circoncision (Orígenes)

Après cela, sans critiquer la circoncision qui est en usage chez les Juifs, il déclare qu’elle est venue des Egyptiens. Il a cru aux Egyptiens plus qu’à Moïse, selon qui le premier des hommes à être circoncis fut Abraham. Mais Moïse n’est pas le seul à rapporter le nom d’Abraham et sa familiarité avec Dieu. Maints charmeurs de démons emploient dans leurs formules l’expression « le Dieu d’Abraham » ; ils obtiennent de l’effet par la vertu du nom et de la familiarité entre Dieu et son juste. C’est pourquoi ils adoptent l’expression « le Dieu d’Abraham », sans savoir qui est Abraham. Il faut en dire autant d’Isaac, de Jacob et d’Israël : bien que ces noms, de l’aveu de tous, soient hébreux, les Egyptiens qui se targuent d’un pouvoir magique en parsèment fréquemment leurs formules. Mais, le sens de la circoncision, pratique inaugurée par Abraham, abrogée par Jésus qui ne voulait pas que ses disciples l’observent, n’a pas à être exposé pour l’instant. Il s’agit non pas d’instruire à ce sujet, mais de lutter pour détruire les griefs lancés contre la doctrine des Juifs par Celse ; car il pense montrer plus vite que le christianisme est faux s’il en établit la fausseté par l’attaque de sa source dans le judaïsme. LIVRE I

Mais qu’on nous montre où se trouve même l’apparence d’un mot de Jésus dit par arrogance ! Arrogant celui qui dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coer, et vous trouverez soulagement pour vos âmes »? Arrogant, celui qui, au cours d’un repas, « quitte son manteau » en présence de ses disciples, ceint « un linge », verse « l’eau dans un bassin », lave « les pieds de chacun », et inflige un blâme à celui qui refuse de les présenter : « Si je ne te lave pas, tu n’as plus de part avec moi » ? Arrogant, celui qui affirme : « Et moi, j’ai été au milieu de vous, non comme celui qui est à table, mais comme celui qui sert »? Qu’on montre de même quels mensonges il a dit, qu’on présente ses grands et ses petits mensonges pour établir que Jésus a dit de grands mensonges ! Il y a encore une autre manière de réfuter Celse : c’est que, comme un mensonge n’est pas plus mensonger qu’un mensonge, ainsi n’est-il pas davantage plus grand ; tout comme une vérité n’est pas plus vraie qu’une vérité ou une plus grande vérité. Et que le Juif de Celse rapporte surtout quelles sont les impiétés de Jésus ! Est-ce impiété de renoncer, dans leur acception littérale, à la circoncision, aux sabbats, aux fêtes, aux nouvelles lunes, aux aliments purs ou impurs, et de tourner l’esprit vers une loi digne de Dieu, véritable, spirituelle, quand celui qui est en ambassade pour le Christ a su « se faire Juif pour les Juifs afin de gagner les Juifs », « et comme un sujet de la loi pour les sujets de la loi afin de gagner les sujets de la loi ». LIVRE II

A l’objection qu’on fera : les Samaritains aussi sont persécutés pour leur religion, voici la réponse : les Sicaires sont mis à mort pour la circoncision regardée comme une mutilation contraire aux lois établies et permise aux seuls Juifs. Il n’arrive jamais qu’on entende un juge donner le choix, au Sicaire qui lutte pour mener une vie conforme à ce qu’il tient pour sa religion, entre la libération s’il change et, s’il persévère, la peine de mort : mais il suffit qu’on découvre sa circoncision pour qu’on mette à mort le circoncis. Suivant les paroles de leur Sauveur : « Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi », c’est aux seuls chrétiens que les juges laissent jusqu’au dernier soupir pleine liberté de renier le christianisme, d’offrir des sacrifices suivant les usages communs et après ce serment de demeurer chez eux pour y vivre sans danger. LIVRE II

