De vrai, c’est la foi qui fait éviter la souillure du vice par crainte du jugement futur et des éternels supplices; c’est l’espérance qui rappelle notre esprit des choses présentes et, dans l’attente des célestes récompenses, méprise tous les plaisirs du corps; c’est la charité qui, nous enflammant d’une sainte ardeur à l’amour du Christ et à cueillir le fruit des vertus spirituelles, nous inspire une aversion suprême pour tout ce qui leur est contraire. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Aussi le bienheureux Apôtre préfère-t-il la charité, non seulement à la crainte et à l’espérance, mais à tous les charismes, si grands et si merveilleux dans l’estime des hommes; et il la montre comme la voie excellente entre toutes sans comparaison. Après avoir achevé la liste des charismes spirituels, il se propose de décrire les manifestations diverses de la charité. Or, voici comme il commence : «Aussi bien, je vais vous montrer une voie excellente entre toutes. Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, que j’aurais le don de prophétie, connaîtrais tous les mystères et posséderais toute science; quand j’aurais la foi jusqu’à transporter les montagnes, que je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres et livrerais mon corps aux flammes : si je n’ai l’amour, tout ne me sert de rien.» (1 Cor 12,31). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Mais nous avons un corps aussi, qui est une pauvre bête de somme. Il y faut songer, comme notre Sauveur nous en prévient si charitablement, de peur qu’il ne défaille en chemin, «car l’esprit est prompt, mais la chair est faible.» (Mt 26,41). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Prenons donc la peine de lui donner quelque nourriture. Le corps étant refait, l’esprit sera aussi plus appliqué à la question que vous désirez examiner. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Tout d’abord, qu’en pense au juste le bienheureux Apôtre ? «Mortifiez, dit-il, les membres de l’homme terrestre.» (Col 3,5). Mais, avant de pousser plus loin, quels sont ces membres qu’il ordonne de mortifier ? Son dessein n’est pas de nous porter à quelque mutilation barbare. Ce qu’il désire, c’est que le zèle de la sainteté parfaite détruise au plus tôt le corps de péché, lequel naturellement est formé de membres divers. «Afin que soit détruit le corps de péchés,» dit-il en un autre endroit, puis, il explique en quoi consiste cette destruction : «Pour que nous ne soyons, plus esclaves du péché.» (Rom 6,6). C’est aussi de ce corps qu’il demande avec gémissement d’être délivré : «Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ?» (Ibid.) Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Du corps de péché et de ses membres Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ce sont les vices qui forment les membres multiples du corps de péché; tout ce qui se commet de mal en actions, paroles ou pensées lui appartient. Ces membres sont qualifiés de terrestres, et avec bien de la raison. Qui en use ne saurait, sans mentir, proclamer hautement : «Pour nous, notre vie est dans les cieux.» (Phil 3,20). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Assurons-nous cependant que la plus austère abstinence, je veux dire la faim et la soif, ni les veilles, ou le travail assidu, ou l’application incessante à la lecture ne nous mériteront la pureté constante de la chasteté. Parmi ce continuel labeur, il faut encore apprendre de l’expérience qu’une telle intégrité est un don libéral de la grâce divine. De notre persévérance infatigable dans ces exercices quel sera donc le fruit ? D’obtenir, en affligeant notre corps, la miséricorde du Seigneur; de mériter qu’il nous délivre par un bienfait de sa main des assauts de la chair et de la tyrannie toute-puissante des vices. Mais ne nous flattons pas d’arriver par leur moyen à l’inviolable chasteté que nous souhaitons. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Lorsque de quotidiens exercices l’auront conduite à cet état, elle connaîtra par expérience le sentiment qui s’exprime dans ce verset, que tous, à la vérité, nous chantons sur le rythme accoutumé de la psalmodie, mais dont un petit nombre seulement, que l’expérience a instruits, pénètrent tout le sens : «J’avais les yeux vers le Seigneur toujours, parce qu’il est à ma droite, de peur que je ne chancelle.» (Ps 15,8). Oui, celui-là seul aura l’intelligence intime et vivante de ces, paroles, qui, parvenu à la pureté d’âme et de corps dont nous parlons, comprendra que c’est le Seigneur qui, à tout instant, l’y maintient, de peur qu’il ne retombe de ces hauteurs à sa misère, et qui protège constamment sa droite, c’est-à-dire ses actions saintes. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ce n’est pas à la gauche de ses saints que le Seigneur se tient toujours, parce que le saint n’a rien en soi qui gauchisse, mais à leur droite. Les pécheurs et les impies, eux, ne le voient pas : ils n’ont point cette droite où le Seigneur se tient, et ne peuvent dire avec le prophète : «Mes yeux sont tournés constamment vers le Seigneur, car c’est lui qui dégagera mes pieds du lacet.» (Ps 24,15). De telles paroles ne sont vraies que dans la bouche de celui qui considère toutes les choses de ce monde comme pernicieuses ou superflues, comme inférieures du moins à la vertu consommée, et dirige tous ses regards, son étude et ses soins à la garde de son coeur, vers la chasteté très pure. L’esprit se lime, pour ainsi dire, à ces exercices; il se polit à mesure qu’il progresse. La sainteté parfaite de l’âme et du corps est au bout de la carrière. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Plus on grandit dans la douceur de la patience, plus on profite dans la pureté du corps; on est d’autant plus ferme dans la chasteté, que l’on a repoussé plus loin le vice de la colère. Car il est impossible d’éviter les révoltes de la chair, à moins d’étouffer premièrement les emportements du coeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
L’une des béatitudes exaltées par la bouche de notre Sauveur nous rend cette vérité manifeste : «Heureux les doux, parce qu’ils posséderont la terre.» (Mt 5,4). Nous n’avons point d’autre moyen de posséder notre terre, c’est-à-dire de soumettre à notre empire la terre rebelle de notre corps, que de fonder tout d’abord notre âme en la douceur de la patience; dans les combats que la passion suscite à notre chair, le triomphe ne s’obtient que si l’on revêt les armes de la mansuétude : «Les doux, dit le prophète, posséderont la terre,» et «ils y demeureront à jamais.» (Ps 36,11 et 29). Puis, il nous enseigne, dans la suite du psaume, la méthode pour conquérir cette terre : «Attends le Seigneur et garde sa voie; il t’élèvera, et tu posséderas la terre en héritage.» (Ps 36,34). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ces gémissements ne seront jamais plus à propos ni plus fondés que, lorsqu’après être longtemps demeurés purs, espérant déjà d’avoir échappé pour toujours à la souillure de la chair, nous sentirons ses aiguillons s’insurger de nouveau contre nous à cause de l’élèvement de notre coeur, ou serons victimes d’une illusion nocturne. Parce qu’on a joui longtemps de la pureté du coeur et du corps, par une suite naturelle on se flatte de ne pouvoir plus déchoir dorénavant de ces blancheurs, et tout au fond de soi-même on se glorifie dans une certaine mesure : «J’ai dit dans le sentiment de mon abondance : Je ne serai jamais ébranlé.» (Ps 29,7). Mais le Seigneur fait-il mine, pour notre bien, de nous abandonner : la pureté qui nous donnait tant d’assurance, commence de se troubler; au milieu de notre prospérité spirituelle, nous nous voyons chanceler. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
