C’était au temps que nous vivions en notre monastère de Syrie. Après, avoir reçu les premiers éléments de la foi et fait quelque profit, nous ressentîmes le désir d’une perfection plus haute, et résolûmes de gagner incontinent l’Égypte. Nous voulions pénétrer jusqu’au lointain désert de la Thébaïde, afin d’y visiter le plus grand nombre des saints dont la renommée par tout l’univers avait répandu la gloire, pressés, si nous ne pouvions les imiter, d’apprendre au moins à les connaître. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 1
De même, c’est une gloire de servir Dieu : «Servez le Seigneur dans la crainte»; (Ps 2,11). «Il est glorieux pour toi d’être appelé serviteur»; (Is 49,6). «Heureux le serviteur que son maître, à son retour, trouvera agissant de la sorte.» (Mt 24,46). Le Seigneur, toutefois, dit aux apôtres : «Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître;» (Jn 15,14-15) et de nouveau : «Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande.» (Ibid. 13) Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 12
Rien de plus précieux, vous le voyez, rien de plus parfait, de plus sublime et, pour ainsi parler, de plus éternel que la charité. «Les prophéties, elles seront abolies; les langues, elles cesseront; la science, elle prendra fin. Mais l’amour ne passera jamais.» (Ibid. 13,8). Sans elle, les charismes les plus excellents, la gloire même du martyre se dissipent comme une fumée. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 12
Il paraît évidemment par là que le remède le plus efficace pour le coeur humain, c’est la patience, selon le mot de Salomon : «L’homme doux est le médecin du coeur.» (Pro 14,30). Ce n’est pas seulement la colère, la paresse, la vaine gloire ou la superbe qu’elle extirpe, mais encore la volupté, et tous les vices à la fois : «La longanimité, dit encore Salomon, fait la prospérité des rois.» (Ibid. 25,15). Celui qui est toujours doux et tranquille, ni ne s’enflamme de colère, ni ne se consume dans les angoisses de l’ennui et de la tristesse, ni ne se disperse dans les futiles recherches de la vaine gloire, ni ne s’élève dans l’enflure de la superbe : «Il y a une paix surabondante pour ceux qui aiment le nom du Seigneur, et rien ne leur est une occasion de chute.» (Ps 118,165). En vérité, le Sage a bien raison de dire : «L’homme patient vaut mieux que le soldat vaillant; celui qui maîtrise sa colère, que l’homme qui prend une ville.» (Pro 16,32). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
La grâce du Christ est donc toujours à notre disposition. Comme «il veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité,» il les appelle aussi tous, sans exception : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai !» (Mt 11,28) S’il n’appelait tous les hommes en général, mais quelques-uns seulement, il suivrait que tous ne sont pas non plus chargés, soit du péché originel, soit du péché actuel. Et cette parole ne serait pas juste : «Car tous ont péché, et sont privés de la gloire de Dieu !» (Rm 3,23) On aurait tort aussi de croire que «la mort a passé dans tous les hommes.» (Ibid. 5,12) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 7
Si nous attribuons à notre libre arbitre la gloire de nous conduire à la vertu parfaite et l’accomplissement des commandements de Dieu, comment pouvons-nous demander : «Affermis, ô Dieu, ce que tu as accompli en nous !» (ps 57,29); «Dirigez pour nous les oeuvres de nos mains !» (ps 89,17) ? — Balaam est payé pour maudire Israël, et nous voyons qu’il ne lui fut pas permis de remplir son désir. (cf. Nb 22,5 et ss.) — Dieu garde Abimélech, de peur qu’il ne touche Rebecca, et ne pèche contre lui (cf. Gn 20,6). — La jalousie de ses frères fait emmener Joseph au loin (cf. Ibid. 37, 28), pour ménager la descente des fils d’Israël en Égypte; ils méditaient un fratricide, et le secours va leur être préparé pour les jours de famine. C’est ce que Joseph lui-même leur découvre, après avoir été reconnu par eux : «N’ayez point peur, et ne vous affligez pas de m’avoir vendu, pour être conduit dans ce pays. C’est pour votre salut que Dieu m’a envoyé devant vous» (Gn 45,5); et un peu après : «Dieu m’a envoyé devant vous, afin que vous soyez gardés sur la terre, et que vous ayez de la nourriture pour vivre. Ce n’est point par votre conseil, mais par la volonté de Dieu que j’ai été envoyé. Il m’a fait comme le père du Pharaon, le seigneur de toute sa maison et le prince de toute la terre d’Égypte» (Ibid. 7,8). Et comme, après la mort de leur père, ils étaient en proie à la terreur, pour leur ôter tout soupçon de crainte, il leur dit : «N’ayez point peur. Est-ce que nous pouvons résister à la volonté de Dieu ? Vous avez médité de me faire du mal; mais Dieu l’a changé en bien, pour m’exalter, comme vous le voyez présentement, afin de sauver des peuples nombreux» (Ibid. 50,19-20). Pareillement, le bienheureux David déclare, dans le psaume 104, que toutes ces choses arrivaient par une conduite spéciale de Dieu : «Il appela la famine sur le pays, et il les priva de tout le pain qui les soutenait. Il envoya devant eux un homme; Joseph fut vendu comme esclave» (ps 104,16-17). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 11
La grâce de Dieu coopère toujours pour le bien avec notre libre arbitre; en tout, elle l’aide, le protège, le défend. Mais parfois elle exige ou attend de lui quelques efforts de bonne volonté, pour ne point paraître lui conférer ses dons quand il est tout endormi et énervé par un lâche repos. Elle cherche en quelque façon les occasions où l’homme a secoué sa torpeur et sa paresse, afin que les largesses de sa munificence ne semblent pas déraisonnables, ayant un prétexte dans un certain désir, une ombre de labeur. Toutefois, elle demeure, même alors, gratuite — car à des efforts si minces et tellement insignifiants, c’est la gloire immense de l’immortalité, ce sont les dons magnifiques de l’éternelle béatitude qu’elle accorde avec une inappréciable libéralité. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 18
