Christ (Orígenes)

Quel sujet d’étonnement en effet, même pour des gens moyennement doués : l’accusé, victime du faux témoignage, pouvait se défendre, prouver qu’aucune charge ne l’atteignait, faire un long panégyrique de sa propre vie et de ses miracles, manifestement venus de Dieu, pour frayer au juge la voie d’une sentence favorable ; bien loin de le faire, il n’eut que mépris et noble dédain pour ses accusateurs. Et que le juge, à la moindre défense, eût sur-le-champ libéré Jésus, c’est ce que montrent soit la parole qu’on rapporte de lui : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche : Barabbas ou Jésus qu’on appelle Christ ? », soit ce qu’ajouté l’Ecriture : « Il savait qu’on l’avait livré par jalousie. » Or Jésus ne cesse d’être en butte aux faux témoignages, et il n’est pas d’instant, vu la malice qui règne chez les hommes, où il ne soit accusé. Et lui, aujourd’hui encore, se tait devant ces attaques et ne répond point de sa propre voix ; mais il a sa défense dans la vie de ses véritables disciples, témoignage éclatant des faits réels, victorieux de toute calomnie, et il réfute et renverse les faux témoignages et les accusations. PRÉFACE

J’ose même dire que la défense que tu me demandes de composer peut affaiblir celle qui est dans les faits et la puissance de Jésus, manifeste à quiconque n’est pas stupide. Cependant, pour ne point paraître hésiter devant la tâche que tu m’as prescrite, j’ai fait de mon mieux pour répliquer à chacun des griefs écrits par Celse ce qui m’a paru propre à retourner ses discours, bien qu’ils soient incapables d’ébranler aucun fidèle. Puisse-t-il, du moins, ne se trouver personne qui, après avoir reçu cet amour infini de Dieu « dans le Christ Jésus », soit ébranlé dans sa détermination par les dires de Celse ou d’un de ses pareils ! Paul, dressant une liste des épreuves sans nombre qui d’ordinaire séparent l’homme de « l’amour du Christ » et de « l’amour de Dieu dans le Christ Jésus », toutes surmontées par l’amour de Dieu qui était en lui, n’a point rangé le discours parmi les causes de séparation. Note en effet qu’il commence par dire : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, la détresse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, le glaive ? — selon le mot de l’Ecriture. A cause de toi l’on nous met à mort tout le long du jour nous avons passe pour des brebis d’abattoir — Mais en tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes » Ensuite, donnant une autre série de causes qui sont de nature à séparer (de cet amour) les gens d’une piété instable, il dit « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur » PRÉFACE

Pour nous, c’est un juste titre de gloire que «la tribulation » et ce qu’énumère la suite ne nous séparent point , mais non pour Paul, ou les apôtres et quiconque leur ressemble il est si au-dessus de tels obstacles qu’il dit « En tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes », indiquant plus qu’une simple victoire. Et si même les apôtres doivent se glorifier de n’être point sépares « de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur », ils peuvent se glorifier de ce que « ni mort ni vie, ni anges ni principautés », ni quoi que ce soit du reste ne peut « les séparer de l’amour de Dieu dans le Christ-Jésus notre Seigneur ». Aussi je déplore qu’on puisse croire au Christ d’une foi susceptible d’être ébranlée par Celse, qui ne vit même plus la vie commune parmi les hommes, mais qui est mort depuis longtemps, ou par quelque force persuasive du discours. Et je ne sais dans quelle catégorie il faut ranger celui qui a besoin de discours écrits dans des livres en réponse aux charges de Celse contre les chrétiens, pour ressaisir et remettre debout une foi qui chancelle. Néanmoins, comme il se trouve peut-être, dans la foule de ceux qui passent pour fidèles, des gens que pourrait ébranler et retourner l’ouvrage de Celse, mais que la réponse par des raisons capables de ruiner les propos de Celse et d’établir la vérité pourrait guérir, j’ai décidé d’obéir à ton ordre et de répondre au traité que tu m’as envoyé : bien que, à mon avis, nul de ceux qui ont fait le moindre progrès en philosophie n’y reconnaisse un véritable discours, comme l’a intitulé Celse. PRÉFACE

Paul a bien vu que la philosophie grecque contient des raisons non négligeables, plausibles aux yeux du grand public, qui présentent le mensonge comme vérité. Il dit à leur sujet : « Prenez garde que personne ne vous réduise en esclavage par la philosophie et une vaine séduction, selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. » Et parce qu’il voyait dans les discours de la sagesse du monde se manifester une certaine grandeur, il a dit que les discours des philosophes étaient « selon les éléments du monde ». Mais tout homme sensé nierait que les écrits de Celse soient de même « selon les éléments du monde ». Ceux-là ont quelque chose de séduisant, et Paul a parlé d’une vaine séduction peut-être pour la distinguer d’une séduction qui n’est pas vaine, celle qu’avait en vue Jérémie quand il eut l’audace de dire à Dieu : « Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit, tu as été plus fort que moi et plus puissant. » Mais ceux de Celse me paraissent n’avoir aucune séduction du tout, donc même pas la vaine séduction qu’offrent ceux des fondateurs d’écoles philosophiques, doués en ces matières d’une intelligence peu commune. Et de même que dans les spéculations géométriques, une faute banale ne peut être appelée « une donnée faussée », ou encore être proposée pour un exercice à partir de telles données, ainsi faut-il que ressemblent aux pensées des fondateurs d’écoles philosophiques celles qu’on pourrait qualifier comme les leurs de vaine séduction « selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde ». PRÉFACE

Voilà la préface que j’ai décidé, une fois parvenu dans ma réfutation de Celse à l’entrée en scène du Juif qui attaque Jésus, de mettre en tête de l’ouvrage. Et cela, pour que le lecteur de mes répliques à Celse la trouve dès l’abord et voie que ce livre n’est pas du tout écrit pour des fidèles, mais soit pour ceux qui n’ont aucune expérience de la foi au Christ, soit pour ceux qui, au dire de l’Apôtre, sont faibles dans la foi ; car, dit-il « celui qui est faible dans la foi, accueillez-le ». Que cette préface me serve d’excuse pour avoir suivi un plan au début de mes réponses à Celse, et un autre après ce début. Mon intention était d’abord de noter les chefs d’accusation et, brièvement, ce qu’on peut y répondre, et puis de composer le discours en un tout organique. Plus tard, la matière elle-même m’a suggéré, pour gagner du temps, de me contenter de ces réponses du début et, dans la suite, de discuter avec toute la rigueur possible les charges de Celse contre nous. Je demande donc de l’indulgence pour ce qui suit immédiatement la préface. Et si les réponses ultérieures ne réussissent point à te convaincre, pour elles aussi je demande la même indulgence, et je te renvoie, si tu désires encore avoir les réfutations par écrit des discours de Celse, à ceux qui ont plus d’intelligence que moi et sont capables de réfuter par la parole et par la plume les charges de Celse contre nous. Plus heureux, cependant, l’homme qui n’a aucun besoin, même s’il lit le traité de Celse, d’une défense contre lui, mais dédaigne tout le contenu de son livre, car le premier venu des fidèles du Christ, par l’Esprit qui est en lui, avec raison le méprise. PRÉFACE

Et fort judicieusement, il ne reproche point à l’Evangile son origine barbare, car il a cet éloge : Les barbares sont capables de découvrir des doctrines. Mais il ajoute : Pour juger, fonder, adapter à la pratique de la vertu les découvertes des barbares, les Grecs sont plus habiles. Or voici ce que je peux dire, partant de son observation, pour défendre la vérité des thèses du christianisme : quiconque vient des dogmes et des disciplines grecs à l’Evangile peut non seulement juger qu’elles sont vraies, mais encore prouver, en les mettant en pratique, qu’elles remplissent la condition qui semblait faire défaut par rapport à une démonstration grecque, prouvant ainsi la vérité du christianisme. Mais il faut encore ajouter : la parole (divine) a sa démonstration propre, plus divine que celle des Grecs par la dialectique. Et cette démonstration divine, l’Apôtre la nomme « démonstration de l’Esprit et de la puissance » : « de l’Esprit », par les prophéties capables d’engendrer la foi chez le lecteur, surtout en ce qui concerne le Christ ; « de la puissance », par les prodigieux miracles dont on peut prouver l’existence par cette raison entre bien d’autres qu’il en subsiste encore des traces chez ceux qui règlent leur vie sur les préceptes de cette parole. LIVRE I

Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la doctrine, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces doctrines, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux doctrines avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I

Voilà donc, ce me semble, exactement démontré non seulement que notre Sauveur naîtrait d’une vierge, mais encore qu’il y avait des prophètes parmi les Juifs : ils ne prédisaient pas uniquement les événements futurs d’intérêt général, comme la destinée du Christ et celle des royaumes de ce monde, les malheurs futurs d’Israël, la foi des Gentils au Sauveur et bien d’autres choses dites à son sujet, mais même les événements particuliers, comme la manière de retrouver les ânesses perdues de Cis, la maladie dont souffrait le fils du roi d’Israël et toutes les autres histoires de ce genre. LIVRE I

De plus, il accepte bien, de l’histoire écrite dans l’Évangile de Matthieu, la venue de Jésus en Egypte ; mais il refuse de croire aux prodiges qui l’ont provoquée, à l’ordre transmis par l’ange, à toute la signification mystérieuse possible du départ de Jésus de la Judée et de son séjour en Egypte. Il invente encore autre chose : d’un côté, il donne une certaine adhésion aux miracles extraordinaires accomplis par Jésus, grâce auxquels celui-ci persuada la multitude de le suivre comme Christ, de l’autre, il entend les disqualifier comme dus à la magie et non à la puissance divine. Car il affirme : Il fut élevé en secret, s’en fut en Egypte louer ses services, et, ayant acquis là l’expérience de certains pouvoirs, il s’en revint, proclamant grâce à ces pouvoirs qu’il était Dieu. Quant à moi, je ne comprends pas comment un magicien aurait pu prendre la peine d’enseigner une doctrine persuadant de tout faire dans la pensée que Dieu juge chacun sur toutes ses actions, et de donner cette disposition à ses disciples dont il allait faire les ministres de son enseignement. Ceux-ci gagnaient-ils leurs auditeurs par les miracles appris de cette façon, ou sans faire aucun miracle ? Dire qu’ils ne faisaient pas de miracle du tout, mais qu’après avoir cru, sans aucune puissance de raisons qui ressemblât à la sagesse dialectique des Grecs, ils se sont voués à l’enseignement d’une doctrine nouvelle pour ceux chez qui ils séjournaient, c’est le comble de l’absurdité : d’où leur fût venue l’audace pour enseigner la doctrine et les innovations ? Et s’ils accomplissaient des miracles, quelle vraisemblance y a-t-il que des magiciens se fussent exposés à de si graves périls pour un enseignement interdisant la magie ? LIVRE I

Mais puisque c’est un Juif qui élève des doutes sur le récit de la descente du Saint-Esprit vers Jésus sous la forme d’une colombe, on pourrait lui riposter : dis-moi, mon brave, qui déclare en Isaïe : « Et maintenant le Seigneur m’a envoyé et aussi son Esprit » ? Dans le texte, l’expression est ambiguë : est-ce que le Père et l’Esprit Saint ont envoyé Jésus, ou est-ce que le Père a envoyé le Christ et l’Esprit Saint ? C’est la seconde interprétation qui est vraie Et après la mission du Sauveur eut lieu celle de l’Esprit Saint, pour que la parole du prophète fût accomplie , mais il fallait que l’accomplissement de la prophétie fût connu aussi de la postérité, et c’est pourquoi les disciples de Jésus ont écrit ce qui était advenu. LIVRE I

Je voudrais dire à Celse quand il met en scène un Juif admettant d’une certaine manière Jean comme un baptiste baptisant Jésus l’existence de Jean-Baptiste qui baptisait pour la rémission des pèches est relatée par un de ceux qui ont vécu peu après Jean et Jésus. Dans le dix-huitième livre de “l’Antiquité des Juifs”, en effet, Josèphe a témoigne que Jean baptisait en promettant la purification aux baptisés. Et le même auteur, bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la ruine du temple. Il aurait dû dire que l’attentat contre Jésus avait été la cause de ces malheurs pour le peuple, parce qu’on avait mis à mort le Christ annoncé par les prophètes. Mais, comme malgré lui, il n’est pas loin de la vérité quand il affirme que ces catastrophes arrivèrent aux Juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé le Christ, parce qu’ils l’avaient tué en dépit de son éclatante justice. Ce Jacques, Paul le véritable disciple de Jésus dit l’avoir vu, et il l’appelle « frère du Seigneur », moins pour leur parente de sang ou leur éducation commune que pour ses moeurs et sa doctrine. Si donc Josèphe dit que les malheurs de la dévastation de Jérusalem sont arrivés aux Juifs à cause de Jacques, combien n’eut-il pas été plus raisonnable d’affirmer qu’ils survinrent à cause de Jésus-Christ , lui dont la divinité est attestée par tant d’églises, composées d’hommes qui se sont détournes du débordement des vices, attachés au Créateur et qui rapportent tout a son bon plaisir LIVRE I

Un examen approfondi de la question fera dire : suivant le terme de l’Écriture, il existe une sorte de genre, un sens divin, que le bienheureux seul trouve à présent, au dire de Salomon « Tu trouveras un sens divin » Et ce sens comporte des espèces, la vue, qui peut fixer les réalités supérieures aux corps, dont font partie les Chérubins et les Séraphins , l’ouïe, percevant des sons dont la réalité n’est pas dans l’air , le goût, pour savourer le pain vivant descendu du ciel et donnant la vie au monde ; de même encore l’odorat, qui sent ces parfums dont parle Paul qui se dit être « pour Dieu la bonne odeur du Christ » , le toucher, grâce auquel Jean affirme avoir touche de ses mains « le Logos de vie ». Ayant trouvé le sens divin, les bienheureux prophètes regardaient divinement, écoutaient divinement, goûtaient et sentaient de même façon, pour ainsi dire d’un sens qui n’est pas sensible , et ils touchaient le Logos par la foi, si bien qu’une émanation leur arrivait de lui pour les guérir. Ainsi voyaient-ils ce qu’ils écrivent avoir vu, entendaient-ils ce qu’ils disent avoir entendu, éprouvaient-ils des sensations de même ordre lorsqu’ils mangeaient, comme ils le notèrent, « le rouleau » d’un livre qui leur était donné. Ainsi encore Isaac « sentit l’odeur des vêtements » divins de son fils et put ajouter à sa bénédiction spirituelle : « Voici l’odeur de mon fils, pareille à l’odeur d’un champ fertile béni par le Seigneur. » De la même manière que dans ces exemples et de façon plus intelligible que sensible, Jésus « toucha » le lépreux pour le guérir doublement, à mon avis, en le délivrant non seulement, comme l’entend la foule, de la lèpre sensible par son toucher sensible, mais encore de l’autre lèpre par son toucher véritablement divin. C’est donc ainsi que « Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Oui, j’ai vu et j’atteste que c’est Lui le Fils de Dieu. » De plus, c’est bien pour Jésus que le ciel s’est ouvert ; et à ce moment là, de nul autre que Jean il n’est écrit qu’il vit le ciel ouvert. Mais le Sauveur prédit à ses disciples que de cette ouverture du ciel ils seront plus tard les témoins, et dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme. » Ainsi encore Paul fut ravi au troisième ciel, après l’avoir vu d’abord ouvert, puisqu’il était disciple de Jésus. Mais expliquer maintenant pourquoi Paul dit : ” Etait-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais. Dieu le sait “, est hors de propos. LIVRE I

J’ajouterai encore à mon argument la remarque de Celse, quand il pense que Jésus lui-même aurait parlé du ciel ouvert et du Saint-Esprit descendu sur lui sous la forme d’une colombe près du Jourdain : l’Écriture ne montre pas qu’il ait dit l’avoir vu lui-même. Mais cet excellent homme ne remarque pas que dire à ses disciples ce qui a été vu et entendu par Jean près du Jourdain ne conviendrait point à celui qui dit à ses disciples, de sa vision sur la montagne : « Ne parlez à personne de cette vision avant que le Fils de l’homme ne soit ressuscité d’entre les morts. » On peut noter que c’était même une habitude constante de Jésus d’éviter partout de parler avantageusement de lui-même. Voilà pourquoi il dit : « Si je parle de moi-même, mon témoignage n’est pas véridique. » Et parce qu’il évitait de parler de lui, et qu’il aimait mieux montrer par ses oeuvres que par ses paroles qu’il était le Christ, les Juifs lui dirent : « Si tu es le Christ, dis-le nous franchement. » Et puisque c’est un Juif qui, chez Celse, dit à Jésus à propos de la venue du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe : « Qui, sinon toi et un de tes compagnons de supplice que tu peux produire comme témoin », il est nécessaire de lui montrer qu’il attribue au Juif ce qui ne convient pas à son personnage. Car les Juifs ne rattachent pas Jean à Jésus, ni son supplice au sien. Voilà donc là encore une preuve flagrante que celui qui se vante de tout savoir ignore quelles paroles attribuer au personnage juif qui s’adresse à Jésus ! LIVRE I

Après cela, je ne sais comment, le point capital de la démonstration de Jésus, à savoir qu’il a été prédit par les prophètes juifs, par Moïse et ceux qui lui ont succédé, voire par ceux qui l’ont précédé, est volontairement omis par lui, incapable qu’il était, je crois, de réfuter l’argument : car ni les Juifs, ni aucune de toutes leurs sectes n’ont nié que Jésus ait été prédit. Mais peut-être ne connaissait-il même pas les prophéties ; s’il avait compris ce qu’affirment les chrétiens, que de nombreux prophètes ont prédit la venue du Sauveur, il n’aurait pas attribué au personnage du Juif des paroles qui conviennent mieux à un Samaritain ou un Sadducéen. Et ce ne pourrait être un Juif, celui qui a dit dans son discours fictif : ” Mais mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait rendre justice aux saints et châtier les pécheurs “. Car ce n’est pas un prophète unique qui a prophétisé sur le Christ. Et même si les Samaritains et les Sadducéens, qui acceptent les seuls livres de Moïse, affirment que le Christ y est prophétisé, ce n’est certes point à Jérusalem, qui n’est pas encore nommée au temps de Moïse, que la prophétie a été dite. Plût donc au ciel que tous les accusateurs de l’Évangile soient d’une égale ignorance non seulement des faits, mais des simples textes de l’Écriture, et qu’ils attaquent le christianisme sans que leur discours ait la moindre vraisemblance capable d’éloigner, je ne dis pas de leur foi, mais de leur peu de foi, les gens instables qui croient ” pour un temps “. Mais un Juif ne proclamerait pas qu’un prophète a dit que le Fils de Dieu viendrait, car ce qu’ils disent, c’est que viendra le Christ de Dieu. Bien plus, souvent, ils nous posent directement des questions sur le titre de Fils de Dieu, disant qu’un tel être n’existe pas et n’a pas été prophétisé. Et je ne veux pas dire que le Fils de Dieu n’est pas prédit par les prophètes, mais que c’est faire une attribution en désaccord avec le personnage d’un Juif, incapable de rien dire de tel, que de lui prêter ce mot : « Mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait. » LIVRE I

Ensuite, comme s’il n’était pas le seul dont il est prophétisé qu’il rend la justice aux saints et châtie les pécheurs, comme s’il n’y avait aucune prédiction sur le lieu de sa naissance, la passion qu’il endurerait des Juifs, sa résurrection, les miracles prodigieux qu’il accomplirait, il dit : ” Pourquoi serait-ce à toi plutôt qu’à une infinité d’autres nés depuis la prophétie que s’appliquerait ce qui est prophétisé ? ” Je ne sais pourquoi il veut attribuer à d’autres la possibilité de conjecturer qu’ils sont eux-mêmes l’objet de cette prophétie, et ajoute : ” Les uns, fanatiques, les autres, mendiants, déclarent venir d’en haut en qualité de Fils de Dieu “. Je n’ai pas appris que ce soit un fait reconnu chez les Juifs. Il faut donc répondre d’abord que bien des prophètes ont fait des prédictions de bien des manières chez les Juifs sur le Christ : les uns en énigmes, les autres par allégorie ou autres figures, et certains même littéralement. Il déclare ensuite dans le discours fictif du Juif aux croyants de son peuple : Les prophéties rapportées aux événements de sa vie peuvent aussi bien s’adapter à d’autres réalités, et il le dit avec une habileté malveillante ; j’en exposerai donc quelques-unes entre beaucoup d’autres ; et à leur sujet, qu’on veuille bien dire ce qui peut contraindre à les renverser et détourner de la foi les croyants à l’intelligence prompte. LIVRE I

Sur le lieu de sa naissance, il a été dit que « le chef sortira de Bethléem», voici comment : « Mais toi, Bethléem bourg d’Éphrata, tu es bien petite pour être entre les milliers de Juda ; toi d’où sortira pour moi celui qui doit régner sur Israël et dont les origines sont aux temps anciens, aux jours d’éternité ». » Cette prophétie ne saurait convenir à aucun de ceux qui, au dire du Juif de Celse, sont des fanatiques ou des mendiants et déclarent venir d’en haut, si l’on n’a pas clairement montré qu’il est né à Behtléem, autrement dit qu’il est venu de Bethléem pour gouverner le peuple. Or, que Jésus soit né à Bethléem, si, après la prophétie de Michée et après le récit consigné dans les évangiles par les disciples de Jésus, on désire être convaincu par d’autres preuves, on montre, sachons-le, conformément à l’histoire évangélique de sa naissance, à Bethléem la grotte où il est né, et dans la grotte la crèche où il fut enveloppé de langes. Et ce qu’on montre est célèbre dans la contrée, même parmi les étrangers à la foi, puisqu’on effet dans cette grotte est né ce Jésus que les chrétiens adorent et admirent. Je pense pour ma part qu’avant la venue du Christ, les princes des prêtres et les scribes du peuple enseignaient, à cause de la clarté évidente de la prophétie, que le Christ naîtrait à Bethléem ; et le bruit s’en était même répandu chez la plupart des Juifs. De là vient qu’Hérode, selon l’Écriture, s’informant auprès des princes des prêtres et des scribes du peuple, avait appris d’eux que le Christ naîtrait « à Bethléem de Judée », lieu d’origine de David. De plus, il est attesté dans l’Évangile selon Jean que les Juifs avaient dit que le Christ naîtrait à Behtléem, lieu d’origine de David. Mais après la venue du Christ, ceux qui s’efforcèrent de détruire l’idée que sa naissance a été prédite des le commencement cachèrent cet enseignement au peuple. Effort semblable à celui que l’on tenta en persuadant les soldats de garde au tombeau qui l’avaient vu ressusciter des morts et l’annonçaient, par cette consigne donnée aux témoins : « Dites plutôt ses disciples sont venus la nuit le dérober durant notre sommeil. S’il en vient quelque chose aux oreilles du gouverneur, nous saurons le persuader et vous épargner tout ennui. » LIVRE I