C’est en vain qu’on dispute sur la fin d’un art ou d’une science, si l’on ne commence par entrer à plein coeur et de toutes ses forces dans les voies qui peuvent en livrer à fond le secret. Par exemple, j’affirme qu’il est possible d’extraire du froment une sorte de miel ou une huile très douce, analogue à celle des graines de rave ou de lin. Quelqu’un, dans l’assistance, n’a pas la moindre notion du fait. Il se récrie : «Ce que vous dites va contre la nature des choses; c’est un mensonge évident.» Et de me tourner en ridicule. Je produis des témoins sans nombre, qui affirment avoir vu de leurs yeux; ils ont goûté; ils ont eux-mêmes fabriqué de ces produits. J’explique en outre toute la série des transformations qui font passer la substance du froment à l’état de corps gras comme l’huile ou doux comme le miel. Il n’en persiste pas moins dans sa sotte persuasion, et s’obstine à nier que de ce grain il puisse rien sortir de sucré ou de gras. Ne faudra-t-il pas plutôt blâmer son opiniâtreté qui va contre toute raison, que contester ironiquement la vérité de mes paroles, appuyée comme elle est de témoignages nombreux fidèles, autorisés, de démonstrations évidentes, et qui plus est, prouvée par l’expérience ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
GERMAIN. Nous ne sommes pas sans avoir éprouve nous-mêmes en quelque façon qu’il est possible, avec la grâce de Dieu, de garder son corps parfaitement pur durant la veille. Nous ne nions pas que la rigueur d’une vie austère et la résistance de la raison ne puissent alors empêcher toute révolte de la chair. Mais restera-t-elle également paisible durant le sommeil ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Celui-là donc qui dépasse le degré figuré par Jacob «le supplantateur», s’élève, après avoir paralysé la force de la chair, des luttes de la continence et du corps à corps pour la destruction des vices au titre glorieux d’Israël, son coeur ne déviant plus de sa direction vers Dieu. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Là s’arrêta le discours de l’abbé Cheremon sur la chasteté parfaite; telle fut la conclusion qu’il donna à son admirable doctrine sur la pureté la plus sublime. Si grande cependant était notre stupeur, que nous restions comme oppressés. Mais lui, voyant que la plus grande part de la nuit était déjà passée, nous conseilla de ne point dérober à la nature le sommeil qu’elle réclame, de crainte que la torpeur du corps n’alanguît l’âme à son tour, et ne lui fit perdre sa vigoureuse et sainte ardeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Tout d’abord, il ne faut pas croire que les philosophes soient jamais parvenus à la chasteté d’âme qui est exigée de nous; car songez à ce qui nous est enjoint : ce n’est pas seulement la fornication, c’est l’impureté même qui ne doit pas être nommée parmi nous ! Mais ils eurent une certaine chasteté partielle, qui consistait à pratiquer la continence extérieure, sans réprimer davantage les passions de la chair. Quant à la pureté intérieure de l’âme, à la pureté constante du corps, ils n’ont pu, je ne dirai pas l’obtenir en effet, mais en avoir seulement l’idée. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Nous lisons qu’il épancha sa grâce avec la même surabondance lors de la guérison du paralytique. Celui-ci ne demandait que d’être délivré de la langueur qui avait énervé tous les ressorts de son pauvre corps; le Seigneur commence par lui donner la santé de l’âme : «Aie confiance, mon fils, tes péchés te sont remis» (Mt 9,2). Là-dessus, comme les Scribes ne voulaient pas croire qu’il pût remettre les péchés des hommes, pour confondre leur incrédulité, il rend encore, par la parole de sa puissance, la santé à ses membres paralysés : «Pourquoi pensez-vous le mal dans vos coeurs ? Lequel est le plus facile, de dire : Tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a, sur la terre, le pouvoir de remettre les péchés: Lève-toi, dit-il au paralytique, prends ton lit, et retourne à ta maison» (Ibid. 4-6). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
C’est en vain que l’on tend à voir Dieu, si l’on n’évite la contagion des vices, car «l’Esprit de Dieu hait l’astuce et n’habite point dans un corps esclave du péché.» (Sag 1,5). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Sachons-le pourtant, il nous coûtera deux fois plus de labeur et de peine pour expulser les vices que pour acquérir les vertus. Je ne parle point ici par conjecture personnelle. C’est une vérité qui nous est mise en tout son jour par le propre jugement de Celui qui seul connaît les forces et la condition de la créature qu’il a faite : «Voici, dit-il, que je t’ai établi aujourd’hui sur les nations et les royaumes, afin que tu arraches et que tu détruises, que tu perdes et que tu dissipes, que tu édifies et que tu plantes.» (Jer 1,10). Pour ôter ce qui est mauvais, il a marqué quatre choses nécessaires, qui sont d’arracher et de détruire, de perdre et de dissiper: mais deux seulement, édifier et planter, pour se rendre parfait dans les vertus et acquérir tout ce qui regarde la justice. D’où il ressort évidemment qu’il est plus difficile d’arracher et déraciner les vices invétérés du corps et de l’âme, que d’édifier et planter les vertus spirituelles. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Mais il est utile et séant à chacun, selon l’état de vie qu’il a choisi ou la grâce qu’il a reçue, de se hâter en toute ardeur et diligence vers l’achèvement de l’oeuvre entreprise. Il pourra bien louer et admirer les vertus des autres. Mais qu’il ne sorte point pour cela de la profession qu’il a lui-même une fois embrassée, sachant que, suivant l’Apôtre, le corps de l’Église est un, mais les membres plusieurs, et qu’elle a «des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée : soit de prophétie, pour l’exercer conformément à la règle de la foi; soit de ministère, pour l’exercer dans les fonctions du ministère. Si quelqu’un a reçu le don d’enseigner, qu’il enseigne ! d’exhorter, qu’il exhorte ! Que celui qui donne, le fasse en simplicité; celui qui préside, en diligence; celui qui pratique la miséricorde, avec une aimable gaieté !» (Rom 12,6-8). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
NESTEROS. — Ce n’est pas examiner comme il convient la portée d’une doctrine, que de ne pas prendre le soin de peser tous les termes qui l’expriment. Nous avons dit déjà que cette sorte de gens n’ont rien qu’une certaine habileté à parler, avec de l’agrément dans le discours; mais qu’ils sont incapables d’entrer au coeur de l’Écriture et dans le mystère des sens spirituels. La science véritable ne se trouve que chez ceux qui honorent vraiment Dieu. Ce peuple ne l’a certes point, à qui il est dit : «Écoute, peuple insensé, qui n’as point de coeur; vous qui avez des yeux et ne voyez point, des oreilles et n’entendez point;» (Jer 5,21) et de nouveau : «Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai à mon tour, et ne souffrirai pas que tu remplisses les fonctions de mon sacerdoce.» (Os 4,6). Il est écrit que «tous les trésors de la science sont cachés» (Col 2,3) dans le Christ. Dès lors, comment croire que celui qui dédaigne de trouver le Christ, ou qui, l’ayant trouvé, le blasphème d’une bouche sacrilège, comment croire que celui qui déshonore la foi catholique par des oeuvres d’impureté, aient atteint à la vraie science ? «L’Esprit de Dieu, en effet, hait l’astuce et n’habite point dans un corps esclave du péché.» (Sag 1,5). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Ceci nous conduit à expliquer dans un nouvel entretien les diverses manières dont le Seigneur accorde le charisme des guérisons, pour expulser les démons. Mais il est temps de nous lever et d’aller prendre notre repas. Nous réserverons pour ce soir l’examen de cette question. L’intelligence saisit toujours mieux ce qu’on lui présente peu à peu et sans fatigue excessive pour le corps. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
