Voyons donc si nous pouvons trouver dans l’Écriture sainte quelque signification de ce genre, s’appliquant au sens propre aux êtres célestes. L’apôtre Paul s’exprime ainsi : A la vanité la création est soumise, malgré elle, mais à cause de celui qui l’y a soumise, dans l’espérance, car la création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour parvenir à la liberté glorieuse des fils de Dieu. A quelle vanité, je vous le demande, la création est-elle soumise, et quelle est cette création ? Comment cela se fait-il malgré elle et dans quelle espérance ? Comment la création elle-même sera-t-elle libérée de la servitude de la corruption ? Mais ailleurs le même apôtre dit : Car l’attente de la création espère la révélation des fils de Dieu. Et de même ailleurs : Non seulement cela, mais encore la création elle-même gémit et souffre ensemble jusqu’à maintenant. Il faut donc chercher en quoi consiste son gémissement et ses douleurs. Voyons donc d’abord quelle est la vanité à laquelle la création est soumise. Pour moi, je ne pense pas que la vanité soit autre que les corps : car, bien qu’éthéré, le corps des astres n’en est pas moins matériel. C’est pourquoi Salomon me paraît prendre à partie toute la nature corporelle, parce qu’elle est d’une certaine façon une charge et qu’elle entrave la vigueur des esprits, quand il dit : Vanité des vanités, tout est vanité, dit l’Ecclésiaste, tout est vanité. J’ai regardé, dit-il, et j’ai vu tout ce qui est sous le soleil et voici que tout est vanité. 123 Traité des Principes Second traité (I, 5-8)
A cette vanité la création est soumise, et principalement cette création qui possède assurément dans le monde, par son office, l’autorité la plus grande et la plus éminente, c’est-à-dire le soleil, la lune et les étoiles qui sont dits soumis à la vanité, car ils ont été mis dans des corps et destinés à la fonction d’éclairer en faveur du genre humain. Et c’est malgré elle que cette création a été soumise à la vanité. Ce n’est pas en effet par sa volonté qu’elle a reçu ce ministère à rendre à la vanité, mais parce que le voulait celui qui l’y soumettait, à cause de celui qui l’a soumise, promettant à ceux qui étaient soumis malgré eux à la vanité qu’après avoir achevé les fonctions de cette œuvre magnifique, ils seront libérés de cette servitude de la corruption et de la vanité, lorsque sera arrivé le temps de la rédemption glorieuse des fils de Dieu. Dans cet espoir, dans l’espérance que la promesse sera accomplie, toute la création gémit maintenant dans l’attente, par affection envers ceux qu’elle aide, et elle souffre avec eux dans sa patience, espérant ce qui lui a été promis. 124 Traité des Principes Second traité (I, 5-8)
Voyons si cette autre parole de Paul ne peut pas s’appliquer à ceux qui, contre leur gré, mais selon la volonté de celui qui les a soumis et dans l’espoir des promesses, ont été soumis à la vanité : Je souhaiterais ma dissolution – ou : mon retour – pour être avec le Christ. Car c’est de beaucoup préférable. Je pense que le soleil pourrait dire de même : Je souhaiterais ma dissolution (ou : mon retour) pour être avec le Christ, car c’est de beaucoup préférable. Et Paul ajoute encore : Mais il est plus nécessaire de rester dans la chair à cause de vous. Le soleil lui aussi peut dire : Rester dans ce corps céleste et lumineux est plus nécessaire à cause de la révélation des fils de Dieu. On peut penser et parler de même au sujet de la lune et des étoiles. 125 Traité des Principes Second traité (I, 5-8)