Mais s’il est encore besoin, sur Jésus, d’une seconde prophétie évidente à nos yeux, nous citerons celle écrite par Moïse, bien des années avant la venue de Jésus. Il y affirme que Jacob, au moment de quitter la vie, adressa des prophéties à chacun de ses fils et dit entre autres à Juda : « Le prince ne s’éloignera pas de Juda, ni le chef, de sa race, jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être. » A la lecture de cette prophétie, en vérité bien plus ancienne que Moïse, mais qu’un incroyant suspecterait d’avoir Moïse comme auteur, on peut s’étonner de la manière dont Moïse a pu prédire que les rois des Juifs, alors qu’il y avait parmi eux douze tribus, sortiraient de la tribu de Juda et gouverneraient le peuple ; c’est la raison pour laquelle tous les hommes de ce peuple sont nommés Judéens, du nom de la tribu régnante. Un second motif d’étonnement, à une lecture judicieuse de la prophétie, est la manière dont, après avoir dit que les chefs et les princes du peuple seraient de la tribu de Juda, elle a fixé le terme de leur gouvernement en disant que le prince ne s’éloignerait pas de Juda, ni le chef, de sa race, « jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être, et il est lui-même l’attente des nations ». Il est venu, en effet, celui à qui il est réservé de l’être, le Christ de Dieu, « le prince » des promesses de Dieu. Manifestement seul, à l’exclusion de tous ceux qui l’ont précédé, j’oserais même dire et de ceux qui le suivront, il est « l’attente des nations », car, de toutes les nations, on a cru en Dieu par lui, et les nations ont espéré en son nom suivant la parole d’Isaïe : « En son nom espéreront les nations. » Et à « ceux qui sont dans les fers », suivant que « chaque homme est serré dans les liens de ses péchés », il dit : « Echappez-vous », et à ceux qui sont dans l’ignorance : venez à la lumière, en accomplissement de la prophétie : « Je t’ai donné pour une alliance des nations, pour relever le pays, pour hériter de l’héritage dévasté, disant à ceux qui sont dans les fers : Echappez-vous, et à ceux qui sont dans les ténèbres : Apparaissez à la lumière.» Et on peut voir, à son avènement, réalisé par ceux qui croient avec simplicité dans tous les lieux de la terre, l’accomplissement de cette parole : « Et sur toutes les routes ils paîtront, et sur toutes les hauteurs seront leurs pâturages. » LIVRE I

Mais il a échappé à Celse, à son Juif, à tous ceux qui ne croient pas en Jésus, que les prophètes parlent de deux avènements du Christ : le premier, tout de souffrances humaines et d’humilité, permettant au Christ, vivant au milieu des hommes, d’enseigner la route qui mène à Dieu, sans laisser à personne, durant la vie, l’excuse qu’il ignore le jugement à venir ; le second, uniquement glorieux et divin, sans aucun mélange d’infirmité humaine à sa divinité. Il serait trop long de citer les prophéties ; il suffira pour l’instant du psaume quarante-quatrième, qui, entre autres choses, porte le titre de « chant du bien-aimé ». Le Christ y est manifestement proclamé Dieu dans ces paroles : « La grâce a été répandue sur tes lèvres, c’est pourquoi Dieu t’a béni à jamais. Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta jeunesse et ta beauté élance-toi, avance avec succès et règne, pour la vérité, la douceur et la justice, et ta droite t’ouvrira une voie miraculeuse. Tes traits sont aiguisés, héros, les peuples tomberont au-dessous de toi dans le coeur des ennemis du roi. » Mais observe avec soin la suite où Dieu est nommé : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais ; le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture. Tu as aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction de l’huile d’allégresse, comme à nul de tes compagnons. » Note que le prophète s’adresse à un Dieu dont « le trône est pour toujours et à jamais » et que « le sceptre de sa royauté est un sceptre de droiture » ; il déclare que ce Dieu a reçu l’onction d’un Dieu qui était son Dieu et qui lui a donné l’onction parce que, « plus que ses compagnons », « il a aimé la justice et haï l’iniquité ». Et je me rappelle même avoir, par cette parole, mis dans une grande difficulté le Juif considéré comme savant. Embarrassé pour donner une réponse en harmonie avec son judaïsme, il dit : c’est au Dieu de l’univers que s’adressent : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais, et le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture », mais au Christ : « Tu as aimé la justice et haï l’iniquité, c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction » etc. LIVRE I

Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I

Celse a traité les apôtres de Jésus d’hommes décriés, en les disant « publicains et mariniers fort misérables ». Là encore je dirai : il semble tantôt croire à son gré aux Écritures, pour critiquer le christianisme, et tantôt, pour ne pas admettre la divinité manifestement annoncée dans les mêmes livres, ne plus croire aux Evangiles. Il aurait fallu, en voyant la sincérité des écrivains à leur manière de raconter ce qui est désavantageux, les croire aussi en ce qui est divin. Il est bien écrit, dans l’épître catholique de Barnabé, dont Celse s’est peut-être inspiré pour dire que les apôtres de Jésus étaient des hommes décriés et fort misérables, que « Jésus s’est choisi ses propres apôtres, des hommes qui étaient coupables des pires péchés ». Et, dans l’Évangile selon Luc, Pierre dit à Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. » De plus, Paul déclare dans l’épître à Timothée, lui qui était devenu sur le tard apôtre de Jésus : « Elle est digne de foi la parole : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je tiens moi, le premier rang. » Mais je ne sais comment Celse a oublié ou négligé de mentionner Paul fondateur, après Jésus, des églises chrétiennes. Sans doute voyait-il qu’il lui faudrait, en parlant de Paul, rendre compte du fait que, après avoir persécuté l’Église de Dieu et cruellement combattu les croyants jusqu’à vouloir livrer à la mort les disciples de Jésus, il avait été ensuite assez profondément converti pour « achever la prédication de l’Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie », tout en « mettant son point d’honneur de prédicateur de l’Évangile », pour éviter de « bâtir sur les fondations posées par autrui », à ne prêcher que là où n’avait pas du tout été annoncée la bonne nouvelle de Dieu réalisée dans le Christ. Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que Jésus, dans le dessein de montrer au genre humain quelle puissance il possède de guérir les âmes, ait choisi des hommes décriés et fort misérables, et les ait fait progresser jusqu’à devenir l’exemple de la vertu la plus pure pour ceux qu’ils amènent à l’évangile du Christ ? LIVRE I

A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I

Après cela, le Juif de Celse déclare, comme un Grec ami du savoir et instruit de la littérature grecque : “Les anciens mythes qui ont attribué à Persée, Amphion, Eaque et Minos une naissance divine — et nous ne les avons même pas crus — étalent du moins avec complaisance leurs oeuvres grandes, admirables et véritablement surhumaines, pour ne point paraître indignes de foi. Mais toi, qu’as-tu présenté de beau ou d’admirable en oeuvres ou en paroles ? Tu ne saurais rien nous montrer malgré la sommation qu’on te fit dans le temple de fournir un signe manifeste que tu es Fils de Dieu”. A cela il faut répondre : que les Grecs nous montrent, de l’un de ceux qui viennent d’être énumérés, une oeuvre utile à la vie, éclatante, dont l’influence s’étendit à la postérité et qui soit capable de donner une vraisemblance au mythe qui leur attribue une naissance divine ! Mais en fait, ils ne montreront sur les héros dont ils ont écrit l’histoire rien qui approche même de loin les exploits accomplis par Jésus. A moins par hasard que les Grecs nous renvoient à leurs mythes et à leurs récits, et nous veuillent, là, déraisonnablement crédules, et ici, en dépit d’une évidence flagrante, incrédules. Or nous, nous affirmons : l’oeuvre de Jésus, toute la terre des hommes la porte, où résident grâce à Jésus, les églises de Dieu composées d’hommes convertis de péchés innombrables. De plus, le nom de Jésus chasse encore des hommes les égarements d’esprit, les démons et, aujourd’hui encore, les maladies ; et il fait naître merveilleusement douceur, modération de caractère, sentiment d’humanité, bonté, mansuétude chez ceux qui ne feignent pas d’accepter, pour des avantages ou des nécessités de la vie, mais acceptent véritablement la doctrine sur Dieu, le Christ et le jugement à venir. LIVRE I

Il faut donc examiner ce qu’il dit contre les croyants venus du judaïsme. Il affirme qu’« abandonnant la loi de leurs pères, à cause de la séduction exercée par Jésus, ils ont été bernés de la plus ridicule façon et ont déserté, changeant de nom et de genre de vie ». Il n’a pas remarqué que ceux des Juifs qui croient en Jésus n’ont pas abandonné la loi de leurs pères. Car ils vivent en conformité avec elle, et doivent leur appellation à la pauvreté d’interprétation de la loi. « Ebion » est en effet le nom du pauvre chez les Juifs et « Ebionites », l’appellation que se donnent ceux des Juifs qui ont reçu Jésus comme Christ. De plus, Pierre paraît avoir gardé longtemps les coutumes juives prescrites par la loi de Moïse, comme s’il n’avait pas encore appris de Jésus à s’élever du sens littéral de la loi à son sens spirituel. Nous l’apprenons des Actes des Apôtres. Car, « le lendemain » de l’apparition à Corneille de l’ange de Dieu lui enjoignant d’envoyer « à Joppé » vers Simon surnommé Pierre, « Pierre monta sur la terrasse vers la sixième heure pour prier. Il sentit la faim et voulut manger. Or, pendant qu’on préparait un repas, il lui survint une extase : il voit le ciel ouvert, et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins, en descendre vers la terre. Et dedans, il y avait tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre, et tous les oiseaux du ciel. Une voix lui dit alors : Debout, Pierre, immole et mange ! Mais Pierre répondit : Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. Et de nouveau la voix lui dit : Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé ». Vois donc ici comment on représente que Pierre garde encore les coutumes juives sur la pureté et l’impureté. Et la suite montre qu’il lui fallut une vision pour communiquer les doctrines de la foi à Corneille qui n’était pas israélite selon la chair, et à ses compagnons : car, resté juif, il vivait selon les traditions ancestrales et méprisait ceux qui étaient hors du judaïsme. Et dans l’épître aux Galates, Paul montre que Pierre, toujours par crainte des Juifs, cessa de manger avec les Gentils, et, à la venue de Jacques vers lui, « se tint à l’écart » des Gentils « par peur des circoncis » ; et le reste des Juifs ainsi que Barnabé firent de même. LIVRE II

Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de Moïse prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la doctrine sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II

Mais qu’on nous montre où se trouve même l’apparence d’un mot de Jésus dit par arrogance ! Arrogant celui qui dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coer, et vous trouverez soulagement pour vos âmes »? Arrogant, celui qui, au cours d’un repas, « quitte son manteau » en présence de ses disciples, ceint « un linge », verse « l’eau dans un bassin », lave « les pieds de chacun », et inflige un blâme à celui qui refuse de les présenter : « Si je ne te lave pas, tu n’as plus de part avec moi » ? Arrogant, celui qui affirme : « Et moi, j’ai été au milieu de vous, non comme celui qui est à table, mais comme celui qui sert »? Qu’on montre de même quels mensonges il a dit, qu’on présente ses grands et ses petits mensonges pour établir que Jésus a dit de grands mensonges ! Il y a encore une autre manière de réfuter Celse : c’est que, comme un mensonge n’est pas plus mensonger qu’un mensonge, ainsi n’est-il pas davantage plus grand ; tout comme une vérité n’est pas plus vraie qu’une vérité ou une plus grande vérité. Et que le Juif de Celse rapporte surtout quelles sont les impiétés de Jésus ! Est-ce impiété de renoncer, dans leur acception littérale, à la circoncision, aux sabbats, aux fêtes, aux nouvelles lunes, aux aliments purs ou impurs, et de tourner l’esprit vers une loi digne de Dieu, véritable, spirituelle, quand celui qui est en ambassade pour le Christ a su « se faire Juif pour les Juifs afin de gagner les Juifs », « et comme un sujet de la loi pour les sujets de la loi afin de gagner les sujets de la loi ». LIVRE II

Il dit encore : “Beaucoup d’autres auraient pu paraître tels que Jésus à ceux qui consentaient à être dupes.” Que le Juif de Celse montre donc non pas beaucoup, ni même quelques-uns, mais un seul homme tel que Jésus qui, par la puissance qui est en lui a introduit dans l’humanité une doctrine et des dogmes bienfaisants, et a converti les hommes du flot de péchés ! Il poursuit : “Ceux qui croient au Christ font un grief aux Juifs de n’avoir pas cru que Jésus était Dieu”. Sur ce point, j’ai répliqué d’avance ci-dessus, en montrant à la fois comment nous pensons qu’il est Dieu, et en quoi nous disons qu’il est homme. Il poursuit : “Mais comment, après avoir enseigné à tous les hommes l’arrivée de celui qui viendrait de la part de Dieu punir les injustes, l’aurions-nous, après sa venue, indignement traité ?” Répondre à cette attaque qui est fort sotte ne me semble pas raisonnable. Elle équivaut à dire : comment, nous qui avons enseigné la tempérance, aurions-nous fait quelque chose de licencieux ou nous qui prétendons à la justice, aurions-nous été coupables d’injustice ? De même que ces inconséquences se trouvent chez les hommes, il était humain aussi que des gens qui affirmaient croire aux prophètes annonçant la venue du Christ aient refusé de croire en lui quand il fut venu conformément aux prophéties. LIVRE II

Qu’est-ce donc que Jésus « a promis » et n’a pas accompli ? Que Celse l’établisse et le prouve ! Mais il en sera bien incapable : pour la raison majeure qu’il croit tirer ses arguments contre Jésus et contre nous soit d’histoires mal comprises, soit même de lectures évangéliques, soit de récits juifs. De plus, puisque le Juif répète : « Nous l’avons convaincu, condamné, jugé digne du supplice », qu’on nous montre comment ceux qui cherchaient à établir de faux témoignages contre lui l’ont convaincu ! A moins peut-être que la grande charge contre Jésus ne fût cette déposition des accusateurs : « Cet homme a affirmé : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours » ? Mais « il parlait du temple de son corps ». Tandis qu’ils croyaient, ne sachant l’interpréter au sens de son auteur, que le propos concernait le temple de pierre, plus honoré chez les Juifs que Celui qu’il aurait fallu honorer comme le véritable temple du Dieu Logos, de la Sagesse, de la Vérité. Et que l’on dise comment Jésus « s’est caché et a fui de la manière la plus honteuse » ! Qu’on y montre une conduite digne de blâme ! Il affirme encore qu’« il fut pris ». Je pourrais répliquer : si « être pris » implique que c’était contre son gré, Jésus ne fut pas pris. De lui-même, au moment voulu, il ne s’est pas gardé de tomber aux mains des hommes, comme « Agneau de Dieu », afin « d’ôter le péché du monde ». « Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! C’est moi ! leur dit-il. Judas, qui le livrait se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : C’est moi ! ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là. » De plus, à celui qui, voulant le secourir, frappa le serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille, il dit : « Remets ton glaive au fourreau ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Écritures, d’après lesquelles il devait en être ainsi ? » Fiction des évangélistes que tout cela, croira-t-on ? Pourquoi la fiction ne serait-elle pas plutôt dans les paroles inspirées par l’hostilité et la haine contre le Christ et les chrétiens, et la vérité, dans le témoignage de ceux qui ont prouvé la sincérité de leur attachement à Jésus en supportant pour ses paroles toutes sortes de peines ? Les disciples de Jésus auraient-ils reçu une telle patience et constance à résister jusqu’à la mort, s’ils avaient été disposés à des inventions mensongères au sujet de leur maître ?… Qu’ils aient été convaincus de la vérité de ce qu’ils ont écrit ressort, avec une évidence manifeste pour tout bon esprit, des cruelles et multiples souffrances qu’ils ont supportées pour celui qu’ils croyaient être Fils de Dieu. LIVRE II

Que le Juif de Celse, qui ne croit pas que Jésus ait prévu tout ce qui allait arriver, considère de quelle manière, alors que Jérusalem était encore debout et centre du culte de toute la Judée, Jésus a prédit ce que lui feraient subir les Romains. On ne dira certes pas que les familiers et les auditeurs de Jésus lui-même aient transmis sans l’écrire l’enseignement des Evangiles et laissé leurs disciples sans souvenirs écrits sur Jésus. Or il y est écrit : « Mais quand vous verrez Jérusalem investie par les armées, sachez alors que la dévastation est proche. » Il n’y avait alors aucune armée autour de Jérusalem pour l’encercler, la bloquer, l’assiéger. Le siège n’a commencé que sous le règne de Néron et a duré jusqu’au gouvernement de Vespasien, dont le fils, Titus, détruisit Jérusalem ; ce fut, d’après ce qu’écrit Josèphe, à cause de Jacques le Juste, frère de Jésus nommé le Christ, mais, comme la vérité le montre, à cause de Jésus le Christ de Dieu. Celse aurait pu, du reste, même en acceptant ou en concédant que Jésus a connu d’avance ce qui lui arriverait, faire semblant de mépriser ces prédictions, comme il l’avait fait pour les miracles, et les attribuer à la sorcellerie ; il aurait même pu dire que beaucoup ont connu ce qui leur arriverait, par des oracles tirés des augures, des auspices, des sacrifices, des horoscopes. Mais il n’a pas voulu faire cette concession, la jugeant trop importante, et, tout en ayant accepté d’une certaine façon la réalité des miracles, il semble l’avoir décriée sous prétexte de sorcellerie. Cependant Phlégon, dans le treizième ou le quatorzième livre de ses “Chroniques”, je crois, a reconnu au Christ la prescience de certains événements futurs, bien qu’il ait confondu le cas de Jésus et le cas de Pierre, et il atteste que ses prédictions se réalisèrent. Il n’en prouve pas moins comme malgré lui, par cette concession sur la prescience de Jésus, que la parole, chez les Pères de nos croyances, n’était pas dénuée de puissance divine. Celse dit : “Les disciples de Jésus, ne pouvant rien dissimuler d’un fait notoire, s’avisèrent de dire qu’il a tout su d’avance”. Il n’avait pas remarqué, ou n’a pas voulu remarquer la sincérité des écrivains : ils ont avoué en effet que Jésus avait encore prédit aux disciples : « Vous serez tous scandalisés cette nuit », qu’effectivement ils furent scandalisés ; et qu’il a aussi prophétisé à Pierre : « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois », et que Pierre l’a renié trois fois. S’ils n’avaient pas été aussi sincères, mais, comme le croit Celse, s’ils avaient écrit des fictions, ils n’auraient pas mentionné le reniement de Pierre et le scandale des disciples. Qui donc alors, même s’ils ont eu lieu, aurait fait un grief à l’Évangile de ces événements ? Ils ne devaient normalement pas être mentionnés par des auteurs qui voulaient enseigner aux lecteurs des Evangiles à mépriser la mort pour professer le christianisme. Mais non : voyant que l’Évangile vaincrait les hommes par sa puissance, ils ont inséré même des faits de ce genre qui, je ne sais comment, ne troubleront pas les lecteurs et ne fourniront pas de prétexte au reniement. LIVRE II

J’ai ainsi répondu à l’objection : ” Comment donc est-il croyable qu’il l’ait prédit ? ” Quant à cette autre : “Comment un mort est-il immortel ? ” apprenne qui voudra que ce n’est pas le mort qui est immortel, mais le ressuscité des morts. Non seulement donc le mort n’était pas immortel, mais Jésus lui-même, qui était un être composé, avant sa mort n’était pas immortel. Nul homme destiné à mourir n’est immortel ; il est immortel quand il ne doit plus mourir. « Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus d’empire », quoi que veuillent les gens incapables de comprendre le sens de ces paroles. Voici une autre rare insanité : ” Quel dieu, quel démon, quel homme sensé, prévoyant que de tels malheurs lui arriveraient, ne les auraient pas évités, s’il en avait eu le moyen, au lieu de donner tête baissée dans les dangers prévus ?” Socrate, en tout cas, savait que s’il buvait la ciguë, il mourrait, et il avait le moyen, s’il avait obéi à Criton, de s’évader de la prison et de ne rien souffrir de tout cela. Mais il décida, suivant ce qui lui semblait raisonnable, qu’il valait mieux pour lui mourir en philosophe que mener une vie indigne de sa philosophie. De plus, Léonidas, stratège de Lacédémone, sachant qu’il allait bientôt mourir avec ceux qui l’accompagnaient aux Thermopyles, ne se soucia pas de vivre dans la honte, mais il dit à son entourage : « Déjeunons en hommes qui vont souper aux Enfers. » Ceux qui ont le goût de collectionner de pareils récits en trouveront beaucoup d’autres. Quoi d’étonnant dès lors que Jésus, tout en sachant les malheurs qui lui arriveraient, ne les ait pas évités, mais se soit exposé aux dangers même prévus ? Et lorsque Paul, son disciple, eut appris les malheurs qui lui arriveraient dans sa montée à Jérusalem, il alla au-devant des dangers, et blâma ceux qui pleuraient sur lui et voulaient l’empêcher de monter à Jérusalem. Et combien de nos contemporains, sachant que la confession de leur christianisme entraînerait leur mort, et l’apostasie, leur libération et le recouvrement de leurs biens, ont méprisé la vie et volontairement choisi la mort pour leur religion ! Vient ensuite une autre niaiserie du Juif de Celse : ” Puisqu’il a prédit qui le trahirait et qui le renierait, comment ne l’ont-ils pas craint comme Dieu, renonçant l’un à trahir, l’autre à renier ? ” Il n’a même pas vu, le docte Celse, qu’il y avait là une contradiction. Si Jésus a eu la prescience divine et que cette prescience n’ait pu être erronée, il était impossible que l’homme connu comme futur traître ne trahît point, et l’homme déclaré futur renégat, ne reniât point. Si au contraire il eût été possible que l’un ne trahît point et l’autre ne reniât point, en sorte qu’il n’y eût pas de trahison ni de reniement en ceux qui en avaient été prévenus d’avance, alors Jésus n’aurait plus été dans le vrai en disant : celui-ci trahira, cet autre reniera. En effet, s’il a su d’avance qui le trahirait, il a vu la malice d’où proviendrait la trahison et qui n’était nullement détruite par sa prescience. De même, s’il a compris qui le renierait, c’est en voyant la faiblesse d’où viendrait le reniement qu’il a prédit qu’il renierait, et cette faiblesse n’allait pas non plus être d’emblée détruite par sa prescience. Mais d’où tire-t-il ceci : ” Eux, pourtant, l’ont trahi et renié sans se soucier de lui ? ” Car on a déjà montré, à propos du traître, qu’il est faux de dire qu’il ait trahi son maître sans se soucier de lui le moins du monde ; et il n’est pas moins facile de le montrer aussi du renégat qui, après son reniement, « sortit dehors et pleura amèrement ». LIVRE II

