monde (Orígenes)

Maintenant nous appelons monde tout ce qui est soit au-dessus des cieux, soit dans les cieux, soit sur la terre, soit dans ce qu’on nomme l’Hadès, soit tous les lieux absolument qui existent et ceux qu’on dit habiter dans ces lieux : on appelle donc monde l’univers. Dans ce monde il y a des êtres dits supracélestes, habitant des demeures d’une béatitude plus grande et revêtus de corps plus célestes et plus lumineux ; parmi eux on trouve beaucoup de degrés, comme, par exemple, ce qu’a dit l’Apôtre : Autre est la gloire du soleil, autre celle de la lune, autre celle des étoiles, car une étoile diffère d’une autre en gloire. Il y a aussi des êtres terrestres, très différents les uns des autres, parmi les hommes eux-mêmes : il y a des barbares, des Grecs, et parmi les barbares les uns sont plus cruels et féroces, les autres plus doux. Certains obéissent à des lois excellentes, d’autres à des lois méprisables et dures, d’autres suivent des coutumes inhumaines et sauvages plutôt que des lois. Certains vivent dans l’humiliation dès leur naissance, sont soumis à d’autres et élevés en esclaves, ou sont placés sous le pouvoir de maîtres, de princes ou de tyrans, mais d’autres reçoivent une éducation plus libérale et plus raisonnable ; certains possèdent la santé du corps, d’autres sont malades dès leur jeune âge, privés de la vue, de l’ouïe ou de la parole, soit qu’ils soient nés ainsi, soit qu’ils aient perdu ces sens sitôt après la naissance ou qu’ils aient souffert quelque chose de semblable étant déjà à l’âge adulte. Vaut-il la peine de développer et d’énumérer toutes les calamités des misères humaines dont les uns sont exempts et les autres atteints, puisque chacun peut, et encore en lui-même, les considérer et les évaluer une par une. H y a aussi des puissances invisibles à qui est confié le gouvernement de ce qui est sur terre ; et on peut croire que même chez elles on trouve des différences non négligeables, aussi bien que chez les hommes. Certes l’apôtre Paul parle aussi d’êtres infernaux et on peut chercher sans aucun doute chez eux la cause d’une diversité semblable. Il paraît superflu d’étendre cette recherche aux animaux sans parole, aux oiseaux et à ceux qui habitent dans les eaux, puisqu’il est certain qu’on ne doit pas les considérer comme des êtres premiers, mais comme des êtres d’origine seconde. Traité des Principes: Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

En outre l’âme, qui possède une substance et une vie qui lui sont propres, lorsqu’elle aura quitté ce monde, recevra un sort conforme à ses mérites : ou bien elle obtiendra l’héritage de la vie éternelle et de la béatitude, si ses actions le lui valent, ou bien elle sera abandonnée au feu éternel et aux supplices, si les péchés commis par ses méfaits l’y entraînent; mais viendra le temps de la résurrection des morts, lorsque ce corps-ci, aujourd’hui semé dans la corruption, ressuscitera dans l’incorruption, aujourd’hui semé dans l’ignominie, ressuscitera dans la gloire. Le point suivant est aussi défini par la prédication ecclésiastique : toute âme raisonnable est douée de libre arbitre et de volonté. Elle est en lutte avec le Diable et ses anges, ainsi qu’avec les puissances contraires, car ils s’efforcent de la charger de péchés : mais si nous vivons droitement et avec réflexion, nous nous efforçons de nous débarrasser de telles souillures. Il faut donc comprendre que nous ne sommes pas soumis à la nécessité et que nous ne sommes pas forcés de toute manière, même contre notre gré, de faire le mal ou le bien. Si nous sommes doués de libre arbitre, certaines puissances peuvent bien nous pousser au mal et d’autres nous aider à faire notre salut, nous ne sommes cependant pas contraints par la nécessité d’agir bien ou mal. Pensent le contraire ceux qui disent que le cours et les mouvements des étoiles sont la cause des actes humains, non seulement de ceux qui ne dépendent pas du libre arbitre, mais aussi de ceux qui sont en notre pouvoir. Traité des Principes: Préface

Il y a encore ceci dans la prédication ecclésiastique : ce monde a été fait, il a commencé à un certain moment et, comme il est corruptible, il sera détruit. Qu’y a-t-il eu avant ce monde, qu’y aura-t-il après lui, beaucoup ne le savent pas clairement. Car rien n’est dit d’évident à ce sujet dans la prédication ecclésiastique. Traité des Principes: Préface

Le Fils en effet est la Parole, et pour cela il ne faut rien entendre de sensible en lui ; il est la Sagesse, et dans la Sagesse il n’y a rien de corporel à soupçonner; il est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, mais il n’a rien de commun avec la lumière de notre soleil. Notre Sauveur est donc l’image du Dieu invisible, le Père : en relation avec le Père il est Vérité ; en relation à nous, à qui il révèle le Père, il est l’image par laquelle nous connaissons le Père que personne d’autre ne connaît si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. Il révèle par le fait d’être lui-même compris. Dès qu’il est lui-même compris, le Père est en conséquence compris lui aussi, selon ce que le Christ a dit : Qui m’a vu a vu aussi le Père. Traité des Principes: LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Les noms de Diable, de Satan, de Malin, sont employés en de nombreux passages de l’Écriture pour désigner celui qui est décrit comme l’ennemi de Dieu. On y parle aussi des anges du Diable et du Prince de ce monde, terme dont on ne peut dire encore clairement s’il s’applique au Diable ou à un autre. Il y a des Princes de ce monde, possédant une certaine sagesse qui sera détruite : ces Princes sont-ils les mêmes que les Principautés contre lesquelles nous avons à lutter ou d’autres, il ne me paraît pas facile de se prononcer. Après ces Principautés, on nomme encore certaines Puissances contre qui nous avons à lutter et à porter le combat, mais nous avons aussi à le faire contre les Princes de ce monde et les Dirigeants de ces ténèbres : Paul nomme encore des esprits de malice dans les deux. Que dire des esprits malins et des démons impurs cités dans les évangiles ? Ensuite des êtres sont appelés d’un nom semblable, les Célestes – mais ils sont dits fléchir ou devoir fléchir le genou au nom de Jésus -, d’autres les Terrestres et les Infernaux que Paul énumère dans cet ordre. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Par ailleurs nous trouvons un même enseignement concernant une autre puissance contraire dans le prophète Isaïe : Comment est-il tombé du ciel, Lucifer, celui qui se levait à l’aurore ? Il a été brisé et abattu sur terre, celui qui attaquait toutes les nations. Tu as dit dans ton coeur: Je monterai au ciel, au-dessus des étoiles du ciel je placerai mon trône, je siégerai sur un mont plus haut que toutes les montagnes les plus élevées qui sont au nord, je monterai sur les nuées, je serai semblable au Très-Haut. Maintenant, au contraire, tu seras plongé dans l’Hadès et dans les profondeurs de la terre. Ceux qui t’auront vu seront dans la stupéfaction à ton sujet et diront: Voici l’homme qui irritait toute la terre, qui renversait les rois, qui a fait de toute la terre un désert, qui a détruit les villes et qui n’a pas libéré ceux qui se trouvaient en prison. Tous les rois des nations se sont endormis avec honneur, chacun dans sa maison; toi, tu seras jeté dans les montagnes comme un mort abominable, au milieu de nombreux morts qui ont été percés du glaive et sont descendus dans l’Hadès. Comme un vêtement durci et souillé par le sang ne sera pas pur, ainsi toi non plus tu ne seras pas pur, parce que tu as dévasté ma terre et tué mon peuple : tu ne demeureras pas éternellement, engeance très mauvaise. Prépare tes fils à être tués pour les péchés de leur père, pour qu’ils ne se relèvent plus, qu’ils ne possèdent plus le pays en héritage et qu’ils ne remplissent plus la terre de guerres. Je me lèverai contre eux, dit le Seigneur Sabaoth, et je ferai disparaître leur nom, leurs restes et leur semence. Cela montre très clairement qu’il est assurément tombé du ciel, celui qui était auparavant Lucifer et qui se levait à l’aurore. Si, comme certains le pensent, il était de la nature des ténèbres, comment l’appelle-t-on auparavant Lucifer ? Comment pouvait-il se lever à l’aurore, lui qui n’avait en lui rien de la lumière ? Mais le Seigneur lui-même nous enseigne ce qui suit du Diable : Voici que je vois Satan tombé du ciel comme la foudre. Il fut donc jadis lumière. Mais notre Seigneur, qui est la Vérité, a comparé cependant à la foudre la grandeur de sa venue glorieuse : Comme la foudre brille d’un sommet du ciel à un autre sommet du ciel, ainsi sera aussi la venue du Fils de l’homme. Et il compare malgré cela Satan à la foudre, et il dit qu’il est tombé du ciel pour montrer qu’il a été lui-même jadis dans le ciel, qu’il eut place parmi les saints, qu’il a participé à la lumière à laquelle tous les saints participent, cette lumière qui fait les anges de lumière et qui fait appeler les apôtres par le Seigneur lumière du monde. De la même manière, il était donc jadis lumière avant de prévariquer et de tomber en ce lieu, avant que sa gloire ne se change en poussière, ce qui est le propre des impies, comme le dit le prophète. Et c’est pourquoi il est appelé Prince de ce monde, c’est-à-dire de cette habitation terrestre; et il gouverne ceux qui l’ont suivi dans sa malice puisque ce monde tout entier – j’appelle maintenant monde ce lieu terrestre – est placé sous le pouvoir du Malin, c’est-à-dire de cet apostat. Il est donc un apostat – c’est-à-dire un transfuge -, et c’est le Seigneur qui le dit dans le Livre de Job : Tu prendras à l’hameçon le dragon apostat, c’est-à-dire transfuge. Il est certain en effet que ce dragon désigne le Diable. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Puisque Paul dit qu’il y a des réalités visibles et temporelles et d’autres en outre invisibles et éternelles, nous cherchons comment celles qui se voient sont temporelles : est-ce parce qu’elles n’existeront absolument plus dans toute l’étendue des siècles à venir, où la dispersion et la division de l’unique commencement seront réintégrées dans une seule et unique fin et ressemblance, ou parce que la forme extérieure des réalités visibles passera sans que de toute façon leur substance soit corrompue ? Paul paraît confirmer la seconde solution quand il dit : La forme extérieure de ce monde passera. Mais David semble montrer la même chose en ces termes : Les deux périront, mais toi tu resteras : tous s’useront comme un vêtement et tu les changeras comme un manteau, comme on change de vêtement. Si les cieux seront changés, ce qui est changé assurément ne périt pas ; et si la forme extérieure de ce monde passe, il n’y a pas là une destruction complète, ni une perte de substance matérielle, mais une certaine mutation de qualité et transformation de forme extérieure. Lorsque Isaïe dit prophétiquement qu’il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle, il suggère sans aucun doute une interprétation analogue. Car la rénovation du ciel et de la terre, le changement de la forme extérieure de ce monde, la transformation des cieux, sont préparés sans aucun doute pour ceux qui cheminent sur cette Voie que nous avons montrée plus haut et tendent vers la fin bienheureuse, dans laquelle les ennemis seront soumis, dit l’Écriture, et Dieu sera tout en tous. Si quelqu’un pense que dans cette fin la nature matérielle, c’est-à-dire corporelle, périra entièrement, il m’est absolument impossible de concevoir comment de si nombreux et si grands êtres substantiels pourraient vivre et subsister sans corps, alors que c’est un privilège de la nature de Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, qu’on puisse comprendre leur existence sans substance matérielle et sans l’association d’un ajout corporel. Un autre dira peut-être que dans cette fin la substance corporelle sera si limpide et si purifiée qu’on peut la comprendre à la manière de l’éther, comme possédant une pureté et une limpidité célestes. Comment les choses se passeront, seul Dieu le sait avec certitude, et ceux qui sont ses amis par le Christ et par l’Esprit Saint. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Je pense qu’il faut raisonner pareillement à propos des anges et ne pas juger fortuit qu’à tel ange ait été attribué tel office, par exemple à Raphaël la charge de soigner et de guérir, à Gabriel la surveillance des guerres, à Michel le soin des prières et des supplications des mortels. Il n’y a pas à penser qu’ils aient mérité ces fonctions autrement que par leurs mérites, leur zèle et les vertus qu’ils ont manifestées avant l’organisation de ce monde. C’est alors que, dans l’ordre des archanges, tel ou tel genre d’office a été attribué à chacun ; d’autres ont mérité d’être inscrits dans l’ordre des anges et d’agir sous l’autorité de tel ou tel archange, de tel ou tel chef ou prince de son ordre. Tout cela, nous l’avons dit, ne s’est pas produit fortuitement et sans discernement, mais a été ordonné par un jugement de Dieu très adapté et très juste et disposé en fonction des mérites selon son jugement et avec son approbation : de telle sorte qu’à cet ange a été confiée l’Église des Ephésiens, à cet autre celle des Smyrniotes, cet ange est devenu celui de Pierre et cet autre celui de Paul; et ainsi de suite, à chacun des plus petits qui sont dans l’Église a été attribué tel ou tel ange, de ceux qui voient chaque jour la face de Dieu, mais aussi celui qui doit être l’ange qui entoure de tous côtés ceux qui craignent Dieu. Il ne faut pas songer que tout cela se soit produit par hasard et fortuitement, ni que ces anges aient été faits tels par nature, pour ne pas accuser en cela aussi le Créateur de partialité : la décision est intervenue selon les mérites et les vertus, selon la vigueur et les talents de chacun, par le très juste et très impartial gouverneur de l’univers, il faut le croire. Traité des Principes: LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Mais puisque la discussion précédente a montré que les mouvements divers et les opinions variées des créatures raisonnables ont été cause de la diversité du monde, il faut voir s’il ne convient pas aussi d’attribuer à ce monde-ci une fin semblable au commencement. Il n’est pas douteux en effet qu’il trouvera encore sa fin dans une grande diversité et variété et que cette variété, surprise en cet état par la fin de ce monde-ci, sera la cause et l’occasion des diversités qui caractériseront l’autre monde qui viendra après celui-ci, la fin de ce monde-ci étant le début du monde futur. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): « Le monde et les créatures qui s’y trouvent »

Cette matière donc est si considérable et de telle nature qu’elle peut suffire à tous les corps du monde, à qui Dieu a voulu donner l’existence, et le créateur s’en sert pour fabriquer toutes les formes et espèces qu’il veut, lorsqu’elle reçoit les qualités qu’il a voulu lui imposer; je ne sais comment tant de grands hommes ont pensé qu’elle était incréée, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été faite par le Dieu créateur de l’univers, et comment ils ont estimé que sa nature et son action étaient le produit du hasard. Je m’étonne que ces gens-là blâment ceux qui nient que Dieu soit le créateur et la providence de cet univers, qu’ils les accusent de pensées impies, parce qu’ils tiennent que le grand ouvrage du monde dure sans artisan et sans personne qui y pourvoie, alors qu’ils encourent eux-mêmes une accusation semblable d’impiété quand ils disent que la matière est incréée et coéternelle au Dieu incréé. Si nous suivons leur raisonnement et supposons par exemple que la matière n’a pas existé – comme ils l’affirment en disant que Dieu ne pouvait rien faire si rien n’était -, sans aucun doute Dieu aurait été oisif, n’ayant pas de matière pour pouvoir travailler, une matière qu’ils ne pensent pas être l’effet de sa providence, mais le produit du hasard ; et ils croient que ce qui se serait produit par hasard pourrait suffire à l’importance d’un si grand ouvrage et à la force de sa puissance, et que par l’art de sa sagesse cette matière pourrait être différenciée et ordonnée pour former un monde. Cela me semble tout à fait absurde et le propre d’hommes qui ignorent tout de la puissance et de l’intelligence de la nature incréée. Mais pour pouvoir considérer avec plus de soin ce qu’il en est, qu’on nous accorde provisoirement que la matière n’existait pas et que Dieu, alors que rien n’existait, a donné l’existence à ce qu’il a voulu. Que faut-il penser ? Que cette matière que devait faire Dieu, qu’il amenait à l’existence par sa puissance et sa sagesse, afin que soit ce qui avant n’était pas, ait été meilleure, supérieure, d’un autre genre, que celle que ces gens-là appellent incréée, ou au contraire inférieure et plus mauvaise, ou bien semblable et identique ? Et je pense que n’importe qui comprendra que ni une matière meilleure ni une matière pire n’aurait pu recevoir les formes et les espèces de ce monde, si elle n’avait pas été pareille à celle qui les a reçues. Ne paraîtra-t-il pas impie de dire incréé ce qui, si on le croit créé par Dieu, sera trouvé sans aucun doute pareil à ce qui est dit incréé ? Pour appuyer notre foi sur ce point sur l’autorité des Écritures, voici comment dans les Livres des Macchabées, quand la mère des sept martyrs exhorte un de ses fils à supporter les supplices, cette doctrine est confirmée : Je te prie, mon fils, regarde vers le ciel, la terre et tout ce qu’ils contiennent, et à cette vue sache que Dieu a fait tout cela alors que cela n’existait pas. Et dans le Livre du Pasteur, au premier précepte, il est dit : Crois d’abord qu’il y a un seul Dieu qui a tout créé et disposé: à partir du néant il a donné l’existence à l’univers. Cela n’est pas sans rapport avec ce qui est dit dans les Psaumes : Il dit et tout fut fait; il commanda et tout fut créé. Ces paroles : Il dit et tout fut fait, paraissent s’appliquer à la substance de ce qui est; le reste : Il commanda et tout fut créé, aux qualités qui ont donné sa forme à la substance. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): « Le monde et les créatures qui s’y trouvent »

Il faut encore rechercher si avant le monde de maintenant a existé un autre monde et, dans ce cas, s’il a été semblable au monde de maintenant, ou quelque peu supérieur ou inférieur ; ou bien s’il n’y a eu absolument aucun monde, mais un état pareil à la fin qui, pensons-nous, surviendra après toutes choses, lorsque le royaume sera transmis au Dieu et Père ; si cet état néanmoins n’a pas été la fin d’un autre monde, à savoir de celui après lequel le monde actuel a commencé, quand, dans sa diversité, la chute des natures intellectuelles a décidé Dieu à créer ce monde de façon diverse et variée. Mais à mon avis il faut pareillement se demander si, après ce monde-ci, interviendront une correction et une purification, dures certes et très douloureuses, pour ceux qui auront refusé d’obéir à la Parole (Verbe) de Dieu, mais consistant pour les autres en une instruction et une éducation dans les réalités intelligibles, qui fera parvenir à une compréhension plus riche de la vérité ceux qui se sont déjà adonnés dans la vie présente à ce genre d’études et, ayant purifié leurs intelligences, sont devenus capables de recevoir la sagesse divine, ou si, sitôt après, suivra la fin de toutes choses ; ou si pour corriger et amender ceux qui en ont besoin, existera un autre monde, soit semblable à l’actuel, soit meilleur ou bien pire ; et quel sera ce monde qui suivra l’actuel, combien de temps il durera ou s’il existera vraiment; s’il y aura un moment où il n’existera plus aucun monde ou s’il fut un moment où aucun monde n’a existé ; ou s’il y en eut ou s’il y en aura plusieurs à la fois, ou s’il arrivera un jour qu’un monde sera entièrement égal ou semblable à un autre sans aucune distinction. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Mais voyons les difficultés qui se présentent à ceux qui raisonnent ainsi. Si la nature corporelle est complètement détruite, il paraîtra nécessaire de la restaurer et de la créer une seconde fois, car il semble possible que les natures raisonnables, à qui n’est jamais ôtée la faculté du libre arbitre, puissent de nouveau être soumises à quelques mouvements, et Dieu peut le permettre de peur que, s’ils restaient toujours dans un état d’immobilité, ils perdent de vue que leur maintien dans l’état final de béatitude vient de la grâce de Dieu et non de leur vertu. Ces mouvements entraîneraient de nouveau sans aucun doute la variété et la diversité des corps, qui ornent toujours le monde, car jamais un monde ne pourra être composé d’autre chose que de variété et de diversité : cela ne peut se faire en aucune façon sans la matière corporelle. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Quant à ceux qui affirment une succession de mondes qui seraient sans différences et tout à fait semblables, je ne sais sur quels arguments ils s’appuient. Si en effet on se représente un monde parfaitement semblable à un autre monde, il sera tel qu’Adam ou Eve y referont tout ce qu’ils ont fait, qu’il y aura un nouveau déluge, que le même Moïse fera sortir une autre fois d’Egypte une population de six cent mille personnes ; Judas lui-même trahira deux fois son maître, Paul gardera une seconde fois les habits de ceux qui lapidaient Étienne, et tout ce qui s’est passé dans cette vie se passera à nouveau. Je ne vois pas avec quelles raisons on pourrait soutenir de telles affirmations, si les âmes possèdent un libre arbitre et sont l’origine de leurs progrès ou de leurs régressions selon le pouvoir de leur volonté. Les âmes ne sont pas déterminées à faire ou à désirer ceci ou cela par un mouvement qui revient sur lui-même suivant les mêmes cercles après beaucoup de siècles, mais elles dirigent le cours de leurs actes là où tendent librement leurs dispositions. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Les affirmations de ces gens-là sont comparables à celle de quelqu’un qui voudrait qu’il soit possible en jetant à terre une mesure de blé, que la chute des grains se produise une seconde fois d’une manière tout à fait semblable à la précédente, que tous les grains versés retrouvent les mêmes places que la première fois, suivant le même ordre et les mêmes figures que celles qu’ils formaient lorsqu’ils avaient été répandus auparavant : étant donné la quantité innombrable de grains contenus dans cette mesure, il est absolument impossible que cela se produise, même si on recommençait cette opération indéfiniment et continuellement à travers des siècles sans fin. Il me paraît également impossible qu’un monde puisse être rétabli une seconde fois dans le même ordre et la même manière en ce qui concerne les naissances, les morts et les actions ; mais c’est avec des changements non négligeables que des mondes divers peuvent exister, de sorte que des raisons manifestes rendent l’état d’un monde meilleur que celui d’un autre, ou selon les cas pire ou équivalent. Quant à ce qu’il en est du nombre et de la manière d’être de ces mondes, je reconnais mon ignorance. Si quelqu’un pouvait me le montrer, je l’apprendrais volontiers. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Cependant ce monde est dit l’achèvement de beaucoup de siècles et est lui aussi appelé siècle. Le saint Apôtre enseigne que le Christ n’a pas souffert dans le siècle qui a précédé celui-ci, ni même dans celui qui a existé avant le siècle précédent, et je ne sais si je pourrais énumérer tous les siècles antérieurs dans lesquels il n’a pas souffert. Voici les paroles de Paul qu’on pourrait invoquer pour permettre de comprendre cela : Maintenant, une seule fois, à la consommation des siècles il s’est manifesté pour repousser le péché en se faisant victime. Il dit en effet qu’une seule fois il s’est fait victime et s’est manifesté à la fin des siècles pour repousser le péché. Mais après ce siècle, qui a été fait selon Paul comme la consommation d’autres siècles, surviendront d’autres siècles, et nous l’apprenons aussi clairement du même Paul : Afin qu’il montrât aux siècles à venir les richesses surabondantes de sa grâce dans sa bonté pour nous. Il n’a pas dit : au siècle à venir, ni : aux deux siècles, mais : aux siècles à venir. Je juge en conséquence que cette parole indique une multitude de siècles. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Après avoir discuté selon nos forces de ce qu’est le monde, il ne paraîtra pas inconvenant de rechercher ce que veut dire l’appellation de monde, que l’on trouve fréquemment dans les Écritures saintes avec diverses significations. Ce que nous appelons en latin mundus se dit en grec cosmos : cependant le mot cosmos ne signifie pas seulement monde, mais encore ornement. En effet, quand Isaïe réprimande les filles nobles de Sion, il dit : A la place de l’ornement d’or de ta tête, tu auras la calvitie à cause de tes oeuvres; ornement traduit le même mot que monde, c’est-à-dire cosmos. Il est dit aussi que dans le vêtement du grand-prêtre était contenue l’explication du monde, selon ce que nous trouvons dans la Sagesse de Salomon : Dans la longue robe des prêtres était le monde entier. On appelle aussi notre monde le cercle terrestre avec ses habitants, comme dans l’Écriture : Tout le monde est sous l’autorité du Malin. Clément, disciple des apôtres, rappelle ceux que les Grecs nomment les Antichthoniens et d’autres parties du cercle terrestre, où aucun de nous ne peut aller, ni aucun de ceux qui y habitent venir jusqu’à nous, et il les appelle aussi des mondes lorsqu’il dit : L’Océan ne peut être traversé par les hommes, ainsi que les mondes qui sont de l’autre côté et sont gouvernés par les mêmes dispositions du Dieu souverain. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

On appelle encore monde l’univers composé du ciel et de la terre, selon ces paroles de Paul : L’état de ce monde passera. Notre Seigneur et Sauveur désigne aussi un monde autre que le visible, qu’il est vraiment difficile de décrire et de caractériser. Il dit en effet : Je ne suis pas de ce monde. Comme s’il venait d’un autre monde, il affirme qu’il n’est pas de ce monde. Nous venons de dire qu’il est difficile d’exposer ce qu’est ce monde, de peur que quelques-uns n’y trouvent occasion de comprendre que nous affirmons par là l’existence de certaines images que les Grecs appellent idées : il est cependant tout à fait étranger à notre mode de penser de parler d’un monde incorporel qui n’a de consistance que dans l’imagination et sur le terrain glissant des pensées ; et je ne vois pas comment ils pourront affirmer que le Sauveur en vient et que les saints s’y rendront. Cependant il n’est pas douteux que le Sauveur nous indique par là quelque chose de plus éclatant et de plus splendide que le monde présent, et qu’il invite et exhorte ceux qui croient en lui à y aspirer. Ce monde en question, dont il veut donner la pensée, est-il séparé de celui-ci, très éloigné de lui par le lieu, la qualité et la gloire, ou bien le dépasse-t-il seulement en gloire et en qualité, tout en étant contenu dans les limites de ce monde, opinion qui me paraît plus vraisemblable, cela est incertain et, à mon avis, étranger aux pensées et aux compréhensions humaines. Cependant des indications que semble donner Clément par ces paroles : L’Océan ne peut être traversé par les hommes, ainsi que les mondes qui sont au delà de lui, en parlant au pluriel des mondes qui sont au delà de lui et qu’il représente dirigés et régis par la même providence du Dieu suprême, paraissent venir à nous quelques germes de compréhension, nous suggérant que tout l’univers de ce qui est et existe, des réalités célestes et supracélestes, terrestres et infernales, forme au sens général un seul monde parfait, dans lequel et par lequel les autres, s’il y en a, sont contenus. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

De là certains soutiennent que les globes de la lune, du soleil ou des autres astres appelés planètes sont chacun nommés un monde ; mais ils veulent néanmoins appeler un monde au sens propre le globe qui les dépasse, celui des étoiles fixes. Ils invoquent, comme témoignage de cette assertion, le livre du prophète Baruch qui indique plus clairement les sept mondes ou cieux. Ils veulent que, au-dessus de cette sphère qu’ils appellent la sphère des étoiles fixes, il y en ait une autre qui, de même que chez nous le ciel contient tout ce qui est au-dessous de lui, renfermerait, selon leur opinion, dans sa grandeur sans mesure et son étreinte ineffable, les espaces de toutes les autres sphères, les entourant magnifiquement. Ainsi toutes choses seraient à l’intérieur de cette sphère de la même manière que notre terre est au-dessus du ciel. Ce que les Écritures saintes nomment, nous le croyons, bonne terre et terre des vivants, a pour ciel ce dont nous avons parlé plus haut, le ciel où, selon la parole du Sauveur, sont écrits ou ont été écrits les noms des saints, et ce ciel renferme et embrasse cette terre que le Sauveur dans l’Évangile a promis aux paisibles et aux doux. Les mêmes veulent que notre terre, dont l’appellation première était l’aride, ait tiré son nom de cette terre-là, de même que le firmament, notre ciel, a été désigné du même terme que ce ciel-là. Mais nous avons traité plus complètement de cela lorsque nous avons recherché le sens de la phrase : Dans le principe Dieu a fait le ciel et la ferre. Par là sont désignés un autre ciel et une autre terre que le firmament qui a été fait, selon l’Écriture, deux jours après et que l’aride qui a été ensuite nommée terre. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Assurément certains disent de ce monde-ci qu’il est corruptible puisqu’il a été fait, mais que cependant il ne se corrompt pas, parce que plus forte et plus puissante que la corruption est la volonté de Dieu qui l’a fait et le maintient, pour qu’il ne soit pas dominé par la corruption : mais il serait plus exact de penser cela de ce monde que nous avons dit au-dessus de la sphère des étoiles fixes, car par la volonté de Dieu il n’est en rien sujet à la corruption, n’ayant pas reçu ce qui cause la corruption. En effet ce monde appartient aux saints, à ceux qui ont été complètement purifiés, et non aux impies comme le nôtre. N’est-ce pas à ce sujet que l’Apôtre a écrit : A nous qui regardons non ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas, car ce qui se voit est temporel, ce qui ne se voit pas éternel. Nous savons en effet que si notre demeure terrestre, où nous habitons, se dissout, nous avons un édifice élevé par Dieu, une maison non faite par la main, éternelle dans les deux. Puisqu’il est dit ailleurs : Je verrai les deux, oeuvres de tes doigts, et que Dieu déclare par le prophète, au sujet de tout ce qui est visible : Ma main a fait tout cela, il affirme ainsi que cette maison éternelle, promise aux saints dans les cieux, n’a pas été faite par la main, montrant qu’il y a sans aucun doute une différence entre la création de ce qui se voit et celle de ce qui ne se voit pas. Ce qui ne se voit pas n’a pas la même signification que ce qui est invisible. Car ce qui est invisible, non seulement on ne le voit pas, mais encore on ne peut le voir à cause de sa nature : c’est ce que les Grecs ont appelé asomaton, c’est-à-dire incorporel. Les réalités qui, selon Paul, ne se voient pas peuvent par nature être vues, mais cela n’est pas encore possible d’après lui à ceux qui en reçoivent la promesse. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Nous avons esquissé comme nous avons pu les comprendre ces trois opinions sur la fin de toutes choses et la béatitude suprême : que chaque lecteur juge en lui-même avec diligence et minutie, s’il veut en approuver et en choisir une. Il est dit qu’on pense pouvoir mener une vie incorporelle quand tout aura été soumis au Christ et par le Christ à Dieu le Père, lorsque Dieu sera tout en tous ; ou bien cependant que lorsque tout sera soumis au Christ et par le Christ à Dieu, avec qui les natures raisonnables formeront un seul esprit, puisqu’elles sont des esprits, la substance corporelle elle-même associée à des esprits excellents et très purs brillera, changée dans un état éthéré selon la qualité ou les mérites de ceux qui l’assument, d’après cette parole de l’Apôtre : Nous aussi nous serons changés ; ou encore que, lorsque la condition des choses qui se voient aura passé, toute corruptibilité ayant été rejetée et purifiée et tout l’état de ce monde, où l’on dit que se trouvent les sphères des planètes, ayant été dépassé et transcendé, c’est au-dessus de la sphère dite des étoiles fixes que la demeure des pieux et des bienheureux sera établie, comme dans la bonne terre, la terre des vivants, que recevront les paisibles et les doux. A cette terre correspond le ciel qui l’entoure et l’enferme comme dans une enceinte plus magnifique, le ciel au sens strict et premier. Dans ce ciel et dans cette terre trouveront place l’achèvement et la perfection de toutes choses d’une manière stable, sûre et très durable. C’est là que ceux qui auront été corrigés par les peines subies pour être purifiés de leurs péchés, lorsque tout aura été accompli et payé, mériteront d’habiter cette terre, et ceux qui ont obéi à la Parole de Dieu, se sont montrés capables de recevoir sa Sagesse et l’ont suivie, mériteront, selon l’Écriture, les royaumes de ce ciel ou de ces cieux. Ainsi s’accompliront ces paroles : Bienheureux les doux car ils recevront en héritage la terre. Bienheureux les pauvres par l’esprit car ils auront l’héritage du royaume des cieux, et ce que dit le Psaume : Il t’élèvera pour que tu hérites la terre. Pour cette terre-ci on emploie l’expression descendre, pour cette terre-là, qui est en haut, celle d’être élevé. Il semble ainsi que soit ouvert par les progrès des saints comme un chemin de cette terre-là à ces cieux-là : ils ne paraissent pas tant devoir rester dans cette terre que l’habiter, pour passer ensuite, lorsqu’ils auront fait quelque progrès, à l’héritage du royaume des cieux. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Mais après toutes ces merveilles et magnificences, la capacité d’étonnement de l’intelligence humaine est complètement dépassée et la fragilité d’un entendement mortel ne voit pas comment elle pourrait penser et comprendre que cette Puissance si grande de la majesté divine, cette Parole du Père lui-même, cette Sagesse de Dieu dans laquelle ont été créés tout le visible et tout l’invisible, ait pu, comme il faut le croire, exister dans les étroites limites d’un homme qui s’est montré en Judée, et bien mieux que la Sagesse de Dieu ait pénétré dans la matrice d’une femme, soit née comme un petit enfant, ait émis des vagissements à la manière des nourrissons qui pleurent; et ensuite qu’elle ait été troublée par sa mort, comme on le rapporte et comme Jésus le reconnaît lui-même : Mon âme est triste jusqu’à la mort; et enfin qu’elle ait été conduite à la mort que les hommes jugent la plus indigne, bien qu’elle soit ressuscitée le troisième jour après. Tantôt nous voyons en lui certains traits humains qui paraissent ne différer en rien de la fragilité commune des mortels, tantôt des traits si divins qu’ils ne conviennent à personne d’autre qu’à la nature première et ineffable de la divinité : aussi l’entendement humain reste immobile par suite de son étroitesse et frappé d’une telle stupéfaction qu’il ignore où aller, que tenir, vers où se tourner. Pense-t-il le Dieu, il voit le mortel. Pense-t-il l’homme, il l’aperçoit, ayant vaincu le règne de la mort, revenir des morts avec ses dépouilles. C’est pourquoi ce mystère doit être contemplé en toute crainte et révérence pour montrer en un seul et même être la vérité de chaque nature, afin de ne rien penser d’indigne et d’indécent sur cet être substantiel divin et ineffable, ni juger au contraire que ce qu’il a fait soit l’illusion d’une imagination fausse. Exposer cela à des oreilles humaines et l’expliquer par des paroles excède de beaucoup les possibilités de notre mérite, de notre talent et de notre discours. Je juge que cela dépasse même la mesure des saints apôtres : bien mieux l’explication de ce mystère est peut-être au-dessus des puissances célestes de toute la création. Ce n’est pas cependant par témérité, mais parce que la suite du développement le demande, que nous exposerons en peu de mots, plutôt ce que notre foi contient que ce que les assertions de la raison humaine pourraient revendiquer, en présentant davantage ce que nous supposons que des affirmations manifestes. Donc le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, le visible et l’invisible, comme nous l’a appris plus haut cette discussion, a fait toute chose, selon l’attestation de l’Écriture, et aime tout ce qu’il a fait. Car, alors que du Dieu invisible il est lui-même l’image invisible, il a donné à toutes les créatures raisonnables de participer à lui de telle sorte que chaque créature adhère à lui par le sentiment de l’amour dans la mesure où elle participe davantage à lui. Mais puisque la faculté du libre arbitre a mis une variété et une diversité parmi les intelligences, les unes ayant un amour plus ardent envers leur créateur, les autres un amour plus faible et plus chétif, cette âme, dont Jésus dit : Personne ne m’ôte mon âme, adhérant à lui depuis sa création et dans la suite d’une manière inséparable et indissociable, comme à la Sagesse et à la Parole de Dieu, à la Vérité et à la Vraie Lumière, le recevant tout entier en elle tout entière et se changeant en sa lumière et en sa splendeur, est devenue avec lui dans son principe un seul esprit, de même que l’apôtre a promis à ceux qui devaient imiter cette âme que : Celui qui se joint au Seigneur est un seul esprit avec lui. De cette substance de l’âme servant d’intermédiaire entre un Dieu et la chair – car il n’était pas possible que la nature d’un Dieu se mêlât à la chair sans médiateur – naît, comme nous l’avons dit, le Dieu-Homme : cette substance était l’intermédiaire, car il n’était pas contre nature pour elle d’assumer un corps. Et de même il n’était pas contre nature que cette âme, substance raisonnable, puisse contenir Dieu, puisque, nous l’avons dit plus haut, elle s’était déjà toute changée en lui, comme en la Parole, la Sagesse et la Vérité. C’est pourquoi, à bon droit, parce qu’elle était tout entière dans le Fils de Dieu ou qu’elle contenait tout entier en elle le Fils de Dieu, elle est appelée elle-même, avec la chair qu’elle a assumée, Fils de Dieu et Puissance de Dieu, Christ et Sagesse de Dieu ; et réciproquement, le Fils de Dieu par qui tout a été créé est nommé Jésus-Christ et Fils de l’homme. Car on dit que le Fils de Dieu est mort, à savoir à cause de cette nature qui pouvait parfaitement recevoir la mort ; et il est appelé Fils de l’homme, celui que l’on prêche comme devant venir dans la gloire de Dieu le Père avec les saints anges. Pour cette raison, dans toute l’Écriture la divine nature est appelée par des vocables humains et la nature humaine est ornée des titres réservés à Dieu. Dans ce cas plus que dans tout autre, on peut dire ce qui est écrit : Ils seront les deux dans une chair une: désormais ils ne sont plus deux, mais une chair une. Car la Parole de Dieu est bien plus avec son âme dans une chair une que ce que l’on pense du mari avec son épouse. Mais à qui convient-il mieux d’être un seul esprit avec Dieu qu’à cette âme qui s’est si bien jointe à Dieu par l’amour qu’elle peut être dite à bon droit un seul esprit avec lui. La perfection de l’amour et la sincérité d’une affection pure ont fait l’unité inséparable de cette âme avec un Dieu, tellement que l’assomption de cette âme n’est pas le produit du hasard ni le résultat d’une partialité envers une personne, mais vient du mérite de ses vertus. C’est ce que dit le prophète s’adressant à elle : Tu as aimé la justice et haï l’iniquité: c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a ointe de l’huile de joie plus que tes participants. A cause du mérite de son amour elle est ointe de l’huile de joie, c’est-à-dire l’âme avec la Parole de Dieu devient le Christ. Etre oint de l’huile de joie ne veut pas dire autre chose qu’être rempli de l’Esprit Saint. Ce qui est dit : plus que tes participants, indique que la grâce de l’Esprit ne lui a pas été donnée comme aux prophètes, mais qu’elle avait en elle la plénitude substantielle de la Parole de Dieu, selon l’Apôtre : En qui habite corporellement la plénitude de la divinité. Et enfin il n’est pas dit seulement : Tu as aimé la justice, mais : Et tu as haï l’iniquité. Haïr l’iniquité revient à ce que l’Écriture dit du Christ : Il n’a pas commis de péché et on n’a pas trouvé de ruse dans sa bouche, et : Il a été éprouvé en tout de manière semblable sans péché. Mais le Seigneur lui-même dit : Qui de vous me convainc de péché ? De nouveau il dit de lui-même : Voici que vient le prince de ce monde et en moi il ne trouve rien. Tout cela montre qu’il n’y a en lui aucune pensée de péché. Le prophète exprime avec plus de clarté encore que jamais aucune pensée d’iniquité n’est entrée en lui quand il dit : Avant que l’enfant ait su appeler son père ou sa mère, il s’est détourné de l’iniquité. Traité des Principes: Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Maintenant nous appelons monde tout ce qui est soit au-dessus des cieux, soit dans les cieux, soit sur la terre, soit dans ce qu’on nomme l’Hadès, soit tous les lieux absolument qui existent et ceux qu’on dit habiter dans ces lieux : on appelle donc monde l’univers. Dans ce monde il y a des êtres dits supracélestes, habitant des demeures d’une béatitude plus grande et revêtus de corps plus célestes et plus lumineux ; parmi eux on trouve beaucoup de degrés, comme, par exemple, ce qu’a dit l’Apôtre : Autre est la gloire du soleil, autre celle de la lune, autre celle des étoiles, car une étoile diffère d’une autre en gloire. Il y a aussi des êtres terrestres, très différents les uns des autres, parmi les hommes eux-mêmes : il y a des barbares, des Grecs, et parmi les barbares les uns sont plus cruels et féroces, les autres plus doux. Certains obéissent à des lois excellentes, d’autres à des lois méprisables et dures, d’autres suivent des coutumes inhumaines et sauvages plutôt que des lois. Certains vivent dans l’humiliation dès leur naissance, sont soumis à d’autres et élevés en esclaves, ou sont placés sous le pouvoir de maîtres, de princes ou de tyrans, mais d’autres reçoivent une éducation plus libérale et plus raisonnable ; certains possèdent la santé du corps, d’autres sont malades dès leur jeune âge, privés de la vue, de l’ouïe ou de la parole, soit qu’ils soient nés ainsi, soit qu’ils aient perdu ces sens sitôt après la naissance ou qu’ils aient souffert quelque chose de semblable étant déjà à l’âge adulte. Vaut-il la peine de développer et d’énumérer toutes les calamités des misères humaines dont les uns sont exempts et les autres atteints, puisque chacun peut, et encore en lui-même, les considérer et les évaluer une par une. H y a aussi des puissances invisibles à qui est confié le gouvernement de ce qui est sur terre ; et on peut croire que même chez elles on trouve des différences non négligeables, aussi bien que chez les hommes. Certes l’apôtre Paul parle aussi d’êtres infernaux et on peut chercher sans aucun doute chez eux la cause d’une diversité semblable. Il paraît superflu d’étendre cette recherche aux animaux sans parole, aux oiseaux et à ceux qui habitent dans les eaux, puisqu’il est certain qu’on ne doit pas les considérer comme des êtres premiers, mais comme des êtres d’origine seconde. Traité des Principes: Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Lorsque nous disons que ce monde avec toute sa diversité, telle que nous l’avons exposée plus haut, a été fait par le Dieu que nous affirmons bon, juste et très équitable, beaucoup nous font des objections et demandent d’ordinaire – surtout ceux qui viennent des écoles de Marcion, Valentin et Basilide et tiennent que les natures des âmes sont différentes – comment il peut convenir à la justice de Dieu créant le monde de donner aux uns une demeure dans les cieux, et non seulement une demeure meilleure, mais un degré d’existence plus élevé et plus glorieux, d’accorder à d’autres le principal, d’attribuer à d’autres puissances et dominations, d’offrir à d’autres les trônes éminents des tribunaux célestes, que d’autres luisent d’une façon plus éclatante et brillent de l’éclat des astres, qu’autre soit la gloire du soleil, autre la gloire de la lune, autre la gloire des étoiles, et qu’une étoile diffère d’une autre en gloire. Pour parler de façon brève et ramassée, si au Dieu créateur ne manquent ni la volonté ni la possi-bilité d’accomplir une oeuvre très grande et très bonne, qu’est-ce qui a pu l’amener dans la création des natures raisonnables, c’est-à-dire de ceux pour qui il a été la cause de l’existence, de mettre les uns dans une condition supérieure et d’en créer d’autres au second ou au troisième degré ou même dans une condition bien inférieure ? Ces hérétiques nous opposent ensuite, au sujet des êtres terrestres, que certains reçoivent en naissant un sort plus heureux : l’un par exemple est engendré par Abraham et naît selon la promesse, un autre d’Isaac et de Rébecca; ce dernier encore dans le sein de sa mère supplante son frère et on dit qu’avant de naître il est aimé de Dieu. Ils nous objectent encore que l’un naît chez les Hébreux où il est éduqué par la loi divine, un autre chez les Grecs, hommes savants et de science non négligeable, un autre chez les Ethiopiens qui ont coutume de se nourrir de chair humaine, un autre chez les Scythes où le parricide est presque érigé en loi, ou chez les Tauriens qui immolent les étrangers. Ils nous disent : s’il y a une telle diversité de situations, si on naît dans des conditions si variées et si diverses, sans que la faculté du libre arbitre n’y intervienne – car personne ne choisit lui-même où, chez qui et dans quelle condition il naîtra -, si donc, reprennent-ils, cela n’est pas causé par la diversité des natures d’âmes, c’est-à-dire par le fait qu’une âme de nature mauvaise reçoit en partage une nation mauvaise, une âme de nature bonne une nation bonne, que reste-t-il alors, sinon d’impu-ter