Cassiano: péché

Il y a trois choses, dit alors le bienheureux Cheremon, qui retiennent l’homme de s’abandonner au vice : la crainte de l’enfer ou des lois terrestres, l’espérance et le désir du royaume des cieux, l’affection du bien pour lui-même et l’amour des vertus. Nous lisons, en effet, que la crainte exècre la souillure du mal : «La crainte du Seigneur hait le mal.» (Pro 8,13). L’espérance aussi ferme l’entrée du coeur au vice, quel qu’il soit : «Ceux qui espèrent en Lui ne pécheront point.» (Ps 33,23). L’amour enfin n’a pas à redouter la ruine du péché, parce que «la charité ne passe point», (1 Cor 13,8) «elle couvre la multitude des péchés». (1 Pi 4,8). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 6

Mais, songeant au salaire dont on paye les mercenaires, il convoite leur condition, et il dit : «Que de mercenaires chez mon père ont le pain en abondance; et moi, je meurs de faim ici. Je retournerai vers mon père, et lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et devant vous; je ne suis plus digne d’être appelé votre fils; traitez-moi comme l’un de vos mercenaires.» (Ibid. 17-19). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 7

Le bienheureux Jean avait conscience d’être arrivé à cet état, lorsqu’il disait : «La perfection de l’amour en nous, c’est que nous ayons une confiance assurée au jour du jugement, parce que tel est Jésus Christ, tels nous sommes aussi dans ce monde.» (1 Jn 4,17). Comment la nature humaine, faible et fragile comme elle est, peut-elle espérer d’être telle que le Seigneur, si ce n’est en étendant aux bons et aux méchants, aux justes et aux injustes, la charité toujours tranquille de son coeur, à l’imitation de Dieu, et en faisant le bien pour l’amour du bien lui-même ? Puisque ce sont justement ces dispositions qui la font parvenir à l’adoption véritable des fils de Dieu, de laquelle le même apôtre déclare : «Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui; et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu»; (Ibid. 3,9). «Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point, mais la naissance qu’il a reçue de Dieu le conserve pur, et le Malin ne le touche pas.» (Ibid.; 5,18). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9

Pour ces derniers, si quelqu’un ne voulait s’en retirer ni s’en purifier, saint Jean déclare en un autre endroit que l’on ne doit même pas prier pour lui : «Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu’il prie; et Dieu donnera la vie à ce frère, à tous ceux dont le péché ne va pas à la mort. Il y a tel péché qui va à la mort; ce n’est pas pour celui-là que je dis de prier.» (1 Jn 5,16). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9

Au contraire, des péchés qui ne vont pas à la mort, et dont ceux-là mêmes qui servent fidèlement le Christ ne sauraient être exempts, quelque circonspects qu’ils soient à garder leur âme, il est ainsi parlé : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous»; (Ibid. 1,8). «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous faisons Dieu menteur, et sa parole n’est pas en nous.» (1 Jn 1,10). Prenez, en effet, parmi les saints tel qu’il vous plaira, il n’en est point qui ne tombe fatalement en ces manquements minimes qui se font par paroles, par pensées, par ignorance et oubli, impulsion, volonté ou distraction, et qui, pour différer du péché qui va à la mort, ne sont point cependant sans faute ni reproche. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9

GERMAIN. — Ce que vous avez dit sur le parfait amour de Dieu est d’une éloquence puissante et magnifique. Une chose cependant, nous trouble beaucoup. Tandis que vous l’élevez si haut, vous déclarez imparfaites la crainte de Dieu et l’espérance de la rétribution éternelle. Or, le prophète semble avoir été, sur ce point, d’un sentiment tout autre : «Craignez le Seigneur, dit-il, vous tous, ses saints, parce que rien ne manque à ceux qui le craignent.» (Ps 33,10). Ailleurs, il avoue s’être exercé à l’observation des commandements de Dieu dans la vue de la récompense : «J’ai incliné mon coeur à observer vos commandements à cause de la récompense.» (Ps 117,112). L’Apôtre nous dit d’autre part : «C’est par la foi que Moïse, devenu grand, refusa d’être le fils de la fille du Pharaon, autant mieux être affligé avec le peuple de Dieu, que de jouir des délices passagères du péché, il considéra l’opprobre du Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l’Égypte, car il avait les yeux fixés sur la récompense.» (Heb 11,24-26). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 11

Quant à la crainte servile du châtiment, vrai Fils de Dieu comme il était, «qui ne commit pas le péché, et dont la bouche ignora la ruse», (1 Pi 2,22) il ne pouvait l’avoir. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 13

Tout d’abord, qu’en pense au juste le bienheureux Apôtre ? «Mortifiez, dit-il, les membres de l’homme terrestre.» (Col 3,5). Mais, avant de pousser plus loin, quels sont ces membres qu’il ordonne de mortifier ? Son dessein n’est pas de nous porter à quelque mutilation barbare. Ce qu’il désire, c’est que le zèle de la sainteté parfaite détruise au plus tôt le corps de péché, lequel naturellement est formé de membres divers. «Afin que soit détruit le corps de péchés,» dit-il en un autre endroit, puis, il explique en quoi consiste cette destruction : «Pour que nous ne soyons, plus esclaves du péché.» (Rom 6,6). C’est aussi de ce corps qu’il demande avec gémissement d’être délivré : «Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ?» (Ibid.) Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 1

Du corps de péché et de ses membres Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 2

Ce sont les vices qui forment les membres multiples du corps de péché; tout ce qui se commet de mal en actions, paroles ou pensées lui appartient. Ces membres sont qualifiés de terrestres, et avec bien de la raison. Qui en use ne saurait, sans mentir, proclamer hautement : «Pour nous, notre vie est dans les cieux.» (Phil 3,20). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 2

La grâce du Christ est donc toujours à notre disposition. Comme «il veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité,» il les appelle aussi tous, sans exception : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai !» (Mt 11,28) S’il n’appelait tous les hommes en général, mais quelques-uns seulement, il suivrait que tous ne sont pas non plus chargés, soit du péché originel, soit du péché actuel. Et cette parole ne serait pas juste : «Car tous ont péché, et sont privés de la gloire de Dieu !» (Rm 3,23) On aurait tort aussi de croire que «la mort a passé dans tous les hommes.» (Ibid. 5,12) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 7

Ne croyez pas davantage que ce soit par un seul mot de repentir : «J’ai péché contre le Seigneur» (2 Rois 12,13), et non pas plutôt par la miséricorde du Seigneur, que le roi David ait effacé deux crimes si graves, et mérité d’entendre du prophète Nathan : «Le Seigneur a éloigné de toi ton iniquité; tu ne mourras point» (Ibid.). Ajouter l’homicide à l’adultère : ce fut l’ouvrage de son libre arbitre. Il reçoit les reproches du prophète : c’est une grâce de la divine bonté. Il s’humilie et reconnaît son péché : voilà sa part, à lui. Il mérite en un court instant le pardon de si grands crimes : c’est le don de la miséricorde. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 18

C’est en vain que l’on tend à voir Dieu, si l’on n’évite la contagion des vices, car «l’Esprit de Dieu hait l’astuce et n’habite point dans un corps esclave du péché.» (Sag 1,5). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 2

Si l’on a pu éviter cette faute également, que l’on prenne garde de tomber dans le vice de l’infidélité par un péché plus subtil, qui consiste dans la divagation de l’esprit. Je ne dis pas seulement toute pensée honteuse, mais toute pensée inutile ou qui s’éloigne si peu que ce soit de Dieu, est, aux yeux du parfait, une souillure, une infidélité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 11

GERMAIN. — Votre assertion ne nous semble pas fondée sur la vérité ni appuyée de raisons plausibles. Tous ceux qui refusent la foi du Christ, ou la corrompent par des opinions mensongères et impies, manifestement n’ont pas le coeur pur. Comment donc se fait-il que tant de juifs, d’hérétiques ou même de catholiques, qui sont en proie à des vices divers, parviennent à une connaissance parfaite des Écritures et peuvent se glorifier d’une science spirituelle éminente; tandis que l’on voit une multitude incalculable de saints qui ont purifié leur coeur de toute souillure de péché, et dont néanmoins la religion, contente de la simplicité de la foi, ignore les secrets d’une science plus profonde ? Et comment, après cela, votre opinion, qui attribue la science spirituelle à la seule pureté du coeur, pourra-t-elle tenir ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 15

NESTEROS. — Ce n’est pas examiner comme il convient la portée d’une doctrine, que de ne pas prendre le soin de peser tous les termes qui l’expriment. Nous avons dit déjà que cette sorte de gens n’ont rien qu’une certaine habileté à parler, avec de l’agrément dans le discours; mais qu’ils sont incapables d’entrer au coeur de l’Écriture et dans le mystère des sens spirituels. La science véritable ne se trouve que chez ceux qui honorent vraiment Dieu. Ce peuple ne l’a certes point, à qui il est dit : «Écoute, peuple insensé, qui n’as point de coeur; vous qui avez des yeux et ne voyez point, des oreilles et n’entendez point;» (Jer 5,21) et de nouveau : «Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai à mon tour, et ne souffrirai pas que tu remplisses les fonctions de mon sacerdoce.» (Os 4,6). Il est écrit que «tous les trésors de la science sont cachés» (Col 2,3) dans le Christ. Dès lors, comment croire que celui qui dédaigne de trouver le Christ, ou qui, l’ayant trouvé, le blasphème d’une bouche sacrilège, comment croire que celui qui déshonore la foi catholique par des oeuvres d’impureté, aient atteint à la vraie science ? «L’Esprit de Dieu, en effet, hait l’astuce et n’habite point dans un corps esclave du péché.» (Sag 1,5). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 16

