connaissance (Orígenes)

Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa doctrine n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa doctrine et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux doctrines des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma doctrine et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la mort pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I

Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de Moïse prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la doctrine sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II

En effet, parce que la médecine est utile et nécessaire au genre humain, et qu’elle comporte bien des questions débattues sur la manière de soigner les corps, on trouve, pour cette raison, dans la médecine chez les Grecs des écoles assez nombreuses, de l’aveu de tous ; il en va de même, je suppose, chez les barbares, chez ceux du moins qui font profession de pratiquer la médecine. De son côté, la philosophie, promettant la vérité et la connaissance des êtres, prescrit comment il faut vivre et s’efforce d’enseigner ce qui est utile à notre race et l’objet de ses recherches présente une grande diversité ; pour cette raison, se sont constituées dans la philosophie des écoles si nombreuses, les unes célèbres, les autres moins. De plus, le judaïsme offrit le prétexte à la naissance de sectes dans l’interprétation différente donnée aux écrits de Moïse et aux discours prophétiques. Dès lors aussi, quand le christianisme prit sa valeur aux yeux des hommes, non seulement du ramassis d’esclaves que croit Celse, mais de nombreux lettrés grecs, inévitablement des sectes se formèrent, nullement du fait des rivalités et de l’esprit de querelle, mais parce que bon nombre de ces lettrés, eux aussi, s’efforçaient de comprendre les mystères du christianisme. Le résultat de leurs interprétations différentes des Écritures, que tous ensemble croyaient divines, fut la naissance de sectes patronnées par des auteurs que leur admiration pour l’origine de la doctrine n’avait pas empêchés d’être incités d’une manière ou de l’autre, pour des raisons plausibles, à des vues divergentes. Mais il serait déraisonnable de fuir la médecine à cause de ses écoles ; déraisonnable aussi, si l’on vise au mieux, de haïr la philosophie en alléguant pour justifier cette antipathie la multitude de ses écoles ; déraisonnable de même, à cause des sectes du judaïsme, de condamner les livres sacrés de Moïse et des prophètes. LIVRE III

Et s’il y a là une vue cohérente, pourquoi ne pas justifier de même les sectes entre les chrétiens ? A leur sujet, Paul me paraît avoir dit de manière tout à fait admirable : « C’est qu’il faut qu’il y ait même chez vous des sectes, pour permettre aux hommes de vertu éprouvée de se manifester parmi vous. » De même en effet que pour être un médecin éprouvé, il faut, après l’expérience acquise dans les différentes écoles, un examen judicieux de leur grand nombre pour pouvoir choisir la meilleure ; de même que, pour être un philosophe éminent, il faut avoir eu connaissance de nombreux systèmes, se les être assimilés et s’être attaché au plus solide ; de la même façon, dirais-je, il faut avoir scruté avec soin les sectes du judaïsme et du christianisme pour être un chrétien d’une science très profonde. Et blâmer notre doctrine, à cause des sectes, serait aussi bien blâmer l’enseignement de Socrate, parce que de son école sont issues beaucoup d’autres aux doctrines divergentes. De plus, on devrait blâmer les doctrines de Platon parce qu’Aristote a cessé de fréquenter son école pour en ouvrir une nouvelle, j’en ai parlé plus haut. Mais Celse me semble avoir eu connaissance de certaines sectes qui n’ont même pas en commun avec nous le nom de Jésus. Peut-être a-t-il entendu parler des « Ophites » et « Caïnites » ou de tout autre secte semblable qui a entièrement abandonné Jésus. D’ailleurs, il n’y aurait rien là qui mérite un blâme à la doctrine chrétienne. LIVRE III

Ensuite, à propos des pratiques des Égyptiens, qui parlent avec respect même des animaux sans raison et affirment qu’ils sont des symboles de la divinité, ou quelque titre qu’il plaise à leurs prophètes de leur donner, il dit : Elles provoquent chez ceux qui ont acquis ce savoir l’impression que leur initiation ne fut pas vaine. Quant aux vérités que nous présentons à ceux qui ont une connaissance approfondie du christianisme dans nos discours faits sous l’influence de ce que Paul appelle « don spirituel », dans le discours de sagesse « grâce à l’Esprit », dans le discours de science « selon l’Esprit» », Celse semble n’en avoir pas la moindre idée. On le voit non seulement d’après ce qu’il vient de dire, mais encore d’après le trait qu’il lance plus tard contre la société des chrétiens quand il dit qu’ils excluent tout sage de la doctrine de leur foi, mais se bornent à inviter les ignorants et les esclaves ; ce que nous verrons en son temps, en arrivant au passage. Il affirme même que nous nous moquons des Égyptiens. Cependant, ils proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, puisqu’ils enseignent que ce sont là des hommages rendus non à des animaux éphémères, comme le pense la foule, mais à des idées éternelles. Tandis que c’est une sottise de n’introduire dans les explications sur Jésus rien de plus vénérable que les boucs ou les chiens de l’Egypte. A quoi je répondrai : tu as raison, mon brave, de relever dans ton discours que les Égyptiens proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, et des explications obscures sur leurs animaux ; mais tu as tort de nous accuser dans ta persuasion que nous ne disons que de méprisables sottises quand nous discutons en détail les mystères de Jésus, selon la sagesse du Logos, avec ceux qui sont parfaits dans le christianisme. Paul enseigne que de telles gens sont capables de comprendre la sagesse du christianisme quand il dit : « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d’une sagesse de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont à leur perte. Nous parlons au contraire d’une sagesse de Dieu, ensevelie dans le mystère, dès avant les siècles fixée par Dieu pour notre gloire, et qu’aucun des princes de ce siècle n’a connue. » LIVRE III

Celse pour montrer qu’il a lu beaucoup d’histoires grecques cite encore celle de Cléomède d’Astypalée, et raconte : Celui-ci entra dans un coffre, s’enferma à l’intérieur, et on ne put l’y retrouver, mais il s’en était envolé par une providence miraculeuse, lorsqu’on vint briser le coffre pour le prendre. Cette histoire, si elle n’est pas une fiction comme elle semble l’être, n’est point comparable à celle de Jésus ; car la vie de ces hommes ne présente aucune preuve de la divinité qu’on leur attribue, alors que celle de Jésus a pour preuves les églises de ceux qu’il a secourus, les prophéties faites à son sujet, les guérisons accomplies en son nom, la connaissance de ces mystères dans la sagesse et la raison que l’on trouve chez ceux qui s’appliquent à dépasser la simple foi et à scruter le sens des Écritures ; car tel est l’ordre de Jésus : « Scrutez les Écritures », telle est l’intention de Paul qui a enseigné que nous devons « savoir répondre à chacun » comme il se doit, et celle d’un autre auteur qui a dit : « Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque demande raison de la foi qui est en vous. » Mais Celse veut qu’on lui accorde qu’il ne s’agit pas d’une fiction : à lui de dire le dessein de la puissance surhumaine qui a fait envoler Cléomède de l’intérieur du coffre par une providence miraculeuse. Car s’il présente de cette faveur faite à Cléomède une raison valable et une intention digne de Dieu, on jugera de la réponse à lui faire. Mais s’il demeure embarrassé pour en donner la moindre raison plausible, parce que, de toute évidence, cette raison est impossible à trouver, ou bien en accord avec ceux qui ont refusé d’admettre cette histoire, on prouvera sa fausseté, ou bien on dira qu’en faisant disparaître l’homme d’Astypalée, un démon a joué un tour semblable à ceux des sorciers et trompé les regards ; et cela contre Celse qui a pensé qu’un oracle divin avait déclaré qu’il s’était envolé du coffre par une providence miraculeuse. LIVRE III