De là leur stratagème : on les voit prononcer avec effroi le nom de personnes qu’ils savent entièrement dépourvues de sainteté et de fruits spirituels, comme si leurs mérites étaient un enfer insupportable qui les chasse du corps des possédés. Mais de ces personnes, il est dit dans le Deutéronome : «S’il s’élève du milieu de toi un prophète ou quelqu’un qui dise avoir vu, un songe, et qu’il te prédise un signe ou un prodige, et que ce qu’il a dit s’accomplisse, puis qu’il le dise : Allons, et suivons des dieux étrangers que tu ignores, et servons-les : tu n’écouteras point les paroles de ce prophète ou de ce songeur, parce que le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu’il paraisse si vous l’aimez, ou non, de tout votre coeur et de toute votre âme.» (Dt 13,1-3). Il est dit de même dans l’Évangile : «Il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes, et ils feront de grands signes et de grands prodiges, jusqu’à induire dans l’erreur, s’il se pouvait, même les élus.» (Mt 24,24). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Il existe en Égypte un usage que les habitants ont adopté par suite des inondations du Nil. Durant une partie notable de l’année, le pays, recouvert sur toute son étendue par le débordement régulier des eaux, ressemble a une mer immense, et l’on ne peut plus y voyager qu’en barque. En conséquence, les morts, après avoir été embaumés des aromates les plus forts, sont déposés dans de petites cellules plus élevées que le reste du sol. Car la terre, continuellement saturée d’eau, ne permet pas qu’on lui confie les corps; si on la creuse, pour y déposer quelque cadavre, la force de l’inondation est telle, qu’elle le fait remonter à la surface. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Il est plus admirable d’expulser les vices de soi-même que les démons du corps d’autrui. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Aussi bien, est-ce un plus grand miracle d’extirper de sa propre chair le foyer de la luxure, que d’expulser les esprits immondes du corps d’autrui; un signe plus magnifique de contenir par la vertu de patience les mouvements sauvages de la colère, que de commander aux puissances de l’air. C’est quelque chose de plus, d’éloigner de son propre coeur les morsures dévorantes de la tristesse, que de chasser les maladies et les fièvres des autres. Enfin, c’est, à bien des titres, une plus noble vertu, un progrès plus sublime, de guérir les langueurs de son âme, que les faiblesses corporelles d’autrui. Plus l’âme est au-dessus de la chair, plus est préférable son salut; plus sa substance l’emporte par l’excellence et le prix, plus grave et funeste serait sa perte. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Cette révélation frappa vivement le vieillard. Il ne voulut point tenter la chance de l’expérience qui lui avait été indiquée de par Dieu. Mais il interrogea sa conscience, examina la pureté de son coeur; et, jugeant que sa chasteté n’était pas encore à la mesure d’une telle épreuve : «Il n’est pas étonnant, se dit-il, que même après avoir vu les esprits immondes reculer devant moi, je ne laisse pas d’éprouver encore les brûlures ennemies du feu, que j’avais cru d’abord moins terribles que leurs cruels assauts. C’est une vertu plus haute, une grâce plus sublime, d’éteindre en soi le feu de la chair, que de subjuguer, par le signe de la croix et la puissance du Très-Haut, les esprits mauvais qui nous attaquent de l’extérieur, ou de les chasser du corps des possédés par l’invocation du Nom divin. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
C’est peu pour eux d’avoir soulevé des querelles, si par leurs paroles provocantes, ils n’irritent leurs frères, de manière à les porter à des voies de fait. Puis, à peine le plus léger coup les a-t-il effleurés, ils présentent à frapper leur corps par un autre côté, pensant bien accomplir ainsi en perfection le commandement : «Si quelqu’un vous frappe sur une joue, présentez-lui encore l’autre.» (Mt 5,39). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Le Seigneur désire donc extirper complètement des plus profondes retraites de l’âme le foyer de la colère. Il veut que l’homme extérieur se voyant frapper sur la joue droite par un injuste agresseur, votre homme intérieur présente aussi à frapper sa joue droite, en consentant humblement à l’affront; qu’il prenne part à la souffrance de l’homme extérieur, soumettant et abandonnant en quelque sorte son propre corps à l’injure. Car il ne faut pas que l’homme intérieur s’émeuve, même silencieusement, du coup reçu par l’homme extérieur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
JOSEPH — Les occasions et les causes de perdition ne manqueront jamais à ceux qui doivent, ou plutôt qui désirent se perdre. Il ne faut pas rejeter, ni rayer du corps des Écritures, les témoignages qui animent la perversité des hérétiques, endurcissent le juif dans son infidélité ou choquent l’enflure de la sagesse païenne; mais les croire religieusement, les tenir immuablement, les prêcher selon la vérité du sens littéral. Nous n’avons pas le droit, sous le beau prétexte de l’infidélité d’autrui, de renier les actions des prophètes et des saints racontées par l’Écriture. En croyant devoir condescendre à la faiblesse des incrédules, nous nous rendrions coupables de mensonge, et qui plus est, de sacrilège. Mais il faut les avouer telles que le récit les présente, et montrer comment il n’y a rien en elles que de pieux. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
L’autorité du docteur des nations nous enseigne à suivre ce chemin; car, ayant à parler de la grandeur de ses révélations, il a voulu le faire sous le nom d’un autre : «Je connais un homme dans le Christ qui — fût-ce dans son corps ou hors de son corps, je l’ignore, Dieu le sait, — a été ravi jusqu’au troisième ciel. Et je sais que cet homme fut enlevé dans le paradis, et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de dire.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Pour ceux en qui brûlait encore la flamme des temps apostoliques, fidèles au souvenir de la perfection des jours anciens, ils quittèrent les cités, et la compagnie de ceux qui croyaient licite pour soi ou pour l’Église de Dieu la négligence d’une vie relâchée. Établis aux alentours des villes, en des lieux écartés, ils se mirent à pratiquer privément et pour leur propre compte les règles qu’ils se rappelaient avoir été posées par les apôtres pour tout le corps de l’Église. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Près de deux semaines durant, il se met ainsi aux pieds de tous, dans la plus grande contrition d’esprit et de corps; jusque-là que, le samedi et le dimanche, il accourait à l’église de grand matin, non pour recevoir la sainte communion, mais pour se prosterner à la porte et implorer en suppliant son pardon. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Si jamais personne se plut dans le secret de la solitude, au point d’oublier le commerce des hommes et de pouvoir dire avec Jérémie : «Je n’ai pas désiré le jour de l’homme, vous le savez,» (Jer 17,16) j’avoue que le Seigneur me fit la grâce de m’établir dans cette disposition, ou de m’efforcer au moins d’y parvenir. Je me souviens d’avoir été souvent ravi en de tels transports, par une faveur toute miséricordieuse de notre Seigneur, que j’en oubliais le fardeau de ce corps de fragilité. Mon âme s’isolait tout à coup des sens extérieurs, et sen allait si loin du monde matériel, que ni mes yeux ni mes oreilles ne s’acquittaient plus de leur fonction. La pensée des choses de Dieu et la contemplation spirituelle remplissaient mon coeur à tel point, que fréquemment, je ne savais, le soir, si j’avais pris de la nourriture durant le jour, et restais incapable de décider, le lendemain, si j’avais rompu le jeûne le jour d’auparavant. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
L’aveu qu’on fait de ses crimes a pareillement le don de les effacer : «J’ai dit : Je déclarerai contre moi mon injustice au Seigneur; et vous avez pardonné l’impiété de mon coeur»; (Ps 31,5). «Raconte tes iniquités, afin que tu sois justifié.» (Is 43,26). On obtient encore la rémission du mal que l’on a commis, par l’affliction du coeur et du corps : «Voyez mon affliction et ma peine, et pardonnez-moi tous mes péchés.» Surtout par l’amendement de la vie : «Ôtez de devant mes yeux la malice de vos pensées. Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien. Cherchez la justice, secourez l’opprimé, faites droit à l’orphelin, défendez la veuve. Et après cela, venez et discutez contre moi, dit le Seigneur. Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, ils deviendront blancs comme la neige; quand ils seraient rouges comme la pourpre, ils deviendront blancs comme la neige la plus blanche.» (Is 1,16-18). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Voilà donc la disposition qu’il faut revêtir tout d’abord. Ensuite, les jeûnes quotidiens, la mortification de l’esprit et du corps obtiendront la grâce de la satisfaction; car, selon qu’il est écrit : «Sans effusion de sang, il n’y a pas de rémission.» (Hb 9,22). Et justement. En effet, «la chair ni le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu.» (1 Cor 15,50). Par suite, quiconque retient «le glaive de l’esprit, qui est la parole de Dieu,» (Eph 6,17) afin d’empêcher cette effusion du sang, celui-là tombera sans aucun doute sous la malédiction de Jérémie : «Maudit, celui qui refuse le sang à l’épée !» Jer 78,10). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
