bienheureux (Orígenes)

Un examen approfondi de la question fera dire : suivant le terme de l’Écriture, il existe une sorte de genre, un sens divin, que le bienheureux seul trouve à présent, au dire de Salomon « Tu trouveras un sens divin » Et ce sens comporte des espèces, la vue, qui peut fixer les réalités supérieures aux corps, dont font partie les Chérubins et les Séraphins , l’ouïe, percevant des sons dont la réalité n’est pas dans l’air , le goût, pour savourer le pain vivant descendu du ciel et donnant la vie au monde ; de même encore l’odorat, qui sent ces parfums dont parle Paul qui se dit être « pour Dieu la bonne odeur du Christ » , le toucher, grâce auquel Jean affirme avoir touche de ses mains « le Logos de vie ». Ayant trouvé le sens divin, les bienheureux prophètes regardaient divinement, écoutaient divinement, goûtaient et sentaient de même façon, pour ainsi dire d’un sens qui n’est pas sensible , et ils touchaient le Logos par la foi, si bien qu’une émanation leur arrivait de lui pour les guérir. Ainsi voyaient-ils ce qu’ils écrivent avoir vu, entendaient-ils ce qu’ils disent avoir entendu, éprouvaient-ils des sensations de même ordre lorsqu’ils mangeaient, comme ils le notèrent, « le rouleau » d’un livre qui leur était donné. Ainsi encore Isaac « sentit l’odeur des vêtements » divins de son fils et put ajouter à sa bénédiction spirituelle : « Voici l’odeur de mon fils, pareille à l’odeur d’un champ fertile béni par le Seigneur. » De la même manière que dans ces exemples et de façon plus intelligible que sensible, Jésus « toucha » le lépreux pour le guérir doublement, à mon avis, en le délivrant non seulement, comme l’entend la foule, de la lèpre sensible par son toucher sensible, mais encore de l’autre lèpre par son toucher véritablement divin. C’est donc ainsi que « Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Oui, j’ai vu et j’atteste que c’est Lui le Fils de Dieu. » De plus, c’est bien pour Jésus que le ciel s’est ouvert ; et à ce moment là, de nul autre que Jean il n’est écrit qu’il vit le ciel ouvert. Mais le Sauveur prédit à ses disciples que de cette ouverture du ciel ils seront plus tard les témoins, et dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme. » Ainsi encore Paul fut ravi au troisième ciel, après l’avoir vu d’abord ouvert, puisqu’il était disciple de Jésus. Mais expliquer maintenant pourquoi Paul dit : ” Etait-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais. Dieu le sait “, est hors de propos. LIVRE I

Comme Celse reproche aux chrétiens d’être attirés par de vaines espérances, je répondrai à ses attaques contre la doctrine de la vie bienheureuse et de la communion avec Dieu : alors d’après toi, mon brave, ils sont attirés par des espérances vaines ceux qui ont accepté la doctrine de Pythagore et de Platon sur l’âme naturellement faite pour monter à la voûte du ciel, et dans un lieu supracéleste contempler les mêmes spectacles que les bienheureux. Et pour toi, Celse, ceux là aussi qui, ayant admis la survie de l’âme, vivent de manière à devenir des héros et à partager le séjour des dieux, sont attirés par des espérances vaines. Et probablement, même ceux qui sont persuadés que l’esprit qui vient « du dehors » est immortel et sera seul à survivre, au dire de Celse sont attirés par des espérances vaines. Qu’il vienne donc, sans plus cacher à quelle secte il appartient, mais s’avouant épicurien, combattre les raisons solides données parmi les Grecs et les barbares sur l’immortalité de l’âme et sa survie, ou sur l’immortalité de l’esprit. Qu’il prouve que ce sont là des raisons qui trompent par des espérances vaines ceux qui les admettent ; tandis que les raisons de sa propre philosophie, au lieu d’espérances vaines, ou inspirent de bonnes espérances ou, ce qui est plus conforme à ses principes, n’inspirent aucune espérance puisque l’âme subit une destruction immédiate et totale. A moins que Celse et les Epicuriens refusent de considérer comme vaine l’espérance de leur fin, le plaisir, qui est pour eux le bien suprême, et n’est que le sain équilibre du corps et la confiance assurée que met en lui Épicure. LIVRE III