De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III

Il est également faux que les maîtres de la divine doctrine ne veuillent convaincre que les gens niais, vulgaires, stupides : esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants. Même eux, le Logos les appelle pour les améliorer ; mais il appelle aussi ceux qui leur sont bien supérieurs : car le Christ est « Sauveur de tous les hommes, et surtout des croyants », qu’ils soient intelligents ou simplets, « il est victime de propitiation devant son Père pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais pour ceux du monde entier ». Il est dès lors superflu de vouloir répondre à ces paroles de Celse : D’ailleurs, quel mal y a-t-il donc à être cultivé, à s’être appliqué aux meilleures doctrines, à être prudent et à le paraître ? Est-ce un obstacle à la connaissance de Dieu ? Ne serait-ce pas plutôt une aide et un moyen plus efficace de parvenir à la vérité ? Assurément, il n’y a pas de mal à être réellement cultivé : car la culture est le chemin vers la vertu. Cependant, compter au nombre des gens cultivés ceux qui professent des doctrines erronées, les sages mêmes de la Grèce n’y souscriraient pas. Par ailleurs, qui ne reconnaîtrait que c’est un bien de s’être appliqué aux meilleures doctrines? Mais qu’appellerons-nous les meilleures doctrines, sinon celles qui sont vraies et invitent à la vertu ? De plus, s’il est bien d’être prudent, ce ne l’est plus de le paraître, comme l’a dit Celse. Et loin d’être un obstacle à la connaissance de Dieu, c’est une aide que d’être cultivé, de s’être appliqué aux meilleures doctrines, d’être prudent. Plutôt qu’à Celse, c’est à nous qu’il revient de le dire, surtout si on le convainc d’épicurisme. LIVRE III

Puis, sentant bien qu’il nous avait injuriés avec trop d’aigreur, et comme pour s’excuser, il poursuit : Je n’accuse pas avec plus d’aigreur que la vérité ne m’y contraint, qu’on veuille bien en accepter cette preuve. Ceux qui appellent aux autres initiations proclament: « Quiconque a les mains pures et la langue avisée », et d’autres encore : « Quiconque est pur de toute souillure, dont l’âme n’a conscience d’aucun mal, et qui a bien et justement vécu »: voilà ce que proclament ceux qui promettent la purification des péchés. Ecoulons, au contraire, quels hommes appellent ces chrétiens : « Quiconque est pécheur, quiconque faible d’esprit, quiconque petit enfant, bref quiconque est malheureux, le Royaume de Dieu le recevra. » Or, par pécheur, n’entendez-vous pas l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux ? Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? Voici notre réponse : ce n’est pas la même chose d’appeler les malades de l’âme à la santé, et les bien portants à la connaissance et à la science de choses divines. Nous aussi, nous savons établir cette distinction. Au début, invitant les hommes à la guérison, nous exhortons les pécheurs à venir aux doctrines qui enseignent à éviter le péché, les faibles d’esprit aux doctrines qui affinent l’intelligence, les petits enfants à s’élever jusqu’à des sentiments virils, bref, les malheureux au bonheur, plus précisément à la béatitude. Et quand, parmi ceux que nous exhortons, les progressants se montrent purifiés par le Logos, menant autant que possible une vie meilleure, alors nous les appelons à l’initiation parfaite, « car nous parlons sagesse parmi les parfaits ». LIVRE III

Ce n’est donc pas aux mystères et à la participation de la sagesse « mystérieuse et demeurée cachée que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour la gloire » de ses justes, que nous appelons l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux, ni tous les autres que par amplification peut y joindre Celse ; mais, c’est à la guérison. Il y a dans la divinité du Logos des aspects qui aident à guérir les malades dont il parle : « Les bien portants n’ont pas besoin de médecins, mais les malades » ; il y en a d’autres qui découvrent à ceux qui sont purs de corps et d’esprit « la révélation du mystère, enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifesté tant par les écrits des prophètes que par l’apparition de Notre Seigneur Jésus-Christ » qui se manifeste à chacun des parfaits, illuminant leur esprit pour une connaissance véridique des réalités. Mais, comme, amplifiant ses griefs contre nous, il termine son énumération de vauriens par ce trait : « Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? », je répliquerai : un brigand appelle bien de tels individus pour utiliser leur perversité contre les hommes qu’il veut tuer et dépouiller ; mais le chrétien, en appelant les mêmes individus que le brigand, leur lance un appel différent, pour bander leurs blessures par le Logos, et verse dans l’âme enflammée de maux les remèdes du Logos qui, comme le vin, l’huile, le lait, et les autres médicaments, soulagent l’âme. Il calomnie ensuite nos exhortations orales ou écrites à ceux qui ont mal vécu, les appelant à se convertir et à réformer leur âme, et il assure que nous disons : Dieu a été envoyé aux pécheurs. C’est à peu près comme s’il reprochait à certains de dire : c’est pour les malades habitant dans la ville qu’un médecin y a été envoyé par un roi plein d’humanité. Or « le Dieu Logos a été envoyé », médecin « aux pécheurs », maître des divins mystères à ceux qui, déjà purs, ne pèchent plus. Mais Celse, incapable de faire la distinction – car il n’a pas voulu approfondir -, objecte : Pourquoi n’a-t-il pas été envoyé à ceux qui sont sans péché ? Quel mal y a-t-il à être sans péché ? A quoi je réplique : si par ceux qui sont sans péché il veut dire ceux qui ne pèchent plus, notre Sauveur Jésus leur a été envoyé à eux aussi, mais non comme un médecin ; mais si par ceux qui sont sans péché il entend ceux qui n’ont jamais péché – car il n’y a pas de distinction dans son texte -, je dirai qu’il est impossible qu’il y ait dans ce sens un homme sans péché, à l’exception de l’homme que l’esprit discerne en Jésus, « qui n’a pas commis de péché ». Méchamment donc, Celse nous attribue l’affirmation : Que l’injuste s’humilie dans le sentiment de sa misère, Dieu l’accueillera ; mais que le juste dans sa vertu originelle lève les yeux vers lui, il refusera de l’accueillir. Nous soutenons en effet qu’il est impossible qu’un homme dans sa vertu originelle lève les regards vers Dieu. Car la malice existe nécessairement d’abord dans l’homme, comme le dit Paul : « Le précepte est venu, le péché a pris vie, et moi, je suis mort. » De plus, nous n’enseignons pas qu’il suffise à l’injuste de s’humilier dans le sentiment de sa misère pour être accueilli par Dieu, mais que s’il se condamne lui-même pour ses actes antérieurs, et s’il s’avance humble pour le passé, rangé pour l’avenir, Dieu l’accueillera. LIVRE III

Puis, comme de la bouche de notre maître de doctrine, il énonce : Les sages repoussent ce que nous disons, égarés et entravés qu’ils sont par leur sagesse. A cela donc je répondrai : s’il est vrai que « la sagesse » est la science « des choses divines et humaines » et de leurs causes, ou comme la définit la parole divine : « le souffle de la puissance de Dieu, l’effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, le reflet de la gloire éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté », jamais un véritable sage ne repoussera ce que dit un chrétien qui a une vraie connaissance du christianisme, ni ne sera égaré et entravé par la sagesse. Car la vraie sagesse n’égare pas, mais bien l’ignorance, et la seule réalité solide est la science et la vérité qui proviennent de la sagesse. Si, contrairement à la définition de la sagesse, on donne le nom de sage à qui soutient par des sophismes n’importe quelle opinion, nous admettrons que celui que qualifie cette prétendue sagesse repousse les paroles de Dieu, égaré et entravé qu’il est par des raisons spécieuses et des sophismes. Mais d’après notre doctrine, « la science du mal n’est pas la sagesse » ; « la science du mal » pour ainsi parler, réside en ceux qui tiennent des opinions fausses et sont abusés par des sophismes ; aussi dirai-je qu’elle est chez eux ignorance plutôt que sagesse. LIVRE III