Mais l’Écriture sainte ne me paraît pas s’être tue complètement sur la raison de ce mystère. L’apôtre Paul discutant Ésaü et de Jacob dit : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, pour que soit maintenue la décision concernant leur élection par Dieu, ce n’est pas par suite de leurs œuvres, mais par la volonté de celui qui les a appelés qu’il fut dit: L’aîné servira le plus jeune. Il est écrit en effet: J’ai aimé Jacob, j’ai pris en haine Elsa. Et Paul ensuite s’est répondu à lui-même en ces termes :Que dirons-nous donc ? Y a-t-il injustice de la part de Dieu ? Pour nous fournir à ce sujet une occasion de recherche et d’examen, pour savoir comment cela s’est passé d’une manière non déraisonnable, il s’est répondu à lui-même : Qu’il n’en soit pas ainsi! Les mêmes questions qui se posent à propos d’Ésaü et de Jacob, à ce qu’il me semble, peuvent s’étendre à tous les êtres célestes, aux créatures terrestres et infernales : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal; cela peut se dire pareillement de tous les autres êtres. Alors qu’ils n’avaient pas encore été créés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, afin que soit maintenue la décision de Dieu concernant leur élection, comme certains le pensent, les uns ont été faits êtres célestes, d’autres terrestres et d’autres infernaux, non par suite de leurs œuvres, selon l’opinion de ces héré-tiques, mais par la volonté de celui qui les a appelés. Que dirons-nous donc si les choses sont ainsi ? Il y a donc injustice de la part de Dieu ? Qu’il n’en soit pas ainsi! Alors, en scrutant les Écritures avec plus de soin au sujet d’Ésaü et de Jacob, on trouve qu’il n’y a pas d’injustice de la part de Dieu, quand, avant leur naissance et avant qu’ils aient fait quoi que ce soit, dans cette vie évidemment, il est dit que l’aîné servira le plus jeune, et on trouve de même qu’il n’y a pas d’injustice dans le fait que Jacob ait supplanté son frère dans le sein de sa mère, si on pense qu’il a été aimé de Dieu avec raison jusqu’à être préposé à son frère à cause des mérites d’une vie précédente, bien entendu. Ainsi peut-on penser des créatures célestes, si nous remarquons que cette diversité n’est pas l’état initial de la créature, mais que, à la suite de causes antécédentes, le Créateur prépare à chacune une fonction et un service différents selon la dignité de son mérite : cela vient assu-rément du fait que chacun, parce qu’il a été créé par Dieu comme intelligence ou comme esprit raisonnable, s’est acquis plus ou moins de mérite par suite des mouvements de l’intelligence et des affections de l’entendement et s’est rendu ainsi pour Dieu aimable ou même haïssable. Cepen-dant quelques-uns de ceux qui ont le mieux mérité ont reçu pour l’ordonnance du monde la fonction de souffrir avec les autres et de prêter service aux êtres inférieurs, afin de participer ainsi à la patience du créateur, selon ces paroles de l’Apôtre : La création a été en effet soumise à la vanité, contre son gré, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espérance. 227 Traité des Principes Troisième traité (II, 7)
Sur la création du monde, quelle autre Écriture pourra nous renseigner, si ce n’est celle où Moïse a décrit son origine ? Bien qu’elle contienne des significations plus profondes que ce que semble montrer le récit des faits, bien qu’elle renferme presque partout une intelligence spirituelle et qu’elle se serve du voile de la lettre pour cacher des réalités mystiques et profondes, cependant la parole du narrateur affirme qu’à un certain moment tout le visible a été créé. Jacob parle le premier de la fin du monde, dont il témoigne devant ses fils en ces termes : Venez vers mol, fils de Jacob, que je vous annonce ce qui se passera dans les derniers jours, ou : après les derniers jours. S’il y a des derniers jours ou un après les derniers jours, il faut que cessent des jours qui ont commencé. David dit de même : Les deux périront, mais toi, tu demeureras, et tous s’useront comme un vêlement et comme une couverture tu les changeras, et ils seront changés ; mais toi, tu es le même et tes années ne cesseront pas. Lorsque notre Seigneur et Sauveur dit : Celui qui a créé au commencement les a fait mâle et femelle, il atteste lui-même pareillement que le monde a été fait. Et lorsqu’il dit : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas, il le montre corruptible et allant vers une fin. L’Apôtre dit aussi : A la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, car la création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour recevoir la liberté glorieuse des fils de Dieu : il affirme là clairement la fin du monde, et de même quand il dit : L’état de ce monde passera. Mais en disant : La création est soumise à la vanité, il montre aussi son commencement. Si en effet la création est soumise à la vanité à cause d’un espoir quelconque, elle est soumise par une cause, et ce qui est par une cause doit nécessairement avoir eu un commencement. Il n’était pas possible, sans un commencement, que la création soit soumise à la vanité et qu’elle espère être libérée de la servitude de la corruption, si elle n’avait pas commencé à être esclave de la corruption. Mais on peut trouver bien d’autres textes de ce genre dans les Écritures, si on recherche à loisir où il est dit que le monde a eu un commencement et espère une fin. 350 AUTRE PRÉFACE DE RUFIN Huitième traité (III, 5-6)
Je pense qu’il ne faut certes pas passer sous silence comme inutile le fait que l’Écriture sainte ait appelé la création du monde d’un nom nouveau et précis parlant de kaiabolè du monde. Ce mot a été traduit assez improprement en latin par constitution du monde : mais katabolè en grec signifie plutôt l’action de jeter bas, c’est-à-dire de jeter vers le bas : on l’a traduit en latin improprement, comme nous l’avons dit, par constitution du monde. C’est ainsi que, dans l’Évangile selon Jean, le Sauveur dit : Il y aura ces jours-là une tribulation telle qu’il n’y en a pas eu de semblable depuis la constitution du monde: ici constitution représente katabolè qu’il faut entendre comme nous l’avons exposé plus haut. L’Apôtre dans son Épître aux Ephésiens a utilisé la même parole : Celui qui nous a choisis avant la constitution du monde; ici aussi constitution du monde traduit katabolè, à comprendre dans le même sens que nous avons exposé plus haut. Il vaut la peine, semble-t-il, de chercher ce qui est signifié par cette expression nouvelle. Je pense que, puisque la fin et la consommation des saints s’accompliront dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles, d’une réflexion sur cette fin on peut déduire, selon le principe que nous avons fréquemment exposé plus haut, que les créatures raisonnables ont eu un commencement semblable. Et si le commencement qu’elles ont eu est pareil à la fin qu’elles espèrent, elles furent déjà sans aucun doute, dès le début, dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles. S’il en est ainsi, sont descendues de haut en bas non seulement les âmes qui l’ont mérité par leurs mouvements divers, mais encore celles qui pour servir ce monde ont été menées, bien que ne le voulant pas, de ces réalités-là, supérieures et invisibles, à ces réalités-ci, inférieures et visibles. A la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, afin que le soleil, la lune, les étoiles et les anges de Dieu accomplissent leur ministère envers le monde : pour ces âmes qui, à cause des trop grandes défaillances de leurs intelligences, eurent besoin de ces corps plus épais et plus solides, et en vue de ceux à qui cela était nécessaire, ce monde visible a été institué. A cause de cela, par la signification de ce mot katabolè est indiquée la descente de tous ensemble du haut en bas. Certes toute la création porte en elle l’espoir de la liberté, afin d’être libérée de la servitude de la corruption, lorsque les fils de Dieu, qui sont tombés ou ont été dispersés, seront rassemblés dans l’unité, ou lorsqu’ils auront accompli dans ce monde toutes les autres missions que connaît seul Dieu, artisan de l’univers. Il faut donc penser que le monde a été fait avec la nature et la grandeur nécessaire pour pouvoir contenir toutes les âmes qui ont été placées en ce monde pour s’y exercer ou toutes les puissances qui sont prêtes à les assister, les gouverner et les aider. De nombreuses preuves démontrent que toutes les créatures raisonnables ont une seule nature : cela est nécessaire pour défendre la justice de Dieu dans tous les actes par lesquels il les gouverne, puisque chacune a en elle-même les causes qui l’ont mise dans telle ou telle condition de vie. 353 AUTRE PRÉFACE DE RUFIN Huitième traité (III, 5-6)