Voyons aussi la grande prétention qu’affiche les paroles suivantes de Celse : Reprenons encore le raisonnement en ajoutant des preuves. Je ne dis rien de nouveau, mais des choses depuis longtemps admises. Dieu est bon, beau, bienheureux, au plus haut degré de la beauté et de l’excellence. Dès lors, s’il descend vers les hommes, il doit subir un changement : changement du bien au mal, de la beauté à la laideur, de la félicité à l’infortune, de l’état le meilleur au pire. Qui donc choisirait pareil changement ? Il est vrai certes que pour un mortel la nature est de se changer et de se transformer, mais pour un immortel, c’est d’être identique et immuable. Dieu ne saurait donc non plus admettre un tel changement. Or je crois avoir donné la réponse nécessaire en exposant ce que l’Écriture appelle la descente de Dieu à l’humanité. Pour cela, il ne doit pas subir un changement, comme Celse nous le fait dire, ni une transformation du bien au mal, de la beauté à la laideur, de la félicité à l’infortune, de l’état le meilleur au pire. LIVRE IV

Mais nul homme sensé ne dirait que ces êtres sans raison sont supérieurs aux êtres raisonnables à cause de leur corps, car la raison élève l’être raisonnable bien au-dessus de tous les êtres sans raison. Ce n’est pas vrai non plus des êtres vertueux et bienheureux, bons démons, comme vous dites, ou anges de Dieu, à notre appellation habituelle, ou de toutes les natures qu’on peut trouver au-dessus des hommes : puisqu’on eux la raison atteint sa perfection, embellie par toute sorte de vertus. LIVRE IV

Peut-être Celse a-t-il mal compris une phrase de certains, qu’il a nommés vers : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous. Méprise analogue à celle de reprocher à toute une école philosophique les propos d’un jeune inconsidéré qui, pour avoir fréquenté trois jours un philosophe, s’élève contre le reste des hommes pour leur nullité et leur manque de philosophie. Nous savons bien qu’il y a beaucoup d’êtres d’une plus haute valeur que l’homme. Nous avons lu : « Dieu s’est dressé dans l’assemblée des dieux », et non point des dieux qu’adorent les autres hommes, « car tous les dieux des nations sont des démons ». Nous avons lu encore : « Dieu, dressé dans l’assemblée des dieux, au milieu d’eux juge les dieux. » Nous le savons : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, comme il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs, pour nous du moins il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et par qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Nous savons les anges à ce point supérieurs aux hommes que seuls les hommes parfaits deviennent semblables aux anges : « Car à la résurrection des morts, il n’y a plus ni maris, ni femmes, mais les justes sont comme les anges des cieux », et deviennent « les égaux des anges ». Nous savons que dans l’ordonnance de l’univers se trouvent des êtres nommés Trônes, d’autres Dominations, d’autres Principautés, d’autres Puissances. Nous le voyons, nous les hommes, laissés bien loin d’eux, nous avons l’espérance, fondée sur une vie vertueuse et une conduite en tout conforme au Logos, de nous élever jusqu’à leur devenir semblables à tous. Enfin, puisque « n’est pas encore apparu ce que nous serons, nous savons que, lorsque cela apparaîtra, nous serons semblables à Dieu, et nous le verrons tel qu’il est ». Que si l’on maintient les propos de certains qui, intelligents ou stupides, ont mal compris une saine doctrine : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous, même cela, je pourrais l’interpréter en disant : « nous » désigne les êtres raisonnables, et mieux encore les êtres raisonnables vertueux ; car selon nous, la même vertu appartient à tous les bienheureux, et par conséquent, la même vertu est à l’homme et à Dieu. Aussi nous instruit-on à devenir « parfaits comme notre Père céleste est parfait ». Concluons : aucun honnête homme n’est un vers nageant dans un bourbier, aucun homme pieux n’est une fourmi, aucun juste n’est une grenouille, aucun homme dont l’âme resplendit de l’éclatante lumière de la vérité ne peut raisonnablement être comparé à une chauve-souris. LIVRE IV

