Cassiano: chasteté

Un homme n’éteint en soi les flammes du vice que par peur de la géhenne ou l’espoir de la rétribution future. Cet autre se détourne avec horreur du mal et de l’impureté mêmes dans le sentiment de la divine charité. Il possède le bien de la pureté par le seul amour et désir de la chasteté. Ses yeux ne cherchent pas dans l’avenir la récompense promise, mais la conscience qu’il a du bien déjà présent lui est un profond délice. Il n’a jamais égard au châtiment, et n’agit que pour le bonheur qu’il trouve en la vertu. Entre les deux, la différence est grande. Le second, quand bien même il serait sans témoin, n’abusera pas de l’occasion, non plus qu’il ne laissera profaner son âme par les complaisances secrètes des pensées mauvaises. L’amour de la vertu a pénétré ses moelles; et loin qu’il donne accueil en son âme aux influences contraires, tout son être se soulève pour les rejeter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8

Aussi bien, celui qui ne renonce aux séductions du vice que par le motif de la crainte, retournera, dès que la crainte sera évanouie qui faisait obstacle à son penchant, vers l’objet de ses amours. Pour lui, pas de stabilité dans le bien. Point de repos non plus du côté de la tentation, parce qu’il n’a point la paix solide et constante que donne la chasteté. Où règne le tumulte de la guerre, il est impossible d’échapper au risque d’être blessé. Pour propre que l’on soit à la lutte et vaillant dans le combat, bien que l’on porte souvent aux adversaires de mortelles blessures, il est fatal, dès là qu’on est engagé dans la mêlée, que l’on tâte quelquefois du fer ennemi. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8

Considérez, au contraire, celui qui s’est mis au-dessus des attaques du vice et jouit désormais de la sécurité de la paix, entièrement transformé en l’amour de la vertu. Il demeurera constant dans le bien auquel il appartient sans partage, parce qu’il n’existe pas, à ses yeux, de plus sensible dommage qu’une atteinte portée à la chasteté intime de son âme. La pureté qu’il a présente fait son plus cher et plus précieux trésor, comme le plus grave des châtiments serait de voir les vertus malheureusement blessées, ou d’éprouver la souillure empoisonnée du vice. La présence des hommes et la retenue qu’elle commande n’ajouteront rien à sa modestie, la solitude ne lui ôtera rien. Partout et toujours, il porte avec soi l’arbitre suprême de ses actes et de ses pensées mêmes, sa conscience; et toute son étude n’est que de plaire à ce juge, qu’il sait que l’on ne peut circonvenir, ni tromper, ni éviter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8

Question sur la chasteté consommée Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 14

GERMAIN. — Vous nous avez entretenus de la charité parfaite; nous voudrions maintenant vous interroger librement sur la chasteté consommée. Car nous ne doutons pas que ces hauteurs sublimes d’amour, par où l’on s’élève, ainsi que vous l’avez montré jusqu’à présent, à l’image et ressemblance divine, ne puissent en aucune façon exister sans la perfection de la chasteté. Mais cette vertu peut-elle être si constante, que l’intégrité de notre coeur n’ait jamais à souffrir des séductions de la concupiscence ? Vivant dans la chair, pouvons-nous rester si éloignés des passions charnelles, que nous n’en ressentions jamais les atteintes ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 14

L’abbé Cheremon parle de la chasteté Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 1

Lorsqu’il fut fini, le vieillard s’aperçut que nous attendions sur l’heure l’accomplissement de sa promesse : «Je vous sais gré, dit-il, du transport où vous met la passion d’apprendre. Mais je n’éprouve pas un moindre contentement à voir la logique qui se marque en vos discours. L’ordre que vous observez dans votre question est, en effet, celui même de la raison. La plénitude d’une charité si sublime appelle nécessairement l’infinie récompense d’une parfaite et indéfectible chasteté. Il y a là deux palmes étonnamment semblables, deux joies soeurs; et si étroite est l’alliance qui les unit, qu’il est impossible de posséder l’une sans l’autre. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 1

Pour obtenir la pureté de la chasteté, il ne suffit point du labeur de l’homme Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 4

Assurons-nous cependant que la plus austère abstinence, je veux dire la faim et la soif, ni les veilles, ou le travail assidu, ou l’application incessante à la lecture ne nous mériteront la pureté constante de la chasteté. Parmi ce continuel labeur, il faut encore apprendre de l’expérience qu’une telle intégrité est un don libéral de la grâce divine. De notre persévérance infatigable dans ces exercices quel sera donc le fruit ? D’obtenir, en affligeant notre corps, la miséricorde du Seigneur; de mériter qu’il nous délivre par un bienfait de sa main des assauts de la chair et de la tyrannie toute-puissante des vices. Mais ne nous flattons pas d’arriver par leur moyen à l’inviolable chasteté que nous souhaitons. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 4