tout cela au hasard ? Si on accepte cette solution, le monde n’a pas été fait par Dieu et il ne faut pas croire qu’il soit régi par sa providence; en conséquence, il n’y a pas à attendre, semble-t-il, de jugement de Dieu pour les faits et gestes de chacun. Quelle est exactement la vérité dans un tel sujet ? Seul peut le savoir celui qui scrute toutes choses, même les profondeurs de Dieu. Traité des Principes: Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Puisqu’il n’est pas douteux qu’au jour du Jugement les bons seront séparés des mauvais et les justes des injustes et que chacun sera réparti selon son mérite par le juge-ment de Dieu dans les lieux dont il est digne – nous le montrerons dans la suite, si Dieu le veut -, je pense que quelque chose de semblable a déjà été fait. Il faut croire que Dieu opère et gouverne toujours toutes choses avec jugement. Ce qu’enseigne l’Apôtre en disant que : Dans une grande maison se trouvent non seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi de bois et de terre, les uns pour un usage honorable, les autres pour un usage méprisable; et ce qu’il ajoute : Si quelqu’un s’est purifié il sera un vase sanctifié pour un usage honorable, utile au Seigneur et prêt à toute tâche bonne, montre sans aucun doute que celui qui s’est purifié dans cette vie sera préparé à toute oeuvre bonne dans la future, mais que celui qui ne s’est pas purifié sera, en proportion de son impureté, un vase destiné à un usage méprisable, c’est-à-dire un vase indigne. On peut donc comprendre que ces vases raisonnables aient été auparavant purifiés ou non purifiés, c’est-à-dire qu’ils se soient purifiés ou non purifiés eux-mêmes, et que pour cette raison chacun de ces vases ait obtenu, dans la mesure de sa pureté ou de son impureté, tel lieu, telle région, telle condition pour naître ou pour faire quelque chose dans ce monde. Le Dieu qui pourvoit à tout jusque dans le détail par la puissance de sa Sagesse, qui discerne tout quand il gouverne par son jugement, a disposé toutes choses suivant une rétribution très équitable, afin que chacun soit secouru et qu’il soit veillé sur lui selon son mérite. Là se manifeste assurément le point de vue de l’équité, car l’inégalité des conditions observe l’équité dans la rétribution des mérites. Dieu seul avec la Parole, son Fils unique, qui est sa Sagesse, et le Saint Esprit, connaît de façon véritable et claire la mesure des mérites pour chaque créature. Traité des Principes: Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Pour que cela ne semble pas trop difficile à comprendre, on peut considérer les passions vicieuses qui s’emparent souvent des âmes, par exemple lorsqu’elles sont embrasées des flammes de l’amour, énervées par les feux de la jalousie ou de l’envie, agitées par une colère folle, consumées d’une tristesse sans bornes, et voir comment quelques-uns jugeant intolérables ces excès de maux ont préféré subir la mort que de supporter des tourments de cette sorte. On peut, certes, se demander si ceux qui ont été impliqués dans les malheurs et les vices indiqués plus haut, n’ont jamais pu trouver ici-bas le moin-dre adoucissement et ont laissé ce monde de cette façon, en seront quittes en ce qui concerne le châtiment avec les tourments que leur infligeront la continuation en eux de ces passions malfaisantes, colère, fureur, folie ou tristesse, quand aucun remède ou aucun adoucissement n’a apaisé en cette vie leur venin mortel, ou si, leurs passions ayant changé, ils seront torturés alors par les souffrances du châtiment commun aux pécheurs. Traité des Principes: Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

Quant aux ténèbres extérieures, à mon avis, elles ne désignent pas tant un lieu obscur de l’air privé de toute lumière que l’état de ceux qui sont plongés dans les ténèbres d’une profonde ignorance, hors de toute lumière venant de la raison et de l’entendement. Il faut voir aussi si cette expression ne signifierait pas ce qui suit : de même que les saints recevront dans la résurrection, devenus lumineux et glorieux, les corps dans lesquels ils ont vécu de manière sainte et pure quand ils habitaient dans cette vie, de même les impies qui ont aimé dans cette vie les ténèbres de l’erreur et la nuit de l’ignorance seront revêtus, après la résurrection, de corps sombres et obscurs pour que la ténèbre de l’ignorance, qui avait occupé en ce monde l’intérieur de leur intelligence, apparaisse dans l’avenir à l’extérieur par le vêtement du corps. Il faut penser de même de la prison. Traité des Principes: Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

Certains, refusant en quelque sorte le travail de l’intelligence, s’ap-pliquant de façon superficielle au sens littéral de la loi, se complaisant d’une certaine manière dans ce qui les délecte et leur cause du plaisir, disciples de la lettre seule, pensent qu’il nous faut attendre l’accomplissement futur des promesses dans la volupté et la sensualité corporelles. Et c’est pourquoi ils désirent retrouver à la résurrection un corps charnel qui leur laisse pour toujours la possibilité de manger, de boire, et d’accomplir tous les actes qui relèvent de la chair et du sang : ils ne suivent pas l’opinion de l’apôtre Paul sur la résurrection du corps spirituel. A cela ils ajoutent logiquement la faculté de contracter mariage et de procréer des enfants même après la résurrection ; ils imaginent Jérusalem comme une ville terrestre qui sera réédifiée sur des pierres précieuses mises dans ses fondements, avec des murs bâtis en jaspe, des retranchements ornés de cristal et une enceinte de pierres choisies et diverses, jaspe, saphir, chalcédoine, émeraude, sardoine, onyx, chrysolithe, chrysoprase, hyacinthe et améthyste. Ils pensent qu’ils auront là comme ministres de leurs plaisirs des étrangers, servant de laboureurs ou de vignerons, et des maçons pour reconstruire leur cité démolie et écroulée ; ils jugent qu’ils y recevront pour nourriture les biens des nations et qu’ils seront maîtres de leurs richesses, de sorte que même les chameaux de Madian et d’Épha viendront leur apporter l’or, l’encens et les pierres précieuses. Ils s’efforcent de confirmer cela par l’autorité des prophètes lorsqu’ils parlent des promesses faites à Jérusalem : car il y est dit que ceux qui servent Dieu mangeront et boiront, que les pécheurs auront faim et soif, que les justes seront dans la joie et les impies dans la honte. Du Nouveau Testament, ils invoquent la parole du Sauveur promettant aux disciples de trouver la joie dans le vin : Je ne boirai plus de cela désormais jusqu’à ce que je le boive avec vous nouveau dans le royaume de mon Père. Ils ajoutent encore que le Sauveur proclame bienheureux ceux qui maintenant ont faim et soif, leur promettant d’être rassasiés; et ils apportent beaucoup d’autres textes des Écritures, sans voir qu’il faut les comprendre de façon figurée et spirituelle. Alors ils estiment qu’ils seront rois et princes, comme ceux d’ici-bas, comprenant cela selon les conditions de cette vie, selon les dignités et les classes instituées en ce monde ou selon les degrés d’autorité, assurément à cause de cette parole évangélique : Tu auras autorité sur cinq villes. Bref, ils veulent que tout ce qu’ils attendent de l’accomplissement des promesses soit exactement semblable à la manière de vivre ici-bas, c’est-à-dire que le monde actuel recommence à être. Telles sont les pensées de gens qui croient, certes, au Christ, mais comprenant à la juive les Écritures divines, n’y soupçonnent rien qui soit digne des promesses divines. Traité des Principes: Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Après tout cela il faut penser qu’il ne s’écoulera pas un laps de temps de peu de durée jusqu’à ce que soit montrée après leur mort, aux hommes qui en sont dignes et l’ont mérité, la raison de ce qui se passe sur la terre pour que la connaissance de tous ces mystères et la grâce d’une science complète les fasse jouir d’une joie inénarrable. Alors s’il est vrai que l’air que voici, qui s’étend entre le ciel et la terre, n’est pas dépourvu d’êtres animés, et d’êtres animés raisonnables, d’après ces paroles de l’Apôtre : Vous avez vécu jadis dans ces péchés, selon ce siècle et ce monde, selon le prince qui a puissance sur l’air, sur l’esprit (le souffle) qui agit maintenant dans les fils de la désobéissance, ou d’après celles-ci : Nous serons ravis sur les nuées à la rencontre du Christ dans l’air et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur, il faut penser en conséquence que les saints y demeureront un certain temps pour connaître de deux manières la raison qui dispose ce qui se passe dans les airs. J’ai employé comme il suit l’expression « de deux manières » : tant que nous étions sur terre, par exemple, nous avons vu les animaux et les arbres, nous avons constaté leurs différences, ainsi que la diversité extrême qu’il y a parmi les hommes; mais en les voyant nous n’avons pas compris leurs raisons, seulement cette diversité que nous avons perçue nous a amenés à rechercher et à scruter pourquoi tous ces êtres ont été créés si différents ou sont gouvernés de façon variée ; après avoir conçu sur terre le goût et l’amour de cette connaissance, nous en recevrons après la mort la science et la compréhension, si cependant nous en avons le désir; lorsque nous aurons une intelligence complète de leurs raisons, alors nous comprendrons des deux manières ce que nous avons vu sur terre. Il faut parler de même de ce qui se passe dans le séjour aérien. Je pense en effet que les saints, en quittant cette vie, demeureront en un lieu situé sur la terre, celui que l’Écriture divine appelle le Paradis, comme dans un lieu d’instruction, ou, pour ainsi dire, un auditoire ou une école des âmes, pour être instruits de tout ce qu’ils ont vu sur la terre, pour recevoir aussi quelques indications sur les réalités qu’ils verront dans la suite. De la même façon, quand ils étaient encore en cette vie, ils ont conçu quelque idée des réalités futures, à travers un miroir, en énigme, certes, mais cependant en partie : ces réalités seront révélées de façon plus claire et plus lumineuse aux saints dans les lieux et temps convenables. Si quelqu’un, certes, a le coeur pur, l’intelligence plus limpide et la pensée plus exercée, il progressera plus rapidement, montera vite à travers l’espace aérien et parviendra aux royaumes des cieux à travers ce que l’on pourrait appeler les demeures d’étape de chaque lieu, que les Grecs ont nommées sphères, c’est-à-dire globes, et que l’Écriture divine nomme les cieux. Dans chacune il apercevra d’abord ce qui s’y passe et ensuite même la raison de ce qui s’y passe ; et ainsi il parcourra dans l’ordre chaque chose à la suite de celui qui a pénétré les cieux, Jésus fils de Dieu, qui a dit : Je veux que là oh je suis, ceux-ci soient avec moi. Il donne une idée de cette diversité de lieux quand il dit : Il y a beaucoup de demeures auprès du Père. Quant à lui il est partout et parcourt toutes choses : ne le comprenons plus désormais dans l’exiguïté qu’il a assumée à nos yeux pour nous, c’est-à-dire dans les limites étroites qui l’ont enserré quand il était sur terre dans notre corps parmi les hommes et qui peuvent faire penser qu’il est circonscrit dans un seul lieu. Traité des Principes: Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Voyons aussi dans le Nouveau Testament le passage où Satan s’approche du Seigneur pour le tenter. Des esprits malins et des démons impurs qui possédaient d’assez nombreuses personnes ont été mis en fuite par le Seigneur et chassés des corps de ces malades, que l’Écriture dit libérés par lui. Mais Judas, alors que le diable avait mis dans son coeur l’intention de livrer le Christ, reçut ensuite Satan tout entier en lui : il est écrit en effet que après la bouchée Satan entra en lui. Quant à l’apôtre Paul, il nous enseigne à ne pas donner de place au diable, mais revêtez, dit-il, les armes de Dieu, pour que vous puissiez résister aux astuces du diable, signifiant que les saints ont à lutter non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de méchanceté dans les deux. Il dit que le Sauveur a été crucifié par les princes de ce monde qui seront détruits et il affirme qu’il ne parle pas selon leur sagesse. Par tout cela, l’Écriture divine nous enseigne qu’il existe des ennemis invisibles en lutte contre nous et elle nous enjoint de nous armer contre eux. A cause de cela, les plus simples de ceux qui croient au Seigneur Christ pensent que tous les péchés commis par les hommes se font à cause de ces puissances contraires qui harcèlent l’intelligence des pécheurs, parce que, dans ce combat invisible, ces puissances se trouvent les plus fortes. Si par exemple le diable n’existait pas, aucun homme ne pécherait. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Nous disions plus haut que soit la providence divine soit les puissances contraires peuvent aussi éveiller en nous des souvenirs concernant le bien ou le mal. Cela est montré par le Livre d’Esther : Artaxerxès ne se rappelait pas les bonnes actions du très juste Mardochée, mais alors qu’il était harcelé par des insomnies nocturnes, Dieu mit en sa mémoire l’inspiration de réclamer les livres contenant le récit de ses chroniques : mis alors au courant des services rendus par Mardochée il fît pendre son ennemi Aman, lui fit rendre des honneurs magnifiques et sauva toute la nation sainte menacée par un péril imminent. C’est au contraire la puissance du diable, il faut le penser, qui remit en mémoire aux pontifes et aux scribes ce qu’ils allèrent dire à Pilate : Seigneur, nous nous sommes souvenus de ce que ce séducteur a dit quand il était encore vivant: le troisième jour après je ressusciterai. Lorsque Judas eut l’idée de livrer le Sauveur, elle ne venait pas seulement de son intelligence mauvaise : l’Écriture atteste en effet que le diable avait mis dans son coeur le désir de le livrer. C’est pourquoi Salomon a donné un bon précepte lorsqu’il a dit : Garde ton coeur de toute manière. De même l’apôtre Paul en disant : Nous devons accorder une plus grande attention à ce que nous entendons pour ne pas nous égarer, et : Ne donnez pas de place au diable: il montre par là que certaines actions et une certaine négligence spirituelle donnent de la place au diable qui, une fois entré dans notre coeur, nous possède, ou du moins souille notre âme s’il ne peut la posséder complètement, en lançant en nous ses traits enflammés ; par là, tantôt il nous blesse, d’une blessure qui descend dans nos profondeurs, tantôt seulement il nous enflamme. Il arrive rarement que quelques-uns, peu nombreux, réussissent à éteindre ses traits enflammés, de sorte que l’on ne trouve plus trace de la blessure, et cela se produit lorsqu’on est protégé, comme par une fortification très solide, par le bouclier de la foi. Cela est dit réellement dans l’Épître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de malice qui sont dans les deux. Il faudra comprendre de la sorte le mot nous, c’est-à-dire moi, Paul, et vous, Ephésiens, et tous ceux qui n’ont pas à lutter contre la chair et le sang : ce sont eux en effet qui ont à lutter contre les principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Il n’en était pas de même à Corinthe où l’on avait à lutter contre la chair et le sang : les Corinthiens n’étaient pas sujets à la tentation, si ce n’est à une tentation humaine. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Certes, il ne faut pas penser que de tels combats sont menés par le moyen de la force corporelle et des exercices de la palestre, mais c’est un esprit qui se bat contre un esprit, puisque Paul nous indique qu’un combat nous attend contre les principautés et les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Le genre de lutte qu’il faut entendre par là, c’est que lorsqu’on nous cause toute sorte de dommages, de périls, d’opprobres, d’accusations, l’intention des puissances adverses qui les suscitent n’est pas seulement de nous faire souffrir, mais de nous exciter à de grandes colères, à des tristesses excessives, jusqu’aux limites du désespoir, et aussi, ce qui est plus grave, de nous pousser, accablés de fatigue et vaincus par le dégoût, à nous plaindre de Dieu, comme s’il ne gouvernait pas la vie des hommes d’une manière équitable et juste ; leur but est d’affaiblir notre foi, de nous faire déchoir de l’espérance, de nous forcer à abandonner la vérité de nos doctrines et de nous persuader à avoir de Dieu des pensées impies. L’Écriture rapporte de pareilles choses au sujet de Job, lorsque le diable eut demandé à Dieu de lui donner pouvoir sur ses biens. Elle nous enseigne que nous ne sommes pas l’objet d’attaques fortuites, lorsque nous sommes atteints dans nos biens par des dommages semblables, et que ce n’est pas par hasard que l’un des nôtres est emmené en captivité ou que des maisons s’écroulent, écrasant des personnes chères ; en tout cela chaque fidèle doit dire : Tu n’aurais pas de pouvoir contre moi, s’il ne t’avait pas été donné d’en haut. Tu peux constater que la maison de Job ne serait pas tombée sur ses fils, si auparavant le diable n’avait pas reçu pouvoir contre eux ; que les cavaliers n’auraient pas fait irruption en trois bandes pour enlever ses chameaux, ses boeufs et le reste de son bétail, s’ils n’avaient pas été poussés par cet esprit dont ils s’étaient faits les serviteurs en lui obéissant par leur volonté. Même ce qui paraissait du feu ou que l’on prenait pour la foudre ne serait pas tombé sur les brebis de Job avant que le diable n’ait dit à Dieu : N’as-tu pas entouré de fortifications tout ce qu’il a au-dehors et tout ce qu’il a au-dedans, etc. ? Mais maintenant, étends la main et touche à tous ses biens, lu verras s’il te bénira en face. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Le saint apôtre, voulant nous donner un grand et mystérieux enseignement au sujet de la connaissance et de la sagesse dans la première épître aux Corinthiens, dit : Mais nous, nous parlons de la sagesse entre parfaits, la sagesse non de ce monde, ni des princes de ce monde qui sont détruits, mais nous parlons de la sagesse de Dieu cachée dans le mystère, celle que Dieu avant tous les siècles a prédestinée à servir à notre gloire, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue. S’ils l’avaient connue, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de majesté. Dans ce texte, voulant montrer quelles sont les différentes sagesses, il écrit qu’il y a une certaine sagesse de ce monde et une certaine sagesse des princes de ce monde et qu’autre est la sagesse de Dieu. Par ces paroles : la sagesse des princes de ce monde, il ne veut pas dire, à mon avis, qu’il existe une sagesse pour tous les princes de ce monde, mais, me semble-t-il, il indique qu’il y a une sagesse propre à chacun des princes de ce monde. Pareillement lorsqu’il dit : Mais nous parlons de la sagesse de Dieu cachée dans le mystère, celle que Dieu avant tous les siècles a prédestinée à servir à notre gloire, il faut se demander s’il identifie cette sagesse de Dieu qui est cachée, et que Dieu n’a pas fait connaître dans les autres époques et les autres générations aux fils des hommes comme il l’a révélée maintenant à ses saints apôtres et prophètes, avec cette sagesse de Dieu qui existait aussi avant la venue du Sauveur, celle qui rendait sage Salomon, alors que ce qu’enseigne le Sauveur est plus sage que Salomon, d’après la parole du Sauveur lui-même : Voici qu’il y a ici plus que Salomon : cela montre en effet que les disciples du Sauveur recevaient plus de doctrine que ce qu’avait eu Salomon. Si on objecte que, certes, le Sauveur en savait davantage, mais que cependant il ne donnait pas aux autres plus de doctrine que Salomon, comment concilier avec cela et comment lui accorder logiquement ce qui est dit à la suite : La reine du Midi se dressera au jour du jugement et condamnera les hommes de cette génération, parce qu’elle est venue des confins de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et voici qu’il y a ici plus que Salomon ! Il y a donc une sagesse de ce monde et il y a aussi une sagesse pour chacun peut-être des princes de ce monde. A propos de la sagesse du Dieu unique il est indiqué, pensons-nous, qu’elle a agi de façon moindre auprès des hommes de l’antiquité, des hommes d’autrefois, mais qu’elle s’est révélée plus complètement et plus clairement dans le Christ. Mais de cette sagesse de Dieu nous traiterons en son lieu. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Puisque nous sommes en train de traiter des puissances contraires et de la manière dont elles mènent des combats contre nous, ces puissances qui insinuent dans les intelligences humaines une fausse connaissance et séduisent les âmes, alors que celles-ci pensent avoir trouvé la sagesse, il me paraît nécessaire de discerner et de distinguer ce qu’est la sagesse de ce monde et ce qu’est la sagesse des princes de ce monde, pour que nous puissions ainsi remarquer qui sont les pères de cette sagesse, ou mieux de ces sagesses. Je pense donc, comme on l’a dit plus haut, que la sagesse de ce monde est autre chose que les sagesses qui sont des princes de ce monde : c’est par cette sagesse, semble-t-il, que l’on conçoit et comprend ce qui est de ce monde. Rien en elle ne peut nous donner quelque idée de la divinité, de la nature du monde, ou de tout ce qui est d’un ordre plus élevé, ni même de la manière dont on peut mener une vie bonne et bienheureuse ; elle est de même nature, par exemple, que la poésie, la grammaire, la rhétorique, la musique, on peut y ajouter peut-être aussi la médecine. Dans tous ces arts, croyons-nous, est présente la sagesse du monde. Nous entendons par sagesse des princes de ce monde ce qu’on appelle la philosophie mystérieuse et occulte des Égyptiens, l’astrologie des Chaldéens, la sagesse des Indiens, qui promettent la connaissance des réalités supérieures, et aussi les opinions multiples et variées des Grecs sur la divinité. Nous voyons donc dans les Écritures saintes qu’il y a des princes au-dessus de chaque nation : ainsi nous lisons dans Daniel qu’il y a un prince du royaume des Perses et un prince du royaume des Grecs, et la logique même de son texte montre à l’évidence qu’il ne s’agit pas d’hommes, mais de certaines puissances. Dans le prophète Ézéchiel il est indiqué très clairement que le prince de Tyr est une puissance spirituelle. Ces princes de ce monde et les autres du même genre, ayant chacun leur sagesse, professant leurs doctrines et des opinions diverses, lorsqu’ils virent notre Seigneur et Sauveur promettre dans sa prédication qu’il était venu en ce monde pour détruire toutes les doctrines relevant de ce qui est faussement appelé connaissance, ignorant quelle était sa personnalité cachée, lui ont aussitôt tendu des embûches. En effet, les rois de la terre se sont dressés et les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ. Ayant connu leurs embûches et compris celles qu’ils ont machinées contre le Fils de Dieu lorsqu’ils ont crucifié le Seigneur de la gloire, l’Apôtre dit : Nous parlons de la sagesse entre parfaits, la sagesse non de ce monde, ni des princes de ce monde qui sont détruits, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue. S’ils l’avaient connue, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de majesté. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