Car invoquer les anges sans avoir reçu à leur sujet une science dépassant l’homme n’est pas raisonnable. Mais supposons, par hypothèse, qu’on ait reçu cette science merveilleuse et mystérieuse : cette science elle-même fait connaître leur nature et les offices auxquels chacun est préposé, elle ne permettra pas que l’on ose prier personne sinon le Dieu suprême qui suffit parfaitement à tout, par notre Sauveur, le Fils de Dieu, lui qui est Logos, Sagesse, Vérité, et tout ce que disent encore de lui les Écritures des prophètes de Dieu et des apôtres de Jésus. Pour nous rendre favorables les saints anges de Dieu et les porter à tout faire pour nous, il suffit, autant qu’il est possible à la nature humaine, d’imiter dans notre attitude envers Dieu leur disposition personnelle puisqu’ils imitent Dieu ; et la conception que nous avons de son Fils le Logos, autant qu’il est possible, au lieu de contredire la conception plus claire qu’en ont les saints anges, se rapproche d’elle de jour en jour en clarté et en netteté. Celse, comme s’il n’avait pas lu nos saintes Écritures, se fait à lui-même une réponse qu’il nous attribue : selon nous, les anges qui descendent d’auprès de Dieu pour faire du bien aux hommes sont d’une autre espèce, et, à notre avis, sans doute des démons. Il ne remarque pas que le nom de démons n’est pas un terme indifférent comme celui d’hommes, parmi lesquels il en est de bons et de mauvais, ni un terme noble comme celui de dieux qui n’est pas appliqué aux démons mauvais, aux statues, aux animaux, mais par ceux qui sont instruits des choses divines, aux êtres véritablement divins et bienheureux. Le nom de démons est toujours appliqué à ces puissances mauvaises qui, dégagées du corps grossier, séduisent et tiraillent les hommes et les rabaissent loin de Dieu et des réalités célestes aux choses d’ici-bas. LIVRE V

Voyons aussi les paroles suivantes de Celse, dont très peu concernent les chrétiens et la plupart concernent les Juifs : ” Si donc, en vertu de ce principe, les Juifs gardaient jalousement leur propre loi on ne saurait les blâmer, mais bien plutôt ceux qui ont abandonné leurs traditions pour adopter celles des Juifs. Mais s’ils veulent s’enorgueillir d’une sagesse plus profonde et fuir la société des autres qu’ils estiment moins purs, ils ont déjà la réponse : même leur doctrine sur le ciel ne leur est pas propre, mais, pour omettre tous les autres exemples, c’était aussi depuis longtemps la doctrine des Perses, comme l’indique quelque part Hérodote: « Ils ont coutume de monter sur les plus hauts sommets pour offrir des sacrifices à Zeus, appelant Zeus tout le cercle du ciel. » Or je pense qu’il est indifférent d’appeler Zeus Très-Haut, Zen, Adonaï, Sabaoth, Amon comme chez les Égyptiens, Papaeos comme les Scythes. Et certainement les Juifs ne sont pas plus saints que les autres peuples pour être circoncis : les Égyptiens et les Colchidiens l’ont été avant eux ; ni pour s’abstenir des porcs: ainsi font les Égyptiens qui s’abstiennent en outre des chèvres, des brebis, des b?ufs et des poissons ; ainsi font Pythagore et ses disciples qui s’abstiennent de fèves et de tout être animé vivant. Il n’est pas du tout vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés du ciel à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux: nous voyons assez quel traitement ils ont mérité eux et leur pays. LIVRE V

Celse ajoute cette remarque sur les Juifs : Il n’est pas vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux : nous voyons assez quel traitement ils ont mérité, eux et leur pays. Je réfuterai donc cela en disant : ce peuple a joui de la faveur de Dieu comme le montre déjà le fait que le Dieu suprême est appelé « Dieu des Hébreux », même par ceux qui sont étrangers à notre foi. Et justement parce qu’ils jouissaient de sa faveur tant qu’ils ne furent point abandonnés par lui, ils continuaient malgré leur petit nombre à être protégés par la puissance divine : ainsi, sous Alexandre de Macédoine ils n’ont rien souffert de sa part, bien que certaines conventions et serments les aient empêchés de prendre les armes contre Darius. On dit même qu’alors le grand-prêtre des Juifs, revêtu de sa robe sacrée, fut adoré par Alexandre qui dit avoir eu durant son sommeil l’apparition d’un être revêtu de ce costume, lui promettant qu’il soumettrait l’Asie entière. Nous donc, chrétiens, nous déclarons : il leur est bel et bien arrivé de jouir de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres. Mais cette disposition favorable s’est portée sur nous quand Jésus eut transféré la puissance, en action chez les Juifs, à ceux des Gentils qui ont cru en lui. Voilà pourquoi les Romains, malgré leurs nombreux desseins contre les chrétiens pour les empêcher de subsister davantage, n’ont pas pu y réussir. En effet, la main divine assurait leur défense pour que la parole de Dieu se répandît d’un coin de la terre de Judée à tout le genre humain. LIVRE V

Il ajoute : ” Ces gens-là se chargent les uns les autres de toutes les horreurs possibles, rebelles à la moindre concession pour la concorde et animés de haines implacables. ” A l’objection j’ai déjà répondu : même en philosophie et en médecine il est possible de trouver des écoles qui combattent d’autres écoles. Cependant, nous qui suivons la parole de Jésus et mettons ses préceptes en pratique dans nos pensées, nos paroles, nos actions, « on nous insulte et nous bénissons, on nous persécute et nous l’endurons, on nous calomnie et nous consolons ». Loin de dire toutes les horreurs possibles contre ceux qui tiennent d’autres opinions que celles que nous avons reçues, nous ferions au contraire tout notre possible pour qu’ils se convertissent à une vie meilleure en s’attachant au seul Créateur et faisant tout en vue du jugement futur. Et si ceux qui pensent autrement ne sont pas convaincus, nous gardons la parole qui fixe la conduite à leur égard : « Pour l’hérétique, après un premier et second avertissement, romps avec lui : un tel individu, tu le sais, est un dévoyé, un pécheur qui se condamne lui-même. » De plus, ceux qui ont compris les maximes : « Bienheureux les pacifiques, bienheureux les doux » ne sauraient haïr ceux qui altèrent les vérités du christianisme, ni traiter de Circé et d’agitateurs rusés ceux qui sont tombés dans l’erreur. LIVRE V

Et puisqu’il dit : Tous ces gens si radicalement séparés, on les entendra répéter : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde, je vais le convaincre de mensonge. Il y a des sectes qui ne reçoivent pas les Epîtres de l’Apôtre Paul : les Ébionites des deux sortes et ceux qu’on appelle Encratites. Ils ne citent donc pas l’Apôtre comme un bienheureux et un sage et ne sauraient dire : « Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde. » Voilà encore un mensonge de Celse. Il a beau insister dans son accusation contre la différence des sectes, il n’a, me semble-t-il, aucune idée claire de ce qu’il dit, il n’a même pas sérieusement examiné ni compris la raison pour laquelle les chrétiens avancés dans les Écritures prétendent connaître plus de choses que les Juifs. Veut-il dire que tout en admettant les mêmes livres que les Juifs, ils les interprètent en sens contraire, ou qu’ils refusent d’admettre les livres des Juifs ? On pourrait en effet trouver ces deux attitudes dans les sectes. Après quoi il déclare : Eh bien ! même si leur religion n’a aucun fondement, examinons la doctrine elle-même. Il faut d’abord dire tout ce qu’ils ont mal compris et gâté par l’ignorance, la présomption les faisant aussitôt trancher à tort et à travers sur les principes en des matières qu’ils ne connaissent pas. En voici des exemples. Et aussitôt, à certaines expressions continuellement sur les lèvres de ceux qui croient à la doctrine chrétienne, il en oppose d’autres tirées des philosophes ; il prétend que celles des doctrines dont il reconnaît la beauté chez les chrétiens ont été exprimées avec plus de beauté et de clarté chez les philosophes ; il veut par là entraîner à la philosophie ceux que captivent ces doctrines par elles-mêmes resplendissantes de beauté et de piété. Mais terminons ici même ce cinquième livre, et commençons le sixième avec le passage qui suit. LIVRE V

Remarque dès lors la différence entre la noble parole de Platon sur le Souverain Bien, et celles des prophètes sur la lumière des bienheureux ; considère que la vérité proclamée par Platon n’a nullement favorisé une religion pure chez ses lecteurs, ni même chez Platon, malgré sa vue pénétrante sur le Souverain Bien, mais que le style simple des divines Écritures a rempli d’ardeur divine ceux qui en font une lecture véritable ; chez eux, cette lumière est alimentée par ce qu’on appelle dans certaines paraboles l’huile qui entretient la lumière des flambeaux de cinq vierges sages. LIVRE VI

En voici le texte : « Jurez aussi par le Dieu de l’univers, chef de ce qui est et de ce qui sera, Père et Seigneur de celui qui est la raison et la cause, ce Dieu que, par l’exercice de la vraie philosophie, nous connaîtrons tous avec toute la clarté possible aux bienheureux. » LIVRE VI

Quiconque a choisi la malice et y conforme sa vie en accomplissant le contraire de la vertu est un satan, c’est-à-dire un adversaire du Fils de Dieu qui est justice, vérité, sagesse. Mais l’adversaire au sens propre, c’est le premier de tous les êtres menant une vie pacifique et heureuse qui a perdu ses ailes et est tombé de son état bienheureux ; lui qui, selon Ézéchiel, marcha irréprochable dans toutes ses voies, jusqu’au jour où fut trouvée en lui l’iniquité ; lui qui était « un sceau de ressemblance et une couronne de beauté » dans le paradis de Dieu, pour ainsi dire saturé des biens, il tomba en perdition, selon l’expression mystérieuse de celui qui lui dit : « Te voilà perdu ; c’en est fait de toi à jamais !» LIVRE VI

Mais nous, nous disons : Dieu n’a pas créé le mal, la malice, les actions qui en procèdent. Car si Dieu avait créé le mal véritable, comment donc serait-il possible de prêcher avec hardiesse le jugement, d’annoncer que les méchants seront punis pour leurs actions mauvaises et en proportion de leurs péchés, et que ceux qui auront mené une vie vertueuse ou accompli des actes de vertu seront bienheureux et recevront la récompense divine ? Je sais bien que ceux qui osent prétendre que le mal aussi vient de Dieu allégueront quelques textes de l’Écriture. Mais ils ne peuvent pas montrer une suite cohérente de l’Écriture. Elle accuse les pécheurs et approuve les hommes de bien, mais n’en a pas moins ces expressions en assez grand nombre qui semblent troubler les lecteurs ignorants de l’Écriture divine. Citer ici ces passages troublants qui sont nombreux et les interpréter exigerait une longue explication ; j’ai pensé qu’elle ne convenait pas au présent traité. LIVRE VI

Ensuite, il n’a pas saisi non plus le passage : « Et Dieu acheva le sixième jour son ouvrage qu’il avait fait, et le septième jour, il s’arrêta après tout l’ouvrage qu’il avait fait. Et Dieu bénit le septième jour et en fit un jour saint, car alors il s’est arrêté de tous les travaux qu’il avait entrepris de faire. » Il s’est donc imaginé que « Il s’arrêta le septième jour » a le même sens que « Il se reposa le septième jour », et il dit : Après ce travail donc, comme un fort méchant ouvrier, il fut accablé de fatigue et eut besoin de repos pour se refaire. C’est qu’il ignorait le sens que prenait, après la création du monde qu’il effectue tant que le monde dure, le jour du sabbat et de l’arrêt du travail de Dieu ; jour où ceux qui auront accompli toutes leurs oeuvres pendant les six jours festoieront ensemble avec Dieu et, n’ayant rien omis de leurs devoirs, s’élèveront à la contemplation de Dieu et à l’assemblée des justes et des bienheureux qui y prennent part. LIVRE VI

Ils l’ont appelée les uns « Iles des bienheureux », les autres « Champs Elysées », parce qu’on y est délivré des maux d’ici-bas. Comme dit Homère: « Mais aux Champs Elysées, tout au bout de la terre, les Immortels t’enverront, là où la vie est délectable. » Et Platon qui croit l’âme immortelle nomme délibérément « terre » celle région où l’âme est envoyée : « C’est une immense étendue, et nous, qui, de la mer du Phase aux colonnes d’Hercule, en habitons les bords, comme fourmis et grenouilles autour d’un marais, nous n’en occupons qu’une petite partie. LIVRE VI

Celse, ici, dit que les démons appartiennent à Dieu et que, pour cette raison, il faut croire en eux et leur offrir selon les lois des sacrifices et des prières afin de les rendre bienveillants. Il faut donc enseigner sur ce point à qui le désire que le Logos de Dieu refuse de déclarer propriété de Dieu des êtres mauvais, car il les juge indignes d’un si grand Seigneur. C’est pourquoi tous les hommes ne sont pas nommés hommes de Dieu, mais seuls ceux qui sont dignes de Dieu : tels étaient Moïse, Élie, et tout autre qui reçoit dans l’Écriture le titre d’homme de Dieu, ou qui est semblable à ceux qui le reçoivent. Et de même, tous les anges ne sont point appelés anges de Dieu, mais seuls les bienheureux, alors que ceux qui se sont tournés vers le mal sont nommés anges du diable, comme les hommes mauvais sont appelés hommes de péché, fils de pestilence, fils d’iniquité. C’est parce que les hommes sont les uns bons, les autres mauvais, que l’on dit des uns qu’ils sont de Dieu, des autres qu’ils sont du diable, et les anges aussi sont les uns de Dieu, les autres mauvais ; mais la division en deux ne vaut plus pour les démons : il est prouvé qu’ils sont tous mauvais. Aussi déclarerons-nous fausse la parole de Celse : Si ce sont des démons, il est évident qu’eux aussi appartiennent à Dieu. Ou alors montre qui voudra qu’il n’y a pas de raison valable de faire la distinction dans le cas des hommes et des anges, ou bien qu’on peut fournir une raison de même valeur au sujet des démons. LIVRE VIII

Voyons encore les paroles que Celse nous adresse ensuite : De plus, n’est-ce point de votre part une conduite absurde : d’une part de désirer le corps et d’espérer que ce même corps ressuscitera, comme s’il n’y avait pour vous rien de meilleur ni de plus précieux que cela, et en revanche de l’exposer aux supplices comme une chose méprisable. Mais avec des hommes imbus de telles opinions et rivés au corps, celte discussion ne vaut pas la peine: ce sont des gens par ailleurs grossiers et impurs qui, sans raison aucune, sont contaminés par la révolte. Mais bien sûr, je discuterai avec ceux qui espèrent l’éternité près de Dieu pour leur âme ou leur intelligence, qu’ils veuillent l’appeler principe spirituel, esprit intelligent, saint et bienheureux, âme vivante, rejeton céleste et incorruptible de la nature divine et incorporelle, ou de quelque nom qu’il leur plaise de lui donner. Ils ont au moins celte opinion droite que ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais que les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. C’est une doctrine que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII

Après cela il approuve ceux qui espèrent l’éternité et l’identité près de Dieu pour l’âme ou l’intelligence, ce qu’on appelle chez eux principe spirituel, esprit raisonnable, intelligent, saint et bienheureux, âme vivante. Il admet comme une opinion juste la doctrine selon laquelle ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. En outre, je trouve admirables plus que tout ce qu’a jamais écrit Celse, ces mots qui concluent les remarques précédentes : c’est une doctrine que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. Mais Celse écrivait contre les chrétiens, dont la foi repose toute entière sur Dieu et sur les promesses du Christ aux justes et ses enseignements sur le châtiment des injustes : il aurait dû voir qu’un chrétien qui accepte les arguments de Celse contre les chrétiens et abandonne le christianisme, en même temps qu’il rejette l’Évangile rejette aussi probablement cette doctrine que, d’après Celse lui-même, ni les chrétiens ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII

Après avoir tant insisté là-dessus, voyons encore un autre passage de Celse que voici : Les hommes naissent liés à un corps, soit en raison de l’économie de l’univers, soit en expiation de leur faute, soit parce que l’âme est chargée de passions jusqu’à ce qu’elle soit purifiée à des périodes déterminées. Car, selon Empédocle, il faut que « pendant mille ans erre loin des bienheureux l’âme des mortels changeant de forme avec le temps ». Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison. Observe ici encore qu’en de si graves questions, il hésite d’une manière bien humaine, et il fait preuve de prudence en citant les théories de nombreux auteurs sur la cause de notre naissance, sans oser affirmer que l’une d’elles soit fausse. Mais une fois décidé à ne pas donner son assentiment à la légère et à ne pas opposer un refus téméraire aux opinions des Anciens, ne parvenait-il pas à cette conséquence logique : s’il ne voulait pas croire à la doctrine des Juifs énoncée par leurs prophètes ni à Jésus, il devait rester hésitant et admettre comme probable que ceux qui ont rendu leur culte au Dieu de l’univers et qui, pour l’honneur qui lui est dû et pour l’observation des lois qu’ils croyaient tenir de lui, se sont exposés maintes fois à des dangers sans nombre et à la mort, n’ont pas encouru le mépris de Dieu, mais qu’une révélation leur a été faite à eux aussi : car ils ont dédaigné les statues produites par l’art humain et ont tâché de monter par le raisonnement jusqu’au Dieu suprême lui-même. Ils auraient dû considérer que le Père et Créateur commun de tous les êtres, qui voit tout, entend tout, et juge selon son mérite la détermination de quiconque à le chercher et à vouloir vivre dans la piété, accorde à ceux-là aussi le fruit de sa protection, pour qu’ils progressent dans l’idée de Dieu qu’ils ont une fois reçue. Réfléchissant sur ce point, Celse et ceux qui haïssent Moïse et les prophètes parmi les Juifs, Jésus et ses véritables disciples qui se dépensent pour sa parole, n’auraient pas insulté de la sorte Moïse et les prophètes, Jésus et ses apôtres. Ils ne mettraient pas les seuls Juifs au-dessous de toutes les nations de la terre, en les disant inférieurs même aux Égyptiens qui, par superstition ou toute autre cause ou erreur, ravalent autant qu’ils peuvent jusqu’à des animaux sans raison l’honneur qu’ils doivent à la divinité. LIVRE VIII