Que chacun s’anime d’ailleurs à sa conquête du même désir, du même amour, de la même impatiente ardeur qui se voient chez l’avare dévoré de la cupidité, chez l’ambitieux que possède la soif des honneurs, chez l’homme emporté par la violence intolérable d’une passion mauvaise. Brûlé d’un insatiable désir de la perpétuelle intégrité, il méprisera la nourriture, même désirable; la boisson, même nécessaire, lui donnera de l’aversion; il repoussera enfin le sommeil même qu’il doit à la nature, ou du moins ne le prendra qu’avec une âme toute saisie de crainte et en défiance contre un ennemi si perfide de la pureté, un adversaire si déclaré de la chasteté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 4

De la nécessité de cette continuelle vigilance voulez-vous une preuve manifeste, qui vous fasse voir du même coup comment les combats de la chair, pour contraires et dangereux qu’ils nous paraissent, concourent à notre bien : considérez, je vous prie, ceux qu’un défaut de nature en exempte. Qu’est-ce qui les rend surtout lâches et tièdes à la poursuite de la vertu ? N’est-ce point qu’ils se croient sans péril de voir leur chasteté ternie ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5

Ce n’est pas à la gauche de ses saints que le Seigneur se tient toujours, parce que le saint n’a rien en soi qui gauchisse, mais à leur droite. Les pécheurs et les impies, eux, ne le voient pas : ils n’ont point cette droite où le Seigneur se tient, et ne peuvent dire avec le prophète : «Mes yeux sont tournés constamment vers le Seigneur, car c’est lui qui dégagera mes pieds du lacet.» (Ps 24,15). De telles paroles ne sont vraies que dans la bouche de celui qui considère toutes les choses de ce monde comme pernicieuses ou superflues, comme inférieures du moins à la vertu consommée, et dirige tous ses regards, son étude et ses soins à la garde de son coeur, vers la chasteté très pure. L’esprit se lime, pour ainsi dire, à ces exercices; il se polit à mesure qu’il progresse. La sainteté parfaite de l’âme et du corps est au bout de la carrière. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5

Plus on grandit dans la douceur de la patience, plus on profite dans la pureté du corps; on est d’autant plus ferme dans la chasteté, que l’on a repoussé plus loin le vice de la colère. Car il est impossible d’éviter les révoltes de la chair, à moins d’étouffer premièrement les emportements du coeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6

Ceux qui n’en ont pas l’expérience, ne peuvent traiter de la nature de la chasteté ni de ses effets Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 8

Celui-là donc pourra s’excuser sur la nécessité inhérente à la nature, qui sera parvenu par une application continuelle à un tel état de pureté, que son âme ne soit plus touchée des appas du vice, et qu’il n’ait plus à regretter que des souillures inconscientes et rares. Tel il sera durant le jour, tel il demeurera durant la nuit; le même dans le sommeil et à la prière, seul et en la compagnie des hommes. Jamais il ne s’apercevra tel dans le secret, qu’il rougisse d’être vu par autrui. Le regard inévitable de Dieu ne surprendra rien chez lui qu’il désire tenir caché à la vue des hommes. Mais la très suave lumière de la chasteté le comblera de continuelles délices, et il pourra dire avec le prophète : «La nuit même est devenue lumineuse, au sein des délices où je suis. Les ténèbres n’ont point d’obscurité pour vous; la nuit brille comme le jour, ses ténèbres ressemblent à la lumière.» (Ps 138,11-12). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 8

Question : Est-il possible de garder la chasteté durant le sommeil ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 9

CHEREMON. — Il paraît bien que vous n’avez pas encore saisi quelle est l’essence de la chasteté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 10

Non, la chasteté ne se soutient pas, comme vous le pensez, par la garde d’une vie austère; elle subsiste par l’amour qu’elle inspire et les délices que l’on goûte dans sa pureté même. Tant qu’il reste quelque attrait pour la volupté, on n’est pas chaste, mais continent seulement. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 10

Vous voyez donc que le sommeil ne peut nuire a ceux que la grâce divine a pénétrés jusqu’aux moelles de l’amour de la chasteté, bien qu’ils suspendent alors l’austérité de leur vie. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 10

Sachons-le : tant que nous éprouvons les révoltes de la chair, nous ne sommes point parvenus aux cimes de la chasteté, mais nous restons sous le sceptre débile, de la continence, fatigués de continuels combats, dont l’issue demeure nécessairement douteuse. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 10

Qu’il existe une grande différence entre la continence et la chasteté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 11

Ainsi, la chasteté parfaite se distingue des commencements laborieux de la continence par une tranquillité inaltérable. C’est le signe qu’elle est consommée, lorsqu’elle garde sans une ombre l’éclat de sa pureté non plus en combattant contre les mouvements de la concupiscence, mais par l’horreur absolue qu’elle en éprouve. Ce ne peut être là autre chose que la sainteté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 11

Puis, il nous appelle vers des hauteurs plus sublimes encore; il veut nous montrer le lieu même où Dieu prend ses délices : «Et sa demeure, ajoute-t-il, est établie dans la paix,» (Ibid. 3) c’est-à-dire, non dans la mêlée des combats et la lutte contre les vices, mais dans la paix de la chasteté et la perpétuelle tranquillité du coeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 11

Non, vous le voyez, la demeure du Seigneur n’est pas dans les combats de la continence, mais dans la paix de la chasteté; c’est dans l’observatoire des vertus qu’il fait son séjour, dans la contemplation. Le psalmiste avait bien sujet de mettre les portes de Sion au-dessus de toutes les tentes de Jacob : «Le Seigneur, dit-il, aime les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob.» (Ps 86,2). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 11

Dans la pureté de son âme, le prophète en embrasse tout le détail; et tant en son propre nom qu’au nom de ceux qui parviennent à cet état merveilleux de paix et de chasteté, il s’écrie : «Admirables sont vos oeuvres, et mon âme se plaît à le reconnaître.» (Ps 138,14). Serait-ce lui faire dire rien de neuf ou de grand, que de voir dans ses paroles un autre sentiment, une allusion aux autres oeuvres de Dieu ? Est-il personne qui n’aperçoive, ne fut-ce que par la grandeur de la création, que merveilleux sont les divins ouvrages ? Mais les dons que Dieu dispense quotidiennement à ses saints et dont il les comble avec une munificence si particulière, nul ne les connaît que l’âme qui en jouit. Elle en est le témoin à un titre si unique, dans le secret de sa conscience, que redescendue de cette ferveur toute de flamme à la vue des choses matérielles et terrestres, elle manque de paroles pour dire ce qu’elle a éprouvé, l’intelligence même ou la réflexion sont inégales à le concevoir. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 12

Ceux-là seulement qui en font l’expérience, connaissent la douceur de la chasteté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 13

Question : Par quelle abstinence et en combien de temps peut-on parvenir à la chasteté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 14

GERMAIN. — Une telle chasteté n’est plus une vertu humaine ou qui appartienne à la terre; elle semble plutôt le privilège du ciel, le don particulier des anges. Étonnés et confondus, nous nous sentons plus d’effroi et de découragement que d’ardeur à l’acquérir. Nous vous en prions, enseignez-nous de la manière la plus complète quelles observances nous y pourraient conduire, et en combien de temps, afin de nous donner la confiance qu’elle est chose possible, et que, d’avoir un délai précis, nous soyons animés à la poursuivre. Nous sommes bien près de la croire inaccessible à notre chair infirme, à moins que vous ne nous indiquiez sûrement la méthode et le chemin par où l’où y puisse parvenir. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 14

Réponse sur le laps de temps nécessaire pour reconnaître que la chasteté est possible. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 15

CHEREMON. — Il y aurait témérité à vouloir assigner un laps de temps bien défini pour l’acquisition de la chasteté parfaite, étant donné surtout la diversité qui se rencontre dans les dispositions et les ressources des âmes. Tant de précision serait difficile même pour les arts matériels et les sciences des choses visibles, où l’application et les dons naturels rendent le succès ou plus lent ou plus rapide. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 15

De la fin et du remède de la chasteté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 16

Persuasion facile et à la portée de tous, semble-t-il; et cependant, elle est aussi difficile aux commençants que la chasteté parfaite elle-même. À peine ont-ils entrevu les premiers sourires de la pureté : un certain élèvement se glisse subtilement dans le secret de leur conscience, et ils se complaisent en eux-mêmes, dans la pensée que leur soin diligent a tout fait. C’est pourquoi il leur est nécessaire de se voir retirer pour un temps le secours divin, et de subir la tyrannie des vices que la vertu de Dieu avait éteints, jusqu’à ce que l’expérience leur ait appris qu’ils ne sauraient obtenir par leurs propres forces et par leur travail personnel le bien de la pureté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 16

Mais ce discours sur la fin de la chasteté parfaite s’est beaucoup prolongé. Concluons-le brièvement, en ramassant dans une seule phrase toutes les pensées que nous avons copieusement développées deçà et delà. La perfection de la chasteté est que le moine ne soit jamais effleuré par le plaisir mauvais durant la veille, et que son sommeil ne soit point troublé d’illusions fâcheuses. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 16

Là s’arrêta le discours de l’abbé Cheremon sur la chasteté parfaite; telle fut la conclusion qu’il donna à son admirable doctrine sur la pureté la plus sublime. Si grande cependant était notre stupeur, que nous restions comme oppressés. Mais lui, voyant que la plus grande part de la nuit était déjà passée, nous conseilla de ne point dérober à la nature le sommeil qu’elle réclame, de crainte que la torpeur du corps n’alanguît l’âme à son tour, et ne lui fit perdre sa vigoureuse et sainte ardeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 16

L’abbé Germain était agité d’un grave souci. L’entretien précédent nous avait inspiré l’extrême désir d’une chasteté inconnue jusque-là. Mais une seule parole du bienheureux vieillard y semblait réduire à néant le mérite de notre industrie, en assurant que l’homme, de quelque énergie qu’il tende vers le bien, n’en saurait cueillir le fruit; qu’il ne le peut tenir que de la largesse divine, et non de sa peine ni de ses efforts. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 1

Devant la sublimité de la vertu sans pareille que l’entretien de la nuit nous a révélée, fit alors Germain, nous nous sentons comme impuissants à y croire. Mais encore — ne vous en déplaise ! — il nous paraît absurde de ne pas attribuer spécialement la perfection de la chasteté, que l’homme acquiert à force de persévérant labeur et qui vient à la fin payer tous ses travaux, au zèle de celui qui s’y dépense de la sorte. Si nous voyions, par exemple, un laboureur s’appliquer sans relâche à cultiver sa terre, il serait contre la raison de ne pas lui faire honneur aussi de la moisson. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 2

Réponse : Ce n’est pas seulement la perfection de la chasteté qui ne peut exister sans le secours de Dieu, mais aucun bien absolument. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 3

Objection : Les païens ont gardé, dit-on, la chasteté; comment l’ont-ils fait sans la grâce de Dieu ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 4

GERMAIN. — Il ne nous est pas possible d’improuver absolument votre opinion comme contraire à la piété. Pourtant, elle semble avoir contre soi, qu’elle tend à la destruction de notre liberté. D’autant que nous voyons briller chez nombre de païens, qui certes ne méritent pas la grâce du secours divin, des vertus comme la frugalité, la patience et, ce qui est plus merveilleux encore, la chasteté. Et comment croire que ces vertus leur aient été accordées par un don de Dieu qui aurait rendu captif le libre arbitre de leur volonté ? Ne dit-on pas que les sectateurs de la sagesse mondaine, ignorants comme ils étaient, non seulement de la grâce, mais du vrai Dieu lui-même, ont possédé la pure fleur de la chasteté par la vertu de leurs propres efforts, ainsi que nos lectures nous l’ont appris et les récits d’autrui ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 4

Réponse touchant la chasteté imaginaire des philosophes. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5

Un sage aurait-il des assertions aussi contraires ? Vous affirmiez hier que la céleste pureté de la chasteté ne saurait devenir le partage d’un mortel, même avec la grâce de Dieu. Et maintenant, vous croyez que les païens eux-mêmes l’ont possédée par leur propre vertu ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5

Tout d’abord, il ne faut pas croire que les philosophes soient jamais parvenus à la chasteté d’âme qui est exigée de nous; car songez à ce qui nous est enjoint : ce n’est pas seulement la fornication, c’est l’impureté même qui ne doit pas être nommée parmi nous ! Mais ils eurent une certaine chasteté partielle, qui consistait à pratiquer la continence extérieure, sans réprimer davantage les passions de la chair. Quant à la pureté intérieure de l’âme, à la pureté constante du corps, ils n’ont pu, je ne dirai pas l’obtenir en effet, mais en avoir seulement l’idée. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5

Donc, le fait est constant, ils n’ont, pas même eu la notion de la vraie chasteté qu’on réclame de nous. Et il est aussi par là bien assuré que notre circoncision, spirituelle comme elle est, ne s’acquiert que par le don de Dieu, et se rencontre uniquement chez ceux qui le servent d’une âme profondément contrite. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5

Mais cette vérité ne parait nulle part plus évidente, que lorsqu’il s’agit d’acquérir ou de garder la chasteté. Combien est-il difficile de la posséder entière et sans atteinte ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6

Un exemple de chasteté qui montre que toutes les pratiques ne conviennent pas à tous indistinctement. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 7

À cette nouvelle, le vieillard se sent ému d’une vive admiration. Devant le pauvre laboureur, il ne peut se retenir de proclamer publiquement son sentiment : Ce n’est pas sans raison que le démon qui l’avait méprisé, n’a pu tolérer la présence d’un tel homme. Il n’essayerait pas, quant à lui, d’imiter sa vertu, sans craindre pour sa chasteté ; et cela, non seulement dans le feu de la jeunesse, mais à l’âge qu’il a aujourd’hui. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 7

Si donc vous avez à coeur de respirer cet incorruptible parfum, travaillez de toutes vos forces à obtenir du Seigneur l’immaculée chasteté; car personne ne possède la science spirituelle, tant qu’il se laisse dominer par les désirs des passions charnelles, et surtout de l’impureté : «C’est dans le coeur qui est bon que la sagesse habite,» (Pro 14,33) et «celui qui craint le Seigneur trouvera la science avec la justice.» ((Ec 32,20). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 16

Le bienheureux Apôtre aussi nous enseigne, pour parvenir à la science, l’ordre que nous avons dit. Voulant un jour dresser la liste complète de ses vertus, et tout à la fois en expliquer la suite, c’est-à-dire marquer l’origine et la descendance de chacune d’elles, il ajoute après quelques mots : «Dans les veilles et les jeûnes, par la chasteté, par la science, par la longanimité, par la bonté, par l’Esprit saint, par une charité sincère.» (2 Cor 6,5-6). Cette manière de rattacher l’une à l’autre les vertus, prétend évidemment nous apprendre que l’on va des veilles et des jeûnes à la chasteté, de la chasteté à la science, de la science à la longanimité, de la longanimité à la bonté, de la bonté à l’Esprit saint, de l’Esprit saint à la récompense d’une charité sincère. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 16

Révélation sur l’épreuve de la chasteté parfaite. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 10

Cette révélation frappa vivement le vieillard. Il ne voulut point tenter la chance de l’expérience qui lui avait été indiquée de par Dieu. Mais il interrogea sa conscience, examina la pureté de son coeur; et, jugeant que sa chasteté n’était pas encore à la mesure d’une telle épreuve : «Il n’est pas étonnant, se dit-il, que même après avoir vu les esprits immondes reculer devant moi, je ne laisse pas d’éprouver encore les brûlures ennemies du feu, que j’avais cru d’abord moins terribles que leurs cruels assauts. C’est une vertu plus haute, une grâce plus sublime, d’éteindre en soi le feu de la chair, que de subjuguer, par le signe de la croix et la puissance du Très-Haut, les esprits mauvais qui nous attaquent de l’extérieur, ou de les chasser du corps des possédés par l’invocation du Nom divin. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 10

Quant à l’observance des commandements principaux, il faut des résolutions très constantes, jusqu’à ne pas reculer devant la mort même, s’il est nécessaire; et c’est à leur sujet qu’il convient de dire : «J’ai juré, j’ai résolu.» Tel est en particulier notre devoir, lorsqu’il s’agit de la charité. Il faut que tout nous soit à mépris pour elle, pour qu’elle demeure immaculée dans sa tranquillité et dans sa perfection. Mêmes serments pour la pure chasteté; même conduite aussi pour ce qui est de la foi, de la sobriété, de la justice. Ces vertus doivent être gardées avec une persévérance qui jamais ne se démente. S’en éloigner, si peu que ce soit, est damnable. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 28

Question : Faut-il éprouver la chasteté comme les autres vertus ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 15

GERMAIN. — Vous nous avez montré le remède des passions de la colère, de la tristesse et de l’impatience, dans la représentation des objets qui sont de nature à les contrarier. Nous voudrions être instruits pareillement du genre de traitement qu’il convient d’appliquer à l’esprit de fornication. Le feu de la concupiscence se peut-il éteindre, en lui proposant de plus grands sujets de l’exciter, comme dans les cas précédents ? Ce procédé, selon nous, serait assez nuisible à la chasteté, non seulement s’il s’agissait d’exagérer en nous les aiguillons de la passion, mais même si l’âme devait, ne fut-ce qu’en passant, poser son regard sur ces choses. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 15

Réponse : À quels signes on reconnaît la chasteté. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 16

Mais contre l’esprit de fornication, la méthode est différente, comme diverse est la cause. Il serait très dangereux pour les âmes encore faibles et malades d’accueillir le moindre souvenir de ces choses… Quant à ceux qui sont déjà parfaits, et consommés dans l’amour de la chasteté, ils ne manqueront pas de moyens pour s’examiner soi-même, et s’assurer de l’intégrité de leur coeur par le jugement incorruptible de leur conscience. Donc, le solitaire consommé, mais celui-là seulement, s’éprouvera sur ce vice, comme sur les autres. Mais il ne siérait aucunement à ceux qui sont encore faibles, de lenter pareil examen il leur serait plus pernicieux qu’utile… Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 16

Il retourne chez lui, percé jusqu’au fond du coeur de cette tristesse qui opère le repentir salutaire et durable. Ne doutant plus de ses propres intentions, qu’il sent bien arrêtées, il tourne sa sollicitude et ses soins vers le salut de sa compagne. Il tâchait d’exciter en elle le même désir dont il était embrasé, en reprenant les exhortations de l’abbé Jean. Nuit et jour, il lui recommandait avec larmes le saint propos de servir Dieu de concert, dans la continence et chasteté. Il ne fallait point différer de se convertir à une vie meilleure. Les vains espoirs qui bercent le jeune âge, n’arrêtent point les coups soudains de la mort, que l’on voit emporter l’enfance, l’adolescence et la jeunesse pêle-mêle avec les vieillards. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 8

Il ajoutait encore de nouvelles raisons. Si Moïse permet aux Juifs de renvoyer leurs épouses à cause de la dureté de leur coeur, pourquoi le Christ n’accorderait-il pas le même privilège au désir de la chasteté ? La Loi, et le Seigneur après elle, n’avaient-ils pas prescrit de tenir en haute révérence les autres affections de famille, l’amour d’un père, d’une mère, de ses enfants ? Et néanmoins, le même Seigneur déclarait qu’il fallait, pour son Nom et le désir de la perfection, non pas simplement y renoncer, mais les haïr. Et il y joignait l’amour conjugal : Quiconque laisse maison, ou frères, ou soeurs, ou père, ou mère, ou femme, ou enfants, ou champs à cause de mon Non, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. (Mt 29). Ainsi donc, il était si peu disposé à souffrir aucune comparaison avec la perfection qu’il prêchait, qu’il voulait nous voir briser et rejeter pour son amour les liens sacrés eux-mêmes qui nous unissent à notre père et à notre mère, et qui font, selon l’Apôtre,l’objet du premier commandement auquel une récompense eût été promise : Honore ton père et ta mère, — c’est le premier commandement auquel soit promise une récompense — afin que tu sois heureux, et que tu vives longtemps sur la terre. (Eph 6,2-3). Il paraissait donc assez évident que si l’Évangile condamnait celui qui rompt le lien du mariage hors le cas d’adultère, il promettait aussi le centuple à qui secoue le joug de la chair pour l’amour du Christ et le désir de la chasteté. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9

Question : Ce relâchement du jeûne n’est-il pas un obstacle pour la chasteté ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 21

Précautions d’autant plus nécessaires, que c’est à l’ennemi une habileté bien connue, de s’attaquer à notre pureté, lorsqu’il nous voit moins sur nos gardes parmi la célébration de quelque solennité. Il faut beaucoup veiller à ne jamais laisser la vigueur de notre âme s’énerver dans de flatteuses douceurs, afin, comme je l’ai dit, de ne point perdre, dans le repos et la sécurité de la Pentecôte, la parfaite chasteté acquise par le continuel labeur du carême. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 23

Ce n’est pas, en effet, la chasteté extérieure, la circoncision apparente, qui fait le sujet de vos soucis, mais celle qui est dans le secret. Vous savez que la plénitude de la perfection ne consiste pas dans une continence toute matérielle, que la nécessité ou l’hypocrisie peuvent donner même aux infidèles; mais qu’elle gît dans la pureté du coeur, qui part de la volonté libre et demeure cachée aux yeux. C’est elle que prêche l’Apôtre : Le vrai Juif n’est pas celui qui l’est au dehors, et la vraie circoncision n’est pas celle qui paraît dans la chair. Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement; et la circoncision, c’est celle du coeur, dans l’esprit non selon la lettre. Ce vrai Juif aura sa louange, non des hommes, mais de Dieu, (Rom 2,28-29) qui seul pénètre les secrets des coeurs. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 36

Les conséquences de notre voracité agissent, alors même que le corps est miné par le jeûne. Aussi, ne convient-il pas seulement d’éviter les mets délicats; il importe qu’une abstinence toujours égale modère l’usage des plus vils aliments. Même le pain et l’eau ne doivent pas être pris jusqu’à satiété, si, après avoir acquis la pureté du corps, nous prétendons qu’elle persévère, et imite en quelque façon la chasteté inviolée de l’esprit. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 3

La deuxième cause de tels accidents est celle-ci. L’âme se trouve vide : nulle occupation, nul exercice spirituels. Elle n’essaye plus de vivre selon les disciplines de l’homme d’intérieur; et, sa continuelle torpeur dégénérant en habitude, elle s’enveloppe comme d’une rouille de paresse. Ou bien elle prend peu de garde aux influences des pensées mauvaises, et en vient à désirer si mollement le degré sublime de la pureté du coeur qu’elle fait consister toute la somme de la perfection et de la chasteté dans l’affliction de l’homme extérieur. Erreur et nonchalance qui ont une suite funeste. La multitude vagabonde des pensées fait irruption, avec une impudente audace, dans le secret de l’âme; bien plus, les semences y persévèrent de tous les vices passés. Or, tant que celles-ci demeurent cachées dans ses replis profonds, les jeûnes les plus rigoureux dont on châtie le corps, n’empêcheront pas les songes voluptueux de venir inquiéter le sommeil… C’est bien pourquoi il importe avant tout de réprimer les divagations de la pensée, de peur que l’âme ne s’accoutume à ces écarts, puis ne se laisse entraîner, durant le sommeil, jusqu’aux impressions plus regrettables du vice. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 3

Reste enfin la troisième cause. Par une pratique régulière et vigilante de l’abstinence, par la contrition du coeur et du corps, nous souhaitons d’acquérir la perpétuelle pureté de chasteté. Mais, tandis que nous prenons un soin si méritoire du bien du corps et de l’esprit, la jalousie perfide de l’ennemi imagine cette tactique savante. Abattre notre confiance, et nous humilier comme par une faute véritable : tel est son but. Là-dessus, il choisit particulièrement les jours où nous désirons plaire davantage à la divine Présence par une intégrité plus parfaite, pour souiller notre corps, afin de nous détourner de la très sainte communion. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 3

THÉONAS. — Certes, nous devons apporter tout le soin qui est en nous à garder immaculée la pureté de notre chasteté, alors surtout que nous souhaitons d’approcher des saints autels. Quelle vigilance, quelle circonspection, quelles précautions, infinies ne seront pas de saison, pour que l’intégrité de notre chair, indemne jusque-là, ne nous soit pas ravie la nuit même où nous nous préparons à la communion du divin banquet ! Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 5

Je connais un frère qui jouissait d’une chasteté constante de coeur et de corps, après l’avoir méritée à force de circonspection et d’humilité; mais, toutes les fois qu’il se préparait à la communion du Seigneur, il avait à déplorer un fait de ce genre. Longtemps, la frayeur le retint de participer aux sacrés mystères. À la fin, il va soumettre la question aux anciens, s’assurant de trouver dans leur conseil secourable un remède à ces attaques bien qu’à sa douleur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Ils passent donc sans retard à la deuxième cause. N’y a-t-il pas là faute de l’esprit et excès dans le jeûne ? Il s’en trouve, en effet, je dis des plus austères, qui s’élèvent insensiblement de leur pureté corporelle. Mais, alors, c’est le vice de la superbe qui leur ménage une pénible déception, parce qu’ils ont cru obtenir par leurs forces humaines ce qui est un don très particulier de Dieu, la chasteté du corps. On interroge donc le frère. Se croirait-il capable d’une telle vertu par ses propres efforts, en sorte qu’il se puisse passer du Secours divin ? Mais lui d’abominer une idée si impie. Il affirme humblement qu’il n’eût pas conservé son corps pur, même les autres jours, si la Grâce divine ne l’avait aidé. Dès lors, il fallait se rabattre sur la troisième cause. Tout est clair : on est en face d’une secrète machination du diable. Assurés qu’il n’y a faute ni de l’esprit ni de la chair, les anciens décident hardiment que le frère doit prendre part au sacré banquet. Persévérer dans son abstention, serait donner dans le piège adroit que lui tend la malignité de l’ennemi, rester éloigné du Corps du Christ et de sa Sainteté, et se voir à jamais exclu, par cette ruse diabolique, d’un si puissant moyen de salut. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Ces étapes progressives nous ferons parvenir à la tranquillité perpétuelle du corps, et, nous permettront d’offrir nos membres à Dieu, comme des instruments non de passion, mais de justice. Fondés en cette pureté de chasteté, le péché ne dominera plus sur nous. Car nous ne sommes plus sous la Loi, qui recommandait le mariage, mais sous la grâce, qui, en conseillant la virginité, rend innocent l’usage du mariage lui-même. (Rm 6,12-14) Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Voulons-nous parvenir à cette gloire sublime des vierges : recherchons de toutes nos forces la chasteté de l’âme et de l’esprit, de peur que nous ne tombions dans le nombre des vierges folles, à qui leur virginité ne fut pas comptée. Elles s’étaient bornées à la chasteté du corps; et c’est pourquoi le nom de vierges leur est donné, mais de vierges folles, parce que, dans leurs vases, manquait l’huile de la pureté intérieure, et que dès lors s’éteignait tout l’éclat et toute la splendeur de leur virginité corporelle. Car il faut que l’intérieure pureté conserve et entretienne par son rayonnement la chasteté de l’homme extérieur, l’animant à persévérer toujours dans la perpétuelle intégrité. Aussi, les vierges folles, malgré leur titre de vierges, ne méritent-elles pas l’entrée glorieuse dans la chambre nuptiale de l’Époux avec les vierges sages, qui, elles, ont sans reproche gardé leur esprit, leur âme et leur corps intacts pour le jour de notre Seigneur Jésus Christ. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Cependant, la conclusion qui ressort évidemment de ces textes, est tout justement contraire à celle que vous en tirez. De telles idées ne sauraient aucunement convenir à la personne des pécheurs. Mais ce discours regarde les seuls parfaits; seule la chasteté de ceux qui imitent les vertus apostoliques, répond à ce langage. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 1

Cherchons donc avec soin quel est ce bien par excellence que l’Apôtre n’a pu accomplir à sa volonté. Nous savons beaucoup de biens, dont on ne peut nier qu’il les ait eus de la nature ou qu’il ne les ait acquis par la grâce ainsi que les hommes d’un mérite égal au sien. La chasteté est bonne, louable est la continence, admirable la prudence, large l’hospitalité, circonspecte la sobriété, modeste la tempérance, tendre la miséricorde, sainte la justice. Assurément, toutes ces vertus ont existé chez l’apôtre Paul et les autres, si achevées, si parfaites, qu’ils enseignèrent la religion plutôt par leur sainte vie que par leur discours. Dirai-je encore le soin continuel de toutes les Églises et la constante sollicitude dont ils étaient consumés ? Quelle miséricorde, quelle perfection, de brûler pour ceux qui tombent, d’être faible avec les faibles (cf. 2 Co 11,29) ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 2

GERMAIN. – Selon nous, ces textes ne conviennent pas plus à ceux qui vivent dans les péchés mortels, qu’à l’Apôtre ou aux parfaits qui ont atteint sa mesure. Proprement, ils doivent s’entendre de ceux qui, après avoir reçu la Grâce divine et connu la Vérité, désirent s’abstenir des vices charnels, mais se voient entraînés vers leurs convoitises invétérées, par la force d’une habitude ancienne qui domine tyranniquement dans leurs membres, telle une loi de nature. L’habitude et la répétition du mal deviennent, en effet, comme une loi naturelle. Inhérente aux membres de la faible humanité, celle-ci captive et emporte au vice les inclinations de l’âme insuffisamment formée aux pratiques de la vertu et, si l’on peut ainsi dire, de chasteté novice encore et tendre. Elle la soumet, en vertu de l’antique condamnation, à la mort et au joug tyrannique du péché, ne lui permettant pas d’atteindre au bien de la pureté qu’elle aime, mais la contraignant plutôt de faire le mal qu’elle déteste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14

Qu’est-ce que servir la loi du péché, sinon accomplir ce que le péché commande ? Mais quel est le péché, dont une sainteté aussi achevée que celle de l’Apôtre peut se sentir captive, sans douter pourtant que la Grâce du Christ ne la délivre ! Car il dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. Quelle sera, dis-je, à votre sens, cette loi dans nos membres, qui, en nous arrachant à la Loi de Dieu, pour nous captiver sous la loi du péché, fait de nous des malheureux, plutôt que des coupables ? Tellement, qu’au lieu d’être voués aux éternels supplices, nous soupirons seulement de voir s’interrompre la joie de notre béatitude, et nous écrions avec l’Apôtre, en quête d’un secours qui nous y rétablisse : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Être emmené captif sous la loi du péché, qu’est-ce autre chose que demeurer dans les actes du péché ? Or, quel est le bien par excellence que les saints ne peuvent accomplir, sinon celui au prix de quoi tous les autres cessent d’être des biens ? Certes, il existe, nous le savons, des biens multiples en ce monde, et avant tout, la chasteté, la continence, la sobriété, l’humilité, la justice, la miséricorde, la tempérance, la piété. Mais ils ne sauraient aller de pair avec ce bien souverain. D’autre part, ils sont à la portée, je ne dirai pas des apôtres, mais des âmes médiocres. Aussi bien, si ou ne les accomplit, on sera puni de l’éternel supplice on des labeurs d’une longue pénitence; mais il ne faut point espérer sa délivrance de la Grâce quotidienne du Christ. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Et de fait, si l’on veut bien comparer la fleur au parfum suave de la virginité et l’infinie délicatesse de la chasteté avec l’affreux et fétide bourbier des voluptés charnelles, le repos et la sécurité des moines aux périls et disgrâces où sont enveloppés les gens du monde; la paix de notre pauvreté avec les tristesses dévorantes et les soucis jamais endormis qui consument les riches le jour et la nuit, non sans danger pour leur vie : il sera extrêmement facile de reconnaître que le joug du Seigneur est très doux et son fardeau très léger. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 25