domestiques mais les bêtes les plus féroces. Et si les Egyptiens développent des mythes, c’est, croit-on, philosophie par énigmes et mystères ; mais si Moïse, qui écrit des histoires pour toute sa nation, lui laisse des récits et des lois, ses paroles, pense-t-on, sont fables vides et n’admettent pas d’allégorie ! . Voilà l’opinion de Celse et des Epicuriens. LIVRE I

“C’est donc cette doctrine, dit-il, courante chez les nations sages et les hommes illustres, que Moïse a connue par oui-dire et qui lui valut un nom divin”. A supposer que Moïse ait appris une doctrine plus ancienne et l’ait transmise aux Hébreux, il faut répondre : si, apprenant une doctrine mensongère, sans sagesse ni sainteté, il l’a acceptée et transmise à ses sujets, il est blâmable. Mais si, comme tu dis, il a donné son adhésion à des doctrines sages et vraies, et a fait l’éducation de son peuple grâce à elles, est-ce un acte qui mérite accusation ? Plût au ciel qu’Épicure, qu’Aristote un peu moins impie envers la providence, que les Stoïciens qui font de Dieu un être corporel, aient appris cette doctrine ! Le monde n’eût pas été plein d’une doctrine qui rejette ou coupe en deux la providence ; ou qui introduit un premier principe corruptible, corporel, en vertu duquel Dieu même est un corps pour les Stoïciens : ils n’ont pas honte de le dire susceptible de changement, d’altération intégrale, de transformation, bref, capable de corruption s’il avait un agent corrupteur, mais ayant la chance de n’être pas corrompu parce qu’il n’y a rien qui le corrompe. Mais la doctrine des Juifs et des chrétiens, qui garde l’invariabilité et l’immutabilité de Dieu, est tenue pour impie, parce qu’elle n’est pas complice de ceux qui ont sur Dieu des pensées impies : elle qui dit dans ses prières à la divinité : « Mais toi, tu es toujours le même », et qui croit que Dieu a dit : « Je ne change pas ». LIVRE I

Et après avoir promis de “continuer son enseignement sur le judaïsme”, Celse engage le débat sur notre Sauveur devenu notre chef à notre naissance comme chrétiens, et il affirme : “Cet homme, il y a bien peu d’années, inaugura cet enseignement et les chrétiens ont cru qu’il était Fils de Dieu”. Sur son existence même, il y a peu d’années, voici la réponse. Pouvait-il arriver sans l’aide de Dieu qu’en si peu d’années, ayant formé le projet de répandre sa doctrine et son enseignement, Jésus ait pu le réaliser au point de convertir à sa doctrine en beaucoup d’endroits de notre terre un grand nombre de Grecs et de barbares, de savants et d’ignorants, qui préfèrent mourir en luttant pour le christianisme plutôt que de l’abjurer, chose inouïe dans l’histoire d’une autre doctrine ? Quant à moi, sans flatter la doctrine, mais tentant d’examiner à fond l’histoire, je puis dire : même les médecins qui traitent de nombreux corps malades n’atteignent pas sans l’aide de Dieu leur but de rendre la santé au corps. Mais qu’un homme puisse délivrer les âmes du flot de vice, du désordre, de l’injustice et du mépris de la divinité, et donner en preuve d’un tel acte une centaine de convertis, pour prendre un chiffre, n’aura-t-on point raison de dire qu’il n’a pu implanter sans l’aide de Dieu dans une centaine d’hommes une doctrine délivrant de tous ces maux ? Un examen judicieux fera convenir qu’aucune amélioration n’arrive aux hommes sans l’aide de Dieu ; combien plus hardiment le dira-t-on de Jésus en comparant l’ancienne conduite de nombreux convertis à sa doctrine avec celle qu’ils ont menée depuis, en réfléchissant à l’abîme de licence, d’injustice et de convoitise où chacun d’eux se trouvait plongé avant, pour prendre l’expression de Celse et de ses adeptes, “d’être égarés et d’embrasser”, c’est leur mot, “une doctrine nuisible à la vie humaine”. De quelle manière au contraire, depuis qu’ils ont reçu cette doctrine, ils ont acquis plus de raison, de sérieux et de fermeté, si bien que certains d’entre eux, par désir d’une éminente pureté et pour honorer d’un culte plus pur la divinité, refusent même de goûter les plaisirs de l’amour permis par la loi ! LIVRE I

Mais à un examen plus pousse des circonstances de sa vie, comment ne pas rechercher de quelle manière, élevé dans l’économie et la pauvreté, sans avoir reçu la moindre éducation générale ni appris les belles-lettres et les doctrines, d’où lui fût venu le talent de persuasion pour affronter les foules, se rendre populaire et attirer de nombreux auditeurs, un tel homme s’adonne à l’enseignement de nouvelles doctrines, introduit dans l’humanité une doctrine qui abolit les coutumes des Juifs tout en respectant leurs prophètes, et détruit les lois des Grecs surtout par rapport à la divinité ? Comment donc un tel homme, élevé dans ces conditions, sans avoir reçu des hommes, comme en conviennent même ses détracteurs, la moindre instruction sérieuse, a-t-il pu donner sur le jugement de Dieu, les châtiments contre le vice, les récompenses pour la vertu, des enseignements remarquables : si bien que non seulement les gens illettrés et simples sont attirés par ses paroles, mais un grand nombre d’esprits pénétrants, capables d’apprécier, sous le voile d’expressions apparemment banales qui l’enveloppe pour ainsi dire, une signification intérieure secrète ? LIVRE I

Je voudrais dire à Celse quand il met en scène un Juif admettant d’une certaine manière Jean comme un baptiste baptisant Jésus l’existence de Jean-Baptiste qui baptisait pour la rémission des pèches est relatée par un de ceux qui ont vécu peu après Jean et Jésus. Dans le dix-huitième livre de “l’Antiquité des Juifs”, en effet, Josèphe a témoigne que Jean baptisait en promettant la purification aux baptisés. Et le même auteur, bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la ruine du temple. Il aurait dû dire que l’attentat contre Jésus avait été la cause de ces malheurs pour le peuple, parce qu’on avait mis à mort le Christ annoncé par les prophètes. Mais, comme malgré lui, il n’est pas loin de la vérité quand il affirme que ces catastrophes arrivèrent aux Juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé le Christ, parce qu’ils l’avaient tué en dépit de son éclatante justice. Ce Jacques, Paul le véritable disciple de Jésus dit l’avoir vu, et il l’appelle « frère du Seigneur », moins pour leur parente de sang ou leur éducation commune que pour ses moeurs et sa doctrine. Si donc Josèphe dit que les malheurs de la dévastation de Jérusalem sont arrivés aux Juifs à cause de Jacques, combien n’eut-il pas été plus raisonnable d’affirmer qu’ils survinrent à cause de Jésus-Christ , lui dont la divinité est attestée par tant d’églises, composées d’hommes qui se sont détournes du débordement des vices, attachés au Créateur et qui rapportent tout a son bon plaisir LIVRE I

L’amour de la dispute et la prévention laissent difficilement regarder en face même les choses évidentes, de peur qu’il faille abandonner des doctrines qui ont imprégné ceux à qui elles sont devenues une sorte d’habitude et dont elles ont façonné l’âme. Il est encore plus aisé en d’autres domaines d’abandonner ses habitudes, même invétérées, qu’en matière de doctrines. Du reste, celles-là aussi, les habitués les négligent malaisément : ainsi abandonner maisons, villes, villages, compagnons habituels, n’est pas aisé à qui est prévenu en leur faveur. Ce fut donc la raison pour laquelle bien des Juifs de l’époque ne purent regarder en face dans leur évidence les prophéties et les miracles, ce que Jésus a fait et a souffert d’après l’Écriture. Que la nature humaine soit affligée de ce travers sera manifeste si l’on réfléchit à la difficulté qu’on éprouve à changer d’avis une fois prévenu, fût-ce en faveur des plus honteuses et des plus futiles traditions des ancêtres et des concitoyens. Il sera long par exemple d’inspirer à un Egyptien le mépris d’une de ses traditions ancestrales, de cesser de croire à la divinité de tel animal sans raison ou de se garder jusqu’à la mort de goûter à sa chair. Si j’ai longuement examiné ce point et détaillé l’exposé du cas de Bethléem et la prophétie qui s’y rapporte, c’est que je pensais nécessaire de le faire pour répondre à l’objection : si telle était l’évidence des prophéties juives sur Jésus, pourquoi, à sa venue, n’a-t-on pas adhéré à son enseignement et ne s’est-on pas converti aux doctrines supérieures qu’il révélait ? Mais qu’on évite de faire pareil reproche à ceux d’entre nous qui croient, à la vue des raisons sérieuses de croire en Jésus présentées par ceux qui ont appris à les mettre en valeur. LIVRE I

Mais il a échappé à Celse, à son Juif, à tous ceux qui ne croient pas en Jésus, que les prophètes parlent de deux avènements du Christ : le premier, tout de souffrances humaines et d’humilité, permettant au Christ, vivant au milieu des hommes, d’enseigner la route qui mène à Dieu, sans laisser à personne, durant la vie, l’excuse qu’il ignore le jugement à venir ; le second, uniquement glorieux et divin, sans aucun mélange d’infirmité humaine à sa divinité. Il serait trop long de citer les prophéties ; il suffira pour l’instant du psaume quarante-quatrième, qui, entre autres choses, porte le titre de « chant du bien-aimé ». Le Christ y est manifestement proclamé Dieu dans ces paroles : « La grâce a été répandue sur tes lèvres, c’est pourquoi Dieu t’a béni à jamais. Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta jeunesse et ta beauté élance-toi, avance avec succès et règne, pour la vérité, la douceur et la justice, et ta droite t’ouvrira une voie miraculeuse. Tes traits sont aiguisés, héros, les peuples tomberont au-dessous de toi dans le coeur des ennemis du roi. » Mais observe avec soin la suite où Dieu est nommé : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais ; le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture. Tu as aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction de l’huile d’allégresse, comme à nul de tes compagnons. » Note que le prophète s’adresse à un Dieu dont « le trône est pour toujours et à jamais » et que « le sceptre de sa royauté est un sceptre de droiture » ; il déclare que ce Dieu a reçu l’onction d’un Dieu qui était son Dieu et qui lui a donné l’onction parce que, « plus que ses compagnons », « il a aimé la justice et haï l’iniquité ». Et je me rappelle même avoir, par cette parole, mis dans une grande difficulté le Juif considéré comme savant. Embarrassé pour donner une réponse en harmonie avec son judaïsme, il dit : c’est au Dieu de l’univers que s’adressent : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais, et le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture », mais au Christ : « Tu as aimé la justice et haï l’iniquité, c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction » etc. LIVRE I

Je dirai donc aux Grecs : les mages ont commerce avec les démons et les invoquent selon leur art et leurs desseins. Ils réussissent tant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons et l’incantation qui les évoque n’apparaît pas ou n’est pas prononcée. Mais s’il survient une manifestation plus divine, sont détruites les puissances des démons, incapables de résister à la lumière de la divinité. Il est donc vraisemblable aussi qu’à la naissance de Jésus, lorsqu’« une troupe nombreuse de l’armée céleste », ainsi que l’écrivit Luc et que j’en suis persuadé, loua Dieu et dit : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, paix sur la terre, et bienveillance divine chez les hommes » ! », de ce fait, les démons perdirent leur vigueur et leur force ; leur magie fut confondue et leur pouvoir cessa ; ils furent ruinés non seulement par la venue des anges à l’entoure de la terre pour la naissance de Jésus, mais encore par l’âme de Jésus et la divinité présente en lui. Aussi les mages, voulant accomplir comme auparavant leurs habituelles incantations et sorcelleries et n’y parvenant pas, en recherchèrent-ils la cause dont ils comprenaient l’importance. A la vue du signe céleste, ils désirèrent voir ce qu’il signalait. A mon sens donc, en possession des prophéties de Balaam rapportées par Moïse, lui aussi expert en cet art, ils y trouvèrent à propos de l’étoile ces mots : « Je lui montrerai, mais non maintenant ; je le félicite, mais il n’approchera pas. » Ils conjecturèrent que l’homme prédit avec l’étoile était venu à la vie, et, l’accueillant comme supérieur à tous les démons et aux êtres qui d’habitude leur apparaissaient et manifestaient leur puissance, ils voulurent « l’adorer ». Ils vinrent donc en Judée parce qu’ils étaient persuadés qu’un roi était né, mais sans savoir la nature de sa royauté, et parce qu’ils connaissaient le pays où il naîtrait. Ils apportaient « des présents » qu’ils offrirent comme à quelqu’un qui tienne à la fois, pour ainsi dire, de Dieu et de l’homme mortel, et des présents symboliques : l’or comme à un roi, la myrrhe comme à un être mortel, l’encens comme à un Dieu ; ils les « offrirent » après s’être informés du lieu de sa naissance. Mais puisqu’il était Dieu, ce Sauveur du genre humain élevé bien au-dessus des anges qui secourent les hommes, un ange récompensa la piété des mages à adorer Jésus, et les avertit de ne pas aller vers Hérode, mais de retourner chez eux par un autre chemin. LIVRE I

Celse a traité les apôtres de Jésus d’hommes décriés, en les disant « publicains et mariniers fort misérables ». Là encore je dirai : il semble tantôt croire à son gré aux Écritures, pour critiquer le christianisme, et tantôt, pour ne pas admettre la divinité manifestement annoncée dans les mêmes livres, ne plus croire aux Evangiles. Il aurait fallu, en voyant la sincérité des écrivains à leur manière de raconter ce qui est désavantageux, les croire aussi en ce qui est divin. Il est bien écrit, dans l’épître catholique de Barnabé, dont Celse s’est peut-être inspiré pour dire que les apôtres de Jésus étaient des hommes décriés et fort misérables, que « Jésus s’est choisi ses propres apôtres, des hommes qui étaient coupables des pires péchés ». Et, dans l’Évangile selon Luc, Pierre dit à Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. » De plus, Paul déclare dans l’épître à Timothée, lui qui était devenu sur le tard apôtre de Jésus : « Elle est digne de foi la parole : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je tiens moi, le premier rang. » Mais je ne sais comment Celse a oublié ou négligé de mentionner Paul fondateur, après Jésus, des églises chrétiennes. Sans doute voyait-il qu’il lui faudrait, en parlant de Paul, rendre compte du fait que, après avoir persécuté l’Église de Dieu et cruellement combattu les croyants jusqu’à vouloir livrer à la mort les disciples de Jésus, il avait été ensuite assez profondément converti pour « achever la prédication de l’Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie », tout en « mettant son point d’honneur de prédicateur de l’Évangile », pour éviter de « bâtir sur les fondations posées par autrui », à ne prêcher que là où n’avait pas du tout été annoncée la bonne nouvelle de Dieu réalisée dans le Christ. Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que Jésus, dans le dessein de montrer au genre humain quelle puissance il possède de guérir les âmes, ait choisi des hommes décriés et fort misérables, et les ait fait progresser jusqu’à devenir l’exemple de la vertu la plus pure pour ceux qu’ils amènent à l’évangile du Christ ? LIVRE I

A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I

Celse affirme : “Le corps d’un Dieu n’use pas d’une voix comme la tienne, ni d’une pareille méthode de persuasion”. C’est là encore une objection sans valeur et absolument méprisable. Il suffira de lui répondre : Apollon de Delphes et celui de Didymes, un dieu d’après la foi des Grecs, use d’une voix pareille, celle de la Pythie ou de la prophétesse de Milet : ce n’est pas pour les Grecs une raison de refuser la divinité d’Apollon de Delphes ou de Didymes ou de tout autre dieu semblable établi en un lieu particulier. Mais combien il était plus excellent que Dieu usât d’une voix proférée avec puissance, faisant naître chez les auditeurs une persuasion indicible ! LIVRE I