Que dire d’un aveu si bref, et de l’incomparable, de l’infinie récompense que Dieu lui octroie, lorsque nous considérons comment le bienheureux Apôtre, regardant à la grandeur de la rétribution future, s’est exprimé sur les persécutions sans nombre qu’il avait souffertes : «Car notre légère tribulation d’un moment produit en nous le poids éternel d’une incommensurable gloire» (2 Co 4,17). Ailleurs, il déclare encore avec une belle constance : «Les souffrances du temps présent n’ont pas de proportion avec la gloire future qui sera manifestée en nous» (Rm 8,18). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 18
Ainsi, Dieu éprouve notre foi, pour la rendre et plus forte et plus glorieuse. Le centurion de l’Évangile nous en est un exemple. Le Seigneur, assurément, savait qu’il pouvait guérir son serviteur par la puissance de sa parole; il aime mieux offrir d’y aller de sa personne : «J’irai, et le guérirai» (Mt 8,7). Mais l’autre, dans l’ardeur grandissante de sa foi, s’élève au-dessus de cette offre ; il s’écrie — «Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit; mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri» (Ibid. 8). Et le Seigneur d’admirer. Il le couvre d’éloges, et le préfère à tous ceux qui avaient cru du peuple d’Israël : «En vérité, je vous le dis, je n’ai pas trouvé une telle foi en Israël» (Ibid. 10). Mais il n’aurait ni gloire ni mérite, si le Christ n’avait fait qu’exalter en lui ses propres dons. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 14
André, ni Pierre, ni les autres apôtres ne songeaient aux moyens de se sauver; et voici qu’il les choisit par une condescendance toute spontanée de sa grâce (cf. Mt 4,18). — Zachée, poussé par un sentiment de foi, s’efforce de voir le Seigneur, et remédie à la petitesse de sa taille en montant sur le sycomore; le Seigneur l’accueille, et, bien plus, lui accorde cette bénédiction et cette gloire : il va demeurer chez lui. (cf. Lc 19,2 et ss.) — Il attire Paul qui résiste et regimbe. (Ac 9,3 et ss.) — À cet autre, il commande de s’attacher à lui si inséparablement, qu’il lui refuse le court délai sollicité pour ensevelir son père (cf. Mt 8,21 et ss.). — Corneille s’applique incessamment à la prière et à l’aumône; comme en récompense, la voie du salut lui est montrée; un ange le visite, qui lui ordonne de faire venir Pierre et d’apprendre de sa bouche les paroles par où il aura le salut, lui et tous les siens (cf. Ac 10). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 15
Ainsi la sagesse multiforme de Dieu ménage-t-elle le salut des hommes avec une tendresse habile à varier ses moyens et vraiment insondable. Selon la capacité de chacun, il accorde les dons de sa largesse. Pour les guérisons même qu’il opère, il ne veut point se régler sur la puissance toujours égale de sa majesté, mais sur la foi qu’il trouve en chacun de nous ou qu’il a lui-même départie. Celui-ci croit que pour le purifier de sa lèpre, la volonté toute seule du Christ suffit; le Christ le guérit par le seul assentiment de sa volonté : «Je le veux, sois guéri» (Mt 8,3). Un autre le supplie de venir chez lui, et de ressusciter sa fille en lui imposant les mains; il entre dans sa maison, et lui accorde l’objet de sa requête en la manière espérée (cf. Ibid. 9,18). Un troisième croit que le salut réside essentiellement dans le commandement de la parole : «Dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri» (Mt 8,8); par le commandement de sa parole, il rend aux membres alanguis leur vigueur première : «Va, et qu’il te soit fait selon que tu as cru (Ibid. 13).» — En voici qui espèrent trouver le remède dans l’attouchement de la frange de son vêtement; il leur dispense largement le don de la santé. (cf. Ibid. 9,20) — Il accorde à ceux-ci la guérison de leurs maladies sur leur prière; à ceux-là par un don spontané. — Il en exhorte certains à l’espérance : «Veux-tu être guéri ?» (Jn 5,6). Il porte secours de son propre mouvement à d’autres qui ne l’espéraient pas. — Il sonde les désirs des uns avant de satisfaire leur volonté : «Que voulez-vous que je fasse ?» (Mt 20,32). À cette autre qui ignore le moyen d’obtenir ce qu’elle convoite, il l’indique avec bonté : «Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu.» (Jn 11,40) — Il en fut sur qui il épancha surabondamment son pouvoir de guérir, si bien qu’à leur sujet l’évangéliste peut dire : «Il guérit tous leurs malades» (Mt 14,14). Chez d’autres, l’abîme sans fond de ses bienfaits se trouva fermé : «Jésus, est-il dit, ne put faire parmi eux de miracle à cause de leur incrédulité» (Mc 6,5-6). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 15
Prenez garde avant tout et vous particulièrement, Jean, que votre jeunesse engage plus encore à observer ce que je vais dire de commander à votre bouche le plus complet silence, si vous ne voulez pas qu’un vain élèvement rendent inutiles et votre ardeur à la lecture et vos labeurs pleins de saints désirs. C’est ici le premier pas dans la science pratique : recevoir les enseignements et les décisions de tous vos anciens d’une âme attentive, mais la bouche en quelque sorte muette; les déposer avec soin dans votre coeur, et vous empresser à les accomplir, plutôt qu’à faire le docteur. Au lieu des prétentions funestes de la vaine gloire, vous verrez se multiplier les fruits de la science spirituelle. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 9
