Cassiano: miséricorde

Il embrasse aussi avec un égal amour la patience et la douceur. Les manquements des pécheurs n’irritent plus sa colère; mais plutôt implore-t-il leur pardon, pour la grande pitié et compassion qu’il ressent à l’endroit de leurs faiblesses. Ne se souvient-il pas d’avoir éprouvé l’aiguillon de passions semblables, jusqu’au jour qu’il plut à la divine miséricorde de l’en délivrer ? Ce ne sont pas ses propres efforts qui l’ont sauvé de l’insolence de la chair, mais la protection de Dieu. Dès lors, il comprend que ce n’est pas de la colère qu’il faut avoir pour ceux qui s’égarent, mais de la commisération; et, dans l’absolue tranquillité, de son coeur, il chante à Dieu ce verset : «C’est vous qui avez brisé mes chaînes, je vous offrirai un sacrifice d’action de grâces;» (Ps 115,16-17) et encore : «Si le Seigneur n’eût été mon soutien, peu s’en fallait que mon âme n’habitât l’enfer.» (Ps 93,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9

C’est aussi bien la marque évidente d’une âme non purifiée encore de la lie des vices, que les fautes du prochain ne trouvent chez elle, au lieu de la miséricorde et de la compassion, que l’appréciation rigide d’un juge. Comment atteindre à la perfection du coeur, si l’on n’a ce qui consomme, au dire de l’Apôtre, la plénitude de la loi : «Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez la loi du Christ,» (Gal 6,2) si l’on ne possède cette vertu de charité qui «ne s’irrite, ni ne s’enfle, ni ne pense le mal, qui souffre tout, supporte tout» ? (1 Cor 13,4-7). Car «le juste a pitié des bêtes qui sont à lui, mais les entrailles des impies sont sans miséricorde.» (Pro 12,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 10

Nous en avons la marque évidente dans la variété des béatitudes évangéliques. Heureux ceux a qui appartient le royaume des cieux; heureux ceux qui posséderont la terre; heureux ceux qui seront consolés; heureux ceux qui seront rassasiés. Nous croyons néanmoins qu’il y a bien de la différence entre habiter les cieux et posséder la terre, quelle qu’elle puisse être; entre la consolation, et la plénitude et satiété de la justice; entre ceux qui recevront miséricorde, et ceux qui jouiront de la très glorieuse vision de Dieu : «Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune et autre l’éclat des étoiles; même une étoile diffère en éclat d’une autre étoile. Ainsi en est-il pour la résurrection des morts.» (1 Cor 15,41-42). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 12

Assurons-nous cependant que la plus austère abstinence, je veux dire la faim et la soif, ni les veilles, ou le travail assidu, ou l’application incessante à la lecture ne nous mériteront la pureté constante de la chasteté. Parmi ce continuel labeur, il faut encore apprendre de l’expérience qu’une telle intégrité est un don libéral de la grâce divine. De notre persévérance infatigable dans ces exercices quel sera donc le fruit ? D’obtenir, en affligeant notre corps, la miséricorde du Seigneur; de mériter qu’il nous délivre par un bienfait de sa main des assauts de la chair et de la tyrannie toute-puissante des vices. Mais ne nous flattons pas d’arriver par leur moyen à l’inviolable chasteté que nous souhaitons. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 4

S’il peut se réjouir, au matin, d’avoir été préservé, qu’il le comprenne bien ! il n’est pas redevable de ce bienfait à son zèle ni à sa vigilance, mais à la protection de Dieu; et cette intégrité ne persévérera que le temps qu’il plaira à la divine miséricorde de lui en faire la grâce. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 4

Quiconque se retire de toute conversation inutile; mortifie tout sentiment de colère, toute sollicitude et tout souci terrestres; se contente de deux pains pour son repas quotidien; se prive de boire de l’eau jusqu’à satiété; se borne à trois heures ou, suivant une autre règle, à quatre heures de sommeil et cependant, ne croit nullement pouvoir l’obtenir par les mérites de son labeur et de son abstinence, mais ne l’attend que de la miséricorde du Seigneur — car sans cette conviction, vains seraient les efforts de l’homme —; celui-là n’aura pas besoin de plus de six mois, pour reconnaître qu’il ne lui est pas impossible de l’acquérir en perfection. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 15