S’il faut ajouter encore une autre raison, je dirai que, même cela les prophètes l’ont prédit. Isaïe du moins dit clairement : « Vous entendrez de votre oreille et vous ne comprendrez pas, vous regarderez de vos yeux et vous ne verrez pas. Car le coer de ce peuple s’est épaissi », etc. Qu’on nous dise alors pourquoi il est prédit aux Juifs que malgré le témoignage de leurs oreilles et de leurs yeux, ils ne comprendraient pas les paroles ni ne verraient le spectacle de la manière qu’il fallait. De toute évidence, voyant Jésus ils n’ont pas vu qui il était, l’entendant ils n’ont pas compris à ses paroles la divinité qui était en lui et qui allait transférer aux Gentils qui avaient foi en lui la sollicitude de Dieu jusqu’alors réservée aux Juifs. Aussi peut-on voir, après l’avènement de Jésus, les Juifs entièrement abandonnés, ne possédant rien de ce qui autrefois leur paraissait sacré, pas même un signe de la présence de la divinité parmi eux. Car ils n’ont plus de prophètes ni de prodiges ; tandis qu’on en trouve des traces d’une certaine importance chez les chrétiens, oui et même, « de plus grands » ; et si je suis digne de créance, moi aussi j’en ai vus. Le Juif de Celse dit : “Pourquoi aurions-nous indignement traité celui que nous avons publiquement prédit ? Dans le but d’être punis plus que les autres ? ” A cela aussi on peut répondre : les Juifs plus que les autres, pour leur manque de foi en Jésus et combien d’autres outrages qu’ils lui ont faits, non seulement souffriront du jugement auquel nous croyons, mais encore en ont déjà souffert. Quel peuple en effet est-il banni de sa propre capitale et du lieu réservé au culte traditionnel sinon les seuls Juifs ? Voilà ce qu’ils ont souffert dans leur profonde indignité, moins pour aucun de leurs nombreux autres péchés, que pour ce qu’ils ont osé contre notre Jésus. LIVRE II

Il accuse “les disciples d’avoir inventé qu’il avait su par avance et prédit tout ce qui lui est arrivé”. C’est cependant la vérité, quoique Celse refuse de l’admettre ; je l’établirai par beaucoup d’autres paroles prophétiques du Sauveur, où il a prédit ce qui est arrivé aux chrétiens même dans les générations postérieures. Qui donc n’admirerait cette prédiction : « Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi, pour leur rendre témoignage à eux et aux Gentils », et toutes les autres prédictions qu’il a faites sur les persécutions futures de ses disciples ? Y eut-il une autre doctrine au monde dont on ait châtié les adeptes, pour que l’un des détracteurs de Jésus dise : prévoyant les contradictions que susciteraient les impiétés et les mensonges de ses doctrines, il a décidé de s’en faire un titre de gloire par la prédiction qu’il en faisait dès l’origine ? Car si l’on devait, pour leurs doctrines, traîner des hommes au tribunal des gouverneurs et des rois, quels autres fallait-il traîner que les Epicuriens pour leur négation radicale de la Providence et que les Péripatéticiens pour leur affirmation de l’inutilité totale des prières et des sacrifices qu’on croit offrir à la divinité ? LIVRE II

Je l’ai déjà dit plus haut les prophéties envisagent un double avènement du Christ au genre humain. Aussi n’est-il plus besoin que je réponde a l’objection mise dans la bouche du Juif. ” C’est un grand prince, seigneur de toute la terre, de toutes les nations et armées qui doit venir, disent les prophètes “. Et à la manière des Juifs, je pense, laissant libre cours à leur bile pour invectiver Jésus sans preuve ni argument plausible, il ajoute ” Mais ils n’ont pas annoncé cette peste “. Pourtant ni Juifs, ni Celse, ni personne d’autre ne pourraient établir avec preuve à l’appui qu’une peste convertisse tant d’hommes du débordement des vices à la vie conforme a la nature dans la pratique de la tempérance et de toutes les autres vertus Celse lance encore cette attaque ” Personne ne prouve une divinité ou une filiation divine par de si faibles indices mêlés d’histoires fausses et d’aussi médiocres témoignages “. Mais il lui fallait citer ces histoires fausses et les réfuter, établir rationnellement la médiocrité des témoignages il aurait pu alors, aux déclarations semblant plausibles du chrétien, s’efforcer de les combattre et de renverser l’argument. Son affirmation que Jésus serait grand s’est bien vérifiée, mais il n’a pas voulu voir qu’elle s’était vérifiée, comme l’évidence le prouve de Jésus ” Comme le soleil qui illumine toutes les autres choses se montre d’abord lui-même, ainsi aurait dû faire le Fils de Dieu “, dit-il. Or on peut dire qu’il l’a vraiment fait. Car la parole « En ces jours s’est levée la justice, et l’abondance de la paix » commença a se réaliser dés sa naissance Dieu préparait les nations à recevoir son enseignement, en les soumettant toutes au seul empereur de Rome, et en empêchant que l’isolement des nations dû a la pluralité des royautés ne rendît plus difficile aux apôtres l’exécution de l’ordre du Christ « Allez, de toutes les nations faites des disciples» » Il est manifeste que Jésus est né sous le règne d’Auguste qui avait pour ainsi dire réduit à une masse uniforme, grâce à sa souveraineté unique, la plupart des hommes de la terre. L’existence de nombreux royaumes eût été un obstacle à la diffusion de l’enseignement de Jésus par toute la terre non seulement pour la raison déjà dite, mais encore à cause de la contrainte imposée aux hommes de tous les lieux de prendre les armes et de faire la guerre pour défendre leurs patries. La chose s’était produite avant les jours d’Auguste et même encore auparavant, quand il fallut, par exemple, que se déchaînât la guerre entre les habitants du Péloponnèse et ceux d’Athènes, et à leur suite, d’autres nations entre elles. Comment donc cet enseignement pacifique, qui ne permet pas de tirer vengeance même des ennemis, eut-il pu triompher, si la situation de la terre, à l’avènement de Jésus, n’eût été partout changée en un état plus paisible. LIVRE II

Quelle noble action digne d’un Dieu a donc fait Jésus “, dit Celse ? ” A-t-il méprisé les hommes, s’est-il moqué et joué de son malheur ? ” A sa question, même si je pouvais établir l’action noble et le miracle au temps de son malheur, quelle meilleure réponse faire que de citer l’Évangile ? « La terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent, le voile du Temple se déchira en deux du haut en bas, le soleil s’éclipsa et l’obscurité se fit en plein jour. » Mais si Celse croit les Evangiles pour y trouver une occasion d’accuser Jésus et les chrétiens, et ne les croit pas quand ils prouvent la divinité de Jésus, on lui dira : holà, mon brave, ou bien refuse de croire à tout l’ensemble et ne pense pas nous formuler de grief, ou bien crois à tout l’ensemble et admire que le Logos de Dieu se soit fait homme dans le dessein de secourir tout le genre humain. Et c’est un acte noble de Jésus que jusqu’à nos jours soient guéris par son nom ceux que Dieu veut guérir. L’éclipse arrivée au temps de Tibère César sous le règne de qui, semble-t-il, Jésus a été crucifié, et les grands tremblements de terre alors survenus, Phlégon aussi les a notés dans le treizième ou le quatorzième chapitre, je crois, de ses ” Chroniques “. Le Juif de Celse qui croit railler Jésus est présenté comme s’il connaissait ” le mot de Bacchus chez Euripide: Le dieu lui-même me délivrera quand je voudrai “. Les Juifs pourtant ne s’occupent guère de littérature grecque. Mais admettons qu’il y ait eu un Juif ainsi ami des lettres. Comment donc, si Jésus ne s’est pas délivré lui-même de ses liens, ne pouvait-il pas le faire ? Qu’il croie plutôt, d’après mes Ecritures, que Pierre lui aussi, enchaîné en prison, en sortit quand un ange eût détaché ses liens, et que Paul, mis aux ceps avec Silas à Philippes de Macédoine, fut délié par une puissance divine au moment ou s’ouvrirent les portes de la prison. Mais probablement Celse rit de l’histoire, ou il ne l’a pas lue du tout, sinon il s’aviserait de répondre que des sorciers aussi par leurs incantations brisent les chaînes et font ouvrir les portes, afin d’assimiler à des actes de sorcellerie les événements rapportés parmi nous. LIVRE II

” Mais celui qui le condamna,” dit-il, ” n’a rien souffert du sort de Penthee, pris de transports furieux et mis en pièces”. Il n’a pas vu que c’est moins Pilate qui l’a condamné, car « il savait que c’était par jalousie que les Juifs l’avaient livré », que la nation juive. Celle-ci a été condamnée par Dieu, mise en pièces et dispersée par toute la terre, traitement plus terrible que la mise en pièces de Penthee. Et pourquoi a-t-il omis intentionnellement l’histoire de la femme de Pilate. Elle avait vu un songe, et en avait été assez remuée pour envoyer dire à son mari « Ne te mêle point de l’affaire de ce juste , car aujourd’hui j’ai été très affectée dans un songe a cause de lui » Passant de nouveau sous silence les faits qui indiquent la divinité de Jésus, Celse lui fait des reproches à partir de ce qui est écrit de lui dans l’Évangile. Il mentionne ” ceux qui se moquèrent de lui, l’affublèrent de la robe de pourpre, de la couronne d’épines, et du roseau à la main “. LIVRE II

A sa question ” Pourquoi donc, s’il ne l’a pas fait avant, du moins maintenant ne manifeste-t-il pas quelque chose de divin, ne se lave-t-il pas de cette honte, ne se venge-t-il de ceux qui l’outragent lui et son Père ? “, il faut répondre que c’est équivalemment poser aux Grecs qui admettent la Providence et acceptent l’existence de signes divins, la question : pourquoi enfin Dieu ne punit-il pas ceux qui outragent la divinité et qui nient la Providence ? Car si les Grecs ont une réponse à cette objection, nous aussi nous en aurons une semblable et même supérieure. Mais il y eut bien un signe divin venu du ciel, l’éclipse de soleil, et les autres miracles . preuves que le crucifié avait quelque chose de divin et de supérieur au commun des hommes. Celse continue :” Que déclare-t-il même lorsque son corps est fixé à la croix ? Son sang est-il l’ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ? “. Le voilà donc qui badine. Mais nous, grâce aux Evangiles qui, quoi que prétende Celse, sont des écrits sérieux, nous établirons ceci l’ichôr de la fable et d’Homère ne s’écoula point de son corps, mais, alors qu’il était déjà mort, « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côte, et il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, son témoignage est véridique, et il sait qu’il dit vrai » Or, pour les autres cadavres, le sang est coagulé, et il ne peut couler d’eau pure , mais pour le cadavre de Jésus, le miracle était que même de son cadavre « du sang et de l’eau » se soient écoulés du côte. Mais Celse, qui tire des griefs contre Jésus et les chrétiens de textes évangéliques qu’il ne sait même pas interpréter correctement et tait ce qui établit la divinité de Jésus, veut-il se rendre attentif aux manifestations divines ? Qu’il lise alors l’Évangile et qu’il y voie entre autres ce passage « Le centurion et les hommes qui gardaient Jésus avec lui, témoins du séisme et des prodiges survenus, furent saisis d’une grande frayeur et dirent Celui-là était Fils de Dieu ! » Ensuite, extrayant de l’Évangile les passages qu’il ose lui opposer, il reproche à Jésus son ” avidité à boire le fiel et le vinaigre, sans savoir dominer une soif que même le premier venu domine d’ordinaire “. Ce texte, pris a part, comporte une interprétation allégorique , mais ici on peut donner une réponse plus commune aux objections : même cela les prophéties l’ont prédit. Il est écrit en effet dans le psaume soixante-huitième cette parole rapportée au Christ : « Pour me nourrir, ils m’ont donné du fiel, pour apaiser ma soif, fait boire du vinaigre. » C’est aux Juifs de dire qui le prophète fait parler de la sorte et d’établir, d’après l’histoire, qui a reçu du fiel en nourriture et du vinaigre pour boisson. Ou s’ils se hasardent à dire qu’il est question du Christ dont ils croient la venue future, alors je répondrai : qu’est-ce qui empêche la prophétie d’être déjà réalisée ? Le fait que cela ait été dit si longtemps d’avance, avec les autres prévisions des prophètes, si l’on fait un examen judicieux de toute la question, est capable d’amener à reconnaître Jésus comme le Christ prophétisé et le Fils de Dieu. LIVRE II

Jésus n’entendait pas détourner ses disciples de l’attachement aux sorciers en général, qui promettent d’accomplir des prodiges par n’importe quel moyen – ils n’avaient pas besoin d’une telle mise en garde -, mais de l’attachement à ceux qui se présenteraient comme le Christ de Dieu et s’efforceraient, grâce à des prestiges, de tourner vers eux les disciples de Jésus. Il dit donc : « Alors, si l’on vous dit : Tenez, voici le Christ ! ou le voilà ! n’en croyez rien. Il surgira en effet de faux christs et de faux prophètes qui produiront des signes et des prodiges considérables, capables d’abuser si c’était possible les élus eux-mêmes : telle est ma prédiction. Si donc on vous dit : le voici au désert, n’y allez pas ; le voilà dans les cachettes, n’en croyez rien. Comme l’éclair, en effet, part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il à l’avènement du Fils de l’homme. » Et ailleurs : « Beaucoup me diront en ce jour : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons mangé, en ton nom que nous avons bu, en ton nom que nous avons chassé les démons et accompli nombre de miracles ? Et moi je leur dirai : écartez-vous de moi : vous êtes des artisans d’injustice. » Mais Celse, dans le désir d’assimiler les prodiges de Jésus à la sorcellerie humaine, dit littéralement ceci : ” O lumière et vérité ! De sa propre voix il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers. Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges; il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants. Sous la contrainte de la vérité, il a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne. N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure des mêmes oevres à la divinité de l’un et à la sorcellerie des autres ? Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. ” Voilà bien la preuve manifeste de la perfidie de Celse à l’égard de l’Évangile : ce que dit Jésus de ceux qui accompliront signes et prodiges diffère totalement de ce qu’affirmé le Juif de Celse. Bien sûr, si Jésus avait simplement dit à ses disciples de se mettre en garde contre ceux qui promettent des prodiges, sans ajouter de quel titre ils se pareraient, peut-être y aurait-il place pour le soupçon du Juif. Mais les gens dont Jésus veut que nous nous gardions professent qu’ils sont le Christ, ce que ne font pas les sorciers , il dit en outre qu’au nom de Jésus des gens à la vie déréglée feront certains miracles, expulseront des hommes les démons. Dés lors, s’il faut le dire, voilà bannie des personnages en question la sorcellerie et tout soupçon à leur adresse, et bien établie au contraire la puissance divine du Christ et celle de ses disciples car il était possible à qui usait de son nom, sous l’impulsion de je ne sais quelle puissance, de prétendre qu’il était le Christ, de paraître accomplir des actes comparables à ceux du Christ, et à d’autres de faire au nom de Jésus des prodiges apparemment voisins de ceux de ses authentiques disciples. LIVRE II