Je l’ai déjà dit plus haut les prophéties envisagent un double avènement du Christ au genre humain. Aussi n’est-il plus besoin que je réponde a l’objection mise dans la bouche du Juif. ” C’est un grand prince, seigneur de toute la terre, de toutes les nations et armées qui doit venir, disent les prophètes “. Et à la manière des Juifs, je pense, laissant libre cours à leur bile pour invectiver Jésus sans preuve ni argument plausible, il ajoute ” Mais ils n’ont pas annoncé cette peste “. Pourtant ni Juifs, ni Celse, ni personne d’autre ne pourraient établir avec preuve à l’appui qu’une peste convertisse tant d’hommes du débordement des vices à la vie conforme a la nature dans la pratique de la tempérance et de toutes les autres vertus Celse lance encore cette attaque ” Personne ne prouve une divinité ou une filiation divine par de si faibles indices mêlés d’histoires fausses et d’aussi médiocres témoignages “. Mais il lui fallait citer ces histoires fausses et les réfuter, établir rationnellement la médiocrité des témoignages il aurait pu alors, aux déclarations semblant plausibles du chrétien, s’efforcer de les combattre et de renverser l’argument. Son affirmation que Jésus serait grand s’est bien vérifiée, mais il n’a pas voulu voir qu’elle s’était vérifiée, comme l’évidence le prouve de Jésus ” Comme le soleil qui illumine toutes les autres choses se montre d’abord lui-même, ainsi aurait dû faire le Fils de Dieu “, dit-il. Or on peut dire qu’il l’a vraiment fait. Car la parole « En ces jours s’est levée la justice, et l’abondance de la paix » commença a se réaliser dés sa naissance Dieu préparait les nations à recevoir son enseignement, en les soumettant toutes au seul empereur de Rome, et en empêchant que l’isolement des nations dû a la pluralité des royautés ne rendît plus difficile aux apôtres l’exécution de l’ordre du Christ « Allez, de toutes les nations faites des disciples» » Il est manifeste que Jésus est né sous le règne d’Auguste qui avait pour ainsi dire réduit à une masse uniforme, grâce à sa souveraineté unique, la plupart des hommes de la terre. L’existence de nombreux royaumes eût été un obstacle à la diffusion de l’enseignement de Jésus par toute la terre non seulement pour la raison déjà dite, mais encore à cause de la contrainte imposée aux hommes de tous les lieux de prendre les armes et de faire la guerre pour défendre leurs patries. La chose s’était produite avant les jours d’Auguste et même encore auparavant, quand il fallut, par exemple, que se déchaînât la guerre entre les habitants du Péloponnèse et ceux d’Athènes, et à leur suite, d’autres nations entre elles. Comment donc cet enseignement pacifique, qui ne permet pas de tirer vengeance même des ennemis, eut-il pu triompher, si la situation de la terre, à l’avènement de Jésus, n’eût été partout changée en un état plus paisible. LIVRE II

A sa question ” Pourquoi donc, s’il ne l’a pas fait avant, du moins maintenant ne manifeste-t-il pas quelque chose de divin, ne se lave-t-il pas de cette honte, ne se venge-t-il de ceux qui l’outragent lui et son Père ? “, il faut répondre que c’est équivalemment poser aux Grecs qui admettent la Providence et acceptent l’existence de signes divins, la question : pourquoi enfin Dieu ne punit-il pas ceux qui outragent la divinité et qui nient la Providence ? Car si les Grecs ont une réponse à cette objection, nous aussi nous en aurons une semblable et même supérieure. Mais il y eut bien un signe divin venu du ciel, l’éclipse de soleil, et les autres miracles . preuves que le crucifié avait quelque chose de divin et de supérieur au commun des hommes. Celse continue :” Que déclare-t-il même lorsque son corps est fixé à la croix ? Son sang est-il l’ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ? “. Le voilà donc qui badine. Mais nous, grâce aux Evangiles qui, quoi que prétende Celse, sont des écrits sérieux, nous établirons ceci l’ichôr de la fable et d’Homère ne s’écoula point de son corps, mais, alors qu’il était déjà mort, « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côte, et il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, son témoignage est véridique, et il sait qu’il dit vrai » Or, pour les autres cadavres, le sang est coagulé, et il ne peut couler d’eau pure , mais pour le cadavre de Jésus, le miracle était que même de son cadavre « du sang et de l’eau » se soient écoulés du côte. Mais Celse, qui tire des griefs contre Jésus et les chrétiens de textes évangéliques qu’il ne sait même pas interpréter correctement et tait ce qui établit la divinité de Jésus, veut-il se rendre attentif aux manifestations divines ? Qu’il lise alors l’Évangile et qu’il y voie entre autres ce passage « Le centurion et les hommes qui gardaient Jésus avec lui, témoins du séisme et des prodiges survenus, furent saisis d’une grande frayeur et dirent Celui-là était Fils de Dieu ! » Ensuite, extrayant de l’Évangile les passages qu’il ose lui opposer, il reproche à Jésus son ” avidité à boire le fiel et le vinaigre, sans savoir dominer une soif que même le premier venu domine d’ordinaire “. Ce texte, pris a part, comporte une interprétation allégorique , mais ici on peut donner une réponse plus commune aux objections : même cela les prophéties l’ont prédit. Il est écrit en effet dans le psaume soixante-huitième cette parole rapportée au Christ : « Pour me nourrir, ils m’ont donné du fiel, pour apaiser ma soif, fait boire du vinaigre. » C’est aux Juifs de dire qui le prophète fait parler de la sorte et d’établir, d’après l’histoire, qui a reçu du fiel en nourriture et du vinaigre pour boisson. Ou s’ils se hasardent à dire qu’il est question du Christ dont ils croient la venue future, alors je répondrai : qu’est-ce qui empêche la prophétie d’être déjà réalisée ? Le fait que cela ait été dit si longtemps d’avance, avec les autres prévisions des prophètes, si l’on fait un examen judicieux de toute la question, est capable d’amener à reconnaître Jésus comme le Christ prophétisé et le Fils de Dieu. LIVRE II

Après cela, le Juif nous dit encore : ” Nous reprochez-vous donc, gens d’une crédulité extrême, de ne pas le considérer comme Dieu, et de ne pas convenir avec vous qu’il ait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité, afin que nous aussi nous puissions mépriser les supplices ?” Voici notre réponse. Nous reprochons aux Juifs, nourris de la loi et des prophètes qui annoncent d’avance le Christ, de ne pas réfuter les preuves que nous leur donnons qu’il est vraiment le Christ, bien qu’ils allèguent cette réfutation pour justifier leur incrédulité, et, malgré l’absence de réfutation, de ne pas croire en celui qui avait été prédit. Mais Jésus a prouvé de manière éclatante, en ceux qui ont été ses disciples même après le temps de son incarnation, qu’il avait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité. Le but de son premier avènement ne fut pas de juger les actions des hommes avant de leur avoir donné l’enseignement et l’exemple du devoir, ni de punir les méchants et sauver les bons, mais de répandre miraculeusement sa doctrine avec une puissance divine à travers tout le genre humain, comme l’avaient aussi montré les prophètes. Nous leur reprochons encore d’avoir refusé de croire à la manifestation de la puissance dont il disposait, mais d’avoir dit que c’était par Beelzébul prince des démons qu’il chassait les démons des âmes des hommes. Nous leur reprochons de calomnier même son amour pour les hommes et, alors qu’il ne dédaigna ni une ville, ni même un village de la Judée, pour annoncer partout le règne de Dieu, de l’accuser calomnieusement d’avoir été un vagabond menant une vie errante et inquiète dans un corps sans noblesse. Ce n’est pas sans noblesse qu’il endura tant de fatigues pour l’utilité de ceux qui, en tout lieu, étaient capables de comprendre. LIVRE II

Mais comment n’est-ce pas un mensonge flagrant que l’assertion du Juif de Celse : ” De toute sa vie, n’ayant persuadé personne, pas même ses disciples, il fut châtié et endura ces souffrances ! ” Car d’où vient la haine excitée contre lui par les grands-prêtres, les anciens et les scribes, sinon de ce que les foules étaient persuadées de le suivre jusqu’aux déserts, conquises non seulement par la logique de ses discours, toujours adaptés à ses auditeurs, mais encore par ses miracles qui frappaient d’étonnement ceux qui ne croyaient pas à la logique de son discours ? Comment n’est-ce pas un mensonge flagrant de dire qu’il ne persuada pas même ses disciples. Ils ont bien ressenti alors une lâcheté tout humaine, car ils n’étaient pas encore d’un courage éprouvé, mais sans toutefois se départir de leur conviction qu’il était le Christ. Car Pierre, aussitôt après son reniement, eut conscience de la gravité de sa chute, et «sortant dehors, il pleura amèrement» » ; les autres, bien que frappés de découragement à son sujet, car ils l’admiraient encore, furent affermis par son apparition à croire qu’il était Fils de Dieu d’une foi encore plus vive et plus ferme qu’auparavant. Par un sentiment indigne d’un philosophe, Celse imagine que la supériorité de Jésus sur les hommes ne consistait pas dans sa doctrine du salut et la pureté de ses moers. Il aurait dû agir contrairement au caractère du rôle qu’il avait assumé : ayant assumé une nature mortelle, il aurait dû ne pas mourir ; ou il devait mourir, mais non d’une mort qui pût servir d’exemple aux hommes : car cet acte leur apprendrait à mourir pour la religion, et à en faire hardiment profession en face de ceux qui sont dans l’erreur en matière de piété et d’impiété et qui tiennent les gens pieux pour très impies, et pour très pieux ceux qui, fourvoyés dans leurs idées sur Dieu, appliquent à tout plutôt qu’à Dieu la juste notion qu’ils ont de lui ; et leur erreur est au comble quand ils massacrent avec fureur ceux qui, saisis par l’évidence de l’unique Dieu suprême, se sont consacrés de toute leur âme jusqu’à la mort. Celse met dans la bouche du Juif un autre reproche contre Jésus :” Il ne s’est pas montré pur de tout mal.” De quel mal Jésus ne s’est-il pas montré pur ? Que le lettré de Celse le dise ! S’il entend que Jésus ne s’est pas montré pur du mal au sens strict, qu’il fasse clairement la preuve d’un acte mauvais accompli par lui ! Si, au contraire, il entend par mal la pauvreté, la croix, la conspiration d’hommes insensés, il est évident qu’on peut dire que du mal est arrivé aussi à Socrate, qui n’a pas pu prouver qu’il était pur de ce mal. Mais qu’il est nombreux chez les Grecs le choer des philosophes qui furent pauvres et d’une pauvreté volontairement choisie ! La plupart des Grecs le connaissent par leurs histoires : Démocrite laissa son bien abandonné en pâturage aux brebis ; Cratès se libéra en gratifiant les Thébains de l’argent que lui avait procuré la vente de tout ce qu’il possédait ; de plus, Diogène, par exagération de pauvreté, vivait dans un tonneau, et nulle personne d’intelligence même modérée n’en conclut que Diogène vivait dans le mal. De plus, puisque Celse veut que ” Jésus n’ait pas même été irréprochable,” c’est à lui de montrer lequel de ceux qui ont adhéré à sa doctrine a rapporté de Jésus quoi que ce soit de vraiment répréhensible. Ou bien, si ce n’est pas d’après eux qu’il l’accuse d’être répréhensible, qu’il montre d’après quelle source il a pu dire qu’il n’était pas irréprochable. Jésus a tenu ses promesses en faisant du bien à ceux qui se sont attachés à lui. Et en voyant sans cesse accomplis les événements qu’il avait prédits avant qu’ils arrivent, l’Évangile prêché dans le monde entier, ses disciples partis annoncer sa doctrine à toutes les nations, en outre, leur procès devant gouverneurs et rois sans autre motif que son enseignement, nous sommes remplis d’admiration pour lui et nous fortifions chaque jour notre foi en lui. Mais je ne sais pas de quelles preuves plus fortes et plus évidentes Celse voudrait qu’il ait confirmé ses prédictions ; à moins peut-être qu’ignorant, à ce qu’il semble, que le Logos est devenu l’homme Jésus, il eût voulu qu’il n’éprouvât rien d’humain et ne devînt pas pour les hommes un noble exemple de la manière de supporter l’adversité. Mais peut-être celle-ci apparaît-elle à Celse lamentable et des plus répréhensibles, puisqu’il regarde la peine comme le plus grand des maux et le plaisir comme le bien parfait : ce qui n’est accepté par aucun des philosophes qui admettent la Providence, et qui conviennent que le courage est une vertu ainsi que l’endurance et la grandeur d’âme. Ainsi, par les souffrances qu’il a supportées, Jésus n’a pas discrédité la foi en sa personne, mais il l’a fortifiée plutôt dans ceux qui veulent admettre le courage, et dans ceux qui ont appris de lui que la vie heureuse au sens propre et véritable n’est point ici-bas, mais dans ce qu’il appelle « le siècle à venir », tandis que la vie dans « le siècle présent » est un malheur, la première et la plus grande lutte à mener par l’âme. LIVRE II

Après cela, je ne sais pour quelle raison, il ajoute cette remarque fort niaise :” Si, en forgeant des justifications absurdes à ce qui vous a ridiculement abusés, vous croyez offrir une justification valable, qu’est-ce qui empêche de penser que tous les autres qui ont été condamnés et ont disparu d’une manière plus misérable encore sont des messagers plus grands et plus divins que lui ? ” Mais il est d’une évidence manifeste et claire à tout homme que Jésus, dans les souffrances qui sont rapportées, n’a rien de comparable a ceux qui ont disparu d’une manière plus misérable encore, à cause de leur magie ou de quelque autre grief que ce soit. Car personne ne peut montrer qu’une pratique de sorcellerie ait converti les âmes de la multitude des pèches qui règnent parmi les hommes et du débordement de vice. Et le Juif de Celse, assimilant Jésus aux brigands, déclare ” On pourrait dire avec une égale impudence d’un brigand et d’un assassin mis au supplice ce n’était pas un brigand, mais un Dieu, car il a prédit à ses complices qu’il souffrirait le genre de supplice qu’il a souffert “.Mais d’abord on peut dire ce n’est pas du fait qu’il a prédit ce qu’il souffrirait que nous avons de tels sentiments sur Jésus, comme par exemple lorsque nous professons sincèrement et hardiment qu’il est venu de Dieu à nous , ensuite, nous disons que cette assimilation même est prédite en quelque sorte dans les Evangiles, puisque Jésus « fut compte parmi les malfaiteurs » par des malfaiteurs car ils ont préféré qu’un brigand, emprisonné « pour sédition et meurtre », fût mis en liberté, et que Jésus soit crucifié, et ils le crucifièrent entre deux brigands. De plus, sans cesse, dans la personne de ses disciples véritables et qui rendent témoignage à la vérité, Jésus est crucifié avec des brigands et souffre la même condamnation qu’eux parmi les hommes. Nous disons dans la mesure ou il y a une analogie entre des brigands et ceux qui, pour leur piété envers le Créateur qu’ils veulent garder intacte et pure comme l’enseigna Jésus acceptent tous les genres d’outrages et de morts, il est clair que Celse a quelque raison de comparer aux chefs de brigands Jésus, l’initiateur de cet enseignement sublime. Mais ni Jésus qui meurt pour le salut de tous, ni ceux qui endurent ces souffrances à cause de leur piété, seuls de tous les hommes à être persécutés pour la manière dont ils croient devoir honorer Dieu, ne sont mis à mort sans injustice, et Jésus ne fut pas persécuté sans impiété. Note aussi le caractère superficiel de ce qu’il dit de ceux qui furent alors les disciples de Jésus : “Alors les compagnons de sa vie, qui entendaient sa voix, l’avaient pour maître, quand ils le virent torturé et mourant, ne voulurent ni mourir avec lui ni mourir pour lui, et, loin de consentir à mépriser des supplices, ils nièrent qu’ils fussent ses disciples. Et vous, maintenant, voulez mourir avec lui”. Ici donc Celse, pour attaquer notre doctrine, ajoute foi au péché commis par les disciples encore débutants et imparfaits, que rapportent les Evangiles. Mais leur redressement après leur faute, leur assurance à prêcher devant les Juifs, les maux sans nombre endurés de leur part, leur mort enfin pour l’enseignement de Jésus, il n’en dit mot. C’est qu’il n’a pas voulu considérer la prédiction de Jésus à Pierre « Vieilli, tu étendras les mains… » etc. ; à quoi l’Écriture ajoute « Il indiquait ainsi la mort par laquelle il rendrait gloire à Dieu » , ni considérer la mort par le glaive au temps d’Hérode, pour la doctrine du Christ, de Jacques frère de Jean, apôtre et frère d’apôtre , ni considérer non plus tous les exploits de Pierre et des autres apôtres dans leur intrépide prédication de l’Évangile, et comment ils s’en allèrent du Sanhédrin après leur flagellation, « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour son nom », surpassant de loin tout ce que les Grecs racontent de l’endurance et du courage des philosophes. Des l’origine donc, prévalait chez les auditeurs de Jésus cette leçon capitale de son enseignement le mépris de la vie recherchée par la foule et l’empressement à mener une vie semblable à celle de Dieu. Et comment n’est-ce pas un mensonge que la parole du Juif de Celse “Au cours de sa vie, il ne gagna qu’une dizaine de mariniers et publicains des plus perdus, et encore pas tous ?” Il est bien clair, même des Juifs en conviendraient, qu’il à gagné non seulement dix hommes, ni cent, ni mille, mais en bloc tantôt cinq mille, tantôt quatre mille» , et gagné au point qu’ils le suivaient jusqu’aux déserts, seuls capables de contenir la multitude assemblée de ceux qui croyaient en Dieu par Jésus, et ou il leur présentait non seulement ses discours mais ses actes. Par ses redites, Celse me force à l’imiter puisque j’évite avec soin de paraître négliger l’un quelconque de ses griefs. Sur ce point donc, suivant l’ordre de son écrit, il déclare “Alors que de son vivant il n’a persuadé personne, après sa mort ceux qui en ont le désir persuadent des multitudes n’est-ce point le comble de l’absurde. Il aurait dû dire, pour garder la logique si, après sa mort ceux qui en ont, pas simplement le désir, mais le désir et la puissance, persuadent des multitudes, combien est-il plus vraisemblable que pendant sa vie il en ait persuadé bien davantage par sa puissante parole et par ses actes. LIVRE II

Souvent déjà, Celse, incapable de regarder en face les miracles de Jésus rapportés dans l’Écriture, les disqualifie en les traitant de sorcellerie. Souvent, j’ai fait mon possible pour réfuter cette allégation. Ici encore, il suppose notre réponse “Nous l’avons cru Fils de Dieu, car il avait guéri des boiteux et des aveugles,” et il ajoute “et, a ce que vous dites, ressuscité des morts”. Or, qu’il ait guéri des boiteux et des aveugles, et que pour ce motif nous le croyions Christ et Fils de Dieu, c’est pour nous l’évidence d’après ce qu’attestent les prophéties « Alors s’ouvriront les yeux des aveugles, et les oreilles des sourds entendront, alors le boiteux bondira comme un cerf ». Mais qu’il ait ressuscitée des morts, et que ce ne soit point une fiction des évangélistes, s’établit de la sorte si c’était une fiction, il serait question de nombreux ressuscités et d’un séjour plus long dans leurs sépulcres. Parce qu’il ne s’agit point de fiction, on n’en rappelle qu’un tout petit nombre il y a la fille du chef de la synagogue, et à son sujet, il dit, je ne sais pourquoi « Elle n’est pas morte, mais elle dort », ce qui n’était pas le cas de tous les morts , il y a le fils unique de la veuve que, dans sa compassion, il a ressuscite après avoir arrête les porteurs , en troisième lieu, il y a Lazare, au tombeau depuis quatre jours. LIVRE II

Jésus n’entendait pas détourner ses disciples de l’attachement aux sorciers en général, qui promettent d’accomplir des prodiges par n’importe quel moyen – ils n’avaient pas besoin d’une telle mise en garde -, mais de l’attachement à ceux qui se présenteraient comme le Christ de Dieu et s’efforceraient, grâce à des prestiges, de tourner vers eux les disciples de Jésus. Il dit donc : « Alors, si l’on vous dit : Tenez, voici le Christ ! ou le voilà ! n’en croyez rien. Il surgira en effet de faux christs et de faux prophètes qui produiront des signes et des prodiges considérables, capables d’abuser si c’était possible les élus eux-mêmes : telle est ma prédiction. Si donc on vous dit : le voici au désert, n’y allez pas ; le voilà dans les cachettes, n’en croyez rien. Comme l’éclair, en effet, part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il à l’avènement du Fils de l’homme. » Et ailleurs : « Beaucoup me diront en ce jour : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons mangé, en ton nom que nous avons bu, en ton nom que nous avons chassé les démons et accompli nombre de miracles ? Et moi je leur dirai : écartez-vous de moi : vous êtes des artisans d’injustice. » Mais Celse, dans le désir d’assimiler les prodiges de Jésus à la sorcellerie humaine, dit littéralement ceci : ” O lumière et vérité ! De sa propre voix il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers. Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges; il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants. Sous la contrainte de la vérité, il a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne. N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure des mêmes oevres à la divinité de l’un et à la sorcellerie des autres ? Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. ” Voilà bien la preuve manifeste de la perfidie de Celse à l’égard de l’Évangile : ce que dit Jésus de ceux qui accompliront signes et prodiges diffère totalement de ce qu’affirmé le Juif de Celse. Bien sûr, si Jésus avait simplement dit à ses disciples de se mettre en garde contre ceux qui promettent des prodiges, sans ajouter de quel titre ils se pareraient, peut-être y aurait-il place pour le soupçon du Juif. Mais les gens dont Jésus veut que nous nous gardions professent qu’ils sont le Christ, ce que ne font pas les sorciers , il dit en outre qu’au nom de Jésus des gens à la vie déréglée feront certains miracles, expulseront des hommes les démons. Dés lors, s’il faut le dire, voilà bannie des personnages en question la sorcellerie et tout soupçon à leur adresse, et bien établie au contraire la puissance divine du Christ et celle de ses disciples car il était possible à qui usait de son nom, sous l’impulsion de je ne sais quelle puissance, de prétendre qu’il était le Christ, de paraître accomplir des actes comparables à ceux du Christ, et à d’autres de faire au nom de Jésus des prodiges apparemment voisins de ceux de ses authentiques disciples. LIVRE II