Voici, au demeurant, le signe certain que l’on est tout proche de la pureté : c’est que l’on commence à ne l’attendre plus de ses propres efforts. Lorsqu’on a bien compris toute la portée de ce verset : «Si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent», (Ps 126,1) on ne se fait point de sa pureté un mérite orgueilleux, parce que l’on voit trop bien qu’on la doit à la miséricorde du Seigneur et non à sa propre diligence; on ne s’emporte pas non plus contre les autres avec une rigueur impitoyable, parce que l’on sait que la vertu de l’homme n’est rien, si elle n’est aidée de la vertu divine. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 15

Aux laboureurs paresseux, dont la charrue ne retourne pas fréquemment les guérets, la bonté divine n’accordera pas les moissons plantureuses. Mais à ceux qui prennent de la peine, leur sollicitude ne profitera pas davantage, se prolongeât-elle durant les nuits, si la miséricorde du Seigneur ne la fait prospérer. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 3

Même en cas de succès, que l’homme, dans son orgueil, n’ait point la prétention de s’égaler à la grâce ou d’entrer en société avec elle; qu’il n’essaye pas de revendiquer sa part dans les bienfaits de Dieu : comme si son labeur était cause de la divine largesse, ou qu’il pût se glorifier que l’abondance des récoltes réponde au mérite de son zèle. Mais plutôt qu’il se considère et s’examine sincèrement. Les efforts mêmes, si intenses, qu’il a produits par désir de l’opulence, sa propre vigueur lui eût-elle permis de les fournir, si la protection de Dieu et sa miséricorde ne l’avaient soutenu, pour se livrer à tous les soins des champs ? Volonté, énergie personnelle fussent restées inefficaces, n’eût été la divine clémence, qui lui a ménagé la possibilité de conduire jusqu’au terme un ouvrage souvent rendu impraticable par la sécheresse ou les pluies excessives. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 3

Les leçons d’une expérience que nous avons pu nous-mêmes vérifier, sans parler d’indices et de preuves certaines, nous rendront cette vérité plus manifeste. Maintes fois, il arrive que nous souhaitons d’exécuter quelque utile dessein; rien ne manque à l’ardeur de nos désirs, et la bonne volonté non plus ne nous fait pas défaut. N’est-il pas vrai pourtant que la moindre défaillance, venant à la traverse, rend inutiles les voeux que nous avons formés et empêche le bon effet de nos résolutions, si le Seigneur, en sa miséricorde, ne nous donne la force de les accomplir ? La multitude est innombrable de ceux qui désirent loyalement se consacrer à la poursuite de la vertu; mais, si vous comptez ceux qui réussissent à réaliser leur rêve et à persévérer dans leurs efforts, que vous en trouverez peu ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6

La protection divine ne nous quitte jamais. Si grande est la tendresse du Créateur pour sa créature, que sa providence ne serait point satisfaite de nous accompagner; elle nous précède. Le prophète, qui en avait fait l’expérience, le témoigne ouvertement : «La miséricorde de mon Dieu me préviendra.» (ps 58,11) Aperçoit-il en nous quelque commencement de bonne volonté, aussitôt il épanche sur nous sa lumière et sa force, il nous excite au salut, donnant la croissance au germe qu’il a semé lui-même ou qu’il voit naître de nos efforts. «Avant qu’ils crient vers moi, dit-il, je les entendrai; ils parleront encore, que je les exaucerai.» (Is 55,24) Il est dit encore : «Au son de tes cris, aussitôt qu’il t’aura entendu, il te répondra.» (Ibid. 30,19) Et non seulement il nous inspire de saints désirs; mais il nous prépare les occasions de revenir à la vie, les circonstances favorables pour faire de bons fruits; il montre aux égarés le chemin du salut. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 8