C’est pour des fautes de cette nature que David implore d’être purifié, et pardonné, lorsqu’il prie le Seigneur en ces termes : «Qui connaît ses manquements ? De ceux que j’ignore, purifiez-moi; faites grâce à votre serviteur de ceux que je ne connais pas.» (Ps 18,13-14). Et l’Apôtre à son tour : «Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas.» (Rom 7,19). Toujours pour le même sujet, il s’écrie avec un sanglot : «Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ?» (Ibid. 24). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Il répondait en alléguant la condition de l’humaine nature, combien fragile, combien incertaine ! Quel péril à s’engager dans les désirs et les oeuvres de la chair ! Il ajoutait qu’il n’était loisible à personne, de mettre comme une frontière entre soi et le bien que l’on avait reconnu infiniment digne d’être embrassé. Puis, il y avait plus de danger à mépriser le bien connu, qu’à ne pas l’aimer inconnu. Lui-même, n’était-il pas déjà sous la prévarication, dès là qu’ayant découvert des biens si magnifiques et si célestes, il leur en avait préféré de terrestres et de sordides ? Les grandeurs de la perfection convenaient à tout âge, à tout sexe; tous les membres de l’Église étaient invités à gravir les hauteurs des vertus les plus sublimes : Courez, avait dit l’Apôtre, afin de remporter le prix. (1 Cor 9,24). Les retards des apathiques et des lâches ne devaient point retenir la prompte ardeur des enthousiastes. N’était-ce pas le droit, que l’avant-garde entraînât les paresseux, plutôt que de voir sa course entravée par leur poids mort ? Au surplus, sa résolution était prise, de renoncer au siècle et de mourir au monde, afin de vivre à Dieu; et s’il ne pouvait obtenir ce bonheur, de passer avec sa compagne dans la société du Christ, il aimait mieux être sauvé avec un membre de moins, et entrer mutilé dans le royaume des cieux, plutôt que d’être damné avec son corps entier. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Des exemples. Voici venir un frère. C’est le Christ qu’en sa Personne nous devons hospitaliser, et recevoir avec la plus aimable charité. Mais on préfère observer strictement le jeûne. N’est-ce pas là encourir le reproche d’inhumanité, plutôt que s’acquérir la gloire et le mérite de la dévotion ? — Ou bien l’épuisement et la faiblesse du corps exigent des aliments, pour qu’il puisse réparer ses forces. Cependant, tel ne consent point à fléchir la rigueur de son abstinence. Ne faudra-t-il pas l’estimer cruel, et homicide de lui-même, plutôt que soucieux de son salut ? — De même encore, il se trouve qu’une fête invite à une trêve d’abstinence, et, en concédant un usage raisonnable de la nourriture, permet une réfection d’ailleurs nécessaire. Quelqu’un s’obstine, néanmoins dans l’observance rigide et ininterrompue de ses jeûnes. On le taxera moins de religion que de sottise et de déraison. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Or, ces notes auxquelles se reconnaît le bien essentiel, ne sauraient être attribuées au jeûne en aucune façon. — Il n’est pas bon de soi, ni nécessaire pour lui-même : ce qui en fait la pratique salutaire, c’est qu’elle se propose d’acquérir la pureté de coeur et de corps, et de réconcilier l’âme purifiée avec son Auteur, en émoussant les aiguillons de la chair. — Il n’est pas toujours et immuablement bon; car il nous arrive fréquemment de l’interrompre, sans en éprouver aucun dommage. Bien plus, il tourne à la perte de l’âme, lorsqu’on s’y livre à contretemps. — Son contraire, c’est-à-dire le plaisir que l’on trouve naturellement à manger, n’est pas non plus un mal essentiel, car, s’il ne s’accompagne d’intempérance, de luxure ou de quelque autre vice, on ne peut dire qu’il soit mauvais : Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme. (Mt 15,11). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
GERMAIN. — La chair ne sera-t-elle point flattée par les douceurs insolites d’une fête si prolongée ? Et dès lors, se peut-il que la racine des vices, si bien retranchée qu’elle soit, ne germe pas des épines nouvelles ? L’esprit, appesanti par une bonne chère inaccoutumée ne fléchira-t-il pas la rigueur de son empire a l’égard de son serviteur le corps ? Chez nous surtout, la verdeur de la jeunesse ne va-t-elle pas tôt pousser à la rébellion nos membres domptés, si nous prenons les mets habituels avec une plus grande abondance, ou nous en permettons d’extraordinaires ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
THÉONAS. — Pesons tous nos actes sur la balance de la raison; et, pour ce qui regarde la pureté du coeur, consultons toujours notre conscience, non le jugement d’autrui : moyennant quoi, cette trêve ne saurait assurément faire tort à une juste austérité. Mais, encore une fois, il faut, d’une âme impartiale, faire la mesure égale à l’indulgence et à l’abstinence, et les maintenir en équilibre, de façon à corriger tout excès, d’une part comme de l’autre; distinguer, à la lumière de la véritable discrétion, si le poids des délices déprime la partie spirituelle, ou si l’excessive rigueur de notre jeûne déprime l’autre plateau, qui est celui du corps; appuyer, enfin, sur le plateau que nous voyons s’élever, et soulever celui que nous voyons s’abaisser. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
On observera donc la solennité de la Pentecôte, de manière que les adoucissements consentis durant cette période profitent au bien du corps et de l’âme, plutôt que de leur nuire. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Hélas ! il n’est point de fête dont la joie puisse étouffer les aiguillons de la chair. Nous avons en elle un adversaire farouche, que ne sait point adoucir la révérence due aux plus saints des jours. Il est possible toutefois de conserver aux fêtes la solennité fixée par la coutume, sans outrepasser la mesure d’une salutaire parcimonie. Il suffira de ne pas laisser franchir à l’indulgence et aux douceurs les limites suivantes : la nourriture que nous réservions pour la neuvième heure, nous la prendrons un peu plus tôt, c’est-à-dire à la sixième heure, étant donné le caractère festif du temps, mais nous ne changerons rien à la mesure accoutumée ni à la qualité, de crainte que la pureté de corps et l’intégrité d’âme conquises par l’abstinence du carême, ne se perdent par les mitigations de la Pentecôte, et qu’il ne nous serve de rien d’avoir obtenu par le jeûne ce qu’une imprudente satiété ne tarderait pas à nous arracher. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ils lui adressent en même manière la première offrande de leurs mains et de leurs pieds, lorsque, se levant de leur couche, ils se tiennent debout en oraison; et qu’au lieu d’accomplir les fonctions de leurs membres pour leurs propres affaires, ils n’en veulent d’abord rien distraire pour soi, mais n’avancent leurs pas qu’en vue de l’honneur de Dieu ou ne les arrêtent que pour sa louange, acquittant ainsi les prémices de tous leurs mouvements, par leurs mains tendues, et leurs genoux ployés, et tout leur corps prosterné. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Nous ne pouvons remplir, en effet, ce qui se chante dans le psaume : J’ai devancé le matin, et j’ai crié vers vous; (Ps 118,147). Mes yeux ont devancé le point du jour, pour méditer votre parole; (Ibid. 148) Le matin, ma prière vous préviendra, (Ps 87,14 que si, rappelés à la lumière du jour après le repos du sommeil, comme du sein des ténèbres et de la mort, nous n’osons rien prélever pour nos propres besoins, des fonctions de notre âme ni de notre corps. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Voici le point, si je ne me trompe, que touchait votre question : C’est parfois dans un temps de relâche et de joyeux abandonnement que les aiguillons de la chair semblent s’amollir; et il arrive, au contraire, que, redoublant d’abstinence, le corps languissant et épuisé, nous soyons pressés de plus rudes assauts, jusqu’au point de subir des souillures involontaires. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Les conséquences de notre voracité agissent, alors même que le corps est miné par le jeûne. Aussi, ne convient-il pas seulement d’éviter les mets délicats; il importe qu’une abstinence toujours égale modère l’usage des plus vils aliments. Même le pain et l’eau ne doivent pas être pris jusqu’à satiété, si, après avoir acquis la pureté du corps, nous prétendons qu’elle persévère, et imite en quelque façon la chasteté inviolée de l’esprit. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