Qu’on nous dise dès lors si un trait du texte de l’Évangile ou de l’Apôtre peut prêter au soupçon que la sorcellerie soit prédite dans ce passage ! Et quiconque le désire pourra extraire en outre de Daniel la prophétie sur l’Antéchrist. Mais Celse calomnie les paroles de Jésus : il n’a pas dit que d’autres se présenteraient, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers, comme Celse le lui fait dire. En effet, la puissance des incantations d’Egypte n’est point pareille à la grâce miraculeuse dont disposait Moïse : l’issue a manifesté que les actions des Egyptiens étaient des sorcelleries, et celles de Moïse des oevres divines. De la même façon, les actions des antéchrists et de ceux qui prétendent faire des miracles à l’égal des disciples de Jésus sont qualifiées de « signes et de prodiges mensongers, sévissant dans toutes les séductions du mal à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition » ; celles du Christ et de ses disciples, au contraire, ont pour fruit non la séduction mais le salut des âmes. Qui donc peut raisonnablement soutenir que la vie vertueuse qui réduit chaque jour à un plus petit nombre les actions mauvaises provient d’une séduction ? Celse a deviné un trait de l’Écriture, quand il fait dire à Jésus qu’un certain Satan serait habile à contrefaire ces prodiges. Mais il ajoute une pétition de principe en affirmant que Jésus ne nie pas en eux tout caractère divin, mais qu’il y voit l’oevre de méchants. C’est renfermer dans une même catégorie des choses de catégorie différente. Comme le loup n’est pas de même espèce que le chien, malgré une ressemblance apparente dans la forme du corps et dans la voix, ni le pigeon ramier de même espèce que la colombe, ainsi une oevre de la puissance de Dieu n’a rien de pareil à ce qui provient de la sorcellerie. Autre réponse aux déloyautés de Celse : est-ce que des méchants démons feraient des miracles par sorcellerie, sans que la nature divine et bienheureuse en accomplisse aucun ? L’existence humaine est-elle accablée de maux, sans la moindre place pour les biens ? Or voici mon avis : dans la mesure où l’on doit admettre le principe général que là où l’on suppose un mal de même espèce que le bien, il existe nécessairement en face de lui un bien, de même aussi, en regard des actes exécutés par sorcellerie il en existe nécessairement qui sont dus à l’activité divine dans l’existence. En conséquence du même principe on peut ou supprimer les deux membres de l’affirmation et dire que ni l’un m l’autre ne se réalise, ou, posé l’un, ici le mal, reconnaître aussi le bien. Mais admettre les effets de la sorcellerie et nier les effets de la puissance divine équivaut, me semble-t-il, à soutenir qu’il y a des sophismes et des arguments plausibles éloignés de la vérité bien qu’ils feignent de l’établir, mais que la vérité et la dialectique étrangère aux sophismes n’ont aucun droit de cité parmi les hommes. Admet-on l’existence de la magie et de la sorcellerie exercée par les méchants démons, charmés par des incantations spéciales et dociles aux invitations des sorciers ? Il s’ensuit que doivent exister parmi les hommes les effets de la puissance divine. Alors pourquoi ne pas examiner soigneusement ceux qui prétendent faire des miracles et voir si leur vie, leurs moers, les résultats de ces miracles nuisent aux hommes ou redressent leurs moers ? Qui donc, au service des démons, obtient de tels effets au moyen de pratiques incantatoires et magiques. Qui au contraire, après s’être uni à Dieu, dans un lieu pur et saint, par son âme, son esprit et je croîs aussi par son corps, et avoir reçu un esprit divin, accomplit de tels actes pour faire du bien aux hommes et les exhorter à croire au vrai Dieu ? Admet-on la nécessité de chercher, sans tirer une conclusion précipitée des miracles, qui accomplit ces prodiges par un principe bon et qui, par un principe mauvais, de manière à éviter soit de tout déprécier, soit de tout admirer et accueillir comme divin ? Comment alors ne sera-t-il pas évident, d’après les événements du temps de Moïse et du temps de Jésus, puisque des nations entières se sont constituées à la suite de leurs miracles, que c’est par une puissance divine qu’ils ont accompli les oevres que la Bible atteste ? Car la méchanceté et la magie n’auraient pas constitué une nation entière qui a dépasse non seulement les idoles et les monuments construits par les hommes, mais encore toute nature créée, et qui s’élève jusqu’au principe incréé du Dieu de l’univers. LIVRE II

Et comme c’est un Juif qui tient ces propos chez Celse, on pourrait lui dire et toi donc, mon brave, pourquoi enfin cette différence tu croîs divines les oevres que d’après tes Écritures Dieu accomplit par Moïse, et tu tâches de les justifier contre ceux qui les calomnient comme des effets de la sorcellerie, analogues à ceux qu’accomplissent les sages d’Egypte ; tandis que celles de Jésus dont tu reconnais l’existence, suivant l’exemple des Egyptiens qui te critiquent, tu les accuses de n’être pas divines ? Si en effet le résultat final, la nation entière constituée par les prodiges de Moïse, prouve évidemment que c’était Dieu l’auteur de ces miracles au temps de Moïse, comment cet argument ne sera-t-il pas plus démonstratif pour le cas de Jésus, auteur d’une plus grande oevre que celle de Moïse ? Car Moïse a pris ceux de la nation formée de la postérité d’Abraham qui avaient gardé le rite traditionnel de la circoncision, observateurs décidés des usages d’Abraham, et il les conduisit hors d’Egypte en leur imposant les lois que tu croîs divines. Jésus, avec une autre hardiesse, substitua au régime antérieur, aux habitudes ancestrales, aux manières de vivre d’après les lois établies, le régime de l’Évangile. Et, tout comme les miracles que Moïse fit d’après les Écritures étaient nécessaires pour lui obtenir l’audience non seulement de l’assemblée des Anciens, mais encore du peuple, pourquoi Jésus lui aussi, pour gagner la foi d’un peuple qui avait appris à demander des signes et des prodiges, n’aurait-il pas eu besoin de miracles capables, par leur grandeur et leur caractère divin supérieurs si on les compare à ceux de Moïse, de les détourner des fables juives et de leurs traditions humaines, et de leur faire accepter que l’auteur de cette doctrine et de ces prodiges était plus grand que les prophètes ? Comment donc n’était-il pas plus grand que les prophètes, lui que les prophètes proclament Christ et Sauveur du genre humain ? Bien plus, toutes les attaques du Juif de Celse contre ceux qui croient en Jésus peuvent se retourner en accusation contre Moïse , en sorte qu’il n’y a pas ou presque pas de différence à parler de la sorcellerie de Jésus et de celle de Moïse, tous deux pouvant, à s’en tenir a l’expression du Juif de Celse, être l’objet des mêmes critiques. Par exemple le Juif de Celse dit a propos du Christ « O lumière et vérité ! De sa propre voix, il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers ». Mais a propos de Moïse, celui qui ne croît pas à ses miracles, qu’il soit d’Egypte ou de n’importe ou, pourrait dire au Juif « O lumière et vérité ! De sa propre voix, Moïse annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers » Car il est écrit dans votre loi : « Que surgisse en toi un prophète ou un faiseur de songes qui te propose un signe ou un prodige, et qu’ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s’il te dit alors « Allons suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas et servons les », vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur » etc… L’un, dans sa critique des paroles de Jésus, dit encore « Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges » L’autre, dans l’application de ce trait à Moïse, dira « Et il nomme un prophète faiseur de songes habile à contrefaire ces prodiges ». Et de même que le Juif de Celse dit de Jésus : « Il ne nie pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » , ainsi, qui ne croît pas aux miracles de Moïse lui dira la même chose en citant la phrase précédente « Il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » Et ainsi fera-t-il pour cette parole « Sous la contrainte de la vérité, Moïse a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne ». Et quand le Juif déclare « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la divinité de l’un et a la sorcellerie des autres ? » on pourrait lui répondre à cause des paroles de Moïse déjà citées « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la qualité de prophète et serviteur de Dieu de l’un et a la sorcellerie des autres ? » Mais insistant davantage, Celse ajoute aux comparaisons que j’ai citées « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? » On ajoutera à ce qui était dit « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à la méchanceté des gens auxquels Moïse défend de croire malgré leur étalage de signes et de prodiges, et non plutôt à la méchanceté de Moïse, quand il attaque les autres pour leurs signes et leurs prodiges ? » Il multiplie les paroles dans le même sens pour avoir l’air d’amplifier sa brève argumentation : « Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. » Qui donc désigne ce « lui-même » ? Toi, Juif, tu dis que c’est Jésus ; mais celui qui t’accuse comme sujet aux mêmes critiques rapportera ce « lui-même » à Moïse. LIVRE II

Puisque l’auteur de tels propos est Juif, nous lui répondrons comme à un Juif pour défendre notre Jésus, appliquant encore son argument à Moïse : combien d’autres usent de ces contes merveilleux comme le fit Moïse pour persuader leurs auditeurs naïfs et tirer profit de l’imposture. L’évocation de Zamolxis, de Pythagore et de leurs contes merveilleux conviendrait mieux à quelqu’un qui ne croit pas à Moïse qu’à un Juif, pas précisément curieux des histoires grecques. Mais l’Égyptien même incrédule aux miracles de Moïse citerait vraisemblablement l’exemple de Rhampsinite en disant : l’histoire de sa descente chez Hadès, du jeu de dés avec Déméter, de la serviette lamée d’or conquise sur elle pour montrer un signe de sa descente chez Hadès et de sa remontée, est bien plus vraisemblable que celle de Moïse écrivant qu’« il était entré dans la nuée où était Dieu » et que seul il approcha de Dieu à l’exclusion des autres ; car voici ce qu’il a écrit : « Moïse seul s’approchera de Dieu, les autres ne s’approcheront pas. » En conséquence, au Juif qui tient ces propos, nous, disciples du Christ, nous dirons : Défends-toi donc, toi qui incrimines notre foi en Jésus, dis ce que tu répondras à l’Égyptien et aux Grecs sur les accusations que tu portes contre notre Jésus, mais qui peuvent d’abord s’appliquer à Moïse. Même si tu luttes fortement pour défendre Moïse, comme assurément son histoire peut recevoir une justification impressionnante et manifeste, à ton insu, dans ton apologie de Moïse, tu prouveras malgré toi que Jésus est plus divin que lui. LIVRE II

Mais le Juif, après avoir rapporté les histoires grecques de ces conteurs de merveilles et des soi-disant ressuscites des morts, dit aux Juifs qui croient en Jésus : «Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme ? » Nous répondrons au Juif : les exemples que tu as cités, nous les tenons pour mythes, mais ceux des Écritures, qui nous sont communes avec vous et en égale vénération, nous nions absolument que ce soient des mythes. Voilà pourquoi nous croyons que ceux qui ont écrit sur les personnages autrefois ressuscites des morts n’usent pas de contes merveilleux ; nous croyons de même que Jésus est alors ressuscité tel qu’il l’a prédit et qu’il fut prophétisé. Mais voici en quoi sa résurrection des morts est plus miraculeuse que la leur : eux furent ressuscités par les prophètes Élie et Elisée ; Lui ne le fut par aucun des prophètes, mais par son Père qui est dans les cieux. Pour la même raison, sa résurrection a eu plus d’efficacité que la leur : car quel effet eut pour le monde la résurrection de petits enfants par Élie et Elisée, qui soit comparable à l’effet de la résurrection de Jésus prêchée et admise des croyants grâce à la puissance divine ? Il juge contes merveilleux le tremblement de terre et les ténèbres ; je les ai défendus plus haut de mon mieux en citant Phlégon qui a rapporté que ces faits survinrent au temps de la passion du Sauveur. Il ajoute, de Jésus : « Vivant, il ne s’est pas protégé lui-même ; mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. » Je lui demande alors : que signifie « il s’est protégé lui-même » ? S’il s’agit de la vertu, je dirai qu’il s’est bel et bien protégé : sans dire ni faire quoi que ce fût d’immoral, mais vraiment « comme une brebis il a été conduit à l’abattoir, comme un agneau devant le tondeur il est resté muet », et l’Évangile atteste : « ainsi, il n’a pas ouvert la bouche ». Mais si l’expression « il s’est protégé » s’entend de choses indifférentes ou corporelles, je dis avoir prouvé par les Évangiles qu’il s’y est soumis de plein gré. Puis, après avoir rappelé les affirmations de l’Évangile : « ressuscité des morts, il montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées », il pose la question : « Qui a vu cela ? » et, s’en prenant au récit de Marie-Madeleine dont il est écrit qu’elle l’a vu, il répond : « Une exaltée, dites-vous ». Et parce qu’elle n’est pas la seule mentionnée comme témoin oculaire de Jésus ressuscité, et qu’il en est encore d’autres, le Juif de Celse dénature ce témoignage : « et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement ». Ensuite, comme si le fait était possible, je veux dire qu’on puisse avoir une représentation imaginaire d’un mort comme s’il était en vie, il ajoute, en adepte d’Épicure, que « quelqu’un a eu un songe d’après une certaine disposition, ou, au gré de son désir dans sa croyance égarée, une représentation imaginaire » et a raconté cette histoire ; « chose, ajoute-t-il, arrivée déjà à bien d’autres ». Or c’est là, même s’il le juge très habilement dit, ce qui est propre néanmoins à confirmer une doctrine essentielle : l’âme des morts subsiste ; et pour qui admet cette doctrine, la foi en l’immortalité de l’âme ou du moins à sa permanence n’est pas sans fondement. Ainsi même Platon, dans son dialogue sur l’âme, dit qu’autour de tombeaux sont apparues à certains « des images semblables aux ombres », d’hommes qui venaient de mourir. Or ces images apparaissant autour des tombeaux des morts viennent d’une substance, l’âme qui subsiste dans ce qu’on appelle le « corps lumineux » Celse le rejette, mais veut bien que certains aient eu une vision en rêve et, au gré de leur désir, dans leur croyance égarée, une représentation imaginaire. Croire à 1’existence d’un tel songe n’est point absurde, mais celle d’une vision chez des gens qui ne sont pas absolument hors de sens, frénétiques ou mélancoliques, n’est pas plausible. Celse a prévu l’objection il parle d’une femme exaltée. Cela ne ressort pas du tout de l’histoire écrite d’où il tire son accusation Ainsi donc, après sa mort, Jésus, au dire de Celse, aurait provoqué une représentation imaginaire des blessures reçues sur la croix, sans exister réellement avec ces blessures. Mais suivant les enseignements de l’Evangile, dont Celse admet à sa guise certaines parties pour accuser, et rejette les autres, Jésus appela près de lui l’un des disciples qui ne croyait pas et jugeait le miracle impossible. Il avait bien donné son assentiment à celle qui assurait l’avoir vu, admettant la possibilité de voir apparaître l’âme d’un mort, mais il ne croyait pas encore vrai que le Christ fût ressuscite dans un corps résistant. D’où sa repartie « Si je ne vois, je ne croirai pas », puis ce qu’il ajoute « Si je ne mets ma main à la place des clous et ne touche son côté, je ne croirai pas. » Voilà ce que disait Thomas, jugeant qu’aux yeux sensibles pouvait apparaître le corps de l’âme « en tout pareil » a sa forme antérieure « par la taille, les beaux yeux, la voix », et souvent même « revêtu des mêmes vêtements » Mais Jésus l’appela près de lui « Avance ton doigt ici voici mes mains , avance ta main et mets-la dans mon côte , et ne sois plus incrédule, mais croyant » LIVRE II

Apres quoi Celse, blâmant ce qui est écrit, fait une objection non négligeable. Si Jésus voulait réellement manifester sa puissance divine, il aurait dû apparaître à ses ennemis, au juge, bref a tout le monde. Il est vrai que selon l’Évangile, il nous semble qu’après la résurrection il n’est point apparu comme auparavant en public et à tout le monde. S’il est écrit dans les Actes que, « leur apparaissant pendant quarante jours », il annonçait à ses disciples le Règne de Dieu, dans les Evangiles, il n’est pas dit qu’il fût sans cesse avec eux une fois, huit jours aprés, toutes portes closes, « il parut au milieu d’eux », puis une autre fois, dans des conditions semblables. Paul de même, vers la fin de sa première Épître aux Corinthiens, insinuant que Jésus n’apparut point en public comme au temps précédant sa passion, écrit : « Je vous ai transmis d’abord ce que j’ai reçu moi-même : que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures », qu’il est ressuscité, « qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore et quelques-uns sont endormis. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. » Qu’elles me paraissent grandes, admirables, sans proportion avec le mérite non seulement de la foule des croyants, mais encore de l’élite en progrès dans la doctrine, les vérités de ce que contient ce passage ! Elles pourraient montrer la raison pour laquelle, après sa résurrection d’entre les morts, il n’apparaît point comme auparavant. Mais, parmi les nombreuses considérations qu’exigé un traité écrit comme celui-ci contre le discours de Celse qui attaque les chrétiens et leur foi, vois si on peut en offrir quelques-unes de vraisemblables pour toucher ceux qui prêteront attention à notre défense. LIVRE II

Mais je crois utile à la justification de ce point de vue cette parole sur Jésus : « Le Christ est mort et ressuscité pour devenir le Seigneur des morts et des vivants. » Remarque en effet ici que Jésus « est mort… pour devenir le Seigneur des morts », et qu’« il est ressuscité » pour devenir le Seigneur non seulement « des morts », mais « aussi des vivants ». L’Apôtre entend bien par les morts dont le Christ est le Seigneur ceux que désigne ainsi la Première aux Corinthiens : « Car la trompette sonnera et les morts ressusciteront incorruptibles » ; et par les vivants, eux et ceux qui seront transformés, étant autres que les morts qui ressusciteront. Voici le passage qui les concerne : « Et nous nous serons transformés », qui fait suite à : « Les morts ressusciteront d’abord ». En outre, dans la Première aux Thessaloniciens, il exprime en mots différents la même distinction, en déclarant qu’autres sont ceux qui dorment et autres les vivants : « Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez ignorants sur ceux qui dorment, pour vous éviter la désolation des autres qui n’ont pas d’espérance. En effet, si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, de même, ceux-là aussi qui se sont endormis en Jésus, Dieu les amènera avec lui. Car voici ce que j’ai à vous dire sur la parole du Seigneur : Nous, les vivants, qui serons encore là pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis. » Mais l’interprétation que j’ai trouvée de ces passages, je l’ai exposée dans mon commentaire de la Première aux Thessaloniciens. LIVRE II

Mais je veux établir qu’il n’était pas plus utile pour l’ensemble de l’Économie que « c’est du haut de la croix que Jésus aurait dû soudain disparaître » corporellement. La simple lettre et le récit de ce qui est arrivé à Jésus ne laissent point voir la vérité totale. Car à une lecture plus pénétrante de la Bible, chaque événement se révèle de plus symbole d’une vérité. Ainsi en est-il du crucifiement : il contient la vérité qu’exprimé ce mot : « Je suis crucifié avec le Christ » », et cette idée : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de mon Seigneur Jésus-Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde. » Ainsi, de sa mort : elle était nécessaire pour que l’on pût dire : « Car sa mort fut une mort au péché une fois pour toutes », et pour que le juste ajoute qu’« il lui devient conforme dans la mort », et : « Si en effet nous sommes morts avec lui, avec lui aussi nous vivrons ». Ainsi encore, de son ensevelissement : il s’étend à ceux qui lui sont devenus conformes dans la mort, crucifiés avec lui, morts avec lui, suivant ces autres mots de Paul : « Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême », nous sommes aussi ressuscites avec lui. LIVRE II

Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II

Aussi ne cesserons-nous pas de croire en Dieu selon les règles données par Jésus et de chercher la conversion de ceux qui sont aveugles au point de vue religieux. Les aveugles véritables peuvent nous blâmer d’être aveugles, et ceux, Juifs et Grecs, qui séduisent leurs adeptes, nous reprocher à nous aussi de séduire les hommes. Belle séduction, en vérité, que de conduire de la licence à la tempérance, ou du moins au progrès vers la tempérance ; de l’injustice à la justice ou au progrès vers la justice, de la folie à la sagesse, ou sur le chemin de la sagesse ; de la timidité, du manque de caractère, de la lâcheté, au courage et à la persévérance exercée principalement dans les luttes pour garder la piété envers Dieu créateur de l’univers ! Jésus-Christ est donc venu, après avoir été prédit non par un seul prophète, mais par tous. Et c’est une nouvelle preuve de l’ignorance de Celse que de faire dire au personnage du Juif qu’un seul prophète a prédit le Christ. Le Juif mis en scène par Celse, et qui prétend parler au nom de sa propre loi, achève ici son argumentation, sans rien dire d’autre qui mérite d’être mentionné. Je terminerai donc, moi aussi, le second livre que j’ai composé contre son traité. Avec l’aide de Dieu, et par la puissance du Christ habitant dans notre âme, je m’appliquerai à répondre, dans un troisième livre, à ce que Celse a écrit dans la suite. LIVRE II

Dans le premier livre de la réponse au traité que Celse composa contre nous sous le titre pompeux de ” Discours véritable”, j’ai de mon mieux, suivant ton ordre, très fidèle Ambroise, discuté sa préface et les allégations qui la suivent, examinant chacune d’entre elles, jusqu’à la fin de la déclamation fictive de son Juif contre Jésus. Dans le second livre, j’ai répondu selon mes moyens à tous les points de la déclamation de son Juif contre nous qui croyons en Dieu par le Christ. J’aborde ce troisième livre avec le propos d’y combattre ce qu’il formule de son propre chef. Il déclare donc que ” rien n’est plus sot que la dispute entre les chrétiens et les Juifs “; il dit que ” notre controverse sur le Christ n’aurait pas plus de valeur que la proverbiale querelle sur l’ombre d’un âne” . Il pense ” qu’il n’y a rien de sérieux dans ce débat entre Juifs et chrétiens : on croit de part et d’autre à la prédiction, par un esprit divin, d’un Sauveur qui viendrait au genre humain, on ne s’entend plus sur le fait que le personnage prédit soit oui ou non déjà venu “. En effet, nous, chrétiens, nous croyons que Jésus est venu conformément aux prophéties ; mais les Juifs, en majorité, sont si loin de croire en lui, que ses contemporains conspirèrent contre Jésus, et que ceux d’aujourd’hui approuvent ce que les Juifs ont alors osé contre lui ; ils accusent Jésus d’avoir feint, par des artifices magiques, de bien être celui dont les prophètes avaient prédit la venue, et que les Juifs appelaient traditionnellement Christ. LIVRE III