Nous estimons n’être point coupables devant Dieu, parce que nulle parole n’est sortie de nos lèvres qui nous puisse flétrir ou condamner au jugement des hommes. Comme si, aux yeux de Dieu, ce fuissent les paroles seulement qui comptent pour fautes, et non pas surtout la volonté ! où qu’il n’y eût de crime que dans l’oeuvre du péché, et non pas aussi dans le voeu et le dessein ! Comme s’il avait uniquement égard, lorsqu’il nous juge, à ce que nous avons fait; et point du tout à ce que nous nous sommes proposés de faire ! Ce n’est pas seulement le caractère apparent de nos provocations qui fait notre culpabilité, mais aussi notre intention. Notre juge, dans son examen impartial, s’enquerra moins des modalités extérieures de la querelle, qu’il ne cherchera par la faute de qui elle s’est allumée. Ce qu’il faut considérer, c’est le péché lui-même, et non pas l’acte matériel. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 18

En proie au plus grand embarras et incapables de décider en l’affaire de notre salut, nos seuls gémissements témoignaient tout ce qu’avait de critique une position si pénible. Nous accusions notre peu de résolution, nous maudissions notre naturelle timidité. C’étaient elles qui nous avaient enlevé tout ressort; et contre notre avantage, au risque de faire avorter notre dessein, nous n’avions su résister aux prières de ceux qui voulaient nous retenir, qu’en promettant de revenir au plus tôt. Nous pleurions sur nous, d’avoir été victimes de ce vice dont parle l’Écriture : «Il a une honte qui cause le péché.» (Pro 26,11). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 2

Les parfaits ne devraient s’engager à rien; mais peuvent-ils, sans péché, rompre leurs engagements ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 8

Judas, au contraire, ne se proposait aucunement le salut des hommes, mais il sacrifiait au péché de l’avarice, lorsqu’il livrait à la mort notre Rédempteur à tous. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 12

Le vieillard explique que l’on peut, sans péché, changer l’ordonnance de sa vie, pourvu que ce soit par des vues élevées et vraiment efficaces. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 14

Si notre science devient aux faibles une occasion de mentir, cela peut-il être sans péché ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 15

Des saints, des hommes très agréables à Dieu se sont servi utilement du mensonge; et ce faisant, loin de tomber, dans le péché, ils parvinrent à la justice la plus éminente. Mais si l’artifice a pu leur conférer la gloire, que leur eût apporté, au contraire, la vérité, sinon la condamnation ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 17

C’est que Dieu n’examine et ne juge pas seulement nos paroles et nos actes; mais il considère aussi notre volonté et nos intentions. Nous voit-il faire ou promettre quelque chose pour notre salut éternel ou en vue de la contemplation divine : même si notre conduite revêt, aux yeux des hommes, des apparences de dureté et d’injustice, lui regarde aux sentiments de religion qui sont au fond de notre coeur, et nous juge, non d’après le son des mots, mais sur le voeu de notre volonté. La fin de l’acte, les dispositions de celui qui agit, voilà ce qui est à considérer. Par là, comme on l’a dit plus haut, l’un peut se justifier en mentant; et l’autre, tomber dans un péché qui le condamne à la mort éternelle, en disant la vérité. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 17

Pourquoi s’étonner ? Il leur était même licite, alors, d’avoir en nombre épouses et concubines, sans qu’on leur imputât de ce chef le moindre péché. Outre cela, ils répandaient fréquemment de leurs propres mains le sang de leurs ennemis; et l’on ne croyait pas que ce fût là chose répréhensible, mais plutôt digne d’éloge. Toutes pratiques absolument interdites, aujourd’hui que brille la lumière de l’Évangile : tellement que ce serait un crime et un sacrilège monstrueux de s’en permettre aucune. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 18

Voyez-les, en effet, sous le coup de cette grave accusation. Ce qui les abat, ce n’est pas le crime qu’on leur reproche faussement, mais le remords de celui qu’ils ont autrefois commis. «C’est justement que nous souffrons, se disent-ils les uns aux autres, parce que nous avons péché contre notre frère, parce que nous avons méprisé l’angoisse de son âme, lorsqu’il nous priait, et que nous ne l’avons pas écouté. Voilà pourquoi cette tribulation est venue sur nous.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

Pour moi, cet aveu expia, par son humilité, un forfait si grand, non seulement devant leur frère, contre qui ils avaient péché, avec une cruauté inhumaine, mais aussi devant Dieu. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

0n soutient, au contraire, qu’il a révoqué cette sentence sévère en considération de leur pénitence, selon ce qu’il dit par la bouche d’Ézéchiel : «Lors même que j’aurai dit à l’impie : Tu mourras ! s’il fait pénitence de son péché et qu’il agisse selon le droit et la justice, certainement il vivra et ne mourra pas.» — Ne nous enseigne-t-il point par là à ne pas nous opiniâtrer non plus dans nos déterminations, mais à faire succéder une miséricordieuse clémence aux menaces que la nécessité nous aurait arrachées ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

Ce qu’il fit en cette occasion, il proteste dans la suite, par la bouche du prophète Ézéchiel, qu’il veut le faire avec tous les hommes par un jugement quotidien: «Lors même que j’aurai dit au juste qu’il vivra, si, se confiant dans sa justice, il fait l’iniquité, toutes ses justices seront mises en oubli; et à cause de l’iniquité qu’il aura commise, il mourra. Et lors même que j’aurai dit à l’impie : tu mourras ! s’il fait pénitence de son péché et qu’il agisse selon le droit et la justice; s’il rend le gage qu’on lui a confié, restitue ce qu’il a ravi, et marche selon les préceptes qui donnent la vie, sans faire aucun mal certainement il vivra et ne mourra point. Aucun des péchés qu’il a commis ne lui sera imputé.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

Autre exemple. Le Seigneur détourne les regards de sa miséricorde du peuple qu’il a adopté parmi toutes les nations, à cause de sa soudaine prévarication. Mais le Législateur intervient en sa faveur, et s’écrie : «Je te conjure de m’écouter, Seigneur. Ce peuple a commis un grand péché; ils se sont fait des dieux d’or. Et maintenant, si tu veux pardonner leur faute, pardonne-la. Sinon, efface-moi du livre que tu as écrit.» Et le Seigneur lui dit : «Si quelqu’un a péché contre moi, c’est celui-là que j’effacerai de mon livre e.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

Si, vaincu par l’injure, on s’enflamme de colère, il ne faut pas croire que la morsure de l’affront soit cause de ce péché; elle ne fait que manifester une faiblesse cachée. Et l’on voit ici s’accomplir la parabole de notre Seigneur et Sauveur sur les deux maisons, dont la première était fondée sur le roc, et la seconde sur le sable. (cf. Mt 7,24). Les pluies, les torrents, les vents de tempête se ruent également sur l’une et sur l’autre. Cependant, celle qui est fondée sur la solidité du roc, ne souffre aucun dommage d’un choc si violent; au contraire, celle qui est construite sur le sable incertain et mobile, s’abîme sans retard. Or, il apparaît clair comme le jour que la cause de sa ruine n’est pas dans les pluies et les torrents qui l’assaillent, mais dans l’imprudence de celui qui l’a bâtie sur le sable. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 13

En revanche, le malheureux que l’envie précipita dans un si grand péché, ne jouissait-il pas du bienfait de la solitude, de la protection d’une cellule écartée, du commerce du bienheureux Isidore et des autres saints ? Mais l’ouragan suscité par le diable trouva sa maison fondée sur le sable; et, non content de la battre du dehors, il la jeta par terre. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 16

Ainsi donc, n’arrêtons pas notre pensée sur la ruine du solitaire qui tomba, dans ce désert fameux, d’une si lugubre chute, ni sur une infamie que du reste il sut remarquablement effacer par la suite dans les larmes de la pénitence. Mais aimons à considérer plutôt l’exemple du bienheureux Paphnuce. Au lieu de trouver un sujet de scandale dans le péché du premier, chez qui un zèle mal tourné pour la religion vint ajouter au vice antique de la jalousie, imitons de toutes nos forces l’humilité du second. Celle-ci ne fut pas un fruit spontané du désert; mais, acquise parmi la société des hommes, elle se développa et parvint à son achèvement dans la solitude. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 16

Lors donc que nous saisirons dans notre coeur ces marques du vice, reconnaissons que l’acte seulement du péché nous fait défaut, non le penchant mauvais. Mêlons-nous à la vie des autres hommes : aussitôt, ces passions sortiront des retraites de notre sensibilité. Preuve qu’elles ne naissent pa dans le moment qu’elles s’échappent impétueusement; mais qu’elles se révèlent enfin au grand jour, après être demeurées longtemps cachées. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 12

GERMAIN. — Mais alors, à quelle source puiser la sainte et salutaire componction d’un coeur humilié ? Car, voici que l’Écriture nous la dépeint avec ces paroles, parties des lèvres du pénitent : «J’ai fait connaître mon péché, et je n’ai point couvert mon iniquité; j’ai dit : Je déclarerai contre moi mon injustice au Seigneur.» (Ps 31,5-6). Quel titre aurons-nous donc à redire avec vérité ce qui suit aussitôt : «Et vous avez pardonné l’impiété de mon coeur» ? (Ibid.) Si nous bannissons de notre coeur la mémoire de nos péchés, comment, prosternés en prière, nous exciterons-nous aux larmes d’une humble confession, pour mériter d’obtenir le pardon de nos crimes, selon cette parole : «Chaque nuit, je baignerai ma couche de mes larmes, j’arroserai mon lit de mes pleurs» ? (Ps 6,7). Le Seigneur, du reste, ne commande-t-Il pas de la garder invariablement, lorsqu’il dit : «Je ne me souviendrai plus de tes iniquités, mais toi rappelle-toi» ? (Is 43,25-26). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 6

Quant au souvenir de ses péchés, dont parlez maintenant, il est fort utile assurément, il est même nécessaire, mais à ceux qui font encore pénitence, et s’écrient sans cesse, en frappant leur poitrine : «Je reconnais mon iniquité, et mon péché est constamment devant moi»; (Ps 50,5). «Je réfléchirai, dans le sentiment de mon péché.» (Ps 37,19). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 7

Au demeurant, nul autre chemin, pour atteindre à cet oubli, que l’abolition des tares et des passions de notre première vie, une parfaite et entière pureté de coeur. Qui néglige, par indolence ou mépris, de corriger ses vices, ne le connaîtra jamais. C’est la conquête privilégiée de celui qui, à force de gémissements, de soupirs et de sainte tristesse, aura réduit jusqu’à la moindre trace de ses souillures passées, et, du plus profond de son âme, criera en toute vérité vers le Seigneur : «J’ai fait connaître mon péché et je n’ai point couvert mon injustice»; (Ps 31,5) «Mes larmes sont ma nourriture jour nuit.» (Ps 41,4). Car voici la réponse qu’il méritera d’entendre : «Que ta voix cesse de gémir; et tes yeux, de pleurer : ton labeur aura sa récompense, dit le Seigneur.» (Jer 31,16). Et la Voix divine lui dira encore : «J’ai effacé comme une nuée tes iniquités, et tes péchés comme un nuage»; (Is 44,22) «C’est Moi, c’est Moi seul qui efface tes iniquités pour l’amour de Moi, et de tes péchés Je ne me souviendrai plus.» (Ibid. 43,25). Délivré «des liens de ses péchés, où chacun se trouve engagé»,(Pro 5,22) il chantera au Seigneur ce cantique d’actions de grâces : «Vous avez rompu mes liens, je vous offrirai un sacrifice de louange.» (Ps 115,16-17). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 7

L’aumône également porte remède à s blessures : «Comme l’eau éteint le feu, l’aumône éteint le péché.» (Ec 3,33). Les larmes aussi peuvent laver la souillure de nos manquements : «Chaque nuit, s’écrie le prophète je baignerai ma couche de mes larmes, j’arroserai mon lit de mes pleurs.» (Ps 6,7). Puis, afin de montrer qu’il n’a point pleuré vainement, il ajoute : «Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites l’iniquité, parce que le Seigneur a écouté la voix de mes larmes.» (Ibid. 9). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8

Parfois, c’est l’intercession des saints qui obtient le pardon de nos fautes : «Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu’il prie; et Dieu donnera la vie à ce frère, dont le péché ne va pas à la mort.» (1 Jn 5,163). Et de nouveau : «Quelqu’un parmi vous est-il malade, qu’il appelle les prêtres de l’Église, et que ceux-ci prient sur lui, l’oignant d’huile au nom du Seigneur. Et la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le soulagera; et s’il a commis des péchés, ils lui seront remis.» (Jac 5,14-15). D’autres fois, c’est le mérite de la miséricorde et de la foi qui réduit la souillure de nos vices, selon cette parole : «Les péchés s’expient par la miséricorde et la foi.» (Pro 15,27). Souvent aussi, c’est la conversion et le salut de ceux que ramènent au bien nos avis et notre prédication : «Celui qui convertira un pécheur de l’égarement de ses voies, sauve cette âme de la mort et couvrira la multitude de ses propres péchés.» (Jac 5,20). Enfin, l’oubli et le pardon que nous accordons aux autres, nous méritent le pardon de nos propre méfaits : «Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos manquements.» (Mt 6,14). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8

Vous voyez combien d’ouvertures la Clémence du Sauveur nous a ménagées vers sa Miséricorde, afin que personne de ceux qui désirent le salut, ne se laisse abattre par le découragement, lorsque tant de remèdes l’appellent à la vie. Vous alléguez votre faiblesse, qui vous empêche d’effacer vos péchés par l’affliction du jeûne ? Vous ne pouvez dire : «Mes genoux se sont affaiblis par le jeûne, et ma chair s’est changée par le manque d’huile; car j’ai mangé la cendre comme du pain et mêlé mes pleurs à mon breuvage »? (Ps 108,24). Rachetez-les par vos largesses et vos aumônes. Vous n’avez rien à donner aux indigents ? — Quoique les sévérités de la détresse pécuniaire et de la pauvreté n’interdisent cette bonne oeuvre à personne : les deux menues pièces de la veuve ont été préférées aux dons magnifiques des riches, (cf. Lc 21,1-2) et le Seigneur promet de récompenser un verre d’eau froide.— (cf. Mt 10,42). Mais il est, certes, en votre pouvoir de vous purifier par la correction de votre vie.— Acquérir la perfection des vertus par l’extinction de tous les vices vous paraît chose impossible ? Dépensez au salut d’autrui vos soins pieux. — Vous vous plaignez d’être impropre à ce ministère ? Couvrez vos péchés par la charité. — Il y a en vous une certaine mollesse qui vous rend fragile aussi sur ce point ? Abaissez-vous, et, dans les sentiments de l’humilité, implorez le remède à vos blessures de la prière et de l’intercession des saints. Enfin, qui est-ce qui ne peut dire sur le ton de la supplication ardente : «J’ai fait connaître mon péché, et je n’ai point couvert mon injustice,» (Ps 31,5) afin de mériter par cette profession d’ajouter ensuite : «Et vous avez remis l’impiété de mon coeur.» (Ibid.) —La honte vous retient ? Vous rougissez de révéler vos péchés en présence des hommes ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8

Ne cessez pas de les confesser, avec de continuelles supplications, à Celui dont ils ne sauraient éviter le regard; dites-Lui : «Je reconnais mon iniquité, et mon péché est constamment devant moi; c’est contre vous seul que j’ai péché, j’ai fait ce qui est mal à vos Yeux.» (Ps 50,5-6). Il nous guérit, Lui, en nous épargnant la honte de publier nos fautes; il pardonne nos péchés, sans nous les reprocher. Et après ce moyen de salut si aisé, si certain, la divine Bonté vous en accorde un autre, plus facile encore. Le remède qui secourt, elle le commet à votre libre volonté; nos propres sentiments sont la mesure du pardon de nos crimes, lorsque nous disons : «Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent.» (Mt 6,12). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8

C’est ce glaive dont les salutaires blessures répandent le sang corrompu, sève vivante du péché. Toutes végétations charnelles et terrestres qu’il rencontre en notre âme il les coupe et retranche, nous faisant mourir au vice, afin de vivre à Dieu, dans la vigueur des vertus spirituelles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8

C’est pourquoi, désertant toute pensée mauvaise et, plus encore, toute pensée terrestre, il faut élever toujours l’attention de notre âme aux choses célestes : «Où je suis, là aussi sera mon serviteur,» (Jn 12,29) dit le Seigneur. Eh quoi ? n’arrive-t-il pas fréquemment aux gens dépourvus d’expérience, que, revenant en pensée sur leurs propres chutes ou sur celles des autres, comme pour les déplorer, la pointe subtile du consentement mauvais les blesse; et ce qui avait commencé avec les couleurs de la piété, s’achève dans le péché de l’impudicité : «Il est des voies qui paraissent, droites à l’homme, mais dont l’issue est au fond de l’enfer.» Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 9

Nous y tombons avec une telle facilité, que l’on dirait une loi de nature. Aussi ne peuvent-elles être évitées complètement, quelque circonspect et vigilant que l’on soit à leur endroit. Et l’un des disciples, celui que Jésus aimait, a sur ce propos une parole formelle et absolue : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la parole de Dieu n’est point en nous.» (1 Jn 1,8). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 12

Sachez qu’en remplissant fidèlement cet acte de religion, vous parfaites toute la justice de la Loi ancienne; mais souvenez-vous aussi que ceux qui y fuirent soumis, s’ils tombaient inévitablement dans le péché en la transgressant, ne pouvaient cependant parvenir par son accomplissement au faite de la perfection. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 2

Lorsqu’une chose est bonne essentiellement, il n’est pas un instant de notre vie où on ne la doive trouver, personne n’a licence d’en être jamais dépourvu : parce qu’on ne saurait la négliger, sans tomber dans le péché. Au contraire, point de temps pour ce qui est mauvais par essence : ce qui est toujours nuisible ne saurait manquer de nuire, si on se le permet, ni se muer en quelque chose de louable. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14

Ceci posé, c’est déroger au bien essentiel, ce n’est pas l’accomplir selon la perfection ni sans péché, que de le faire en vue d’autre chose. Tout doit se rapporter à lui; lui-même doit être recherché pour soi seul. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16

Il importe donc de garder notre coeur constamment attentif et circonspect, en toute prudence et sagacité. Car quel malheur, si le jugement de notre discrétion venant à errer, nous nous laissions enflammer par le désir d’une abstinence inconsidérée ou séduire par l’amour d’une excessive douceur ! Ce serait peser nos forces sur une balance fausse. Eh bien, non ! Mettant sur un plateau la pureté de l’âme, sur l’autre notre vigueur corporelle, pesons-les selon le jugement véridique de la conscience, de manière à n’être entraînés ni d’une part ni de l’autre, par une affection prépondérante et vicieuse. Si nous inclinions la balance, ou vers une austérité sans mesure, ou vers un trop grand relâchement, il nous serait dit pour cet excès : Si vous avez bien offert et que vous n’ayez pas bien partagé, n’avez-vous point péché ? (Gen 7,7). Les sacrifices extorqués à notre pauvre estomac, au prix de convulsions violentes, nous avons beau les croire offerts à Dieu selon la droiture; Celui qui aime la miséricorde et la justice, (Ps 32,5) les exècre : Je suis le Seigneur, dit-il, qui aime la justice, et qui hais l’holocauste venant de rapine. (Is 46,8). Par ailleurs, ceux qui consacrent le principal de leurs offrandes, je veux dire de leur service et de leurs actes, à favoriser la chair et à satisfaire leurs propres besoins, ne réservant au Seigneur que des restes, une part insignifiante, la divine parole les condamne à leur tour comme des ouvriers infidèles : Maudit soit celui qui fait l’oeuvre de Dieu avec fraude. (Jer 48,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 22

C’est encore tomber évidemment dans le péché du poids trompeur et de la double mesure, que de faire parade à la vue de nos frères, par un désir de gloire humaine, des pratiques plus austères auxquelles nous avons coutume de nous livrer dans nos cellules : en effet, c’est vouloir paraître plus abstinents et plus saints aux yeux des hommes, que nous ne le sommes aux yeux de Dieu. Or, il n’est point de vice qu’il faille davantage, je ne dis pas éviter, mais abominer. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 22

Cette mesure, bienfaisante aux faibles, n’était pas capable de préjudicier aux parfaits. Vivant sous la grâce de l’Évangile, leur dévotion volontaire va plus loin que la loi, afin de parvenir à la béatitude exprimée par l’Apôtre : Le péché ne dominera pas en vous, parce que vous n’êtes pas sous la Loi, mais sous la grâce. (Rom 6,14). Le péché ne saurait, en effet, exercer sa domination sur l’âme qui est fidèle à demeurer sous la liberté de la grâce. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 30

Question : Comment faut-il entendre ce que, dit l’Apôtre : Le péché ne dominera pas en vous ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 31

GERMAIN. — L’Apôtre ne peut mentir, lorsqu’il promet la sécurité, non seulement aux moines, mais à tous les chrétiens en général. Or, c’est justement ce qui me rend sa parole excessivement obscure. Si, comme il le déclare, tous ceux qui croient à l’Évangile sont libres, affranchis du joug et de la domination du péché, comment se fait-il que cette domination s’exerce chez presque tous les baptisés ? Car, le Seigneur le dit : Quiconque fait le péché, est esclave du péché. (Jn 8,34). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 31

Je crois nécessaire de considérer d’abord avec soin le but et la volonté de la Loi, puis la discipline et la perfection de la grâce. Sur ces principes, nous pourrons discerner ce qu’il faut entendre par la domination du péché et l’expulsion du péché. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 32

Quiconque a su gravir ces sommets de la perfection évangélique, se trouve élevé, par le mérite de si grandes vertus, au-dessus de toute la Loi. Tous les commandements portés par Moïse lui semblent désormais petits et mesquins; et il a conscience de n’être petits sujet que de la grâce du Sauveur, dont le secours, il le voit, l’a fait parvenir à un état si sublime. Le péché ne domine plus en lui. La charité de Dieu, répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui nous a été donné, (Rom 5,5) exclut, en effet, toute autre affection; elle est aussi incapable de convoiter ce qui est défendu, que de mépriser ce qui est commandé, elle dont l’étude et tout le désir sont dans le divin amour, et ne se posent même pas sur les choses permises, bien loin qu’ils se laissent prendre aux basses voluptés. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33

Comme chez le partisan du mariage, le péché est également en celui qui se contente de payer la redevance de la dîme et des prémices. Il est fatal qu’il manque, soit par retard, soit par négligence, sur la qualité ou sur la quantité, ou enfin dans la distribution quotidienne qu’il en fait. Représentez-vous un homme obligé à servir infatigablement son bien aux indigents : si grandes que puissent être sa foi et sa dévotion dans cette charité, comme il est difficile qu’il ne tombe maintes fois dans les filets du péché ! Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33

Voyez, d’autre part, celui qui n’a pas méprisé le conseil du Seigneur. Après avoir distribué tous ses biens aux pauvres, il a pris sa croix, et il suit le dispensateur de la grâce. Le péché pourrait-il dominer sur lui ? Sa fortune est déjà consacrée au Christ, ses richesses ne sont plus à lui; et, tandis qu’il en fait pieusement le partage, il n’est point mordu par le souci infidèle de garder pour vivre, aucune hésitation chagrine ne vient gâter la joie qui sied à l’aumône. Avant tout donné à Dieu, rien ne lui appartient plus; et il le dispense comme tel, sans souvenir de ses propres besoins, sans crainte pour le morceau de pain qui le fera vivre, tant il est dans la certitude que, parvenu au dépouillement désiré, Dieu le nourrira avec bien plus de sollicitude encore que l’oiseau du ciel. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33

Il en va de tout autre sorte pour celui qui retient la substance de ce monde, et distribue, soit la dîme ou les prémices de ses biens, soit une part de son argent, sous l’obligation de la Loi ancienne. Il n’est pas, je le sais, de rosée pareille à cette aumône, pour éteindre le feu de ses péchés. Cependant, quelle que soit sa magnanimité dans ce partage de sa fortune, il est impossible qu’il s’arrache entièrement à la domination du péché, à moins que, par la grâce du Sauveur, il ne renonce, en même temps qu’à son bien, à l’esprit de propriété. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33

Fatalement encore, celui-là demeure sous l’homicide empire du péché, qui réclame, avec la Loi, oeil pour oeil, dent pour dent, oui préfère haïr son ennemi. Tandis qu’il souhaite des représailles égales à l’offense et nourrit contre ses adversaires une haineuse amertume, les passions de la rage et de la colère le brûlent d’un feu inévitable. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33

Cet autre, cependant, vit dans la lumière de la grâce évangélique. Il triomphe du mal, non par la résistance, mais par la patience. On le frappe ? Il présente volontairement et sans retard l’autre joue. On veut soulever un débat, pour avoir sa tunique ? Il abandonne encore son manteau. Il aime ses ennemis, prie pour ceux qui le calomnient. Ah ! voilà l’homme qui a secoué le joug du péché et rompu ses chaînes ! Il ne vit plus sous la Loi. — Celle-ci, en effet ne tue pas les semences du péché. Aussi le bienheureux Apôtre dit-il justement : La première ordonnance a été abrogée, à cause de son impuissance et de son inutilité, car la Loi n’a rien amené à la perfection. (Heb 7,18-19). Et le Seigneur, par la bouche de son prophète : Je leur ai donné des préceptes qui ne sont pas bons, et des ordonnances où ils ne trouveront pas la vie. ( Ez 20,25). — Mais il vit sous la grâce, qui ne se borne pas à couper les rejetons du mal, mais arrache à fond les racines mêmes de la volonté mauvaise. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33

Si donc il est un homme qui s’efforce de suivre la perfection de la doctrine évangélique, celui-là demeure sous la grâce, et la domination du péché ne pèse plus sur lui : être sous la grâce, c’est accomplir ce que la grâce commande. Mais, si l’on refuse d’embrasser la plénitude de la perfection évangélique, vainement on se flatte d’être baptisé et moine; qu’on le sache, on n’est pas sous la grâce, mais embarrassé encore dans les chaînes de la Loi et fléchissant sous le faix du péché. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 34

Autre chose : le dessein du Seigneur, en faisant sien, par la grâce de l’adoption, quiconque le reçoit, n’est pas de détruire, mais de couronner, ni d’abolir, mais de parfaire les ordonnances de Moïse. C’est ce que plusieurs ignorent tout à fait. Négligeant d’une part les magnifiques exhortations du Christ, ils ne laissent pas de s’abandonner d’ailleurs à une liberté présomptueuse. Les préceptes du Christ sont ardus : ils ne les effleureront pas du bout des doigts. Mais les commandements que la Loi de Moïse faisait aux Juifs, comme à des débutants et des enfants, sont vieillis : et de les mépriser. Liberté coupable, qui équivaut à cette déclaration, maudite par Apôtre : Nous avons péché, parce que nous ne sommes plus sous la Loi, mais sous la grâce. (Rom 6,15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 34

Or, n’être pas sous la grâce, parce qu’on n’a pas su gravir les cimes de la doctrine du Seigneur; ni sous la Loi, parce qu’on refuse d’embrasser les commandements mêmes, si faciles, de la Loi : c’est subir deux fois la tyrannie du péché; c’est croire qu’on n’a reçu la grâce du Christ, qu’afin de se séparer de lui par une liberté funeste; c’est tomber dans l’abîme contre lequel nous prévenait l’apôtre Pierre : Agissez comme des hommes libres, et non en hommes qui se font de la liberté un manteau à couvrir leur malice. (1 Pi 2,16). Et le bienheureux apôtre Paul dit de même : Pour vous, mes frères, vous avez été appelés à la liberté, ce qui signifie : à l’affranchissement de la tyrannie du péché; seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte, pour vivre selon la chair, (Gal 5,13) c’est-à-dire : Ne croyez pas qu’échapper aux préceptes de la Loi, c’est ouvrir la carrière aux vices. La vraie liberté ne se trouve que là où demeure le Seigneur; c’est encore l’apôtre Paul qui nous l’enseigne : Le Seigneur, c’est l’Esprit; où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. (2 Cor 3,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 34

Puis, l’Apôtre ajoute : C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup de gens débiles et de malades, et qu’un grand nombre sont morts (Ibid., 30), affirmant que la maladie et la mort spirituelles doivent principalement à cette présomption leur origine. Beaucoup, en effet, qui osent communier illicitement, sont faibles dans la foi et d’âme débile, c’est-à-dire, en proie aux langueurs du vice; ils dorment du sommeil du péché, sans que jamais une salutaire sollicitude vienne les réveiller de cette funeste léthargie. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 5

Le texte poursuit : Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés (1 Cor, 11,31). En d’autres termes : Si nous nous jugions nous-mêmes indignes de recevoir les sacrés mystères, toutes les fois que la blessure du péché nous a prévenus, nous prendrions soin de nous en approcher dignement, en nous amendant par la pénitence. Au lieu de quoi, le Seigneur est obligé de châtier notre indignité par le dur fouet des maladies. Par cette méthode du moins, viendrons-nous à la componction; et nous irons chercher le remède à nos blessures, dans la crainte d’être condamnés, au siècle à venir, avec les pécheurs de ce monde, n’ayant pas été jugés dignes du châtiment passager de la vie présente. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 5

Quant à nous, pour être délivrés de toute illusion regrettable, il faut tendre de toute notre force : premièrement, à triompher du vice impur, afin que, selon la parole du bienheureux Apôtre, le péché ne règne plus dans notre corps mortel par notre obéissance à ses convoitises; deuxièmement, à calmer et endormir la puissance de la chair, de manière à ne pas livrer nos membres au péché, comme des instruments d’iniquité; troisièmement, à mortifier jusque dans les moelles, notre homme intérieur tout instinct de concupiscence, nous offrant à Dieu comme vivants, de morts que nous étions. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Ces étapes progressives nous ferons parvenir à la tranquillité perpétuelle du corps, et, nous permettront d’offrir nos membres à Dieu, comme des instruments non de passion, mais de justice. Fondés en cette pureté de chasteté, le péché ne dominera plus sur nous. Car nous ne sommes plus sous la Loi, qui recommandait le mariage, mais sous la grâce, qui, en conseillant la virginité, rend innocent l’usage du mariage lui-même. (Rm 6,12-14) Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Puis, quelle circonspection évitera, dans la mêlée de ce inonde, que les traits du mal ne nous atteignent, au moins par intervalles, au moins d’une blessure légère ? C’est chose impossible de ne pécher point, par ignorance, négligence ou surprise, par pensée, par impulsion, par oubli. Un homme s’est élevé sur de telles cimes de vertu, qu’il peut, sans jactance, s’écrier avec l’Apôtre : Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain; je ne me juge pas moi-même, car ma conscience ne me reproche rien (1 Cor 4,3-4). Soit ! Cet homme doit savoir pourtant qu’il ne saurait être sans péché. Ce n’est pas en vain que le grand docteur ajoute : Mais je ne suis pas justifié pour cela (Ibid., 4). C’est-à-dire : Si moi je me crois juste, je ne posséderai pas du même coup la gloire de la vraie justice; ou : De ce que le remords de ma conscience ne me reprend d’aucune faute, il ne suit pas que je sois net de toute souillure; il est bien des choses qui échappent à ma conscience, mais, inconnues et cachées pour moi, elle sont connues et manifestes pour Dieu. Aussi, continue-t-il : Mon juge, c’est le Seigneur (Ibid.). C’est-à-dire : Celui-là seul qui pénètre le secret des coeurs, porte sur moi un jugement véritable. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 7

Objection : Il faut priver tout le monde de la communion du Seigneur, si personne n’est sans péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 8

Réponse : Beaucoup peuvent être saints; mais il n’y a que le Christ qui soit sans péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 9

Autre chose est d’être saint, c’est-à-dire sacré au culte divin, appellation commune — l’Écriture, en témoigne —, aux hommes ainsi qu’aux lieux, aux vases, et ustensiles du Temple; autre chose, d’être sans péché. Ceci n’appartient qu’à la Majesté de notre Seigneur Jésus Christ, de qui l’Apôtre proclame comme un privilège extraordinaire : Il n’a point commis le péché (1 Pi 2,22). C’eût été en somme Lui attribuer, en guise de prérogative incomparable et divine, une gloire assez vulgaire et peu digne d’une si haute majesté, s’il nous était aussi donné de mener une vie pure de tout péché. L’Apôtre dit encore aux Hébreux : Nous n’avons pas un pontife qui ne puisse compatir à nos infirmités; mais il fut tenté de toutes manières, afin de nous être semblable, hormis le péché (Hé 4,15). Mais, s’il peut y avoir, entre notre bassesse terrestre et ce sublime et divin pontife, une telle communauté; si nous sommes également tentés, sans subir l’atteinte du péché : pourquoi l’Apôtre eût-il admiré chez lui ce privilège comme unique et singulier, et mis une telle différence entre son mérite et le reste des hommes ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 9

C’est donc par cette seule exception qu’il se distingue de nous tous : nous ne sommes pas tentés sans péché; Lui, au contraire, fut tenté, sans péché. Quel est l’homme, pour courageux et vaillant qu’il soit, qui ne prête maintes fois le flanc aux traits ennemis ? Qui vivra sans danger parmi les périls de tant de combats, comme s’il était revêtu d’une chair vulnérable ? Seul le Christ, le plus beau des enfants des hommes (Ps 44,3), en prenant une condition mortelle et toute la fragilité de la chair, ne connut jamais l’atteinte d’une souillure. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 9

Seul le Fils de Dieu a vaincu le tentateur, sans éprouver la blessure du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 10

Il fut tenté, à notre image, d’abord de gourmandise. Le rusé serpent, selon l’ordre qu’il avait suivi jadis en séduisant Adam, compte sur la faim du Seigneur, et s’efforce de Le jouer par le désir de la nourriture : Si Tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres se changent en pains (Mt 4,3). Mais la tentation ne donne point chez Lui d’ouverture au péché; bien que ce miracle Lui fût possible indubitablement, Il repousse la nourriture que Lui propose l’artisan de mensonges : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la Bouche de Dieu (Ibid., 4). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 10

Il fut tenté pour la seconde fois de superbe, à notre image, lorsque le maître fourbe Lui fit offrir par les hommes la royauté qu’Il avait refusée de ses mains. Mais Il se joua des embûches du tentateur, sans donner dans le péché : Sachant qu’ils allaient venir, pour L’enlever et le faire roi, Il s’enfuit de nouveau, seul, sur la montagne (Jn 6,15). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 10

Seul le Christ est venu dans la ressemblance de la chair du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11

Et comment faudra-t-il entendre ce que dit de Lui l’Apôtre, qu’Il est venu dans la ressemblance de la chair du péché, si nous pouvons avoir aussi une chair exempte de la tache du péché ? Car c’est bien encore un privilège unique de Celui qui seul est sans péché, qu’Il veut exprimer dans ces paroles : Dieu a envoyé son Fils dans la ressemblance de la chair du péché (Rm 8,3). Prenant, dans sa vérité et son intégrité, la substance de notre chair, le Christ ne prit point avec elle le péché, mais seulement la ressemblance du péché. Ainsi, le mot ressemblance ne va pas contre la Vérité de la chair, selon le sens absurde de quelques hérétiques, mais regarde l’image du péché. Il avait une chair véritable; mais elle était sans péché, et portait seulement la ressemblance de la chair pécheresse. La première partie de la phrase affirme la réalité de la nature humaine; la deuxième concerne ses vices et ses moeurs. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11

Il avait la ressemblance de la chair du péché, lorsque, tel un homme ignorant et inquiet pour sa nourriture, Il demandait : Combien avez-vous de pains ? (Mc 6,38) Mais, comme sa Chair n’était point sujette au péché, son Esprit ne l’était pas non plus à l’ignorance. Aussi, l’Évangéliste ajoute-t-il aussitôt : Il dit cela pour l’éprouver, car Il savait, Lui, ce qu’Il devait faire (Jn 6,6). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11

Il avait une chair semblable à la chair pécheresse, lorsque, comme un homme qui souffre de la soif, Il demandait à boire à la femme de Samarie. Mais sa Chair n’était pas souillée de la tache du péché, car, voyez le contraste ! C’est Lui qui invite la Samaritaine à solliciter l’eau vive qui l’empêcherait d’avoir soif à jamais, et deviendrait en elle une source d’eau jaillissant jusqu’à la vie éternelle (cf. Jn 4,7 et ss). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11

Il possédait la vérité de notre Chair, lorsqu’Il dormait sur la barque. Mais, afin que ceux qui naviguaient de concert avec Lui ne fussent pas abusé par cette ressemblance du péché, Se levant, Il réprimanda les vents et la mer, et il se fit un grand calme (Mt 8,26). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11

Il semblait assujetti au péché, selon le sort commun de tous, lorsqu’on disait de Lui : Si cet homme était un prophète, il saurait qui est cette femme qui touche ses pieds, et de quelle condition (Lc 7,39). Mais Il n’avait pas la vérité du péché; car aussitôt, Il confond la pensée blasphématrice du pharisien, et remet ses péchés à cette femme. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11

On pouvait penser qu’Il portait une chair pécheresse, aussi bien que les autres, lorsque, dans le péril de mort et frappé de terreur à la vue des supplices qui Le menaçaient, Il faisait cette prière : Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de Moi ! (Mt 26,39) ou qu’Il disait : Mon âme est triste jusqu’à la mort (Ibid., 38). Mais cette tristesse ignorait la souillure du péché, parce que l’Auteur de la vie ne pouvait redouter la mort. Il dit, en effet : Personne ne Me prend ma Vie, c’est de Moi-même que Je la donne; J’ai le pouvoir de la donner, et J’ai le pouvoir de la reprendre (Jn 10,18). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11

Les saints et les justes n’ont pas la ressemblance, mais la vérité du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 12

Il y a donc, entre l’Homme né de la Vierge et ceux qui naissent des oeuvres de la chair, cette différence considérable, que tous nous portons dans notre chair, non pas la ressemblance, mais la vérité du péché, tandis que Lui, tout en prenant une chair véritable, n’a point pris cependant la vérité mais seulement la ressemblance du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 12

Mais Il en avait la ressemblance. Et c’est pourquoi les Pharisiens, qui pouvaient si bien pourtant se rappeler ce qui est écrit de Lui dans le prophète Isaïe : Il n’a point commis le péché, et sa Bouche ignora la ruse (Is 53,9), se laissèrent néanmoins abuser par les apparences, au point de dire : Voici un homme de bonne chère et un buveur de vin, un ami des publicains et des pécheurs (Mt 11,19); et à l’aveugle qui avait recouvré la lumière : Rends gloire à Dieu, nous savons que cet homme est un pécheur (Jn 9,24); à Pilate enfin : Si cet homme n’était un pécheur, nous ne te l’aurions pas livré (Ibid. 18,30). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 12

Au demeurant, quiconque ose se déclarer sans péché, s’abandonne à un orgueil blasphématoire, et revendique une part du privilège si uniquement propre au Seigneur. C’est dire, en effet, qu’on a la ressemblance de la chair du péché, et non la vérité du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 12

C’est qu’il y a un abîme entre la chute du saint et celle du pécheur. Autre chose est de commettre un péché morte]; autre chose, de se laisser surprendre par une pensée, qui n’est pourtant point sans péché, de choper par ignorance, par oubli, par des paroles inutiles, si vite échappées, d’éprouver une ombre d’hésitation dans le regard intérieur de la foi, de s’épanouir sous la subtile caresse de la vanité, de retomber pour un moment des plus hautes cimes de la perfection par le poids de la nature. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 13

Ce sont là les sept espèces de chutes qui se rencontrent dans la vie des saints, sans qu’ils cessent pour autant d’être justes. Par ailleurs, si légères qu’elles semblent, et de si peu de conséquence, elles font pourtant que l’on n’est pas sans péché. Les saints ont réellement sujet de faire pénitence chaque jour, d’implorer leur pardon et de prier sans cesse pour leurs péchés, en disant : Remets-nous nos dettes (Mt 6,12). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 13

C’est de lui et des saints qui lui ressemblent, que nous devons entendre ce que chante David : Le Seigneur affermit les pas de l’homme, et Il prend plaisir à sa voie. Si le juste tombe, il ne se brisera pas, parce que le Seigneur le soutient de sa Main (Ps 36,23-24). Celui dont les pas sont affermis par le Seigneur, peut-il ne pas être juste ? Et pourtant, c’est de lui qu’il est dit : S’il tombe, il ne se brisera pas. Que signifie : S’il tombe, sinon : S’il tombe en quelque péché ? Il ne se brisera pas, est-il dit. Qu’est-ce là ? Que les assauts du péché ne l’accableront pas longtemps. Sur l’heure, il peut bien paraître brisé; mais, relevé par le Secours divin, qu’il implore, sa promptitude à se remettre debout fait qu’il ne perd point l’immobile rectitude de la justice, ou du moins, s’il la perd un instant par la fragilité de la chair, la Main du Seigneur, en le soutenant, la lui rend. Un homme pourrait-il cesser d’être saint après sa chute, lorsque, reconnaissant qu’il ne saurait être justifié par la confiance en ses propres oeuvres, et persuadé que la seule Grâce du Seigneur le délivrera des innombrables liens du péché, il ne cesse de proclamer avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 24,25) ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 13

L’Apôtre Paul a reconnu que l’homme, empêché par le bouillonnement de ses pensées, demeure impuissant à pénétrer jusque dans l’abîme inestimable de la pureté; et, longtemps balloté lui-même comme sur l’infini des mer, il a dit : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; puis : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi; et encore : Je prends plaisir à la Loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 14

Quant au bienheureux Apôtre, parvenu comme il était, sans aucun doute, an plus haut sommet de la perfection, ces paroles ne sauraient lui convenir en aucune façon : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; ni non plus ce qu’il ajoute immédiatement : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi; ni ceci : Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Le moyen d’accommoder ces idées à la personne de l’Apôtre ? Quel est le bien qu’il n’a pas accompli ? Quel est, au contraire, le mal qu’il a commis malgré lui et malgré la haine qu’il en avait, par l’entraînement de la nature ? Sous quelle loi de péché ce vase d’élection, en qui le Christ parlait (cf. 2 Cor 13,3), a-t-il pu être mené captif ? Lui qui, après avoir captivé toute désobéissance et toute hauteur qui s’élève contre Dieu (Ibid. 10,5), disait de lui-même en toute confiance : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi; maintenant, la couronne de justice m’est tenue en réserve, que me décernera en ce jour-là le Seigneur, le juste Juge (2 Tm 4,7-8). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 15

Vous vous efforcez, dit alors Théonas, de prouver que l’apôtre Paul ne parlait pas en son propre nom, mais dans la personne des pécheurs, lorsqu’il a dit : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; ou encore : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi; et ceci : Je prends plaisir à la Loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 1

Au reste, comment ces expressions pourraient-elles s’accommoder à la personne des pécheurs : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais ? ou celles-ci : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché habite en moi ? Qui des pécheurs se souille contre sa volonté d’adultère ou d’impudicité ? Lequel tend malgré soi des embûches au prochain ? Lequel subit une contrainte inévitable, pour opprimer par le faux témoignage, pour duper et voler, pour convoiter les dépouilles ou répandre le sang d’autrui ? Au contraire, il est écrit : Le genre humain est passionnément appliqué au mal dès la jeunesse (Gen 8,21). Chez tous ceux que brûle la passion du vice, quel désir de satisfaire leurs convoitises ! Sollicitudes qui ne dorment jamais ! Ils guettent l’occasion favorable pour commettre le crime, tant ils craignent de jouir trop tard de l’assouvissement de leurs penchants emportés. Mais encore ils se font une gloire de leur ignominie et d’entasser les forfaits; selon la parole sévère de l’Apôtre, ils cherchent a s’acquérir une sorte d’honneur avec la honte (Phil 3,19). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 1

Et ce mot, dira-t-on qu’il convienne aux pécheurs : Je suis donc le même qui, par l’esprit, sers la loi de Dieu; et par la chair, la loi du péché (Rm 7,25) ? Il est manifeste qu’ils ne servent Dieu ni dans leur esprit ni dans leur corps. Et comment ceux qui pèchent de corps, serviraient-ils Dieu par l’esprit ? Le foyer des vices est engendré dans la chair par le coeur ! L’auteur même de l’une et l’autre substance le déclare, c’est là qu’est la source et l’origine du péché : C’est du coeur, dit-il, que procèdent les pensées mauvaises, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages (Mt 15,19), et le reste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 1

La preuve en est désormais bien évidente, ces textes ne peuvent s’entendre de la personne des pécheurs. Car, non seulement ils ne haïssent pas le mal, mais ils l’aiment; loin de servir Dieu par l’esprit et par la chair, ils font le mal dans leur coeur, avant de le commettre dans la chair, et, avant qu’ils livrent leur corps au plaisir, le péché de leur esprit et de leurs pensées les a déjà prévenus. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 1

L’Écriture conserve ce style, lorsque, tout à l’opposé, elle met en balance les péchés des hommes. En comparaison des impies, elle justifie ceux qui ont moins péché : Tu as justifié Sodome (cf. Ez 16,52), dit-elle; et encore : Quel fut le péché de Sodome, ta soeur (cf. Ibid., 49) ? Ailleurs enfin : Israël l’infidèle a paru juste au prix de la perfide Juda (Jér 3,11). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 3

Toutes ces misères semblent légères, et quasi sans l’ombre de péché, à plusieurs qui sont enfoncés dans des vices plus grossiers. Mais, pour ceux qui savent le bien de la perfection, une multitude de manquements, fussent-ils minimes, est chose extrêmement grave. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5

Ceux qui se croient sans péché ressemblent aux gens qui ont de la chassie aux yeux. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 6

Tels les saints. Ce sont eux, les voyants, si je puis dire. Dans leur zèle extrême pour la perfection, ils découvrent en soi avec une rare pénétration et condamnent sans merci des choses que notre regard intérieur, enténébré comme il est, ne sait pas apercevoir. Où, selon le jugement de notre négligence, le péché la plus véniel n’a pas terni la blancheur de la conscience, éclatante comme une neige, eux se voient couverts de taches. Et quand cela ? Lorsque, je ne dis pas une pensée vaine s’est glissée dans le sanctuaire de leur âme, mais le souvenir du psaume à réciter a fait dévier leur attention dans le temps de la prière. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 6

Ceux qui disent que l’homme peut être sans péché sont victimes d’une double erreur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 7

La cause qui nous précipite dans cette erreur, c’est l’ignorance profonde où nous sommes de ce qu’est au juste l’impeccabilité. Les écarts d’imagination, les pensées inconstantes et vaines nous semblent compatibles avec la parfaite innocence. L’insensibilité nous rend-elle stupides? ou sommes-nous frappés d’aveuglement ? Toujours est-il que nous n’apercevons en nous que les péchés mortels. Il suffit, à nos yeux, d’éviter ce que condamnent les lois de ce monde. Nous sentons-nous indemnes sur ce point, ne fût-ce que peu de temps, aussitôt nous nous persuadons qu’il n’y a point en nous de péché. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 7

Qu’il en est peu qui comprennent le péché. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 8

Déchoir, par le poids victorieux des pensées terrestres, des hauteurs sublimes de la contemplation; passer, contre sa volonté, et qui plus est à son insu, sous la loi du péché et de la mort; se voir détourner de la divine Présence, pour ne rien dire des autres causes de distractions, par les oeuvres énumérées plus haut, bonnes et justes à la vérité, terrestres néanmoins : voilà donc qui est pour les saints d’une expérience quotidienne. Certes, ils ont sujet de pousser des gémissements continuels vers le Seigneur; ils ont sujet de se proclamer pécheurs, non pas seulement de bouche, mais aussi de coeur, avec les sentiments d’une vraie humilité et componction; ils ont sujet de répandre sans cesse de vraies larmes de pénitence, en implorant le pardon des fautes où les entraîne chaque jour la fragilité de la chair. Aussi bien, c’est pour jusqu’au dernier instant de leur vie qu’ils se voient la proie des agitations qui leur sont une perpétuelle et cuisante douleur, hors d’état d’offrir leurs supplications elles-mêmes sans mélange d’inquiétude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 10

Assurément, ils prennent plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur, lequel, dépassant tout le visible, s’efforce de vivre dans une constante union avec le Seigneur. Mais ils voient dans leurs membres, c’est-à-dire inhérente et connaturelle à notre condition d’hommes, une autre loi, qui lutte contre la loi de l’esprit; et c’est elle qui captive leur intelligence sous la loi tyrannique du péché, en la forçant d’abandonner le bien souverain, pour s’assujettir aux pensées terrestres. Si utiles que celles-ci paraissent, lorsqu’elles sont commandées par la religion, afin de subvenir à quelque nécessité : en comparaison du Bien divin qui réjouit leur vue, les saints y voient un mal qu’il faut fuir, parce quelles les arrachent, pour un temps du moins, à la joie de cette parfaite béatitude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 11

Oui, c’est véritablement une loi de péché, celle que la prévarication du premier père sur le genre humain, lorsque, en punition de sa faute, le juste Juge porta contre lui cette sentence : La terre est maudite dans tes travaux, elle te produira des épines et des chardons, et c’est à la sueur de ton front que tu mangeras ton pain (Gn 3,17). C’est là, dis-je, la loi inhérente aux membres de tous les mortels, qui lutte contre la loi de notre esprit et nous éloigne de la contemplation de Dieu. Par elle, après que l’homme eut acquis la connaissance du bien et du mal, la terre, maudite dans nos travaux, a commencé de produire des épines et des chardons. Cependant, les semences naturelles des vertus s’étouffent sous ces rejetons maudits; impossible de manger autrement qu’à la sueur de notre front le pain qui descend du ciel (Jn 6,33) et fortifie le coeur de l’homme (Ps 103,15). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 11

Cependant, le bienheureux Apôtre assure que cette loi est spirituelle : Nous savons, dit-il, que la Loi est spirituelle; mais moi, je suis charnel, vendu pour être esclave du péché (Rm 7,14). En effet, la loi est spirituelle, qui nous ordonne de manger à la sueur de notre front le vrai pain qui descend du ciel, mais d’être vendus au péché, nous rend charnels. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 12

Quel péché ? et de qui ? Sans aucun doute, celui d’Adam, dont la prévarication nous a vendus : négoce ruineux, si je puis parler de la sorte, commerce déshonoré par la fraude ! Se laissant gagner aux séductions du serpent, il mange du fruit défendu, et par là, vend et dévoue toute sa descendance au joug d’une éternelle servitude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 12

Mais, à toutes les créatures raisonnables, le Créateur avait accordé le libre arbitre : Il ne devait pas restituer sans leur aveu dans leur liberté originelle, ceux qui s’étaient sacrilègement vendus par un péché de gourmandise. Tout ce qui est contraire à la bonté et à l’équité, répugne à l’Auteur de toute justice et tendresse. Or, il eût été contraire à sa Bonté de reprendre le bienfait de la liberté, après l’avoir donné; il eût été contraire à sa Justice, que, paralysant la liberté de l’homme et la tenant captive par sa puissance, il ne le laissât pas exercer son pouvoir. Mais il réserva son salut pour les siècles futurs, afin que la plénitude du temps fixé vînt régulièrement jusqu’à son terme. Il fallait que la race d’Adam persévérât dans la condition de son aïeul, tant que, par sa Grâce et le prix de son Sang répandu, son premier Maître la rétablît dans son ancien état de liberté, délivrée des chaînes qu’elle tenait de la naissance. Il pouvait la sauver dès l’origine. Il ne le voulut pas. L’équité ne lui permettait pas de contrevenir aux dispositions de son décret. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 12

Voulez-vous connaître ce qui vous a vendus ? Écoutez voire Rédempteur qui vous le déclare hautement par la bouche du prophète Isaïe : Où est l’acte de divorce de votre mère, par lequel Je l’ai répudiée ? ou quel est le créancier auquel Je vous ai vendus ? Voici : C’est pour vos iniquités que vous avez été vendus, pour vos crimes que J’ai renvoyé votre mère (Is 1,1). Davantage, voulez-vous clairement savoir pourquoi Il ne voulut point user de puissance, afin de vous délivrer du joug de servitude auquel vous étiez dévoués ? Écoutez ce qu’Il ajoute aux paroles par lesquelles Il reprochait tout à l’heure aux esclaves du péché la cause de leur vente volontaire : Ma Main est-elle donc raccourcie, est-elle devenue plus petite, pour que Je ne puisse plus sauver ? ou n’ai-Je pas assez de force pour délivrer ? (Ibid., 2). Mais qu’est-ce qui s’est toujours opposé a cette Miséricorde toute-puissante ? Le même prophète vous l’annonce : Non, la Main du Seigneur n’est pas devenue trop courte pour sauver; ni son oreille trop dure pour entendre. Mais ce sont vos iniquités qui ont creusé un abîme entre vous et votre Dieu, vos péchés qui lui ont fait cacher sa Face pour ne pas entendre (Ibid., 59,1-2). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 12

Par là, nous savons que le bien n’habite pas dans notre chair, je veux dire la constante et perpétuelle tranquillité de contemplation et de pureté dont nous nous sommes entretenus. Il s’est fait en nous un funeste et lamentable divorce. Par l’esprit, nous voudrions servir la Loi de Dieu et ne détourner jamais notre vue de la Clarté divine. Mais, environnés des ténèbres de la chair, une loi de péché nous arrache de force au bien que nous connaissons. Des cimes de l’esprit, nous tombons vers les soucis et les pensées terrestres, auxquels nous condamne justement la loi du péché, la Sentence divine portée contre le premier pécheur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 13

De là vient que le bienheureux Apôtre, tout en confessant ouvertement cette inévitable nécessité de péché où lui et les autres saints se trouvent engagés, ne laisse pas de prononcer hardiment que pas un d’eux n’est damnable pour ce fait : Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus. Car la Loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort (Rm 8,1-2). C’est-à-dire : La Grâce que le Christ répand chaque jour sur tous ses saints, les absout, lorsqu’ils implorent la remise de leurs dettes, de cette loi du péché et de la mort à laquelle les assujettit sans cesse une involontaire fatalité. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 13

Ainsi, vous le voyez, ce n’est pas dans la personne des pécheurs, mais de ceux qui sont véritablement saints et parfaits, que le bienheureux Apôtre a proféré cette sentence : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; ou celle-ci : Je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 13

GERMAIN. – Selon nous, ces textes ne conviennent pas plus à ceux qui vivent dans les péchés mortels, qu’à l’Apôtre ou aux parfaits qui ont atteint sa mesure. Proprement, ils doivent s’entendre de ceux qui, après avoir reçu la Grâce divine et connu la Vérité, désirent s’abstenir des vices charnels, mais se voient entraînés vers leurs convoitises invétérées, par la force d’une habitude ancienne qui domine tyranniquement dans leurs membres, telle une loi de nature. L’habitude et la répétition du mal deviennent, en effet, comme une loi naturelle. Inhérente aux membres de la faible humanité, celle-ci captive et emporte au vice les inclinations de l’âme insuffisamment formée aux pratiques de la vertu et, si l’on peut ainsi dire, de chasteté novice encore et tendre. Elle la soumet, en vertu de l’antique condamnation, à la mort et au joug tyrannique du péché, ne lui permettant pas d’atteindre au bien de la pureté qu’elle aime, mais la contraignant plutôt de faire le mal qu’elle déteste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14

Car, quelles sortes de péchés pourraient-ils commettre, selon vous, dont la Grâce quotidienne du Christ dût les délivrer, s’ils s’y engageaient après le baptême ? De quel corps de mort faut-il penser que l’Apôtre a dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? N’est-il pas manifeste, comme la vérité vous a contraints de l’avouer à votre tour, qu’il ne s’agit point ici des péchés mortels, dont le prix est la mort éternelle : homicide, fornication, adultère, ivresse, vol, rapine; mais du corps de péché dont nous avons précédemment parlé, et auquel porte remède la Grâce quotidienne du Christ ? Tel, après avoir reçu le baptême et la science de Dieu, s’abandonne-t-il à l’autre corps de mort, celui des péchés graves : qu’il le sache, son crime ne sera pas effacé par la Grâce quotidienne du Christ, c’est-à-dire le pardon facile que le Seigneur accorde à notre prière, pour des erreurs sans conséquences; mais il devra subir les longues afflictions de la pénitence et de grandes peines expiatoires, à moins qu’il ne soit voué, dans la vie future, aux supplices du feu éternel. C’est le même apôtre qui le déclare : Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu (1 Co 6,9-10). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Je vous le demande encore une fois, quelle est cette loi qui milite dans nos membres et lutte contre la loi de notre esprit, qui, après nous avoir menés, en dépit de notre résistance, tels des captifs sous la loi du péché et de la mort et rendus ses esclaves quant à la chair, nous laisse néanmoins servir Dieu par l’esprit ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Je ne pense pas, quant à moi, que la loi du péché désigne les péchés énormes ou qu’elle puisse s’entendre des crimes énumérés à l’instant. À se rendre coupable de telles fautes, on ne servirait plus la loi de Dieu par l’esprit, mais on devrait, au contraire, faire divorce avec elle dans son coeur, avant d’en commettre quelqu’une dans sa chair. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Qu’est-ce que servir la loi du péché, sinon accomplir ce que le péché commande ? Mais quel est le péché, dont une sainteté aussi achevée que celle de l’Apôtre peut se sentir captive, sans douter pourtant que la Grâce du Christ ne la délivre ! Car il dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. Quelle sera, dis-je, à votre sens, cette loi dans nos membres, qui, en nous arrachant à la Loi de Dieu, pour nous captiver sous la loi du péché, fait de nous des malheureux, plutôt que des coupables ? Tellement, qu’au lieu d’être voués aux éternels supplices, nous soupirons seulement de voir s’interrompre la joie de notre béatitude, et nous écrions avec l’Apôtre, en quête d’un secours qui nous y rétablisse : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Être emmené captif sous la loi du péché, qu’est-ce autre chose que demeurer dans les actes du péché ? Or, quel est le bien par excellence que les saints ne peuvent accomplir, sinon celui au prix de quoi tous les autres cessent d’être des biens ? Certes, il existe, nous le savons, des biens multiples en ce monde, et avant tout, la chasteté, la continence, la sobriété, l’humilité, la justice, la miséricorde, la tempérance, la piété. Mais ils ne sauraient aller de pair avec ce bien souverain. D’autre part, ils sont à la portée, je ne dirai pas des apôtres, mais des âmes médiocres. Aussi bien, si ou ne les accomplit, on sera puni de l’éternel supplice on des labeurs d’une longue pénitence; mais il ne faut point espérer sa délivrance de la Grâce quotidienne du Christ. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Avouons-le donc, ces paroles ne s’ajustent bien qu’à la personne de l’Apôtre et des saints. Journellement assujettis à la loi du péché, telle que nous l’avons définie, et non pas à celle qui consiste dans les fautes graves, gardent la confiance de leur salut. Ils ne sont point précipités dans le crime; mais, comme nous l’avons dit souvent, ils déchoient de la contemplation divine à la misère, des soucis temporels, incessamment frustrés du bien de la vraie béatitude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Supposons un instant que, par cette loi des membres, ils se sentissent engagés en des crimes quotidiens : ce n’est pas la félicité qu’ils se plaindraient d’avoir perdue, mais l’innocence. L’Apôtre Paul ne dirait pas : Malheureux homme que je suis ! mais : Homme impur, scélérat que je suis ! Il ne souhaiterait pas la délivrance de ce corps de mort, c’est-à-dire de la condition mortelle, mais des hontes et des crimes de la chair. Or, au contraire, se voyant, de par l’humaine fragilité, tenu captif et entraîné vers les sollicitudes et les soins charnels, fruits de la loi du péché et de la mort, il gémit sur cette loi à laquelle il est soumis malgré lui et recourt sur-le-champ au Christ, dont la Grâce le sauve par une prompte délivrance. Tout ce que la loi du péché, racine féconde en épines et chardons de pensées et de soucis terrestres, vient à produire de sollicitudes au coeur de l’Apôtre, la Loi de la Grâce l’arrache sans tarder : Car, dit-il lui-même, la Loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort (Rm 8,2). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Qu’est-ce que le corps du péché ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16