J’en viens à un quatrième livre contre les objections qui suivent, après avoir prié Dieu par le Christ. Puissent m’être données de ces paroles dont il est écrit dans Jérémie, quand le Seigneur parlait au prophète : « Voici que j’ai mis dans ta bouche mes paroles comme un feu, voici que je t’ai établi en ce jour sur les nations et les royaumes, pour déraciner et pour détruire, pour perdre et pour abattre, pour bâtir et pour planter. » J’ai besoin désormais de paroles capables de déraciner les idées contraires à la vérité de toute âme trompée par le traité de Celse ou par des pensées semblables aux siennes. J’ai aussi besoin d’idées qui renversent les édifices de toute opinion fausse et les prétentions de l’édifice de Celse dans son traité, pareilles à la construction de ceux qui disent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel. » J’ai encore besoin d’une sagesse qui abatte toutes les puissances altières qui s’élèvent « contre la connaissance de Dieu », et la puissance altière de la jactance de Celse qui s’élève contre nous. Et puisque je ne dois pas me borner à déraciner et à détruire toutes ces erreurs, mais, à la place de ce qui est déraciné, planter la plantation du champ de Dieu, à la place de ce qui est détruit, construire l’édifice de Dieu et le temple de la gloire de Dieu, voilà autant de raisons pour lesquelles je dois prier le Seigneur, dispensateur des dons mentionnés dans Jérémie, de me donner à moi aussi des paroles efficaces pour bâtir l’édifice du Christ et planter la loi spirituelle et les paroles des prophètes qui s’y rapportent. Il me faut surtout établir, contre les objections actuelles de Celse faisant suite aux précédentes, que l’avènement du Christ a bel et bien été prédit. En effet, il se dresse à la fois contre les Juifs et les chrétiens : les Juifs qui refusent que la venue du Christ soit déjà réalisée mais espèrent qu’elle aura lieu, et les chrétiens qui professent que Jésus est le Christ prédit, et il affirme : Voici la prétention de certains chrétiens et des Juifs : un Dieu ou Fils de Dieu, selon les uns est descendu, selon les autres descendra sur la terre pour en juger les habitants : propos si honteux qu’il n’est pas besoin d’un long discours pour le réfuter. Il semble bien parler avec exactitude quand il dit, non pas certains Juifs, mais tous les Juifs croient que quelqu’un descendra sur la terre, tandis que certains chrétiens seulement disent qu’il est descendu. Il veut indiquer ceux qui établissent par les Écritures juives que la venue du Christ a déjà eu lieu, et il paraît connaître l’existence de sectes qui nient que le Christ Jésus soit la personne prophétisée. Or j’ai déjà établi plus haut de mon mieux que le Christ avait été prophétisé ; aussi ne reviendrai-je pas sur les nombreuses preuves qui pourraient être fournies sur ce point, afin d’éviter les redites. Vois donc que s’il avait voulu, avec une logique au moins apparente, renverser la foi aux prophéties ou à l’avènement futur ou passé du Christ, il devait citer les prophéties mêmes auxquelles, chrétiens ou Juifs, nous avons recours dans nos débats. Ainsi il eût, du moins en apparence, détourné ceux qui sont attirés, à l’en croire, par leur caractère spécieux, de l’adhésion aux prophéties et de la foi, fondée sur elles, en Jésus comme au Christ. LIVRE IV

Si tu veux ma réponse aux plus ridicules propos de Celse, entends-le dire : Mais peut-être Dieu, méconnu parmi les hommes, et se jugeant par là diminué, voudrait-il être reconnu et mettre à l’épreuve les croyants et les incrédules, tout comme les parvenus avides d’ostentation ? C’est là prêter à Dieu une ambition excessive et trop humaine! Ma réponse est que Dieu, méconnu par la méchanceté des hommes, voudrait être reconnu, non qu’il s’en juge diminué, mais parce que sa connaissance délivre du malheur celui qui le reconnaît. De plus, ce n’est pas dans le dessein de mettre à l’épreuve les croyants ou les incrédules qu’il habite lui-même dans certains par sa mystérieuse et divine puissance ou leur envoie son Christ ; c’est pour écarter de tout malheur les croyants qui accueillent sa divinité et pour ôter aux incrédules l’occasion d’excuser leur manque de foi sous prétexte qu’ils n’ont pas entendu son enseignement. Dès lors, quel argument peut montrer que, dans la logique de notre doctrine, Dieu serait d’après nous comme les parvenus avides d’ostentation ? Loin d’être avide d’ostentation à notre égard quand il désire nous faire connaître et comprendre son excellence, Dieu veut implanter en nous la félicité qui naît dans nos âmes du fait qu’il est connu de nous ; et il prend à coeur, par le Christ et l’incessante venue du Logos, de nous faire recevoir l’intimité avec lui. La doctrine chrétienne ne prête donc à Dieu aucune ambition humaine. LIVRE IV

Mais je ne sais pourquoi, après de vaines sornettes sur ce que je viens de dire, il explique : Ce n’est pas pour lui que Dieu désire être connu, c’est pour notre salut qu’il veut nous donner connaissance de lui-même: pour que ceux qui la reçoivent, devenant vertueux, soient sauvés, ceux qui la refusent, manifestant leur malice, soient châtiés. Cela posé, il objecte : Est-ce donc maintenant, après tant de siècles, que Dieu s’est souvenu de juger la vie des hommes, alors qu’auparavant il n’en avait cure ? A cela je répondrai : il n’est pas de temps où Dieu n’ait voulu juger la vie des hommes. En outre, il a toujours eu soin de donner des occasions de vertu, et aussi de réformer l’être raisonnable. A chaque génération, la sagesse de Dieu, pénétrant dans les âmes des hommes qu’elle trouve pieux, en fait des amis de Dieu et des prophètes. Et on pourrait certes trouver dans les livres sacrés ceux qui en chaque génération furent pieux et capables de recevoir l’esprit divin, et s’employèrent de leur mieux à convertir leurs contemporains. LIVRE IV

Il y a en effet comme des formes différentes du Logos, sous lesquelles il apparaît à chacun selon le degré de sa progression vers la connaissance, qu’il soit débutant, progressant peu ou prou, déjà proche de la vertu, ou établi en elle. Ce n’est donc pas dans le sens où veulent l’entendre Celse et ses semblables que notre Dieu « s’est transfiguré » et qu’ayant gravi « la haute montagne », il a montré sa propre forme, différente et bien plus belle que celle que voyaient ceux qui étaient restés en bas et n’avaient pu l’accompagner sur le sommet. LIVRE IV

Au lecteur du livre de Celse de voir s’il n’insinue point cela dans le passage : « Ils ont tenté de rattacher leur généalogie à une première génération de sorciers et de vagabonds, invoquant le témoignage de paroles obscures, équivoques, comme cachées dans l’ombre. » Ces noms sont bien cachés, soustraits à la lumière et à la connaissance de la foule. D’après nous ils ne sont pas équivoques, même employés par les étrangers à notre religion ; mais d’après Celse, qui n’établit pas le caractère équivoque de ces paroles, je ne sais pourquoi ils sont à rejeter. Pourtant, s’il avait voulu judicieusement réfuter la généalogie que les Juifs s’étaient arrogée, d’après lui, avec une impudence extrême en se vantant d’Abraham et de ses descendants, il lui aurait fallu citer tous les passages concernant le sujet, soutenir d’abord l’opinion qui lui paraissait plausible, et ensuite réfuter sérieusement au nom de la vérité qu’il voyait et des arguments en sa faveur, les passages relatifs au sujet. Mais ni Celse, ni personne d’autre ne pourra, discutant la question de la nature des noms employés pour les miracles, en donner une explication exacte, et convaincre qu’on peut facilement dédaigner des hommes dont les noms même à eux seuls ont du pouvoir, non seulement chez leurs compatriotes, mais encore chez les étrangers. LIVRE IV

A celui qui donne une interprétation allégorique profonde de ce passage, qu’il touche juste ou non dans l’allégorie, nous dirons : est-ce aux seuls Grecs qu’il est permis de trouver des vérités philosophiques sous des significations cachées, ainsi qu’aux Égyptiens et à tous ceux des barbares qui prennent au sérieux la vérité de leurs mystères ; tandis que les seuls Juifs, leur Législateur et leurs écrivains t’ont paru les plus sots de tous les hommes, et que cette seule nation n’a reçu aucune part de la puissance divine, elle qui a été instruite à s’élever si magnifiquement jusqu’à la nature incréée de Dieu, à fixer les yeux sur lui seul, à placer en lui seul ses espérances ? Celse raille encore le passage sur le serpent qui se rebelle contre les prescriptions que Dieu fit à l’homme, tenant le propos pour un conte de bonnes femmes. Il s’abstient volontairement de mentionner le « jardin » et la manière dont il est dit que Dieu l’a planté « en Eden, au Levant », et qu’ensuite « il fit pousser du sol toute espèce d’arbres attrayants à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal », puis les paroles qui s’y ajoutent, capables par elles-mêmes d’inciter le lecteur de bonne foi à voir que tout cela peut, sans inconvenance, être compris au sens figuré. Alors, comparons-lui les paroles de Socrate sur Amour dans le “Banquet” de Platon, et qu’on attribue à Socrate censé plus vénérable que tous ceux qui en traitent dans le “Banquet”. Voici le passage de Platon : « Le jour où naquit Aphrodite banquetaient les dieux, entre autres, le fils d’Invention, Expédient. Au sortir du festin s’en vint mendier Pauvreté, car on avait fait bombance, et elle se tenait à la porte. LIVRE IV