Et comme c’est un Juif qui tient ces propos chez Celse, on pourrait lui dire et toi donc, mon brave, pourquoi enfin cette différence tu croîs divines les oevres que d’après tes Écritures Dieu accomplit par Moïse, et tu tâches de les justifier contre ceux qui les calomnient comme des effets de la sorcellerie, analogues à ceux qu’accomplissent les sages d’Egypte ; tandis que celles de Jésus dont tu reconnais l’existence, suivant l’exemple des Egyptiens qui te critiquent, tu les accuses de n’être pas divines ? Si en effet le résultat final, la nation entière constituée par les prodiges de Moïse, prouve évidemment que c’était Dieu l’auteur de ces miracles au temps de Moïse, comment cet argument ne sera-t-il pas plus démonstratif pour le cas de Jésus, auteur d’une plus grande oevre que celle de Moïse ? Car Moïse a pris ceux de la nation formée de la postérité d’Abraham qui avaient gardé le rite traditionnel de la circoncision, observateurs décidés des usages d’Abraham, et il les conduisit hors d’Egypte en leur imposant les lois que tu croîs divines. Jésus, avec une autre hardiesse, substitua au régime antérieur, aux habitudes ancestrales, aux manières de vivre d’après les lois établies, le régime de l’Évangile. Et, tout comme les miracles que Moïse fit d’après les Écritures étaient nécessaires pour lui obtenir l’audience non seulement de l’assemblée des Anciens, mais encore du peuple, pourquoi Jésus lui aussi, pour gagner la foi d’un peuple qui avait appris à demander des signes et des prodiges, n’aurait-il pas eu besoin de miracles capables, par leur grandeur et leur caractère divin supérieurs si on les compare à ceux de Moïse, de les détourner des fables juives et de leurs traditions humaines, et de leur faire accepter que l’auteur de cette doctrine et de ces prodiges était plus grand que les prophètes ? Comment donc n’était-il pas plus grand que les prophètes, lui que les prophètes proclament Christ et Sauveur du genre humain ? Bien plus, toutes les attaques du Juif de Celse contre ceux qui croient en Jésus peuvent se retourner en accusation contre Moïse , en sorte qu’il n’y a pas ou presque pas de différence à parler de la sorcellerie de Jésus et de celle de Moïse, tous deux pouvant, à s’en tenir a l’expression du Juif de Celse, être l’objet des mêmes critiques. Par exemple le Juif de Celse dit a propos du Christ « O lumière et vérité ! De sa propre voix, il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers ». Mais a propos de Moïse, celui qui ne croît pas à ses miracles, qu’il soit d’Egypte ou de n’importe ou, pourrait dire au Juif « O lumière et vérité ! De sa propre voix, Moïse annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers » Car il est écrit dans votre loi : « Que surgisse en toi un prophète ou un faiseur de songes qui te propose un signe ou un prodige, et qu’ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s’il te dit alors « Allons suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas et servons les », vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur » etc… L’un, dans sa critique des paroles de Jésus, dit encore « Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges » L’autre, dans l’application de ce trait à Moïse, dira « Et il nomme un prophète faiseur de songes habile à contrefaire ces prodiges ». Et de même que le Juif de Celse dit de Jésus : « Il ne nie pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » , ainsi, qui ne croît pas aux miracles de Moïse lui dira la même chose en citant la phrase précédente « Il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » Et ainsi fera-t-il pour cette parole « Sous la contrainte de la vérité, Moïse a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne ». Et quand le Juif déclare « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la divinité de l’un et a la sorcellerie des autres ? » on pourrait lui répondre à cause des paroles de Moïse déjà citées « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la qualité de prophète et serviteur de Dieu de l’un et a la sorcellerie des autres ? » Mais insistant davantage, Celse ajoute aux comparaisons que j’ai citées « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? » On ajoutera à ce qui était dit « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à la méchanceté des gens auxquels Moïse défend de croire malgré leur étalage de signes et de prodiges, et non plutôt à la méchanceté de Moïse, quand il attaque les autres pour leurs signes et leurs prodiges ? » Il multiplie les paroles dans le même sens pour avoir l’air d’amplifier sa brève argumentation : « Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. » Qui donc désigne ce « lui-même » ? Toi, Juif, tu dis que c’est Jésus ; mais celui qui t’accuse comme sujet aux mêmes critiques rapportera ce « lui-même » à Moïse. LIVRE II