La deuxième cause de tels accidents est celle-ci. L’âme se trouve vide : nulle occupation, nul exercice spirituels. Elle n’essaye plus de vivre selon les disciplines de l’homme d’intérieur; et, sa continuelle torpeur dégénérant en habitude, elle s’enveloppe comme d’une rouille de paresse. Ou bien elle prend peu de garde aux influences des pensées mauvaises, et en vient à désirer si mollement le degré sublime de la pureté du coeur qu’elle fait consister toute la somme de la perfection et de la chasteté dans l’affliction de l’homme extérieur. Erreur et nonchalance qui ont une suite funeste. La multitude vagabonde des pensées fait irruption, avec une impudente audace, dans le secret de l’âme; bien plus, les semences y persévèrent de tous les vices passés. Or, tant que celles-ci demeurent cachées dans ses replis profonds, les jeûnes les plus rigoureux dont on châtie le corps, n’empêcheront pas les songes voluptueux de venir inquiéter le sommeil… C’est bien pourquoi il importe avant tout de réprimer les divagations de la pensée, de peur que l’âme ne s’accoutume à ces écarts, puis ne se laisse entraîner, durant le sommeil, jusqu’aux impressions plus regrettables du vice. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Reste enfin la troisième cause. Par une pratique régulière et vigilante de l’abstinence, par la contrition du coeur et du corps, nous souhaitons d’acquérir la perpétuelle pureté de chasteté. Mais, tandis que nous prenons un soin si méritoire du bien du corps et de l’esprit, la jalousie perfide de l’ennemi imagine cette tactique savante. Abattre notre confiance, et nous humilier comme par une faute véritable : tel est son but. Là-dessus, il choisit particulièrement les jours où nous désirons plaire davantage à la divine Présence par une intégrité plus parfaite, pour souiller notre corps, afin de nous détourner de la très sainte communion. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Néanmoins, chez les commençants, dont le corps n’a pas encore été réduit par le long travail du jeûne, ces illusions semblent parfois servir une autre manoeuvre. C’est précisément alors qu’il les voit appliqués à des jeûnes plus intenses, que le démon tente de mettre à bas tous leurs efforts. Voici, en effet, son calcul. Éprouvant qu’ils n’ont rien gagné pour la pureté du corps à jeûner si sévèrement, mais que l’attaque en est devenue, au contraire, plus violente, peut-être prendront-ils l’abstinence en horreur, et considéreront comme une ennemie la maîtresse de l’intégrité, la nourrice de la pureté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Le cas serait différent, s’il y avait de notre faute. Il faut alors comme citer en justice notre conscience, songeant avec tremblement à ces paroles de l’Apôtre : Celui qui mangera le pain et boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du Corps et du Sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve lui-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice. Celui qui mange le pain et boit le calice du Seigneur, indignement, mange et boit sa propre condamnation, parce qu’il ne discerne pas le Corps du Seigneur (1 Co 11,27-29); c’est-à-dire, parce qu’il ne distingue pas cette nourriture céleste des aliments communs et vils, parce qu’il ne sait pas discerner qu’il n’est loisible de la recevoir qu’avec une âme et un corps purs. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Je connais un frère qui jouissait d’une chasteté constante de coeur et de corps, après l’avoir méritée à force de circonspection et d’humilité; mais, toutes les fois qu’il se préparait à la communion du Seigneur, il avait à déplorer un fait de ce genre. Longtemps, la frayeur le retint de participer aux sacrés mystères. À la fin, il va soumettre la question aux anciens, s’assurant de trouver dans leur conseil secourable un remède à ces attaques bien qu’à sa douleur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Ils passent donc sans retard à la deuxième cause. N’y a-t-il pas là faute de l’esprit et excès dans le jeûne ? Il s’en trouve, en effet, je dis des plus austères, qui s’élèvent insensiblement de leur pureté corporelle. Mais, alors, c’est le vice de la superbe qui leur ménage une pénible déception, parce qu’ils ont cru obtenir par leurs forces humaines ce qui est un don très particulier de Dieu, la chasteté du corps. On interroge donc le frère. Se croirait-il capable d’une telle vertu par ses propres efforts, en sorte qu’il se puisse passer du Secours divin ? Mais lui d’abominer une idée si impie. Il affirme humblement qu’il n’eût pas conservé son corps pur, même les autres jours, si la Grâce divine ne l’avait aidé. Dès lors, il fallait se rabattre sur la troisième cause. Tout est clair : on est en face d’une secrète machination du diable. Assurés qu’il n’y a faute ni de l’esprit ni de la chair, les anciens décident hardiment que le frère doit prendre part au sacré banquet. Persévérer dans son abstention, serait donner dans le piège adroit que lui tend la malignité de l’ennemi, rester éloigné du Corps du Christ et de sa Sainteté, et se voir à jamais exclu, par cette ruse diabolique, d’un si puissant moyen de salut. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Quant à nous, pour être délivrés de toute illusion regrettable, il faut tendre de toute notre force : premièrement, à triompher du vice impur, afin que, selon la parole du bienheureux Apôtre, le péché ne règne plus dans notre corps mortel par notre obéissance à ses convoitises; deuxièmement, à calmer et endormir la puissance de la chair, de manière à ne pas livrer nos membres au péché, comme des instruments d’iniquité; troisièmement, à mortifier jusque dans les moelles, notre homme intérieur tout instinct de concupiscence, nous offrant à Dieu comme vivants, de morts que nous étions. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Ces étapes progressives nous ferons parvenir à la tranquillité perpétuelle du corps, et, nous permettront d’offrir nos membres à Dieu, comme des instruments non de passion, mais de justice. Fondés en cette pureté de chasteté, le péché ne dominera plus sur nous. Car nous ne sommes plus sous la Loi, qui recommandait le mariage, mais sous la grâce, qui, en conseillant la virginité, rend innocent l’usage du mariage lui-même. (Rm 6,12-14) Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Quels sont ces fils et ces filles, à qui les premiers sont préférés, jusqu’à recevoir une place et un nom meilleurs, sinon les saints de l’Ancien Testament, qui, vivant dans le mariage méritèrent cependant l’adoption des fils par l’observation des commandements ? Mais quel est ce nom promis d’autre part pour insigne et suprême récompense, si ce n’est celui du Christ, que nous devions porter un jour ? Nom, duquel le même prophète dit ailleurs : Il appellera ses serviteurs d’un autre nom, en lequel celui qui doit être béni sur la terre, sera béni par le Dieu de Vérité, et celui qui doit être béni sur la terre, jurera par le Dieu de Vérité. (Is 65,15-16). Il dit encore : Et l’on t’appellera d’un nom nouveau que la Bouche du Seigneur dictera (Ibid., 62,2). En outre, pour cette pureté de coeur et de corps, les fidèles du Christ goûteront la béatitude souveraine et singulière de chanter le cantique que nul des saints ne peut chanter, sinon ceux qui suivent l’Agneau partout où il va, car ils sont vierges et ils ne se sont pas souillés avec des femmes. (Apoc 14,4). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Voulons-nous parvenir à cette gloire sublime des vierges : recherchons de toutes nos forces la chasteté de l’âme et de l’esprit, de peur que nous ne tombions dans le nombre des vierges folles, à qui leur virginité ne fut pas comptée. Elles s’étaient bornées à la chasteté du corps; et c’est pourquoi le nom de vierges leur est donné, mais de vierges folles, parce que, dans leurs vases, manquait l’huile de la pureté intérieure, et que dès lors s’éteignait tout l’éclat et toute la splendeur de leur virginité corporelle. Car il faut que l’intérieure pureté conserve et entretienne par son rayonnement la chasteté de l’homme extérieur, l’animant à persévérer toujours dans la perpétuelle intégrité. Aussi, les vierges folles, malgré leur titre de vierges, ne méritent-elles pas l’entrée glorieuse dans la chambre nuptiale de l’Époux avec les vierges sages, qui, elles, ont sans reproche gardé leur esprit, leur âme et leur corps intacts pour le jour de notre Seigneur Jésus Christ. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