Et comme c’est un Juif qui tient ces propos chez Celse, on pourrait lui dire et toi donc, mon brave, pourquoi enfin cette différence tu croîs divines les oevres que d’après tes Écritures Dieu accomplit par Moïse, et tu tâches de les justifier contre ceux qui les calomnient comme des effets de la sorcellerie, analogues à ceux qu’accomplissent les sages d’Egypte ; tandis que celles de Jésus dont tu reconnais l’existence, suivant l’exemple des Egyptiens qui te critiquent, tu les accuses de n’être pas divines ? Si en effet le résultat final, la nation entière constituée par les prodiges de Moïse, prouve évidemment que c’était Dieu l’auteur de ces miracles au temps de Moïse, comment cet argument ne sera-t-il pas plus démonstratif pour le cas de Jésus, auteur d’une plus grande oevre que celle de Moïse ? Car Moïse a pris ceux de la nation formée de la postérité d’Abraham qui avaient gardé le rite traditionnel de la circoncision, observateurs décidés des usages d’Abraham, et il les conduisit hors d’Egypte en leur imposant les lois que tu croîs divines. Jésus, avec une autre hardiesse, substitua au régime antérieur, aux habitudes ancestrales, aux manières de vivre d’après les lois établies, le régime de l’Évangile. Et, tout comme les miracles que Moïse fit d’après les Écritures étaient nécessaires pour lui obtenir l’audience non seulement de l’assemblée des Anciens, mais encore du peuple, pourquoi Jésus lui aussi, pour gagner la foi d’un peuple qui avait appris à demander des signes et des prodiges, n’aurait-il pas eu besoin de miracles capables, par leur grandeur et leur caractère divin supérieurs si on les compare à ceux de Moïse, de les détourner des fables juives et de leurs traditions humaines, et de leur faire accepter que l’auteur de cette doctrine et de ces prodiges était plus grand que les prophètes ? Comment donc n’était-il pas plus grand que les prophètes, lui que les prophètes proclament Christ et Sauveur du genre humain ? Bien plus, toutes les attaques du Juif de Celse contre ceux qui croient en Jésus peuvent se retourner en accusation contre Moïse , en sorte qu’il n’y a pas ou presque pas de différence à parler de la sorcellerie de Jésus et de celle de Moïse, tous deux pouvant, à s’en tenir a l’expression du Juif de Celse, être l’objet des mêmes critiques. Par exemple le Juif de Celse dit a propos du Christ « O lumière et vérité ! De sa propre voix, il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers ». Mais a propos de Moïse, celui qui ne croît pas à ses miracles, qu’il soit d’Egypte ou de n’importe ou, pourrait dire au Juif « O lumière et vérité ! De sa propre voix, Moïse annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers » Car il est écrit dans votre loi : « Que surgisse en toi un prophète ou un faiseur de songes qui te propose un signe ou un prodige, et qu’ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s’il te dit alors « Allons suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas et servons les », vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur » etc… L’un, dans sa critique des paroles de Jésus, dit encore « Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges » L’autre, dans l’application de ce trait à Moïse, dira « Et il nomme un prophète faiseur de songes habile à contrefaire ces prodiges ». Et de même que le Juif de Celse dit de Jésus : « Il ne nie pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » , ainsi, qui ne croît pas aux miracles de Moïse lui dira la même chose en citant la phrase précédente « Il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » Et ainsi fera-t-il pour cette parole « Sous la contrainte de la vérité, Moïse a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne ». Et quand le Juif déclare « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la divinité de l’un et a la sorcellerie des autres ? » on pourrait lui répondre à cause des paroles de Moïse déjà citées « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la qualité de prophète et serviteur de Dieu de l’un et a la sorcellerie des autres ? » Mais insistant davantage, Celse ajoute aux comparaisons que j’ai citées « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? » On ajoutera à ce qui était dit « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à la méchanceté des gens auxquels Moïse défend de croire malgré leur étalage de signes et de prodiges, et non plutôt à la méchanceté de Moïse, quand il attaque les autres pour leurs signes et leurs prodiges ? » Il multiplie les paroles dans le même sens pour avoir l’air d’amplifier sa brève argumentation : « Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. » Qui donc désigne ce « lui-même » ? Toi, Juif, tu dis que c’est Jésus ; mais celui qui t’accuse comme sujet aux mêmes critiques rapportera ce « lui-même » à Moïse. LIVRE II

Jésus, quoiqu’il fût un, était pour l’esprit multiple d’aspects, et ceux qui le regardaient ne le voyaient pas tous de la même manière. Cette multiplicité d’aspects ressort des paroles « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie », « Je suis le Pain », « Je suis la Porte » et autres sans nombre. Et la vue qu’il offrait n’était pas identique pour tous les spectateurs, mais dépendait de leur capacité. Ce sera clair si l’on examine la raison pour laquelle, devant se transfigurer sur la haute montagne, il prit avec lui, non pas tous les apôtres, mais seuls Pierre, Jacques et Jean, comme les seuls capables de contempler la gloire qu’il aurait alors, et aptes à percevoir Moïse et Élie apparus dans la gloire, à entendre leur conversation et la voix venue de la nuée céleste. Mais je crois que même avant de gravir la montagne, ou seuls les disciples s’approchèrent de lui et ou il leur enseigna la doctrine des béatitudes, lorsqu’au pied de la montagne, « le soir venu », il guérit ceux qui s’approchaient de lui, les délivrant de toute maladie et de toute infirmité, il n’apparaissait pas identique aux malades implorant leur guérison et à ceux qui ont pu, grâce à leur santé, gravir avec lui la montagne. Bien plus, il a explique en particulier à ses propres disciples les paraboles dites avec un sens cache aux foules de l’extérieur et de même que ceux qui entendaient l’explication des paraboles avaient une plus grande capacité d’entendre que ceux qui entendaient les paraboles sans explication, ainsi en était-il des capacités de vision, certainement de leur âme, mais je croîs aussi de leur corps. Autre preuve qu’il n’apparaissait pas toujours identique, Judas qui allait le trahir dit aux foules qui s’avançaient vers lui comme si elles ne le connaissaient pas « Celui que je baiserai, c’est lui ». C’est aussi, je pense, ce que veut montrer le Sauveur lui-même dans la parole « Chaque jour j’étais assis parmi vous dans le temple à enseigner et vous ne m’avez pas arrêté ». Dés lors, comme nous élevons Jésus si haut, non seulement dans sa divinité intérieure et cachée à la foule, mais aussi dans son corps, transfiguré quand il voulait pour ceux qu’il voulait, nous affirmons avant qu’il eût dépouillé les Principautés et les Puissances » et « fût mort au péché », tous avaient la capacité de le regarder, mais quand il eut dépouillé les Principautés et les Puissances et ne posséda plus ce qui pouvait être visible de la foule, tous ceux qui le virent auparavant ne pouvaient plus le regarder. C’est donc pour les ménager qu’il ne se montrait point à tous après sa résurrection d’entre les morts. Mais pourquoi dire à tous ? Aux apôtres eux-mêmes et aux disciples, il n’était pas sans cesse présent et sans cesse visible, parce qu’ils étaient incapables de soutenir sa contemplation sans relâche. Sa divinité était plus resplendissante après qu’il eut mené a terme l’oevre de l’Économie. Céphas, qui est Pierre, en tant que « prémices » des apôtres, put la voir, et après lui, les Douze, Matthias ayant été choisi a la place de Judas. Apres eux, il apparut à « cinq cents frères a la fois, puis à Jacques, puis à tous les apôtres » hormis les Douze, peut-être les soixante-dix , et, « dernier de tous », à Paul, comme à l’avorton, qui savait dans quel sens il disait : « A moi, le plus petit de tous les saints a été donnée cette grâce », et sans doute que « le plus petit » et « l’avorton » sont synonymes. Aussi bien on ne pourrait faire un grief raisonnable à Jésus de n’avoir point conduit avec lui sur la haute montagne tous les apôtres, mais les trois seuls nommés précédemment, lorsqu’il allait se transfigurer et montrer la splendeur de ses vêtements et la gloire de Moïse et d’Élie en conversation avec lui , on ne saurait non plus adresser des critiques fondées aux paroles des apôtres, de présenter Jésus après sa résurrection apparaissant non point à tous, mais à ceux dont il savait les yeux capables de voir sa résurrection. LIVRE II

Voyons la manière dont le Juif de Celse poursuit : S’il y avait une telle urgence a faire voir sa divinité, c’est bien du haut de la croix qu’il aurait dû soudain disparaître. Voilà qui me paraît ressembler a l’argument des adversaires de la Providence ils décrivent l’univers autre qu’il n’est et disent : le monde serait meilleur s’il était tel que nous l’avons décrit. Mais s’ils décrivent des possibles, on les convainc qu’ils font le monde pire pour autant qu’il dépend d’eux et de leur description. S’ils ne semblent pas représenter le monde pire que la réalité, on montre qu’ils désirent ce qui est impossible à la nature. Ainsi de part et d’autre ils sont ridicules. Or ici, il n’était pas impossible pour une nature divine de disparaître à son gré : chose de soi évidente et clairement affirmée de lui par l’Écriture, du moins si on n’en accepte pas qu’une partie pour attaquer la doctrine, en tenant le reste pour des fictions. Car il est écrit dans l’Évangile selon Luc que Jésus, après la résurrection, « prit du pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le donna » à Simon et à Cléophas ; et quand ils prirent le pain, « leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent ; mais il avait disparu de leurs regards. » LIVRE II

Considère aussi la preuve qu’il en propose : ” A l’origine, ils étaient en petit nombre, animés de la même pensée; à peine se propagent-ils en multitude, ils se divisent et se séparent, et chacun veut avoir sa propre faction : ils y aspiraient dès l’origine.” Il est évident que, comparés à la multitude qu’ils allaient devenir, les chrétiens à l’origine étaient en petit nombre ; bien qu’ils n’eussent pas été, à tous égards, en nombre si petit. Car ce qui provoqua l’envie contre Jésus, et excita les Juifs à conspirer contre lui, c’était la multitude de ceux qui le suivaient dans les déserts : des foules de quatre à cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants. Si puissante était la séduction de ses discours que non seulement les hommes voulaient le suivre aux déserts, mais même les femmes oubliaient la faiblesse et la réserve féminines en accompagnant le maître aux déserts. Et les tout petits, si insensibles d’ordinaire, l’accompagnaient avec leurs père et mère, soit qu’ils les aient suivis, soit qu’ils fussent peut-être entraînés par sa divinité pour en recevoir la semence. Mais accordons qu’ils aient été en petit nombre à l’origine : en quoi cela contribue-t-il à prouver que les chrétiens ne voudraient pas faire naître chez tous les hommes la foi en l’Évangile ? LIVRE III

Ensuite, à propos des pratiques des Égyptiens, qui parlent avec respect même des animaux sans raison et affirment qu’ils sont des symboles de la divinité, ou quelque titre qu’il plaise à leurs prophètes de leur donner, il dit : Elles provoquent chez ceux qui ont acquis ce savoir l’impression que leur initiation ne fut pas vaine. Quant aux vérités que nous présentons à ceux qui ont une connaissance approfondie du christianisme dans nos discours faits sous l’influence de ce que Paul appelle « don spirituel », dans le discours de sagesse « grâce à l’Esprit », dans le discours de science « selon l’Esprit» », Celse semble n’en avoir pas la moindre idée. On le voit non seulement d’après ce qu’il vient de dire, mais encore d’après le trait qu’il lance plus tard contre la société des chrétiens quand il dit qu’ils excluent tout sage de la doctrine de leur foi, mais se bornent à inviter les ignorants et les esclaves ; ce que nous verrons en son temps, en arrivant au passage. Il affirme même que nous nous moquons des Égyptiens. Cependant, ils proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, puisqu’ils enseignent que ce sont là des hommages rendus non à des animaux éphémères, comme le pense la foule, mais à des idées éternelles. Tandis que c’est une sottise de n’introduire dans les explications sur Jésus rien de plus vénérable que les boucs ou les chiens de l’Egypte. A quoi je répondrai : tu as raison, mon brave, de relever dans ton discours que les Égyptiens proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, et des explications obscures sur leurs animaux ; mais tu as tort de nous accuser dans ta persuasion que nous ne disons que de méprisables sottises quand nous discutons en détail les mystères de Jésus, selon la sagesse du Logos, avec ceux qui sont parfaits dans le christianisme. Paul enseigne que de telles gens sont capables de comprendre la sagesse du christianisme quand il dit : « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d’une sagesse de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont à leur perte. Nous parlons au contraire d’une sagesse de Dieu, ensevelie dans le mystère, dès avant les siècles fixée par Dieu pour notre gloire, et qu’aucun des princes de ce siècle n’a connue. » LIVRE III

Jésus lui-même et ses disciples voulaient en effet que leurs adhérents ne croient pas seulement à sa divinité et à ses miracles comme s’il n’avait point participé à la nature humaine et pris cette chair qui chez les hommes convoite « contre l’esprit ». Mais ils voyaient en outre que la puissance qui est descendue jusqu’à la nature humaine et aux vicissitudes humaines, et a pris une âme et un corps d’homme, contribuerait, parce qu’elle est objet de foi, en même temps que les réalités divines, au salut des croyants. Ceux-ci voient qu’avec Jésus la nature divine et la nature humaine ont commencé à s’entrelacer, afin que la nature humaine, par la participation à la divinité, soit divinisée, non dans Jésus seul mais encore en tous ceux qui, avec la foi, adoptent le genre de vie que Jésus a enseigné et qui élève à l’amitié pour Dieu et à la communion avec lui quiconque vit suivant les préceptes de Jésus. LIVRE III

Devant ces faits, comment n’est-il pas logique de penser que Jésus qui a pu instituer une si grande oevre, avait en lui une qualité divine exceptionnelle, mais non point Aristéas de Proconnèse, même si Apollon veut le placer au rang des dieux, ni ceux que Celse énumère. Il dit : Personne ne considère comme dieu Abaris l’Hyperboréen doué du prodigieux pouvoir d’être porté sur une flèche. Dans quel dessein la divinité, si elle eût accordé la faveur à l’Hyperboréen Abaris d’être porté sur une flèche, lui eut-elle fait pareil don ? Quel bienfait en eût retiré le genre humain ? Et quel avantage pour cet Abaris que d’être porté sur une flèche ? Et cela, en admettant qu’il n’y eût là aucune fiction, mais le résultat de l’action d’un démon. Mais lorsqu’on dit que mon Jésus est élevé « en gloire », je vois l’économie providentielle : Dieu par la réalisation de cette merveille l’accréditait comme Maître dans l’esprit de ceux qui l’avaient contemplé, afin de les pousser à combattre de toutes leurs forces non pour des connaissances humaines, mais pour les enseignements divins, à se consacrer au Dieu suprême et à tout faire pour lui plaire, pour recevoir selon leurs mérites au tribunal de Dieu la sanction du bien et du mal faits en cette vie. LIVRE III

Celse pour montrer qu’il a lu beaucoup d’histoires grecques cite encore celle de Cléomède d’Astypalée, et raconte : Celui-ci entra dans un coffre, s’enferma à l’intérieur, et on ne put l’y retrouver, mais il s’en était envolé par une providence miraculeuse, lorsqu’on vint briser le coffre pour le prendre. Cette histoire, si elle n’est pas une fiction comme elle semble l’être, n’est point comparable à celle de Jésus ; car la vie de ces hommes ne présente aucune preuve de la divinité qu’on leur attribue, alors que celle de Jésus a pour preuves les églises de ceux qu’il a secourus, les prophéties faites à son sujet, les guérisons accomplies en son nom, la connaissance de ces mystères dans la sagesse et la raison que l’on trouve chez ceux qui s’appliquent à dépasser la simple foi et à scruter le sens des Écritures ; car tel est l’ordre de Jésus : « Scrutez les Écritures », telle est l’intention de Paul qui a enseigné que nous devons « savoir répondre à chacun » comme il se doit, et celle d’un autre auteur qui a dit : « Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque demande raison de la foi qui est en vous. » Mais Celse veut qu’on lui accorde qu’il ne s’agit pas d’une fiction : à lui de dire le dessein de la puissance surhumaine qui a fait envoler Cléomède de l’intérieur du coffre par une providence miraculeuse. Car s’il présente de cette faveur faite à Cléomède une raison valable et une intention digne de Dieu, on jugera de la réponse à lui faire. Mais s’il demeure embarrassé pour en donner la moindre raison plausible, parce que, de toute évidence, cette raison est impossible à trouver, ou bien en accord avec ceux qui ont refusé d’admettre cette histoire, on prouvera sa fausseté, ou bien on dira qu’en faisant disparaître l’homme d’Astypalée, un démon a joué un tour semblable à ceux des sorciers et trompé les regards ; et cela contre Celse qui a pensé qu’un oracle divin avait déclaré qu’il s’était envolé du coffre par une providence miraculeuse. LIVRE III

Je pense que ce sont les seuls héros connus de Celse. Et c est pour paraître négliger à dessein les cas analogues qu’il a ajouté : On pourrait en citer bien d’autres de même genre. Soit ! Admettons qu’il y ait eu bien des héros de même genre dont le genre humain n’a tiré nul avantage : que trouverait-on chez eux qui soit comparable à l’oevre de Jésus et à ses miracles dont j’ai longuement parlé ? Après quoi Celse pense que notre culte pour ce prisonnier, comme il dit, mis à mort est pareil à la vénération de Zamolxis au pays des Gètes, de Mopsos en Cilicie, d’Amphilochos en Acarnanie, d’Amphiaraos à Thèbes, de Trophonios à Lébadia. Mais là encore, on le convaincra d’avoir assimilé sans raison notre culte à ceux des peuples qu’il mentionne. Ils ont élevé temples et statues aux personnages qu’il énumère ; nous, nous refusons à la divinité l’honneur rendu par ces procédés : ils sont plus adaptés aux démons, fixés, je ne sais comment, en un lieu déterminé qu’ils ont choisi d’avance, ou que, attirés par des incantations ou des sortilèges, ils semblent habiter. Nous admirons Jésus qui a détourné notre esprit de tout sensible, comme non seulement corruptible mais destiné à être corrompu, pour l’élever à rendre honneur au Dieu suprême par une vie droite accompagnée de prières ; nous lui présentons ces prières comme par Celui qui, médiateur entre la nature de l’Inengendré et celle de toutes les créatures, à la fois nous apporte les bienfaits du Père et, à la façon du grand-prêtre, transporte nos prières jusqu’au Dieu suprême. LIVRE III

Les Égyptiens, formés au culte d’Antinoos, supporteraient qu’on lui compare Apollon ou Zeus, car c’est l’honorer que le mettre au même rang. Il y a donc, pour Celse, un mensonge manifeste à dire : Ils ne supporteraient pas qu’on lui compare Apollon ou Zeus. Les chrétiens ont appris que la vie éternelle consistait pour eux à connaître « le seul véritable Dieu » suprême, et « Celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » ; ils savent que « tous les dieux des païens sont des démons » avides, rôdant autour des victimes, du sang et des exhalaisons des sacrifices, pour tromper ceux qui ne cherchent pas refuge auprès du Dieu suprême ; ils savent que les anges de Dieu, au contraire, divins et saints, sont de tout autre nature et caractère que les démons de la terre, et sont connus du très petit nombre de ceux qui ont fait de la question une étude intelligente et approfondie : ils ne supporteraient pas une telle comparaison avec Apollon, Zeus, ou tout autre qu’on adore par le fumet de la graisse, le sang et les victimes. Certains dans leur grande simplicité ne savent pas rendre raison de leur conduite, bien qu’ils gardent judicieusement le dépôt qu’ils ont reçu. Mais d’autres le font avec des raisons non pas insignifiantes mais profondes ou, dirait un Grec, ésotériques et époptiques. Elles contiennent une ample doctrine sur Dieu, sur les êtres auxquels Dieu fait l’honneur, par son Logos, Fils unique de Dieu, de participer à sa divinité et par le fait même à son nom ; une ample doctrine également sur les anges divins et sur ceux qui sont ennemis de la vérité pour s’être trompés et, par suite de leur erreur, se sont proclamés dieux, anges de Dieu, bons démons, héros qui doivent leur existence à la métamorphose de bonnes âmes humaines. Ces chrétiens établiront aussi que, comme en philosophie beaucoup se figurent être dans le vrai pour s’être laissés abuser par des raisons spécieuses ou avoir adhéré avec précipitation aux raisons, présentées ou découvertes par d’autres, de même parmi les âmes sorties des corps, les anges et les dénions, certains furent entraînés pour des raisons spécieuses à se proclamer dieux. Et parce que ces doctrines, chez les hommes, ne peuvent être découvertes avec une parfaite exactitude, il a été jugé sûr pour l’homme de ne se confier à personne comme à Dieu, sauf au seul Jésus-Christ modérateur suprême qui a contemplé ces très profonds secrets, et les communique à un petit nombre. LIVRE III

Il revient ensuite au reproche sur Jésus : Bien qu’il soit formé d’un corps mortel, nous le croyons Dieu, en quoi nous jugeons faire un acte de piété. Inutile de répondre encore à l’objection, car on l’a déjà fait plus haut tout au long. Cependant les critiques doivent savoir que Celui que nous croyons avec conviction être dès l’origine Dieu et Fils de Dieu est, par le fait, le Logos en personne, la Sagesse en personne, la Vérité en personne. Et nous affirmons que son corps mortel et l’âme humaine qui l’habite, ont acquis la plus haute dignité non seulement par l’association, mais encore par l’union et le mélange avec Lui et que, participant à sa divinité, ils ont été transformés en Dieu. Est-on choqué de cette affirmation même à propos de son corps? Qu’on se réfère aux affirmations des Grecs sur la matière : à proprement parler dépourvue de qualités, elle est revêtue des qualités dont il plaît au Créateur de l’entourer, et fréquemment, elle abandonne ses qualités antérieures pour en recevoir d’autres supérieures et différentes. S’il y a là une vue saine, quoi d’étonnant que par la Providence de Dieu qui en décrète ainsi, la qualité mortelle du corps de Jésus ait été changée en une qualité éthérée et divine ? LIVRE III

De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III

Ce n’est donc pas aux mystères et à la participation de la sagesse « mystérieuse et demeurée cachée que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour la gloire » de ses justes, que nous appelons l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux, ni tous les autres que par amplification peut y joindre Celse ; mais, c’est à la guérison. Il y a dans la divinité du Logos des aspects qui aident à guérir les malades dont il parle : « Les bien portants n’ont pas besoin de médecins, mais les malades » ; il y en a d’autres qui découvrent à ceux qui sont purs de corps et d’esprit « la révélation du mystère, enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifesté tant par les écrits des prophètes que par l’apparition de Notre Seigneur Jésus-Christ » qui se manifeste à chacun des parfaits, illuminant leur esprit pour une connaissance véridique des réalités. Mais, comme, amplifiant ses griefs contre nous, il termine son énumération de vauriens par ce trait : « Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? », je répliquerai : un brigand appelle bien de tels individus pour utiliser leur perversité contre les hommes qu’il veut tuer et dépouiller ; mais le chrétien, en appelant les mêmes individus que le brigand, leur lance un appel différent, pour bander leurs blessures par le Logos, et verse dans l’âme enflammée de maux les remèdes du Logos qui, comme le vin, l’huile, le lait, et les autres médicaments, soulagent l’âme. Il calomnie ensuite nos exhortations orales ou écrites à ceux qui ont mal vécu, les appelant à se convertir et à réformer leur âme, et il assure que nous disons : Dieu a été envoyé aux pécheurs. C’est à peu près comme s’il reprochait à certains de dire : c’est pour les malades habitant dans la ville qu’un médecin y a été envoyé par un roi plein d’humanité. Or « le Dieu Logos a été envoyé », médecin « aux pécheurs », maître des divins mystères à ceux qui, déjà purs, ne pèchent plus. Mais Celse, incapable de faire la distinction – car il n’a pas voulu approfondir -, objecte : Pourquoi n’a-t-il pas été envoyé à ceux qui sont sans péché ? Quel mal y a-t-il à être sans péché ? A quoi je réplique : si par ceux qui sont sans péché il veut dire ceux qui ne pèchent plus, notre Sauveur Jésus leur a été envoyé à eux aussi, mais non comme un médecin ; mais si par ceux qui sont sans péché il entend ceux qui n’ont jamais péché – car il n’y a pas de distinction dans son texte -, je dirai qu’il est impossible qu’il y ait dans ce sens un homme sans péché, à l’exception de l’homme que l’esprit discerne en Jésus, « qui n’a pas commis de péché ». Méchamment donc, Celse nous attribue l’affirmation : Que l’injuste s’humilie dans le sentiment de sa misère, Dieu l’accueillera ; mais que le juste dans sa vertu originelle lève les yeux vers lui, il refusera de l’accueillir. Nous soutenons en effet qu’il est impossible qu’un homme dans sa vertu originelle lève les regards vers Dieu. Car la malice existe nécessairement d’abord dans l’homme, comme le dit Paul : « Le précepte est venu, le péché a pris vie, et moi, je suis mort. » De plus, nous n’enseignons pas qu’il suffise à l’injuste de s’humilier dans le sentiment de sa misère pour être accueilli par Dieu, mais que s’il se condamne lui-même pour ses actes antérieurs, et s’il s’avance humble pour le passé, rangé pour l’avenir, Dieu l’accueillera. LIVRE III

Il n’est pas nécessaire de s’y arrêter, car, bien qu’il eût pu le faire de manière plausible, il n’a pas insisté : il n’a peut-être pas compris l’argument plausible qu’on pourrait y opposer, ou s’il l’a compris, il a vu la réponse à l’objection. Or, selon nous, Dieu peut tout ce qu’il peut faire sans cesser d’être Dieu, d’être bon, d’être sage. Celse, comme s’il n’avait pas compris dans quel sens on dit que Dieu peut tout, déclare : Il ne voudra rien d’injuste, donnant à croire qu’il peut même l’injuste, mais ne le veut pas. Nous, au contraire, nous disons : de même qu’une chose adoucissante de nature par la douceur qu’elle possède, ne peut rendre amer, contrairement à sa seule propriété, ni une chose lumineuse de nature, parce qu’elle est lumière, ne peut causer l’obscurité : de même Dieu non plus ne peut commettre l’injustice, car le pouvoir de commettre l’injustice est contraire à sa divinité et à sa toute-puissance divine. Mais si un être peut commettre l’injustice par une propension naturelle à l’injustice, il peut commettre l’injustice parce que sa nature n’implique pas l’impossibilité absolue de commettre l’injustice. LIVRE III

Il ne peut pas comprendre la parole : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi, dit le Seigneur ». Il ne voit pas que, selon la doctrine des chrétiens, tous ensemble « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être » comme Paul l’a enseigné dans son discours aux Athéniens. Alors, même quand le Dieu de l’univers par sa propre puissance descend avec Jésus dans l’existence humaine, même quand le Logos, « au commencement près de Dieu » et Dieu lui-même, vient vers nous, il ne quitte pas sa place et n’abandonne pas son trône, comme s’il y avait d’abord un lieu vide de lui, puis un autre plein de lui, qui auparavant ne le contenait pas. Au contraire la puissance et la divinité de Dieu vient par celui qu’il veut et en qui il trouve une place, sans changer de lieu ni laisser sa place vide pour en remplir une autre. LIVRE IV

Si tu veux ma réponse aux plus ridicules propos de Celse, entends-le dire : Mais peut-être Dieu, méconnu parmi les hommes, et se jugeant par là diminué, voudrait-il être reconnu et mettre à l’épreuve les croyants et les incrédules, tout comme les parvenus avides d’ostentation ? C’est là prêter à Dieu une ambition excessive et trop humaine! Ma réponse est que Dieu, méconnu par la méchanceté des hommes, voudrait être reconnu, non qu’il s’en juge diminué, mais parce que sa connaissance délivre du malheur celui qui le reconnaît. De plus, ce n’est pas dans le dessein de mettre à l’épreuve les croyants ou les incrédules qu’il habite lui-même dans certains par sa mystérieuse et divine puissance ou leur envoie son Christ ; c’est pour écarter de tout malheur les croyants qui accueillent sa divinité et pour ôter aux incrédules l’occasion d’excuser leur manque de foi sous prétexte qu’ils n’ont pas entendu son enseignement. Dès lors, quel argument peut montrer que, dans la logique de notre doctrine, Dieu serait d’après nous comme les parvenus avides d’ostentation ? Loin d’être avide d’ostentation à notre égard quand il désire nous faire connaître et comprendre son excellence, Dieu veut implanter en nous la félicité qui naît dans nos âmes du fait qu’il est connu de nous ; et il prend à coeur, par le Christ et l’incessante venue du Logos, de nous faire recevoir l’intimité avec lui. La doctrine chrétienne ne prête donc à Dieu aucune ambition humaine. LIVRE IV

Mais l’être descendu vers les hommes existait auparavant « en forme de Dieu », et c’est par amour pour les hommes qu’« il s’est anéanti », afin de pouvoir être reçu par les hommes. Non point certes qu’il ait subi un changement du bien au mal, car « il n’a pas fait de péché », ni de la beauté à la laideur, car « il n’a pas connu de péché » ; et il n’est pas venu de la félicité à l’infortune, mais « il s’est humilié lui-même » et n’en était pas moins heureux même lorsque pour le bienfait de notre race il s’humiliait lui-même. De plus, il ne subit pas de changement de l’état le meilleur au pire, car en quel sens la bonté et l’amour pour l’homme seraient-elles ce qu’il y a de pire ? Autant dire alors qu’à voir des horreurs et à toucher des choses répugnantes afin de guérir les malades, le médecin va du bien au mal, de la beauté à la laideur, de la félicité à l’infortune. Et encore le médecin qui voit des horreurs et touche des choses répugnantes n’évite-t-il pas absolument la possibilité de contracter le même mal. Mais celui qui guérit les blessures de nos âmes par le Logos de Dieu présent en lui était lui-même hors d’atteinte de tout mal. Même si, en prenant un corps mortel et une âme d’homme, le Logos, Dieu immortel, paraît à Celse se changer et se transformer, qu’il apprenne que le Logos, qui reste Logos par son essence, ne souffre rien des souffrances du corps ou de l’âme. Mais il condescend parfois à la faiblesse de celui qui ne peut voir l’éclat et la splendeur de sa divinité et il se fait pour ainsi dire « chair », est exprimé corporellement, permettant à celui qui l’a reçu sous cette forme, rapidement élevé par le Logos, de pouvoir contempler aussi, pour ainsi dire, sa forme principale. LIVRE IV

Mais quand parfois ils ont semblé abandonnés à cause de leur péché, néanmoins ils ont été visités, et, de retour chez eux, ont recouvré leurs biens et pratiqué sans obstacles leurs rites traditionnels. Et c’est encore une preuve de la divinité et de la sainteté de Jésus que le nombre et la gravité des malheurs subis par les Juifs depuis si longtemps à cause de lui. Et je dirai hardiment qu’il n’y aura pas pour eux de restauration. Car ils ont commis le plus impie de tous les forfaits en tramant ce complot contre le Sauveur du genre humain dans la ville où ils offraient à Dieu des sacrifices traditionnels, symboles de profonds mystères. C’est pourquoi il a fallu que cette ville où Jésus a enduré ces souffrances fût détruite de fond en comble et que la nation juive fût chassée de son pays ; et que l’appel de Dieu à la béatitude passât à d’autres, je veux dire les chrétiens, auxquels est parvenu l’enseignement d’une piété pure et sainte : ils ont reçu des lois nouvelles convenant à une communauté établie en tous lieux, car les anciennes lois données à une seule nation gouvernée par des chefs de même race et de mêmes moeurs ne pourraient plus toutes être observées de nos jours. LIVRE IV