Ensuite, comme s’il avait quelques secrets sur l’origine du mal, mais les taisait pour ne dire que ce qui est adapté aux foules, il ajoute qu’il suffit de dire à la foule sur l’origine du mal que le mal ne vient pas de Dieu, qu’il est inhérent à la matière et réside dans les êtres mortels. Or il est bien vrai que le mal ne vient pas de Dieu. Car selon notre Jérémie il est clair que : « De la bouche du Seigneur ne sortent pas le mal et le bien. » Mais pour nous il n’est pas vrai que la matière qui réside dans les êtres mortels soit la cause du mal. L’esprit de chacun est cause de sa malice personnelle : c’est elle le mal ; les maux sont seulement les actions qu’elle commande, et pour nous, à parler en rigueur de termes, rien d’autre n’est un mal. Mais je sais que le sujet requiert une discussion et une argumentation développées : grâce à un don de Dieu illuminant l’esprit, elles peuvent être menées à bien par celui que Dieu juge digne de pareille connaissance. LIVRE IV

Après cela, comme s’il s’acharnait à rabaisser davantage la race des hommes en les assimilant aux êtres sans raison, et voulait ne rien omettre des traits qui manifestent la supériorité qui est dans les êtres sans raison, il déclare que même les pouvoirs de la magie sont aussi dans quelques-uns des êtres sans raison, en sorte que, jusqu’en cette matière, les hommes ne sauraient se glorifier spécialement, ni prétendre détenir la supériorité sur les êtres sans raison. Voici ses paroles : Mais si les hommes tirent vanité des pouvoirs de la magie, même en cette matière encore, serpents et aigles ont plus de science : ils connaissent du moins beaucoup de remèdes contre les poisons et les maladies, ainsi que les vertus de certaines pierres qu’ils utilisent pour sauver leurs petits; les hommes, s’ils les trouvent, s’estiment en possession d’un merveilleux trésor. Et d’abord, je ne sais pourquoi il donne le nom de magie à la connaissance de contrepoisons naturels dont les animaux ont soit l’expérience, soit une perception naturelle ; car le mot de magie a d’ordinaire une autre acception. Peut-être, cependant, veut-il, en épicurien, attaquer sans en avoir l’air tout usage de ces pratiques qui aurait pour base la prétention des sorciers. Malgré cela, en lui concédant que les hommes, sorciers ou non, tirent vanité de la connaissance de ces secrets, est-ce une raison de dire que les serpents ont plus de science que les hommes en cette matière, pour la raison qu’ils emploient le fenouil pour aviver leur vue et se mouvoir plus vite, quand c’est pour eux un don naturel venant non du raisonnement, mais de leur constitution. Les hommes n’y arrivent point par la seule nature, à la manière des serpents, mais soit par expérience, soit par la raison et parfois par l’exercice du raisonnement scientifique. De même, si les aigles, pour sauver leurs petits dans leur nid, y portent l’aétite qu’ils trouvent, pourquoi conclure que les aigles ont une science, et même une science supérieure à celle des hommes qui ont, par expérience, découvert grâce à leur raisonnement et employé avec intelligence ce secours naturellement donné aux aigles ? Mais accordons que d’autres contrepoisons soient connus des animaux. LIVRE IV

Donc, si les oiseaux et tous les autres animaux divinateurs prévoient par don de Dieu l’avenir et nous l’enseignent par des signes, ils semblent être par nature d’autant plus proches de l’union avec Dieu, plus savants et plus chers à Dieu. Des hommes intelligents disent même qu’il y a entre les oiseaux des entretiens, évidemment plus saints que les nôtres; eux-mêmes comprennent quelque peu leurs paroles; la preuve qu’ils donnent en pratique de cette compréhension est que, quand ils ont prévenu que les oiseaux leur ont annoncé qu’ils iraient à tel endroit pour y faire une chose ou l’autre, ils montrent qu’ils y vont bien et font ce qu’en fait ils avaient prédit. En outre, nul ne semble plus fidèle au serment, plus docile à la divinité que les éléphants, sans aucun doute parce qu’ils ont quelque connaissance de Dieu. Voilà bien comme il tranche et donne comme avérés bien des points en question chez les philosophes tant grecs que barbares, qui ont découvert ou appris de certains démons les secrets des oiseaux et des autres animaux par qui, dit-on, certains pouvoirs de divination ont été communiqués aux hommes. LIVRE IV

Aussi bien, entre autres choses que je trouve admirables en Moïse, je signalerai comme dignes d’admiration sa connaissance des différentes natures des animaux, et le fait que, pour avoir appris de Dieu la vérité sur eux et sur les démons apparentés à chaque animal, ou bien pour l’avoir trouvé par ses progrès en sagesse, il ait, dans sa liste des animaux, déclaré impurs tous ceux que les Égyptiens et le reste des hommes considèrent comme aptes à la divination, et généralement purs ceux qui ne sont pas de cette espèce. Sont impurs pour Moïse le loup, le renard, le dragon, l’aigle, le faucon et leurs pareils. Et en général, non seulement dans la Loi, mais aussi dans les prophètes on peut trouver que ces animaux sont donnés en exemple des vices les plus odieux, et que jamais le loup et le renard n’y sont nommés en bonne part. Il semble donc qu’il y ait affinité entre chaque espèce de démons et chaque espèce d’animaux. Et comme, parmi les hommes, il en est de plus forts que d’autres, indépendamment de tout caractère moral, ainsi des démons peuvent être plus forts que d’autres en matières indifférentes. Certains utilisent des animaux déterminés pour tromper les hommes, suivant l’intention de celui que les Écritures appellent « le prince de ce siècle », et d’autres prédisent par l’intermédiaire d’une autre espèce. LIVRE IV

Elle était divine, tandis que le grand Ulysse, l’ami de l’Athéna d’Homère, n’était pas divin, mais il se réjouit quand il comprit le présage annoncé par la meunière divine, au dire du poète : « Et le divin Ulysse fut plein de joie à ce présage. » Considère donc que si les oiseaux ont l’âme divine et sentent Dieu, ou, comme le dit Celse, les dieux, manifestement, nous aussi les hommes, quand nous éternuons nous le faisons parce qu’une divinité est présente en nous qui accorde à notre âme une puissance divinatrice. C’est chose attestée par un grand nombre. D’où ces mots du poète : « Mais lui éternua en faisant un voeu » ; et ces mots de Pénélope : « Ne vois-tu pas ? Mon fils a éternué à toutes tes paroles. » La véritable Divinité n’emploie, pour la connaissance de l’avenir, ni les animaux sans raison, ni les hommes quelconques, mais les plus saintes et les plus pures des âmes humaines qu’elle inspire et fait prophétiser. C’est pourquoi, entre autres admirables paroles contenues dans la Loi de Moïse, il faut placer celle-ci : « Gardez-vous de prendre des auspices et d’observer les oiseaux » ; et ailleurs : « Car les nations que le Seigneur ton Dieu anéantira devant toi écouteront présages et divinations ; mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu. » Et il ajoute immédiatement : « Le Seigneur ton Dieu te suscitera un prophète parmi tes frères. » Et Dieu, voulant un jour détourner par un devin de la pratique de la divination, fit parler son esprit par la bouche d’un devin : « Car il n’y a pas de présage en Jacob, ni de divination en Israël ; mais en son temps il sera dit à Jacob et à Israël ce que Dieu voudra. » Reconnaissant donc la valeur de telles injonctions et d’autres semblables, nous tenons à garder ce commandement qui a un sens mystique : « Avec grand soin garde ton coeur », afin qu’aucun des démons ne pénètre dans notre esprit, et qu’aucun des esprits hostiles ne tourne à son gré notre imagination. Mais nous prions pour que resplendisse « dans nos coeurs la lumière de la connaissance de la gloire de Dieu », l’Esprit de Dieu résidant dans notre imagination et nous suggérant des images dignes de Dieu : car « ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». LIVRE IV