Il y a bien d’autres énigmes. On fait honneur au libre arbitre de toute l’oeuvre du salut : «Si vous le voulez, et m’écoutez, vous mangerez les biens de votre pays.» (Is 1,19) Puis, il est dit — «Ce n’est au pouvoir, ni de celui qui veut, ni de celui qui court; mais de Dieu, qui fait miséricorde.» (Rm 9,16) — Dieu «rendra à chacun selon ses oeuvres.» (Ibid. 2,6) Mais, «c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, selon son bon plaisir;» (Phil 2,13) et nous lisons de même : «Cela ne vient pas de vous, mais c’est le don de Dieu; ce n’est pas le fruit de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie.» (Ép 2,8-9) — Il est dit d’une part : «Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous;» (Jac 4,8) et d’autre part : «Personne ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 65,44) — «Conduis ta course par des chemins droits, est-il écrit, rends droites tes voies.» (Pro 4,26) Et nous disons dans nos prières — «Dirige mes pas devant ta face» (ps 5,9); «Affermis nos pas dans tes sentiers, afin qu’ils ne chancellent point.» (ps 16,5) — On nous donne cet avertissement : «Faites-vous un coeur nouveau et un esprit nouveau.» (Ez 18,31) Et l’on nous fait cette promesse : «Je leur donnerai un seul coeur, et je mettrai dans leur poitrine un esprit nouveau; et j’ôterai de leur chair leur coeur de pierre, et je leur donnerai un coeur de chair, afin qu’ils marchent selon mes commandements et qu’ils gardent mes lois.» (Ibid. 11,19-20) — Le Seigneur nous intime ce précepte : «Purifie ton coeur de toute malice, Jérusalem, afin que tu sois sauvée.» (Jér 4,14) Et voici que le prophète lui demande cela même qu’il nous ordonne : «Crée en moi, ô Dieu, un coeur pur» (ps 50,16); «Tu me laveras, et je serai plus blanc que la neige.» (Ibid. 9) — Il nous est dit «Allumez en vous la lumière de la science». (Puis, il est dit de Dieu : «Il enseigne à l’homme la science» (ps 93,10); «Le Seigneur donne la lumière aux aveugles.» (ps 145,8) Et nous-mêmes, nous demandons avec le prophète : «Donne la lumière à mes yeux, afin que je ne m’endorme jamais dans la mort.» (ps 12,4) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 9

Dieu prévient la volonté de l’homme : «La miséricorde de mon Dieu, est-il dit, me préviendra» (ps 58). Puis, il tarde, il s’arrête en quelque sorte pour notre bien, afin d’éprouver notre libre arbitre; et c’est notre volonté, alors, qui le prévient : «Au matin, ma prière vous préviendra» (ps 87,14), «J’ai devancé le matin et j’ai crié vers vous» (ps 118,147), «Mes yeux ont devancé le point du jour :» (Ibid. 148). — Il nous appelle et nous invite, lorsqu’il dit : «Tout le jour, j’ai tendu les mains vers un peuple incrédule et rebelle» (Rm 10,21); et nous l’invitons à notre tour, quand nous lui disons : «Tout le jour, j’ai tendu les mains vers vous» (ps 87,10). — Il nous attend : «Le Seigneur attend, dit le prophète, pour avoir pitié de vous.» (Is 30,18) Et nous l’attendons : «Je ne me suis point lassé d’attendre le Seigneur, et il m’a regardé» (ps 39,2); «J’ai attendu ton salut, Seigneur» (ps 118,166). — Il nous fortifie : «Je les ai instruits, et j’ai fortifié leurs bras, et ils ont médité le mal contre moi» (Os 7,15) et il nous exhorte à nous fortifier nous-mêmes : «Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui chancellent» (Is 35,3). — Jésus crie : «Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive !» (Jn 7,37). Et le prophète crie vers lui : «Je me suis épuisé à crier, ma gorge s’est enrouée; mes yeux se sont consumés, tandis que j’espère en mon Dieu.» (ps 58,4) — Le Seigneur nous cherche : «J’ai cherché, et il n’y avait point d’homme; j’ai appelé, et personne n’était là pour me répondre» (Cant 5,6). Et l’épouse le cherche lui-même avec ces plaintes pleines de larmes : «Sur ma couche, pendant la nuit, j’ai cherché celui que mon âme chérit; je l’ai cherché, et je ne l’ai pas trouvé; je l’ai appelé, et il ne m’a pas répondu» (Ibid. 3,1). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 12

Ne croyez pas davantage que ce soit par un seul mot de repentir : «J’ai péché contre le Seigneur» (2 Rois 12,13), et non pas plutôt par la miséricorde du Seigneur, que le roi David ait effacé deux crimes si graves, et mérité d’entendre du prophète Nathan : «Le Seigneur a éloigné de toi ton iniquité; tu ne mourras point» (Ibid.). Ajouter l’homicide à l’adultère : ce fut l’ouvrage de son libre arbitre. Il reçoit les reproches du prophète : c’est une grâce de la divine bonté. Il s’humilie et reconnaît son péché : voilà sa part, à lui. Il mérite en un court instant le pardon de si grands crimes : c’est le don de la miséricorde. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 18

Même constatation pour le malade qui, couché vainement depuis trente-huit ans près du rebord de la fontaine, avait attendu sa guérison du mouvement de l’eau; c’est spontanément encore que le Seigneur montre ici la munificence de sa libéralité. Il appelle d’abord l’attention de l’infirme sur le moyen de recouvrer la santé : «Veux-tu être guéri ?» (Jn 5,6). L’autre se plaint du manque de secours de la part des hommes : «Je n’ai personne pour me jeter dans la piscine, dès que l’eau est agitée.» (Ibid. 7) Cependant, le Seigneur pardonne à son incrédulité et à son ignorance; il le rend à la santé, non par le moyen espéré, mais de la manière qu’a choisie sa miséricorde : «Lève-toi, dit-il, prends ton lit, et retourne à ta maison.» Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 16

Mais il est utile et séant à chacun, selon l’état de vie qu’il a choisi ou la grâce qu’il a reçue, de se hâter en toute ardeur et diligence vers l’achèvement de l’oeuvre entreprise. Il pourra bien louer et admirer les vertus des autres. Mais qu’il ne sorte point pour cela de la profession qu’il a lui-même une fois embrassée, sachant que, suivant l’Apôtre, le corps de l’Église est un, mais les membres plusieurs, et qu’elle a «des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée : soit de prophétie, pour l’exercer conformément à la règle de la foi; soit de ministère, pour l’exercer dans les fonctions du ministère. Si quelqu’un a reçu le don d’enseigner, qu’il enseigne ! d’exhorter, qu’il exhorte ! Que celui qui donne, le fasse en simplicité; celui qui préside, en diligence; celui qui pratique la miséricorde, avec une aimable gaieté !» (Rom 12,6-8). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 5

Tandis qu’il se réserve pour la douceur de la concorde prochaine, il ne sentira pas l’amertume de la querelle présente, et fera de préférence telle réponse dont il n’ait pas à s’accuser lui-même ni à être repris par son frère, lorsque l’amitié sera rétablie. De cette façon, il accomplira la parole du prophète : «Dans la colère, souviens-toi de la miséricorde.» (Hab 3,2). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 26

Il nous est impossible de tout parcourir, même brièvement. Qui suffirait à énumérer les patriarches — il faudrait les nommer tous ! — et les innombrables saints qui, soit pour sauver leur vie, soit dans le désir d’obtenir une bénédiction, par un sentiment de miséricorde ou en vue de tenir caché quelque secret, les uns par zèle de Dieu, les autres afin de découvrir la vérité, ont, si j’ose ainsi dire, pris sur eux de patronner le mensonge ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

Qu’y a-t-il de plus évident que ce témoignage ? Dans une vue de miséricorde et de tendresse, le Seigneur aime mieux rendre vaine sa parole, et prolonger de quinze années au delà du terme fixé la vie de celui qui le prie, plutôt que d’être trouvé inexorable, en maintenant immuable son décret. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

Autre exemple. Le Seigneur détourne les regards de sa miséricorde du peuple qu’il a adopté parmi toutes les nations, à cause de sa soudaine prévarication. Mais le Législateur intervient en sa faveur, et s’écrie : «Je te conjure de m’écouter, Seigneur. Ce peuple a commis un grand péché; ils se sont fait des dieux d’or. Et maintenant, si tu veux pardonner leur faute, pardonne-la. Sinon, efface-moi du livre que tu as écrit.» Et le Seigneur lui dit : «Si quelqu’un a péché contre moi, c’est celui-là que j’effacerai de mon livre e.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

La voyant si prompte aux oeuvres de miséricorde, le pontife loua fort son dessein. Il ordonne de lui choisir une veuve distinguée entre toutes par l’honnêteté de ses moeurs, sa gravité, toute sa conduite. Ne fallait-il pas craindre, en effet, que le généreux désir de la bienfaitrice ne fût vaincu par les vices de l’obligée, et qu’en cherchant la récompense dans le soutien d’une pauvresse, elle ne s’offensât de ses manières détestables et ne souffrît dommage dans sa foi ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 14

Tout le temps, en effet, que dure la pénitence et que nous sentons le remords de nos actes vicieux, il faut que les larmes d’un humble aveu, tombant sur notre âme comme une pluie bienfaisante, y viennent éteindre le feu vengeur, allumé par notre conscience. Mais on est resté longtemps dans cette humilité de coeur et contrition d’esprit, adonné sans trêve au labeur et aux gémissements. Et voici que le souvenir du mal commis s’est assoupi; par une grâce de la divine miséricorde, l’épine du remords est arrachée des moelles de l’âme : c’est le signe certain que l’on est parvenu au terme de la satisfaction; on a gagné son pardon; toute souillure est lavée des fautes d’autrefois. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 7

Parfois, c’est l’intercession des saints qui obtient le pardon de nos fautes : «Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu’il prie; et Dieu donnera la vie à ce frère, dont le péché ne va pas à la mort.» (1 Jn 5,163). Et de nouveau : «Quelqu’un parmi vous est-il malade, qu’il appelle les prêtres de l’Église, et que ceux-ci prient sur lui, l’oignant d’huile au nom du Seigneur. Et la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le soulagera; et s’il a commis des péchés, ils lui seront remis.» (Jac 5,14-15). D’autres fois, c’est le mérite de la miséricorde et de la foi qui réduit la souillure de nos vices, selon cette parole : «Les péchés s’expient par la miséricorde et la foi.» (Pro 15,27). Souvent aussi, c’est la conversion et le salut de ceux que ramènent au bien nos avis et notre prédication : «Celui qui convertira un pécheur de l’égarement de ses voies, sauve cette âme de la mort et couvrira la multitude de ses propres péchés.» (Jac 5,20). Enfin, l’oubli et le pardon que nous accordons aux autres, nous méritent le pardon de nos propre méfaits : «Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos manquements.» (Mt 6,14). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8

En effet, la miséricorde, la patience, la charité ou les autres vertus précédemment nommées et dans lesquelles réside le bien par essence, ne doivent pas se subordonner au jeûne, mais le jeûne à elles. Il faut travailler à les acquérir, elles qui sont vraiment bonnes, par le moyen du jeûne; et non pas leur donner le jeûne pour terme. Affliger la chair a son utilité; l’abstinence est un bon traitement à lui appliquer : pourquoi ? Afin d’arriver, par cette méthode, à la charité, où consiste le bien immuable et perpétuel, sans exception de temps. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Il importe donc de garder notre coeur constamment attentif et circonspect, en toute prudence et sagacité. Car quel malheur, si le jugement de notre discrétion venant à errer, nous nous laissions enflammer par le désir d’une abstinence inconsidérée ou séduire par l’amour d’une excessive douceur ! Ce serait peser nos forces sur une balance fausse. Eh bien, non ! Mettant sur un plateau la pureté de l’âme, sur l’autre notre vigueur corporelle, pesons-les selon le jugement véridique de la conscience, de manière à n’être entraînés ni d’une part ni de l’autre, par une affection prépondérante et vicieuse. Si nous inclinions la balance, ou vers une austérité sans mesure, ou vers un trop grand relâchement, il nous serait dit pour cet excès : Si vous avez bien offert et que vous n’ayez pas bien partagé, n’avez-vous point péché ? (Gen 7,7). Les sacrifices extorqués à notre pauvre estomac, au prix de convulsions violentes, nous avons beau les croire offerts à Dieu selon la droiture; Celui qui aime la miséricorde et la justice, (Ps 32,5) les exècre : Je suis le Seigneur, dit-il, qui aime la justice, et qui hais l’holocauste venant de rapine. (Is 46,8). Par ailleurs, ceux qui consacrent le principal de leurs offrandes, je veux dire de leur service et de leurs actes, à favoriser la chair et à satisfaire leurs propres besoins, ne réservant au Seigneur que des restes, une part insignifiante, la divine parole les condamne à leur tour comme des ouvriers infidèles : Maudit soit celui qui fait l’oeuvre de Dieu avec fraude. (Jer 48,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 22

Il fut tenté à notre image lorsqu’Il fut battu de fouets, meurtri de soufflets, couvert d’odieux crachats; lorsqu’Il souffrit jusqu’au bout les tortures sans égales de la croix. — Toutefois, nul outrage, que dis-je ? les supplices mêmes ne purent soulever chez Lui la plus légère indignation; et du haut de son gibet, Il eut ce cri de la miséricorde : Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font (Lc 23,34). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 10