La mention qu’il fait d’une procréation parfaitement absurde et après l’âge, bien qu’il ne donne pas de nom propre, désigne évidemment celle d’Abraham et de Sara. Quand il rejette les menées de frères, il veut parler de celles de Caïn contre Abel, ou encore d’Ésaü contre Jacob. La douleur d’un père peut être celle d’Isaac au départ de Jacob, peut-être encore celle de Jacob d’avoir vu Joseph emmené pour être vendu en Egypte. L’expression tromperies de mères désigne dans son texte, je crois, les dispositions prises par Rébecca pour faire tomber non sur Esaü, mais sur Jacob, les bénédictions d’Isaac. Mais qu’y a-t-il d’absurde à dire que Dieu à étroitement collaboré à tout cela, dans la persuasion où nous sommes que sa divinité ne s’éloigne jamais de ceux qui se consacrent à lui en menant une vie de vertu solide. Il raille encore l’enrichissement de Jacob chez Liban, pour n’avoir pas compris le sens de la parole : « Celles qui étaient sans marque étaient pour Liban, celles qui étaient marquées, pour Jacob. » Et il dit : Dieu a fait don à ses enfants d’ânes, de brebis et de chameaux, pour n’avoir pas vu que « tout cela leur est arrivé en figures et fut écrit pour nous qui touchons à la fin des temps » ; nous chez qui les nations variées ont été marquées et sont gouvernées par la parole de Dieu, richesse donnée qui est figurativement appelé Jacob. C’est l’arrivée de ceux qui viendront des nations à la foi au Christ qu’indiqué l’histoire de Laban et de Jacob. LIVRE IV

Mais encore, Celse dit : « L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. En fait, à cet égard, il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille ou d’homme ; car la matière est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. » A cet argument, il faut répondre : si vraiment, parce que la même matière est sous-jacente aux corps d’une chauve-souris, d’un ver, d’une grenouille, d’un homme, ces corps ne doivent différer en rien l’un de l’autre, il est évident que les corps de ces êtres ne différeront en rien du soleil, de la lune, des étoiles, du ciel, de n’importe quel autre être appelé chez les Grecs divinité sensible. Car la matière qui est sous-jacente à tous les corps est la même : elle est, à parler strictement, sans qualité ni forme, et je ne sais pas d’où elle reçoit ses qualités d’après Celse qui ne veut pas que rien de corruptible soit l’oeuvre de Dieu. Car, selon l’argument de Celse, le principe de corruption de quelque être que ce soit, provenant de la même matière qui les soutient, est nécessairement de même espèce. A moins qu’ici, devant la difficulté, Celse ne s’écarte de Platon qui fait sortir l’âme d’un certain cratère, et ne se réfugie vers Aristote et les Péripatéticiens qui affirment que l’éther est immatériel et d’une cinquième nature, autre que les quatre éléments : doctrine à laquelle les Platoniciens et les Stoïciens se sont noblement opposés. Et nous aussi, malgré le mépris de Celse, nous nous opposerons à elle, puisqu’on nous demande d’exposer et de prouver ce qui est dit en ces termes chez le prophète : « Les cieux périront, mais tu resteras ; tous, comme un vêtement, s’useront, comme un habit tu les retourneras et ils seront changés. Mais toi, tu es toujours le même. » Cependant, ces paroles sont une réplique suffisante à l’assertion de Celse : L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps, argument ayant pour conséquence : Il n’y a aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille et le corps éthéré. LIVRE IV

Voici ce qui me reste à dire contre l’affirmation de Celse que l’âme est oeuvre de Dieu, mais qu’autre est la nature du corps. Il a lancé une doctrine de cette importance sans preuve, bien plus sans définir ses termes, sans avoir clairement indiqué si toute âme est oeuvre de Dieu, ou seule l’âme raisonnable. Je lui dirai donc : si toute âme est oeuvre de Dieu, évidemment celle des animaux sans raison, même les plus vils, l’est aussi, de façon que chaque corps ait une nature autre que celle de l’âme. En vérité, quand il dit plus loin que les animaux sans raison sont plus aimés de Dieu que nous, et ont de la divinité une notion plus pure, il a semblé établir que ce n’est pas seulement celle des hommes qui est oeuvre de Dieu, mais davantage encore l’âme des animaux sans raison ; c’est la conséquence de son propos qu’ils sont plus aimés de Dieu que nous. Et si seule l’âme raisonnable est l’oeuvre de Dieu, d’abord, il ne l’a pas dit clairement, ensuite, de sa manière confuse de parler de l’âme, d’après laquelle non pas toute âme, mais seule l’âme raisonnable serait oeuvre de Dieu, il résulte que pour tous les corps non plus la nature ne saurait être autre. Et si la nature de tous les corps ne peut être autre, et si chaque animal a un corps correspondant a son âme, il est clair que le corps dont l’âme est l’oeuvre de Dieu, l’emporte sur le corps où habite une âme qui n’est pas oeuvre de Dieu. Aussi est-ce un mensonge de dire qu’il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille, et le corps d’un homme. LIVRE IV

Mais il veut encore montrer plus longuement que même les notions de la divinité dans le genre humain ne sont pas supérieures à celles de tous les êtres mortels, bien plus, que certains animaux sans raison ont manifestement des notions sur Dieu, tandis qu’il y a de si graves désaccords sur Dieu entre les plus pénétrants des hommes de tous les pays, Grecs ou barbares, et il dit : Si l’on pense que l’homme, pour avoir des notions divines, est supérieur au reste des animaux, que les tenants de cette thèse le sachent : même ce litre, beaucoup d’autres animaux le revendiqueront. Et non sans de bonnes raisons. Que peut-on, en effet, déclarer plus divin que la prévision et la prédiction de l’avenir ? Eh bien! c’est ce que les hommes apprennent des autres animaux et spécialement des oiseaux : et tous ceux qui entendent les signes qu’ils donnent, sont des devins. LIVRE IV

Donc, si les oiseaux et tous les autres animaux divinateurs prévoient par don de Dieu l’avenir et nous l’enseignent par des signes, ils semblent être par nature d’autant plus proches de l’union avec Dieu, plus savants et plus chers à Dieu. Des hommes intelligents disent même qu’il y a entre les oiseaux des entretiens, évidemment plus saints que les nôtres; eux-mêmes comprennent quelque peu leurs paroles; la preuve qu’ils donnent en pratique de cette compréhension est que, quand ils ont prévenu que les oiseaux leur ont annoncé qu’ils iraient à tel endroit pour y faire une chose ou l’autre, ils montrent qu’ils y vont bien et font ce qu’en fait ils avaient prédit. En outre, nul ne semble plus fidèle au serment, plus docile à la divinité que les éléphants, sans aucun doute parce qu’ils ont quelque connaissance de Dieu. Voilà bien comme il tranche et donne comme avérés bien des points en question chez les philosophes tant grecs que barbares, qui ont découvert ou appris de certains démons les secrets des oiseaux et des autres animaux par qui, dit-on, certains pouvoirs de divination ont été communiqués aux hommes. LIVRE IV

Puisqu’il voulait, dans ce passage, prouver que les animaux sans raison sont plus divins et plus savants que les hommes, Celse devait établir de manière plus développée l’existence de cet art divinatoire, en présenter ensuite une plus claire justification : réfuter apodictiquement les raisons des négateurs de l’art divinatoire, détruire apodictiquement aussi les raisons de ceux qui attribuent aux démons ou aux dieux les mouvements fatidiques des animaux, apporter enfin les preuves que l’âme des animaux sans raison est plus divine. S’il avait ainsi manifesté sa compétence philosophique dans ces graves questions, j’aurais fait mes efforts pour m’opposer à ses arguments plausibles : j’aurais réfuté l’assertion que les animaux sans raison sont plus savants que les hommes, démasqué le mensonge qu’il y a à leur attribuer des notions de la divinité plus saintes que les nôtres et des entretiens mutuels et saints. Mais, en fait, il incrimine notre foi au Dieu suprême et veut nous faire croire que les âmes des oiseaux ont des notions plus divines et plus claires que celles des hommes. Si c’est vrai, les oiseaux ont de Dieu des notions bien plus claires que les notions de Celse ; et ce n’est pas étonnant, si Celse ravale l’homme à ce point. Et encore, à suivre sa pensée, les oiseaux auraient des notions plus nobles et plus divines je ne dis pas que nous, chrétiens, ou que les Juifs qui usent des mêmes Écritures que nous, mais même que les théologiens parmi les Grecs, car c’étaient des hommes ! Donc, selon Celse, la race des oiseaux qu’il croit divinateurs a mieux compris la nature de la divinité que Phérécyde, Pythagore, Socrate et Platon ! Et nous aurions dû nous mettre à leur école pour que, comme ils nous enseignent l’avenir par la divination, selon la conception de Celse, ainsi encore ils libèrent les hommes des doutes sur la divinité en leur communiquant la claire notion qui leur en a été donnée. LIVRE IV

Il serait donc logique pour Celse, puisqu’il pense que les oiseaux l’emportent sur les hommes, de prendre pour maîtres les oiseaux, plutôt qu’un de ces philosophes grecs. Mais il me faut, entre bien d’autres remarques possibles, ajouter quelques mots sur la question, pour achever de montrer que son opinion fausse est une ingratitude envers son créateur. Car Celse, en homme qu’il est et, partant, « constitué en honneur, n’a pas compris » ; aussi, non content de se mettre au niveau des oiseaux et des autres animaux sans raison qu’il juge divinateurs, il leur a cédé la primauté plus que ne font les Égyptiens qui adorent comme dieux les animaux sans raison, il s’est subordonné à eux, et, autant qu’il le pouvait, a ravalé tout le genre humain, comme ayant, de la divinité, un sens moins noble et moins élevé que les animaux sans raison. LIVRE IV

De plus, supposons que les oiseaux aient entre eux des combats, et que, comme dit Celse, les oiseaux divinateurs et les autres animaux sans raison aient une nature divine et des notions de la divinité, et une prévision de l’avenir : ils le prédiraient aux autres. Alors, le passereau dont parle Homère ne ferait pas son nid là où le dragon va le dévorer lui et ses petits, et le serpent du même poète aurait évité d’être pris par l’aigle. Voici le passage de l’admirable Homère sur le premier : « Alors nous apparut un terrible présage. Un serpent au dos rutilant, effroyable, appelé à la lumière par le Dieu même de l’Olympe, jaillissant de dessous un autel s’élança vers le platane. Une couvée était là, de tout petits passereaux, juchés sur la plus haute branche et blottis sous le feuillage – huit petits ; neuf, en comptant la mère dont ils étaient nés. Le serpent les mangea tous malgré leurs pauvres petits cris. Autour de lui la mère voletait, se lamentant sur sa couvée. Il se love et soudain la saisit par l’aile, toute piaillante. Mais, à peine eut-il mangé les petits passereaux et leur mère avec eux, que le dieu qui l’avait fait paraître en fit un signe mémorable : le fils de Cronos le Fourbe l’avait soudain changé en pierre. Nous restions immobiles, à admirer l’événement, comment de si terribles monstres étaient venus troubler l’hécatombe des dieux. » Et sur le second : « Un présage leur vient d’apparaître quand ils brûlaient de le franchir (le fossé) : un aigle, volant haut, qui laisse l’armée sur sa gauche. Il porte dans ses serres un serpent rouge, énorme, qui vit, qui palpite encore et qui n’a pas renoncé à la lutte. A l’oiseau qui le tient, il porte un coup à la poitrine, près du cou, en se repliant soudain en arrière. L’autre alors le jette loin de lui à terre : saisi par la douleur, il le laisse tomber au milieu de la foule, et avec un cri s’envole, lui, dans les souffles du vent. Les Troyens frissonnent à voir à terre, au milieu d’eux, le serpent qui se tord, présage de Zeus porte-égide. » LIVRE IV

D’après nous, certains mauvais démons, titans ou géants si j’ose dire, devenus impies envers la divinité véritable et les anges du ciel, sont tombés du ciel, et rôdent sur terre autour des corps épaissis et impurs. LIVRE IV

Elle était divine, tandis que le grand Ulysse, l’ami de l’Athéna d’Homère, n’était pas divin, mais il se réjouit quand il comprit le présage annoncé par la meunière divine, au dire du poète : « Et le divin Ulysse fut plein de joie à ce présage. » Considère donc que si les oiseaux ont l’âme divine et sentent Dieu, ou, comme le dit Celse, les dieux, manifestement, nous aussi les hommes, quand nous éternuons nous le faisons parce qu’une divinité est présente en nous qui accorde à notre âme une puissance divinatrice. C’est chose attestée par un grand nombre. D’où ces mots du poète : « Mais lui éternua en faisant un voeu » ; et ces mots de Pénélope : « Ne vois-tu pas ? Mon fils a éternué à toutes tes paroles. » La véritable Divinité n’emploie, pour la connaissance de l’avenir, ni les animaux sans raison, ni les hommes quelconques, mais les plus saintes et les plus pures des âmes humaines qu’elle inspire et fait prophétiser. C’est pourquoi, entre autres admirables paroles contenues dans la Loi de Moïse, il faut placer celle-ci : « Gardez-vous de prendre des auspices et d’observer les oiseaux » ; et ailleurs : « Car les nations que le Seigneur ton Dieu anéantira devant toi écouteront présages et divinations ; mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu. » Et il ajoute immédiatement : « Le Seigneur ton Dieu te suscitera un prophète parmi tes frères. » Et Dieu, voulant un jour détourner par un devin de la pratique de la divination, fit parler son esprit par la bouche d’un devin : « Car il n’y a pas de présage en Jacob, ni de divination en Israël ; mais en son temps il sera dit à Jacob et à Israël ce que Dieu voudra. » Reconnaissant donc la valeur de telles injonctions et d’autres semblables, nous tenons à garder ce commandement qui a un sens mystique : « Avec grand soin garde ton coeur », afin qu’aucun des démons ne pénètre dans notre esprit, et qu’aucun des esprits hostiles ne tourne à son gré notre imagination. Mais nous prions pour que resplendisse « dans nos coeurs la lumière de la connaissance de la gloire de Dieu », l’Esprit de Dieu résidant dans notre imagination et nous suggérant des images dignes de Dieu : car « ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». LIVRE IV

Je ne sais comment Celse a entendu parler d’un serment des éléphants et cru savoir qu’ils sont plus dociles à la divinité que nous et ont une connaissance de Dieu. Pour ma part, je sais des traits nombreux et admirables qu’on raconte de la nature de cet animal et de sa douceur, mais je ne me souviens vraiment pas que quelqu’un ait parlé de serments d’éléphants1, à moins peut-être d’appeler fidélité au serment leur douceur et la sorte de convention qu’ils passent avec les hommes une fois qu’ils tombent sous leur dépendance ; cela même est également faux. LIVRE IV

Ce n’est certainement pas dénigrer ces immenses créatures de Dieu, ni non plus dire avec Anaxagore que le soleil, la lune et les étoiles ne sont que « des masses enflammées », que de professer notre doctrine sur le soleil, la lune et les étoiles. C’est seulement comprendre la divinité de Dieu qui surpasse d’une indicible supériorité, et celle de son Fils unique qui dépasse tout le reste. Et quand on est persuadé que le soleil, la lune et les étoiles prient le Dieu suprême par son Fils unique, on juge qu’on ne doit pas prier des êtres qui prient : ils préfèrent eux-mêmes nous renvoyer vers Dieu qu’ils prient, plutôt que de nous abaisser vers eux ou de partager notre puissance de prière entre Dieu et eux-mêmes. LIVRE V

Aussi bien faut-il chercher la nourriture qui convient ou ne convient pas à l’animal raisonnable et civilisé qui fait tout avec réflexion, au lieu d’adorer au hasard les brebis, les chèvres et les vaches. S’abstenir d’en manger est normal, vu la grande utilité de ces animaux pour les hommes. Mais épargner les crocodiles et les considérer comme consacrés à je ne sais quelle divinité mythologique, n’est-ce point le comble de la sottise ? Faut-il être extravagant pour épargner des animaux qui ne nous épargnent point, vénérer des animaux qui dévorent des hommes ! Mais Celse approuve ceux qui selon leurs traditions adorent les crocodiles et les vénèrent, et il n’a pas écrit de discours contre eux. Tandis que les chrétiens lui semblent blâmables, parce qu’ils ont appris à avoir en horreur le vice et à éviter les actions qui en procèdent, à adorer et honorer la Vertu comme née de Dieu et Fils de Dieu. Car il ne faut pas croire, d’après le genre féminin de leur nom, que la vertu et la justice soient également féminines en leur essence : selon nous, elles sont le Fils de Dieu, comme son véritable disciple l’a établi en disant : « Lui qui de par Dieu est devenu pour nous sagesse, justice, sanctification, rédemption. » Donc, même quand nous l’appelons « second Dieu », cette dénomination, qu’on le sache, ne désigne pour nous autre chose que la Vertu embrassant toutes les vertus, le Logos embrassant tout ce qu’il y a de raison des choses qui ont été créées selon les lois de la nature, soit principalement, soit pour l’utilité du tout. Ce Logos, disons-nous, s’unit à l’âme de Jésus d’une union bien plus intime qu’à toute âme, car seul il était capable de contenir parfaitement la participation suprême du Logos en personne, de la Sagesse en personne, de la Justice en personne. LIVRE V