Je ne sais comment Celse a entendu parler d’un serment des éléphants et cru savoir qu’ils sont plus dociles à la divinité que nous et ont une connaissance de Dieu. Pour ma part, je sais des traits nombreux et admirables qu’on raconte de la nature de cet animal et de sa douceur, mais je ne me souviens vraiment pas que quelqu’un ait parlé de serments d’éléphants1, à moins peut-être d’appeler fidélité au serment leur douceur et la sorte de convention qu’ils passent avec les hommes une fois qu’ils tombent sous leur dépendance ; cela même est également faux. LIVRE IV

J’aborde maintenant un cinquième livre contre le traité de Celse, pieux Ambroise : non pour me livrer à un bavardage injustifiable puisqu’il n’irait pas sans péché, mais je fais de mon mieux pour ne laisser sans examen aucun de ses propos, notamment là où d’aucuns pourraient croire qu’il a dirigé des critiques pertinentes contre nous ou contre les Juifs. S’il m’était possible, par ce discours, de pénétrer la conscience de chaque lecteur de son ouvrage, d’en arracher tout trait blessant une âme que ne protège pas entièrement l’armure de Dieu, d’appliquer un remède spirituel guérissant la blessure causée par Celse, blessure empêchant qui se fie à ses arguments d’être robuste dans la foi, c’est bien ce que j’aurais fait. Mais c’est l’oeuvre de Dieu d’habiter invisiblement par son Esprit et l’Esprit du Christ ceux qu’il juge devoir habiter. Pour moi, en tâchant, par des discours et des traités, de raffermir les hommes dans la foi, je dois faire tous mes efforts pour mériter le titre d’ouvrier qui n’a pas à rougir, de fidèle dispensateur de «la parole de la vérité». Et l’un de ces efforts me semble être de réfuter de mon mieux les arguments plausibles de Celse, exécutant avec confiance le mandat que tu m’as donné. Je vais donc citer les arguments de Celse qui suivent ceux auxquels j’ai déjà répondu – au lecteur de juger si je les ai renversés -, je vais leur opposer mes réfutations. Que Dieu m’accorde de ne point aborder mon sujet en laissant mon esprit et ma raison purement humains et vides d’inspiration divine, « pour que la foi » de ceux que je désire aider « ne repose pas sur la sagesse des hommes », mais que je reçoive de son Père qui seul peut l’accorder « la pensée du Christ » et la grâce de participer au Logos de Dieu, et qu’ainsi je puisse détruire « toute puissance altière qui s’élève contre la connaissance de Dieu » et la suffisance de Celse qui s’élève contre nous et contre notre Jésus, et encore contre Moïse et les prophètes. Et que celui qui donne « aux messagers son Logos avec une grande puissance » me l’accorde à moi aussi et me fasse don de cette grande puissance, et que naisse chez les lecteurs la foi fondée sur le Logos et la puissance de Dieu ! LIVRE V

Non assurément ! Après avoir été instruit à s’élever noblement au-dessus de toutes les choses créées et à espérer de Dieu les plus glorieuses récompenses d’une vie très vertueuse ; après avoir entendu la parole : « Vous êtes la lumière du monde », « que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux»; quand on s’efforce d’acquérir ou qu’on a même acquis déjà la sagesse resplendissante et inaltérable qui « est un reflet de la lumière éternelle », – il ne serait pas raisonnable de se laisser impressionner par la lumière sensible du soleil, de la lune ou des étoiles au point de penser qu’à cause de leur lumière sensible on leur est inférieur, alors qu’on possède une aussi puissante lumière intelligible de connaissance, « lumière véritable, lumière du monde, lumière des hommes », et de les adorer. S’il avait fallu les adorer, ce n’est point leur lumière sensible, admirée de la foule, qui eût mérité l’adoration, mais la lumière intelligible et véritable, à supposer que les étoiles du ciel soient des êtres vivants raisonnables et vertueux, illuminés de la lumière de la connaissance par la sagesse qui est « le rayonnement de la lumière éternelle ». Et en effet, leur lumière sensible est l’ouvrage du Créateur de l’univers, tandis que la lumière intelligible qu’ils possèdent peut-être eux aussi dérive encore de leur liberté. LIVRE V

Ils disent : « Allons ! Faisons des briques et cuisons-les au feu ! » Ils rendent ferme et compact ce qui était matière boueuse, prétendent transformer la brique en pierre et la boue en bitume, et par ce moyen construire « une ville et une tour » dont ils comptent « faire monter le sommet jusqu’au ciel » dans l’exaltation de leur orgueil contre la connaissance de Dieu. Alors, dans la mesure où chacun s’est plus ou moins éloigné du Levant, dans la mesure où il a transformé les briques en pierre et la boue en bitume, ils sont livrés à des anges plus ou moins sévères, de telle ou telle nature, jusqu’à ce que chacun ait subi le châtiment de ses audaces. Et ces anges inspirent à chacun sa langue particulière et les conduisent ensuite jusqu’aux parties de la terre qu’ils méritent, par exemple les uns à une région brûlante, les autres à une région d’un froid rigoureux pour ceux qui l’habitent, les uns à une région difficile à cultiver les autres à une autre qui l’est moins, les uns à une région remplie de fauves, les autres à une autre qui en est moins pourvue. LIVRE V

Et cet homme qui professe tout savoir ajoute ces déclarations :” Tous ces gens si radicalement séparés, qui dans leurs querelles se réfutent si honteusement eux-mêmes, on les entendra répéter : le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde”. Voilà tout ce que Celse paraît avoir retenu de Paul. Pourquoi donc ne citerais-je pas tant d’autres passages comme celui-ci : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, pour la cause de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses. Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu. » LIVRE V

5. Ensuite, que soudain comme d’une flamme jaillissante surgit une lumière dans l’âme, le Logos l’a su le premier, au dire du prophète : « Illuminez-vous vous-mêmes de la lumière de la connaissance. » Et Jean, qui a vécu après lui, dit encore : « Ce qui fut fait » était « vie » dans le Logos, « et la vie était la lumière des hommes, lumière véritable, qui éclaire tout homme qui vient dans le monde » véritable et intelligible, et qui le constitue « lumière du monde ». Car « il a fait luire cette lumière dans nos coeurs pour qu’y resplendisse l’Évangile de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ ». C’est pourquoi un prophète très ancien, dans ses prédictions antérieures de plusieurs générations au règne de Cyrus qu’il précède de quatorze générations, a pu dire : « Le Seigneur est mon illumination et mon Sauveur : qui craindrai-je ? » ; « Ta loi est un flambeau sur mes pas, une lumière sur mon sentier » ; « La lumière de ta face est scellée sur nous, Seigneur » ; « Par ta lumière nous voyons la lumière. » C’est à cette lumière que le Logos nous exhorte dans Isaïe : « Illumine-toi, illumine-toi, Jérusalem ; car voici ta lumière, et sur toi s’est levée la gloire du Seigneur. » Et ce même auteur prophétise sur la venue de Jésus qui détournerait du culte des idoles, des statues et des démons : « Une lumière s’est levée pour ceux qui se tenaient dans le pays et l’ombre de la mort » ; et de nouveau : « Le peuple qui se tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » LIVRE VI

Celse cite un autre texte de Platon : Il m’est venu à l’esprit de parler plus longuement du sujet en question : peut-être offre-t-il sur les points dont je parle quelque chose de plus clair que ce qui en a été dit. Il y a une vraie raison qui s’oppose à ce qu’on ait l’audace d’écrire quoi que ce soit en pareille matière, raison souvent donnée par moi précédemment mais que je crois devoir répéter ici encore. Pour chacun des êtres, les facteurs indispensables à l’acquisition de leur connaissance sont au nombre de trois; vient en quatrième lieu la connaissance elle-même; en cinquième il faut poser cela même qui précisément est connaissable et réel. Premier facteur, le nom; deuxième, la définition; troisième, l’image; quatrième, la connaissance. D’après cette théorie, nous pourrions dire : Jean introduit avant Jésus comme « voix de celui qui crie dans le désert » correspond au « nom » de Platon. LIVRE VI