C’est de lui et des saints qui lui ressemblent, que nous devons entendre ce que chante David : Le Seigneur affermit les pas de l’homme, et Il prend plaisir à sa voie. Si le juste tombe, il ne se brisera pas, parce que le Seigneur le soutient de sa Main (Ps 36,23-24). Celui dont les pas sont affermis par le Seigneur, peut-il ne pas être juste ? Et pourtant, c’est de lui qu’il est dit : S’il tombe, il ne se brisera pas. Que signifie : S’il tombe, sinon : S’il tombe en quelque péché ? Il ne se brisera pas, est-il dit. Qu’est-ce là ? Que les assauts du péché ne l’accableront pas longtemps. Sur l’heure, il peut bien paraître brisé; mais, relevé par le Secours divin, qu’il implore, sa promptitude à se remettre debout fait qu’il ne perd point l’immobile rectitude de la justice, ou du moins, s’il la perd un instant par la fragilité de la chair, la Main du Seigneur, en le soutenant, la lui rend. Un homme pourrait-il cesser d’être saint après sa chute, lorsque, reconnaissant qu’il ne saurait être justifié par la confiance en ses propres oeuvres, et persuadé que la seule Grâce du Seigneur le délivrera des innombrables liens du péché, il ne cesse de proclamer avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 24,25) ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Il a donc vu le fond de sa propre fragilité, de la fragilité humaine; et, saisi d’effroi devant cet incommensurable abîme, il cherche un refuge au port assuré du Secours divin. Désespérant, si je puis ainsi dire, de sa frêle embarcation, qu’il voit toujours près de sombrer sous le fardeau de la mortalité, il supplie Celui à qui rien n’est impossible, de le sauver du naufrage, et pousse ce cri pathétique : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Et la délivrance qu’il n’attendait plus de la faiblesse de la nature, il se la promet aussitôt de la Bonté divine : il poursuit, plein de confiance : La Grâce de Dieu, par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 7,19-25). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Le prophète Jérémie les peint avec les mêmes couleurs. Est-ce contre leur gré qu’ils vont perpétrer leurs turpitudes ? Laisseront-ils du moins en repos leur coeur et leur corps ? Il s’en faut bien. Mais ils se dépensent en laborieux efforts, pour aboutir à leurs fins. Point de difficultés si abruptes, qui sachent les retirer de leur funeste appétit du crime : Ils se fatiguent, dit-il, à mal faire (Jér 9,5). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Et ce mot, dira-t-on qu’il convienne aux pécheurs : Je suis donc le même qui, par l’esprit, sers la loi de Dieu; et par la chair, la loi du péché (Rm 7,25) ? Il est manifeste qu’ils ne servent Dieu ni dans leur esprit ni dans leur corps. Et comment ceux qui pèchent de corps, serviraient-ils Dieu par l’esprit ? Le foyer des vices est engendré dans la chair par le coeur ! L’auteur même de l’une et l’autre substance le déclare, c’est là qu’est la source et l’origine du péché : C’est du coeur, dit-il, que procèdent les pensées mauvaises, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages (Mt 15,19), et le reste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
La preuve en est désormais bien évidente, ces textes ne peuvent s’entendre de la personne des pécheurs. Car, non seulement ils ne haïssent pas le mal, mais ils l’aiment; loin de servir Dieu par l’esprit et par la chair, ils font le mal dans leur coeur, avant de le commettre dans la chair, et, avant qu’ils livrent leur corps au plaisir, le péché de leur esprit et de leurs pensées les a déjà prévenus. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Voilà donc que les créatures matérielles sont proclamées bonnes par rapport au siècle présent, et non pas bonnes simplement, mais très bonnes, avec le superlatif. Et de fait, tant que nous demeurons en ce monde, elles se prêtent aux nécessités de la vie, servent à la santé du corps, sans parler de mainte utilité dont la connaissance nous échappe. Elles sont même très bonnes en ceci, qu’elles nous font voir les attributs invisibles de Dieu, perçus dans ses ouvrages depuis la création du monde, et contempler sa Toute-Puissance éternelle et sa Divinité (Rm 1,20), dans la grandeur et l’ordre de l’univers créé et de tous les êtres qui subsistent en lui. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
De qui pourra-t-on croire, fût-il de tous les justes et les saints le plus éminent, qu’il ait réussi, dans les liens de ce corps mortel, à posséder immuablement le bien souverain, ne s’écartant jamais de la contemplation divine, ne se laissant point distraire un instant, par les pensées terrestres, de Celui qui seul est bon ? Quelqu’un s’est-il rencontré, qui ne prit aucun souci de la nourriture, du vêtement ni des autres nécessités charnelles ? qui ne fût jamais préoccupé de la réception des frères, d’un changement de séjour, de la construction d’une cellule, jusqu’à désirer le secours des hommes, ou tomber, par un sentiment trop vif de sa détresse, sous le reproche du Seigneur : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez (Mt 6,25) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Aussi, voyez-le reconnaissant, d’une part, les fruits inappréciables qu’il fait dans la vie active ; de l’autre, pesant dans son coeur le bien de la théorie. Il met en quelque sorte sur un plateau de la balance le fruit de tant de labeurs, sur l’autre le délice de la contemplation divine. Puis, longtemps il s’efforce, dirait-on, d’amener à la rectitude parfaite son jugement intérieur. Car, d’un côté, le prix immense de ses travaux le réjouit; mais, de l’autre, le désir de l’unité et de l’inséparable société du Christ l’invite à quitter son corps. Enfin, dans son doute, il s’écrie : Que choisir ? Je l’ignore. Je me sens pressé des deux parts. J’ai le désir de voir se briser les liens de mon corps et d’être avec le Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur; mais il est plus utile que je demeure dans la chair à cause de vous (Phil 1,22-24). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Donc, afin d’obtenir le bien souverain, qui consiste à jouir de la vue de Dieu et rester perpétuellement uni au Christ, il souhaite de voir se briser les liens de son corps. Caduc comme il est, et empêché par les mille nécessités qui naissent de sa fragilité, il est impossible, en effet, que notre corps mortel ne soit quelquefois séparé de la société du Christ ? Il n’est pas jusqu’à l’âme elle-même, distraite par tant de soins, entravée de tant d’inquiétudes diverses autant que fâcheuses qui ne soit incapable de jouir sans cesse de la contemplation de Dieu. Quelle application si persévérante, quelle vie si austère, qui ne soit de temps en temps sujette aux illusions de l’insidieux et rusé adversaire ? S’est-il trouvé personne, passionné du secret de la solitude et appliqué à fuir le commerce des mortels, au point de ne jamais glisser dans les pensées superflues, ni déchoir, ou par la vue des choses d’ici-bas, ou par le souci des occupations terrestres, de la contemplation divine, qui seule est bonne ? Qui put jamais garder si bien la ferveur de l’esprit, que la pente trop facile de ses pensées ne l’ait parfois emporté loin de sa prière, et soudain précipité du ciel sur la terre ? À qui d’entre nous n’est-il pas arrivé, pour ne rien dire des autres moments de divagation, d’être saisi d’une sorte de stupeur et de tomber d’une chute profonde, à l’heure même qu’il élevait au ciel son âme pleine de supplications ? Offense involontaire, je l’accorde; c’était pourtant offenser Dieu, par où l’on pensait obtenir son pardon. – Qui est tellement exercé et vigilant, qu’il ne se laisse en aucune façon distraire du sens de l’Écriture, tandis qu’il chante un psaume à Dieu ? tellement entré dans l’intimité divine, qu’il puisse se réjouir d’avoir accompli un seul jour le précepte de l’Apôtre, de prier sans cesse ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Or, les funambules, qui jouent leur vie sur un passage aussi étroit, savent que la mort les attend, cruelle, instantanée, si le moindre défaut d’équilibre vient à les faire dévier et quitter la direction d’où dépend leur salut. Tandis qu’avec une habileté merveilleuse, ils dirigent péniblement leur marche aérienne, quelle prudence, quel soin ne leur faut-il pas, à tenir ce sentier plus étroit que le pas d’un homme ! Autrement, la terre, qui est pour tous la base naturelle, le fondement solide et sûr, devient leur perte immédiate et manifeste. Non qu’elle change de nature; mais parce qu’ils y sont précipités par le poids de leur corps. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Conscients désormais de l’inanité des forces humaines, pour atteindre, malgré le fardeau de la chair, à la fin désirée, de leur impuissance à s’unir selon le désir de leur coeur au Bien incomparable et souverain; des distractions qui les mènent captifs vers les choses de ce monde, loin de la contemplation divine : ils recourent à la Grâce de Dieu, qui justifie les impies (Rm 4,5), et protestent avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par notre Seigneur Jésus Christ. Ils sentent, en effet, qu’ils ne peuvent accomplir le bien qu’ils veulent; mais qu’ils tombent sans cesse dans le mal qu’ils ne veulent pas, qu’ils détestent, je veux dire dans l’agitation des pensées ou le souci des choses temporelles. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Car, quelles sortes de péchés pourraient-ils commettre, selon vous, dont la Grâce quotidienne du Christ dût les délivrer, s’ils s’y engageaient après le baptême ? De quel corps de mort faut-il penser que l’Apôtre a dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? N’est-il pas manifeste, comme la vérité vous a contraints de l’avouer à votre tour, qu’il ne s’agit point ici des péchés mortels, dont le prix est la mort éternelle : homicide, fornication, adultère, ivresse, vol, rapine; mais du corps de péché dont nous avons précédemment parlé, et auquel porte remède la Grâce quotidienne du Christ ? Tel, après avoir reçu le baptême et la science de Dieu, s’abandonne-t-il à l’autre corps de mort, celui des péchés graves : qu’il le sache, son crime ne sera pas effacé par la Grâce quotidienne du Christ, c’est-à-dire le pardon facile que le Seigneur accorde à notre prière, pour des erreurs sans conséquences; mais il devra subir les longues afflictions de la pénitence et de grandes peines expiatoires, à moins qu’il ne soit voué, dans la vie future, aux supplices du feu éternel. C’est le même apôtre qui le déclare : Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu (1 Co 6,9-10). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Qu’est-ce que servir la loi du péché, sinon accomplir ce que le péché commande ? Mais quel est le péché, dont une sainteté aussi achevée que celle de l’Apôtre peut se sentir captive, sans douter pourtant que la Grâce du Christ ne la délivre ! Car il dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. Quelle sera, dis-je, à votre sens, cette loi dans nos membres, qui, en nous arrachant à la Loi de Dieu, pour nous captiver sous la loi du péché, fait de nous des malheureux, plutôt que des coupables ? Tellement, qu’au lieu d’être voués aux éternels supplices, nous soupirons seulement de voir s’interrompre la joie de notre béatitude, et nous écrions avec l’Apôtre, en quête d’un secours qui nous y rétablisse : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Être emmené captif sous la loi du péché, qu’est-ce autre chose que demeurer dans les actes du péché ? Or, quel est le bien par excellence que les saints ne peuvent accomplir, sinon celui au prix de quoi tous les autres cessent d’être des biens ? Certes, il existe, nous le savons, des biens multiples en ce monde, et avant tout, la chasteté, la continence, la sobriété, l’humilité, la justice, la miséricorde, la tempérance, la piété. Mais ils ne sauraient aller de pair avec ce bien souverain. D’autre part, ils sont à la portée, je ne dirai pas des apôtres, mais des âmes médiocres. Aussi bien, si ou ne les accomplit, on sera puni de l’éternel supplice on des labeurs d’une longue pénitence; mais il ne faut point espérer sa délivrance de la Grâce quotidienne du Christ. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Supposons un instant que, par cette loi des membres, ils se sentissent engagés en des crimes quotidiens : ce n’est pas la félicité qu’ils se plaindraient d’avoir perdue, mais l’innocence. L’Apôtre Paul ne dirait pas : Malheureux homme que je suis ! mais : Homme impur, scélérat que je suis ! Il ne souhaiterait pas la délivrance de ce corps de mort, c’est-à-dire de la condition mortelle, mais des hontes et des crimes de la chair. Or, au contraire, se voyant, de par l’humaine fragilité, tenu captif et entraîné vers les sollicitudes et les soins charnels, fruits de la loi du péché et de la mort, il gémit sur cette loi à laquelle il est soumis malgré lui et recourt sur-le-champ au Christ, dont la Grâce le sauve par une prompte délivrance. Tout ce que la loi du péché, racine féconde en épines et chardons de pensées et de soucis terrestres, vient à produire de sollicitudes au coeur de l’Apôtre, la Loi de la Grâce l’arrache sans tarder : Car, dit-il lui-même, la Loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort (Rm 8,2). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Qu’est-ce que le corps du péché ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Tel est l’inévitable corps de mort, où les parfaits, après avoir goûté combien le Seigneur est bon (ps 33,9), retombent journellement, éprouvant avec le prophète quel mal c’est pour eux, quelle amertume, d’avoir abandonné le Seigneur leur Dieu (Jér 2,19). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Tel est le corps de mort qui les retire de la contemplation céleste et les abaisse aux choses de la terre; qui, durant qu’ils psalmodient ou se tiennent prosternés pour la prière, évoque dans leur pensée le souvenir de formes humaines, de paroles, d’affaires, d’actions superflues. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Tel est le corps de mort qui fait obstacle à leur ambition, lorsque, jaloux d’imiter la sainteté des anges et désireux d’adhérer constamment au Seigneur, ils ne réussissent point à rencontrer un si grand bien, mais font le mal qu’ils ne veulent pas, emportés qu’ils sont, même par l’esprit, vers des choses qui n’intéressent ni le progrès ni la consommation des vertus. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Je rapprocherais cette parole : Voici que Tu T’es irrité, et nous avons péché, de celle de l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Ce que le prophète ajoute : Nous fûmes toujours dans nos péchés, mais nous serons sauvés, s’accorde bien aussi à la suite de saint Paul : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. De même, ce passage du prophète : Malheur à moi ! Je suis un homme aux lèvres impures et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures, paraît comme un écho de ce que nous avons entendu tout à l’heure : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Enfin, quand le prophète continue : Et voici que l’un des séraphins vola vers moi, et dans sa main était un charbon (ou une pierre) de feu, qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel; et il en toucha ma bouche, et il dit : Vois, avec ceci j’ai touché tes lèvres, et ton iniquité va être ôtée, ton péché effacé (Is 6,6-7); lorsque, dis-je, le prophète parle de la sorte, ne croirait-on pas entendre saint Paul, qui dit de son côté : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Non, vous n’avez pas encore renoncé aux désirs du monde, ni mortifié vos passions d’autrefois : vos pensées infirmes le font bien voir. La lâcheté de votre coeur se trahit au caprice de vos désirs vagabonds; c’est de corps seulement que vous avez entrepris ce lointain voyage et vous êtes séparés de vos parents, au lieu que vous deviez le faire en esprit. Toutes ces pensées seraient ensevelies déjà et complètement déracinées de votre coeur, si vous aviez compris le renoncement et pourquoi principalement nous demeurons dans la solitude. Mais je vois que vous souffrez de cette maladie de l’oisiveté que les Proverbes caractérisent ainsi : Tout oisif est plein de désirs (Prov 13,4); Les désirs tuent le paresseux (Ibid., 21,25). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