On peut même raisonnablement penser qu’il a voulu mettre un accent particulier, une sorte d’emphase dans sa manière de dire : Ainsi donc, moi-même, comme pour signifier : Moi que vous connaissez pour un Apôtre du Christ, que vous révérez en tout honneur et respect, que vous croyez si grand et si parfait, moi qui suis le porte-parole du Christ, je confesse que, servant la Loi de Dieu par l’esprit, je sers la loi du péché par la chair. Les distractions inhérentes à l’humaine condition, me forcent à descendre souvent du ciel sur la terre; et, des hauteurs où il aime a planer, mon esprit s’abîme au souci des choses basses et vulgaires. Loi du péché, qui, je le sens, me fait captif à tout moment : et, bien que mes désirs persévèrent dans leur direction immuable vers Dieu, je me vois impuissant à m’évader de cette captivité violente, à moins d’un incessant recours à la Grâce du Sauveur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16

Cette fragilité de la nature touche les saints de continuels soupirs; et, lorsqu’ils considèrent la mobilité de leurs pensées ou sondent les replis cachés de leur conscience, ils s’écrient d’une voix suppliante : N’entre pas en jugement avec ton serviteur, car nul vivant ne sera trouvé juste devant Toi(Ps 142), ou : Qui se glorifiera d’avoir le coeur pur ? qui aura l’assurance d’être net de tout péché (Prov 20,9) ? Et de nouveau : Il n’y a point de juste sur la terre qui fasse le bien, sans jamais pécher (Eccl 7,21); ou encore : Qui connaît ses manquements (Ps 18,3) ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 17

Davantage, lorsqu’il confesse, dans sa prière, l’impureté des péchés qui souillent, pour ainsi dire, toute la face de la terre, sa supplication ne se borne pas aux méchants, mais elle embrasse avec eux le peuple des justes : Voici, dit-il, que Tu T’es irrité, et nous avons péché. Nous fûmes toujours dans nos péchés, mais nous serons sauvés. Tous nous sommes devenus comme un impur; et toutes nos justices, comme un linge souillé (Is 64,5-6). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 17

C’est donc en vain que vous opposez a l’évidence manifeste de la vérité l’épine de votre objection. Vous l’exprimiez naguère comme il suit : Si personne n’est exempt de péché, personne n’est saint. Si personne n’est saint, personne ne sera sauvé. Mais le témoignage du prophète dénoue le problème : Voici, dit-il, que Tu T’es irrité, et nous avons péché. Entendez : Lorsque, Te détournant de l’élèvement de notre coeur et de nos négligences, Tu nous as dépouillés de ton secours, aussitôt le gouffre des péchés nous a engloutis. Comme si l’on disait au globe resplendissant du soleil : Voici que tu t’es incliné au-dessous de l’horizon, et l’obscurité ténébreuse nous a couverts. Et cependant, tout en affirmant que les saints ont péché, et non seulement qu’ils ont péché, mais qu’ils sont restés toujours dans leurs péchés, il ne va pas jusqu’à désespérer de leur salut : Nous fûmes toujours dans nos péchés, poursuit-il, mais nous serons sauvés. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 17

Je rapprocherais cette parole : Voici que Tu T’es irrité, et nous avons péché, de celle de l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Ce que le prophète ajoute : Nous fûmes toujours dans nos péchés, mais nous serons sauvés, s’accorde bien aussi à la suite de saint Paul : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. De même, ce passage du prophète : Malheur à moi ! Je suis un homme aux lèvres impures et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures, paraît comme un écho de ce que nous avons entendu tout à l’heure : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Enfin, quand le prophète continue : Et voici que l’un des séraphins vola vers moi, et dans sa main était un charbon (ou une pierre) de feu, qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel; et il en toucha ma bouche, et il dit : Vois, avec ceci j’ai touché tes lèvres, et ton iniquité va être ôtée, ton péché effacé (Is 6,6-7); lorsque, dis-je, le prophète parle de la sorte, ne croirait-on pas entendre saint Paul, qui dit de son côté : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 17

Même les saints et les justes ne sont pas sans péché. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 18

Que personne en cette vie, aussi saint qu’on le veuille, ne puisse être exempt de dette et de péché, mais nous l’apprenons de la bouche même du Sauveur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 18

Si cette prière est véritable sur les lèvres des saints, comme il faut le croire sans l’ombre d’un doute, se rencontrera-t-il un homme assez entêté et présomptueux, assez enflé de la folle superbe du démon, pour se déclarer sans péché ? Ne serait-ce pas se croire plus grand que les apôtres ? Que dis-je ? Ce serait accuser le Sauveur Lui-même d’ignorance ou de légèreté. Car, ou bien Il ne savait pas qu’il pouvait y avoir des hommes exempts de dettes, ou Il a donné un vain enseignement à des gens qu’Il connaissait pour n’avoir nul besoin de ce remède. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 18

D’ailleurs, lorsque les saints, fidèles observateurs du commandement de leur Roi, répètent journellement : Remets-nous nos dettes, ou bien ils disent vrai, et donc personne n’est sans faute, ou c’est une feinte, et dans ce cas, il est encore véritable qu’ils ne sont pas exempts du péché de mensonge. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 18

Aussi, le grand sage que fut l’Ecclésiaste, prononce-t-il, sans faire nulle exception : Il n’y a point de juste sur la terre qui fasse le bien, sans jamais pécher (Eccl 7,21). Il ne s’est jamais trouvé, il ne se trouvera jamais personne sur cette terre, d’une sainteté, diligence et application telles, qu’il puisse adhérer constamment au bien véritable, et n’ait à constater chaque jour, avec ses distractions, sa culpabilité. Cependant, tout en prononçant qu’il n’est pas sans péché, l’Écriture ne nie pas qu’il ne soit juste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 18

À l’heure même de la prière, le péché ne saurait être qu’à grand-peine évité. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 19

On veut attribuer à la nature humaine l’impeccabilité : soit ! Mais, au lieu de vaines paroles, que l’on apporte, pour nous combattre, le témoignage de la conscience. C’est là la preuve qui compte. Et que l’on ne se déclare sans péché, que si l’on a le sentiment de n’avoir jamais été séparé du souverain bien. J’irai plus loin. Quiconque, le regard sur sa conscience, pourra s’assurer d’avoir célébré une seule synaxe, pour ne rien dire de plus, sans distraction de pensée, de parole ou d’action : que celui-là se proclame sans péché. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 19

Mais non ! Il nous faut bien le reconnaître, notre esprit volage est prompt à s’écarter sur tous objets frivoles et superflus. Et voilà pourquoi nous confessons en toute vérité que nous ne sommes point sans péché. Si attentif que l’on soit à garder son coeur, on ne le gardera jamais selon le désir de la partie spirituelle. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 19

Aussi l’apôtre privilégié entre tous, celui que Jésus aimait, a-t-il, en reposant sur la poitrine de son Maître, tiré, pour ainsi dire, du Coeur divin cette parole : Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous (1 Jn 1,8). Et si, quand nous disons que nous sommes sans péché, nous n’avons pas en nous la Vérité, c’est-à-dire le Christ, que gagnons-nous par cette profession, sinon que de pécheurs nous nous rendons publiquement criminels et impies ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 19

De qui l’on doit apprendre à s’affranchir du péché, et à se rendre parfait dans les vertus. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 20

Enfin, si nous avons à coeur d’approfondir la question et de savoir plus exactement si l’impeccabilité est possible à la nature humaine, qui nous en instruira mieux que ceux qui ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises (Gal 5,24), et pour qui le monde est crucifié (Ibid., 6,14) véritablement ? Or, après avoir déraciné tous les vices de leur coeur; bien plus, alors qu’ils s’efforcent de bannir jusqu’à la pensée et au souvenir du péché : ils confessent tous les jours avec loyauté qu’ils ne peuvent rester sans la tache du péché, l’espace d’une heure seulement. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 20

Bien qu’ayant conscience de n’être pas sans péché, nous ne devons pas nous suspendre nous-mêmes de la communion du Seigneur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 21

C’est que tout homme est prisonnier dans les liens de ses péchés (Prov 5,22); et le prophète lui dit : Voici : vous tous qui allumez un feu et vous environnez de flammes, marchez dans l’ardeur de votre feu et dans les flammes que vous avez allumées (Is 50,11). Salomon aussi nous en est témoin : On est toujours puni par où l’on a péché (Sag 11,17). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 24