Mais comme nous appliquons le terme image à une chose différente, nous disons plus clairement qu’après le Logos il y a dans l’âme l’empreinte des plaies, c’est-à-dire le Christ vivant en chacun, provenant du Christ-Logos. Et qui en est capable saura si le Christ, d’après nous sagesse qui réside dans ceux qui sont parfaits, correspond au quatrième facteur qui est la connaissance. LIVRE VI

Celse, par ses redites, semble faire tout son possible pour me contraindre à des redites quand il ajoute, en vantard qu’il est, aux vantardises qui précèdent : Platon ne se vante ni ne ment, prétendant trouver du neuf ou venir du ciel nous l’annoncer : il avoue la source de cette connaissance. A quoi on peut répliquer, si l’on veut répondre à Celse, que même Platon se vante quand il fait dire à Zeus dans la harangue du Timée : « Dieux, fils de dieux, dont je suis créateur et père, etc. » Ira-t-on justifier ces expressions par le sens que leur donne Zeus dans sa harangue chez Platon ? Mais alors pourquoi, si l’on étudie les sens des paroles du Fils de Dieu, ou de celles du Créateur chez les prophètes, n’aurait-on pas bien plus à dire que Zeus dans sa harangue du Timée ? Ce qui caractérise la divinité, c’est l’annonce d’événements futurs : leur prédiction dépasse la nature humaine, leur accomplissement permet de juger que celui qui l’annonce est l’esprit divin. LIVRE VI

Il est vrai qu’il s’agit là d’une opinion ancienne ; mais non, comme le croit Celse, que l’ancienneté de cette distinction remonte à Héraclite et à Platon. Avant eux, les prophètes avaient distingué chacune des deux sagesses. Il suffit pour le moment de citer, parmi les paroles de David, celle qui a trait au sage inspiré par la divine sagesse : « Même s’il voit mourir les sages, il ne verra pas la corruption. » Aussi, la sagesse divine, qui diffère de la foi, est le premier de ce qu’on appelle les charismes de Dieu. Après elle le second, aux yeux de ceux qui ont une science précise en ce domaine, est ce qu’on appelle la connaissance. Et le troisième est la foi, puisqu’il faut que soient sauvés même les plus simples qui s’adonnent de leur mieux à la pitié. LIVRE VI

D’où la déclaration de Paul : « A l’un, un discours de sagesse est donné par l’Esprit, à l’autre un discours de connaissance selon le même Esprit, à un autre la foi dans le même Esprit. » Pour cette raison, ce ne sont pas les premiers venus que l’on pourrait trouver en possession de la divine sagesse, mais ceux qui sont éminents et supérieurs parmi tous les adhérents au christianisme ; et ce n’est point aux plus incultes, aux esclaves, aux moins instruits que l’on divulgue les secrets de la sagesse divine. LIVRE VI

Ensuite, dans son propos de vilipender les passages de nos Écritures relatifs au Royaume de Dieu, il n’en cite aucun, comme s’ils étaient indignes même d’une mention, ou peut-être parce qu’il n’en connaissait pas. Mais il cite des passages de Platon tirés des Lettres et du Phèdre; il les donne comme des paroles inspirées, tandis que nos Écritures n’auraient rien de tel. Prenons-en quelques exemples pour les comparer aux sentences de Platon qui ne manquent pas de puissance persuasive, mais n’ont pourtant pas disposé le philosophe à vivre d’une manière digne de lui dans la piété envers le Créateur de l’univers ; il n’aurait dû ni adultérer ni souiller cette piété par ce que nous nommons l’idolâtrie, ou d’un terme courant, par la superstition. Il est dit de Dieu, dans le psaume dix-septième : « Dieu a fait des ténèbres sa retraite. » Cette tournure hébraïque signifie que les idées de Dieu qui seraient dignes de lui restent secrètes et inconnaissables ; car il s’est comme voilé lui-même d’obscurité pour les esprits qui ne supportent pas l’éclat de sa connaissance, incapables de le voir, en raison soit de la souillure qui affecte l’intelligence liée au corps de misère des hommes, soit de sa trop faible capacité de comprendre Dieu. LIVRE VI

Et pour faire voir que la connaissance de Dieu a été rarement accordée aux hommes et ne se trouvait que chez un très petit nombre, il est écrit que Moïse « pénétra dans la ténèbre où était Dieu », et encore de Moïse : « Moïse seul s’approchera de Dieu, les autres ne s’en approcheront pas. » Et encore, pour montrer que la profondeur des idées sur Dieu se trouve incompréhensible à ceux qui ne possèdent pas l’Esprit qui scrute tout et jusqu’aux « profondeurs de Dieu », le prophète a dit : « L’abîme comme un vêtement l’enveloppe. » LIVRE VI

De plus, notre Sauveur et Seigneur, le Logos de Dieu montre la sublimité de la connaissance de son Père, car il n’est compris et connu comme il le mérite que de lui seul principalement, et secondairement de ceux qui ont l’esprit illuminé par lui-même, qui est Logos et Dieu. Il déclare donc : « Nul n’a connu le Fils si ce n’est le Père, ni le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils le révélera . » Personne en effet ne peut connaître dignement l’Incréé, Premier-né de toute la nature créée, comme le Père qui l’a engendré, ni le Père comme le Logos vivant, sa Sagesse et sa Vérité. En se communiquant, il écarte du Père ce qui est appelé les ténèbres dont il fait sa retraite et l’abîme présenté comme son vêtement : il révèle ainsi le Père et quiconque a la capacité de le connaître connaît le Père. LIVRE VI

A en juger par ces paroles, je crois pouvoir conjecturer qu’il a tiré en partie sa description du diagramme des doctrines mal comprises de la secte fort obscure des Ophites. Dans mon avidité de savoir, j’ai fini par découvrir ce diagramme. On y trouve les inventions de ces hommes qui, au dire de Paul, « s’introduisent dans les maisons et envoûtent des femmelettes chargées de péchés, entraînées par toutes sortes de passions et qui, toujours à s’instruire, ne sont jamais capables de parvenir à la connaissance de la vérité ». Mais ce diagramme comporte tant d’invraisemblance qu’il n’obtient l’assentiment ni des femmelettes faciles à duper, ni des plus rustres prêts à se laisser convaincre par la moindre vraisemblance. J’ai eu beau parcourir bien des régions de la terre, rechercher partout ceux qui font profession de savoir, je n’ai jamais rencontré personne qui prît au sérieux l’enseignement de ce diagramme. LIVRE VI

Tel me paraît avoir été le but de Celse lorsqu’il allègue que les chrétiens appellent le Créateur Dieu maudit : il voulait qu’ajoutant foi à ses attaques contre nous, on fût amené, si possible, à détruire les chrétiens comme les plus impies de tous les hommes. Il confond les sujets et il prétend expliquer la raison pour laquelle le Dieu de la création mosaïque est appelé maudit, en en affirmant : Ce Dieu est vraiment digne de malédiction au jugement de ceux qui le regardent comme tel, puisqu’il a maudit le serpent qui apportait la connaissance du bien et du mal aux premiers hommes. LIVRE VI

Celse revient alors aux sept démons archontes, dont les noms ne sont absolument pas donnés par les chrétiens, mais, je crois , sont transmis par les Ophites. Et j’ai même trouvé dans le diagramme que je me suis procuré pour cette étude un ordre semblable à celui de Celse. Celse disait que le premier est figuré sous la forme d’un lion, mais il ne cite pas le nom que lui donnent ces gens réellement très impies. J’ai trouvé que l’ange du Créateur célébré dans les saintes Écritures, d’après ce diagramme scélérat, est Michel à forme de lion. Puis Celse dit que le suivant, le second est un taureau; le diagramme que j’avais dit que c’est Suriel à figure de taureau. Pour Celse, le troisième est un amphibie aux sifflements horribles; pour le diagramme, ce troisième est Raphaël à forme de dragon. Puis Celse affirmait que le quatrième a une forme d’aigle; le diagramme disait que Gabriel est cet être à forme d’aigle. Celse affirmait ensuite que le cinquième a la face d’un ours; le diagramme, que Thauthabaoth est l’être à forme d’ours. Ensuite, disait Celse, on raconte chez eux que le sixième a une face de chien; le diagramme affirmait que c’est Érathaoth. Celse affirmait enfin que le septième a une face d’âne et se nomme Thaphabaoth ou Onoel; j’ai trouvé dans le diagramme que celui qu’on appelle Onoel ou Thartharaoth a bien une forme d’âne. J’ai jugé bon de donner ces indications précises pour ne point paraître ignorer ce que Celse prétendait savoir et pour prouver que nous, chrétiens, nous en avons une connaissance plus précise que la sienne, et que ce sont des doctrines non pas des chrétiens, mais de gens totalement étrangers au salut et qui refusent absolument à Jésus les titres de Sauveur, de Dieu, de Maître, de Fils de Dieu. LIVRE VI