Dans les conférences avec les anciens, ne prenez point la liberté de dire mot, si ce n’est pour demander ce qu’il vous serait nuisible d’ignorer ou ce qu’il vous est nécessaire de connaître. Il en est qui, possédés de l’amour de la vaine gloire, ne feignent d’interroger que pour montrer leur savoir. Mais il ne se peut pas que celui qui s’applique à la lecture dans le dessein d’acquérir la gloire humaine, mérite jamais le don de la vraie science. Esclave de cette passion, comment ne porterait-on pas également les chaînes des autres vices, et particulièrement de la superbe ? Mais ainsi terrassé dans le combat de la science pratique et morale, on n’obtiendra point la science spirituelle, qui lui doit son origine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 9
Évitez donc avec le plus grand soin que votre zèle de la lecture, au lieu de vous procurer la lumière de la science, et la gloire sans fin promise à l’homme qu’illuminent les clartés de la doctrine, ne vous soit une cause de perdition par les vaines prétentions qu’il pourrait éveiller chez vous. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 10
Il viendra donc un jour où, moins par la lecture que par une laborieuse expérience, vous posséderez la doctrine; et votre âge plus avancé vous mettra en situation d’enseigner les autres. Gardez-vous alors, vous laissant séduire à la vaine gloire, de prodiguer au hasard votre savoir à des âmes qui ne seraient point pures. Vous tomberiez dans le travers que proscrit le sage Salomon : «Ne conduis pas l’impie dans les pâturages du juste, et ne te laisse pas séduire par la satiété.» (Pro 24,15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 17
Évitez donc de toute votre puissance de vous faire prendre à l’amour de la vaine gloire, de peur que vous ne puissiez avoir de part avec celui que le prophète loue de ce qu’ «il n’a point prêté son argent à intérêt.» (Ps 14,15). Il est dit, en effet, que «les paroles du Seigneur sont des paroles chastes, un argent éprouvé par le feu, purifié au creuset, raffiné sept fois.» (Ps 11,7). Quiconque les dispense par amour de la gloire humaine, donne son argent à intérêt. Mais, ce faisant, au lieu de mériter des louanges,il gagnera des supplices. Car il a préféré dissiper l’argent de son maître, pour en retirer lui-même un avantage temporel; plutôt que de le placer de manière que le Seigneur «à son retour, retirât avec un intérêt celui lui appartient». (Mt 25,27). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 17
Ainsi, cette vertu, cette grâce singulière serait peut-être demeurée toujours cachée, pour autant qu’il dépendait de lui, si la nécessité de toute une province en péril, et sa dévotion entière, son amour sincère pour le Seigneur ne l’eussent poussé à faire ce miracle. Car, certes, il ne le fit pas par ostentation de vaine gloire; mais la charité du Christ et l’utilité de tout le peuple le lui arracha. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 3
Ces grands hommes ne se prévalaient donc aucunement du pouvoir qu’ils avaient d’opérer de telles merveilles. Ils confessaient que leur propre mérite n’était pour rien, mais que la Miséricorde du Seigneur avait tout fait. Admirait-on leurs miracles, ils repoussaient la gloire humaine avec ces paroles empruntées des apôtres : «Frères, pourquoi vous étonner de cela ? Pourquoi tenir les yeux fixés sur nous, comme si c’était par notre puissance on par notre piété que nous eussions fait marcher cet homme ?» (Ac 3,12). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 6
Aussi donne-t-il l’avertissement à ceux qu’il a Lui-même gratifiés de la gloire des signes et des miracles, de ne point s’élever à ce propos : «Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux.» (Lc 10,20). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 6
Mais voici que l’auteur même de tous les signes et les miracles appelle ses disciples à recueillir sa doctrine; il va manifester avec évidence ce que ses sectateurs véritables et choisis entre tous devront apprendre particulièrement de lui : «Venez, dit-il, et apprenez de Moi,» (Mt 11,28) non pas certes à chasser les démons par la puissance du ciel, ni à guérir les lépreux, ni à rendre la lumière aux aveugles, ni à ressusciter les morts — J’opère, il est vrai, tous ces prodiges par l’entremise de quelques-uns de mes serviteurs; néanmoins, l’humaine condition ne saurait entrer en société avec Dieu pour les louanges qui Lui sont dues; le ministre et l’esclave ne peut prendre sa part où toute la gloire appartient à la seule divinité; mais, dit-il, «apprenez de Moi» ceci, «que je suis doux et humble de coeur.» (Mt 11,29). Voilà, en effet, ce qu’il est possible à tous communément d’apprendre et de pratiquer. Mais de faire des signes et des miracles, cela n’est pas toujours nécessaire, ni avantageux à tous, et n’est pas accordé non plus universellement. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 7
Des guérisons corporelles, il est dit aux bienheureux apôtres : «Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis.» (Lc 10,20). Ce n’était pas leur puissance qui opérait ces prodiges, mais la vertu du nom qu’ils invoquaient. Et voilà pourquoi le Seigneur les avertit de ne revendiquer ni béatitude ni gloire pour ce qui n’est dû qu’à la puissance et à la vertu de Dieu; mais uniquement pour la pureté intime de leur vie et de leur coeur, qui leur mérite d’avoir leurs noms inscrits dans les cieux. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 9
Il est impossible d’éviter ce malheur, si l’on se lie à son propre sens. Mais il faut aimer et pratiquer la vraie humilité; il faut remplir, avec un coeur contrit, le voeu si pressant de l’Apôtre : «S’il est quelque consolation dans le Christ, s’il est quelque douceur et soulagement dans la charité, s’il est quelque tendresse et compassion, rendez ma joie parfaite; ayez une même pensée, un même amour, une même âme, un même sentiment; ne faites rien dans un esprit de contention ni par vaine gloire; mais tenez-vous en toute humilité pour supérieurs les uns aux autres.» (Phil 2,13). Il dit encore : «Prévenez-vous d’honneur les uns les autres.» (Rom 12,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 11
De même, rien ne sert de se taire, si nous nous commandons le silence dans le dessein d’obtenir par son moyen ce qu’aurait fait l’injure; si nous y joignons de certains gestes hypocrites, qui jetteront dans une colère plus véhémente celui qu’il eût fallu guérir, et qui, pour comble, nous vaudront des louanges de sa ruine et de sa perdition. Comme si l’on ne devenait pas plus criminel encore par le fait même que l’on veut s’acquérir de la gloire de la perte d’un frère ! Mais, aussi bien, un tel silence sera-t-il mauvais à tous deux. Comme il augmente la tristesse au coeur du prochain, il ne permet pas qu’elle disparaisse du notre C’est à ceux qui agissent de la sorte que s’adresse tout spécialement la malédiction du prophète : «Malheur à qui mêle son fiel dans le breuvage qu’il sert à son ami, et qui l’enivre pour voir sa nudité ! Il s’est rassasié d’opprobre, au lieu de gloire.» (Hab 2,15-16). Et voici ce qu’un autre a dit de leurs pareils : «Le frère ne pense qu’à supplanter son frère, et l’ami use de tromperie contre son ami; l’homme se rira de son frère, et ils ne diront point la vérité,» (Jer 9,4-5) car «ils ont tendu leur langue comme un arc, afin de lancer le mensonge, et non la vérité.» (Jer 9,3). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 18
Ainsi remplirons-nous le conseil de l’Apôtre : «Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien.» (Rom 12,21). Mais c’est de quoi demeurent bien incapables, ceux qui profèrent des paroles de douceur et d’humilité dans un esprit d’orgueil; et, loin de songer à éteindre chez soi l’incendie de la colère, ne se proposent, au contraire, que d’en aviver les flammes, et dans leur propre coeur, et dans le coeur de leur frère. Lors même qu’ils réussiraient, pour leur part, à conserver quelque façon de douceur et de paix, ils ne cueilleraient pas encore de cette manière le fruit de la justice, parce qu’ils cherchent à obtenir la gloire de la patience au détriment du prochain. Ne se rendent-ils point, par ce fait, absolument étrangers à l’amour recommandée par l’Apôtre ? Celle-ci «ne cherche pas son intérêt propre,» (1 Cor 13,5) mais celui des autres. Le désir de s’enrichir ne lui fait point poursuivre son profit aux dépens du prochain. Elle ne souhaite pas de rien acquérir, en dépouillant autrui. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 22
Des saints, des hommes très agréables à Dieu se sont servi utilement du mensonge; et ce faisant, loin de tomber, dans le péché, ils parvinrent à la justice la plus éminente. Mais si l’artifice a pu leur conférer la gloire, que leur eût apporté, au contraire, la vérité, sinon la condamnation ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 17
Or, bien qu’il ait agi en ceci pour la gloire de Dieu, la simulation n’en fut pas absente. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20
L’esprit immonde le tourmenta durement et longtemps. Vainement la prière des saints qui habitaient ce désert et avaient reçu le charisme divin de commander aux esprits mauvais, s’employait-elle à le délivrer. Isidore lui-même n’y put réussir, malgré sa grâce singulière, lui à qui la munificence du Seigneur avait octroyé une puissance si grande, qu’on ne lui conduisit jamais un possédé, qui ne fût guéri, avant même de toucher le pas de sa cellule. Le Christ réservait cette gloire au jeune Paphnuce. Seule, la prière de celui qu’il avait si odieusement trahi devait libérer le coupable; c’est en invoquant le nom de qui sa haine jalouse avait cru pouvoir rabaisser l’honneur, qu’il devait recevoir le pardon de sa faute et voir la fin de ses supplices. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 15
Aussi le sage dit-il fort justement à leur propos : «Si le serpent mord sans siffler, l’enchanteur ne sert de rien.» (Ec 10,11). Ce sont là, en effet, ces morsures secrètes, les seules auxquelles la médecine des sages ne puisse apporter remède. Jusqu’à quel point ce mal n’est-il pas incurable ! Les caresses l’exaspèrent, les bons procédés l’augmentent, les présents l’irritent : «L’envie, dit encore Salomon, ne peut rien souffrir.» (Pro 27,4). Plus le prochain grandit par les abaissements de l’humilité, la vertu de patience ou la gloire de la munificence; plus l’envieux se sent blessé des aiguillons de sa passion. C’est la ruine de son frère, c’est sa mort qu’il voudrait, et rien d’autre. Voyez les fils de Jacob. La soumission de Joseph innocent était loin d’apaiser le feu de leur jalousie : «Ses frères le jalousaient, rapporte l’Écriture, parce que son père l’aimait; et ils ne pouvaient lui dire une parole pacifique.» (Gen 37,4). Les choses en vinrent à tel point, que leur rage, impatiente de ses complaisances et de ses soumissions, et avide de sa mort, put à peine se satisfaire en le vendant comme esclave. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 16
Ici, nul, besoin de prévoir le travail quotidien: nulle préoccupation de vente ni d’achat rien de cette inéluctable nécessité de faire sa provision de pain pour l’année —, point l’ombre de sollicitude à l’endroit des choses matérielles, pour parer, soit à ses propres besoins, soit à ceux de nombreux visiteurs; aucune prétention, enfin, de gloire humaine, qui souille, aux yeux de Dieu, plus que tout le reste, et rend si souvent inutiles les grands travaux du désert. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 6