S’il en est ainsi, comment parler d’un débat sur l’ombre d’un âne, quand Juifs et chrétiens examinent les prophéties auxquelles ils croient ensemble, pour savoir si le personnage prédit est déjà venu, ou s’il n’est point venu du tout mais à attendre encore ? A supposer qu’on accorde à Celse que Jésus n’est pas celui qu’ont annoncé les prophètes, il n’en est pas moins vrai que le débat portant sur le sens des écrits prophétiques ne concerne pas l’ombre d’un âne : on veut mettre en lumière le personnage annoncé d’avance, les qualités que lui donnent les prophéties, les exploits qu’il accomplira, et si possible la date de sa venue. J’ai déjà dit plus haut en citant quelques-unes des nombreuses prophéties que le Christ prédit est Jésus. Donc, ni les Juifs ni les chrétiens ne se trompent, en admettant l’inspiration divine des prophéties ; mais ceux-là seuls se trompent qui tiennent l’opinion fausse qu’on attend encore le personnage prédit, dont l’identité et l’origine ont été proclamées par le discours véritable des prophètes. LIVRE III

Ensuite Celse imagine que les Juifs, Egyptiens de race, auraient abandonne l’Egypte après s’être révoltes contre l’État égyptien et avoir méprisé les cérémonies religieuses usitées en Egypte , et il affirme : ce qu’ils ont fait aux Egyptiens, ils l’ont subi de ceux qui ont pris le parti de Jésus et cru en lui comme au Christ. Dans les deux cas, la cause de l’innovation fut la révolte contre l’État. Or il faut remarquer ici le procédé de Celse. Les Egyptiens d’autrefois ont accablé d’avanies la race des Hébreux qui, par suite d’une famine sévissant en Judée, étaient venus en Egypte. Et pour les torts infligés à des hôtes et des suppliants, ils ont subi le châtiment que devait nécessairement subir de la divine Providence toute une nation unanime dans son hostilité contre toute la race de ses hôtes qui ne lui avait fait aucun tort. Sous le coup des fléaux de Dieu, peu de temps après ils laissèrent, non sans peine, aller où ils voulaient ceux qu’ils avaient injustement asservis. En égoïstes qui font plus de cas de n’importe quels compatriotes que d’hôtes plus vertueux, ils n’abandonnèrent pas une seule accusation portée contre Moïse et les Hébreux : sans nier entièrement les miracles prodigieux de Moïse, ils les attribuèrent à la magie, non à une puissance divine. Mais Moïse était non pas magicien mais un homme pieux ; consacré au Dieu de l’univers, participant d’un esprit divin, il institua des lois pour les Hébreux sous la dictée de Dieu, et consigna les événements tels qu’ils existèrent en réalité. LIVRE III

Après cela il déclare :” Leur société est d’autant plus étonnante qu’on peut mieux prouver qu’elle ne repose sur aucun fondement solide. Elle n’a de fondement solide que la révolte, l’avantage qu’on en espère et la crainte des étrangers : telle est l’assise de leur foi. ” A quoi je répliquerai : notre société est si bien établie sur un fondement, ou plutôt, non pas sur un fondement, mais sur l’action de Dieu, qu’elle a pour origine Dieu enseignant aux hommes, dans les prophètes, à espérer la venue du Christ pour sauver les hommes. Dans la mesure où cela n’est point véritablement réfuté, malgré les réfutations apparentes des incroyants, dans cette mesure même il est établi que cette doctrine est la doctrine de Dieu, et démontré que Jésus est le Fils de Dieu avant et après son incarnation. Mais je l’affirme, même depuis son incarnation, elle ne cesse d’être découverte, par ceux qui ont les yeux de l’âme très pénétrants, comme la plus divine, réellement descendue de Dieu vers nous, ne pouvant tirer son origine ni son développement de l’intelligence humaine, mais uniquement de l’apparition sensible de Dieu qui, dans la variété de sa sagesse et de ses miracles, a établi d’abord le judaïsme et après lui le christianisme. Ainsi se trouve réfuté le propos qu’il faut considérer la révolte et l’avantage qu’on en espère comme le principe de la doctrine par laquelle tant d’hommes ont été convertis et rendus meilleurs. LIVRE III

Je ne parle point encore d’un examen approfondi de tout le texte des Évangiles. Chacun d’eux renferme une doctrine complexe et difficile à pénétrer, non seulement par la foule, mais encore par des gens avisés : par exemple l’explication des paraboles que Jésus raconte à ceux « de l’extérieur », réservant leur claire signification à ceux qui ont dépassé le stade des enseignements exotériques et s’approchent de lui en particulier « dans la maison ». On sera dans l’admiration en comprenant pourquoi certains sont dits « à l’extérieur » et d’autres « dans la maison ». Quelle émotion aussi pour qui est capable de considérer les divers aspects de Jésus, quand il gravit la montagne pour certains discours ou certaines actions, ou pour sa transfiguration, ou lorsque, en bas, il guérit les malades qui ne peuvent monter là où ses disciples le suivent. Mais il n’y a pas lieu d’exposer ici ce que les Évangiles ont de véritablement vénérable et divin, ni la pensée du Christ, c’est-à-dire de la Sagesse et du Logos, manifestée chez Paul. Voilà qui suffit pour répondre à la raillerie de Celse, indigne d’un philosophe, qui ose assimiler les plus profonds mystères de l’Église de Dieu aux chats, aux singes, aux crocodiles, aux boucs et aux chiens de l’Egypte. LIVRE III

De plus, quel est cet Apollon qui recommande aux Métapontins de placer Aristéas au rang des dieux ? Dans quel dessein le fait-il, quel bien veut-il procurer aux Métapontins par ces honneurs divins, à supposer qu’ils regardent encore comme un dieu celui qui naguère n’était qu’un homme ? De cet Apollon qui, pour nous, est un démon ayant pour lot « libation et fumet de graisses », les recommandations sur Aristéas te semblent mériter considération ; tandis que celles du Dieu suprême et de ses saints anges, proclamées grâce aux prophètes non après la naissance de Jésus, mais avant qu’il vînt partager la vie des hommes, ne t’incitent à admirer ni ces prophètes capables de recevoir l’esprit divin, ni Celui qu’ils prophétisent ? Sa venue en cette vie s’est trouvée proclamée bien des années auparavant par de nombreux prophètes à tel point que la nation entière des Juifs, suspendue à l’attente de Celui dont elle espérait la venue, en arriva, après la venue de Jésus, à une controverse. Un très grand nombre reconnut le Christ et crut qu’il était celui qu’annonçaient les prophètes. Les autres, incrédules, méprisèrent la douceur de ceux qui, suivant les enseignements de Jésus, se refusèrent à susciter la moindre révolte ; et ils osèrent contre Jésus ces cruautés que les disciples ont décrites avec une sincérité loyale, sans retrancher secrètement de l’histoire miraculeuse ce qui semblerait aux yeux de la plupart tourner à la honte de la doctrine chrétienne. LIVRE III

Apollon, donc, d’après Celse, et assemblées voulait que les Métapontins placent Aristéas au rang des dieux. Mais les Métapontins jugèrent que l’évidence qu’Aristéas était un homme, et peut-être sans vertu, l’emportait sur l’oracle qui le proclamait dieu ou digne des honneurs divins ; aussi refusèrent-ils d’obéir à Apollon, et ainsi personne ne considère Aristéas comme dieu. Mais de Jésus voici ce qu’on peut dire : il était utile au genre humain de le recevoir comme Fils de Dieu, Dieu même venu dans une âme et un corps d’homme ; mais cela paraissait dommageable à la gourmandise des démons qui aiment les corps et à ceux qui les tiennent pour des dieux ; c’est pourquoi les démons terrestres, considérés comme dieux par ceux qui en ignorent la nature, aussi bien que leurs serviteurs ont voulu empêcher l’enseignement de Jésus de se répandre, car ils voyaient que cesseraient les libations et le fumet de graisses dont ils sont friands, si l’enseignement de Jésus prévalait. Mais Dieu qui avait envoyé Jésus déjoua toute la conspiration des démons. Il fit triompher l’Évangile de Jésus dans le monde entier pour la conversion et la réforme des hommes, il constitua partout des églises en opposition aux assemblées de gens superstitieux, désordonnés, injustes : car telles sont les multitudes qui partout constituent les assemblées politiques des citoyens. Et les églises de Dieu, instruites par le Christ, si on les compare aux assemblées du peuple avec qui elles voisinent, sont « comme des flambeaux dans le monde ». Qui donc refuserait d’admettre que même les membres les moins bons de ces églises, inférieurs, en comparaison des parfaits, sont bien supérieurs aux membres de ces assemblées politiques ? LIVRE III

Il est également faux que les maîtres de la divine doctrine ne veuillent convaincre que les gens niais, vulgaires, stupides : esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants. Même eux, le Logos les appelle pour les améliorer ; mais il appelle aussi ceux qui leur sont bien supérieurs : car le Christ est « Sauveur de tous les hommes, et surtout des croyants », qu’ils soient intelligents ou simplets, « il est victime de propitiation devant son Père pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais pour ceux du monde entier ». Il est dès lors superflu de vouloir répondre à ces paroles de Celse : D’ailleurs, quel mal y a-t-il donc à être cultivé, à s’être appliqué aux meilleures doctrines, à être prudent et à le paraître ? Est-ce un obstacle à la connaissance de Dieu ? Ne serait-ce pas plutôt une aide et un moyen plus efficace de parvenir à la vérité ? Assurément, il n’y a pas de mal à être réellement cultivé : car la culture est le chemin vers la vertu. Cependant, compter au nombre des gens cultivés ceux qui professent des doctrines erronées, les sages mêmes de la Grèce n’y souscriraient pas. Par ailleurs, qui ne reconnaîtrait que c’est un bien de s’être appliqué aux meilleures doctrines? Mais qu’appellerons-nous les meilleures doctrines, sinon celles qui sont vraies et invitent à la vertu ? De plus, s’il est bien d’être prudent, ce ne l’est plus de le paraître, comme l’a dit Celse. Et loin d’être un obstacle à la connaissance de Dieu, c’est une aide que d’être cultivé, de s’être appliqué aux meilleures doctrines, d’être prudent. Plutôt qu’à Celse, c’est à nous qu’il revient de le dire, surtout si on le convainc d’épicurisme. LIVRE III

Qu’on ne me suspecte pas de désaccord avec la doctrine chrétienne quand j’ai mobilisé contre Celse les philosophes partisans de l’immortalité et de la survie de l’âme : nous avons avec eux des positions communes. Je prouverai, en temps plus convenable, que la vie bienheureuse à venir n’appartiendra qu’à ceux qui ont adopté la religion de Jésus, et une piété à l’égard du Créateur de l’univers absolument pure et sans mélange avec quoi que ce soit de créé. Mais quels biens supérieurs persuadons-nous insidieusement les hommes de mépriser ? Le montre qui voudra ! Et qu’il leur confronte cette fin bienheureuse, selon nous, près de Dieu dans le Christ, c’est-à-dire le Logos, la Sagesse et toute vertu, cette fin qui surviendra à tous ceux qui ont vécu d’une manière pure et irréprochable, et ont reçu l’amour sans division ni séparation pour le Dieu de l’univers, cette fin accordée par un don de Dieu ! Qu’il la confronte avec la fin proposée par chaque école philosophique chez les Grecs et les barbares, ou promise par les mystères ! Qu’il montre que la fin présentée par l’un d’entre eux est supérieure à la nôtre, que c’est une conception convenable parce qu’elle est vraie, alors que la nôtre ne convient ni au don de Dieu, ni à ceux dont la vie fut vertueuse ; ou bien qu’elle n’a pas été révélée par l’Esprit divin qui avait rempli l’âme pure des prophètes ! Montre qui voudra que des doctrines reconnues par tous comme tout humaines sont supérieures à celles qui sont démontrées divines et proclamées par inspiration divine ! Mais encore, quels sont les biens supérieurs dont nous dirions qu’il est avantageux de s’abstenir ? En effet, sans prétention orgueilleuse, il apparaît d’emblée qu’on ne peut rien concevoir de supérieur à l’acte de se confier au Dieu suprême et de s’en remettre à l’enseignement qui détache de tout le créé pour conduire, par le Logos animé et vivant, qui est aussi Sagesse vivante et Fils de Dieu, au Dieu suprême. Mais comme le troisième livre de ma réponse au traité de Celse atteint ici une dimension suffisante, j’en arrêterai l’argumentation, pour combattre dans la suite ses objections ultérieures. LIVRE III

J’en viens à un quatrième livre contre les objections qui suivent, après avoir prié Dieu par le Christ. Puissent m’être données de ces paroles dont il est écrit dans Jérémie, quand le Seigneur parlait au prophète : « Voici que j’ai mis dans ta bouche mes paroles comme un feu, voici que je t’ai établi en ce jour sur les nations et les royaumes, pour déraciner et pour détruire, pour perdre et pour abattre, pour bâtir et pour planter. » J’ai besoin désormais de paroles capables de déraciner les idées contraires à la vérité de toute âme trompée par le traité de Celse ou par des pensées semblables aux siennes. J’ai aussi besoin d’idées qui renversent les édifices de toute opinion fausse et les prétentions de l’édifice de Celse dans son traité, pareilles à la construction de ceux qui disent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel. » J’ai encore besoin d’une sagesse qui abatte toutes les puissances altières qui s’élèvent « contre la connaissance de Dieu », et la puissance altière de la jactance de Celse qui s’élève contre nous. Et puisque je ne dois pas me borner à déraciner et à détruire toutes ces erreurs, mais, à la place de ce qui est déraciné, planter la plantation du champ de Dieu, à la place de ce qui est détruit, construire l’édifice de Dieu et le temple de la gloire de Dieu, voilà autant de raisons pour lesquelles je dois prier le Seigneur, dispensateur des dons mentionnés dans Jérémie, de me donner à moi aussi des paroles efficaces pour bâtir l’édifice du Christ et planter la loi spirituelle et les paroles des prophètes qui s’y rapportent. Il me faut surtout établir, contre les objections actuelles de Celse faisant suite aux précédentes, que l’avènement du Christ a bel et bien été prédit. En effet, il se dresse à la fois contre les Juifs et les chrétiens : les Juifs qui refusent que la venue du Christ soit déjà réalisée mais espèrent qu’elle aura lieu, et les chrétiens qui professent que Jésus est le Christ prédit, et il affirme : Voici la prétention de certains chrétiens et des Juifs : un Dieu ou Fils de Dieu, selon les uns est descendu, selon les autres descendra sur la terre pour en juger les habitants : propos si honteux qu’il n’est pas besoin d’un long discours pour le réfuter. Il semble bien parler avec exactitude quand il dit, non pas certains Juifs, mais tous les Juifs croient que quelqu’un descendra sur la terre, tandis que certains chrétiens seulement disent qu’il est descendu. Il veut indiquer ceux qui établissent par les Écritures juives que la venue du Christ a déjà eu lieu, et il paraît connaître l’existence de sectes qui nient que le Christ Jésus soit la personne prophétisée. Or j’ai déjà établi plus haut de mon mieux que le Christ avait été prophétisé ; aussi ne reviendrai-je pas sur les nombreuses preuves qui pourraient être fournies sur ce point, afin d’éviter les redites. Vois donc que s’il avait voulu, avec une logique au moins apparente, renverser la foi aux prophéties ou à l’avènement futur ou passé du Christ, il devait citer les prophéties mêmes auxquelles, chrétiens ou Juifs, nous avons recours dans nos débats. Ainsi il eût, du moins en apparence, détourné ceux qui sont attirés, à l’en croire, par leur caractère spécieux, de l’adhésion aux prophéties et de la foi, fondée sur elles, en Jésus comme au Christ. LIVRE IV

Mais en fait, incapacité de répondre aux prophéties sur le Christ, ou ignorance totale des prédictions faites sur lui, il ne cite pas un seul passage prophétique, alors qu’il en est d’innombrables sur le Christ. Il pense qu’il peut accuser les textes prophétiques, sans produire ce qu’il appellerait leur argument spécieux. Il ignore, en tout cas, que les Juifs ne disent pas du tout que le Christ, Dieu ou Fils de Dieu, descendra, je l’ai dit plus haut. LIVRE IV

A peine a-t-il dit que le Christ, d’après nous est descendu, d’après les Juifs descendra comme un juge, qu’il croit pouvoir accuser d’emblée le propos d’être si honteux qu’il n’a pas besoin d’une longue réfutation. LIVRE IV

J’ai donné ces quelques raisons entre bien d’autres pour répondre à la question de Celse : « Quel but aurait donc pour Dieu, une telle descente ? » Mais Celse invente des propos qui ne sont ni ceux des Juifs ni les nôtres : Est-ce pour apprendre ce qui se passe chez les hommes ? Car aucun de nous ne dit que le Christ soit venu en cette vie pour apprendre ce qui se passe parmi les hommes. Puis, comme si certains disaient que c’est pour apprendre ce qui se passe chez les hommes, il répond à la question posée : Ne sait-il donc pas tout ? Et, comme si nous répondions oui, il élève un nouveau doute : Est-ce alors que, sachant, il ne réforme pas et ne peut réformer par sa puissance divine? Autant de sottises que de mots ! Sans cesse, en effet, par son Logos qui descend à chaque génération dans les âmes pieuses et les constitue amies de Dieu et prophètes, Dieu réforme ceux qui écoutent ses paroles ; et au temps de la venue du Christ, il réforme par l’enseignement du christianisme, non les récalcitrants, mais ceux qui ont choisi la meilleure vie qui plaît à Dieu. Mais je ne sais quelle réforme Celse désire réalisée quand il soulève une nouvelle question : Lui est-il donc impossible de réformer par sa puissance divine, sans envoyer quelqu’un voué par nature à ce dessein ? Aurait-il donc voulu que la réforme fût produite chez des hommes dotés de visions par Dieu qui, ayant soudain ôté la malice, implanterait la vertu ? On pourrait demander si ce serait conforme à la nature ou même possible. Je dirais : admettons que ce soit possible ; mais qu’en sera-t-il de notre liberté ? En quoi l’adhésion à la vérité sera-t-elle louable, digne d’approbation le refus du mensonge? Et même une fois concédé que la chose est possible et convenable, pourquoi ne pas poser tout d’abord la question, calquée sur l’affirmation de Celse : était-il donc impossible à Dieu de créer par sa divine puissance une humanité qui n’eût pas besoin de réforme, immédiatement vertueuse et parfaite, sans l’existence de la moindre malice ? Conception qui peut séduire les gens simples et inintelligents, mais non celui qui examine la nature des choses. Car détruire la liberté de la vertu, c’est en détruire l’essence même. Le sujet exigerait toute une étude. Les Grecs même en ont longuement traité dans leurs livres sur la Providence, et ne souscriraient point à la proposition de Celse : « Il sait, mais ne réforme pas, et il lui est impossible de réformer par sa puissance divine. » Moi aussi, à maintes reprises, j’en ai traité de mon mieux, et les divines Écritures l’ont prouvé à ceux qui peuvent les comprendre. LIVRE IV

Aussi, quand nous disons qu’il laisse et qu’il remplit quelqu’un, nous ne l’expliquerons pas au sens local. Nous dirons que l’âme du méchant plongé dans le vice est abandonnée par Dieu, nous expliquerons que l’âme de celui qui veut vivre dans la vertu, qui y progresse, qui déjà mène cette vie, est remplie ou devient participante de l’esprit divin. Pour que le Christ descende vers les hommes, pour que Dieu se tourne vers eux, il n’est donc pas besoin qu’il abandonne un trône élevé, ni qu’il change les choses d’ici-bas, comme le pense Celse qui dit : Changer la moindre des choses d’ici-bas serait bouleverser et détruire l’univers. LIVRE IV

Si tu veux ma réponse aux plus ridicules propos de Celse, entends-le dire : Mais peut-être Dieu, méconnu parmi les hommes, et se jugeant par là diminué, voudrait-il être reconnu et mettre à l’épreuve les croyants et les incrédules, tout comme les parvenus avides d’ostentation ? C’est là prêter à Dieu une ambition excessive et trop humaine! Ma réponse est que Dieu, méconnu par la méchanceté des hommes, voudrait être reconnu, non qu’il s’en juge diminué, mais parce que sa connaissance délivre du malheur celui qui le reconnaît. De plus, ce n’est pas dans le dessein de mettre à l’épreuve les croyants ou les incrédules qu’il habite lui-même dans certains par sa mystérieuse et divine puissance ou leur envoie son Christ ; c’est pour écarter de tout malheur les croyants qui accueillent sa divinité et pour ôter aux incrédules l’occasion d’excuser leur manque de foi sous prétexte qu’ils n’ont pas entendu son enseignement. Dès lors, quel argument peut montrer que, dans la logique de notre doctrine, Dieu serait d’après nous comme les parvenus avides d’ostentation ? Loin d’être avide d’ostentation à notre égard quand il désire nous faire connaître et comprendre son excellence, Dieu veut implanter en nous la félicité qui naît dans nos âmes du fait qu’il est connu de nous ; et il prend à coeur, par le Christ et l’incessante venue du Logos, de nous faire recevoir l’intimité avec lui. La doctrine chrétienne ne prête donc à Dieu aucune ambition humaine. LIVRE IV

Il n’est pas étonnant qu’en certaines générations des prophètes, à cause de leur vie plus généreuse et plus active, surpassent dans leur capacité à recevoir Dieu d’autres prophètes, les uns de leur époque, d’autres avant ou après eux. Il n’est pas étonnant non plus qu’à un temps déterminé soit venu au genre humain un être extraordinaire, supérieur à ceux qui l’ont précédé ou ceux qui viendraient plus tard. Mais la raison de ces dispositions a trop de profondeur et de mystère pour être pleinement accessible à l’entendement commun. Pour élucider la question et répondre à l’objection sur la venue du Christ : « Est-ce donc maintenant, après tant de siècles, que Dieu s’est souvenu de juger la race humaine, alors qu’auparavant il n’en avait cure ? », il faut aborder le sujet des divisions de peuples, et dire clairement pourquoi « quand le Très-Haut assigna aux nations leur héritage, quand il répartit les fils d’Adam, il fixa les limites des nations suivant le nombre des anges de Dieu ; et la part du Seigneur fut son peuple Jacob, et le lot de son héritage, Israël ». Et il faudra dire la cause de la naissance des hommes dans chaque région, sous la domination de celui qui a reçu la région en héritage ; et comment il était logique que « son peuple Jacob fût la part du Seigneur, et Israël le lot de son héritage » ; et pourquoi, alors qu’auparavant « son peuple Jacob était la part du Seigneur, et Israël le lot de son héritage », pour les siècles à venir il est dit au Sauveur par son Père : « Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage et pour domaine les extrémités de la terre. » Il y a, de fait, pour les économies différentes concernant les âmes humaines, des raisons logiques et enchaînées qui sont indicibles et inexplicables. LIVRE IV