Après quoi, Celse conte d’autres fables : Il y a des hommes qui reviennent aux formes des Archontes, en sorte que les uns deviennent lions, d’autres taureaux, d’autres serpents, aigles, ours, chiens. J’ai aussi trouvé, dans le diagramme que j’avais, ce que Celse a nommé un tétragone et les formules que prononcent aux portes du paradis ces malheureux. L’épée flamboyante était dessinée comme le diamètre d’un cercle de feu, pour garder l’arbre de la connaissance et de la vie. LIVRE VI

Notre généreux adversaire ne s’est pas contenté de ce qu’il tire du diagramme, mais pour gonfler ses accusations contre nous, qui n’avons rien de commun avec ce diagramme, il a voulu introduire d’autres griefs, où il répète en nous les attribuant les propos de ces hérétiques. Il dit en effet : Mais voici ce qui de leur part n’est pas le moins étonnant: les interprétations qu’ils donnent de certaines inscriptions entre les plus hauts cercles hyper célestes, entre autres ces deux là, « plus grand » et « plus petit », pour désigner le Fils et le Père. Dans ce diagramme, j’ai bien trouvé le grand cercle et le petit ; sur leurs diamètres étaient inscrits « Père » et « Fils » ; entre le grand cercle dans lequel était tracé le petit, et un autre formé de deux cercles, l’un à l’extérieur jaune, et à l’intérieur l’autre bleu, était la barrière inscrite en forme de hache double ; au-dessus d’elle un petit cercle, touchant le plus grand des précédents, où était inscrit « charité », et plus bas un autre, touchant le cercle, avec pour inscription « vie » ; dans le second cercle, fait de lignes entrelacées et renfermant deux autres cercles et une autre figure rhomboïde, était l’inscription : « Providence de la sagesse » ; et à l’intérieur de leur section commune, l’inscription « nature de la sagesse » ; mais plus haut que leur section commune, il y avait un cercle où était inscrit « connaissance » et, plus bas, un autre où était inscrit « intelligence ». LIVRE VI

Pour expliquer le récit mosaïque de la création, il faudrait un long commentaire : je l’ai fait de mon mieux, bien avant d’entreprendre ce traité contre Celse, en discutant durant plusieurs années selon ma capacité d’alors les six jours du récit mosaïque de la création du monde. Il faut bien savoir pourtant que le Logos promet aux justes par Isaïe qu’il y aura encore des jours à la restauration où « le Seigneur » lui-même et non plus le soleil sera « leur lumière éternelle et où Dieu sera leur gloire ». Mais pour avoir mal compris, je pense, une secte pernicieuse qui explique à tort le mot « que la lumière soit ! » comme exprimant un souhait de la part du Créateur, Celse ajouta : Ce n’est tout de même pas de la manière dont on allume sa lampe à celle du voisin que le Créateur a emprunté d’en haut la lumière ! Et, pour avoir mal compris une autre secte impie, il dit encore : S’il y avait un dieu maudit ennemi du Grand Dieu, créant contre sa volonté, pourquoi lui prêterait-il sa lumière ? Loin de moi l’idée de répondre à ces critiques ! Je veux au contraire plus nettement convaincre ces gens d’erreur et me dresser, non pas à la manière de Celse contre celles de leurs affirmations dont je n’ai pas connaissance, mais contre celles que je connais avec précision soit pour les avoir entendues d’eux-mêmes, soit pour avoir lu soigneusement leurs traités. LIVRE VI

Voyons le passage qui suit. Il paraît mettre en scène un personnage qui, après avoir entendu ces paroles, demanderait : Comment donc puis-je connaître Dieu ? Comment puis-je apprendre la voie qui mène là-haut ? Comment me le montres-tu ? Car pour l’instant, c’est de l’obscurité que tu répands devant mes yeux et je ne puis rien voir de distinct. Ensuite, il esquisse la réponse à pareille difficulté et, croyant donner la raison de l’obscurité qu’il a répandue devant les yeux de celui qui vient de parler, il dit : Ceux que l’on conduit des ténèbres à une éclatante lumière, ne pouvant en supporter les rayons, ont la vue offusquée et affaiblie et se croient aveugles. On répondra : ceux-là sont assis dans les ténèbres et y demeurent qui arrêtent le regard sur toutes les oeuvres mauvaises des peintres, des modeleurs, des sculpteurs, sans vouloir regarder plus haut et s’élever par l’esprit du visible et de tout le sensible jusqu’au Créateur de l’univers qui est lumière. Mais celui-là se trouve dans la lumière qui suit les rayons du Logos, car le Logos a montré quelle ignorance, quelle impiété et quel manque de connaissance sur la divinité conduisent à adorer ces choses à la place de Dieu ; et il a guidé jusqu’au Dieu incréé et suprême l’esprit de qui veut être sauvé. « Car le peuple qui était assis dans l’obscurité », celui des Gentils, « a vu une grande lumière, et la lumière s’est levée pour ceux qui sont assis dans la région et l’ombre de la mort », le Dieu Jésus. LIVRE VI

Croyant que nous enseignons le mystère de la résurrection pour connaître et voir Dieu, il invente des griefs à plaisir : Pressés de toutes parts et confondus, comme s’ils n’avaient rien compris ils ne cessent de revenir à la même question : comment donc connaître et voir Dieu? Comment aller à lui ? Qu’on le sache donc si on le désire : pour d’autres fonctions, on a besoin d’un corps, parce qu’on se trouve dans un lieu matériel, et d’un corps approprié à la nature du lieu matériel ; ayant besoin du corps, on revêt par-dessus la tente les qualités dont on a parlé. Mais pour connaître Dieu, il n’est nul besoin du corps. La connaissance de Dieu ne dépend pas de l’oeil du corps, mais de l’esprit : celui-ci voit ce qui est à l’image du Créateur et il a reçu de la providence de Dieu le pouvoir de connaître Dieu. Et ce qui voit Dieu, c’est le coeur pur d’où ne proviennent plus pensées perverses, ni meurtres, ni adultères, ni fornications, ni vols, ni faux témoignages, ni diffamations ni regard mauvais, ni aucune autre inconvenance». Aussi est-il dit : « Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu » Et comme notre libre détermination n’est pas suffisante pour nous donner un coeur entièrement pur, mais que nous avons besoin de Dieu qui le crée tel, pour cette raison l’homme qui prie avec l’intelligence dit : « Dieu, crée en moi un coeur pur. » LIVRE VI

Celse pense que Dieu est connu soit par la synthèse qui domine les autres choses, semblable à la synthèse dont parlent les géomètres, soit par l’analyse qui le distingue des autres choses, soit encore par une analogie semblable à la leur, si toutefois on est capable d’arriver par cette méthode au vestibule du Bien. Mais en disant : « Personne ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le Fils le révèle » le Logos de Dieu déclare qu’on connaît Dieu par une faveur divine, inséparable d’une action de Dieu dans l’âme qui y produit une sorte de transport divin. Il est bien normal que la connaissance de Dieu dépasse la nature humaine ; de là, dans l’humanité, tant d’erreurs sur Dieu. Mais grâce à la bonté et à l’amour de Dieu pour les hommes, par une faveur miraculeuse proprement divine, cette connaissance de Dieu parvient à tous ceux qui y ont été prédestinés, du fait que Dieu savait d’avance qu’ils vivraient d’une manière digne de Dieu qu’ils auraient connu : ils ne falsifieraient en rien la religion envers lui, même si ceux qui n’ont aucune idée de la religion et l’imaginent tout autre qu’elle n’est réellement les conduisaient à la mort, même s’ils les jugeaient ridicules à l’excès. LIVRE VI