Mais, pour la vie anachorétique, passons sur les flots de l’élèvement spirituel et le péril mortel de la vaine gloire; et revenons au commun fardeau de tous, je veux dire au souci de pourvoir à sa nourriture. À quels excès n’en est-on pas venu ? Les limites sont bien dépassées de l’antique austérité, laquelle ignorait absolument l’usage de l’huile. Que dis-je ? on ne se contente même plus de la mesure introduite par le relâchement de notre temps ! Un setier d’huile, un boisseau de lentilles suffisaient pour toute une année à la réception des hôtes. On a doublé, triplé la mesure, et c’est à peine si l’on peut vivre. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 6
Plusieurs ont poussé au delà des bornes ce relâchement funeste. Nous sommes loin de la goutte d’huile que nos prédécesseurs dans la vie érémitique, si supérieurs à nous par la rigueur de leur abstinence, laissaient tomber sur le vinaigre et la saumure mêlés, dans le dessein seulement d’éviter la vaine gloire. On brise, pour flatter la délicatesse du goût, du fromage d’Égypte, et l’on y répand l’huile plus qu’il ne serait nécessaire : deux mets qui ont chacun son agrément, et pourraient très, bien faire au moins deux régals différents, en des moments divers, s’unissent ainsi, pour caresser le palais plus délicieusement. Jusqu’où ne se porte pas cette fureur de posséder ? Je ne puis le rappeler sans rougir : les anachorètes se sont mis, sous prétexte d’hospitalité et d’accueil à faire aux étrangers, à posséder dans leur cellule une couverture ! Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 6
Pinufe gouvernait, avec la qualité d’abbé et de prêtre, un monastère considérable, non loin de Panephysis, qui est, comme je l’expliquai alors, une ville d’Égypte. Or, par toute la province, ses vertus et ses miracles l’avaient élevé dans un si haut degré de gloire, qu’il lui semblait avoir reçu, dans les louanges des hommes, le prix de ses labeurs. Craignant donc, que la vaine faveur des peuples, spécialement fâcheuse à son endroit, ne le privât du fruit de l’éternelle récompense, il s’enfuit secrètement de son monastère, et gagna la retraite profonde où demeurent les moines de Tabenne. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 1
Lors donc que nous offrons à Dieu la dîme de nos biens, nous demeurons en, quelque sorte sous le joug de la Loi; nous ne sommes pas encore parvenus à la sublime perfection de l’Évangile, qui n’accorde pas seulement à ses fidèles les bienfaits de la vie présente, mais les gratifie encore des récompenses à venir. Pour la Loi, en effet, ce n’est pas le prix du royaume des cieux qu’elle promet en retour à ceux qui l’observeront, mais les consolations de cette vie. Celui qui accomplira ces commandements, dit-elle, y trouvera la vie. (Lev 18,5). Mais le Seigneur à ses disciples : Heureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux; (Mt 5,3) et : Quiconque laisse maison, ou frères, ou soeurs, ou père, ou mère, ou femme ou enfants, ou champs à cause de mon Nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. (Ibid. 19,29). Et c’est justice : il y a moins de gloire à s’abstenir des choses défendues, qu’à renoncer encore aux choses licites, et à n’en point user, par révérence pour Celui qui a permis cette latitude à notre infirmité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5
Quant à la Loi, elle a mis ceux qui obéissaient à ses ordonnances dans un certain milieu, une médiocrité aussi éloignée de la gloire des parfaits que de la damnation des transgresseurs. Condition basse et misérable ! Une simple comparaison prise des choses de ce monde le fera voir clairement. N’est-ce pas, en effet, un sort déplorable, de se dépenser en soins et en labeurs, avec la seule perspective de ne point passer pour un criminel et au milieu des honnêtes gens, sans pouvoir prétendre à la richesse, à l’honorabilité ni à la gloire ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 6
Des exemples. Voici venir un frère. C’est le Christ qu’en sa Personne nous devons hospitaliser, et recevoir avec la plus aimable charité. Mais on préfère observer strictement le jeûne. N’est-ce pas là encourir le reproche d’inhumanité, plutôt que s’acquérir la gloire et le mérite de la dévotion ? — Ou bien l’épuisement et la faiblesse du corps exigent des aliments, pour qu’il puisse réparer ses forces. Cependant, tel ne consent point à fléchir la rigueur de son abstinence. Ne faudra-t-il pas l’estimer cruel, et homicide de lui-même, plutôt que soucieux de son salut ? — De même encore, il se trouve qu’une fête invite à une trêve d’abstinence, et, en concédant un usage raisonnable de la nourriture, permet une réfection d’ailleurs nécessaire. Quelqu’un s’obstine, néanmoins dans l’observance rigide et ininterrompue de ses jeûnes. On le taxera moins de religion que de sottise et de déraison. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14
De telles manières de faire sont particulièrement funestes à ceux qui recherchent, dans le jeûne, la gloire des hommes, et prétendent s’acquérir un renom de sainteté par la vaine ostentation de leur visage pâle et défait. Ils ont reçu dès ici-bas leur récompense, déclare l’Évangile. (cf. Mt 6,16). Et c’est aussi leur jeûne que le Seigneur réprouve par la bouche du prophète. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14
C’est encore tomber évidemment dans le péché du poids trompeur et de la double mesure, que de faire parade à la vue de nos frères, par un désir de gloire humaine, des pratiques plus austères auxquelles nous avons coutume de nous livrer dans nos cellules : en effet, c’est vouloir paraître plus abstinents et plus saints aux yeux des hommes, que nous ne le sommes aux yeux de Dieu. Or, il n’est point de vice qu’il faille davantage, je ne dis pas éviter, mais abominer. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 22
Amour de l’argent, vaine gloire, superbe, toute la multitude des vices se tiennent par une indivisible société. L’un d’eux commence prendre force en nous : il est seul ? N’importe; il saura ménager la croissance des autres. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 3
Voulons-nous parvenir à cette gloire sublime des vierges : recherchons de toutes nos forces la chasteté de l’âme et de l’esprit, de peur que nous ne tombions dans le nombre des vierges folles, à qui leur virginité ne fut pas comptée. Elles s’étaient bornées à la chasteté du corps; et c’est pourquoi le nom de vierges leur est donné, mais de vierges folles, parce que, dans leurs vases, manquait l’huile de la pureté intérieure, et que dès lors s’éteignait tout l’éclat et toute la splendeur de leur virginité corporelle. Car il faut que l’intérieure pureté conserve et entretienne par son rayonnement la chasteté de l’homme extérieur, l’animant à persévérer toujours dans la perpétuelle intégrité. Aussi, les vierges folles, malgré leur titre de vierges, ne méritent-elles pas l’entrée glorieuse dans la chambre nuptiale de l’Époux avec les vierges sages, qui, elles, ont sans reproche gardé leur esprit, leur âme et leur corps intacts pour le jour de notre Seigneur Jésus Christ. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6
Puis, quelle circonspection évitera, dans la mêlée de ce inonde, que les traits du mal ne nous atteignent, au moins par intervalles, au moins d’une blessure légère ? C’est chose impossible de ne pécher point, par ignorance, négligence ou surprise, par pensée, par impulsion, par oubli. Un homme s’est élevé sur de telles cimes de vertu, qu’il peut, sans jactance, s’écrier avec l’Apôtre : Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain; je ne me juge pas moi-même, car ma conscience ne me reproche rien (1 Cor 4,3-4). Soit ! Cet homme doit savoir pourtant qu’il ne saurait être sans péché. Ce n’est pas en vain que le grand docteur ajoute : Mais je ne suis pas justifié pour cela (Ibid., 4). C’est-à-dire : Si moi je me crois juste, je ne posséderai pas du même coup la gloire de la vraie justice; ou : De ce que le remords de ma conscience ne me reprend d’aucune faute, il ne suit pas que je sois net de toute souillure; il est bien des choses qui échappent à ma conscience, mais, inconnues et cachées pour moi, elle sont connues et manifestes pour Dieu. Aussi, continue-t-il : Mon juge, c’est le Seigneur (Ibid.). C’est-à-dire : Celui-là seul qui pénètre le secret des coeurs, porte sur moi un jugement véritable. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 7
Autre chose est d’être saint, c’est-à-dire sacré au culte divin, appellation commune — l’Écriture, en témoigne —, aux hommes ainsi qu’aux lieux, aux vases, et ustensiles du Temple; autre chose, d’être sans péché. Ceci n’appartient qu’à la Majesté de notre Seigneur Jésus Christ, de qui l’Apôtre proclame comme un privilège extraordinaire : Il n’a point commis le péché (1 Pi 2,22). C’eût été en somme Lui attribuer, en guise de prérogative incomparable et divine, une gloire assez vulgaire et peu digne d’une si haute majesté, s’il nous était aussi donné de mener une vie pure de tout péché. L’Apôtre dit encore aux Hébreux : Nous n’avons pas un pontife qui ne puisse compatir à nos infirmités; mais il fut tenté de toutes manières, afin de nous être semblable, hormis le péché (Hé 4,15). Mais, s’il peut y avoir, entre notre bassesse terrestre et ce sublime et divin pontife, une telle communauté; si nous sommes également tentés, sans subir l’atteinte du péché : pourquoi l’Apôtre eût-il admiré chez lui ce privilège comme unique et singulier, et mis une telle différence entre son mérite et le reste des hommes ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 9
Il fut tenté, à notre image, de vaine gloire, lorsque ces paroles Lui furent adressés : Si Tu es le Fils de Dieu, jette-Toi en bas (Ibid., 6). Mais Il ne se laisse point prendre à la suggestion perfide du diable, et repousse le fourbe séducteur, en lui opposant encore une fois les Écritures : Tu ne tenteras pas, dit-Il, le Seigneur ton Dieu (Ibid. 7). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 10
Il fut tenté, à notre image, d’enflure et de superbe, lorsque le diable Lui promit tous les royaumes du monde et leur gloire. Cependant, Il se rit de l’imposture du tentateur, et le soufflette de cette réponse : Arrière, Satan ! Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et ne serviras que Lui seul (Ibid., 10). — Ces divers exemples nous apprennent que nous devons pareillement résister aux trompeuses suggestions de l’ennemi par le souvenir des Écritures. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 10
Mais Il en avait la ressemblance. Et c’est pourquoi les Pharisiens, qui pouvaient si bien pourtant se rappeler ce qui est écrit de Lui dans le prophète Isaïe : Il n’a point commis le péché, et sa Bouche ignora la ruse (Is 53,9), se laissèrent néanmoins abuser par les apparences, au point de dire : Voici un homme de bonne chère et un buveur de vin, un ami des publicains et des pécheurs (Mt 11,19); et à l’aveugle qui avait recouvré la lumière : Rends gloire à Dieu, nous savons que cet homme est un pécheur (Jn 9,24); à Pilate enfin : Si cet homme n’était un pécheur, nous ne te l’aurions pas livré (Ibid. 18,30). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 12
Au reste, comment ces expressions pourraient-elles s’accommoder à la personne des pécheurs : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais ? ou celles-ci : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché habite en moi ? Qui des pécheurs se souille contre sa volonté d’adultère ou d’impudicité ? Lequel tend malgré soi des embûches au prochain ? Lequel subit une contrainte inévitable, pour opprimer par le faux témoignage, pour duper et voler, pour convoiter les dépouilles ou répandre le sang d’autrui ? Au contraire, il est écrit : Le genre humain est passionnément appliqué au mal dès la jeunesse (Gen 8,21). Chez tous ceux que brûle la passion du vice, quel désir de satisfaire leurs convoitises ! Sollicitudes qui ne dorment jamais ! Ils guettent l’occasion favorable pour commettre le crime, tant ils craignent de jouir trop tard de l’assouvissement de leurs penchants emportés. Mais encore ils se font une gloire de leur ignominie et d’entasser les forfaits; selon la parole sévère de l’Apôtre, ils cherchent a s’acquérir une sorte d’honneur avec la honte (Phil 3,19). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 1
S’il faut un témoignage plus évident encore, voici la Loi. Ses préceptes sont des préceptes de vie : car elle a été donnée par les anges, par l’entremise d’un médiateur (Gal 3,19); et c’est d’elle encore que l’Apôtre dit : Ainsi donc, la Loi est sainte; et le commandement est saint, juste et bon (Rm 7,12). Mais, en regard de la perfection évangélique, l’oracle divin prononce qu’ils ne sont pas bons : Je leur ai donné, des préceptes qui ne sont pas bons, et des ordonnances où ils ne trouveront pas la vie (Ez 20,25). Entendez aussi l’Apôtre affirmer que toute la gloire de la Loi s’éclipse à la lumière du Nouveau Testament, tellement que, devant la splendeur de l’Évangile, elle ne mérite plus d’être glorifiée : Ce qui a été glorifié autrefois, dit-il, cesse d’être glorieux en face de cette gloire suréminente (2 Co 3,10). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 3
Nous voilà donc à part du nombre des voyants, du fait de notre impuissance à dé couvrir la multitude des taches légères accumulées en nous. Mais aussi quel état ! Nul sentiment de componction, si la maladie de la tristesse est venue troubler notre âme; nulle douleur des suggestions de vaine gloire qui nous ébranlent; point de larmes pour notre lenteur à prier ou pour notre tiédeur. Que, durant l’oraison et la psalmodie, il nous vienne dans l’esprit des pensées étrangères à l’oraison ou au psaume : nous ne le comptons pas pour faute. Beaucoup de choses que la honte nous arrêterait de dire ou de faire devant les hommes, nous ne rougissons pas d’en occuper notre coeur, ne serait-ce que par moments, sous le regard de Dieu qui nous voit : et nous n’avons point horreur de nous-mêmes. Dans l’exercice de la charité, tandis que nous subvenons aux besoins des frères ou que nous distribuons l’aumône aux pauvres, un nuage vient obscurcir la sérénité de notre joie : hésitation de l’avarice ! Et nous n’avons point de gémissements, pour le déplorer. Nous pensons ne souffrir aucun détriment, si nous quittons le souvenir de Dieu, pour songer aux choses temporelles et corruptibles; et l’oracle de Salomon s’applique à nous fort justement : On me frappe, mais je ne l’ai pas senti; ou me joue, et je ne m’en suis pas aperçu (Prov 23,35). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 7
Ici je commence, par une Faveur du Christ, la vingt-quatrième conférence, qui est de l’abbé Abraham. Elle clôt les enseignements et préceptes des anciens. Lorsque, par vos prières, je l’aurai achevée, je m’estimerai quitte de toutes mes promesses, ayant rempli ce nombre de vingt-quatre, qui est dans un rapport mystique avec les vingt-quatre vieillards de la sainte Apocalypse, offrant leurs couronne, à l’Agneau. Si nos vingt-quatre anciens (Apo 4,4) méritent quelque couronne de gloire pour leur belle doctrine, ils l’offriront aussi, le front dans la poussière, à l’Agneau qui a été immolé en vue du salut du monde. C ‘est lui qui a daigné départir, pour l’honneur de son Nom, à eux un sens si excellent, et à moi un style quelconque, afin d’exprimer de telles profondeurs : il faut rapporter à l’Auteur de tout bien le mérite de ses Dons. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 1
Ainsi en va-t-il de notre âme. Si le moine ne fait de la charité le centre immobile autour duquel toutes ses oeuvres rayonnent; s’il ne redresse ses pensées ou ne les rejette, en se guidant, pour ainsi dire, par le compas très sûr de la charité : il ne réussira jamais à construire avec une véritable habileté l’édifice spirituel dont l’apôtre Paul est l’architecte (cf. 1 Co 3,10); il ne connaîtra pas la beauté de ce temple intérieur que le bienheureux David désirait de présenter à Dieu, lorsqu’il s’écriait : Seigneur, j’ai aimé la beauté de ta Demeure et le lieu où réside ta Gloire (Ps 25,8). Mais il élèvera sans art, dans son coeur, un temple sans beauté, indigne du saint Esprit et destiné à s’abîmer sans retard. Loin d’avoir la gloire d’y habiter avec l’Hôte divin, il sera écrasé misérablement sous ses ruines. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 6
À la vérité, sauf l’espèce de moines qui vit, selon le précepte de l’Apôtre, du travail de ses mains, tout le genre humain s’attend à la charité d’autrui. Non seulement ceux qui font gloire de subsister des biens de leurs parents, du travail de leurs gens ou des fruits de leurs domaines, mais les rois eux-mêmes doivent à l’aumône leur entretien. Et c’est aussi le sens des décisions de nos pères : tout ce qui, sur notre dépense quotidienne, ne provient pas du travail de nos mains, il faut, d’après eux, le porter au compte de la charité. Ils suivent d’ailleurs en ce point l’enseignement de l’Apôtre, qui interdit aux oisifs tout secours de la libéralité d’autrui : Celui qui ne veut pas travailler, déclare-t-il, ne doit pas non plus manger (2 Thess 3,10). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 12