Or, malgré la négation de Celse, après de nombreux prophètes qui avaient réformé ce peuple d’Israël, le Christ est venu en réformateur du monde entier, sans avoir besoin, comme lors de la première économie, d’employer contre les hommes des fouets, des chaînes, des instruments de torture. Car, « lorsque le Semeur sortit pour semer », son enseignement suffit pour que la doctrine fût partout semée. A supposer qu’il advienne un temps qui impose au monde une limite qui est nécessaire, puisqu’il a eu un commencement, et qu’il advienne aussi une fin pour le monde, et après la fin, un juste jugement universel, alors le philosophe devra établir les vérités de cette doctrine par des preuves de toutes sortes, tirées des divines Écritures, ou déduites par raisonnements ; et la foule, incapable dans sa simplicité de suivre par la pensée les aspects très variés de la sagesse de Dieu, devra se confier à Dieu et au Sauveur de notre race, plus satisfaite de l’affirmation « Il l’a dit » que de toute autre raison. LIVRE IV

En l’âme de Jésus, si l’on suppose un changement à sa venue dans un corps, nous demanderons ce qu’on veut dire par là. Est-ce un changement de l’essence? On ne l’accorde pas de cette âme, ni même d’une autre âme raisonnable. Veut-on la dire affectée par le corps auquel elle est mélangée et par le lieu où elle est venue ? En quoi cela répugne-t-il au Logos qui dans son immense amour pour les hommes fait descendre un Sauveur au genre humain? Aucun de ceux qui auparavant avaient promis de le guérir n’avait pu faire tout ce dont cette âme a fait preuve même en descendant librement à la condition mortelle des hommes pour le salut de notre race. Telle est la pensée du divin Logos exprimée en maints passages des Écritures ; il suffit pour l’instant de citer un seul passage de Paul : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclaves. » « S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom. » LIVRE IV

Il représente ensuite, d’une part, les Juifs expliquant pourquoi selon eux la venue du Christ est encore à venir, et de l’autre, les chrétiens parlant de la venue déjà réalisée du Fils de Dieu dans la vie humaine. LIVRE IV

Cette admirable piété que ni fatigues, ni péril de mort ni arguments captieux ne peuvent vaincre ne servira-t-elle de rien à ceux qui l’ont acquise pour leur éviter d’être comparés à des vers, même s’ils avaient pu l’être avant une telle piété ? En vérité, nous paraissent-ils frères des vers, parents des fourmis, semblables aux grenouilles, les vainqueurs du plus brûlant désir des voluptés, qui a rendu tant de coeurs mous comme cire, dont la victoire vient de leur persuasion que le seul moyen de parvenir à la familiarité avec Dieu est de monter vers lui par la tempérance ? Quoi donc, l’éclat de la justice qui lui fait observer à l’égard de son prochain et de ses parents la sociabilité, la justice, la charité et la bienfaisance n’empêcherait pas celui qui la pratique d’être une chauve-souris ? Au contraire ceux qui se roulent dans la débauche, comme la plupart des hommes, qui s’approchent indifféremment des prostituées et enseignent que ce ne peut être absolument contre le devoir, ne sont-ils pas des vers dans un bourbier ? C’est encore plus clair si on compare à ceux qu’on a instruits à ne pas « prendre les membres du Christ » et le corps habité par le Logos, pour en faire « les membres d’une prostituée », qui ont appris déjà que le corps de l’être raisonnable, consacré au Dieu de l’univers, est « le temple » du Dieu qu’ils adorent, et devient réellement tel si on a une pure notion du Créateur ; et qui, en se gardant de souiller « le temple de Dieu » par une union illicite, pratiquent la tempérance comme un acte de piété envers Dieu. LIVRE IV

Au dire de l’Écriture, il est « Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants », et son Christ est « propitiation pour nos péchés, et non pas pour nos péchés seuls, mais pour ceux du monde entier ». Certains Juifs peuvent dire, sinon tout ce qu’a écrit Celse, du moins, des propos vulgaires ; assurément pas les chrétiens, car ils ont appris la parole : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. » Et pourtant, « à peine voudrait-on mourir pour un homme juste ; pour un homme de bien peut-être accepterait-on de mourir ». En fait, suivant notre prédication, c’est pour les pécheurs du monde entier, afin qu’ils abandonnent leurs péchés et se confient en Dieu, qu’est venu Jésus, appelé encore, suivant l’usage traditionnel de la Bible, le Christ de Dieu. LIVRE IV

La mention qu’il fait d’une procréation parfaitement absurde et après l’âge, bien qu’il ne donne pas de nom propre, désigne évidemment celle d’Abraham et de Sara. Quand il rejette les menées de frères, il veut parler de celles de Caïn contre Abel, ou encore d’Ésaü contre Jacob. La douleur d’un père peut être celle d’Isaac au départ de Jacob, peut-être encore celle de Jacob d’avoir vu Joseph emmené pour être vendu en Egypte. L’expression tromperies de mères désigne dans son texte, je crois, les dispositions prises par Rébecca pour faire tomber non sur Esaü, mais sur Jacob, les bénédictions d’Isaac. Mais qu’y a-t-il d’absurde à dire que Dieu à étroitement collaboré à tout cela, dans la persuasion où nous sommes que sa divinité ne s’éloigne jamais de ceux qui se consacrent à lui en menant une vie de vertu solide. Il raille encore l’enrichissement de Jacob chez Liban, pour n’avoir pas compris le sens de la parole : « Celles qui étaient sans marque étaient pour Liban, celles qui étaient marquées, pour Jacob. » Et il dit : Dieu a fait don à ses enfants d’ânes, de brebis et de chameaux, pour n’avoir pas vu que « tout cela leur est arrivé en figures et fut écrit pour nous qui touchons à la fin des temps » ; nous chez qui les nations variées ont été marquées et sont gouvernées par la parole de Dieu, richesse donnée qui est figurativement appelé Jacob. C’est l’arrivée de ceux qui viendront des nations à la foi au Christ qu’indiqué l’histoire de Laban et de Jacob. LIVRE IV

Entre bien d’autres, je citerai quelques passages pour montrer la calomnie gratuite de Celse quand il dit que les Écritures ne sont pas susceptibles d’allégorie. Voici une déclaration de Paul, l’Apôtre de Jésus : « Il est écrit dans la loi de Moïse : ” Tu ne muselleras pas le boeuf qui foule le grain. ” Dieu se met-il en peine des boeufs, ou n’est-ce point surtout pour nous qu’il parle évidemment ? C’est bien pour nous qu’il a été écrit : celui qui laboure doit labourer dans l’espérance et celui qui foule le grain doit le faire dans l’espérance d’y avoir part. » Et le même écrivain dit ailleurs : « Car il est écrit : ” C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair. ” Ce mystère est de grande portée : je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église. » Et encore à un autre endroit : « Mais, nous le savons : nos pères ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer. » Puis, interprétant l’histoire de la manne et de l’eau sortie miraculeusement du rocher, au dire de l’Écriture, il s’exprime en ces termes : « Tous ont mangé le même aliment spirituel, et tous ont bu la même boisson spirituelle ; ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher spirituel, c’était le Christ. » Et Asaph a montré que les histoires de l’Exode et des Nombres sont des mystères et des paraboles, comme il est écrit dans le livre des Psaumes ; car à leur narration il donne cette préface : « Écoutez, ô mon peuple, ma loi : tendez l’oreille aux paroles de ma bouche. J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’évoquerai les mystères de l’origine, ce que nous avons entendu et appris, et que nos pères ont raconté. » De plus si la loi de Moïse ne contenait rien que mettent en lumière les significations symboliques, le prophète ne dirait pas à Dieu dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » Mais en réalité il savait bien qu’il y a un « voile » d’ignorance étendu sur le coeur de ceux qui lisent et ne comprennent pas les significations figurées. Ce voile est ôté par faveur divine, quand Dieu exauce celui qui a fait tout ce qui dépend de lui, qui a pris l’habitude d’exercer ses facultés à distinguer le bien et le mal et qui dit continuellement dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » LIVRE IV

Ensuite, parmi tous les traités renfermant des allégories et des interprétations en un style qui n’est pas sans beauté, il a fait choix du plus ordinaire, apte peut-être à favoriser la foi de la multitude des simples, mais bien incapable d’impressionner les intelligents. Il dit : De ce genre, justement, je connais une controverse d’un certain Papiscos et Jason, qui mérite moins le rire que la pitié et la haine. Donc loin de moi le propos d’en réfuter les inepties : elles sautent aux yeux de tous, surtout de celui qui a la patience de supporter la lecture du livre lui-même. Je préfère enseigner ceci conformément à la nature : Dieu n’a rien fait de mortel; mais tous les êtres immortels sont oeuvres de Dieu, et les êtres mortels sont leurs oeuvres. L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. En fait, à cet égard, il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille ou d’homme: la matière en est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. Néanmoins je voudrais que quiconque a entendu Celse s’indigner et déclarer que le traité intitulé “Controverse de Papiscos et de Jason” sur le Christrite moins le rire que la haine prenne en mains le petit traité, et ait la patience de supporter la lecture de ce qu’il contient, afin de condamner aussitôt Celse, parce qu’il n’y trouve rien qui mérite la haine. Un lecteur sans parti pris trouvera que le livre ne porte même point à rire : on y présente un chrétien discutant avec un Juif, à partir des Écritures juives, et montrant que les prophéties sur le Christ s’appliquent à Jésus, bien que l’autre s’oppose à l’argument d’une manière qui n’est pas sans noblesse et qui convient au personnage d’un Juif. LIVRE IV

J’aborde maintenant un cinquième livre contre le traité de Celse, pieux Ambroise : non pour me livrer à un bavardage injustifiable puisqu’il n’irait pas sans péché, mais je fais de mon mieux pour ne laisser sans examen aucun de ses propos, notamment là où d’aucuns pourraient croire qu’il a dirigé des critiques pertinentes contre nous ou contre les Juifs. S’il m’était possible, par ce discours, de pénétrer la conscience de chaque lecteur de son ouvrage, d’en arracher tout trait blessant une âme que ne protège pas entièrement l’armure de Dieu, d’appliquer un remède spirituel guérissant la blessure causée par Celse, blessure empêchant qui se fie à ses arguments d’être robuste dans la foi, c’est bien ce que j’aurais fait. Mais c’est l’oeuvre de Dieu d’habiter invisiblement par son Esprit et l’Esprit du Christ ceux qu’il juge devoir habiter. Pour moi, en tâchant, par des discours et des traités, de raffermir les hommes dans la foi, je dois faire tous mes efforts pour mériter le titre d’ouvrier qui n’a pas à rougir, de fidèle dispensateur de «la parole de la vérité». Et l’un de ces efforts me semble être de réfuter de mon mieux les arguments plausibles de Celse, exécutant avec confiance le mandat que tu m’as donné. Je vais donc citer les arguments de Celse qui suivent ceux auxquels j’ai déjà répondu – au lecteur de juger si je les ai renversés -, je vais leur opposer mes réfutations. Que Dieu m’accorde de ne point aborder mon sujet en laissant mon esprit et ma raison purement humains et vides d’inspiration divine, « pour que la foi » de ceux que je désire aider « ne repose pas sur la sagesse des hommes », mais que je reçoive de son Père qui seul peut l’accorder « la pensée du Christ » et la grâce de participer au Logos de Dieu, et qu’ainsi je puisse détruire « toute puissance altière qui s’élève contre la connaissance de Dieu » et la suffisance de Celse qui s’élève contre nous et contre notre Jésus, et encore contre Moïse et les prophètes. Et que celui qui donne « aux messagers son Logos avec une grande puissance » me l’accorde à moi aussi et me fasse don de cette grande puissance, et que naisse chez les lecteurs la foi fondée sur le Logos et la puissance de Dieu ! LIVRE V

Dieu donc, dans sa bonté, descend vers les hommes non par mouvement local mais par sa providence2 ; et le Fils de Dieu non seulement était présent jadis avec ses disciples, mais il l’est encore sans cesse, accomplissant la parole : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Et si « un sarment ne peut porter de fruit s’il ne demeure sur la vigne », il est bien clair que les disciples du Logos, sarments spirituels de la Vigne véritable, le Logos, ne peuvent porter les fruits de la vertu s’ils ne demeurent sur la Vigne véritable, le Christ de Dieu. Il est avec nous qui sommes localement ici-bas sur la terre, étant avec ceux qui partout adhèrent à lui ; mais déjà il est partout même avec ceux qui ne le connaissent pas. Voilà ce que montre Jean l’Evangéliste par ces mots de Jean-Baptiste : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Il a rempli le ciel et la terre, et il a dit : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas moi ? dit le Seigneur » ; il est avec nous et proche de nous, car je le crois lorsqu’il dit : « Je suis un Dieu de près et non un Dieu de loin », dit le Seigneur. » Il serait donc absurde de chercher à prier le soleil, la lune ou quelque étoile, dont la présence ne s’étend pas au monde entier. LIVRE V

Ensuite, pour avoir mal compris les saintes Écritures, ou entendu ceux qui ne les avaient pas pénétrées, il nous fait dire que seront seuls à survivre au moment où la purification par le feu sera infligée au monde non seulement les vivants d’alors, mais même ceux qui seront morts depuis longtemps. Il n’a pas saisi la sagesse cachée qu’enfermé la parole de l’Apôtre de Jésus : « Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés, en un instant, en un clin d’oeil, au son de la trompette finale ; car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. » Il aurait dû savoir la pensée qui portait l’auteur à s’exprimer de la sorte : à ne pas se présenter comme un mort, à se distinguer des morts, lui-même et ceux qui lui ressemblent, et, après avoir dit que « les morts ressusciteront incorruptibles », à ajouter : « et nous, nous serons transformés ». Pour confirmer que telle avait été la pensée de l’Apôtre, quand il a écrit ce que j’ai cité de la Première aux Corinthiens, je présenterai encore le passage de la Première aux Thessaloniciens, où Paul, en homme vivant, éveillé, distinct de ceux qui sont endormis, déclare : « Voici, en effet, ce que nous avons à vous dire sur la parole du Seigneur : nous, les vivants, qui serons encore là lors de l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas les morts. Car au signal donné, à la voix de l’Archange, au son de la trompette divine, le Seigneur en personne descendra du ciel. » Et de nouveau, après cela il ajoute, sachant que les morts dans le Christ sont différents de lui et de ceux qui sont dans le même état que lui : « Ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous, les vivants, qui serons encore là, nous serons emportés ensemble avec eux dans les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs. » LIVRE V

De plus, les disciples de Pythagore et de Platon, même s’ils semblent garder le monde incorruptible, tombent pourtant dans des aberrations analogues. Car les étoiles, après certaines périodes déterminées, prenant les mêmes positions et les mêmes relations mutuelles, toutes choses sur terre, assurent-ils, sont semblables à celles du moment où le monde comportait la même position relative des étoiles. D’après cette doctrine, lorsque les étoiles après une longue période viennent à la même relation mutuelle qu’elles avaient au temps de Socrate, il est nécessaire que Socrate naisse de nouveau des mêmes parents, souffre les mêmes traitements, l’accusation d’Anytos et de Mélètos, la condamnation par le Conseil de l’Aréopage. De plus, les savants d’Egypte, parce qu’ils transmettent des doctrines pareilles, sont pour Celse et ses adeptes objet de vénération et non de raillerie. Et nous qui disons que l’univers est gouverné par Dieu, eu égard à la disposition des libertés de chacun, et autant que possible toujours conduit au mieux, qui savons que la nature de notre liberté est d’admettre des possibilités variées, car elle est incapable de recevoir l’immutabilité absolue de Dieu, ne paraissons-nous pas dire des choses dignes d’examen et de recherche ? Qu’on n’aille pas, à cause de cette explication, nous prendre pour ces gens qui, tout en se disant chrétiens, refusent la doctrine des Écritures sur la résurrection ! En effet, dans la mesure où ils appliquent leurs principes, ils ne peuvent absolument pas prouver que « du grain de blé ou de quelque autre semence » ressuscite, pour ainsi dire, « un épi ou un arbre ». Mais nous, nous sommes persuadés que ce que l’on sème « ne reprend pas vie s’il ne meurt », et que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé. Car « Dieu lui donne un corps à son gré » : semé « dans la corruption, il le ressuscite « incorruptible », semé dans l’abjection, il le ressuscite « glorieux », semé « dans la faiblesse », il le ressuscite « plein de force », semé « corps psychique », il le ressuscite « corps spirituel ». Nous gardons et la doctrine de l’Église du Christ et la grandeur de la promesse de Dieu. Que ce soit une chose possible, nous le prouvons non par une affirmation mais par un argument. Nous savons que même si le ciel et la terre avec tout ce qu’ils contiennent doivent passer, au contraire les paroles de chaque point de la doctrine étant comme parties d’un tout ou espèces d’un genre, celles du Logos Dieu qui était « au commencement » Logos « près de Dieu », ne passeront nullement. Car il a dit et nous voulons l’entendre : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » LIVRE V

A ces considérations, pouvant paraître superflues et inadaptées à l’audience de la foule, que j’ai eu la hardiesse de développer, j’ajouterai, avant de passer à la suite, une réflexion plus chrétienne. Cet ange, d’après moi, avait un pouvoir contre ceux du peuple qui étaient incirconcis et, en général, contre ceux-là qui n’adoraient que le Créateur ; de plus, il avait ce pouvoir aussi longtemps que Jésus n’avait pas pris un corps. Quand il l’eut fait et que son corps fut circoncis, alors fut détruit tout le pouvoir de cet ange contre les incirconcis de cette religion ; car Jésus le détruisit par son ineffable divinité. D’où la défense à ses disciples d’être circoncis, et l’affirmation : « Si vous êtes circoncis, le Christ ne vous servira de rien. » LIVRE V

Il continue : Même si cet ange est venu aux hommes, fut-il le premier à venir et le seul, ou y en eut-il d’autres auparavant ? Et il pense répondre à chaque membre de l’alternative par plusieurs arguments. En fait, aucun véritable chrétien ne dit que le Christ est le seul à être venu visiter le genre humain. Mais comme si on répondait qu’il fut le seul, Celse réplique que d’autres sont apparus aux hommes. Ensuite, il se réfute lui-même à sa guise : ” On est bien loin de dire qu’il est le seul à être venu au genre humain. Même ceux qui sous prétexte d’enseigner au nom de Jésus se sont écartés du Créateur comme d’un être inférieur, et sont allés comme à un être supérieur au Dieu et Père de celui qui est venu, reconnaissent que même avant lui quelques-uns sont venus d’auprès du Créateur visiter le genre humain.” Examinant loyalement la question, je dirai qu’Apelles, le disciple de Marcion, qui devint l’auteur d’une hérésie et regarde comme un mythe les Ecritures juives, affirme que seul Jésus est venu visiter le genre humain. Donc, à son affirmation que Jésus est le seul à être venu aux hommes de la part de Dieu, Celse ne pourrait logiquement opposer que d’autres encore sont venus, puisque Apelles, comme on l’a déjà dit, ne croit pas aux Ecritures juives rapportant les miracles : à bien plus forte raison refusera-t-il d’admettre le passage que Celse paraît avoir cité du livre d’Enoch sans l’avoir compris. Personne donc ne nous convainc de mensonge et de contradiction, comme si nous disions que notre Sauveur est venu seul et que cependant il en est souvent venu d’autres. C’est avec une confusion totale, quand il discute la venue des anges vers les hommes, qu’il cite des passages obscurs tirés du livre d’Enoch. Il ne semble ni l’avoir lu, ni avoir su que le livre intitulé Enoch n’est pas généralement tenu pour divin dans les églises ; on pourrait cependant croire qu’il en a tiré l’affirmation : Il en est descendu à la fois soixante et soixante-dix qui se sont pervertis. Mais accordons-lui généreusement ce qu’il n’a pas découvert du livre de la Genèse : « Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles et prirent pour femmes celles qu’ils avaient choisies entre toutes. » Néanmoins à ce sujet je persuaderai ceux qui sont capables de comprendre l’intention du prophète que, selon un de nos prédécesseurs, le passage concerne la doctrine des âmes qui se trouvaient désireuses de vivre dans un corps humain et que, selon lui, on appelle au figuré « filles des hommes ». Mais quoi qu’il en soit du passage sur les fils de Dieu qui désirèrent les filles des hommes, il ne fournit à Celse aucun appui pour soutenir que Jésus ne fut pas le seul à venir comme un ange auprès des hommes, lui qui manifestement est le Sauveur et le bienfaiteur de tous ceux qui se sont convertis du flot du vice. Puis, brouillant et confondant ce qu’il a appris on ne sait quand, dans on ne sait quel texte, que ce soit tenu ou non comme doctrine divine par les chrétiens, il dit que ceux qui sont descendus à la fois soixante ou soixante-dix ont été en punition enchaînés sous terre. Et il cite apparemment Enoch, mais sans le nommer : D’où vient que les sources chaudes sont leurs larmes, ce que l’on ne dit ni n’entend dans les églises de Dieu. Car personne n’est assez stupide pour se représenter matériellement comme des larmes d’hommes les larmes des anges descendus du ciel. Et, s’il était permis de répondre par une plaisanterie au sérieux des objections de Celse contre nous, on pourrait dire : personne, parlant des sources chaudes, dont la plupart sont de l’eau douce, ne les appellerait des larmes d’anges, puisque les larmes sont naturellement salées ; à moins peut-être que les anges de Celse ne pleurent des larmes d’eau douce ! LIVRE V

5. Ensuite, que soudain comme d’une flamme jaillissante surgit une lumière dans l’âme, le Logos l’a su le premier, au dire du prophète : « Illuminez-vous vous-mêmes de la lumière de la connaissance. » Et Jean, qui a vécu après lui, dit encore : « Ce qui fut fait » était « vie » dans le Logos, « et la vie était la lumière des hommes, lumière véritable, qui éclaire tout homme qui vient dans le monde » véritable et intelligible, et qui le constitue « lumière du monde ». Car « il a fait luire cette lumière dans nos coeurs pour qu’y resplendisse l’Évangile de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ ». C’est pourquoi un prophète très ancien, dans ses prédictions antérieures de plusieurs générations au règne de Cyrus qu’il précède de quatorze générations, a pu dire : « Le Seigneur est mon illumination et mon Sauveur : qui craindrai-je ? » ; « Ta loi est un flambeau sur mes pas, une lumière sur mon sentier » ; « La lumière de ta face est scellée sur nous, Seigneur » ; « Par ta lumière nous voyons la lumière. » C’est à cette lumière que le Logos nous exhorte dans Isaïe : « Illumine-toi, illumine-toi, Jérusalem ; car voici ta lumière, et sur toi s’est levée la gloire du Seigneur. » Et ce même auteur prophétise sur la venue de Jésus qui détournerait du culte des idoles, des statues et des démons : « Une lumière s’est levée pour ceux qui se tenaient dans le pays et l’ombre de la mort » ; et de nouveau : « Le peuple qui se tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » LIVRE VI