S’il en va ainsi des noms humains, que faut-il penser des noms attribués pour une raison ou l’autre à la divinité ? Par exemple, il y a en grec une traduction du mot Abraham, une signification du nom Isaac, un sens évoqué par le son Jacob. Et si, dans une invocation ou un serment, on nomme « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », la formule produit son effet, soit par la qualité naturelle de ces noms, soit par leur puissance. Car les démons sont vaincus et dominés par celui qui prononce ces noms. Mais si l’on dit : le Dieu du père choisi de l’écho, le Dieu du rire, le Dieu du supplanteur, on n’obtient pas plus d’effet qu’avec un autre nom dépourvu de puissance. On n’aurait pas plus de résultat en traduisant en grec ou dans une autre langue le nom d’Israël ; mais, en le conservant et en lui adjoignant ceux auxquels ont coutume de l’unir les gens experts en la matière, on peut réaliser l’effet promis à ces invocations faites dans cette langue. On dira la même chose du mot Sabaoth, fréquemment employé dans les incantations. A traduire ce nom : Seigneur des puissances, Seigneur des Armées, Tout-Puissant – car ses traducteurs lui donnent différentes acceptions ?, l’effet en sera nul ; alors que si on lui garde sa sonorité propre, on obtiendra de l’effet, au dire des spécialistes. On dira la même chose du mot Adonaï. Si donc ni Sabaoth, ni Adonaï, dans la traduction grecque de ce qu’ils semblent signifier n’ont aucun effet, combien plus seront-ils dépourvus d’efficacité et de puissance quand on croit qu’il est indifférent d’appeler Zeus Très-Haut, Zen, Adonaï, Sabaoth ! Instruits de tels secrets et d’autres semblables, Moïse et les prophètes ont interdit de prononcer « les noms d’autres dieux » par une bouche habituée à ne prier que le Dieu suprême, et de se ressouvenir d’eux dans un c?ur exercé à se garder de toute vanité de pensées et de paroles. C’est aussi la raison pour laquelle nous préférons supporter tous les mauvais traitements plutôt que de reconnaître Zeus pour Dieu. Car nous pensons que Zeus n’est pas identique à Sabaoth mais que, loin d’être une divinité, il n’est qu’un démon prenant plaisir à être ainsi nommé, ennemi des hommes et du Dieu véritable. Et même si les Égyptiens nous proposent Amon en nous menaçant de châtiments, nous mourrons plutôt que de proclamer Amon dieu : c’est un nom probablement usité dans certaines incantations égyptiennes qui évoquent ce démon. Libre aux Scythes de nommer Papaeos le Dieu suprême : nous ne le croirons pas. Nous admettons bien le Dieu suprême, mais refusons de donner à Dieu le nom propre de Papaeos, qui n’est qu’un nom agréable au démon ayant en partage le désert, la race et la langue des Scythes. Mais ce n’est pas pécher que de donner à Dieu le nom commun en langue scythe, égyptienne, ou toute autre langue maternelle. LIVRE V

La circoncision des Juifs n’a pas la même raison que la circoncision des Égyptiens ou des Colchidiens. Aussi ne faut-il pas y voir une circoncision identique à la leur. De même que le sacrificateur ne sacrifie pas à la même divinité, même s’il semble offrir des rites sacrificiels semblables, et que l’homme qui prie ne prie pas la même divinité, même si les demandes des prières sont identiques, ainsi il est faux de dire qu’il n’y ait aucune différence entre les circoncisions, puisqu’elles deviennent tout autres par le but, la loi, l’intention de celui qui les pratique. Pour mieux le faire comprendre on peut dire encore : le nom de la justice est le même pour tous les Grecs. Mais la preuve en est faite : autre est la justice d’Épicure, autre celle des Stoïciens qui nient la division tripartite de l’âme, autre celle des Platoniciens qui voient dans la justice un acte de chacune des parties de l’âme. De même, autre est le courage d’Épicure qui supporte des peines pour en éviter un plus grand nombre, autre celui du Stoïcien qui choisit toute vertu pour elle-même, autre celui du Platonicien qui soutient que c’est une vertu de la partie irascible de l’âme et la localise autour de la poitrine. Ainsi, selon les différentes doctrines de ceux qui se font circoncire, la circoncision peut être différente. C’est un sujet dont il n’est pas nécessaire de parler maintenant dans un traité comme celui-ci ; si on aimait voir les motifs qui m’ont amené à cette position, qu’on lise sur ce point mon commentaire sur l’Épître de Paul aux Romains. LIVRE V

A ces considérations, pouvant paraître superflues et inadaptées à l’audience de la foule, que j’ai eu la hardiesse de développer, j’ajouterai, avant de passer à la suite, une réflexion plus chrétienne. Cet ange, d’après moi, avait un pouvoir contre ceux du peuple qui étaient incirconcis et, en général, contre ceux-là qui n’adoraient que le Créateur ; de plus, il avait ce pouvoir aussi longtemps que Jésus n’avait pas pris un corps. Quand il l’eut fait et que son corps fut circoncis, alors fut détruit tout le pouvoir de cet ange contre les incirconcis de cette religion ; car Jésus le détruisit par son ineffable divinité. D’où la défense à ses disciples d’être circoncis, et l’affirmation : « Si vous êtes circoncis, le Christ ne vous servira de rien. » LIVRE V

Voici en quels termes Paul s’explique à leur sujet : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. Ses oeuvres invisibles, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit, et sa puissance éternelle et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent s’est enténébré. Dans leur prétention à être sages, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. » Comme en témoigne notre Ecriture, ils retiennent la vérité captive ceux qui pensent que « le Souverain Bien est absolument ineffable » et ajoutent : « c’est d’un long commerce avec lui et d’une vie commune qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme, et désormais il se nourrit lui-même. » LIVRE VI

Mais ceux qui ont si bien écrit sur le Souverain Bien descendent au Pirée pour prier Artémis comme une déesse, et pour voir la fête publique célébrée par les simples. Après avoir enseigné cette profonde philosophie sur l’âme et décrit en détail l’état futur de celle dont la vie fut vertueuse, ils abandonnent ces idées sublimes que Dieu leur a manifestées pour songer à des choses vulgaires et basses et sacrifier un coq à Asclépios. Ils s’étaient représenté les oeuvres invisibles de Dieu et les idées à partir de la création du monde et des choses sensibles, d’où ils s’étaient élevés aux réalités intelligibles : ils avaient vu, non sans noblesse, son éternelle puissance et sa divinité ; néanmoins ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent se traîne pour ainsi dire, dans l’ignorance au sujet du culte de Dieu. Et l’on peut voir ces hommes, fiers de leur sagesse et de leur théologie, adorer une représentation, simple image d’homme corruptible, pour honorer, disent-ils, cette divinité, parfois même descendre avec les Égyptiens jusqu’aux oiseaux, quadrupèdes, reptiles. LIVRE VI

Celse, par ses redites, semble faire tout son possible pour me contraindre à des redites quand il ajoute, en vantard qu’il est, aux vantardises qui précèdent : Platon ne se vante ni ne ment, prétendant trouver du neuf ou venir du ciel nous l’annoncer : il avoue la source de cette connaissance. A quoi on peut répliquer, si l’on veut répondre à Celse, que même Platon se vante quand il fait dire à Zeus dans la harangue du Timée : « Dieux, fils de dieux, dont je suis créateur et père, etc. » Ira-t-on justifier ces expressions par le sens que leur donne Zeus dans sa harangue chez Platon ? Mais alors pourquoi, si l’on étudie les sens des paroles du Fils de Dieu, ou de celles du Créateur chez les prophètes, n’aurait-on pas bien plus à dire que Zeus dans sa harangue du Timée ? Ce qui caractérise la divinité, c’est l’annonce d’événements futurs : leur prédiction dépasse la nature humaine, leur accomplissement permet de juger que celui qui l’annonce est l’esprit divin. LIVRE VI

Celse a beau qualifier gens les plus incultes, esclaves, les moins instruits ceux qui ne comprennent pas son point de vue et n’ont pas assimilé la science des Grecs, nous déclarons, nous, les plus incultes ceux qui ne rougissent pas de s’adresser à des objets inanimés, de demander la santé à la faiblesse, de chercher la vie auprès de la mort, de mendier du secours auprès de l’impuissance. Ceux mêmes qui prétendent que ce ne sont point là des dieux, mais des imitations des dieux véritables et leurs symboles, sont tout aussi bien des gens sans éducation, esclaves, sans instruction, puisqu’ils imaginent de mettre les imitations de la divinité entre les mains d’artisans; si bien, disons-nous, que même les derniers des nôtres sont libérés de cette sottise et de cette ignorance, tandis que les plus sensés conçoivent et comprennent l’espérance divine. Mais nous ajoutons qu’il est impossible à un homme non exercé à la sagesse humaine de recevoir la sagesse divine, et nous convenons que toute la sagesse humaine comparée à la divine est folie. LIVRE VI

Celse donc n’a pas voulu ou n’a pas pu citer les mots de passe qu’à chaque porte, d’après les fables de ces impies, ont à dire ceux qui les franchissent. Mais cela même je l’ai fait, pour montrer à Celse et aux lecteurs de son livre que l’on considère le terme de cette initiation profane comme étrangère à la piété des chrétiens envers la divinité. LIVRE VI

Vois donc si manifestement il ne s’égare pas lui-même quand il nous accuse de nous égarer dans une impiété extrême très loin des énigmes divines : il n’a pas remarqué que les écrits de Moïse, bien antérieurs non seulement à Héraclite et Phérécyde mais encore à Homère, ont introduit la doctrine de cet esprit pervers tombé du ciel. Car cette doctrine est suggérée par l’histoire du serpent, origine de l’Ophionée de Phérécyde, serpent qui provoqua l’expulsion de l’homme du Paradis de Dieu : il avait trompé la femme en lui promettant la divinité et les biens supérieurs, et on nous dit que l’homme l’avait suivie. Et l’Exterminateur dont parle l’Exode de Moïse, quel autre peut-il être sinon celui qui cause la perte de ceux qui lui obéissent sans résister à sa malice ni la combattre ? Et le bouc émissaire du Lévitique, nommé par l’écriture hébraïque Azazel, c’est encore lui : il fallait que celui sur qui était tombé le sort fût chassé et offert en sacrifice expiatoire dans le désert ; tous ceux en effet qui par leur malice font partie du mauvais lot, ennemis de ceux qui forment l’héritage de Dieu, sont désertés de Dieu. Et « les fils de Bélial », dans les Juges, de quel autre sinon de lui sont-ils dits les fils à cause de leur perversité ? Outre tous ces exemples, dans le livre de Job, plus ancien que Moïse lui-même, il est dit clairement que « le diable » s’est présenté à Dieu et a demandé la puissance sur Job, afin de lui infliger de très lourdes épreuves : la première, la perte de tous ses biens et de ses enfants, la seconde, de couvrir tout le corps de Job d’une cruelle éléphantiasis, comme on appelle cette maladie». Je laisse de côté les récits évangéliques des tentations que le diable fit subir au Sauveur, je ne veux pas sembler prendre dans les Écritures plus récentes les arguments de la discussion avec Celse. Mais encore dans les dernières pages de Job, où du milieu de l’ouragan et des nuées le Seigneur adressa à Job le discours rapporté au livre qui porte son nom, il est possible de prendre plusieurs renseignements sur le dragon. Et je ne parle pas encore des indications tirées d’Ézéchiel, comme sur « Pharaon ou Nabuchodonosor » ou le prince de Tyr ; ou d’Isaïe où on se lamente sur le roi de Babylone ; on peut en tirer bien des renseignements sur la malice, son origine et son commencement, et la manière dont cette malice résulta de ce que certains êtres perdirent leurs ailes et prirent la suite du premier qui avait perdu ses ailes. LIVRE VI

Peut-être par une méprise sur le sens des mots : « Car la bouche du Seigneur a proféré ces paroles », ou peut-être à cause de l’interprétation téméraire donnée par les simples à de pareils textes, Celse n’a point saisi en quel sens on applique aux puissances de Dieu ce qu’expriment les noms des membres du corps, et il dit : Dieu n’a ni bouche ni voix. Il est vrai que Dieu n’aurait point de voix, si la voix n’était que de l’air en vibration ou un ébranlement d’air ou une espèce d’air ou toute autre réalité qu’attribuent à la voix les hommes compétents en la matière. Mais cette voix de Dieu est présentée comme une voix de Dieu vue par le peuple dans le passage : « Et tout le peuple voyait la voix de Dieu », le mot vision étant compris au sens spirituel selon l’usage constant de l’Écriture. Or il ajoute : En Dieu il n’est rien d’autre des choses que nous connaissons; mais il ne précise pas ces choses que nous connaissons. S’agit-il de membres, nous sommes d’accord avec lui, en sous-entendant : des choses que nous connaissons corporellement, dans l’acception la plus commune des termes. Mais à prendre « les choses que nous connaissons » en général, nous connaissons beaucoup de ce qu’on lui attribue : sa vertu, sa béatitude, sa divinité. A prendre « les choses que nous connaissons » au sens le plus élevé, comme Dieu dépasse tout ce que nous connaissons, il n’y a rien d’absurde à admettre, nous aussi, qu’en Dieu il n’est rien d’autre des choses que nous connaissons. Car les attributs de Dieu sont supérieurs à tout ce que connaît non seulement la nature de l’homme, mais encore celle des êtres qui la dépassent. Mais s’il avait lu les paroles des prophètes, de David : « Mais toi, tu es toujours le même », et de Malachie, je crois : « Je ne change jamais », il aurait vu qu’aucun d’entre nous ne dit qu’il y a du changement en Dieu, ni en action, ni en pensée. C’est en restant « le même » qu’il gouverne les choses qui changent, selon leur nature, et comme la raison elle-même exige qu’elles soient gouvernées. LIVRE VI

Voyons le passage qui suit. Il paraît mettre en scène un personnage qui, après avoir entendu ces paroles, demanderait : Comment donc puis-je connaître Dieu ? Comment puis-je apprendre la voie qui mène là-haut ? Comment me le montres-tu ? Car pour l’instant, c’est de l’obscurité que tu répands devant mes yeux et je ne puis rien voir de distinct. Ensuite, il esquisse la réponse à pareille difficulté et, croyant donner la raison de l’obscurité qu’il a répandue devant les yeux de celui qui vient de parler, il dit : Ceux que l’on conduit des ténèbres à une éclatante lumière, ne pouvant en supporter les rayons, ont la vue offusquée et affaiblie et se croient aveugles. On répondra : ceux-là sont assis dans les ténèbres et y demeurent qui arrêtent le regard sur toutes les oeuvres mauvaises des peintres, des modeleurs, des sculpteurs, sans vouloir regarder plus haut et s’élever par l’esprit du visible et de tout le sensible jusqu’au Créateur de l’univers qui est lumière. Mais celui-là se trouve dans la lumière qui suit les rayons du Logos, car le Logos a montré quelle ignorance, quelle impiété et quel manque de connaissance sur la divinité conduisent à adorer ces choses à la place de Dieu ; et il a guidé jusqu’au Dieu incréé et suprême l’esprit de qui veut être sauvé. « Car le peuple qui était assis dans l’obscurité », celui des Gentils, « a vu une grande lumière, et la lumière s’est levée pour ceux qui sont assis dans la région et l’ombre de la mort », le Dieu Jésus. LIVRE VI