Des choses visibles passant aux invisibles, nous pouvons bien croire que l’énergie des vices se trouve aussi localisée dans les différentes parties et, si l’on peut dire, les membres de l’âme. Or, les sages y distinguent trois facultés, la raisonnable, l’irascible et la concupiscible. L’une ou l’autre sera nécessairement altérée, toutes les fois que le mal nous attaquera. Lors donc que la passion mauvaise touche quelqu’une de ces puissances, c’est d’après l’altération qu’elle y détermine, que le vice particulier reçoit sa dénomination. Si la peste vicieuse infecte la partie raisonnable, elle y engendre la vaine gloire, l’élèvement, la superbe, la présomption, la contention, l’hérésie. Si elle blesse la partie irascible, elle enfante la fureur, l’impatience, la tristesse, la cruauté. Si elle corrompt la partie concupiscible, elle produit la gourmandise, l’impureté, l’amour de l’argent, les pernicieux et terrestres désirs. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 15
Si donc vous voulez connaître la source et l’origine du mal dont vous souffrez, sachez que c’est la partie raisonnable de votre âme qui a été blessée; car c’est d’elle que pullulent les vices de la présomption et de la vaine gloire. Et par conséquent, il faut traiter ce membre principal, si je puis dire, par le jugement de la discrétion et la vertu d’humilité : puisque c’est ensuite de son altération que, pensant être parvenus au sommet de la perfection et vous jugeant capables de former les autres, l’élèvement de la vaine gloire vous a emportés dans les futiles divagations que vous m’avez confessées. Il vous sera facile de retrancher toutes ces frivolités, lorsque vous serez une fois fondés, comme je viens de le dire, dans la vertu d’humilité. Alors, touchés de contrition, vous verrez quelle oeuvre laborieuse et malaisée c’est pour chacun de sauver son âme; et vous acquerrez la conviction profonde que, bien éloignés de pouvoir enseigner les autres, vous avez encore besoin vous-mêmes du secours d’un maître. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 16
La Grâce du Sauveur, bénigne à notre endroit, nous procure, par la lutte contre les tentations, une plus belle couronne de gloire, qu’elle n’eût fait, en nous dispensant du combat. Il est d’une vertu plus sublime et plus excellente, quoique assiégé de persécutions et d’épreuves, de demeurer toujours inébranlable, et de garder jusqu’au bout la même confiante intrépidité par la pensée du Secours divin, de se faire des attaques des hommes comme l’armure d’une vertu invincible, remportant sur l’impatience un triomphe très glorieux, et par le moyen de la faiblesse conquérant la vertu, car la vertu s’achève dans l’infirmité (2 Co 12,9). Il est dit en effet : Voici que je t’établis en ce jour comme une ville fortifiée, une colonne de fer et un mur d’airain, sur tout le pays, sur les rois de Juda, ses princes, ses prêtres et tout le peuple du pays. Et ils te feront la guerre; mais ils ne prévaudront point, parce que je suis avec toi pour te délivrer, dit le Seigneur (Jér 1,18-19). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 25
Oui, violents avec gloire, ceux qui font violence à leur perdition : L’homme, parmi les douleurs, travaille pour lui-même, et empêche de force sa propre perte (Prov 16,26). Notre perdition, c’est le plaisir de la vie présente, et, pour parler plus nettement, l’accomplissement de nos désirs et de nos volontés. Celui qui les éloigne de son âme et les mortifie, fait en vérité une glorieuse et utile violence à sa perdition, car il renonce à ce qu’il a de plus cher. Ce sont, aussi bien, nos volontés propres que la Parole divine accuse maintes fois par le ministère du prophète : Votre volonté propre se trouve au jour de votre jeûne (Is 58,3) et encore : Si tu t’abstiens de voyager le jour du sabbat, et de faire ta volonté au jour qui M’est consacré; si tu l’honores, en ne suivant point tes voies, en ne faisant pas ta volonté et en ne disant point de paroles vaines (Ibid., 13); puis, aussitôt elle joint la récompense promise à qui en agit de la sorte : Alors, tu trouveras tes délices dans le Seigneur, et je t’élèverai sur les hauteurs du pays, et je te donnerai, pour le nourrir, l’héritage de ton père Jacob. La bouche du Seigneur a parlé (Ibid., 14). Et c’est pourquoi notre Seigneur et Sauveur, pour nous donner l’exemple de ce renoncement à la volonté propre : Je ne suis pas venu, dit-Il, pour faire ma Volonté, mais la Volonté de Celui qui M’a envoyé (Jn 6,38) et de nouveau : Non pas comme Je veux, mais comme Tu veux (Mt 26,39). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26
Enfin, pour clore cette conférence, est-ce que les fidèles serviteurs du Christ ne sont pas encore payés de retour au centuple, lorsque les plus hauts princes de la terre les honorent à cause de son Nom ? Certes, ce n’est pas qu’ils recherchent eux-mêmes la gloire humaine. Et néanmoins, ils sont en respect aux juges et aux puissants, jusque parmi les extrémités de la persécution. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26
Peut-être l’obscurité de leur naissance ou leur condition servile les eussent-elles rendus méprisables pour leur bassesse, même aux yeux de la classe moyenne, s’ils étaient restés dans la vie séculière. Mais la milice du Christ les a anoblis. Et personne n’ose plus soulever de critiques sur leur rang social, personne n’ose leur opposer la petitesse de leur origine. Bien plus, le misérable appareil d’une condition basse, qui est à confusion et déshonneur au reste des hommes, devient un nouveau titre de noblesse et de gloire pour les serviteurs du Christ. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26