La circoncision des Juifs n’a pas la même raison que la circoncision des Égyptiens ou des Colchidiens. Aussi ne faut-il pas y voir une circoncision identique à la leur. De même que le sacrificateur ne sacrifie pas à la même divinité, même s’il semble offrir des rites sacrificiels semblables, et que l’homme qui prie ne prie pas la même divinité, même si les demandes des prières sont identiques, ainsi il est faux de dire qu’il n’y ait aucune différence entre les circoncisions, puisqu’elles deviennent tout autres par le but, la loi, l’intention de celui qui les pratique. Pour mieux le faire comprendre on peut dire encore : le nom de la justice est le même pour tous les Grecs. Mais la preuve en est faite : autre est la justice d’Épicure, autre celle des Stoïciens qui nient la division tripartite de l’âme, autre celle des Platoniciens qui voient dans la justice un acte de chacune des parties de l’âme. De même, autre est le courage d’Épicure qui supporte des peines pour en éviter un plus grand nombre, autre celui du Stoïcien qui choisit toute vertu pour elle-même, autre celui du Platonicien qui soutient que c’est une vertu de la partie irascible de l’âme et la localise autour de la poitrine. Ainsi, selon les différentes doctrines de ceux qui se font circoncire, la circoncision peut être différente. C’est un sujet dont il n’est pas nécessaire de parler maintenant dans un traité comme celui-ci ; si on aimait voir les motifs qui m’ont amené à cette position, qu’on lise sur ce point mon commentaire sur l’Épître de Paul aux Romains. LIVRE V

Les Juifs, il est vrai, s’enorgueillissent de leur circoncision, la distinguant non seulement de celle des Colchidiens et des Égyptiens, mais encore de celle des Arabes Ismaélites, bien qu’Ismaël soit fils d’Abraham leur ancêtre et ait été circoncis avec lui. D’après les Juifs, la circoncision principale est celle qui se fait le huitième jour et il n’en est pas de même pour celle qui est due aux circonstances. Peut-être était-elle pratiquée à cause d’un ange ennemi de la nation des Juifs, capable de nuire à ceux d’entre eux qui étaient incirconcis, mais sans pouvoir contre les circoncis. Voilà, dirait-on, ce que montre le passage de l’Exode où l’ange, avant la circoncision d’Éléazar pouvait agir contre Moïse, mais après qu’il fut circoncis n’eut plus de force. Et parce qu’elle le savait, « Séphora prit une pierre tranchante et circoncit » son fils en disant, au témoignage des leçons communes des copies : « Le sang de la circoncision de mon fils est arrêté », mais selon le texte hébreu lui-même : « Tu es pour moi un époux de sang » ; car elle savait l’histoire de cet ange qui avait un pouvoir avant l’effusion du sang, pouvoir que lui fit perdre le sang de la circoncision : voilà pourquoi elle lui dit : « Tu es pour moi un époux de sang. » LIVRE V

Après les considérations que je viens de citer en y ajoutant d’autres de même ordre, Celse continue : Ils entassent pêle-mêle discours de prophètes, cercles sur cercles, ruisseaux de l’église terrestre et de la circoncision, une vertu émanant d’une certaine vierge Prunicos, une âme vivante, un ciel immolé pour qu’il vive, une terre immolée par l’épée, des hommes en grand nombre immolés pour qu’ils vivent, une mort qui doit finir dans le monde quand mourra le péché du monde, une nouvelle descente étroite et des portes qui s’ouvrent d’elles-mêmes. Il y est partout question du bois de la vie et de la résurrection de la chair par le bois, parce que, je crois, leur maître a été cloué à la croix et qu’il était charpentier de profession. En sorte que, si par hasard on l’avait précipité d’un rocher, jeté dans un gouffre, étranglé par une corde, ou s’il eût été cordonnier, tailleur de pierres, ouvrier en fer, il y aurait au-dessus des deux un rocher de vie, un gouffre de résurrection, une corde d’immortalité, une pierre de béatitude, un fer de charité, un cuir de sainteté. Quelle vieille femme prise de vin, fredonnant une fable pour endormir un bébé, n’aurait honte de chuchoter pareilles sornettes ? Celse me paraît ici confondre des idées mal comprises. On dirait un homme qui, ayant saisi quelques bouts de phrases prononcés dans une secte ou l’autre sans en avoir compris le sens et l’intention, en a rassemblé les bribes pour donner à ceux qui ne savent rien ni de nos doctrines ni de celles des sectes l’impression qu’il connaît toutes les doctrines du christianisme. C’est ce qui ressort du passage cité. LIVRE VI

La locution ruisseau de l’église terrestre et de la circoncision provient peut-être de ce que certains disent que l’église terrestre est un ruisseau dérivé d’une église céleste et d’un éon supérieur, et que la circoncision prescrite dans la loi est le symbole de celle qui s’effectue là-haut dans quelque lieu de purification. Le nom de Prunicos est celui que donnent les Valentiniens à une certaine sagesse, dans l’égarement de leur propre sagesse symbolisée d’après eux par l’hémorroïsse depuis douze ans malade ; se méprenant sur le sens et brouillant toutes les opinions des Grecs, des barbares et des sectes, Celse a dit que d’une certaine vierge Prunicos émane une vertu. LIVRE VI