Il dit donc : Des oracles prononcés par la Pythie, les prêtresses de Dodone, le dieu de Claros, chez les Branchides, au temple d’Ammon, et par mille autres devins, sous l’impulsion desquels sans doute toute la terre a été colonisée, ils ne tiennent aucun compte. Au contraire, les prédictions des habitants de la Judée, faites à leur manière, dites réellement ou non, et suivant un usage encore en vigueur aujourd’hui chez les gens de Phénicie et de Palestine, voilà ce qui leur paraît merveilleux et irréfragable ! A propos des oracles énumérés, disons qu’on pourrait tirer d’Aristote et des Péripatéticiens bien des arguments pour ruiner son estime de la Pythie et des autres oracles. On pourrait aussi, en citant les paroles d’Épicure et de ceux qui ont embrassé sa doctrine sur ce point, montrer que même des Grecs rejettent les oracles reçus et admirés dans toute la Grèce. Mais accordons que les réponses de la Pythie et des autres oracles ne sont pas l’invention de gens qui simulent l’inspiration divine. Et voyons si, même dans ce cas, à l’examen sincère des faits, on ne peut pas montrer que, tout en acceptant ces oracles, on n’est pas contraint d’y reconnaître la présence de certains dieux. Ce sont au contraire des mauvais démons et des esprits hostiles au genre humain qui empêchent l’âme de s’élever, de marcher sur le chemin de la vertu et de rétablir la piété véritable envers Dieu. Ainsi on rapporte de la Pythie, dont l’éclat semble éclipser tous les oracles, qu’assise auprès de la crevasse de Castalie, la prophétesse d’Apollon en reçoit un esprit par ses organes féminins ; et quand elle en est remplie, elle débite ce qu’on regarde comme de vénérables oracles divins. Ne voilà-t-il point la preuve du caractère impur et vicié de cet esprit ? Il s’insinue dans l’âme de la devineresse non par des pores clairsemés et imperceptibles, bien plus purs que les organes féminins, mais par ce qu’il n’est point permis à l’homme chaste de regarder et encore moins de toucher. Et cela non pas une ou deux fois, ce qui peut-être eût paru admissible, mais autant de fois qu’on croit qu’elle prophétise sous l’influence d’Apollon. Bien plus, ce passage à l’extase et à la frénésie de la prétendue prophétesse, allant jusqu’à la perte de toute conscience d’elle-même, n’est pas l’?uvre de l’Esprit divin. La personne que saisit l’Esprit divin devrait en effet, bien avant quiconque, apprendre de ses oracles ce qui sert à mener une vie modérée et conforme à la nature, en retirer la première de l’aide pour son utilité ou son avantage et se trouver plus perspicace, surtout au moment où la divinité s’unit à elle. LIVRE VI

Dès lors, ce qu’on a fait à Jésus, si l’on considère la divinité qui est en lui, n’est pas contraire à la piété et ne répugne point à la notion de la divinité. Par ailleurs, en tant qu’homme, plus orné que tout autre par la participation la plus élevée au Logos en personne et à la Sagesse en personne, il a supporté en sage parfait ce que devait supporter celui qui accomplit tout en faveur de toute la race des hommes ou même des êtres raisonnables. Et il n’est nullement absurde que l’homme soit mort et que sa mort non seulement soit un exemple de la mort subie pour la religion, mais encore qu’elle commence et poursuive la ruine du Mauvais, le Diable, qui s’était attribué toute la terre. Cette ruine est attestée par ceux qui de toutes parts, grâce à l’avènement de Jésus, échappent aux démons qui les tenaient assujettis et, libérés de cet esclavage qui pesait sur eux, se vouent à Dieu et à la piété envers lui, laquelle, selon leurs forces, devient plus pure de jour en jour. LIVRE VI

De la même manière que la richesse, on doit interpréter la puissance qui permet, au dire de l’Écriture, à un juste de poursuivre un millier d’ennemis, et à deux de mettre en fuite des myriades. Si tel est le sens des paroles sur la richesse, vois s’il n’est pas conforme à la promesse de Dieu que l’homme qui est riche en toute doctrine, toute science, toute sagesse, toute ?uvre bonne puisse prêter de sa richesse en doctrine, en sagesse, en science, à de nombreuses nations, ainsi que put faire Paul à toutes les nations qu’il avait visitées quand il rayonna de Jérusalem jusqu’en Illyrie, menant à bien la prédication de l’Évangile du Christ. Comme son âme se trouvait illuminée par la divinité du Logos, les secrets divins se faisaient connaître à lui par révélation : il n’empruntait rien et n’avait nul besoin qu’on lui transmît la doctrine. LIVRE VI

Celse ajoute méchamment, à propos de ces dieux qu’il a mentionnés, à forme humaine d’après lui : On les verra non point une seule fois en une apparition fugitive comme celui qui a dupé les chrétiens, mais dans un commerce permanent avec ceux qui le désirent. Il semble bien ressortir de là que pour lui Jésus était un fantôme quand il se manifestait à ses disciples après sa résurrection d’entre les morts, se montrant à eux dans une apparition fugitive ; tandis que ceux qu’il appelle des dieux à forme humaine, il les croit en commerce permanent avec ceux qui le désirent. Mais comment un fantôme, comme il dit, fugitivement apparu pour tromper les spectateurs, peut-il, une fois passée cette vision, accomplir tant de merveilles, convertir les âmes de tant de gens, y implanter la persuasion qu’elles doivent tout faire pour plaire à Dieu parce qu’elles seront jugées par lui ? Comment un prétendu fantôme chasse-t-il les démons et fait-il d’autres actions admirables ? Car ce n’est pas un seul lieu qui lui est assigné, comme aux dieux de Celse à forme humaine, mais il parcourt toute la terre, il rassemble et attire par sa divinité tous ceux qu’il trouve inclinés à une vie vertueuse. LIVRE VI

C’est bien la manière dont les disciples de Jésus considèrent ce qui est sujet à la génération, s’en servant comme d’un degré pour arriver à comprendre la nature des réalités intelligibles. Car « les ?uvres invisibles de Dieu », c’est-à-dire les réalités intelligibles, « depuis la création du monde, grâce aux choses créées se laissent voir » par l’acte de l’esprit. Cependant, après s’être élevés des choses créées du monde aux ?uvres invisibles de Dieu, ils ne s’arrêtent pas. Mais, après s’être suffisamment exercés par elles et les avoir comprises, ils montent jusqu’à l’éternelle puissance de Dieu, bref, à sa divinité. Il savent que Dieu dans son amour pour les hommes a manifesté la vérité et ce qu’on peut connaître de lui-même non seulement à ceux qui lui sont consacrés, mais encore à ceux qui sont étrangers à la pure religion et à la piété envers lui. Malheureusement, certains, élevés par la Providence de Dieu à la connaissance de si hautes réalités, ont une conduite indigne de cette connaissance, commettent l’impiété, retiennent « la vérité captive dans l’injustice » et, du fait de leur connaissance de ces hautes réalités, ils ne sauraient plus trouver une chance d’excuse auprès de Dieu. LIVRE VI

Mais ceux qu’ils méprisent pour leur manque de culture et qu’ils traitent de fous et d’esclaves, du seul fait qu’ils se confient à Dieu après avoir reçu l’enseignement de Jésus, s’abstiennent de l’immoralité, de l’impureté et de toute l’indécence de l’union charnelle, au point que, comme les prêtres parfaits qui se sont interdits toute union, beaucoup d’entre eux se tiennent non seulement à l’écart de toute relation charnelle, mais dans une pureté parfaite. Sans doute chez les Athéniens il y a un hiérophante qui, se jugeant incapable de maîtriser sa virilité et de la dominer à sa guise, amortit par la ciguë sa virilité, et qu’on juge assez pur pour vaquer au culte traditionnel des Athéniens. Mais chez les chrétiens on peut voir des hommes qui n’ont pas besoin de ciguë pour servir Dieu dans la pureté ; au lieu de la ciguë, il leur suffit de la doctrine pour qu’ils servent Dieu dans la prière et chassent de leur pensée toute convoitise. Auprès des autres dieux prétendus, des vierges en tout petit nombre, gardées ou non par des hommes, il n’y a pas lieu de le chercher ici, semblent passer leur vie dans la pureté pour honorer la divinité. Chez les chrétiens, ce n’est pas les honneurs humains, ri un salaire ou des dons en argent, ni la gloriole qui leur font observer une virginité parfaite ; et comme « elles se sont plu à retenir la vraie connaissance de Dieu », Dieu les garde dans un esprit qui lui plaît et « pour faire ce qui convient », remplies de toute justice et toute bonté. LIVRE VI

Ce qu’il y a de laborieux, c’est de réfléchir sérieusement à ces matières et de voir la différence entre ceux qui ont pu, à de longs intervalles, s’ouvrir à la compréhension de la vérité et à une conception limitée de Dieu, et ceux qui, sous une plus haute inspiration divine, continuellement unis à Dieu, sont toujours sous la conduite de l’Esprit divin. Si Celse l’avait examiné et compris, il ne nous eût point accusés d’ignorance, ni interdit de traiter d’aveugles ceux qui voient une expression de la piété dans les ?uvres matérielles de l’art humain telles que les statues. Car quiconque ouvre les yeux de l’âme ne suit pas d’autre méthode pour adorer la divinité que celle qui enseigne à toujours fixer les yeux sur le Créateur de l’univers, à lui offrir toute prière et à tout faire comme sous le regard de Dieu qui voit même nos pensées. LIVRE VI

Ensuite, comme s’il visait à gonfler son livre, il a voulu nous faire croire à la divinité de Jonas plutôt qu’à celle de Jésus ; il préféra Jonas, qui a prêché la pénitence à la seule ville de Ninive, à Jésus, qui l’a prêchée au monde entier avec plus de succès. Il a voulu nous faire proclamer la divinité de celui qui accomplit l’extraordinaire prodige de passer trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine. Mais celui qui avait accepté de mourir pour les hommes, auquel Dieu avait rendu témoignage par les prophètes, Celse n’a point admis qu’il méritât la seconde place d’honneur après le Dieu de l’univers, pour les belles actions qu’il accomplit au ciel et sur la terre. Jonas, pour avoir refusé de prêcher ce que Dieu lui avait enjoint, fut englouti par la baleine. Mais Jésus, lui, pour avoir enseigné ce que Dieu voulait, a accepté de mourir pour les hommes. LIVRE VI

De même qu’on découvre dans cette attitude, l’abstention de l’adultère, bien qu’elle semble la même, une diversité provenant des doctrines et des intentions diverses, ainsi en va-t-il du refus d’honorer la divinité dans les autels, les temples et les statues. Les Scythes, les Nomades de la Libye, les Sères peuple sans dieu, les Perses fondent leur attitude sur d’autres doctrines que celles pour lesquelles les chrétiens et les Juifs ne tolèrent pas ce culte qu’on prétend offert à la divinité. Car aucun de ces peuples ne peut tolérer les autels et les statues parce qu’il refuserait de dégrader et d’avilir l’adoration due à la divinité en l’adressant à une matière ainsi modelée. Ce n’est pas non plus parce qu’ils ont compris que des démons hantent ces images et ces localités, appelés par des sortilèges, ou ayant d’eux-mêmes pu d’une autre manière prendre possession des lieux où ils reçoivent gloutonnement le tribut des victimes et sont en quête de plaisir illicite et d’individus sans loi. Mais les chrétiens et les Juifs ont ces commandements : « Tu craindras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul » ; «Tu n’auras point d’autres dieux que moi » ; « Tu ne te feras point d’idole, ni rien qui ressemble à ce qui est dans le ciel là-haut, ni à ce qui est sur la terre ici-bas, ni à ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras point devant ces images, ni ne les serviras » ; « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul » ; et bien d’autres de même sens. A cause d’eux, non seulement ils se détournent des temples, des autels, des statues, mais encore ils vont avec empressement à la mort quand il le faut, pour éviter de souiller leur notion du Dieu de l’univers par une infraction de ce genre à sa loi. LIVRE VI

Celse a encore cité le texte d’Héraclite insinuant, dans son interprétation, qu’il est stupide de prier les statues quand on ne connaît pas la vraie nature des dieux et des héros. Il faut répondre : il est possible de connaître Dieu et son Fils unique, comme les êtres qui sont honorés par Dieu du titre de dieu et participent à sa divinité, et qui sont différents de tous les dieux des nations qui sont de leur vraie nature des démons ; mais il n’est pas possible en vérité de connaître Dieu et de prier les statues. LIVRE VI

Non, rien de bâtard ne doit subsister dans l’âme de l’homme véritablement pieux envers la divinité. Nous refusons ainsi d’honorer les statues pour éviter, autant qu’il dépend de nous, de tomber dans l’opinion que les statues seraient d’autres dieux. C’est pourquoi Celse et tous ceux qui avouent qu’elles ne sont pas des dieux sont pour nous condamnables, malgré leur renom de sagesse, quand ils affectent d’honorer les statues. La foule qui suit leur exemple pèche, non point parce qu’elle croit les honorer par accommodation, mais bien parce que les âmes se dégradent jusqu’à les considérer comme des dieux et ne pas tolérer d’entendre dire que ce ne sont pas des dieux qu’elles adorent. LIVRE VI

Celse dit bien ne pas les prendre pour des dieux et seulement pour des offrandes consacrées offertes aux dieux, mais il n’établit pas comment ces offrandes sont consacrées non pas aux hommes, mais, comme il le note, aux dieux mêmes. Car il est clair que ce sont des offrandes de gens qui ont des idées fausses sur la divinité. Nous ne pensons pas non plus que les statues soient des images divines, car nous ne représentons pas l’image de Dieu invisible et incorporel. Mais quand Celse suppose une contradiction entre notre affirmation que la divinité n’a pas de forme humaine, et notre croyance que Dieu a fait l’homme à son image et l’a fait à l’image de Dieu, il faut répondre comme on l’a dit plus haut : nous déclarons que ce qui est à l’image de Dieu est conservé dans l’âme raisonnable qui est telle par la vertu. Ici néanmoins Celse, qui ne voit pas la différence entre Image de Dieu et ce qui est à l’image de Dieu, nous fait dire : Dieu a fait l’homme à son image et d’une forme semblable à la sienne. A cela on a répondu plus haut. LIVRE VI

Remarquons l’étourderie de son propos : Si en effet on rendre un culte à un autre des êtres de l’univers. Il indique par là que nous pouvons sans aucun tort pour nous-mêmes rendre un culte divin à l’un quelconque des êtres qui appartiennent à Dieu. Mais comme s’il sentait lui-même l’insanité du propos : si en effet on veut rendre un culte à un autre des êtres de l’univers, il se reprend et ajoute cette correction : il n’est pas permis d’honorer celui à qui Dieu n’a pas donné ce privilège. Demandons à Celse, à propos des honneurs qu’on rend aux dieux, aux démons, aux héros : comment peux-tu montrer, mon brave, que ces honneurs qu’ils reçoivent sont dus à un privilège donné par Dieu et non à l’ignorance et à la sottise humaine de ceux qui sont dans l’erreur et sont tombés loin de Celui à qui de plein droit revient l’honneur ? On honore par exemple, comme tu viens de le dire, Celse, le mignon d’Hadrien. Tu ne vas pas dire, je suppose, que le privilège d’être honoré comme dieu a été donné à Antinoos par le Dieu de l’univers ! On dira la même chose des autres, demandant la preuve que le privilège d’être honoré comme dieux leur a été accordé par le Dieu suprême. Si on nous fait la même réplique sur Jésus, nous prouverons que le privilège d’être honoré lui a été donné par Dieu, « pour que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Déjà les prophéties, avant sa naissance, affirmaient son droit à cet honneur. Plus tard les miracles qu’il accomplit, non par magie comme le croit Celse, mais par sa divinité prédite par les prophètes, bénéficiaient du témoignage de Dieu. Ainsi en honorant le Fils qui est Logos, on ne fait rien de déraisonnable : on tire avantage de l’honneur qu’on lui rend et en l’honorant, lui qui est la Vérité, on devient meilleur parce qu’on honore la vérité ; ainsi en est-il quand on honore la Sagesse, la Justice et toutes les prérogatives que les divines Écritures accordent au Fils de Dieu. LIVRE VIII