Mais comme nous appliquons le terme image à une chose différente, nous disons plus clairement qu’après le Logos il y a dans l’âme l’empreinte des plaies, c’est-à-dire le Christ vivant en chacun, provenant du Christ-Logos. Et qui en est capable saura si le Christ, d’après nous sagesse qui réside dans ceux qui sont parfaits, correspond au quatrième facteur qui est la connaissance. LIVRE VI

Celse dit ensuite : Pour avoir mal compris les expressions platoniciennes, certains chrétiens exaltent le Dieu supracéleste et s’élèvent au-dessus du ciel des Juifs. Mais il ne précise pas s’ils s’élèvent même au-dessus du Dieu des Juifs, ou seulement du ciel par lequel jurent les Juifs. Or, le sujet présent n’est point de parler de ceux qui annoncent un autre Dieu que celui qui est aussi adoré par les Juifs, mais de nous défendre et de montrer que les prophètes des Juifs, reconnus parmi nous, ne peuvent avoir appris quelque chose de Platon : car ils étaient plus anciens que lui. Nous n’avons pas non plus emprunté à Platon le passage : « Autour du Roi de l’univers gravitent toutes choses ; c’est pour lui qu’elles sont toutes. » Mais nous avons appris des prophètes une doctrine mieux exprimée que celle-là ; car Jésus et ses disciples ont clairement expliqué l’intention de l’Esprit qui était dans les prophètes, et qui n’est autre que l’Esprit du Christ. Et le philosophe n’est pas le premier à parler d’un lieu supracéleste : depuis longtemps David avait noté la profondeur et l’abondance des pensées sur Dieu que possèdent ceux qui s’élèvent au-dessus du sensible, en disant au livre des Psaumes : « Louez Dieu, cieux des cieux, et eaux de dessus les cieux ; qu’ils louent le nom du Seigneur ! » LIVRE VI

Il est bien vrai que nous utilisons les discours des prophètes pour prouver que Jésus est le Christ annoncé par eux, et pour montrer par les prophéties que les événements racontés à propos de Jésus dans les Évangiles en sont l’accomplissement. L’expression cercles sur cercles est peut-être un emprunt à la secte dont on vient de parler qui enfermait dans un cercle unique, qu’elle appelle l’âme de l’univers et Léviathan, les sept cercles des puissances archontiques ; ou peut-être a-t-il mal compris cette parole de l’Ecclésiaste : « Tourne, tourne, s’en va le vent, et à ses cercles revient le vent. » LIVRE VI

L’explication sur le bois de la vie viendrait plus à propos dans un commentaire sur le paradis de Dieu, décrit dans la Genèse comme planté par lui. Mais souvent déjà Celse s’est moqué de la résurrection qu’il ne comprend pas. Ici, non content de ce qu’il a déjà dit, il ajoute qu’il est question de la résurrection de la chair par le bois, faute d’entendre, je pense, l’expression figurée : c’est par le bois que vint la mort, et par le bois la vie ; la mort en Adam, la vie dans le Christ. LIVRE VI

Pour persuader d’admettre cette affirmation quiconque désire suivre les conséquence des doctrines et en tirer profit, j’affirme que les divines Écritures présentent l’ensemble de l’Église de Dieu comme le Corps du Christ, animé par le Fils de Dieu, et que les croyants quels qu’ils soient sont les membres de ce corps considéré comme un tout. En effet, comme l’âme vivifie et meut le corps incapable naturellement de tirer de lui-même un mouvement vital, le Logos lui aussi, par les motions au bien et l’action qu’il imprime au corps entier, meut l’Église et chacun de ses membres qui ne fait rien indépendamment du Logos. Si donc il y a là, comme je pense, une logique non négligeable, quelle difficulté y a-t-il à dire que, en vertu de sa souveraine et insurpassable communion avec le Logos en personne, l’âme de Jésus ou en un mot Jésus n’est point séparé du Fils unique et Premier-né de toute créature et ne diffère plus de lui ? Voilà qui suffit sur la question. LIVRE VI

Celse n’a pas vu la différence qu’il y a entre les expressions «à l’image de Dieu » et «son image » : L’image de Dieu est « le premier-né de toute créature », le Logos en personne, la Vérité en personne, et encore la Sagesse en personne, « image de sa bonté »; tandis que l’homme a été créé « à l’image de Dieu », et en outre tout homme dont le Christ « est la tête » est image et gloire de Dieu. Il n’a même pas su en quelle partie de l’homme s’imprime un caractère « à l’image de Dieu » : c’est dans l’âme qui n’a pas eu ou qui n’a plus « le vieil homme avec ses agissements » et, du fait qu’elle ne les a point, possède la qualité d’être « à l’image » du Créateur. Il dit donc : Dieu n’a pas non plus fait l’homme à son image ; car il n’est pas tel que l’homme et il ne ressemble à aucune autre forme. Mais pourrait-on croire que, dans la partie inférieure du composé humain, je veux dire dans le corps, existe ce qui est « à l’image de Dieu » et que, comme Celse l’a compris, le corps soit « à son image » ? Car si ce qui est « à l’image de Dieu » est dans le corps seul, l’élément supérieur, l’âme, se trouve privé de ce qui est « à l’image » et qui se trouve dans le corps corruptible : nul d’entre nous ne le prétend. Mais si ce qui est « à l’image de Dieu » se trouve dans les deux ensemble, il est nécessaire que Dieu soit composé et pour ainsi dire constitué lui-même d’une âme et d’un corps, pour que l’élément supérieur qui est « à l’image » soit dans l’âme, et que l’inférieur correspondant au corps soit dans le corps : nul d’entre nous ne le prétend. Il reste donc à comprendre que ce qui est « à l’image de Dieu » se réalise dans ce que nous nommons l’homme intérieur, renouvelé, apte à devenir « à l’image du Créateur », quand l’homme devient « parfait comme le Père céleste est parfait » ; quand il entend : « Vous serez saints, car moi le Seigneur votre Dieu, je suis saint »; quand il apprend le commandement : « Soyez les imitateurs de Dieu » et qu’il reçoit dans son âme vertueuse les traits de Dieu. Alors aussi le corps de celui qui a reçu les traits de Dieu dans la partie qui est faite « à l’image de Dieu » est « un temple », puisqu’il possède une âme de cette qualité et dans l’âme, Dieu, à cause de l’élément « à son image ». LIVRE VI

Exprimé en termes corporels et prêché comme chair, il appelle à lui ceux qui sont chair pour les rendre conformes au Logos qui s’est fait chair, et pour les faire monter ensuite, afin qu’ils le voient tel qu’il était avant qu’il se fît chair ; de telle sorte qu’ils reçoivent ce bienfait, s’élèvent à partir de cette initiation selon la chair et peuvent dire : « Même si nous avons connu autrefois le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent. » Donc «il s’est fait chair », et, fait chair, il a habité parmi nous et non pas loin de nous. Ayant habité et vécu parmi nous, il n’est pas resté sous sa première forme ; il nous a fait monter sur « la haute montagne » spirituelle, il nous a montré sa forme glorieuse et l’éclat de ses vêtements : non seulement celle qui lui est propre, mais encore celle de la loi spirituelle, et c’est Moïse apparu dans la gloire avec Jésus. Il nous a montré également toute la prophétie, qui n’est pas morte après son incarnation, mais qui était transportée au ciel et symbolisée par Élie. Qui a contemplé pareil spectacle peut dire : « Et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » Elle est donc par trop simpliste la réponse que, d’après Celse, nous ferions à sa question : Comment pensons-nous apprendre à connaître Dieu et trouver le salut près de lui ? Car notre réponse est dans ce qui précède. LIVRE VI

Il en va de même pour l’expression « Dieu est esprit ». Parce que et les Samaritains et les Juifs pratiquaient les préceptes de la loi d’après la lettre et en figures, le Sauveur dit à la Samaritaine : « L’heure vient où ce n’est ni à Jérusalem, ni sur cette montagne qu’on adorera le Père ; Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer. » Il nous a enseigné par là que ce n’est pas charnellement, ni par des victimes charnelles qu’il faut adorer Dieu, mais « en esprit ». En effet, lui-même sera compris comme Esprit dans la mesure où on lui rendra une adoration intelligible et « en esprit ». En outre, ce n’est plus en figures qu’il faut adorer le Père, mais dans la vérité qui est venue par le Christ Jésus, après que la loi eut été donnée par Moïse. C’est « quand on se convertit au Seigneur, et le Seigneur est Esprit, que le voile est enlevé qui était posé sur le coeur lors de la lecture de Moïse. » LIVRE VI

Or de l’aveu général, les Écritures disent que le corps de Jésus était laid, mais non pas vulgaire, comme l’a expliqué Celse, et il n’est pas d’indication claire qu’il était petit. Voici en quels termes Isaïe annonce qu’il ne viendrait pas aux foules dans une forme agréable et une beauté supérieure : « Seigneur, qui a cru à ce que nous entendons dire ? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé ? Nous l’avons annoncé devant lui, comme un jeune enfant, comme une racine dans une terre desséchée ; nulle forme pour lui, nulle gloire ; nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté ; mais sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes. » Celse a-t-il donc retenu ces paroles parce qu’il les croyait utiles à son accusation contre Jésus, mais n’a-t-il plus prêté attention aux paroles du psaume quarante-quatrième, et à la manière dont il est dit : « Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta splendeur et ta beauté tends ton arc, avance, et règne » ? Accordons qu’il n’a pas lu la prophétie, ou qu’il l’a lue mais fut égaré par ceux qui l’interprètent à tort comme si elle n’était pas une prophétie sur Jésus-Christ : que dira-t-il du passage même de l’Évangile où Jésus, « ayant gravi une haute montagne », « fut transfiguré devant » ses disciples et apparut en gloire pendant que « Moïse et Élie » « apparus en gloire parlaient de sa sortie du monde qu’il allait accomplir à Jérusalem». » Qu’un prophète dise : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté » etc., Celse lui-même accepte que cette prophétie se rapporte à Jésus, bien qu’il s’aveugle sur son interprétation et ne voie pas que, du fait que bien des années avant sa naissance même sa forme a été l’objet d’une prophétie, il y a une forte preuve que ce Jésus, quoique sans forme en apparence, est le Fils de Dieu. Et qu’un autre prophète parle de sa grâce et de sa beauté, Celse ne veut-il plus admettre que cette prophétie se rapporte à Jésus-Christ ? Si l’on pouvait tirer clairement de l’Évangile qu’il « n’avait ni forme ni beauté, mais que sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes », on conviendrait que les dires de Celse s’inspirent non des prophètes mais de l’Évangile. Mais en fait, comme ni les Évangiles ni les apôtres ne déclarent qu’il n’avait ni forme ni beauté, le voilà manifestement contraint d’admettre que la prophétie s’est réalisée dans le Christ : ce qui coupe court aux critiques contre Jésus. LIVRE VI

En outre la venue de Jésus, apparemment dans un seul coin de terre, avait ses raisons : il fallait que celui qui fut prophétisé vînt à ceux qui ont appris qu’il y a un seul Dieu, qui lisent ses prophètes et apprennent l’annonce du Christ et qu’il vînt au moment opportun où la doctrine allait d’un seul coin se répandre sur toute la terre. Et c’est pourquoi il n’était pas besoin qu’il existât partout un grand nombre de corps et un grand nombre d’esprits tels que Jésus, pour que toute la terre des hommes fût illuminée par le Logos de Dieu. Il suffisait que le Logos unique « levé comme un soleil de justice », envoyât de la Judée ses rayons jusqu’aux âmes de ceux qui veulent l’accueillir Désire-t-on voir un grand nombre de corps remplis de l’esprit divin, à l’imitation de ce Christ unique, se dévouer en tous lieux au salut des hommes ? Que l’on considère ceux qui en tous lieux vivent dans la pureté et la droiture enseignent la doctrine de Jésus, et sont eux aussi appelés « christs » par les divines Écritures : « Ne touchez pas à mes christs, ne faites point de mal à mes prophètes ! » LIVRE VI

En effet, comme nous avons appris que « l’Antéchrist vient », et néanmoins savons qu’il y a dans le monde « un grand nombre d’antéchrists », de la même manière nous savons que le Christ est venu et nous voyons aussi que par lui il y a dans le monde un grand nombre de christs qui, à son exemple, ont « aimé la justice et haï l’injustice ». Voilà pourquoi Dieu, le Dieu du Christ, leur a donné à eux aussi « l’onction d’une huile d’allégresse4 ». Mais lui-même « a aimé la justice et haï l’iniquité » plus que ceux qui ont part avec lui : il a reçu les prémices de l’onction et, si j’ose dire, dans sa plénitude l’onction de l’huile d’allégresse ; et ceux qui ont part avec lui, chacun à sa mesure, ont participé de même à son onction. Voilà pourquoi, le Christ étant « tête de l’Église », au point que le Christ et l’Église ne sont qu’un seul corps, « l’huile précieuse, répandue sur la tête » est descendue « sur la barbe d’Aaron », type de l’homme parfait, et cette huile est parvenue en descendant «jusqu’à la bordure de sa robe ». LIVRE VI

J’ignore comment il a pu dire de Dieu : Bien qu’omniscient, il n’a pas su qu’il envoyait son Fils à des méchants qui allaient pécher et le punir. Il semble oublier ici volontairement notre doctrine, qui tient que toutes les souffrances qu’endurerait le Christ Jésus, les prophètes de Dieu les ont vues d’avance par l’Esprit divin et les ont prédites. Ce que contredit son propos : Dieu n’a pas su qu’il envoyait son Fils à des méchants qui allaient pécher et le punir. Cependant il ajoute aussitôt que notre défense consiste à dire : Depuis longtemps c’était prédit. LIVRE VI

Le propos de Celse est ici d’attaquer l’assertion que l’histoire du Christ Jésus a été prédite par les prophètes de Judée. Le premier point à critiquer est le principe de son raisonnement : que ceux qui admettent un autre dieu que le dieu des Juifs sont absolument incapables de répondre à ses difficultés, et que nous, qui avons gardé le même Dieu, nous cherchons refuge pour notre défense dans les prophéties sur le Christ. A ce propos, il dit : Voyons comment ils trouveront une excuse. LIVRE VI

Si la Pythie est hors d’elle-même et sans conscience lorsqu’elle rend des oracles, quelle nature faut-il attribuer à l’esprit qui répand la nuit sur son intelligence et ses pensées ? N’est-ce pas ce genre de démons que beaucoup de chrétiens chassent des malades à l’aide non point d’un procédé magique, incantatoire ou médical, mais par la seule prière, de simples adjurations et des paroles à la portée de l’homme le plus simple ? Car ce sont généralement des gens simples qui l’opèrent. La grâce contenue dans la parole du Christ a prouvé la faiblesse et l’impuissance des démons : pour qu’ils soient vaincus et se retirent sans résistance de l’âme et du corps de l’homme, il n’est pas besoin d’un savant capable de fournir des démonstrations rationnelles de la foi. LIVRE VI

Je ne sais du reste pourquoi à ses mots, les prédictions des habitants de la Judée, faites à leur manière, Celse ajoute : dites réellement ou non ; comme si, dans son incrédulité, il affirmait qu’il est possible qu’elles n’aient pas même été dites et qu’on a peut-être écrit ce qui n’a pas été dit. Il ignorait les dates et ne savait pas que, faisant mille prédictions bien des années auparavant, ils ont aussi parlé de la venue du Christ. Il ajoute, dans le dessein de jeter le discrédit sur les anciens prophètes, qu’ils ont prédit suivant un usage encore en vigueur aujourd’hui chez les gens de Phénicie et de Palestine. Il n’a pas montré s’il parle de gens étrangers à la doctrine des Juifs et des chrétiens, ou de gens qui prophétisent à la manière juive dans le style des prophètes. Mais quoi qu’il veuille dire, on le convainc de mensonge. LIVRE VI

Les prophètes, suivant la volonté de Dieu, ont dit sans aucun sens caché tout ce qui pouvait être compris d’emblée par les auditeurs comme utile et profitable à la réforme des m?urs. Mais tout ce qui était plus mystérieux et plus secret, relevant d’une contemplation qui dépasse l’audience commune, ils l’ont fait connaître sous forme d’énigmes, d’allégories, de « discours obscurs », de « paraboles ou proverbes » ; et cela, afin que ceux qui ne renâclent pas devant l’effort, mais supportent tout effort pour l’amour de la vertu et de la vérité, après avoir cherché trouvent, après avoir trouvé se conduisent comme la raison l’exige. Mais le noble Celse, comme irrité de ne pas comprendre ces paroles prophétiques, en vint à l’injure : A ces outrecuidances, ils ajoutent aussitôt des termes inconnus, incohérents, totalement obscurs, dont aucun homme raisonnable ne saurait découvrir la signification tant ils sont dépourvus de clarté et de sens, mais qui fournissent en toute occasion à n’importe quel sot ou charlatan le prétexte de se les approprier dans le sens qu’il désire. Voilà, à mon avis, des propos de fourbe, dits pour détourner autant qu’il pouvait les lecteurs des prophéties d’en rechercher et d’en examiner le sens : disposition analogue à celle que dénote la question posée au sujet d’un prophète venu prédire l’avenir : « Qu’est allé faire chez toi cet insensé ? » Il est sans doute des raisons bien au-dessus de mes capacités pour établir que Celse ment et que les prophéties sont inspirées de Dieu. Je n’en ai pas moins tâché de le faire dans la mesure où je le pouvais, en expliquant mot à mot les termes incohérents et totalement obscurs, comme les qualifie Celse, dans mes Commentaires d’Isaïe, d’Ézéchiel et de quelques-uns des Douze. Et si Dieu permet d’avancer dans sa Parole, au moment où il voudra, viendront s’ajouter aux commentaires déjà cités sur ces auteurs ceux de tout le reste ou du moins ce que je parviendrai à élucider. Mais il y en a d’autres qui, désireux d’examiner l’Écriture et possédant l’intelligence, sauraient en découvrir la signification. Elle est vraiment dépourvue de clarté en bien des endroits, mais nullement dépourvue de sens, comme il dit. Il est non moins faux qu’un sot ou un charlatan puisse les éclaircir et se les approprier dans le sens qu’il désire. Seul, le véritable sage dans le Christ peut expliquer tout l’enchaînement des passages prophétiques qui ont un sens caché, en « comparant les choses spirituelles aux spirituelles » et en interprétant d’après le style habituel des Écritures tout ce qu’il découvre. LIVRE VI

Il pense en outre que ceux qui arguent des prophètes pour plaider la cause du Christ n’ont plus rien à dire si l’on trouve à propos de Dieu une parole perverse, honteuse, impure, souillée. Aussi, croyant son attaque sans réplique, il s’accorde mille conclusions à partir de prémisses qu’on n’a point concédées. Il faut savoir que ceux qui veulent vivre selon les divines Écritures ont appris que la « science de l’insensé n’est que discours incohérents », et qu’ils ont entendu la parole : « Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque nous demande raison de l’espérance qui est en nous »; ceux-là ne cherchent pas refuge dans la simple allégation des prophéties. Ils s’efforcent d’expliquer les obscurités apparentes et de montrer qu’aucune des paroles n’est perverse, honteuse, impure, souillée, mais qu’elles le deviennent pour ceux qui ne comprennent pas comment il faut recevoir la divine Écriture. Il aurait dû citer parmi les paroles des prophètes celle qui lui semble perverse, qui lui paraît honteuse, qu’il juge impure, qu’il suppose souillée, si vraiment il avait découvert de telles paroles chez les prophètes. Alors son argument eût été plus impressionnant et plus efficace pour son dessein. Bien au contraire, sans un exemple, il a l’outrecuidance de proclamer avec menace qu’il s’en trouve de telles dans les Écritures, ce qui est une calomnie. A un cliquetis de mots vide de sens il n’y a aucune raison de répondre pour montrer que parmi les paroles des prophètes il n’en est aucune qui soit perverse, honteuse, impure, souillée. LIVRE VI

De plus, Dieu ne fait ni ne souffre rien de très honteux et il ne se met pas au service du mal comme le croit Celse : rien de tout cela n’est prédit. Et s’il prétendait qu’il a été prédit que Dieu est au service du mal, qu’il fait ou souffre des choses très honteuses, il devait citer les passages des prophètes dans ce sens, au lieu de vouloir salir en vain les oreilles de ses auditeurs. Il est bien vrai que les prophètes ont prédit ce que le Christ souffrirait, et donné la raison pour laquelle il souffrirait. Et Dieu savait ce que son Christ souffrirait. LIVRE VI

Pourquoi serait-ce là des choses très abominables et très impures, comme le dit Celse ? Cependant il semblera enseigner comment les souffrances qu’il a endurées étaient très abominables et très impures quand il dit : Pour un Dieu se nourrir de chair de brebis, boire du fiel ou du vinaigre, était-ce autre chose que de manger des excréments ? Mais d’après nous, Dieu n’a pas mangé de la chair de brebis ; quand il semble qu’il mangeait, c’était Jésus qui mangeait parce qu’il avait un corps. Par ailleurs, sur le fiel et le vinaigre prédits par le prophète : « Ils m’ont donné pour nourriture du fiel et dans ma soif ils m’ont fait boire du vinaigre », bien qu’on en ait parlé plus haut, Celse me contraint aux redites. Ceux qui conspirent contre l’Évangile de la vérité présentent sans cesse au Christ de Dieu le fiel de leur malice et le vinaigre de leur perversité ; et lui, « après avoir goûté, refuse d’en boire ». LIVRE VI

Il semble bien par ces mots avoir soupçonné la force de persuasion qu’aurait pour les auditeurs l’argument que Jésus a été prophétisé, et il essaie d’en ruiner la valeur par une autre raison plausible en affirmant : On n’a donc point à examiner s’ils l’ont prédit ou non. Or s’il voulait opposer à l’affirmation une raison non point captieuse mais apodictique, il aurait dû dire : il faut donc prouver qu’ils n’ont pas prédit, ou que les prophéties sur le Christ n’ont pas été accomplies en Jésus comme ils l’ont prédit, et il aurait dû ajouter la preuve qui lui semblait bonne. Ainsi on aurait vu ce que disent les prophéties que nous rapportons à Jésus et la manière dont il réfute notre interprétation ; et on aurait reconnu s’il réfute honnêtement les textes de prophètes que nous appliquons à la doctrine sur Jésus, ou s’il est surpris à vouloir impudemment faire violence à la vérité évidente comme si elle n’était pas la vérité. LIVRE VI

De la même manière que la richesse, on doit interpréter la puissance qui permet, au dire de l’Écriture, à un juste de poursuivre un millier d’ennemis, et à deux de mettre en fuite des myriades. Si tel est le sens des paroles sur la richesse, vois s’il n’est pas conforme à la promesse de Dieu que l’homme qui est riche en toute doctrine, toute science, toute sagesse, toute ?uvre bonne puisse prêter de sa richesse en doctrine, en sagesse, en science, à de nombreuses nations, ainsi que put faire Paul à toutes les nations qu’il avait visitées quand il rayonna de Jérusalem jusqu’en Illyrie, menant à bien la prédication de l’Évangile du Christ. Comme son âme se trouvait illuminée par la divinité du Logos, les secrets divins se faisaient connaître à lui par révélation : il n’empruntait rien et n’avait nul besoin qu’on lui transmît la doctrine. LIVRE VI