C’est bien la manière dont les disciples de Jésus considèrent ce qui est sujet à la génération, s’en servant comme d’un degré pour arriver à comprendre la nature des réalités intelligibles. Car « les ?uvres invisibles de Dieu », c’est-à-dire les réalités intelligibles, « depuis la création du monde, grâce aux choses créées se laissent voir » par l’acte de l’esprit. Cependant, après s’être élevés des choses créées du monde aux ?uvres invisibles de Dieu, ils ne s’arrêtent pas. Mais, après s’être suffisamment exercés par elles et les avoir comprises, ils montent jusqu’à l’éternelle puissance de Dieu, bref, à sa divinité. Il savent que Dieu dans son amour pour les hommes a manifesté la vérité et ce qu’on peut connaître de lui-même non seulement à ceux qui lui sont consacrés, mais encore à ceux qui sont étrangers à la pure religion et à la piété envers lui. Malheureusement, certains, élevés par la Providence de Dieu à la connaissance de si hautes réalités, ont une conduite indigne de cette connaissance, commettent l’impiété, retiennent « la vérité captive dans l’injustice » et, du fait de leur connaissance de ces hautes réalités, ils ne sauraient plus trouver une chance d’excuse auprès de Dieu. LIVRE VI

Telle est du moins l’attestation du divin Logos sur ceux qui ont accepté les idées que présente Celse et professent une philosophie en accord avec ces doctrines : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements », et après la vive lumière de la connaissance des réalités que Dieu leur a manifestées, «leur coeur inintelligent s’est enténébré ». LIVRE VI

Mais ceux qu’ils méprisent pour leur manque de culture et qu’ils traitent de fous et d’esclaves, du seul fait qu’ils se confient à Dieu après avoir reçu l’enseignement de Jésus, s’abstiennent de l’immoralité, de l’impureté et de toute l’indécence de l’union charnelle, au point que, comme les prêtres parfaits qui se sont interdits toute union, beaucoup d’entre eux se tiennent non seulement à l’écart de toute relation charnelle, mais dans une pureté parfaite. Sans doute chez les Athéniens il y a un hiérophante qui, se jugeant incapable de maîtriser sa virilité et de la dominer à sa guise, amortit par la ciguë sa virilité, et qu’on juge assez pur pour vaquer au culte traditionnel des Athéniens. Mais chez les chrétiens on peut voir des hommes qui n’ont pas besoin de ciguë pour servir Dieu dans la pureté ; au lieu de la ciguë, il leur suffit de la doctrine pour qu’ils servent Dieu dans la prière et chassent de leur pensée toute convoitise. Auprès des autres dieux prétendus, des vierges en tout petit nombre, gardées ou non par des hommes, il n’y a pas lieu de le chercher ici, semblent passer leur vie dans la pureté pour honorer la divinité. Chez les chrétiens, ce n’est pas les honneurs humains, ri un salaire ou des dons en argent, ni la gloriole qui leur font observer une virginité parfaite ; et comme « elles se sont plu à retenir la vraie connaissance de Dieu », Dieu les garde dans un esprit qui lui plaît et « pour faire ce qui convient », remplies de toute justice et toute bonté. LIVRE VI

Eh bien, voyons ce qu’il déclare ensuite : Tenons-nous en là ! Ils ne peuvent tolérer la vue des temples, des autels, des statues. Mais les Scythes non plus, ni les Nomades de Libye, ni les Sères, peuple sans dieu, ni d’autres nations sans foi ni loi. C’est aussi le sentiment des Perses, ainsi que le rapporte Hérodote : « Les Perses, à ma connaissance, observent les coutumes suivantes: ils n’ont pas l’usage d’élever des statues, ni des temples, ni des autels ; au contraire, ils taxent de folie ceux qui le font ; la raison en est, à mon avis, qu’ils n’ont jamais pensé, comme les Grecs, que les dieux soient de même nature que les hommes. » Bien plus, voici à peu près ce que déclare Héraclite : « Et encore ces statues qu’ils prient, comme si l’on bavardait avec des maisons. Ils ne savent rien de la vraie nature des dieux et des héros. » Que nous enseignent-ils donc de plus sage qu’Héraclite ? Lui, du moins, insinue qu’il est stupide de prier les statues quand on ne connaît pas la vraie nature des dieux et des héros. LIVRE VI

Vois donc là encore combien il s’accorde de points qui exigent un examen sérieux et même une connaissance des profondes et mystérieuses doctrines sur la direction de l’universelle réalité. En effet, il faut examiner en quel sens tout est régi conformément à la volonté de Dieu, et si cette direction s’étend oui ou non jusqu’aux péchés. Car si cette direction s’étend même aux péchés commis non seulement parmi les hommes mais encore par les démons et tous les autres êtres incorporels qui sont capables de pécher, il faut voir l’absurdité qu’impliqué cette parole : tout est régi conformément la volonté de Dieu. La conséquence en serait que même les péchés et tout ce qui provient du vice sont régis conformément à la volonté de Dieu ; ce qui n’est pas la même chose que dire : cela arrive parce que Dieu ne s’y oppose pas. Mais à prendre « être régi » au sens propre, on veut dire que les conséquences du vice sont régies, car il est clair que tout est régi conformément à la volonté de Dieu ; et ainsi, quiconque pèche ne commet pas de faute contre la direction de Dieu. LIVRE VI

Il est clair que par là j’ai répliqué d’avance à ce qu’il dit ensuite : Ou bien donc il faut absolument renoncer à vivre et à venir ici-bas, ou si on est venu à la vie dans ces conditions, il faut rendre grâce aux démons qui ont reçu en partage les choses de la terre, leur offrir des prémices et des prières toute sa vie, afin d’obtenir leur bienveillance. Certes il faut vivre, et vivre selon la parole de Dieu autant qu’il est possible et qu’il est donné de vivre selon elle. Or cela nous est donné même quand nous mangeons et quand nous buvons en faisant tout pour glorifier Dieu. Il ne faut pas refuser de manger avec action de grâce au Créateur ces choses qui ont été créées pour nous. C’est dans ces conditions que nous avons été amenés par Dieu à cette vie et non pas dans celles qu’imaginé Celse. Ce n’est pas aux démons que nous sommes soumis, mais au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous a menés à lui. Selon les lois de Dieu, aucun démon n’a reçu en partage les choses de la terre. Mais à cause de leur transgression, peut-être se sont-ils partagé ces lieux d’où est absente la connaissance de Dieu et de la vie conforme à ses préceptes, ou dans lesquels affluent les hommes étrangers à la divinité. Peut-être aussi, parce qu’ils étaient dignes de gouverner et de châtier les méchants, le Logos qui administre toutes choses les a mis à la tête de ceux qui se sont soumis au mal et non à Dieu. Voilà pourquoi Celse, dans son ignorance de Dieu, peut bien témoigner aux démons sa reconnaissance. Pour nous, qui rendons grâce au Créateur de l’univers, nous mangeons les pains offerts avec action de grâce et prière sur les oblats, pains devenus par la prière un corps saint et qui sanctifie ceux qui en usent avec une intention droite. LIVRE VIII

Celse en tout cas devine qu’il de la connaissance de ces pratiques à la magie et, conscient du dommage qui en résulterait pour ses auditeurs, il dit : Il faut toutefois, quand on s’unit à ces démons, prendre garde qu’on ne soit absorbé par le culte à leur rendre et que par amour du corps on ne se détourne des biens supérieurs et on ne soit retenu loin d’eux en les oubliant. Peut-être ne faut-il pas refuser de croire les sages : ils disent que la plupart des démons terrestres, absorbés dans la génération, rivés au sang et au fumet de graisse, liés par des incantations et d’autres pratiques de ce genre, ne peuvent rien de mieux que de guérir les corps, prédire leur destinée prochaine d l’individu et à la cité, et que leur science et leur puissance ne s’étendent qu’aux activités mortelles. LIVRE VIII