Cherchons donc avec soin quel est ce bien par excellence que l’Apôtre n’a pu accomplir à sa volonté. Nous savons beaucoup de biens, dont on ne peut nier qu’il les ait eus de la nature ou qu’il ne les ait acquis par la grâce ainsi que les hommes d’un mérite égal au sien. La chasteté est bonne, louable est la continence, admirable la prudence, large l’hospitalité, circonspecte la sobriété, modeste la tempérance, tendre la miséricorde, sainte la justice. Assurément, toutes ces vertus ont existé chez l’apôtre Paul et les autres, si achevées, si parfaites, qu’ils enseignèrent la religion plutôt par leur sainte vie que par leur discours. Dirai-je encore le soin continuel de toutes les Églises et la constante sollicitude dont ils étaient consumés ? Quelle miséricorde, quelle perfection, de brûler pour ceux qui tombent, d’être faible avec les faibles (cf. 2 Co 11,29) ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 2

Ils ont accoutumé de dire : Si nous supplions quelque personnage élevé en dignité, non pour avoir la vie sauve, mais seulement en vue de quelque avantage temporel : rivés à lui par les yeux et par toute l’âme, suspendus dans une attente pleine d’alarmes à un signe de sa tête, nous tremblons qu’un mot inopportun ou maladroit ne vienne à détourner sa miséricorde. Ou bien, voici que nous sommes à l’audience, devant le tribunal des juges de ce monde. En face, se tient notre partie. Si, au beau milieu des débats, nous nous prenions à tousser, cracher, rire, bâiller ou dormir, combien la haine vigilante de notre ennemi serait-elle prompte à exciter, pour notre perte, la sévérité du juge ! Eh ! lorsque nous supplions le Juge divin, infaillible témoin de tous les secrets, afin qu’Il écarte le péril de mort éternelle dont nous sommes menacés, ayant en face de nous surtout celui qui est à la fois notre perfide séducteur et notre accusateur, avec quelle attention, quelle ferveur de prière devons-nous implorer sa Clémence ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 6

Qu’est-ce que servir la loi du péché, sinon accomplir ce que le péché commande ? Mais quel est le péché, dont une sainteté aussi achevée que celle de l’Apôtre peut se sentir captive, sans douter pourtant que la Grâce du Christ ne la délivre ! Car il dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. Quelle sera, dis-je, à votre sens, cette loi dans nos membres, qui, en nous arrachant à la Loi de Dieu, pour nous captiver sous la loi du péché, fait de nous des malheureux, plutôt que des coupables ? Tellement, qu’au lieu d’être voués aux éternels supplices, nous soupirons seulement de voir s’interrompre la joie de notre béatitude, et nous écrions avec l’Apôtre, en quête d’un secours qui nous y rétablisse : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Être emmené captif sous la loi du péché, qu’est-ce autre chose que demeurer dans les actes du péché ? Or, quel est le bien par excellence que les saints ne peuvent accomplir, sinon celui au prix de quoi tous les autres cessent d’être des biens ? Certes, il existe, nous le savons, des biens multiples en ce monde, et avant tout, la chasteté, la continence, la sobriété, l’humilité, la justice, la miséricorde, la tempérance, la piété. Mais ils ne sauraient aller de pair avec ce bien souverain. D’autre part, ils sont à la portée, je ne dirai pas des apôtres, mais des âmes médiocres. Aussi bien, si ou ne les accomplit, on sera puni de l’éternel supplice on des labeurs d’une longue pénitence; mais il ne faut point espérer sa délivrance de la Grâce quotidienne du Christ. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

C’est aussi de cette méthode que la malignité perfide des puissances spirituelles s’emploie à nous tenter. Elles tendent principalement leurs pièges insidieux par les côtés de l’âme où elles la sentent malade. Voient-elles, par exemple, que la partie raisonnable est viciée en nous, elles s’efforcent de nous tromper par le même procédé qui servit jadis aux Syriens pour le roi Achab, selon que l’Écriture nous le raconte : Nous savons, dirent les Syriens, que les rois d’Israël sont cléments. Mettons donc des sacs sur nos reins et des cordes à notre cou; sortons vers le roi d’Israël, et nous lui dirons : Ton serviteur Benadab dit : Je t’en prie, que mon âme vive ! (3 Rois 20,31-32) Et Achab, ému du vain éloge que l’on faisait de sa miséricorde, plutôt que de vraie clémence : S’il vit encore, dit-il, il est mon frère. (Ibid.,32) Ainsi les démons s’efforcent-ils de nous abuser quant à la partie raisonnable, afin de nous faire offenser Dieu par où nous penserions obtenir une récompense et recevoir le prix de la clémence. Mais alors, nous entendrions à notre tour le reproche fait à Achab : Parce que tu as laissé échapper de tes mains un homme digne de mort, ta vie répondra pour sa vie, et ton peuple pour son peuple (Ibid., 42) Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 17