Mais, comme il est écrit : « Tu domineras bien des nations et elles ne te domineront pas », en vertu de la puissance que lui conférait le Logos, Paul dominait ceux de la Gentilité en les soumettant à l’enseignement du Christ Jésus, sans jamais se soumettre nulle part à des hommes comme s’ils lui étaient supérieurs. Et dans le même sens « il remplissait toute la terre ». LIVRE VI

Après quoi Celse en vient à une objection à propos de la sagesse. Il croit que, d’après l’enseignement de Jésus, il n’y a pas d’accès auprès du Père pour le sage. Répliquons lui : pour quel sage ? S’il s’agit de l’homme ainsi qualifié pour la sagesse dite de ce monde, qui est folie « devant Dieu », nous aussi nous dirons qu’il n’y a pas d’accès auprès du Père pour un tel sage. Mais si par sagesse on comprend le Christ, puisque le Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu», non seulement nous dirons qu’il y a pour un tel sage accès auprès du Père, mais encore nous affirmons : l’homme gratifié du charisme nommé « discours de sagesse », communiqué par l’Esprit, l’emporte de beaucoup sur ceux qui ne le sont pas. LIVRE VI

Si vraiment la terre entière est maudite à cause des ?uvres d’Adam et de ceux qui sont morts en lui, il est évident que toutes ses parties encourent la même malédiction, entre autres, la terre de Judée. On ne peut donc lui appliquer le passage : « dans une terre bonne et spacieuse, dans une terre où coulent le lait et le miel », même si l’on montre que Jérusalem et la Judée sont l’ombre symbolique de la terre pure, bonne et spacieuse qui se trouve dans la partie pure du ciel, et dans laquelle est la Jérusalem céleste. C’est elle que l’Apôtre envisage, en homme qui est ressuscité avec le Christ et qui, cherchant les réalités supérieures , a trouvé un sens ne relevant d’aucune fable judaïque, quand il dit : « Mais vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, et des myriades d’anges, réunion de fête. » LIVRE VI

Si tels sont les qualités et les défauts dans l’art de la prosopopée, n’y a-t-il pas une bonne raison de se moquer de Celse quand il attribue aux chrétiens des affirmations qu’ils ne tiennent pas ? S’il avait imaginé des paroles de gens simples, comment des gens de cette sorte pourraient-ils distinguer les sens de l’intelligence, le sensible de l’intelligible et dogmatiser à la manière des Stoïciens qui nient les réalités intelligibles et affirment que les choses dont nous avons la compréhension sont comprises par les sens, et que toute compréhension dépend des sens ? Mais s’il prête ces paroles qu’il invente à ceux qui interprètent philosophiquement les mystères du Christ et mettent tous leurs soins à les examiner, sa fiction ne leur est pas applicable. En effet, il n’est personne qui, sachant que Dieu est invisible et que certaines créatures sont invisibles, c’est-à-dire intelligibles, dirait pour défendre la résurrection : comment, si on ne l’atteint par les sens, arriver à connaître Dieu, ou que peut-on connaître sans l’usage des sens ? Et ce n’est pas dans des ouvrages peu accessibles, lus seulement d’un petit nombre d’érudits, mais dans les plus populaires, qu’il écrit : « Les ?uvres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit. » De là cette conclusion : quoique les hommes en cette vie doivent partir des sens et du sensible quand il veulent s’élever jusqu’à la nature de l’intelligible, ils ne doivent nullement s’en tenir au sensible. On ne dira pas davantage qu’il est impossible sans l’usage des sens de connaître l’intelligible, même si on pose la question : qui peut connaître sans l’usage des sens ? On prouvera que Celse n’a pas eu raison d’ajouter que ce n’est point là propos de l’homme ni de l’âme, mais de la chair. LIVRE VI

Voyons maintenant à quoi il nous invite, pour que nous entendions de lui la manière dont nous connaîtrons Dieu ; bien que, pense-t-il, aucun des chrétiens ne soit capable d’entendre ses paroles, car il dit : Qu’ils écoutent pourtant, si du moins ils sont capables d’entendre quelque chose. Voyons donc quelles paroles veut nous faire entendre de lui ce philosophe. Il devait nous enseigner, et il nous injurie. Il devait témoigner de la bienveillance pour ceux qui l’écoutent, au début de son argumentation, et il traite d’engeance pusillanime ceux qui affrontent jusqu’à la mort pour ne point abjurer, même d’un mot, le christianisme, et qui sont prêts à tout mauvais traitement et à tout genre de mort. Il nous traite de race attachée au corps, nous qui affirmons : « Même si autrefois nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent », et qui sommes plus prompts à nous défaire du corps pour la religion qu’un philosophe à quitter son manteau. LIVRE VI

Me voici parvenu à la fin de sept livres et je veux en aborder un huitième. Que Dieu et son Fils unique le Logos daignent m’assister pour que les mensonges de Celse, vainement intitulés ” Discours véritable “, y trouvent une réfutation pertinente, et les vérités du christianisme, dans la mesure où le comporte le sujet, une démonstration inébranlable. Je demande de pouvoir dire avec la sincérité de Paul : « Nous sommes en ambassade pour le Christ, comme si Dieu exhortait par nous » ; et de pouvoir être en ambassade pour le Christ auprès des hommes dans l’esprit où le Logos de Dieu les appelle à son amitié : car il veut unir intimement à la justice, à la vérité, aux autres vertus ceux qui, avant de recevoir les doctrines de Jésus-Christ, avaient passé leur vie dans les ténèbres au sujet de Dieu et dans l’ignorance du Créateur. Et je dirai encore : que Dieu nous donne son noble et véritable Logos, le Seigneur puissant et fort « dans la guerre » contre le mal. Maintenant, il me faut aborder le texte suivant de Celse et y répondre. LIVRE VIII

Telles sont les idées concernant le Seigneur et les seigneurs que les divines Écritures proposent à notre recherche et à notre réflexion, disant ici : « Célébrez le Dieu des dieux, car sa pitié est éternelle, célébrez le Seigneur des seigneurs », et là : « Dieu est Roi des rois et Seigneur des seigneurs ». Et l’Écriture distingue les prétendus dieux de ceux qui le sont en effet, qu’ils en aient ou non le titre. Paul enseigne la même doctrine sur les seigneurs authentiques ou non : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, et de fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs.» Puis, comme «le Dieu des dieux », par Jésus, appelle du levant et du couchant ceux qu’il veut à son héritage, comme le Christ de Dieu qui est Seigneur prouve qu’il est supérieur à tous les seigneurs, du fait qu’il a pénétré les territoires de tous et qu’il appelle à lui les gens de tous ces territoires, Paul, parce qu’il savait tout cela, dit après le passage cité : « Mais pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Et, percevant là une doctrine admirable et mystérieuse, il ajoute : « Mais tous n’en ont pas la science. » Or, en disant : « Mais pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe », il désigne par « nous » lui-même et tous ceux qui se sont élevés jusqu’au suprême Dieu des dieux et au Seigneur des seigneurs. On s’est élevé jusqu’au Dieu suprême lorsqu’on l’adore sans séparation, division ni partage, par son Fils, Logos de Dieu et Sagesse que l’on contemple en Jésus, qui seul Lui amène ceux qui s’efforcent en toutes manières de s’unir au Créateur de l’univers par la qualité de leurs paroles, de leurs actions et de leurs pensées. Pour cette raison, je crois, et d’autres semblables, le Prince de ce monde, se transformant en ange de lumières, a fait écrire : « A sa suite vient toute une armée de dieux et de démons, répartis en onze sections », dans l’ouvrage où à propos de lui-même et des philosophes il dit : « Nous sommes, nous, avec Zeus, et d’autres sont avec d’autres démons. » LIVRE VIII

De plus, si nous refusons de servir un autre que Dieu par son Logos et sa Vérité, ce n’est point parce que Dieu subirait un tort comme paraît en subir l’homme dont le serviteur sert encore un autre maître. C’est pour ne pas subir de tort nous-mêmes en nous séparant de la part d’héritage du Dieu suprême, où nous menons une vie qui participe à sa propre béatitude par un exceptionnel esprit d’adoption. Grâce à sa présence en eux, les fils du Père céleste prononcent dans le secret, non en paroles mais en réalité, ce cri sublime : « Abba, Père ! » Sans doute, les ambassadeurs de Lacédémone refusèrent d’adorer le roi de Perse, malgré la vive pression des gardes, par révérence pour leur unique seigneur, la loi de Lycurgue. Mais ceux qui s’acquittent pour le Christ d’une ambassade bien plus noble et plus divine refuseraient d’adorer aucun prince de Perse, de Grèce, d’Egypte ou de toute autre nation, malgré la volonté qu’ont les démons, satellites de ces princes et messagers du diable, de les contraindre à le faire et de les persuader de renoncer à Celui qui est supérieur à toutes les lois terrestres. Car le Seigneur de ceux qui sont en ambassade pour le Christ, c’est le Christ dont ils sont les ambassadeurs, le Logos qui est « au commencement », qui est près de Dieu, qui est Dieu. Celse a cru bon ensuite d’avancer, parmi les opinions qu’il fait siennes, une doctrine très profonde sur les héros et certains démons. Ayant remarqué, à propos des relations de service entre les hommes, que ce serait infliger un tort au premier maître qu’on veut servir que de consentir à en servir un second, il ajoute qu’il en irait de même pour les héros et les démons de ce genre. Il faut lui demander ce qu’il entend par les héros et quelle nature il attribue aux démons de ce genre, pour que le serviteur d’un héros déterminé doive éviter d’en servir un autre, et celui d’un de ces démons, d’en servir encore un autre : comme si le premier démon subissait un tort comme font les hommes quand on passe de leur service à celui d’autres maîtres. Qu’il établisse en outre le tort qu’il juge ainsi causé aux héros et aux démons de ce genre ! Il lui faudra alors répéter son propos en tombant dans un océan de niaiseries et réfuter ce qu’on a dit ou, s’il se refuse aux niaiseries, avouer ne connaître ni les héros, ni la nature des démons. Et quand il dit des hommes que les premiers subissent un tort du service rendu à un second, il faut demander comment il définit le tort subi par le premier quand son serviteur consent à en servir un autre. En effet, s’il entendait par là, comme un homme vulgaire et sans philosophie, un tort concernant les biens que nous appelons extérieurs, on le convaincrait de méconnaître la belle parole de Socrate : « Anytos et Mélètos peuvent me faire mourir, mais non me faire du tort ; car il n’est point permis que le supérieur subisse un tort de la part de l’inférieur. » S’il définit ce tort par une motion ou un état concernant le vice, il est évident, puisqu’aucun tort de ce genre n’existe pour les sages, qu’on peut servir deux sages vivant en des lieux séparés. Et quand ce raisonnement ne serait pas plausible, c’est en vain qu’il argue de cet exemple pour critiquer la parole : « Nul ne peut servir deux maîtres » : et elle n’aura que plus de force si on l’applique au service du Dieu de l’univers par son Fils qui nous conduit à Dieu. De plus, nous ne rendons pas un culte à Dieu dans la pensée qu’il a en besoin et qu’il se chagrinerait qu’on ne le lui rende pas, mais pour l’avantage que nous retirons de ce culte rendu à Dieu, étant libérés de chagrin et de passion en servant Dieu par son Fils unique Logos et Sagesse. LIVRE VIII

On pourrait juger plausible l’attaque qui suit : Encore, si ces gens-là ne rendaient un culte à nul autre que Dieu seul, ils auraient peut-être une raison valable à opposer aux autres. Mais non, ils rendent un culte excessif à Celui qui vient d’apparaître, et pourtant ne croient point offenser Dieu en rendant aussi un culte à son ministre. Il faut répondre : si Celse avait compris la parole : « Le Père et moi sommes un », et celle du Fils de Dieu dans sa prière : « Comme toi et moi sommes un », il ne penserait pas que nous rendons un culte à un autre que le Dieu suprême, car Jésus a dit : « Le Père est en moi et je suis dans le Père. » Si l’on craignait que ces paroles nous amènent au parti de ceux qui nient l’existence de deux hypostases, un Père et un Fils, que l’on considère la parole : « Tous ceux qui croyaient n’avaient qu’un coeur et qu’une âme », afin de comprendre : « Le Père et moi sommes un ». C’est donc à un seul Dieu, comme on vient de l’expliquer, le Père et le Fils, que nous rendons un culte, et il nous reste une raison valable à opposer aux autres. Et nous ne rendons pas un culte excessif à Celui qui viendrait d’apparaître comme s’il n’avait jamais existé auparavant. Car nous le croyons quand il a dit : « Avant qu’Abraham fût, je suis » et qu’il affirme : « Je suis la Vérité ». Personne d’entre nous n’a la stupidité de croire que la vérité n’existait pas avant le temps de la manifestation du Christ. C’est pourquoi nous rendons un culte au Père de la Vérité et au Fils qui est la Vérité : ils sont deux réalités par l’hypostase, mais une seule par l’humanité, la concorde, l’identité de la volonté ; en sorte que celui qui a vu le Fils, rayonnement de la gloire, empreinte de la substance de Dieu, a vu Dieu en lui qui est l’image de Dieu. LIVRE VIII

Et puis c’est encore par une confusion, je crois, et un emprunt à une autre secte qu’il dit : Pourquoi tant de gens autour du puits et personne pour y descendre ? Pourquoi au terme d’une si longue route manquer d’audace ? – Erreur ! J’ai du courage et une épée. De tout cela il n’est pas un mot de vrai, nous le déclarons, nous les membres de l’Église qui porte le seul nom du Christ. A ces paroles il ajoute ce qui lui paraît s’ensuivre, mais qui n’a rien à voir avec nous. Car nous nous proposons de vénérer non pas un Dieu hypothétique mais le Créateur à la fois de cet univers et de tout ce qui peut exister de non sensible et non visible. Mais il s’agit là de ceux qui, suivant une autre route et « d’autres sentiers », refusent de Le reconnaître pour se consacrer à un autre qu’ils ont imaginé, d’une espèce nouvelle, n’ayant de Dieu que le nom, et qui serait supérieur au Créateur ; il s’agit de tous ceux qui disent : Le Fils est plus puissant que le Dieu souverain et il en est le Maître. LIVRE VIII

En chacun de ceux qui s’efforcent de l’imiter sous cet aspect il existe une statue « à l’image du Créateur », qu’ils réalisent en contemplant Dieu d’un coeur pur et en se faisant imitateurs de Dieu ». Et en général, tous les chrétiens tâchent d’édifier des autels tels que je viens de dire et des statues telles que je viens de décrire : non pas inanimés ni insensibles, mais susceptibles de recevoir, au lieu des démons gourmands qui hantent les choses inanimées, l’Esprit de Dieu qui séjourne, pour en faire sa demeure, dans ces images de vertu dont on a parlé et dans ce qui est « à l’image du Créateur » ; et de cette façon, l’Esprit du Christ se pose sur ceux qui, pour ainsi dire, lui sont conformes. C’est bien ce que veut montrer le Logos de Dieu : il représente Dieu faisant cette promesse aux justes : « J’habiterai au milieu d’eux, je marcherai parmi eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » ; il fait dire au Sauveur : « Si quelqu’un écoute mes paroles et les accomplit, mon Père et moi nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure. » LIVRE VIII

On objectera nos célébrations des dimanches, de la Parascève, de Pâques, de la Pentecôte ? Il faut répondre : si l’on est un chrétien parfait, quand on ne cesse de s’appliquer aux paroles, aux actions, aux pensées du Logos de Dieu qui par nature est le Seigneur, on vit sans cesse dans les jours du Seigneur, on célèbre sans cesse les dimanches. De plus, quand on se prépare sans cesse à la vie véritable, et qu’on s’éloigne des plaisirs de la vie qui trompent la multitude, sans nourrir « le désir de la chair », mais châtiant au contraire son corps et le réduisant à la servitude, on ne cesse de célébrer la Parascève. En outre, quand on a compris que « le Christ notre Pâque a été immolé » et qu’on doit célébrer la fête en mangeant la chair du Logos, il n’est pas d’instant où on n’accomplisse la Pâque, terme qui veut dire sacrifice pour un heureux passage : car par la pensée, par chaque parole, par chaque action on ne cesse de passer des affaires de cette vie à Dieu en se hâtant vers la cité divine. Enfin, si l’on peut dire avec vérité : « Nous sommes ressuscites avec le Christ », et aussi : « Il nous a ressuscites ensemble et nous a fait asseoir ensemble au ciel dans le Christ », on se trouve sans cesse aux jours de la Pentecôte, surtout lorsque, monté dans la chambre haute comme les apôtres de Jésus, on vaque à la supplication et à la prière pour devenir digne « du souffle impétueux qui descend du ciel » anéantir par sa violence la malice des hommes et ses effets, et pour mériter aussi d’avoir part à la langue de feu qui vient de Dieu. LIVRE VIII

Voyons les paroles de Celse qui nous exhorte à manger des viandes offertes aux idoles et à participer aux sacrifices publics au cours des fêtes publiques. Les voici : Si ces idoles ne sont rien, quel danger y a-t-il à prendre part au festin? Et si elles sont des démons, il est évident qu’eux aussi appartiennent à Dieu, qu’il faut croire en eux et leur offrir selon les lois des sacrifices et des prières pour les rendre bienveillants. En réponse, il sera utile de prendre en main la Première aux Corinthiens et d’expliquer tout le raisonnement de Paul sur les idolothytes. Là, contre l’opinion qu’une idole n’est rien dans le monde, il établit le préjudice causé par les idolothytes. Il montre à ceux qui sont capables d’entendre ses paroles que recevoir une part des idolothytes est un acte tout aussi criminel que de verser le sang, car c’est faire périr des frères pour lesquels le Christ est mort. Ensuite, posant le principe que les victimes des sacrifices sont offertes aux démons, il déclare que participer à la table des démons est entrer en communion avec les démons et il affirme l’impossibilité « d’avoir part en même temps à la table du Seigneur et à la table des démons. » Mais comme l’explication détaillée de ces points de l’épître aux Corinthiens demanderait tout un traité d’amples discussions, je me contenterai de ces brèves remarques. A bien les examiner, on verra que même si les idoles ne sont rien, il n’en est pas moins dangereux de prendre part au festin des idoles. J’ai suffisamment prouvé aussi que même si les sacrifices sont offerts à des démons, nous ne devons pas y prendre part, nous qui savons la différence qu’il y a entre la table du Seigneur et celle des démons et qui, le sachant, faisons tout pour avoir toujours part à la table du Seigneur, mais évitons de toute manière d’avoir jamais part à la table des démons. LIVRE VIII

Citons encore le passage suivant et examinons-le de notre mieux : Si c’est par respect a une tradition qu’ils s’abstiennent de victimes de ce genre, ils devraient complètement s’abstenir de toute chair animale, comme faisait Pythagore dans son respect de l’âme et de ses organes. Mais si, comme ils disent, c’est pour ne pas festoyer avec les démons, je les félicite pour leur sagesse de comprendre tardivement qu’ils ne cessent d’être les commensaux des démons3. Mais ils n’y prennent garde qu’en voyant une victime immolée. Et cependant le pain qu’ils mangent, le vin qu’ils boivent, les fruits qu’ils goûtent, l’eau même qu’ils boivent et l’air même qu’ils respirent ne sont-ils pas autant de présents des démons qui ont chacun pour une part la charge de leur administration ? Je ne vois pas comment, en cette matière, l’obligation pour eux de s’abstenir de toute chair animale lui semble la conséquence logique du fait qu’ils s’abstiennent de certaines victimes par respect d’une tradition. Nous le nions, car la divine Écriture ne nous suggère rien de pareil. Mais pour rendre notre vie plus forte et plus pure, elle nous dit : « Il est bon de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, de ne rien faire qui scandalise ton frère » ; « Garde-toi, avec tes aliments de faire périr celui pour qui le Christ est mort » ; « Quand une viande cause la chute de mon frère, que je me passe à tout jamais de pareille viande afin de ne pas faire tomber mon frère ! » LIVRE VIII

Après cela il approuve ceux qui espèrent l’éternité et l’identité près de Dieu pour l’âme ou l’intelligence, ce qu’on appelle chez eux principe spirituel, esprit raisonnable, intelligent, saint et bienheureux, âme vivante. Il admet comme une opinion juste la doctrine selon laquelle ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. En outre, je trouve admirables plus que tout ce qu’a jamais écrit Celse, ces mots qui concluent les remarques précédentes : c’est une doctrine que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. Mais Celse écrivait contre les chrétiens, dont la foi repose toute entière sur Dieu et sur les promesses du Christ aux justes et ses enseignements sur le châtiment des injustes : il aurait dû voir qu’un chrétien qui accepte les arguments de Celse contre les chrétiens et abandonne le christianisme, en même temps qu’il rejette l’Évangile rejette aussi probablement cette doctrine que, d’après Celse lui-même, ni les chrétiens ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII

Par ailleurs, nous refusons de rendre les honneurs habituels aux êtres que Celse dit préposés aux choses d’ici-bas. Nous adorons le Seigneur notre Dieu et nous le servons lui seul, priant pour devenir les imitateurs du Christ. Car, à la suggestion du diable : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes et m’adores », il répondit : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. » Voilà donc pourquoi nous refusons de rendre les honneurs habituels aux êtres que Celse dit préposés aux choses d’ici-bas, puisque « Personne ne peut servir deux maîtres », et que nous ne pouvons à la fois « servir Dieu et Mammon », que ce mot désigne un seul être ou plusieurs. De plus, si « en transgressant la lois » n refuse d’honorer le législateur, il nous paraît manifeste que, devant l’opposition des deux lois, celle de Dieu et celle de Mammon, il est préférable pour nous de refuser l’honneur à Mammon en transgressant la loi de Mammon afin d’honorer Dieu en observant la loi de Dieu, au lieu de refuser l’honneur à Dieu en transgressant la loi de Dieu, afin d’honorer Mammon en observant la loi de Mammon. LIVRE VIII

S’il veut que reprennent nos luttes et nos combats pour la religion, les adversaires peuvent se présenter, nous leur dirons : « Je puis tout en Celui qui me fortifie, le Christ Jésus notre Seigneur. » Car, ainsi que l’a dit l’Écriture, quoique deux passereaux ne vaillent pas une obole, « pas un seul ne tombe dans le filet sans la permission du Père qui est dans les cieux ». Et la divine Providence embrasse tellement toutes choses que même les cheveux de notre tête ne laissent pas d’être comptés par elle. LIVRE VIII