Faut-il une comparaison entre les temples pour convaincre les partisans de Celse que nous ne refusons pas d’édifier des temples répondant aux autels et aux statues dont on vient de parler, mais que nous répugnons à construire pour l’auteur de toute vie des temples inanimés et morts ? Il suffira de faire entendre à qui le veut l’instruction qu’on nous donne : nos corps sont le temple de Dieu, et si quelqu’un par la licence ou le péché « détruit le temple de Dieu », il sera détruit comme véritablement impie à l’égard du temple véritable. Mais de tous ces temples, le meilleur et le plus excellent était le corps saint et pur de notre Sauveur Jésus. Lui, sachant les manoeuvres dont les impies étaient capables contre le temple de Dieu qui se trouvait en lui, sans toutefois que le dessein de leurs auteurs pût prévaloir sur la divinité qui habitait ce temple, dit à leur adresse : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le rebâtirai. Mais il parlait du temple de son corps. » LIVRE VIII

Certains des justes donc sont de l’escarboucle, d’autres du saphir, d’autres du rubis, d’autres du cristal ; et ainsi les justes forment l’ensemble des pierres choisies et précieuses. Mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer la signification des pierres, la doctrine concernant leur nature, les catégories d’âmes auxquelles on peut attribuer le nom de chaque pierre précieuse. Il suffisait de rappeler brièvement le sens que nous donnons aux temples et celui de l’unique temple de Dieu fait de pierres précieuses. En effet, si les habitants de chaque cité se vantaient de leurs prétendus temples par comparaison avec les autres, dans leur fierté d’avoir des temples plus précieux, ils vanteraient l’excellence des leurs pour prouver l’infériorité des autres. Ainsi, pour répondre à ceux qui critiquent notre refus d’adorer la divinité dans des temples insensibles, nous opposons à ceux-ci les temples tels que nous les concevons ; et nous montrons, à ceux du moins qui ne sont pas insensibles et semblables à leurs dieux insensibles, qu’il n’y a aucune comparaison possible : ni entre nos statues et les statues des nations ; ni entre nos autels et les parfums, si l’on peut dire, qui montent de leurs autels et les graisses et le sang qui y sont offerts ; ni même entre les temples que nous avons indiqués et les temples des êtres insensibles qu’admirent des hommes insensibles qui n’ont pas la moindre idée du sens divin par lequel on atteint Dieu, ses statues, les temples et les autels qui conviennent à Dieu. Ce n’est donc point pour observer un mot d’ordre convenu de notre association secrète et mystérieuse que nous évitons d’édifier des autels, des statues et des temples ; mais parce que nous avons trouvé, grâce à l’enseignement de Jésus, la forme de la piété envers la divinité, nous évitons les attitudes qui sous l’apparence de la piété rendent impies ceux qui s’éloignent de la piété qui a pour médiateur Jésus-Christ : Lui seul est la voie de la piété, puisqu’il dit avec vérité : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie. » LIVRE VIII

Si toutefois les fêtes publiques, qui ne sont telles que de nom, ne présentent aucune raison démonstrative qu’elles s’harmonisent avec le culte offert à la divinité, s’il était prouvé au contraire qu’elles sont des inventions de gens qui les ont instituées d’aventure en relation avec des événements historiques ou des théories naturalistes sur l’eau, la terre, les fruits qu’elle semble produire, il est clair que, pour qui veut honorer la divinité avec le soin requis, il sera raisonnable de s’abstenir de prendre part aux fêtes publiques. En effet, comme dit excellemment un sage grec : « Célébrer une fête n’est rien d’autre que de faire son devoir. » Et c’est même célébrer la fête selon la vérité que de faire son devoir en priant toujours, en ne cessant pas d’offrir à la divinité les sacrifices non sanglants dans les prières. Pour cette raison, je trouve magnifique le mot de Paul : « Vous observez les jours, les mois, les saisons, les années ? J’ai bien peur pour vous d’avoir peut-être chez vous perdu ma peine. » LIVRE VIII

Il est clair que par là j’ai répliqué d’avance à ce qu’il dit ensuite : Ou bien donc il faut absolument renoncer à vivre et à venir ici-bas, ou si on est venu à la vie dans ces conditions, il faut rendre grâce aux démons qui ont reçu en partage les choses de la terre, leur offrir des prémices et des prières toute sa vie, afin d’obtenir leur bienveillance. Certes il faut vivre, et vivre selon la parole de Dieu autant qu’il est possible et qu’il est donné de vivre selon elle. Or cela nous est donné même quand nous mangeons et quand nous buvons en faisant tout pour glorifier Dieu. Il ne faut pas refuser de manger avec action de grâce au Créateur ces choses qui ont été créées pour nous. C’est dans ces conditions que nous avons été amenés par Dieu à cette vie et non pas dans celles qu’imaginé Celse. Ce n’est pas aux démons que nous sommes soumis, mais au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous a menés à lui. Selon les lois de Dieu, aucun démon n’a reçu en partage les choses de la terre. Mais à cause de leur transgression, peut-être se sont-ils partagé ces lieux d’où est absente la connaissance de Dieu et de la vie conforme à ses préceptes, ou dans lesquels affluent les hommes étrangers à la divinité. Peut-être aussi, parce qu’ils étaient dignes de gouverner et de châtier les méchants, le Logos qui administre toutes choses les a mis à la tête de ceux qui se sont soumis au mal et non à Dieu. Voilà pourquoi Celse, dans son ignorance de Dieu, peut bien témoigner aux démons sa reconnaissance. Pour nous, qui rendons grâce au Créateur de l’univers, nous mangeons les pains offerts avec action de grâce et prière sur les oblats, pains devenus par la prière un corps saint et qui sanctifie ceux qui en usent avec une intention droite. LIVRE VIII

A quoi je puis répondre que nous n’insultons personne : nous sommes convaincus que « ceux qui disent des insultes seront exclus du royaume de Dieu »; nous lisons les textes : « Bénissez ceux qui vous maudissent », « bénissez ne maudissez pas » ; nous connaissons la parole : Insultés, nous bénissons. » Et quoique l’insulte trouve une excuse dans la défense à opposer aux torts que l’on craint, même alors la parole de Dieu nous l’interdit ; combien plus doit-on s’abstenir si l’insulte manifeste une grande sottise. Or ce serait pareille sottise que d’insulter la pierre, l’or ou l’argent auxquels on a donné une forme que regardent comme celle des dieux des gens bien éloignés de la divinité. LIVRE VIII

Après cela, croyant que nous appelons Dieu le corps de Jésus torturé et crucifié et non la divinité qui est en lui, et que nous l’avons regardé comme Dieu quand il était torturé et crucifié, il dit : Ton Dieu, on l’a torturé et crucifié en personne et les auteurs de ce forfait n’ont rien souffert. Gomme j’ai longuement parlé plus haut de ce qu’il a souffert dans son humanité, j’omets d’en parler ici à dessein pour ne point paraître me répéter. Puisqu’il ajoute que ceux qui ont torturé Jésus n’ont rien eu à souffrir, pas même dans la suite de leur vie, voici ce que je lui montrerai ainsi qu’à qui veut l’apprendre : la ville dans laquelle le peuple juif a condamné Jésus à être crucifié en criant : « Crucifie, crucifie-le !» – car ils préférèrent que fût délivré ce brigand jeté en prison pour sédition et meurtre et que Jésus qu’on avait livré par envie fût crucifié – cette ville peu de temps après fut attaquée et subit un si long siège qu’elle fut ruinée de fond en comble et dévastée, Dieu jugeant indignes d’avoir part à la vie en communauté ceux qui habitaient ces lieux. Et même il les épargnait, si j’ose employer cette expression étrange, lorsque, les voyant incapables d’une guérison salutaire et destinés à croître de jour en jour dans le flot de leur malice, il les livra à leurs ennemis. Et cela est arrivé à cause du sang de Jésus qui a été répandu par leur complot sur leur terre désormais incapable de supporter ceux qui avaient osé ce forfait contre Jésus. LIVRE VIII

Les Grecs diront que ce sont là des fables, bien que la vérité de ces histoires soit attestée par deux peuples entiers. Mais pourquoi donc les récits des Grecs ne seraient-ils pas des fables plutôt que celles-ci ? Si l’on aborde directement la question sans être arbitrairement prévenu en faveur de ses propres histoires ni incrédules à celles des étrangers, on pourra dire : celles des Grecs viennent des démons, celles des Juifs de Dieu par les prophètes, ou des anges et de Dieu par les anges, et celles des chrétiens de Jésus et de sa puissance qui résidait dans ses apôtres. Qu’on me permette de les comparer toutes entre elles en voyant le but poursuivi par ceux qui les ont accomplies et leur résultat, profit ou dommage ou inefficacité pour ceux qui en ont éprouvé les prétendus bienfaits. On verra sans doute la sagesse de l’antique peuple des Juifs avant qu’il outrageât la divinité. Celle-ci les a plus tard abandonnés pour la gravité de leur malice. Mais elle a miraculeusement rassemblé les chrétiens, amenés dès le début, plus par les prodiges que par la force persuasive des discours, à délaisser les croyances traditionnelles pour choisir celles qui leur étaient étrangères. En effet, s’il faut une explication vraisemblable du rassemblement initial des chrétiens, on dira qu’il n’est pas plausible que les apôtres de Jésus, hommes illettrés et ignorants, aient fondé leur assurance pour annoncer le christianisme aux hommes sur autre chose que sur la puissance qui leur avait été donnée et sur la grâce unie à la parole pour montrer la vérité des faits ; ni non plus que leurs auditeurs aient renoncé à leurs habitudes ancestrales invétérées sans qu’une puissance notable et des actes miraculeux les aient amenés à des doctrines si nouvelles, étrangères à celles dans lesquelles ils avaient été élevés. LIVRE VIII

Après avoir tant insisté là-dessus, voyons encore un autre passage de Celse que voici : Les hommes naissent liés à un corps, soit en raison de l’économie de l’univers, soit en expiation de leur faute, soit parce que l’âme est chargée de passions jusqu’à ce qu’elle soit purifiée à des périodes déterminées. Car, selon Empédocle, il faut que « pendant mille ans erre loin des bienheureux l’âme des mortels changeant de forme avec le temps ». Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison. Observe ici encore qu’en de si graves questions, il hésite d’une manière bien humaine, et il fait preuve de prudence en citant les théories de nombreux auteurs sur la cause de notre naissance, sans oser affirmer que l’une d’elles soit fausse. Mais une fois décidé à ne pas donner son assentiment à la légère et à ne pas opposer un refus téméraire aux opinions des Anciens, ne parvenait-il pas à cette conséquence logique : s’il ne voulait pas croire à la doctrine des Juifs énoncée par leurs prophètes ni à Jésus, il devait rester hésitant et admettre comme probable que ceux qui ont rendu leur culte au Dieu de l’univers et qui, pour l’honneur qui lui est dû et pour l’observation des lois qu’ils croyaient tenir de lui, se sont exposés maintes fois à des dangers sans nombre et à la mort, n’ont pas encouru le mépris de Dieu, mais qu’une révélation leur a été faite à eux aussi : car ils ont dédaigné les statues produites par l’art humain et ont tâché de monter par le raisonnement jusqu’au Dieu suprême lui-même. Ils auraient dû considérer que le Père et Créateur commun de tous les êtres, qui voit tout, entend tout, et juge selon son mérite la détermination de quiconque à le chercher et à vouloir vivre dans la piété, accorde à ceux-là aussi le fruit de sa protection, pour qu’ils progressent dans l’idée de Dieu qu’ils ont une fois reçue. Réfléchissant sur ce point, Celse et ceux qui haïssent Moïse et les prophètes parmi les Juifs, Jésus et ses véritables disciples qui se dépensent pour sa parole, n’auraient pas insulté de la sorte Moïse et les prophètes, Jésus et ses apôtres. Ils ne mettraient pas les seuls Juifs au-dessous de toutes les nations de la terre, en les disant inférieurs même aux Égyptiens qui, par superstition ou toute autre cause ou erreur, ravalent autant qu’ils peuvent jusqu’à des animaux sans raison l’honneur qu’ils doivent à la divinité. LIVRE VIII

Celse a beau dire : Il faut donc rendre des honneurs religieux à ces êtres dans la mesure où c’est notre intérêt, car la raison n’exige pas de le faire sans réserve. Non, il ne faut pas rendre des honneurs aux démons rivés au fumet de graisse et au sang, mais tout faire pour éviter de profaner la divinité en la rabaissant jusqu’aux démons pervers. S’il avait eu une notion exacte de notre intérêt et vu que notre intérêt au sens propre c’est la vertu et l’action conforme à la vertu, Celse n’eût point usé de l’expression « dans la mesure où c’est notre intérêt » à propos de tels êtres en qui lui-même voit des démons. Pour nous, même si le culte de tels démons nous octroie la santé et la réussite temporelle, nous préférons subir la maladie et l’échec temporel avec la conscience d’une religion pure envers le Dieu de l’univers, plutôt que jouir de la santé du corps et de la réussite temporelle dues à la séparation et à la chute loin de Dieu, et finalement la maladie et la misère de l’âme. En somme, c’est à Celui qui n’éprouve nul besoin de rien sinon du salut des hommes et de tout être raisonnable, de préférence à ceux qui aspirent au fumet de graisse et au sang, qu’on doit s’attacher. LIVRE VIII

A quoi il faut répondre : quand l’occasion s’en présente, nous apportons aux empereurs un secours divin, pour ainsi dire, en nous revêtant de « l’armure de Dieu. » Nous le faisons pour obéir à la voix de l’Apôtre qui dit : « Je vous recommande donc avant tout de faire des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité. » Et plus on a de piété, plus on secourt efficacement ceux qui règnent, bien mieux que les soldats qui vont aux combats et tuent autant d’ennemis qu’ils peuvent. Mais voici encore ce qu’on pourrait dire aux étrangers à la foi qui nous demandent de combattre en soldats pour le bien public et de tuer des hommes. Même ceux qui, d’après vous, sont prêtres de certaines statues et gardiens des temples de vos prétendus dieux ont soin de garder leur main droite sans souillure pour les sacrifices, afin d’offrir à ceux que vous dites dieux les sacrifices traditionnels avec des mains pures de sang et de meurtre. Et sans doute, en temps de guerre, vous n’enrôlez pas vos prêtres. Si donc cette conduite est raisonnable, combien plus celle des chrétiens ! Pendant que d’autres combattent en soldats, ils combattent comme prêtres et serviteurs de Dieu ; ils gardent pure leur main droite, mais luttent par des prières adressées à Dieu pour ceux qui se battent justement et pour celui qui règne justement, afin que tout ce qui est opposé et hostile à ceux qui agissent justement puisse être vaincu. De plus, nous qui par nos prières vainquons tous les démons qui suscitent les guerres, font violer les serments et troublent la paix, nous apportons à l’empereur un plus grand secours que ceux que l’on voit combattre. Et nous collaborons aux affaires publiques en faisant monter, dans la justice, nos prières jointes aux exercices et aux méditations qui enseignent à mépriser les plaisirs et à ne plus les avoir pour guides. Plus que d’autres nous combattons pour l’empereur. Nous ne servons pas avec ses soldats, même s’il l’exige, mais nous combattons pour lui en levant une armée spéciale, celle de la piété, par les supplications que nous adressons à la divinité. LIVRE VIII