À nous non plus, peut-être, les facilités ni les avantages charnels dont vous parlez n’auraient point fait défaut, si nous avions cru qu’ils convinssent à notre vie, ou jugé que la douceur de ces agréments pût nous être d’un profit égal à celui qui se fait parmi ces sombres lieux et dans l’affliction du corps. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Pour soigneux et vigilant que l’on soit, il est impossible d’éviter cette dissipation, et même de s’en apercevoir, à moins de se tenir constamment cloîtré, corps et âme, entre les murs de sa cellule. Je suppose quelque pêcheur spirituel, qui chercherait sa nourriture selon la méthode apprise des apôtres. Attentif et sans mouvement, il guette dans les profondeurs tranquilles de son coeur la troupe nageante de ses pensées. Comme d’un écueil surplombant, il plonge jusqu’au fond un regard avide, et discerne d’un oeil sagace celles qu’il doit, avec sa ligne, tirer jusqu’à soi, celles aussi qu’il laissera de côté et écartera, tels des poissons mauvais et dangereux. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
C’est qu’ils n’ont pas appris à calmer les mouvements de l’homme intérieur ni à remédier aux tempêtes de leurs pensées, par une continuelle sollicitude et une persévérante application. Travaillant et peinant journellement au dehors, leur esprit, aussi bien que leur corps, s’agite deçà et delà tout le jour au grand air; et leurs pensées, s’accommodant à leur mouvement perpétuel, se répandent aussi à l’aventure dans les libres espaces. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Non plus qu’à vous, l’assistance de nos parents ne nous eût fait défaut. Cependant, nous avons préféré à toutes les richesses la nudité où vous nous voyez. Plutôt que de nous appuyer sur leur secours, nous avons mieux aimé gagner de nos sueurs la nourriture quotidienne de notre corps. Pénurie laborieuse, mais qui nous a paru supérieure à la vaine méditation des Écritures et aux lectures infructueuses que vous prônez si fort. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Non pas, croyez-le bien, que nous n’eussions très volontiers suivi votre pratique, si les exemples des apôtres et les enseignements de nos anciens nous avaient appris qu’elle fût plus utile. Mais sachez qu’elle est cause d’un inconvénient non moins grave que celui dont nous parlions tout à l’heure : sain de corps et robuste comme vous êtes, c’est l’argent des autres qui doit fournir à votre subsistance; or ceci ne convient en bonne justice qu’aux personnes débiles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
On constate un fait analogue pour les affections corporelles. Car, bien que la cause en soit unique, elle ne laisse pas de se diversifier en plusieurs sortes de maladies, suivant le membre qui est atteint. Si l’humeur peccante assiège la tête, qui est comme la citadelle du corps, elle donne lieu à la céphalalgie; si elle envahit les oreilles ou les yeux, ou a l’otalgie ou l’ophtalmie; si elle se porte aux articulations ou aux extrémités des mains, c’est la maladie articulaire, ou la goutte des mains; si elle descend jusqu’à l’extrémité des pieds, l’affection change de nom, pour s’appeler podagre ou goutte des pieds. Pour une même source d’humeur maligne, autant de vocables divers que de parties ou de membres atteints. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Ici encore, il en va comme du corps humain. Lorsque survient une occasion fâcheuse, par excès de fatigue ou par suite d’un air corrompu, ce sont les parties les plus faibles qui se laissent entamer et succombent tout d’abord; et c’est seulement lorsque la maladie s’y est installée, qu’elle contamine de là les parties demeurées saines. De même pour notre âme. Quelque souffle de pestilence vient-il à passer, elle sera fatalement touchée par le côté qui, plus délicat et plus faible, offre moins de résistance aux chocs violents de l’ennemi, et courra le risque d’être prise par où la garde imprudente ouvre à la trahison un plus facile accès. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
GERMAIN. – Parmi les illusions et les erreurs qui nous avaient enflammés du désir de revoir notre patrie, nous flattant, comme le regard exercé de votre Béatitude l’a bien reconnu, d’un vain espoir d’y trouver des avantages spirituels, ceci par-dessus tout nous poussait : les frères qui nous visitent de temps à autre, nous empêchent de nous ensevelir, comme nous le souhaiterions, dans une retraite continuelle et un long silence; de plus, nous sommes obligés, lorsqu’il en survient quelques-uns, de rompre le cours de notre abstinence quotidienne et de déroger à la mesure que nous y suivons; ce serait pourtant notre désir, d’y être fidèles sans interruption, afin de châtier notre corps. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Aussi bien, la trêve agréable que l’hospitalité nous accorde parfois à l’occasion de la visite d’un frère, et où vous ne voyez, vous, qu’une importunité à fuir, ne laisse pas d’être utile et salutaire tant au corps qu’à l’âme. Écoutez plutôt. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Aussi les solitaires prudents et parfaits doivent faire mieux que supporter patiemment les visites des frères, mais les recevoir avec joie. D’abord, elles nous provoquent à désirer toujours plus avidement le secret de la solitude. On croirait qu’elles retiennent notre course; en réalité, elles sauvent son infatigable continuité. Car, si jamais nul obstacle ne nous retardait, nous ne pourrions conserver jusqu’à la fin la même vitesse. Ensuite, elles nous offrent gracieusement, avec le fruit de l’hospitalité, une réfection nécessaire à notre pauvre corps; et, tout en bénéficiant d’un répit fort aimable, nous faisons plus de profit, que si nous avions persévéré dans le labeur de l’abstinence. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Les plaisirs que nous aimons, font eux-mêmes notre tourment; les jouissances et les délices du corps se retournent contre nous comme autant de bourreaux. Celui-là, en effet, qui s’appuie sur ses biens et ses ressources d’autrefois, fatalement ne parviendra ni à l’entière humilité du coeur ni à la parfaite mortification des plaisirs mauvais. Or, autant, par le secours de ces vertus, les extrémités de la vie présente et les pertes que l’ennemi peut nous infliger, se supportent, je ne dirai pas seulement avec la plus grande patience, mais avec la joie la plus vive; autant leur absence laisse croître un élèvement pernicieux, qui, pour le plus léger affront, nous blesse des traits mortels de l’impatience. C’est alors que le prophète Jérémie nous adresse ces paroles : Et maintenant, qu’as-tu à faire sur la route de l’Égypte, pour aller boire de l’eau bourbeuse ? Et qu’as-tu à faire sur la route de l’Assyrie, pour aller boire de l’eau du fleuve ? Ta malice t’accusera, et ton infidélité te reprendra. Sache donc et comprends quel mal c’est pour toi, quelle amertume, d’avoir abandonné le Seigneur ton Dieu, et que ma crainte ne soit plus en toi, dit le Seigneur (Jér 2,18-19). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM