parole (Orígenes)

Il faut en effet savoir que les saints apôtres, lorsqu’ils ont prêché la foi au Christ, ont transmis très clairement à tous les croyants, même à ceux qui semblaient trop paresseux pour s’adonner à la recherche de la science divine, tout ce qu’ils ont jugé nécessaire. Mais les raisons de leurs assertions, ils ont laissé la tâche de les rechercher à ceux qui mériteraient les dons les plus éminents de l’Esprit et surtout qui auraient reçu du même Saint Esprit la grâce de la parole, de la sagesse et de la connaissance. Des autres réalités, ils ont affirmé leur existence, mais ils n’ont pas parlé de leur manière d’être et de leur origine, assurément pour que dans la suite les plus zélés, par amour pour la sagesse, aient de quoi s’exercer, pour montrer les fruits de leurs capacités, ceux qui se sont préparés à devenir dignes et capables de recevoir la sagesse. Préface

En outre les Écritures ont été rédigées par l’action de l’Esprit de Dieu et n’ont pas seulement pour sens celui qui apparaît clairement, mais un autre aussi qui échappe à la plupart. Ce qui y est décrit est la figure de certains mystères et l’image des réalités divines. A ce sujet toute l’Église est unanime : Toute la loi est spirituelle, cependant ce que signifie spirituellement la loi n’est pas connu de tous, mais de ceux-là qui ont reçu la grâce du Saint Esprit dans la parole de sagesse et de connaissance. Préface

Mais passons à la parole de l’Évangile : Dieu est esprit (souffle), et montrons comment il faut la comprendre d’après ce que nous avons dit. Demandons-nous quand le Sauveur l’a prononcée, et près de qui, et ce qu’il cherchait. Nous trouvons sans aucun doute qu’il parlait à une Samaritaine, celle qui pensait qu’il fallait adorer Dieu sur le mont Garizim selon l’avis des Samaritains ; c’est alors qu’il dit : Dieu est esprit. La Samaritaine, pensant qu’il était un Juif ordinaire, lui demandait s’il fallait adorer Dieu à Jérusalem ou sur cette montagne : Tous nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous dites que c’est à Jérusalem qu’il faut adorer. A cette opinion de la Samaritaine, pensant à un privilège possédé par des lieux corporels, suivant lequel on adore Dieu à tort ou à raison si on le fait avec les Juifs à Jérusalem ou avec les Samaritains sur le mont Garizim, le Sauveur répondit qu’il ne faut pas se préoccuper de lieux corporels pour suivre Dieu : L’heure vient où ce n’est pas à Jérusalem ni sur cette montagne que les vrais adorateurs adoreront le Père. Dieu est esprit et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité. Constatons le rapport qu’il a mis entre vérité et esprit : il a opposé l’esprit aux corps, la vérité à l’ombre et à l’image. Ceux qui adoraient à Jérusalem adoraient Dieu en se consacrant à l’ombre et à l’image des réalités célestes, mais non à la vérité ni à l’esprit; pareillement ceux qui adoraient sur le mont Garizim. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Mais puisque nous avons cité la parole de Paul disant du Christ qu’il est le rayonnement de la gloire de Dieu et la figure et expression de sa substance, voyons ce qu’il faut en penser. Dieu est Lumière, selon Jean. Le Fils unique est le rayonnement de cette Lumière, il procède inséparablement de lui comme le rayonnement de la lumière et il illumine toute la création. Nous avons exposé plus haut comment il est la Voie et conduit au Père, comment il est la Parole interprétant et exprimant à la créature raisonnable les secrets de la sagesse et les mystères de la connaissance, comment il est la Vérité, la Vie et la Résurrection : conformément à cela, nous devons comprendre l’action du rayonnement; par lui, en effet, on connaît et on perçoit ce qu’est la lumière elle-même. Ce rayonnement, s’offrant avec plus de modération et de douceur aux yeux fragiles et faibles des mortels, leur apprend peu à peu et les accoutume à supporter la clarté de la lumière, en écartant tout ce qui obscurcit et empêche la vision, selon cette parole du Seigneur : Ote la poutre de ton oeil : il les rend ainsi capables d’accueillir la lumière dans toute sa gloire, et là aussi il agit comme un médiateur entre les hommes et la Lumière. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Si quelqu’un voulait affirmer qu’elle n’existait pas auparavant, mais qu’ensuite elle est venue à l’être, qu’il dise pourquoi le Père qui lui a donné l’être ne l’a pas fait auparavant. Et s’il lui a donné à un certain moment un commencement où ce souffle a procédé de la puissance de Dieu, nous demanderons de nouveau pourquoi cela ne s’est pas produit avant ce commencement dont on parle ; et ainsi, en recherchant toujours ce qui s’est passé auparavant et en poussant toujours plus haut nos interrogations, nous parviendrons à comprendre que, puisque toujours Dieu pouvait et voulait, il n’y a jamais eu de raison ni de motif pour que Dieu n’ait pas toujours eu le bien qu’il voulait. Cela montre que ce souffle de la puissance de Dieu a toujours été et n’a jamais eu de commencement, si ce n’est Dieu lui-même. Il ne convenait pas d’ailleurs qu’il ait eu un autre commencement que Dieu lui-même dont il tenait l’être et la naissance. Et selon cette parole de l’Apôtre : Le Christ, Puissance de Dieu, il ne faut pas seulement l’appeler le souffle de la puissance de Dieu, mais la Puissance procédant de la puissance. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

De nombreux passages des Écritures nous apprennent qu’il y a un Saint Esprit. Ainsi David dans le Psaume 50 : Ne m’ôte pas ton Esprit Saint; et Daniel : L’Esprit Saint qui est en toi. D’abondants témoignages du Nouveau Testament nous l’enseignent, lorsqu’il rapporte que l’Esprit Saint descendit sur le Christ et lorsque le Sauveur souffla sur les apôtres après la Résurrection en leur disant : Recevez l’Esprit Saint. A Marie, l’ange a annoncé : L’Esprit Saint viendra sur toi. Paul enseigne : Personne ne peut dire Jésus Seigneur, si ce n’est dans l’Esprit Saint. Et dans les Actes des Apôtres, les apôtres par l’imposition des mains donnaient l’Esprit Saint dans le baptême. Tout cela nous révèle la grande autorité et dignité qu’a l’Esprit Saint en tant qu’être substantiel, telle que le baptême de salut ne peut être accompli que par l’autorité de la Trinité la plus excellente de toutes, par l’invocation du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, et ainsi au Père inengendré et à son Fils unique est associé le nom du Saint Esprit. N’est-il pas stupéfiant de constater la majesté de l’Esprit Saint, quand on voit que celui qui parlera mal du Fils de l’homme pourra espérer le pardon, mais que celui qui aura blasphémé contre l’Esprit Saint n’aura de pardon ni dans le siècle présent ni dans le futur ? Tout a été créé par Dieu et il n’y a pas d’être qui n’ait reçu de lui l’existence : cela est affirmé par de nombreux passages de toute l’Écriture et permet de rejeter et de réfuter des fausses affirmations faites par certains, au sujet de la matière qui serait coéternelle à Dieu, au sujet des âmes qui seraient inengendrées, Dieu ayant mis en elles non tant l’existence que la qualité et l’ordonnance de la vie. Car dans le petit livre du Pasteur, l’Ange de la Pénitence, rédigé par Hermas, il est écrit : Crois avant tout qu’il y a un seul Dieu qui a tout créé et ordonné; qui, alors que rien n’était, a tout fait; qui contient toutes choses et n’est contenu par aucune. On trouve des affirmations semblables dans le Livre d’Enoch. Mais jusqu’à présent nous n’avons pu trouver dans les Écritures saintes aucune parole disant que le Saint Esprit ait été fait ou créé, même pas de la manière dont nous avons vu Salomon parler de la Sagesse, ou selon les explications que nous avons données de la Vie, de la Parole et des autres dénominations du Fils de Dieu. L’Esprit de Dieu qui se déplaçait sur les eaux, comme c’est écrit, au début de la création du monde, je ne le crois pas autre que l’Esprit Saint, selon ce que je puis comprendre, comme nous l’avons montré en exposant ce passage, non selon l’histoire, mais selon la compréhension spirituelle. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Puisque l’action du Père et du Fils s’exerce sur les saints et les pécheurs, elle se manifeste en ce que tous les êtres raisonnables participent à la Parole de Dieu, c’est-à-dire à la Raison, et pour cela portent en eux comme des semences de la Sagesse et de la Justice, ce qu’est le Christ. De celui qui est vraiment, qui a dit par Moïse : Je suis celui qui suis, tous les êtres tirent participation. Cette participation du Père parvient à tous, justes ou pécheurs, êtres raisonnables et déraisonnables, et absolument à tout ce qui est. L’apôtre Paul montre, certes, que tous ont la participation au Christ quand il dit : Ne dis pas dans ton coeur : Qui montera dans le ciel, c’est-à-dire pour en faire descendre le Christ ? Ou: Qui descendra dans l’abîme, c’est-à-dire pour rappeler le Christ des morts ? Mais que dit l’Écriture: La Parole est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton coeur. Par là il signifie que le Christ est dans le coeur de tous, en tant que Parole ou Raison, dont la participation fait les êtres raisonnables. Ce texte de l’Évangile : Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché; maintenant ils n’ont pas d’excuse pour leur péché est clair pour ceux qui savent expliquer jusqu’à quel moment l’homme n’a pas de péché et à quel âge il devient sujet au péché : on voit ainsi comment, à cause de leur participation à la Parole ou à la Raison, on dit que les hommes ont le péché, à savoir à partir du moment où ils sont devenus capables de compréhension et de connaissance, lorsque la raison, mise à l’intérieur d’eux-mêmes, leur aura apporté le discernement du bien et du mal. Lorsqu’ils ont commencé à savoir ce qu’est le mal, s’ils le font, ils deviennent coupables de péché. C’est ce que veut dire : Les hommes n’ont pas d’excuse pour leur péché : la parole ou raison divine a commencé à leur montrer dans le coeur le discernement du bien et du mal, pour qu’ils puissent ainsi échapper au mal et s’en garder; qui connaît le bien et ne le fait pas, est-il écrit, le péché est en lui. De même, aucun homme n’est hors de la communion de Dieu ; l’Évangile l’enseigne par la bouche du Sauveur : Le royaume de Dieu ne se laisse pas observer quand il vient et on ne dit pas : Le voici ici ou là. Mais le royaume de Dieu est au dedans de vous. Il faut voir aussi si on ne trouve pas la même signification dans cette parole de la Genèse : Et il souffla sur sa face un souffle de vie et l’homme fut fait comme une âme vivante. S’il faut comprendre que cela a été donné à tous les hommes en général, tous les hommes ont une participation à Dieu ; s’il faut entendre de l’Esprit de Dieu cette parole, puisque Adam lui-même, semble-t-il, a prophétisé sur plusieurs points, on ne peut l’appliquer de façon générale, mais seulement à quelques saints. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Que personne ne pense qu’en disant que l’Esprit Saint n’est donné qu’aux saints, tandis que les bienfaits et l’action du Père et du Fils parviennent aux bons et aux mauvais, aux justes et aux injustes, nous mettons le Saint Esprit au-dessus du Père et du Fils et nous lui attribuons une plus grande dignité : cela manquerait tout à fait de conséquence. Car nous avons décrit le caractère propre de sa grâce et de son action. Cependant il n’est pas question de plus ou de moins dans la Trinité, puisque une unique source de divinité gouverne l’univers par sa Parole et sa Raison et sanctifie par l’Esprit (le souffle) de sa bouche tout ce qui est digne de sanctification, comme il est écrit dans le Psaume : Par la Parole du Seigneur les deux ont été affermis et par l’Esprit (le souffle) de sa bouche toute leur puissance. C’est en effet une opération principale de Dieu le Père en plus de celle par laquelle il donne à tous les êtres d’exister selon leur nature. Il y a aussi un ministère principal du Seigneur Jésus-Christ à l’égard de ceux à qui il confère d’être raisonnables par nature, ministère par lequel il leur accorde en outre de bien l’être. Il y a encore une autre grâce de l’Esprit Saint attribuée à ceux qui en sont dignes, par le ministère du Christ, par l’opération du Père, d’après le mérite de ceux qui en sont faits capables. C’est ce qu’indiqué très clairement l’apôtre Paul, montrant qu’il y a une seule et même puissance de la Trinité quand il dit : Les dons sont différents, mais l’Esprit est le même; les ministères sont différents, mais le Seigneur est le même; les actions sont différentes, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. A chacun il est donné de manifester l’Esprit selon ce qui convient. Il explique par là très clairement qu’il n’y a dans la Trinité aucune séparation, mais que ce qui est appelé don de l’Esprit, vient du ministère du Fils et est opéré par Dieu le Père : Tout est l’oeuvre d’un seul et même Esprit, répartissant à chacun comme il veut. Après ces mises au point sur l’unité du Père, du Fils et du Saint Esprit, revenons à ce que nous avons commencé de discuter. Dieu le Père donne à tous les êtres l’existence, mais la participation du Christ selon qu’il est Parole – ou Raison – les rend raisonnables. Ils s’ensuit qu’ils sont dignes de louange ou d’accusation parce qu’ils sont capables de vertu ou de malice. En conséquence la grâce de l’Esprit Saint est en eux pour rendre saints par sa participation ceux qui ne le sont pas par leur substance. Puisqu’ils ont reçu d’abord de Dieu le Père l’être, ensuite de la Parole la rationalité, en troisième lieu du Saint Esprit la sainteté, ils deviennent en revanche capables de recevoir le Christ en tant qu’il est la Justice de Dieu, ceux qui ont été déjà auparavant sanctifiés par l’Esprit Saint; et ceux qui ont mérité de parvenir à ce degré par la sanctification reçue de l’Esprit Saint, obtiennent néanmoins le don de sagesse par la vertu de l’action de l’Esprit de Dieu. C’est, je pense, ce que dit Paul lorsqu’il écrit qu’à certains est donnée la parole de sagesse, à d’autres la parole de connaissance selon le même Esprit. Et désignant chaque sorte de dons, il rapporte toutes choses à la source de l’univers par ces mots : Les opérations sont différentes, mais c’est un seul Dieu qui opère tout en tous. Par là, l’action du Père qui donne l’existence à tous apparaît plus brillante et plus magnifique, lorsque chacun, en participant au Christ en tant que Sagesse, Connaissance et Sanctification, se perfectionne et monte dans son progrès à des degrés supérieurs. Sanctifié par la participation au Saint Esprit, on devient ainsi de plus en plus pur, on reçoit plus dignement la grâce de la sagesse et de la connaissance, et en rejetant toutes les taches de la souillure et de l’ignorance et en s’en nettoyant, on en arrive à un tel progrès de pureté, qu’ayant reçu de Dieu l’existence, on parvient à être digne de Dieu, qui donne d’être d’une manière pure et parfaite : tellement que la créature devient aussi digne que l’est celui qui l’a créée. Ainsi celui qui est tel que l’a voulu son créateur comprendra par l’action de Dieu que sa puissance existe toujours et demeure éternellement. Pour que cela se produise et pour que les créatures adhèrent sans fin et sans séparation possible à celui qui est, c’est l’oeuvre de la Sagesse de les enseigner et de les conduire à la perfection par l’Esprit Saint qui les affermit et les sanctifie continuellement, condition qui seule rend possible la réception de Dieu. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Ainsi, malgré notre faiblesse, nous penserons, semble-t-il, pieusement de Dieu, sans accepter que les créatures soient inengendrées et coéternelles à Dieu, ni en revanche que Dieu, n’ayant rien fait de bien auparavant, ait changé à un certain moment et se soit mis à faire du bien : puisque est vraie cette parole de l’Écriture : Tu as tout fait dans ta Sagesse. Si absolument tout a été fait dans la Sagesse, puisque la Sagesse a toujours existé, tout se trouvait dans la Sagesse préfiguré et préformé, avant d’être fait substantiellement dans la suite. C’est ce que Salomon pensait, à mon avis, lorsqu’il disait dans l’Ecclésiaste : Qu’est-ce qui a été fait ? Cela même qui sera. El qu’est-ce qui a été créé ? Cela même qui sera créé. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Si quelqu’un se met à dire: Voici ceci qui est nouveau, ceci a déjà été dans les siècles qui nous ont précédés. Si donc chaque chose qui est sous le soleil a déjà existé dans les siècles qui nous ont précédés, puisque rien n’est nouveau sous le soleil, sans aucun doute tous les genres et espèces ont toujours été, et peut-être même les individualités. De toute façon est vrai ce qui est ainsi montré : Dieu n’a pas commencé un jour à être créateur, comme s’il ne l’avait pas été auparavant. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Appendice

Mais voyons ce que nous enseignent les paroles de cette prophétie : La parole du Seigneur se fil entendre à moi en ces termes : Fils d’homme, commence une lamentation sur le prince de Tyr et dis-lui: Voici ce que dit le Seigneur Dieu: Tu as été le sceau de la ressemblance et une couronne éclatante dans les délices du paradis de Dieu. Tu as été orné de toute sorte de pierres et de gemmes précieuses, tu as été revêtu de sardoine, de topaze, d’émeraude, d’escarboucle, de saphir, de jaspe, sertis dans l’argent et l’or, d’agate, d’améthyste, de chrysolithe, de béryl et d’onyx; tu as rempli d’or tes trésors et tes coffres en toi-même. Depuis le jour où tu as été créé avec les Chérubins, je t’ai placé sur la montagne sainte de Dieu. Tu t’es trouvé au milieu des pierres de feu, tu as été immaculé pendant tes jours, depuis que tu as été créé, jusqu’à ce qu’on ait trouvé en toi l’iniquité. Par l’ampleur de ton commerce, tu as rempli tes coffres d’iniquité; lu as péché et tu as été blessé et rejeté de la montagne de Dieu. Et le Chérubin t’a précipité du milieu des pierres de feu. Ton coeur s’est élevé à cause de ta magnificence, ta doctrine s’est corrompue avec ta beauté. A cause de la multitude de tes péchés je t’ai jeté à terre devant les rois; je t’ai donné en spectacle et en dérision à cause de la multitude de tes péchés et de tes iniquités ; de ton commerce tu as souillé tes sanctuaires. Je ferai sortir le feu du milieu de toi, il te dévorera et je te réduirai en cendre et poussière sur terre devant ceux qui te voient. Et tous ceux qui te connaissaient parmi les nations pleureront sur toi. Tu es devenu objet de perdition et tu ne subsisteras plus pour l’éternité. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Il y aura fin et consommation du monde lorsque chacun sera soumis aux peines méritées par ses péchés : ce temps, Dieu seul le connaît, quand chacun paiera pour ce qu’il mérite. Nous pensons que la bonté de Dieu rassemblera par son Christ toute la création dans une fin unique, après avoir réduit et soumis même les ennemis. C’est ce que dit la sainte Écriture : Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds. Si le sens de cette parole prophétique nous semble peu clair, écoutons l’apôtre Paul qui dit plus ouvertement : Il faut que le Christ règne, jusqu’à ce qu’il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds. Si même cet avis si manifeste de l’Apôtre n’a pas suffi à nous enseigner ce que veut dire : placer ses ennemis sous ses pieds, entends ce qu’il dit à la suite : Il faut que tout lui soit soumis. Quelle est donc cette soumission par laquelle toutes choses doivent être soumises au Christ ? A mon avis il s’agit de cette même soumission par laquelle nous souhaitons lui être soumis, par laquelle lui sont soumis les apôtres et tous les saints qui ont suivi le Christ. Ce mot de soumission, de soumission au Christ, exprime pour les soumis le salut qui vient du Christ. David disait : Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu ? De lui en effet vient mon salut. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Nous voyons ce qu’est la fin, lorsque tous les ennemis seront soumis au Christ, lorsque le dernier ennemi sera détruit, la mort, et lorsque la royauté sera transmise à Dieu le Père par le Christ à qui tout a été soumis : à partir de cette fin, dis-je, examinons les commencements des choses. La fin est en effet toujours semblable au commencement : et c’est pourquoi, de même que la fin de toutes choses est l’unité, de même il faut comprendre que le commencement de tout est l’unité. Comme cette fin unique est celle de nombreux êtres, ainsi à partir d’un commencement unique, il y a beaucoup de différences et de variétés qui de nouveau, par la bonté de Dieu, la soumission du Christ et l’unité de l’Esprit Saint, sont ramenées à une seule fin semblable au début. Il s’agit de tous ceux qui, fléchissant le genou devant Jésus, donnent par là témoignage de leur soumission, parmi les êtres célestes, terrestres et infernaux : ces trois catégories désignent tout l’univers, c’est-à-dire ceux qui, à partir d’un commencement unique, se comportant de façon variée chacun de son propre mouvement, ont été répartis en divers ordres selon leur mérite ; car la bonté n’était pas en eux de façon substantielle, comme en Dieu, dans son Christ et dans le Saint Esprit. Dans cette Trinité seule, qui est l’auteur de tout, la bonté est présente de façon substantielle : tous les autres êtres ont une bonté accidentelle et qui peut défaillir ; ils sont donc dans la béatitude quand ils participent à la sainteté, à la sagesse et à la divinité elles-mêmes. Si cependant ils négligent cette participation et ne s’en occupent pas, alors par la faute de leur propre paresse, l’un plus tôt, l’autre plus tard, un troisième plus ou moins profondément, chacun devient pour lui-même cause de sa chute et de sa déchéance. Et puisque, comme nous l’avons dit, cette chute ou cette déchéance, qui éloigne chacun de son état, se produit avec une très grande diversité selon les mouvements de l’intelligence et de la volonté qui font pencher vers le bas, l’un plus légèrement, l’autre plus lourdement, en cela le jugement de la providence de Dieu est juste, car il atteint chacun selon la diversité de ses mouvements dans la mesure de son éloignement et de son agitation. Certes, parmi ceux qui sont restés dans l’état initial, que nous avons décrit semblable à la fin à venir, les uns obtiennent par eux-mêmes dans l’ordonnance et le gouvernement de l’univers le rang des anges, d’autres celui des Vertus, d’autres celui des Principautés, d’autres celui des Puissances – par là évidemment ils exercent leur puissance sur ceux qui ont besoin d’avoir la puissance sur leur tête -, d’autres l’ordre des Trônes, ayant la charge de juger et de diriger ceux qui en ont besoin, d’autres la Domination, sans aucun doute sur des serviteurs : tout cela leur est accordé par la divine providence selon un jugement équitable et juste, d’après leur mérite et leurs progrès, qui les ont fait croître dans la participation et l’imitation de Dieu. Mais ceux qui se sont écartés de l’état de béatitude première, non cependant de façon irrémédiable, sont soumis aux ordres saints et bienheureux que nous avons décrits plus haut, pour être gouvernés et dirigés, afin que, s’ils usent de leur aide, s’ils se réforment d’après leurs instructions et leurs doctrines salutaires, ils puissent revenir à leur état bienheureux et y être rétablis. C’est avec ceux-ci, autant que je puisse le penser, qu’a été constitué cet ordre du genre humain, qui assurément dans le siècle futur ou dans les siècles qui surviendront, lorsqu’il y aura selon Isaïe un ciel nouveau et une terre nouvelle, sera rétabli dans cette unité que promet le Seigneur Jésus lorsqu’il dit à Dieu le Père au sujet de ses disciples : Ce n’est pas pour eux seuls que je te prie, mais pour tous ceux qui croiront par leur parole en moi, afin que tous soient un, comme moi je suis en toi, Père, et toi en moi, afin que ceux-ci soient un en nous. Il ajoute : Afin qu’ils soient un, comme nous, nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient eux-mêmes consommés en un. L’apôtre Paul lui aussi le confirme : Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi pour former l’homme parfait, dans la mesure de la pleine maturité du Christ. Et de même cet apôtre nous exhorte, alors que nous sommes encore dans la vie présente, dans l’Église, où se trouve assurément la figure du royaume à venir, à une unité semblable à celle-là : Afin que vous disiez tous les mêmes choses et qu’il n’y ait pas parmi vous de dissensions, afin que vous soyez parfaits dans une seule et même pensée, dans une seule et même opinion. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Puisque la logique de cette discussion montre que les astres sont des êtres animés et raisonnables, il faut voir s’ils ont reçu leurs âmes en même temps que leurs corps, au moment que désigne l’Écriture : Dieu fit deux grands luminaires, un plus grand pour gouverner le jour et un plus petit pour gouverner la nuit, ainsi que des étoiles, ou si l’esprit a été inséré, non à la création même des corps, mais du dehors, une fois les corps créés. Quant à moi je présume que l’esprit a été inséré du dehors, mais il paraîtra important de montrer cela à partir des Écritures. Cela semblera facile à affirmer par manière de conjecture, mais assurément plus difficile par le témoignage des Écritures. Car il est possible de le montrer ainsi par manière de conjecture. S’il est prouvé que l’âme de l’homme, assurément inférieure à celle des astres, puisqu’elle est l’âme de l’homme, n’a pas été façonnée avec le corps, mais a été effectivement insérée de l’extérieur, à plus forte raison est-ce le cas des âmes de ces êtres animés qui sont appelés célestes. Car en ce qui regarde l’homme, comment paraîtra-t-elle façonnée avec le corps l’âme de celui qui dans le ventre maternel a supplanté son frère, c’est-à-dire Jacob ? Ou comment a-t-elle été façonnée ou modelée avec le corps l’âme de celui qui, encore dans le ventre de sa mère, a été rempli de l’Esprit Saint ? Je parle de Jean, transporté de joie dans le sein de sa mère et s’agitant, pris d’une grande exultation, parce que la voix de la salutation de Marie était parvenue aux oreilles d’Elisabeth sa mère. Comment a-t-elle été façonnée et modelée avec le corps l’âme de celui qui est dit connu par Dieu avant d’être formé dans le sein et sanctifié par lui avant de sortir de la matrice ? A moins que Dieu ne paraisse remplir certains de l’Esprit Saint sans jugement et sans considération de leurs mérites et les sanctifier sans raison. Comment alors échapperons-nous à cette parole : Y a-t-il injustice auprès de Dieu ? Loin de là ! Ou à cette autre : Y a-t-il acception de personnes auprès de Dieu ? C’est à une telle conclusion qu’aboutit cependant la défense de l’assertion qui fait exister les âmes la même longueur de temps que les corps. Ce qu’on peut conjecturer par comparaison avec la situation humaine paraît s’appliquer encore plus logiquement aux êtres célestes : la raison de l’homme elle-même et l’autorité de l’Écriture semblent le montrer. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Voyons si cette autre parole de Paul ne peut pas s’appliquer à ceux qui, contre leur gré, mais selon la volonté de celui qui les a soumis et dans l’espoir des promesses, ont été soumis à la vanité : Je souhaiterais ma dissolution – ou : mon retour – pour être avec le Christ. Car c’est de beaucoup préférable. Je pense que le soleil pourrait dire de même : Je souhaiterais ma dissolution (ou : mon retour) pour être avec le Christ, car c’est de beaucoup préférable. Et Paul ajoute encore : Mais il est plus nécessaire de rester dans la chair à cause de vous. Le soleil lui aussi peut dire : Rester dans ce corps céleste et lumineux est plus nécessaire à cause de la révélation des fils de Dieu. On peut penser et parler de même au sujet de la lune et des étoiles. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Pour faire apparaître avec plus de clarté si la matière corporelle subsiste seulement par intervalles et si, de même qu’elle n’existait pas avant d’être, de même elle sera dissoute et ne sera plus, voyons d’abord s’il peut se faire que quelqu’un vive sans corps. En effet si quelqu’un peut vivre sans corps, tous les êtres le peuvent, car le traité précédent a montré que tous tendent vers une seule fin. Si donc tous les êtres peuvent être dépourvus de corps, sans aucun doute il n’existera plus de substance corporelle, car elle n’aura plus d’utilité. Et comment entendrons-nous ce que dit l’Apôtre, dans ce passage où il discute de la résurrection des morts : Il faut que ce qui est corruptible revête l’incorruption et que ce qui est mortel revête l’immortalité. Lorsque ce qui est corruptible aura revêtu l’incorruption et ce qui est mortel l’immortalité, alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort a été absorbée dans la victoire. Où est, mort, ta victoire ? Où est, mort, ton aiguillon ? En effet l’aiguillon de la mort c’est le péché, la force du péché c’est la loi. L’Apôtre donc semble suggérer une signification semblable. En effet ces expressions : ce qui est corruptible, et : ce qui est mortel, prononcées comme avec le sentiment de celui qui touche et qui montre, à quoi peuvent-elles s’appliquer sinon à la matière corporelle ? Donc cette matière du corps, maintenant corruptible, revêtira l’incorruption, lorsque l’âme parfaite, instruite des doctrines de l’incorruption, aura commencé à l’utiliser. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Cependant ce monde est dit l’achèvement de beaucoup de siècles et est lui aussi appelé siècle. Le saint Apôtre enseigne que le Christ n’a pas souffert dans le siècle qui a précédé celui-ci, ni même dans celui qui a existé avant le siècle précédent, et je ne sais si je pourrais énumérer tous les siècles antérieurs dans lesquels il n’a pas souffert. Voici les paroles de Paul qu’on pourrait invoquer pour permettre de comprendre cela : Maintenant, une seule fois, à la consommation des siècles il s’est manifesté pour repousser le péché en se faisant victime. Il dit en effet qu’une seule fois il s’est fait victime et s’est manifesté à la fin des siècles pour repousser le péché. Mais après ce siècle, qui a été fait selon Paul comme la consommation d’autres siècles, surviendront d’autres siècles, et nous l’apprenons aussi clairement du même Paul : Afin qu’il montrât aux siècles à venir les richesses surabondantes de sa grâce dans sa bonté pour nous. Il n’a pas dit : au siècle à venir, ni : aux deux siècles, mais : aux siècles à venir. Je juge en conséquence que cette parole indique une multitude de siècles. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

De là certains soutiennent que les globes de la lune, du soleil ou des autres astres appelés planètes sont chacun nommés un monde ; mais ils veulent néanmoins appeler un monde au sens propre le globe qui les dépasse, celui des étoiles fixes. Ils invoquent, comme témoignage de cette assertion, le livre du prophète Baruch qui indique plus clairement les sept mondes ou cieux. Ils veulent que, au-dessus de cette sphère qu’ils appellent la sphère des étoiles fixes, il y en ait une autre qui, de même que chez nous le ciel contient tout ce qui est au-dessous de lui, renfermerait, selon leur opinion, dans sa grandeur sans mesure et son étreinte ineffable, les espaces de toutes les autres sphères, les entourant magnifiquement. Ainsi toutes choses seraient à l’intérieur de cette sphère de la même manière que notre terre est au-dessus du ciel. Ce que les Écritures saintes nomment, nous le croyons, bonne terre et terre des vivants, a pour ciel ce dont nous avons parlé plus haut, le ciel où, selon la parole du Sauveur, sont écrits ou ont été écrits les noms des saints, et ce ciel renferme et embrasse cette terre que le Sauveur dans l’Évangile a promis aux paisibles et aux doux. Les mêmes veulent que notre terre, dont l’appellation première était l’aride, ait tiré son nom de cette terre-là, de même que le firmament, notre ciel, a été désigné du même terme que ce ciel-là. Mais nous avons traité plus complètement de cela lorsque nous avons recherché le sens de la phrase : Dans le principe Dieu a fait le ciel et la ferre. Par là sont désignés un autre ciel et une autre terre que le firmament qui a été fait, selon l’Écriture, deux jours après et que l’aride qui a été ensuite nommée terre. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Nous avons esquissé comme nous avons pu les comprendre ces trois opinions sur la fin de toutes choses et la béatitude suprême : que chaque lecteur juge en lui-même avec diligence et minutie, s’il veut en approuver et en choisir une. Il est dit qu’on pense pouvoir mener une vie incorporelle quand tout aura été soumis au Christ et par le Christ à Dieu le Père, lorsque Dieu sera tout en tous ; ou bien cependant que lorsque tout sera soumis au Christ et par le Christ à Dieu, avec qui les natures raisonnables formeront un seul esprit, puisqu’elles sont des esprits, la substance corporelle elle-même associée à des esprits excellents et très purs brillera, changée dans un état éthéré selon la qualité ou les mérites de ceux qui l’assument, d’après cette parole de l’Apôtre : Nous aussi nous serons changés ; ou encore que, lorsque la condition des choses qui se voient aura passé, toute corruptibilité ayant été rejetée et purifiée et tout l’état de ce monde, où l’on dit que se trouvent les sphères des planètes, ayant été dépassé et transcendé, c’est au-dessus de la sphère dite des étoiles fixes que la demeure des pieux et des bienheureux sera établie, comme dans la bonne terre, la terre des vivants, que recevront les paisibles et les doux. A cette terre correspond le ciel qui l’entoure et l’enferme comme dans une enceinte plus magnifique, le ciel au sens strict et premier. Dans ce ciel et dans cette terre trouveront place l’achèvement et la perfection de toutes choses d’une manière stable, sûre et très durable. C’est là que ceux qui auront été corrigés par les peines subies pour être purifiés de leurs péchés, lorsque tout aura été accompli et payé, mériteront d’habiter cette terre, et ceux qui ont obéi à la Parole de Dieu, se sont montrés capables de recevoir sa Sagesse et l’ont suivie, mériteront, selon l’Écriture, les royaumes de ce ciel ou de ces cieux. Ainsi s’accompliront ces paroles : Bienheureux les doux car ils recevront en héritage la terre. Bienheureux les pauvres par l’esprit car ils auront l’héritage du royaume des cieux, et ce que dit le Psaume : Il t’élèvera pour que tu hérites la terre. Pour cette terre-ci on emploie l’expression descendre, pour cette terre-là, qui est en haut, celle d’être élevé. Il semble ainsi que soit ouvert par les progrès des saints comme un chemin de cette terre-là à ces cieux-là : ils ne paraissent pas tant devoir rester dans cette terre que l’habiter, pour passer ensuite, lorsqu’ils auront fait quelque progrès, à l’héritage du royaume des cieux. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Supposons cependant, malgré ces preuves tout à fait évidentes, que c’est de je ne sais quel autre Dieu que le Sauveur a dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et tous les autres textes que nous avons invoqués. Si la loi et les prophètes sont l’oeuvre du créateur, à ce que disent les hérétiques, c’est-à-dire d’un autre Dieu que celui qu’ils présentent comme le Dieu bon, comment concilier avec cela ce que le Christ ajoute, que la loi et les prophètes dépendent de ces deux commandements ? Comment ce qui est étranger et éloigné de Dieu dépendra-t-il de Dieu ? Lorsque Paul déclare : Je rends grâce à mon Dieu que je sers comme l’ont fait mes ancêtres avec une conscience pure, il montre clairement qu’il n’est pas venu au Christ pour aller à un Dieu nouveau. Ces ancêtres de Paul faut-il les comprendre autres que ceux dont il dit : Ils sont Hébreux, moi aussi; ils sont Israélites, moi aussi. Mais la préface même de son Epître aux Romains ne montre-t-elle pas avec soin, à ceux qui savent comprendre les lettres de Paul, quel est ce Dieu que prêche Paul ? Il dit en effet : Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé apôtre, mis à part pour l’évangile de Dieu, que Dieu a promis dans les saintes Écritures au sujet de son Fils, ce Fils qu’il a fait chair à partir de la semence de David, qu’il a prédestiné comme Fils de Dieu dans sa puissance selon l’Esprit de sanctification en ressuscitant des morts Jésus-Christ notre Seigneur, et cetera. On peut aussi citer cette parole : Tu ne musèleras pas le boeuf qui foule l’aire; mais Dieu se soucie-t-il des boeufs ? Ou le dit-il assurément pour nous ? Pour nous en effet cela est écrit, car celui qui laboure doit labourer avec l’espérance et celui qui foule l’aire avec l’espoir de récolter. Par là, Paul montre avec évidence que le Dieu qui donne la loi a dit pour nous, c’est-à-dire pour ses apôtres : Tu ne musèleras pas le boeuf qui foule l’aire, car il ne se souciait pas des boeufs, mais des apôtres qui prêchaient l’évangile du Christ. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Première section

Mais ils diront : Dieu est invisible. Que ferez-vous alors ? Si vous le dites invisible par nature, il ne sera même pas visible pour le Sauveur. Bien plus, le Dieu Père du Christ est vu selon l’Écriture puisque : qui a vu le Fils a vu aussi le Père. Cette parole, qui vous gêne fortement, est comprise par nous plus justement non de la vision mais de la compréhension. Celui qui a compris le Fils a compris aussi le Père. C’est ainsi qu’on pense que Moïse a vu Dieu, non pas en le regardant avec les yeux charnels, mais en le comprenant par la vue du coeur et le sens de l’intelligence, et cela seulement en partie. Il est dit en effet clairement par celui qui répondait à Moïse : Tu ne verras pas ma face, mais mon dos. Tout cela est assurément à comprendre selon le mystère habituel aux paroles divines, en rejetant certes et en méprisant ces fables de bonne femme, oeuvres d’ignorants, qui imaginent en Dieu une face et un dos. Que personne ne nous attribue une pensée impie lorsque nous disons que Dieu n’est même pas visible pour le Sauveur, mais qu’il considère les distinctions que nous devons utiliser pour traiter avec les hérétiques. Nous avons dit en effet qu’autre chose est voir et être vu, autre chose connaître et être connu. Voir et être vu sont donc le propre des corps et ne peuvent être appliqués aux relations réciproques du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Car la nature de la Trinité excède les capacités de la vue, tout en accordant à tous les êtres corporels, c’est-à-dire à tous les autres êtres, les créatures, la possibilité de voir dans leurs relations réciproques, mais à une nature incorporelle, et surtout à une nature intellectuelle, ne conviennent que connaître et être connu, selon cette parole du Sauveur : Personne ne connaît le Fils sinon le Père, ni le Père sinon le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. Il a dit fort clairement, non : Personne ne voit sinon le Fils, mais : Personne ne connaît sinon le Fils. Mais si, à cause de ce qui est dit dans l’Ancien Testament sur Dieu qui s’irrite, se repent, ou éprouve toute autre passion humaine, les hérétiques pensent avoir de quoi nous réfuter, puisqu’ils affirment qu’on doit se représenter Dieu comme absolument impassible et exempt de tout sentiment de cette sorte, il faut leur montrer que même dans les paraboles évangéliques on trouve des expressions semblables : par exemple celui qui planta une vigne, la loua à des agriculteurs qui tuèrent les serviteurs qu’il leur envoya et à la fin mirent à mort même son fils qu’il leur avait député, est dit s’être mis en colère, leur avoir enlevé la vigne, avoir fait périr ces mauvais agriculteurs et avoir confié la vigne à d’autres disposés à lui remettre les fruits au moment voulu. On peut citer aussi ces concitoyens qui, après que le père de famille fut parti pour recevoir la royauté, dépêchèrent à sa suite des envoyés pour dire : Nous ne voulons pas qu’il règne sur nous ; et quand il revint, ayant obtenu la royauté, le père de famille irrité les fit tuer en sa présence et détruire leur ville par le feu. Mais nous, lorsque nous voyons l’Ancien ou le Nouveau Testament parler de la colère de Dieu, nous ne prenons pas à la lettre ce qui y est dit, mais nous y cherchons une compréhension spirituelle, pour penser selon une intelligence digne de Dieu. Lorsque nous avons commenté ce verset du Psaume 2 : Alors il leur parlera dans sa colère et les épouvantera dans sa fureur, nous avons montré comment il fallait entendre cela, comme nous l’avons pu, avec les faibles ressources de notre intelligence. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Première section

Ensuite si celui qu’ils disent bon est bon pour tous, sans aucun doute il l’est pour ceux qui sont destinés à perdition ; comment alors ne les sauve-t-il pas ? S’il ne le veut pas, il ne sera pas bon; s’il le veut et ne le peut pas, il ne sera pas tout-puissant. Qu’ils entendent plutôt, dans les Évangiles, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ préparant le feu pour le diable et ses anges. Comment une action aussi punitive et pénible selon le sens qu’ils lui donnent pourra paraître l’oeuvre du Dieu bon ? Mais le Sauveur lui-même, fils du Dieu bon, déclare dans les Évangiles : Si ces signes et ces prodiges avaient été accomplis à Tyr et à Sidon, depuis longtemps elles auraient fait pénitence dans le sac et la cendre. Et lorsqu’il s’est approché de ces villes et qu’il a pénétré sur leur territoire, pourquoi, je vous le demande, a-t-il refusé d’entrer dans ces cités et de leur manifester en abondance les signes et les prodiges, puisqu’il était certain que devant cela elles auraient fait pénitence dans le sac et la cendre ? Puisque assurément il ne l’a pas fait, il a abandonné sans aucun doute à la perdition ces cités, qui n’étaient pas cependant d’une nature mauvaise et perdue d’après la parole même de l’Évangile, puisqu’il est dit qu’elles pouvaient se repentir. Et on trouve aussi dans une parabole évangélique : Le roi, pénétrant dans la salle pour voir les convives, qui avaient été invités, vit quelqu’un qui n’était pas vêtu de la tenue des noces et il lui dit: Ami, comment es-tu entré ici sans la tenue des noces ? Alors il dit aux serviteurs: Liez-lui mains et pieds et jetez-le dehors dans les ténèbres extérieures, là où il y aura pleurs et grincements de dents. Qu’ils nous disent quel est ce roi qui entre pour voir les convives et qui, trouvant parmi eux quelqu’un revêtu d’habits sales, ordonna à ses serviteurs de l’enchaîner et de le repousser dans les ténèbres extérieures : est-ce celui qu’ils appellent le Dieu juste ? Comment avait-il ordonné d’inviter des bons et des méchants sans avoir fait faire par ses serviteurs une enquête sur leurs mérites ? Par là ne sont pas seulement marqués les sentiments d’un juste, comme ils disent, et de quelqu’un qui rétribue selon le mérite, mais une bienveillance qui ne fait pas de distinction entre tous. S’il est vraiment nécessaire de comprendre ce passage du Dieu bon, c’est-à-dire du Christ ou de son Père, qu’a-t-il fait d’autre que ce qu’ils objectent au Dieu juste; bien plus, que reprochent-ils d’autre au Dieu de la loi que ce qu’a fait celui-là, qui, après avoir invité cet homme, par l’intermédiaire des serviteurs qu’il avait envoyés appeler les bons et les méchants, ordonne, à cause de vêtements trop sales, de lui lier les mains et les pieds et de le précipiter dans les ténèbres extérieures ? Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Mais de nouveau ils nous ramènent aux paroles de l’Écriture en posant leur fameuse question. Il est écrit, disent-ils, qu’un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits ni un arbre mauvais de bons fruits : par son fruit on reconnaît l’arbre. Qu’en est-il donc, disent-ils ? De quelle nature est l’arbre de la loi, cela est manifesté par ses fruits, c’est-à-dire par les paroles de ses préceptes. Si on trouve la loi bonne, sans aucun doute on peut croire que celui qui l’a donnée est aussi le Dieu bon ; mais si elle est plus juste que bonne, on pensera que son Dieu est un législateur juste. L’apôtre Paul n’a employé aucune circonlocution pour dire : Donc la loi est bonne, le commandement saint, juste et bon. De là il est clair que Paul ne s’était pas instruit dans les écrits de ceux qui séparent le juste du bon, mais avait été enseigné par ce Dieu et illuminé par l’Esprit de ce Dieu qui est à la fois saint, bon et juste : parlant par son Esprit, il disait que le commandement de la loi est saint, juste et bon. Pour montrer avec plus d’évidence qu’il y a dans le commandement plus de bonté encore que de sainteté et de justice, il répète sa parole en parlant seulement de la bonté au lieu des trois : Ce qui est donc bon serait mort pour moi ? Qu’il n’en soit pas ainsi. Parce qu’il savait que, parmi les vertus, la bonté représente le genre, la justice et la sainteté les espèces du genre, voilà pourquoi, alors que plus haut il avait nommé le genre et les espèces, en redisant cette parole il a répété seulement le genre. Mais dans ce qui suit il dit : Le péché, par le bien, a opéré en moi la mort. Là il conclut par le genre ce qu’il avait exposé auparavant par les espèces. Il faut comprendre aussi de la même manière ces paroles : L’homme bon, du bon trésor de son coeur, profère le bien et l’homme mauvais, de son mauvais trésor, le mal. Ici aussi l’auteur a pris le genre, bien ou mal, montrant sans aucun doute qu’il y a dans l’homme bon la justice, la tempérance, la prudence, la piété (ou miséricorde) et tout ce qui peut être dit ou compris bon. Pareillement il a parlé de l’homme mauvais, qui serait certainement injuste, impur, impie et tout ce qui forme l’homme mauvais dans ses divers éléments. De même que sans ces malices on ne peut penser qu’un homme est mauvais et qu’il ne peut être mauvais, de même sans ces vertus il est certain que personne ne peut être jugé bon. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Il y a de nombreuses manières de comprendre le Christ, car, bien qu’il soit, certes, la Sagesse, il n’opère pas ni n’accomplit en tous les effets de la Sagesse, mais seulement en ceux qui s’adonnent en lui à la sagesse ; s’il est appelé médecin, il n’agit pas envers tous comme médecin, mais seulement envers ceux qui, ayant compris qu’ils sont malades, se réfugient dans sa miséricorde pour obtenir la santé. Je pense de même du Saint Esprit en qui se trouve toute la nature des dons. Aux uns en effet est fournie par l’Esprit la parole de sagesse, aux autres la parole de connaissance, à d’autres la foi; et ainsi, en chacun de ceux qui peuvent le recevoir, l’Esprit lui-même prend la forme dont a besoin celui qui a mérité de participer à lui et se fait comprendre de cette façon. Mais, sans remarquer ces distinctions et ces différences, certains, entendant qu’il est nommé Paraclet dans l’Évangile, ne réfléchissant pas à l’activité et au rôle qui le font appeler Paraclet, l’ont comparé à je ne sais quels esprits vils et ont tenté de troubler par là les Églises du Christ, au point d’engendrer des dissensions non négligeables parmi les frères. Mais l’Évangile lui confère une si grande puissance et majesté que, selon lui, les apôtres ne pouvaient encore comprendre ce que voulait leur enseigner le Sauveur, avant la venue de l’Esprit Saint qui, se répandant dans leurs âmes, les éclairerait sur la nature de la Trinité et sur la foi en elle. Mais ces hérétiques, à cause de l’incapacité de leur intelligence qui les empêche non seulement d’exposer avec logique ce qui est exact, mais encore de prêter l’oreille à ce que nous disons, pensent de la divinité de l’Esprit Saint des choses inférieures à sa dignité et se sont livrés à l’erreur et à la tromperie, déformés par des esprits erronés plutôt qu’instruits par les enseignements du Saint Esprit, selon cette parole de l’apôtre : Suivant la doctrine des esprits démoniaques qui défendent de se marier, pour la perte et la ruine de beaucoup, et obligent à contretemps de s’abstenir des nourritures, pour séduire les âmes des innocents en faisant montre d’une observance plus stricte. Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique

Il nous faut donc savoir que l’Esprit Saint est Paraclet et qu’il enseigne des vérités trop grandes pour être exprimées, des vérités, pour ainsi dire, ineffables et qu’il n’est pas permis à l’homme de dire, c’est-à-dire qui ne peuvent être dévoilées par une parole humaine. Cette expression : il n’est pas permis, nous pensons qu’elle est employée par Paul au lieu de : il n’est pas possible, comme quand il dit : Tout est permis, mais tout ne convient pas; tout est permis, mais tout n’édifie pas. Ce dont nous avons la possibilité, parce que nous pouvons l’avoir, il dit que c’est permis. Le Paraclet, terme appliqué au Saint Esprit, vient du mot consolation – paraclèsis en effet se dit en latin consolatio – : celui en effet qui aura mérité de participer au Saint Esprit par la connaissance des mystères ineffables, reçoit sans aucun doute consolation et joie du coeur. Lorsqu’il aura connu en effet la nature de tout ce qui se fait, qu’il saura, sur l’indication de l’Esprit, pourquoi et comment cela se fait, son âme ne pourra absolument plus être troublée ni accueillir aucun sentiment de peine : il ne sera plus terrifié par rien, lorsque, adhérant à la Parole de Dieu et à sa Sagesse, il dit dans l’Esprit Saint que Jésus est Seigneur. Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique

Mais puisque nous mentionnons le Paraclet et que nous exposons, dans la mesure de nos forces, comment il faut comprendre de lui ce terme, notre Sauveur lui-même est appelé Paraclet dans l’Epître de Jean: Si l’un de nous a péché, nous avons un Paraclet auprès du Père, Jésus-Christ le juste, et il est lui-même propitiation pour nos péchés. Voyons si par hasard cette appellation de Paraclet signifierait, appliquée au Sauveur, autre chose qu’appliquée à l’Esprit Saint. Appliqué au Sauveur, Paraclet semble vouloir dire intercesseur, et les deux sens de consolateur et d’intercesseur existent dans le grec Paraclet. A cause de la parole qui suit : Il est lui-même propitiation pour nos péchés, il faut, semble-t-il, comprendre plutôt Paraclet appliqué au Sauveur comme intercesseur, car il est dit intercéder auprès du Père pour nos péchés. Appliqué au Saint-Esprit, Paraclet doit signifier consolateur, car il console les âmes auxquelles il ouvre et révèle le sens de la connaissance spirituelle. Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique

Mais le sens même du mot âme, tel qu’il est en grec (psyché) a paru à certains de ceux qui cherchent avec plus de soin, suggérer une signification qui n’est pas sans intérêt. Car la parole divine dit que Dieu est feu : Notre Dieu est un feu qui consume. Et de la substance des anges elle affirme : Celui qui a fait de ses anges des esprits (souffles) et de ses ministres un feu qui brûle. Et ailleurs : L’Ange du Seigneur apparut en flamme de feu dans le buisson. Bien plus, nous avons reçu le commandement d’être brûlants par l’esprit : par là sans aucun doute il est montré que la Parole de Dieu est enflammée et chaude. Mais le prophète Jérémie entendait de celui qui lui répondait : Voici que j’ai mis mes paroles dans ta bouche comme du feu. De même que Dieu est feu, que les anges sont la flamme du feu et que les saints brûlent par l’esprit, de même au contraire ceux qui sont tombés de l’amour de Dieu se sont refroidis dans leur charité pour lui et on dit qu’ils sont devenus froids. En effet le Seigneur dit : Par suite de la multiplication de l’iniquité, la charité de beaucoup se refroidira. Et tout ce qui, de quelque manière, symbolise dans les Écritures saintes la puissance adverse est toujours froid, comme on peut le remarquer. En effet le diable est appelé le serpent et le dragon : que peut-on trouver de plus froid ? Le dragon est représenté régnant dans les eaux, et ceci revient aussi à propos d’un des esprits malins que le prophète montre dans la mer. En un autre endroit le prophète dit : Je lancerai l’épée sainte sur le dragon, le serpent qui fuit, sur le dragon, le serpent pervers, et l’épée le tuera. Et ailleurs : Même s’ils s’éloignaient de mes yeux et descendaient dans les profondeurs de la mer, je commanderai au dragon et il les mordra. Dans Job, le dragon est dit le roi de tous ceux qui sont dans les eaux. Le prophète annonce que de Borée viendront des maux sur tous ceux qui habitent la terre. Or Borée désigne dans les Écritures le vent froid, comme l’écrit la Sagesse: Borée est le vent froid. Cela, sans aucun doute, il faut l’entendre du diable. Si donc les réalités saintes sont appelées feu, lumière, et sont dites brûlantes, si les réalités contraires sont froides et si la charité se refroidit, selon l’Écriture, dans les pécheurs, on peut se demander si peut-être le mot âme, qui se dit en grec psyché, ne viendrait pas au figuré de ce refroidissement à partir d’un état plus divin et meilleur, c’est-à-dire que l’âme se serait refroidie de sa chaleur naturelle et divine pour recevoir l’état et la dénomination qu’elle a actuellement. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

Nous avons exposé tout cela comme nous l’avons pu à propos de l’âme raisonnable, plutôt pour être discuté par les lecteurs que comme des doctrines fixées et définies. Au sujet des âmes des animaux et des autres êtres privés de parole suffit ce que nous avons dit brièvement plus haut. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

Maintenant nous appelons monde tout ce qui est soit au-dessus des cieux, soit dans les cieux, soit sur la terre, soit dans ce qu’on nomme l’Hadès, soit tous les lieux absolument qui existent et ceux qu’on dit habiter dans ces lieux : on appelle donc monde l’univers. Dans ce monde il y a des êtres dits supracélestes, habitant des demeures d’une béatitude plus grande et revêtus de corps plus célestes et plus lumineux ; parmi eux on trouve beaucoup de degrés, comme, par exemple, ce qu’a dit l’Apôtre : Autre est la gloire du soleil, autre celle de la lune, autre celle des étoiles, car une étoile diffère d’une autre en gloire. Il y a aussi des êtres terrestres, très différents les uns des autres, parmi les hommes eux-mêmes : il y a des barbares, des Grecs, et parmi les barbares les uns sont plus cruels et féroces, les autres plus doux. Certains obéissent à des lois excellentes, d’autres à des lois méprisables et dures, d’autres suivent des coutumes inhumaines et sauvages plutôt que des lois. Certains vivent dans l’humiliation dès leur naissance, sont soumis à d’autres et élevés en esclaves, ou sont placés sous le pouvoir de maîtres, de princes ou de tyrans, mais d’autres reçoivent une éducation plus libérale et plus raisonnable ; certains possèdent la santé du corps, d’autres sont malades dès leur jeune âge, privés de la vue, de l’ouïe ou de la parole, soit qu’ils soient nés ainsi, soit qu’ils aient perdu ces sens sitôt après la naissance ou qu’ils aient souffert quelque chose de semblable étant déjà à l’âge adulte. Vaut-il la peine de développer et d’énumérer toutes les calamités des misères humaines dont les uns sont exempts et les autres atteints, puisque chacun peut, et encore en lui-même, les considérer et les évaluer une par une. H y a aussi des puissances invisibles à qui est confié le gouvernement de ce qui est sur terre ; et on peut croire que même chez elles on trouve des différences non négligeables, aussi bien que chez les hommes. Certes l’apôtre Paul parle aussi d’êtres infernaux et on peut chercher sans aucun doute chez eux la cause d’une diversité semblable. Il paraît superflu d’étendre cette recherche aux animaux sans parole, aux oiseaux et à ceux qui habitent dans les eaux, puisqu’il est certain qu’on ne doit pas les considérer comme des êtres premiers, mais comme des êtres d’origine seconde. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Il est dit que tout ce qui a été fait l’a été par le Christ et dans le Christ, comme l’apôtre Paul l’affirme très clairement : Car en lui et par lui tout a été créé, ce qui est au ciel, ce qui est sur la terre, les réalités visibles et les invisibles, soit les Trônes, les Dominations, les Principautés ou les Puissances : tout a été créé par lui et en lui. Jean dans son Évangile parle de même : Dans le principe était la Parole et la Parole était auprès de Dieu et la Parole était Dieu; elle était dans le principe auprès de Dieu. Tout a été fait par elle et sans elle rien n’a été fait. Il est écrit pareillement dans les Psaumes : Tu as tout fait dans ta Sagesse. Puisque le Christ, de même qu’il est Parole et Sagesse, est aussi Justice, il s’ensuivra sans aucun doute que tout ce qui a été fait dans la Parole et la Sagesse a été fait aussi, il faut le dire, dans la Justice, le Christ. C’est pourquoi dans ce qui a été fait il ne faut voir rien d’injuste ni rien de fortuit, mais enseigner que tout est conforme à ce que demande la règle de l’équité et de la justice. Comment peut-on comprendre la très grande justice et la très grande équité d’une telle variété et diversité des êtres ? Je suis certain que ni l’entendement ni la parole humaine ne peuvent l’expliquer, si nous n’implorons pas, prosternés et suppliants, celui qui est lui-même Parole, Sagesse et Justice, le Fils unique de Dieu, pour qu’il daigne, en se répandant par sa grâce dans nos pensées, illuminer ce qui est obscur, ouvrir ce qui est fermé et dévoiler ce qui est secret. Il faut pour cela que nous demandions, que nous cherchions, que nous frappions à la porte d’une façon assez digne pour que, lorsque nous demandons, nous méritions de recevoir, lorsque nous cherchons, nous méritions de trouver, lorsque nous frappons à la porte, l’ordre soit donné de nous ouvrir. Ce n’est donc pas en nous appuyant sur notre propre talent, mais sur l’aide de cette même Sagesse qui a créé l’univers et de cette Justice que nous croyons présente dans toutes les créatures, même si pour le moment nous n’avons pas la force de rien affirmer, c’est donc en nous confiant en sa miséricorde que nous tenterons de rechercher et d’examiner comment cette si grande variété et diversité du monde paraît s’accorder avec toutes les raisons de la justice. Quand je parle de raison je le dis seulement dans un sens général. Car chercher la raison particulière de chaque être est le propre de quelqu’un qui est sans expérience et vouloir en rendre compte est celui d’un insensé. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Mais puisque la parole de l’Écriture contient des avertissements sur le jugement à venir, la rétribution et les châtiments des pécheurs selon les menaces de la sainte Écriture et l’enseignement de la prédication ecclésiastique, voyons ce qu’il faut penser de ce qui est préparé pour les pécheurs au temps du jugement, feu éternel, ténèbres extérieures, prison, fournaise et autres tourments semblables. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Première section

Puisqu’il y a des hérétiques qui croient être fort instruits et fort sages, nous leur demanderons si tout corps possède une apparence extérieure, c’est-à-dire s’il est formé suivant un certain état. S’ils disent qu’il y a un corps qui n’est pas formé suivant un certain état, ils paraîtront les plus ignorants et ineptes des hommes. Personne ne niera cela, à moins d’être étranger à toute instruction. S’ils disent, selon le bon sens, que tout corps est formé suivant un certain état, nous leur deman-derons s’ils peuvent montrer et décrire l’état d’un corps spirituel : ils ne peuvent certes pas le faire. Et nous leur demanderons alors quelles sont les différences qui dis-tinguent ceux qui ressuscitent. Comment montreront-ils la vérité de cette parole : Autre est la chair des oiseaux, autre celle des poissons; il y a des corps célestes et des corps terrestres; autre est la gloire des célestes, autre celle des terrestres; autre est la gloire du soleil, autre celle de la lune, autre celle des étoiles; car une étoile diffère d’une autre en gloire; ainsi en sera-t-il de la résurrection des morts ? En relation avec ces corps célestes, qu’ils nous montrent les différences de gloire de ceux qui ressuscitent, et s’ils se sont efforcés d’une certaine manière de trouver quelque raison aux différences qui existent entre les corps célestes, nous leur demanderons d’indiquer aussi, par comparaison avec les corps terrestres, les différences qui se trouvent dans la résurrection. Nous, de notre côté, nous comprenons que l’Apôtre pour décrire les différences entre ceux qui ressuscitent pour la gloire, c’est-à-dire entre les saints, a utilisé la comparaison des corps célestes en ces termes : Autre est la gloire du soleil, autre celle de la lune, autre celle des étoiles. Et ensuite pour nous instruire des différences qui existent entre ceux qui arrivent à la résurrection sans purification, c’est-à-dire entre les pécheurs, il prend un exemple terrestre en disant : Autre est la chair des oiseaux, autre celle des poissons. Il est digne de comparer les êtres célestes aux saints, les êtres terrestres aux pécheurs. Que tout cela soit dit pour s’opposer à ceux qui nient la résur-rection des morts c’est-à-dire la résurrection des corps. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Première section

Maintenant nous nous adres-sons à quelques-uns des nôtres qui, par suite de l’étroitesse de leur compréhension et par pauvreté d’expli-cation, donnent de la résurrection des corps une signification tout à fait basse et abjecte. Nous leur demandons comment ils entendent le changement que subira le corps animal, grâce à la résurrection, et la nature du corps spirituel futur : comment pensent-ils que ce qui est semé dans l’infirmité ressuscitera dans la force, que ce qui est semé dans l’obscurité ressuscitera dans la gloire, que ce qui est semé dans la corruption passera à l’incorruption ? S’ils croient ce que dit l’Apôtre, que le corps ressuscitant dans la gloire, la force et l’incorruptibilité sera désormais devenu spirituel, il paraît donc absurde, contraire à la pensée de l’Apôtre, qu’il soit de nouveau empêtré dans les passions de la chair et du sang, alors que l’Apôtre dit clairement : La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu et la corruption ne possédera pas l’incorruption. Comment conçoivent-ils aussi cette autre parole de l’Apôtre : Tous nous serons changés. Ce changement est à attendre selon la norme que nous avons exposée plus haut, qui nous permet sans aucun doute d’espérer une solution digne de la grâce divine. Nous pensons que cela se passera de la même manière que le simple grain de blé, ou celui d’autres plantes, qui, semé en terre, suivant la description de l’Apôtre, reçoit de Dieu le corps que Dieu veut, après la mort en terre de ce même grain de blé. Il faut en effet penser que nos corps aussi tomberont en terre comme le grain. Mais il y a en eux une raison qui maintient unie la substance corporelle ; bien que les corps soient morts, corrompus et dispersés, cette raison elle-même qui est toujours intacte dans la substance du corps, par l’action de la Parole de Dieu, relèvera ces corps de la terre, les reconstituera, les restaurera, de même que la force qui est dans le grain de blé, après sa corruption et sa mort, restaure et reconstitue le grain dans le corps de la paille et de l’épi. Et ainsi, pour ceux qui mériteront d’obtenir l’héritage du royaume des cieux, cette raison qui se trouve dans le corps à réparer, celle dont nous avons parlé plus haut, refait sur l’ordre de Dieu un corps terrestre et animal en un corps spirituel qui puisse habiter dans les cieux. Mais ceux qui auront été inférieurs ou même assez bas en mérite, bien mieux ceux qui auront été les derniers et les rejetés, recevront la gloire et la dignité du corps en proportion de la dignité de l’âme et de la vie de chacun, de telle sorte cependant que le corps de ceux qui sont destinés au feu éternel et aux supplices sera, certes, incorrompu par suite de la transformation opérée par la résurrection, mais pour que les supplices ne puissent le corrompre ni le détruire. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Première section

De cela on trouve aussi des images dans les Écritures saintes. Ainsi, dans le Deutéronome la parole divine menace les pécheurs de les punir par des fièvres, le froid, la jaunisse et de les torturer par des infirmités oculaires, l’aliénation mentale, la paraplégie, la cécité, les affections rénales. Si quelqu’un collectionne à loisir, à travers toute l’Écriture, toutes les mentions qui sont faites des maux dont les pécheurs sont menacés sous des appellations de maladies corporelles, il trouvera indiqués par là, de façon figurée, les vices et les supplices des âmes. Pour nous faire com-prendre que Dieu agit envers ceux qui sont tombés et ont péché de la même façon que les médecins appliquent des remèdes aux malades pour leur rendre la santé par leurs soins, on peut invoquer, d’après le prophète Jérémie, l’ordre d’abreuver toutes les nations du calice de la fureur de Dieu, pour qu’elles en boivent, qu’elles en deviennent folles et qu’elles le vomissent. Et le prophète les menace en disant que celui qui ne voudra pas en boire ne sera pas purifié. Il faut donc comprendre que la fureur de la vengeance divine sert à la purification des âmes. Isaïe enseigne aussi que le châtiment infligé par le feu est à comprendre comme appliqué en tant que remède, lorsqu’il dit d’Israël : Le Seigneur lavera les souillures des fils et des filles de Sion, il nettoiera le sang qui est au milieu d’eux avec un esprit (souffle) de jugement et avec un esprit (souffle) de combustion. Il parle ainsi des Chaldéens : Tu as des charbons de feu, assieds-toi sur eux, ils te seront en aide. Et ailleurs : Le Seigneur les sanctifiera dans le feu ardent. Le prophète Malachie dit ce qui suit : De son trône le Seigneur fera fondre son peuple comme l’or et l’argent, il fera fondre, il purifiera et, une fois purifiés il affinera les fils de Juda. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

L’Évangile dit des intendants déshonnêtes qu’ils seront coupés en deux et qu’une partie d’eux sera mise parmi les infidèles, comme si cette partie qui ne leur serait pas propre serait à mettre ailleurs : il indique sans aucun doute la manière dont sont châtiés ceux dont, à ce qu’il me semble, l’esprit est représenté comme devant être séparé de l’âme. Si cet esprit est à comprendre comme étant de nature divine, c’est-à-dire l’Esprit Saint, nous penserons que cela est dit du don de l’Esprit Saint : donné soit par le baptême, soit par la grâce de l’Esprit – puisqu’à quelqu’un est donnée la parole de sagesse ou la parole de connaissance ou d’un autre don quel qu’il soit -, s’il n’a pas été bien administré, qu’il ait été enfoui dans la terre ou enfermé dans un mouchoir, le don de l’Esprit sera assurément ôté à l’âme, et la partie qui restera, c’est-à-dire la substance de l’âme, est mise avec les infidèles, coupée et séparée de cet esprit avec lequel elle aurait dû se joindre au Seigneur pour être un seul esprit avec lui. Si cela n’est pas à entendre de l’Esprit de Dieu, mais de la nature de l’âme elle-même, ce qui est dit sa partie supérieure est ce qui a été fait à l’image de Dieu et à sa ressemblance, et l’autre partie est celle qu’elle a assumée dans la suite à cause de la chute du libre arbitre, contrairement à la nature de sa création première et de sa pureté première : c’est cette partie en tant qu’elle est amie de la matière corporelle et aimée d’elle qui sera punie en recevant le sort des infidèles. On peut enfin comprendre en un troisième sens cette division : chacun des fidèles, même le plus petit dans l’Église, est assisté par un ange selon l’Écriture, et le Sauveur rapporte que cet ange voit toujours la face de Dieu le Père; cet ange, qui ne faisait en quelque sorte qu’un avec celui qu’il gouvernait, lui est ôté par Dieu d’après ce qui est dit, si son pupille s’en rend indigne par sa désobéissance; et alors la partie, c’est-à-dire la partie de nature humaine, arrachée de sa partie divine, est envoyée avec les infidèles, parce qu’elle n’a pas gardé fidèlement les avertissements de l’ange qui lui avait été attribué par Dieu. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

Certains, refusant en quelque sorte le travail de l’intelligence, s’ap-pliquant de façon superficielle au sens littéral de la loi, se complaisant d’une certaine manière dans ce qui les délecte et leur cause du plaisir, disciples de la lettre seule, pensent qu’il nous faut attendre l’accomplissement futur des promesses dans la volupté et la sensualité corporelles. Et c’est pourquoi ils désirent retrouver à la résurrection un corps charnel qui leur laisse pour toujours la possibilité de manger, de boire, et d’accomplir tous les actes qui relèvent de la chair et du sang : ils ne suivent pas l’opinion de l’apôtre Paul sur la résurrection du corps spirituel. A cela ils ajoutent logiquement la faculté de contracter mariage et de procréer des enfants même après la résurrection ; ils imaginent Jérusalem comme une ville terrestre qui sera réédifiée sur des pierres précieuses mises dans ses fondements, avec des murs bâtis en jaspe, des retranchements ornés de cristal et une enceinte de pierres choisies et diverses, jaspe, saphir, chalcédoine, émeraude, sardoine, onyx, chrysolithe, chrysoprase, hyacinthe et améthyste. Ils pensent qu’ils auront là comme ministres de leurs plaisirs des étrangers, servant de laboureurs ou de vignerons, et des maçons pour reconstruire leur cité démolie et écroulée ; ils jugent qu’ils y recevront pour nourriture les biens des nations et qu’ils seront maîtres de leurs richesses, de sorte que même les chameaux de Madian et d’Épha viendront leur apporter l’or, l’encens et les pierres précieuses. Ils s’efforcent de confirmer cela par l’autorité des prophètes lorsqu’ils parlent des promesses faites à Jérusalem : car il y est dit que ceux qui servent Dieu mangeront et boiront, que les pécheurs auront faim et soif, que les justes seront dans la joie et les impies dans la honte. Du Nouveau Testament, ils invoquent la parole du Sauveur promettant aux disciples de trouver la joie dans le vin : Je ne boirai plus de cela désormais jusqu’à ce que je le boive avec vous nouveau dans le royaume de mon Père. Ils ajoutent encore que le Sauveur proclame bienheureux ceux qui maintenant ont faim et soif, leur promettant d’être rassasiés; et ils apportent beaucoup d’autres textes des Écritures, sans voir qu’il faut les comprendre de façon figurée et spirituelle. Alors ils estiment qu’ils seront rois et princes, comme ceux d’ici-bas, comprenant cela selon les conditions de cette vie, selon les dignités et les classes instituées en ce monde ou selon les degrés d’autorité, assurément à cause de cette parole évangélique : Tu auras autorité sur cinq villes. Bref, ils veulent que tout ce qu’ils attendent de l’accomplissement des promesses soit exactement semblable à la manière de vivre ici-bas, c’est-à-dire que le monde actuel recommence à être. Telles sont les pensées de gens qui croient, certes, au Christ, mais comprenant à la juive les Écritures divines, n’y soupçonnent rien qui soit digne des promesses divines. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Mais ceux qui reçoivent l’interprétation des Écritures selon le sens des apôtres espèrent que ce que mangeront les saints, c’est le pain de vie qui nourrit l’âme des aliments de la vérité et de la sagesse, illumine l’intelligence et l’abreuve de la coupe de la Sagesse divine, selon ce que dit l’Écriture : La Sagesse a préparé sa table, immolé ses victimes, mélangé son vin dans le cratère et elle crie à grande voix: Venez chez moi, mangez les pains que je vous ai préparés et buvez le vin que j’ai mélangé pour vous. Nourrie de ces aliments de la Sagesse, l’intelligence est rétablie dans son intégrité et dans sa perfection, dans l’état où l’homme a été créé au début, à l’image de Dieu et à sa ressemblance. Et même celui qui aura quitté cette vie avec une connaissance insuffisante, mais en apportant des oeuvres dignes d’approbation, sera instruit dans cette Jérusalem, cité des saints, il recevra l’enseignement et la formation et il deviendra une pierre vive, une pierre précieuse et choisie, parce qu’il aura enduré avec courage et constance les luttes de cette vie et les combats pour la piété; et là-haut il connaîtra de manière plus vraie et plus claire ce qui lui a été dit déjà ici-bas, parce que : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Les princes et les chefs sont à entendre de ceux qui dirigent leurs inférieurs, les instruisent, les enseignent et les forment dans la connaissance des réalités divines. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Commençons d’abord par ce qui est dit au sujet de Pharaon et de Dieu qui l’endurcit pour l’empêcher de laisser partir le peuple ; on examinera en même temps cette parole de l’Apôtre : Il a donc pitié de celui qu’il veut et il endurcit celui qu’il veut. Et puisque certains hétérodoxes se servent de ces textes pour supprimer à peu près le libre arbitre en soutenant qu’il y a des natures perdues, incapables de salut, et d’autres sauvées qui sont dans l’incapacité de se perdre, et qu’ils disent que Pharaon étant d’une nature perdue est endurci à cause de cela par Dieu qui a pitié des spirituels (pneumatiques) et endurcit les terrestres (choiques), examinons donc ce qu’ils disent. Nous leur demanderons si Pharaon était d’une nature terrestre. Quand ils auront répondu, nous leur dirons que celui qui a une nature terrestre désobéit complètement à Dieu. S’il désobéit, quel besoin y a-t-il d’endurcir son coeur, et cela non une seule fois, mais à plusieurs reprises ? Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Voici la première réponse à faire aux hérétiques pour renverser ce qu’ils supposent, que Pharaon était d’une nature perdue. Il faut leur dire la même chose au sujet de la parole de l’Apôtre. Qu’est-ce qu’endurcit Dieu ? Les perdus ? Mais qu’est-ce qui leur arriverait s’ils n’avaient pas été endurcis ? Ou bien alors, évidemment, seront-ils sauvés, comme n’étant pas d’une nature perdue ? De qui Dieu a-t-il pitié ? N’est-ce pas de ceux qui seront sauvés ? Et quel besoin y a-t-il pour eux d’une seconde miséricorde, puisqu’une fois pour toutes ils ont été créés comme devant être sauvés et devant être dans la béatitude complète à cause de leur nature ? S’il n’en est pas ainsi, puisqu’ils reçoivent la perdition s’ils ne sont pas l’objet de la miséricorde, Dieu a pitié d’eux, pour qu’ils ne reçoivent pas ce qui les attend, la perdition, mais qu’ils parviennent au lieu des sauvés. Voici donc ce que l’on peut leur répondre. On peut objecter à ceux qui pensent avoir compris le mot il a endurci ce qui suit : Qu’a fait selon eux Dieu pour endurcir le coeur et dans quel but a-t-il agi ainsi ? Qu’ils examinent donc la notion de Dieu, qui est selon la saine doctrine juste et bon, mais, s’ils ne l’acceptent pas, qu’on leur concède pour le moment qu’il est seulement juste. Qu’ils nous montrent comment celui qui est juste et bon, ou seulement juste, peut paraître avoir agi justement en endurcissant le coeur de celui qui périra parce qu’il est endurci, et comment celui qui est juste devient cause de perdition et de désobéissance en châtiant ceux qu’il a endurcis et contraints à la désobéissance ! Pourquoi blâme-t-il Pharaon en ces termes : Toi, tu ne veux pas laisser partir mon peuple, voici que je frappe tous les premiers-nés d’Egypte, ainsi que ton premier-né, et tout ce que selon l’Écriture Dieu dit à Pharaon par l’intermédiaire de Moïse ? Il faut que celui qui croit que les Écritures sont véridiques et que Dieu est juste, lutte, s’il est sage, pour montrer comment comprendre clairement que Dieu est juste en proférant de telles paroles. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

C’est comme si le soleil prenait la parole et disait : Je liquéfie et je dessèche, alors qu’être liquéfié et être desséché sont des états contraires. Cependant il ne mentirait pas à cause du substrat, car la même chaleur liquéfie la cire et sèche la boue : ainsi la même action qui s’est produite par l’intermédiaire de Moïse a révélé l’endurcissement de Pharaon à cause de sa malice et la docilité des Égyptiens qui s’étaient mêlés aux Hébreux et partaient avec eux. Et ce qui est écrit, que peu à peu le coeur de Pharaon s’est assoupli jusqu’à dire : Mais vous n’irez pas loin, vous marcherez trois jours et vous laisserez vos femmes, et toutes les autres paroles qu’il a dites en s’abandonnant peu à peu aux prodiges, montrent que les miracles agissaient bien un peu sur lui, sans l’amener cependant à tout exécuter. Cela ne se serait pas produit si la phrase J’endurcirai le coeur de Pharaon était accomplie par lui, c’est-à-dire par Dieu, dans le sens que veulent la plupart. Il n’est pas déplacé d’expliquer de telles paroles à partir des habitudes de langage. Souvent de bons maîtres disent à des serviteurs, gâtés par leur bonté et leur patience : C’est moi qui t’ai rendu mauvais. Et : C’est moi qui suis la cause de telles fautes. Il faut d’abord comprendre la forme habituelle et le sens de ce qui est dit et ne pas calomnier par une mauvaise compréhension de ce que veut dire cette parole. En effet Paul, qui a examiné tout cela clairement, dit au pécheur : Méprises-tu la richesse de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité, ignorant que la bonté de Dieu te mène à la pénitence ? Selon ta dureté et l’impénitence de ton coeur, tu thésaurises pour toi-même la colère au jour de la colère et de la révélation et du juste jugement de Dieu. Ce que dit l’Apôtre au pécheur, que cela soit dit à Pharaon : on peut penser que cela se rapporte à lui d’une manière tout à fait adaptée, car selon sa dureté et l’impénitence de son coeur il thésaurise pour lui-même la colère. Cette dureté n’aurait pas été révélée à ce point ni ne serait devenue aussi manifeste, si des miracles ne s’étaient pas produits, ou même, dans le cas où ils se seraient produits, s’ils n’avaient pas été si nombreux et si grands. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Il y avait ensuite cette parole de l’Évangile, quand le Seigneur expliquait pourquoi il parlait en paraboles aux gens du dehors, pour que voyant ils ne voient pas et entendant ils ne comprennent pas, de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné. Et l’opposant dira : Puisque de toutes façons ceux-ci se convertissent lorsqu’ils ont entendu l’enseignement le plus clair, et de telle manière qu’ils deviennent dignes de recevoir la rémission des péchés, puisque, en outre, il n’est pas en leur pouvoir d’entendre les paroles plus claires, mais au pouvoir du Maître – et c’est pourquoi le Maître ne les leur annonce pas plus clairement, de peur qu’ils ne voient et qu’ils ne comprennent -, il n’est pas en leur pouvoir d’être sauvés. S’il en est ainsi, nous n’avons pas de libre arbitre en ce qui concerne le salut ou la perdition. On aurait pu justifier ce passage d’une façon convaincante, si le Christ n’avait pas ajouté : de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné : dans ce cas le Seigneur ne voulait pas que ceux qui ne devaient pas être des hommes honnêtes pussent comprendre les réalités plus mystiques, et c’est pourquoi il leur parlait en paraboles. Mais maintenant, puisque ces paroles : de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné, sont écrites, la justification est plus difficile. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Nous disions, quand nous examinions le cas de Pharaon, que parfois il n’est pas bon pour ceux qui sont soignés de l’être trop rapidement, si, étant tombés par eux-mêmes dans des difficultés, ils étaient ainsi éloignés plus aisément de ce en quoi ils étaient tombés : car ils méprisent alors le mal, le considérant comme facile à guérir, et une autre fois, ne prenant pas garde à l’éviter, ils y resteront. C’est pourquoi dans des cas semblables, le Dieu éternel qui connaît les secrets, lui qui sait toute chose avant qu’elle ne se produise, diffère dans sa bonté de leur apporter un secours qui serait autrement trop rapide et, pour ainsi dire, il les secourt en ne les secourant pas, car cela leur est utile. Vraisemblablement ceux du dehors, à qui s’appliquait cette parole, le Sauveur voyait, selon le texte proposé, qu’ils ne seraient pas solides dans leur conversion, s’ils entendaient distinctement ce qui leur était dit, et c’est pourquoi le Seigneur a fait en sorte qu’ils n’entendent pas plus clairement les paroles plus profondes, de peur que, trop vite convertis et guéris en obtenant la rémission, méprisant comme bénignes et faciles à guérir les blessures de la malice, ils n’y retombent bien vite. Peut-être, subissant alors la peine des péchés qu’ils ont commis autrefois contre la vertu en l’abandonnant, n’ont-ils pas encore atteint le temps convenable où, après avoir été privés des visites divines et rassasiés par les maux qu’ils ont eux-mêmes semés, ils seront appelés plus tard à une pénitence plus solide, et ne retomberont pas si vite dans les maux où auparavant ils sont tombés, quand ils insultaient la dignité du bien et qu’ils se livraient au pire. Ceux qui sont dehors, évidemment par comparaison avec ceux du dedans, ne se trouvant pas totalement éloignés de ceux du dedans, alors que ces derniers entendent clairement, entendent de manière obscure parce qu’il leur est parlé en paraboles : ils entendent cependant. D’autres que ceux du dehors, ceux qui sont appelés Tyriens, bien que le Seigneur ait prévu qu’ils auraient fait déjà pénitence assis dans le sac et la cendre, si le Sauveur s’était approché de leurs frontières, n’entendent même pas ce qu’entendent ceux du dehors, comme c’est vraisemblable, car ils sont plus loin de la dignité de ceux du dehors ; mais à un autre moment, après que leur sort sera devenu plus supportable que celui de ceux qui n’ont pas accueilli la Parole – c’est à leur sujet que le Seigneur mentionne aussi les Tyriens -, ayant entendu d’une manière plus opportune, ils feront une pénitence plus solide. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Et certains disent : Si le vouloir vient de Dieu et si l’agir vient de Dieu, même si nous Voulons mal et si nous agissons mal, cela vient de Dieu ; s’il en est ainsi nous n’avons pas de libre arbitre. De même quand nous voulons les biens les meilleurs et quand nous agissons de façon éminente, puisque de Dieu vient le vouloir et l’agir, ce n’est pas nous qui avons exécuté ces actions éminentes, mais nous avons paru le faire, et c’est Dieu qui nous a donné de le faire : ainsi, en cela même, nous n’avons pas de libre arbitre. A cela il faut dire que la parole de l’Apôtre ne dit pas que vouloir le mal vient de Dieu et que vouloir le bien vient de Dieu, elle ne le dit pas non plus de faire le bien ou le mal, mais de vouloir en général ou d’agir en général. De même que nous tenons de Dieu notre nature de vivants et notre nature d’hommes, de même le vouloir en général, comme je viens de le dire, et le fait de se mouvoir en général. Par le fait que nous sommes des vivants, nous avons la faculté de nous mouvoir et par exemple de remuer tels membres, mains ou pieds : ce n’est pas une raison de dire que nous tenons de Dieu le caractère spécifique de nos actions, par exemple de remuer un membre pour frapper, pour tuer ou pour dérober le bien d’autrui, il s’agit seulement de leur caractère générique, nous mouvoir, que nous avons reçu du Dieu ; c’est nous qui utilisons cette faculté pour le pire ou pour le meilleur. Ainsi nous avons reçu de Dieu l’agir en tant que vivants, et du Créateur le vouloir, mais c’est nous qui nous servons du vouloir, et pareillement de l’agir, pour le meilleur ou pour le pire. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Une autre parole apostolique semble nous amener à croire que nous n’avons pas de libre arbitre. L’Apôtre répond d’avance à une objection qu’il se fait : Il a donc pitié de celui qu’il veut et il endurcit celui qu’il veut. Tu me diras donc: Que blâme-t-il encore ? Qui s’est opposé à sa volonté ? Effectivement, homme, qui es-tu pour répondre à Dieu ? Ce qui est façonné dira-t-il à celui qui l’a façonné: Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Est-ce que le potier qui travaille l’argile n’a pas le pouvoir de faire à partir de la même pâte tel vase pour un usage honorable, tel autre pour un usage sans honneur ? On dira : Si, comme le potier fait à partir de la même pâte des vases pour un usage honorable et d’autres pour un usage sans honneur, Dieu destine les uns au salut, les autres à la perdition, il n’est pas en notre pouvoir d’être sauvés ou de périr, nous n’avons pas de libre arbitre. Il faut demander à celui qui use ainsi de cet argument s’il peut penser que l’Apôtre fasse des affirmations contradictoires : je ne pense pas que quelqu’un aura l’audace de le prétendre. Si donc l’Apôtre ne fait pas des affirmations contradictoires, comment, selon celui qui comprend ainsi les choses, accuse-t-il avec quelque raison le fornicateur de Corinthe ou ceux qui sont tombés sans se repentir des actes d’inconduite et d’intempérance qu’ils ont commis ? Comment bénira-t-il pour leurs bonnes actions ceux qu’il loue, comme la famille d’Onésiphore, quand il dit : Que le Seigneur fasse miséricorde à la famille d’Onésiphore, parce qu’il m’a souvent réconforté et qu’il n’a pas eu honte de mes chaînes, mais, étant allé à Borne, m’a cherché activement et m’a trouvé; que le Seigneur lui donne de trouver miséricorde auprès de lui ce jour-là! Il ne convient pas à ce même Apôtre de tancer le pécheur comme digne de blâme et d’approuver comme louable celui qui a bien agi, et par ailleurs de dire, comme s’il n’y avait pas de libre arbitre, que le Créateur est responsable de ce qu’un vase a été fait pour un usage honorable, un autre pour un usage sans honneur. Comment est-il vrai de dire que : tous nous comparaîtrons devant le tribunal du Christ pour que chacun reçoive selon ce qu’il aura fait par l’intermédiaire de son corps, soit en bien, soit en mal, si ceux qui ont mal agi en sont venus là parce qu’ils ont été créés comme des vases destinés à un usage sans honneur et si ceux qui ont vécu vertueusement ont fait le bien parce qu’ils ont été formés dès le début dans ce but et qu’ils ont été faits comme des vases destinés à un usage honorable ? N’y a-t-il pas encore une contradiction entre le fait d’être, par la responsabilité du créateur, un vase d’honneur ou un vase sans honneur, comme le comprennent nos objecteurs à partir des paroles que nous avons citées, et ce qui est dit ailleurs : Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais des vases de bois et de terre, les uns pour un usage honorable, les autres pour un usage sans honneur. Si quelqu’un se purifie lui-même, il sera un vase honorable, sanctifié, utile au maître, prêt à toute oeuvre bonne ? Car si celui qui se purifie devient un vase honorable et si celui qui a regardé avec indifférence sa propre impureté devient un vase de déshonneur, à s’en tenir à ces paroles le créateur n’en est aucunement responsable. Car ce n’est pas dès le début, selon sa prescience, que le Créateur fait des vases d’honneur et des vases de déshonneur, car il ne condamne pas ni ne justifie d’avance selon elle, mais il fait vases d’honneur ceux qui se sont purifiés et vases de déshonneur ceux qui ont regardé avec indifférence leur propre impureté. Ainsi c’est à la suite de causes précédant leur formation en vases d’honneur ou de déshonneur qu’ils ont été faits les uns pour l’honneur les autres pour le déshonneur. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

En même temps il est montré clairement que, en ce qui concerne la nature qui sert de substrat, de même que le potier a à sa disposition une seule sorte d’argile, pâte dont il va tirer les vases d’honneur et de déshonneur, Dieu a à sa disposition une unique nature qui est sous-jacente à toute âme et, pour ainsi dire, une seule pâte qui est celle des substances raisonnables, et ce sont des causes antécédentes qui ont destiné les uns à l’honneur, les autres au déshonneur. S’il faut voir une réprimande dans la parole de l’Apôtre : Effectivement, homme, qui es-tu pour répondre à Dieu ? elle nous enseigne peut-être que celui qui est en confiance avec Dieu, qui est croyant et vit bien, ne serait pas exposé à entendre : Qui es-tu pour répondre à Dieu ? Il serait comme était Moïse : Moïse parlait et Dieu lui répondait de sa propre voix. De même que Dieu répond à Moïse, de même le saint répond à Dieu. Celui qui n’a pas acquis une semblable confiance, soit parce qu’il l’a perdue, soit parce qu’il discute de ces choses non par désir d’apprendre, mais par amour de la contestation et qui dit ainsi : Que blâme-t-il encore ? Qui s’est opposé à sa volonté ? mériterait la réprimande : Effectivement, homme, qui es-tu pour répondre à Dieu ? Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

A ceux qui inventent la doctrine des natures et qui se servent de cette parole il faut dire ce qui suit : s’ils conservent l’affirmation que d’une seule pâte proviennent les perdus et les sauvés, et qu’il y a un même créateur pour les perdus et les sauvés, s’il est bon celui qui fait non seulement les spirituels (pneumatiques) mais les terrestres (choiques) – ceci suit cela -, il est possible assurément que celui qui est maintenant un vase d’honneur par suite de ses bonnes actions, mais qui n’a pas continué à agir de même, d’une manière conforme à sa dignité de vase d’honneur, soit dans un autre siècle un vase de déshonneur ; pareillement il peut se faire que celui qui, par suite de causes antérieures à cette vie, est devenu ici-bas un vase de déshonneur, se corrige et devienne dans la création nouvelle un vase d’honneur, sanctifié et utile au maître, préparé pour toute oeuvre bonne. Et peut-être les Israélites de maintenant, parce qu’ils n’ont pas vécu d’une façon digne de leur noble origine, ne seront plus de cette race, de vases d’honneur devenant des vases de déshonneur ; et beaucoup de ceux qui sont maintenant des Égyptiens ou des Iduméens, s’agrégeant à Israël, à cause des fruits nombreux qu’ils produiront, entreront dans l’Église du Seigneur et on ne les comptera plus parmi les Égyptiens et les Iduméens, mais ils seront des Israélites. Ainsi de cette façon, selon les orientations de la volonté, certains progressent du pire au meilleur, d’autres tombent du meilleur dans le pire, d’autres encore restent dans le bien ou montent du bien au mieux, d’autres enfin restent dans le mal, ou par l’effusion de leur malice de mauvais deviennent pires. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Le saint apôtre, voulant nous donner un grand et mystérieux enseignement au sujet de la connaissance et de la sagesse dans la première épître aux Corinthiens, dit : Mais nous, nous parlons de la sagesse entre parfaits, la sagesse non de ce monde, ni des princes de ce monde qui sont détruits, mais nous parlons de la sagesse de Dieu cachée dans le mystère, celle que Dieu avant tous les siècles a prédestinée à servir à notre gloire, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue. S’ils l’avaient connue, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de majesté. Dans ce texte, voulant montrer quelles sont les différentes sagesses, il écrit qu’il y a une certaine sagesse de ce monde et une certaine sagesse des princes de ce monde et qu’autre est la sagesse de Dieu. Par ces paroles : la sagesse des princes de ce monde, il ne veut pas dire, à mon avis, qu’il existe une sagesse pour tous les princes de ce monde, mais, me semble-t-il, il indique qu’il y a une sagesse propre à chacun des princes de ce monde. Pareillement lorsqu’il dit : Mais nous parlons de la sagesse de Dieu cachée dans le mystère, celle que Dieu avant tous les siècles a prédestinée à servir à notre gloire, il faut se demander s’il identifie cette sagesse de Dieu qui est cachée, et que Dieu n’a pas fait connaître dans les autres époques et les autres générations aux fils des hommes comme il l’a révélée maintenant à ses saints apôtres et prophètes, avec cette sagesse de Dieu qui existait aussi avant la venue du Sauveur, celle qui rendait sage Salomon, alors que ce qu’enseigne le Sauveur est plus sage que Salomon, d’après la parole du Sauveur lui-même : Voici qu’il y a ici plus que Salomon : cela montre en effet que les disciples du Sauveur recevaient plus de doctrine que ce qu’avait eu Salomon. Si on objecte que, certes, le Sauveur en savait davantage, mais que cependant il ne donnait pas aux autres plus de doctrine que Salomon, comment concilier avec cela et comment lui accorder logiquement ce qui est dit à la suite : La reine du Midi se dressera au jour du jugement et condamnera les hommes de cette génération, parce qu’elle est venue des confins de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et voici qu’il y a ici plus que Salomon ! Il y a donc une sagesse de ce monde et il y a aussi une sagesse pour chacun peut-être des princes de ce monde. A propos de la sagesse du Dieu unique il est indiqué, pensons-nous, qu’elle a agi de façon moindre auprès des hommes de l’antiquité, des hommes d’autrefois, mais qu’elle s’est révélée plus complètement et plus clairement dans le Christ. Mais de cette sagesse de Dieu nous traiterons en son lieu. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Au sujet de ceux qui enseignent le Christ autrement que le permet la règle posée par les Écritures, il n’est pas inutile de voir si c’est dans un but hostile à la foi dans le Christ que les puissances contraires se sont efforcées d’imaginer des doctrines à la fois mythiques et impies, ou si ces mêmes puissances, ayant entendu la parole du Christ, ne pouvant la rejeter des profondeurs de leur conscience, ni la garder de façon pure et sainte, par le moyen d’instruments qui leur étaient dociles et, pour ainsi dire, par leurs propres prophètes, ont introduit diverses erreurs contre la règle de la vérité chrétienne. Il faut penser plutôt que ces puissances apostates et transfuges qui se sont éloignées de Dieu inventent les erreurs et les tromperies de leur doctrine fausse, soit à cause de la méchanceté même de leur intelligence et de leur volonté, soit à cause de leur jalousie contre ceux qui se préparent à monter par la connaissance de la vérité au degré même d’où elles sont tombées, afin d’empêcher de tels progrès. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Quand on dit que la chair combat contre l’esprit, les partisans de cette dernière explication comprennent par là que l’usage, les besoins ou le plaisir de la chair, quand ils excitent l’homme, le distraient et le détournent des réalités divines et spirituelles. Lorsque nous sommes attirés par les besoins du corps, nous n’avons plus le moyen de vaquer aux réalités divines qui nous seront utiles pour l’éternité, et en revanche l’âme qui s’adonne au divin et est unie à l’Esprit de Dieu combat la chair, comme on dit, car elle ne la laisse pas s’amollir dans les délices et nager dans les plaisirs qui sont sa délectation naturelle. Ceux dont nous rapportons l’opinion expliqueront l’affirmation : La sagesse de la chair est ennemie de Dieu, sans penser que la chair ait vraiment une âme ou une sagesse propre, mais par une signification impropre, comme lorsque nous disons couramment que la terre a soif ou qu’elle veut boire de l’eau – le mot vouloir, nous ne l’employons pas au sens propre mais au sens large, comme lorsque nous disons de même qu’une maison veut être restaurée et d’autres expressions semblables – ; c’est donc ainsi qu’il faut entendre la sagesse de la chair et l’expression : La chair convoite contre l’esprit. Ils y ajoutent d’ordinaire cette expression : La voix du sang de ion frère crie vers moi de la terre. Ce qui crie vers Dieu, ce n’est pas à proprement parler le sang répandu, mais on dit au sens large que le sang crie, car il est demandé à Dieu de tirer vengeance de celui qui a répandu le sang. La phrase de l’Apôtre : Je vois une autre loi dans mes membres, ils l’entendent ainsi : celui qui veut vaquer à la parole de Dieu est distrait, dissipé et gêné par les besoins et l’usage du corps, présents en lui comme une sorte de loi : il ne peut s’adonner à la sagesse de Dieu et contempler les mystères divins. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section

Sur la création du monde, quelle autre Écriture pourra nous renseigner, si ce n’est celle où Moïse a décrit son origine ? Bien qu’elle contienne des significations plus profondes que ce que semble montrer le récit des faits, bien qu’elle renferme presque partout une intelligence spirituelle et qu’elle se serve du voile de la lettre pour cacher des réalités mystiques et profondes, cependant la parole du narrateur affirme qu’à un certain moment tout le visible a été créé. Jacob parle le premier de la fin du monde, dont il témoigne devant ses fils en ces termes : Venez vers mol, fils de Jacob, que je vous annonce ce qui se passera dans les derniers jours, ou : après les derniers jours. S’il y a des derniers jours ou un après les derniers jours, il faut que cessent des jours qui ont commencé. David dit de même : Les deux périront, mais toi, tu demeureras, et tous s’useront comme un vêlement et comme une couverture tu les changeras, et ils seront changés ; mais toi, tu es le même et tes années ne cesseront pas. Lorsque notre Seigneur et Sauveur dit : Celui qui a créé au commencement les a fait mâle et femelle, il atteste lui-même pareillement que le monde a été fait. Et lorsqu’il dit : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas, il le montre corruptible et allant vers une fin. L’Apôtre dit aussi : A la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, car la création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour recevoir la liberté glorieuse des fils de Dieu : il affirme là clairement la fin du monde, et de même quand il dit : L’état de ce monde passera. Mais en disant : La création est soumise à la vanité, il montre aussi son commencement. Si en effet la création est soumise à la vanité à cause d’un espoir quelconque, elle est soumise par une cause, et ce qui est par une cause doit nécessairement avoir eu un commencement. Il n’était pas possible, sans un commencement, que la création soit soumise à la vanité et qu’elle espère être libérée de la servitude de la corruption, si elle n’avait pas commencé à être esclave de la corruption. Mais on peut trouver bien d’autres textes de ce genre dans les Écritures, si on recherche à loisir où il est dit que le monde a eu un commencement et espère une fin. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Je pense qu’il ne faut certes pas passer sous silence comme inutile le fait que l’Écriture sainte ait appelé la création du monde d’un nom nouveau et précis parlant de katabolè du monde. Ce mot a été traduit assez improprement en latin par constitution du monde : mais katabolè en grec signifie plutôt l’action de jeter bas, c’est-à-dire de jeter vers le bas : on l’a traduit en latin improprement, comme nous l’avons dit, par constitution du monde. C’est ainsi que, dans l’Évangile selon Jean, le Sauveur dit : Il y aura ces jours-là une tribulation telle qu’il n’y en a pas eu de semblable depuis la constitution du monde: ici constitution représente katabolè qu’il faut entendre comme nous l’avons exposé plus haut. L’Apôtre dans son Épître aux Ephésiens a utilisé la même parole : Celui qui nous a choisis avant la constitution du monde; ici aussi constitution du monde traduit katabolè, à comprendre dans le même sens que nous avons exposé plus haut. Il vaut la peine, semble-t-il, de chercher ce qui est signifié par cette expression nouvelle. Je pense que, puisque la fin et la consommation des saints s’accompliront dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles, d’une réflexion sur cette fin on peut déduire, selon le principe que nous avons fréquemment exposé plus haut, que les créatures raisonnables ont eu un commencement semblable. Et si le commencement qu’elles ont eu est pareil à la fin qu’elles espèrent, elles furent déjà sans aucun doute, dès le début, dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles. S’il en est ainsi, sont descendues de haut en bas non seulement les âmes qui l’ont mérité par leurs mouvements divers, mais encore celles qui pour servir ce monde ont été menées, bien que ne le voulant pas, de ces réalités-là, supérieures et invisibles, à ces réalités-ci, inférieures et visibles. A la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, afin que le soleil, la lune, les étoiles et les anges de Dieu accomplissent leur ministère envers le monde : pour ces âmes qui, à cause des trop grandes défaillances de leurs intelligences, eurent besoin de ces corps plus épais et plus solides, et en vue de ceux à qui cela était nécessaire, ce monde visible a été institué. A cause de cela, par la signification de ce mot katabolè est indiquée la descente de tous ensemble du haut en bas. Certes toute la création porte en elle l’espoir de la liberté, afin d’être libérée de la servitude de la corruption, lorsque les fils de Dieu, qui sont tombés ou ont été dispersés, seront rassemblés dans l’unité, ou lorsqu’ils auront accompli dans ce monde toutes les autres missions que connaît seul Dieu, artisan de l’univers. Il faut donc penser que le monde a été fait avec la nature et la grandeur nécessaire pour pouvoir contenir toutes les âmes qui ont été placées en ce monde pour s’y exercer ou toutes les puissances qui sont prêtes à les assister, les gouverner et les aider. De nombreuses preuves démontrent que toutes les créatures raisonnables ont une seule nature : cela est nécessaire pour défendre la justice de Dieu dans tous les actes par lesquels il les gouverne, puisque chacune a en elle-même les causes qui l’ont mise dans telle ou telle condition de vie. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Mais, je ne sais comment, des hérétiques, sans comprendre la signification que l’Apôtre met dans ces paroles, calomnient ce terme soumission en ce qui concerne le Fils : si on cherche la signification du mot, on pourra la trouver facilement en partant de son contraire. Car si la soumission n’est pas un bien, il s’ensuit que son contraire, l’insoumission, est un bien. La parole de l’Apôtre : Lorsque tout lui sera soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, paraît montrer, selon la signification que ces hérétiques lui donnent, que celui qui maintenant n’est pas soumis à son Père, lui sera soumis lorsque auparavant le Père lui aura soumis toutes choses. Mais je m’étonne qu’on puisse comprendre cela ainsi : si, tant que tout ne lui est pas soumis, il n’est pas lui-même soumis, alors, lorsque tout lui sera soumis, lorsqu’il sera devenu roi de tout et qu’il aura pouvoir sur l’univers, il se soumettra, selon ce qu’ils pensent, alors qu’il ne l’a pas fait auparavant. Ils ne comprennent pas que la soumission du Christ à son Père montre la béatitude qui viendra de notre perfection et exprime l’achèvement victorieux de l’oeuvre qu’il a entreprise, lorsqu’il offre à son Père non seulement le plus haut degré de l’art de gouverner et de régner, qu’il a purifié dans toute la création, mais encore les règles de conduite de l’obéissance et de la soumission, corrigées et restaurées dans tout le genre humain. Si donc on comprend comme bonne et salutaire la soumission par laquelle le Fils est, selon ce qui est dit, soumis à son Père, il s’ensuit de façon très logique et cohérente qu’il faut entendre comme salutaire et utile ce qui est appelé la soumission des ennemis au Fils de Dieu : dans ce qu’on appelle la soumission du Fils au Père est affirmée la restauration parfaite de toute la création ; pareillement dans la soumission des ennemis au Fils de Dieu, on comprend le salut en lui de ceux qui sont soumis et le rétablissement de ceux qui sont perdus. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

5, 8. Mais cette soumission s’accomplira selon des manières, des normes et en des temps déterminés, ce qui veut dire que ce n’est pas forcé par une nécessité ou par suite de la violence que le monde entier se soumettra à Dieu, mais par l’action de la parole, de la raison, de l’enseignement, de l’imitation des meilleurs, des bonnes moeurs et aussi des menaces méritées et adaptées qui pèsent justement sur ceux qui négligent de prendre soin de leur salut et de leur intérêt et de veiller à leur guérison. Ainsi, nous aussi, les hommes, dans l’éducation de nos serviteurs et de nos fils, tant qu’ils ne sont pas encore d’âge raisonnable, nous faisons pression sur eux par des menaces et par la crainte : mais lorsqu’ils ont reçu l’intelligence de ce qui est bon, utile et honnête, alors cesse la crainte des coups et, persuadés par la parole et la raison, ils acquiescent à tout ce qui est bon. Mais de quelle manière chacun doit être dirigé en respectant le libre arbitre dans toutes les créatures raisonnables, c’est-à-dire quels sont ceux que la parole de Dieu trouve prêts et capables et ainsi instruits, ceux qu’elle retarde un certain temps, ceux à qui elle se cache complètement, faisant en sorte que leur oreille se tienne loin d’elle, ceux en revanche que, pour avoir méprisé la parole de Dieu qui leur a été indiquée et prêchée, elle accable de ses réprimandes et des châtiments qu’ils subissent en vue de leur salut, exigeant et leur arrachant en quelque sorte la conversion, ceux à qui elle fournit quelques occasions de salut pour que parfois quelqu’un puisse recevoir un salut non douteux à la suite d’une réponse inspirée par la seule foi, pour quelles causes et à quelles occasions tout cela a lieu, que constate en eux la sagesse divine ou quels mouvements de leur volonté voit-elle pour son gouvernement de l’univers : tout cela est su par Dieu seul et par son Fils Unique, par qui a été créé et restauré l’univers, ainsi que par l’Esprit Saint qui sanctifie toutes choses, procède du Père lui-même, possède la gloire dans l’éternité des siècles. Amen. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Il y a eu certes beaucoup de législateurs chez les Grecs et les barbares, beaucoup de maîtres qui prêchaient des doctrines promettant la vérité ; nous ne connaissons cependant aucun législateur qui ait pu faire naître dans les autres nations le désir de recevoir ses paroles ; et alors que ceux qui promettaient de philosopher au sujet de la vérité y apportaient tout un appareil probatoire avec des démonstrations qui paraissaient raisonnables, aucun n’a pu répandre ce qu’il croyait la vérité dans des nations différentes ou même dans un nombre suffisant de gens appartenant à une seule nation. Et cependant les législateurs auraient bien voulu que les lois qui leur paraissaient bonnes aient autorité, si c’était possible, sur toute la race humaine, et les maîtres que ce qu’ils s’imaginaient être la vérité se soit répandu partout sur la terre. Mais comme ils ne pouvaient pas exhorter ceux qui parlaient d’autres dialectes ou appartenaient à de nombreuses nations à observer leurs lois et à recevoir leurs enseignements, ils n’ont même pas essayé de commencer à le faire, car, non sans raison, ils constataient qu’il leur était impossible d’y parvenir. En revanche, tout pays du monde, qu’il soit grec ou barbare, a des myriades de nos fidèles qui ont abandonné les lois paternelles et ceux qu’on croit être des dieux, pour observer les lois de Moïse et pour suivre en disciples les paroles de Jésus-Christ ; et cependant ceux qui se sont livrés à la loi de Moïse sont haïs de ceux qui adorent les statues, et ceux qui ont reçu la parole de Jésus-Christ risquent en outre, par suite de cette haine, une sentence de mort. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Ce serait un gros travail de passer en revue les prophéties très anciennes concernant chacune des réalités futures, afin que celui qui doute, frappé de leur inspiration divine, rejette toute hésitation et tout ce qui le tire en arrière et se donne de toute son âme aux paroles de Dieu. Mais si le caractère surhumain des pensées (de l’Écriture) pour ceux qui ne sont pas instruits n’apparaît guère dans la lettre de chaque passage, il n’y a là rien d’étonnant : en effet, en ce qui concerne les oeuvres de la providence qui s’étend à tout l’univers, certaines apparaissent très clairement en tant qu’oeuvres de la Providence, mais d’autres sont cachées pour rendre possible l’incroyance envers le Dieu qui gouverne toutes choses avec un art et une puissance indicibles. La manière dont opère le Dieu provident n’est pas aussi claire quand il s’agit des réalités terrestres que quand il s’agit du soleil, de la lune ou des étoiles, mais elle n’est pas non plus aussi claire en ce qui concerne les événements humains que quand il s’agit des âmes et des corps des animaux, car le pourquoi et la finalité peuvent être parfaitement trouvés par ceux que cela intéresse, au sujet des instincts, des imaginations et des natures des animaux et de la constitution des corps. Mais la Providence n’est pas victime d’une banqueroute à cause de nos ignorances aux yeux de ceux, du moins, qui l’ont une fois pour toutes bien acceptée ; il en est de même de la divinité de l’Écriture, qui s’étend à toute l’Écriture, bien que notre faiblesse ne puisse faire ressortir dans chacune de ses expressions la splendeur cachée des doctrines qui est déposée dans une lettre vile et méprisable : Nous avons en effet ce trésor dans des vases d’argile afin qu’éclaté la démesure de la puissance de Dieu et qu’on ne pense pas qu’elle vienne de nous, les hommes. En effet, si les méthodes de démonstration dont les hommes ont l’habitude et qui sont consignées dans les livres avaient convaincu l’humanité, on soupçonnerait avec raison notre foi d’avoir pour origine la sagesse des hommes et non la puissance de Dieu ; mais maintenant, pourvu qu’on lève les yeux, il est clair que la parole et la prédication tiennent leur pouvoir sur la foule, non des expressions persuasives de la sagesse, mais de la manifestation de l’esprit et de la puissance. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Qu’il y a des économies mystérieuses, montrées par les divines Écritures, tous, même les plus simples, parmi ceux qui viennent à notre doctrine, le croient ; que sont-elles en revanche, ceux qui sont sages et sans orgueil avouent qu’ils ne le savent pas. Si quelqu’un est embarrassé au sujet de l’union de Lot avec ses filles, des deux épouses d’Abraham, des deux soeurs mariées à Jacob et des Jeux servantes qui ont enfanté par lui, ils diront seulement qu’il y a là des mystères que nous ne comprenons pas. Et lorsqu’ils lisent la manière dont le tabernacle fut construit, persuadés que ce qui est écrit est symbole, ils cherchent à qui on pourra appliquer chacun des détails indiqués à propos du tabernacle : ils ne se trompent pas quand ils sont persuadés que le tabernacle est symbole de quelque chose, mais parfois ils s’égarent lorsqu’ils veulent appliquer la parole de façon digne de l’Écriture à telle réalité dont le tabernacle est symbole. Et tout récit qu’on croit raconter des noces, des enfantements, des guerres ou n’importe quoi qui serait compris par la foule comme des histoires, ils affirment qu’il y a là des symboles. Quant à savoir de quoi, tantôt à cause de capacités insuffisamment exercées, tantôt par précipitation, parfois aussi malgré l’exercice et la réflexion, à cause de la difficulté sans mesure qu’ont les hommes pour trouver les réalités, on n’arrive pas à éclaircir le sens de chaque chose. Et que dire des prophéties que nous savons tous pleines d’énigmes et de paroles obscures ? Et si nous en venons aux évangiles, leur sens exact, puisqu’il est la pensée du Christ, exige pour être compris la grâce qui a été donnée à celui qui a dit : Nous, nous avons la pensée du Christ pour que nous sachions ce que Dieu nous a accordé : ce que nous disons, nous ne le disons pas dans des paroles apprises de la sagesse humaine, mais dans des paroles apprises de l’Esprit. Quant à ce qui a été révélé à Jean, quel lecteur ne serait pas frappé de constater qu’y sont cachés des mystères ineffables, dont la présence apparaît même à celui qui ne comprend pas ce qui est écrit ? A qui, parmi ceux qui savent examiner les textes, les épîtres des apôtres sembleraient claires et faciles à comprendre, alors que d’innombrables passages donnent l’occasion d’entrevoir, là aussi, comme à travers une ouverture, des pensées très sublimes et très nombreuses ? C’est pourquoi, les choses étant ainsi et de nombreuses personnes s’y trompant, il n’est pas sans danger, quand on lit l’Écriture, de déclarer facilement qu’on comprend, ce qui exige qu’on soit en possession de la clef de la connaissance qui, d’après le Seigneur, se trouve chez les docteurs de la loi. Qu’ils nous disent, ceux qui ne veulent pas accepter qu’avant la venue du Christ la vérité se trouvait chez les docteurs de la loi, comment il se fait que notre Seigneur Jésus-Christ nous déclare que la clef de la connaissance est chez eux, alors que, d’après nos contradicteurs, ils n’ont pas de livres contenant les mystères secrets et parfaits de la connaissance. Le texte en effet est le suivant : Malheur à vous, docteurs de la loi, car vous avez ôté la clef de la connaissance; vous n’êtes pas entrés vous-mêmes et vous avez empêché les autres d’entrer. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Mais comme certaines Écritures n’ont pas du tout de sens corporel, ainsi que nous le montrerons dans la suite, il y a des cas où il faut chercher seulement, pour ainsi dire, l’âme et l’esprit de l’Écriture. Et c’est peut-être pour cela que les urnes qui sont dites servir à la purification des Juifs, comme nous le lisons dans l’Évangile selon Jean, contiennent deux ou trois métrètes : la Parole insinue par là, à propos de ceux que l’Apôtre appelle les Juifs dans le secret, que ceux-ci sont purifiés par la parole des Écritures, contenant tantôt deux métrètes, c’est-à-dire le sens psychique et le sens spirituel, tantôt trois, puisque certaines possèdent, outre ceux que nous avons indiqués, le sens corporel qui peut édifier. Les six urnes s’appliquent à bon droit à ceux qui sont purifiés étant en ce monde, car le monde a été fait en six jours, chiffre parfait. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Mais, en tout cela, qu’il nous suffise de conformer notre intelligence à la règle de piété et de penser de l’Esprit Saint que sa parole n’est pas composée avec l’élégance des discours qui relèvent de la fragilité humaine, mais que, comme il est écrit : Toute la gloire du roi est à l’intérieur, le trésor des significations divines est contenu et enfermé dans le vase fragile de la lettre vile. Mais si quelqu’un est plus curieux et demande l’explication des détails, qu’il vienne entendre avec nous comment l’apôtre Paul, scrutant les profondeurs de la divine sagesse et de la divine connaissance, avec l’aide de l’Esprit Saint qui scrute même les profondeurs de Dieu, et n’ayant pas la force d’en venir à bout et de parvenir, pour ainsi dire, à une connaissance intime, désespère d’y arriver et s’exclame dans sa stupeur : Ô profondeur des richesses de la sagesse et de la connaissance de Dieu ! Et combien il désespère, dans cette exclamation, d’atteindre à la compréhension parfaite, on l’apprend de ces paroles : Combien les jugements de Dieu sont impossibles à scruter et ses voies à suivre à la trace ! Il ne dit pas en effet qu’il est difficile de pouvoir scruter les jugements de Dieu, mais qu’on ne le peut pas du tout ; il ne dit pas qu’il est difficile de suivre ses voies à la trace, mais qu’on ne peut pas le faire. On peut, certes, avancer dans cet examen, on peut y progresser en s’y appliquant de plus en plus intensément, par la grâce de Dieu qui illumine l’intelligence, mais on ne pourra atteindre parfaitement la fin de ce qu’on recherche. Aucune intelligence créée n’a la possibilité de parvenir à une connaissance absolue, mais, dès qu’elle trouve quelque chose de ce qu’elle cherche, elle en voit d’autres qui sont à chercher ; et si elle parvient à ces dernières, elle en verra de bien plus nombreuses qui seront encore à chercher. C’est pourquoi le très sage Salomon, contemplant dans sa sagesse la nature des choses, dit : J’ai dit : Je deviendrai sage. Et cette sagesse s’est éloignée de moi, plus qu’elle ne l’était avant. Qui trouvera l’immensité de sa profondeur ? Et Isaïe, sachant que les débuts des choses ne peuvent être trouvés par une nature mortelle, même pas par ces natures qui, bien plus divines que l’humaine, ont cependant elles-mêmes été faites et créées, sachant donc qu’aucune d’elle ne peut trouver ni le début ni la fin, dit : Dites ce qui fut avant et nous saurons que vous êtes des dieux ; annoncez ce qu’il y aura en dernier lieu et nous verrons que vous êtes des dieux. Car un docteur hébreu expliquait cela ainsi : le début et la fin de toutes choses ne peuvent être compris par personne, si ce n’est seulement par le Seigneur Jésus-Christ et par l’Esprit Saint, et c’est pourquoi Isaïe disait sous forme de vision que les deux Séraphins sont les seuls qui de deux ailes couvrent la face de Dieu, de deux autres les pieds et de deux ailes volent en se criant l’un à l’autre : Saint ! Saint ! Saint ! le Seigneur Sabaoth, toute la terre est pleine de ta gloire ! Puisque les deux Séraphins seuls ont leurs ailes sur la face de Dieu et sur ses pieds, il faut avoir l’audace d’affirmer que ni les armées des saints anges, ni les saints Trônes, Dominations, Principautés et Puissances ne peuvent connaître intégralement le début de tout et la fin de l’univers. Mais il faut comprendre que ces saints esprits et puissances ici mentionnés sont proches de ces débuts et en perçoivent plus que les autres ne peuvent le faire ; cependant quel que soit ce qu’ont appris ces puissances sur la révélation du Fils de Dieu ou de l’Esprit Saint, quelle que soit la quantité de connaissances qu’elles ont pu atteindre, certes beaucoup plus grande pour les puissances supérieures que pour les inférieures, il leur est cependant impossible de comprendre tout, puisqu’il est écrit : La plus grande partie des oeuvres de Dieu reste cachée. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Si quelqu’un disait que, par l’intermédiaire de ceux qui participent à la Parole de Dieu, ou à sa Sagesse, sa Vérité et sa Vie, la Parole et la Sagesse mêmes paraissent être dans un lieu, il faut répondre que sans aucun doute le Christ, en tant que Parole, Sagesse et les autres dénominations, se trouvait dans Paul, et c’est pourquoi ce dernier disait : Ou bien cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ ? et de même : Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Mais alors, lorsqu’il était en Paul, peut-on douter qu’il se trouvait pareillement en Pierre, en Jean et dans chacun des saints, et pas seulement dans ceux qui sont sur terre, mais aussi dans ceux qui sont dans les cieux ? Il est absurde en effet de dire que le Christ était en Pierre et en Paul, mais non dans l’archange Michel ou dans Gabriel. On saisit là clairement que la divinité du Fils n’était pas enfermée dans un lieu, autrement il aurait été seulement en celui-ci et non en un autre ; mais, puisqu’il n’est pas enfermé dans un lieu selon la majesté de la nature incorporelle, il faut comprendre qu’il ne manque aussi à aucun. La seule différence qu’il faille remarquer est que, bien qu’il soit en des êtres divers, en Pierre ou Paul ou Michel ou Gabriel comme nous l’avons dit, il n’est pas de la même façon en tous. Il se trouve plus pleinement, plus glorieusement, et pour ainsi dire plus ouvertement dans les archanges que dans les autres hommes saints. Cela est clair, puisque, lorsque tous les saints seront arrivés au sommet de la perfection, on dit qu’ils seront faits semblables aux anges et égaux à eux, selon la parole évangélique. C’est pourquoi il est clair que le Christ est formé en chacun selon que le permet la mesure de ses mérites. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Cependant il faut savoir que jamais la substance ne subsiste sans qualité et que seule l’intelligence discerne que ce qui est le substrat des corps et est capable de recevoir une qualité est la matière. Certains, voulant se livrer à ce sujet à une recherche plus profonde, ont osé dire que la nature corporelle n’est pas autre chose que les qualités. En effet, si la dureté et la mollesse, le chaud et le froid, l’humide et le sec, sont des qualités, lorsqu’on les supprime, elles et les autres qualités de même nature, on s’aperçoit qu’il n’y a plus de substrat, alors les qualités paraîtront être tout. C’est pourquoi les partisans de cette thèse ont essayé de soutenir ceci : puisque tous ceux qui admettent une matière incréée reconnaissent que les qualités ont été faites par Dieu, on trouve alors que, même pour eux, la matière elle-même n’est pas incréée, puisque les qualités sont tout, et que tous, sans contradiction, affirment qu’elles ont été faites par Dieu. Mais ceux qui veulent montrer que les qualités sont ajoutées du dehors à une matière sous-jacente, se servent d’exemples du genre suivant : Paul, sans aucun doute, ou se tait ou parle, ou veille ou dort, ou bien il garde une attitude définie du corps, c’est-à-dire ou il est assis ou il se tient debout ou il est couché. Tout cela constitue pour les hommes des caractères accidentels, mais on ne peut presque jamais les trouver sans l’un d’eux. Cependant l’idée que nous avons de l’homme ne définit manifestement aucun de ces caractères, mais nous le comprenons et considérons sans tenir compte en aucune façon de son attitude, qu’il soit en état de veille ou de sommeil, en train de parler ou de se taire, ni des autres circonstances accidentelles auxquelles les hommes sont nécessairement soumis. De même qu’on considère Paul sans aucun de ces caractères accidentels, de même on pourra comprendre le substrat sans les qualités. Lorsque notre intelligence, ayant écarté toute qualité de sa compréhension, contemple le point, si on peut ainsi parler, de la seule substance sous-jacente et s’y attache, sans regarder à la dureté ou à la mollesse, au chaud ou au froid, à l’humide ou au sec qui affectent cette substance, alors, par une sorte de pensée artificielle, elle semblera contempler la matière dépouillée de toutes ces qualités. Mais on demandera peut-être s’il est possible de trouver dans les Écritures quelque chose qui permette de comprendre cela. Il me semble que c’est indiqué dans les Psaumes par cette parole du prophète : Mes yeux ont vu ton incomplétude. Il semble que l’intelligence du prophète, examinant les principes des choses avec un regard plus perspicace et distinguant avec l’intellect et la raison seuls la matière des qualités, ait senti en Dieu une incomplétude, qui se parfait, comme il faut le comprendre, par l’adjonction des qualités. Dans son livre, Enoch parle ainsi : J’ai cheminé jusqu’à ce qui est imparfait; on peut le comprendre de façon semblable : l’intelligence du prophète a cheminé, scrutant et discutant une à une toutes les choses visibles jusqu’à parvenir au principe où l’on voit la matière imparfaite sans ses qualités. Il est en effet écrit dans le même livre de la bouche d’Enoch : J’ai considéré toutes les matières. C’est à comprendre ainsi : j’ai examiné l’une après l’autre toutes les divisions de la matière, qui, à partir de l’unité de la matière, se sont séparées en chaque espèce, celles des hommes, des animaux, du ciel, du soleil et de tout ce qui est dans ce monde. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section