On peut se demander si ces sagesses des princes de ce monde, dont ils s’efforcent d’imprégner les hommes, leur sont présentées par les puissances adverses en vue de leur tendre des embûches et de leur nuire, ou si leur origine est seulement l’erreur, c’est-à-dire que les princes de ce monde n’ont pas pour but de causer des dommages aux hommes, mais qu’ils pensent que ces sagesses sont vraies, et c’est pourquoi ils désirent enseigner aux hommes ce qu’ils jugent vrai : le second cas me semble plus probable. On peut les comparer, par exemple, aux penseurs grecs et aux chefs d’écoles (ou hérésiarques) : à partir du moment où ils ont pris pour vérité une doctrine fausse et erronée, qu’ils ont jugé en eux-mêmes qu’elle est la vérité, alors précisément ils essaient de persuader les autres de ce qu’ils pensent en eux-mêmes être vrai. Ainsi, faut-il penser, agissent aussi les princes de ce monde, monde dans lequel certaines puissances spirituelles ont reçu en partage le gouvernement de certaines nations et sont appelées pour cela princes de ce monde. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Il y a aussi, outre ces princes, certaines forces de ce monde, c’est-à-dire des puissances spirituelles, consacrées à un certain genre d’action, qu’elles ont choisi elles-mêmes conformément à leur libre arbitre et parmi elles se trouvent ces esprits qui agissent sur la sagesse de ce monde : par exemple une force ou puissance particulière inspire la poésie, une autre la géométrie, et ainsi animent-elles chaque art ou discipline de ce genre. Aussi de nombreux Grecs ont pensé qu’il ne pouvait y avoir de poésie sans folie ; et leurs histoires rapportent que parfois ceux qu’ils appellent vates sont soudain envahis par un esprit de folie. Que dire encore de ceux qu’ils nomment devins et qui, par l’opération des démons qui les gouvernent, profèrent des oracles dans des vers modulés avec art. Mais ceux qu’ils disent magiciens ou auteurs de maléfices, parfois après avoir invoqué les démons sur des enfants encore petits, leur ont fait dire des poèmes dignes de plonger tout le monde dans l’étonnement et la stupéfaction. Tout se passe de la même façon que lorsque des âmes saintes et sans tache, qui se sont vouées à Dieu de toute leur volonté et en toute pureté, qui se sont tenues à l’écart de toute contagion démoniaque, qui se sont purifiées par une grande abstinence et se sont instruites des doctrines pieuses et religieuses, ont acquis par là une participation à la divinité et ont mérité de recevoir la grâce de la prophétie et de tous les autres dons divins ; de même, il faut le penser, ceux qui se sont livrés aux puissances contraires, et cela par leur activité, leur vie et un zèle en leur faveur qui leur est agréable, reçoivent leur inspiration et deviennent participants à leur sagesse et à leur doctrine. Il s’ensuit qu’ils deviennent les sujets de leurs opérations, puisqu’ils se sont d’abord assujettis à leur esclavage. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Il me paraît logique de rechercher pourquoi l’âme humaine est tantôt mue par les bons esprits, tantôt par les mauvais. Je soupçonne que les causes en sont antérieures à notre naissance corporelle, comme le montre Jean, s’agitant et exultant dans le sein de sa mère, lorsque la voix de la salutation de Marie parvint aux oreilles de sa mère Elisabeth, et comme le déclare le prophète Jérémie qui, avant d’être façonné dans le sein de sa mère, était connu de Dieu, avant de sortir de la matrice fut sanctifié par lui et reçut, encore enfant, la grâce de la prophétie. Et en revanche il est montré clairement que certains ont été possédés par des esprits ennemis dès leur premier âge, c’est-à-dire qu’ils sont nés ayant déjà leur démon ; d’autres ont été devins étant enfants, comme le garantit l’histoire, d’autres ont subi dès leur jeune âge l’action du démon nommé Python, c’est-à-dire ventriloque. A tout cela, ceux qui déclarent que la providence de Dieu régit tout ce qui est dans ce monde – c’est là aussi une affirmation de notre foi, à ce qu’il me semble – ne pourront répondre autre chose que ce qui suit, pour montrer la providence divine indemne de toute faute d’injustice : il faut dire qu’il y a eu certaines causes antécédentes qui, avant que les âmes ne naissent dans des corps, les ont rendues coupables dans leurs pensées et dans leurs mouvements, au point de mériter de souffrir cela au jugement de la providence divine. Car l’âme possède toujours son libre arbitre, qu’elle soit dans ce corps ou en dehors de ce corps ; le libre arbitre est attiré toujours soit au bien soit au mal, et jamais le sens de la raison, c’est-à-dire l’intelligence ou âme, ne peut rester sans mouvement, bon ou mauvais. Que ces mouvements soient causes de mérites, c’est vraisemblable, même avant qu’ils n’agissent en ce monde ; ainsi, selon ces causes et ces mérites, dès la naissance, bien mieux, pour ainsi parler, avant même la naissance, la divine providence a réglé que les hommes subiraient du bien ou du mal. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Maintenant je pense qu’il ne faut pas passer sous silence les tentations qui naissent parfois de la chair et du sang ou de la prudence de la chair et du sang, dite ennemie de Dieu, puisque nous avons déjà parlé de ces tentations qui sont traitées de plus qu’humaines, les luttes que nous menons contre principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres et les esprits de méchanceté qui sont aux deux et celles que nous poursuivons contre les esprits malins ou les démons immondes. En cela il faut se demander, je crois, s’il y a en nous, hommes, qui sommes composés d’une âme et d’un corps et aussi d’un esprit de vie, quelque chose d’autre qui possède un stimulant qui lui est propre et un mouvement nous poussant au mal. C’est ainsi que certains se posent habituellement la question suivante : ne faut-il pas parler de deux âmes en nous, l’une plus divine et céleste et l’autre inférieure ; ou bien est-ce, parce que nous sommes attachés à des corps – des corps qui selon leur nature propre sont morts et tout à fait inanimés puisque c’est par nous, c’est-à-dire par nos âmes que le corps matériel est vivifié, alors qu’il est assurément en opposition et en inimitié avec l’esprit – que nous sommes attirés et poussés vers ces maux qui sont agréables au corps ; ou bien encore, troisième solution, suivant l’opinion de quelques Grecs, est-ce que notre âme, une par sa substance, est composée de plusieurs éléments, une partie dite rationnelle et une partie irrationnelle, cette partie dite irrationnelle se divisant de nouveau en deux tendances, la convoitise et la colère. Ces trois opinions susdites concernant l’âme ont été tenues, nous le savons, par certains. De ces trois, celle qui professe selon quelques philosophes grecs, avons-nous dit, le tripartisme de l’âme, je ne la vois guère confirmée par le témoignage de la divine Écriture ; quant aux deux autres qui restent, on peut trouver certaines affirmations dans les lettres divines qui paraissent pouvoir s’y adapter. Traité des Principes: Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section

Ensuite, puisqu’un article de la doctrine exprimée par l’Église comporte principalement, selon la foi qu’il faut avoir en notre histoire, que ce monde a été fait et qu’il a commencé à un certain moment, et que, selon la doctrine de la consommation des siècles connue de tous, il sera détruit parce qu’il se corrompra, il ne paraîtra pas absurde de revenir un peu sur le sujet. En ce qui concerne la garantie que donnent les Écritures, la preuve en est très facile. C’est pourquoi, si les hérétiques se sont égarés sur beaucoup d’autres points, sur celui-là, cédant à l’autorité des Écritures, ils paraissent d’accord. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Sur la création du monde, quelle autre Écriture pourra nous renseigner, si ce n’est celle où Moïse a décrit son origine ? Bien qu’elle contienne des significations plus profondes que ce que semble montrer le récit des faits, bien qu’elle renferme presque partout une intelligence spirituelle et qu’elle se serve du voile de la lettre pour cacher des réalités mystiques et profondes, cependant la parole du narrateur affirme qu’à un certain moment tout le visible a été créé. Jacob parle le premier de la fin du monde, dont il témoigne devant ses fils en ces termes : Venez vers mol, fils de Jacob, que je vous annonce ce qui se passera dans les derniers jours, ou : après les derniers jours. S’il y a des derniers jours ou un après les derniers jours, il faut que cessent des jours qui ont commencé. David dit de même : Les deux périront, mais toi, tu demeureras, et tous s’useront comme un vêlement et comme une couverture tu les changeras, et ils seront changés ; mais toi, tu es le même et tes années ne cesseront pas. Lorsque notre Seigneur et Sauveur dit : Celui qui a créé au commencement les a fait mâle et femelle, il atteste lui-même pareillement que le monde a été fait. Et lorsqu’il dit : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas, il le montre corruptible et allant vers une fin. L’Apôtre dit aussi : A la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, car la création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour recevoir la liberté glorieuse des fils de Dieu : il affirme là clairement la fin du monde, et de même quand il dit : L’état de ce monde passera. Mais en disant : La création est soumise à la vanité, il montre aussi son commencement. Si en effet la création est soumise à la vanité à cause d’un espoir quelconque, elle est soumise par une cause, et ce qui est par une cause doit nécessairement avoir eu un commencement. Il n’était pas possible, sans un commencement, que la création soit soumise à la vanité et qu’elle espère être libérée de la servitude de la corruption, si elle n’avait pas commencé à être esclave de la corruption. Mais on peut trouver bien d’autres textes de ce genre dans les Écritures, si on recherche à loisir où il est dit que le monde a eu un commencement et espère une fin. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Mais on nous objecte d’ordinaire : Si le monde a commencé dans le temps, que faisait Dieu avant que le monde ne commence ? Dire que la nature de Dieu est oisive et immobile est à la fois impie et absurde, de même que penser qu’il fut un temps où la bonté ne faisait pas le bien et où la toute-puissance n’exerçait pas sa domination. On nous fait couramment cette objection quand nous disons que le monde a commencé à un certain temps et quand nous comptons les années de sa durée selon le témoignage de l’Écriture. A ces propositions je ne crois pas qu’un hérétique pourrait facilement répondre en gardant la logique de sa doctrine. Mais nous, nous répondrons logiquement en restant fidèles à la règle de la piété : ce n’est pas lorsque Dieu a fait ce monde visible qu’il a commencé à travailler, mais de même qu’après la corruption de ce monde il y en aura un autre, de même, avant que celui-ci soit, il y en a eu, croyons-nous, d’autres. Ces deux points seront confirmés par l’autorité de l’Écriture divine. Isaïe enseigne qu’après ce monde il y en aura un autre : Il y aura un monde nouveau et une terre nouvelle, que je ferai subsister toujours devant ma face, dit le Seigneur. Et l’Ecclésiaste montre qu’avant ce monde il y en eut d’autres : Qu’est-ce qui a été fait ? La même chose que ce qui sera. Et qu’est-ce qui a été créé ? La même chose que ce qui sera créé. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Si quelqu’un dit: voilà cela qui est nouveau. Mais cela a déjà été dans les siècles qui nous ont précédés. Les témoignages prouvent les deux points, que des siècles ont existé avant nous et que des siècles existeront après nous. Il ne faut pas penser que plusieurs mondes ont existé à la fois, mais qu’après celui-ci cependant suivra celui-là : à ce sujet il n’est pas nécessaire de tout reprendre dans le détail, car nous l’avons fait plus haut. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Je pense qu’il ne faut certes pas passer sous silence comme inutile le fait que l’Écriture sainte ait appelé la création du monde d’un nom nouveau et précis parlant de katabolè du monde. Ce mot a été traduit assez improprement en latin par constitution du monde : mais katabolè en grec signifie plutôt l’action de jeter bas, c’est-à-dire de jeter vers le bas : on l’a traduit en latin improprement, comme nous l’avons dit, par constitution du monde. C’est ainsi que, dans l’Évangile selon Jean, le Sauveur dit : Il y aura ces jours-là une tribulation telle qu’il n’y en a pas eu de semblable depuis la constitution du monde: ici constitution représente katabolè qu’il faut entendre comme nous l’avons exposé plus haut. L’Apôtre dans son Épître aux Ephésiens a utilisé la même parole : Celui qui nous a choisis avant la constitution du monde; ici aussi constitution du monde traduit katabolè, à comprendre dans le même sens que nous avons exposé plus haut. Il vaut la peine, semble-t-il, de chercher ce qui est signifié par cette expression nouvelle. Je pense que, puisque la fin et la consommation des saints s’accompliront dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles, d’une réflexion sur cette fin on peut déduire, selon le principe que nous avons fréquemment exposé plus haut, que les créatures raisonnables ont eu un commencement semblable. Et si le commencement qu’elles ont eu est pareil à la fin qu’elles espèrent, elles furent déjà sans aucun doute, dès le début, dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles. S’il en est ainsi, sont descendues de haut en bas non seulement les âmes qui l’ont mérité par leurs mouvements divers, mais encore celles qui pour servir ce monde ont été menées, bien que ne le voulant pas, de ces réalités-là, supérieures et invisibles, à ces réalités-ci, inférieures et visibles. A la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, afin que le soleil, la lune, les étoiles et les anges de Dieu accomplissent leur ministère envers le monde : pour ces âmes qui, à cause des trop grandes défaillances de leurs intelligences, eurent besoin de ces corps plus épais et plus solides, et en vue de ceux à qui cela était nécessaire, ce monde visible a été institué. A cause de cela, par la signification de ce mot katabolè est indiquée la descente de tous ensemble du haut en bas. Certes toute la création porte en elle l’espoir de la liberté, afin d’être libérée de la servitude de la corruption, lorsque les fils de Dieu, qui sont tombés ou ont été dispersés, seront rassemblés dans l’unité, ou lorsqu’ils auront accompli dans ce monde toutes les autres missions que connaît seul Dieu, artisan de l’univers. Il faut donc penser que le monde a été fait avec la nature et la grandeur nécessaire pour pouvoir contenir toutes les âmes qui ont été placées en ce monde pour s’y exercer ou toutes les puissances qui sont prêtes à les assister, les gouverner et les aider. De nombreuses preuves démontrent que toutes les créatures raisonnables ont une seule nature : cela est nécessaire pour défendre la justice de Dieu dans tous les actes par lesquels il les gouverne, puisque chacune a en elle-même les causes qui l’ont mise dans telle ou telle condition de vie. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Telle est la disposition que Dieu a réalisée dans la suite, mais que déjà, dès l’origine du monde, il avait prise, ayant prévu les raisons et les causes, soit de ceux qui méritaient de venir dans des corps par suite de la défaillance de leur intelligence, soit de ceux qui étaient entraînés par le désir des réalités visibles, soit encore de ceux qui selon leur volonté ou sans le vouloir étaient obligés de remplir certains offices à l’égard de ceux qui étaient tombés dans cet état, et cela par celui qui les y soumettait dans l’espoir. Mais certains, sans comprendre ni voir que ces dispositions diverses avaient été prises par Dieu à la suite de causes antécédentes tenant au libre arbitre, ont pensé que tout ce qui se passe dans le monde était mené par des mouvements fortuits ou par une nécessité fatale et que rien ne dépendait de notre libre arbitre. Par là, ils n’ont pu montrer que la providence de Dieu était sans faute. Nous avons dit que toutes les âmes qui se sont trouvées dans ce monde ont eu besoin de beaucoup d’assistants, de directeurs, d’auxiliaires ; de même dans les derniers temps, alors que déjà la fin du monde était imminente et que tout le genre humain tournait à sa perte définitive, comme non seulement ceux qui étaient gouvernés, mais même ceux à qui avait été confié le soin de les gouverner, étaient atteints de faiblesse, le genre humain n’a plus eu besoin seulement d’une telle aide et de défenseurs semblables à lui, mais il a réclamé le secours de son auteur et créateur lui-même pour restaurer la discipline corrompue et profanée de l’obéissance chez les uns et de l’autorité chez les autres. C’est pourquoi le Fils Unique de Dieu, qui était la Parole et la Sagesse du Père lorsqu’il se trouvait auprès du Père dans cette gloire qu’il avait avant l’existence du monde, s’est anéanti lui-même et, prenant la forme de l’esclave, s’est fait obéissant jusqu’à la mort pour enseigner l’obéissance à ceux qui ne pouvaient pas obtenir le salut autrement que par l’obéissance, pour restaurer aussi les lois corrompues de l’art de gouverner et de régner, en soumettant tous ses ennemis sous ses pieds, et puisqu’il lui est nécessaire de régner jusqu’à ce qu’il ait mis ses ennemis sous ses pieds et qu’il ait détruit le dernier ennemi, la mort, pour apprendre à ceux qui gouvernent eux-mêmes les règles du gouvernement. Puisque donc, comme nous l’avons dit, il était venu restaurer la discipline non seulement de l’art de gouverner et de régner, mais aussi de celui d’obéir, accomplissant en lui-même ce qu’il voulait être accompli par les autres, il ne s’est pas fait seulement obéissant au Père jusqu’à la mort de la croix, mais aussi à la consommation du siècle, embrassant en lui-même tous ceux qu’il a soumis à son Père et qui par lui viennent au salut, il est dit qu’avec eux et en eux il se soumettra au Père, puisque tout subsiste en lui et qu’il est la tête de toute chose et qu’en lui se trouve la plénitude de ceux qui obtiennent le salut. C’est ce que dit de lui l’Apôtre : Lorsque tout lui sera soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Le cantique du Deutéronome montre prophétiquement que l’élection des nations sans intelligence par suite des péchés du premier peuple ne s’est pas faite par un autre que par Jésus. Car il dit : Ceux-ci m’ont rendu jaloux à cause de ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité avec leurs idoles ; et moi je les rendrai jaloux à cause de ce qui n’est pas une nation, je les irriterai avec une nation sans intelligence. Il est possible de comprendre avec beaucoup de clarté de quelle manière les Hébreux qui, selon l’Écriture, ont rendu Dieu jaloux à cause de ce qui n’est pas Dieu et l’ont irrité avec leurs idoles, se sont irrités eux-mêmes jusqu’à la jalousie à cause de ce qui n’est pas une nation, à cause de la nation sans intelligence que Dieu a choisie par la venue du Christ Jésus et par ses disciples. Nous voyons donc comment nous avons été appelés : il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles; mais Dieu a choisi ce qui est fou dans ce monde pour confondre les sages, et Dieu a choisi ce qui est sans naissance, méprisé, et ce qui n’existe pas pour détruire ce qui auparavant existait ; et que l’Israël selon la chair ne se glorifie pas devant Dieu, lui qui est appelé chair par l’Apôtre ! Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Mais comme certaines Écritures n’ont pas du tout de sens corporel, ainsi que nous le montrerons dans la suite, il y a des cas où il faut chercher seulement, pour ainsi dire, l’âme et l’esprit de l’Écriture. Et c’est peut-être pour cela que les urnes qui sont dites servir à la purification des Juifs, comme nous le lisons dans l’Évangile selon Jean, contiennent deux ou trois métrètes : la Parole insinue par là, à propos de ceux que l’Apôtre appelle les Juifs dans le secret, que ceux-ci sont purifiés par la parole des Écritures, contenant tantôt deux métrètes, c’est-à-dire le sens psychique et le sens spirituel, tantôt trois, puisque certaines possèdent, outre ceux que nous avons indiqués, le sens corporel qui peut édifier. Les six urnes s’appliquent à bon droit à ceux qui sont purifiés étant en ce monde, car le monde a été fait en six jours, chiffre parfait. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

L’interprétation spirituelle est pour celui qui peut montrer quelles sont les réalités célestes dont on trouve les symboles et les ombres dans le culte des Juifs selon la chair et quels sont les biens à venir dont la loi possède l’ombre. Bref, en toutes choses, selon le commandement apostolique, il faut chercher la sagesse cachée dans le mystère, celle que Dieu a prédestinée avant tous les siècles à la gloire des justes, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue. L’Apôtre dit quelque part, en se servant de certains textes de l’Exode et des Nombres, que : Cela leur est arrivé comme des figures, mais fut écrit pour nous, pour qui survient la fin des siècles. Et il donne l’occasion de comprendre de quoi ces événements étaient des figures lorsqu’il dit : Ils buvaient du rocher spirituel qui les accompagnait, ce rocher était le Christ. Et pour esquisser ce qui concerne le tabernacle, dans une autre épître il a utilisé la phrase : Tu feras tout selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne. Certes, dans l’Épître aux Galates, comme pour blâmer ceux qui pensent lire la loi et ne la comprennent pas, jugeant qu’ils ne la comprennent pas parce qu’ils croient qu’il n’y a pas des allégories dans ces écrits, il leur dit : Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit qu’Abraham eut deux fils, l’un de la servante, l’autre de la femme libre. Mais celui de l’esclave est né selon la chair, celui de la femme libre selon la promesse: ce sont des allégories. Ce sont en effet les deux Testaments, etc. Il faut observer chacune de ses paroles ; il dit en effet : Vous qui voulez être sous la loi – non : vous qui êtes sous la loi – et : N’entendez-vous pas la loi ? Il pense en effet qu’entendre signifie comprendre et connaître. Dans l’Epître aux Colossiens, il résume en peu de mots la volonté de toute la législation : Que personne ne vous juge sur la nourriture ou la boisson, sur les fêtes, néoménies ou sabbats, avec leur caractère partiel, car ce sont l’ombre des réalités futures. Ecrivant aussi aux Hébreux et discutant de ceux de la circoncision, il écrit : Ceux qui adorent selon la figure et l’ombre des réalités célestes. Mais vraisemblablement, par là, ceux qui acceptent une bonne fois l’Apôtre comme un homme de Dieu ne pourraient douter des cinq livres attribués à Moïse ; mais en ce qui concerne le reste de l’histoire, ils veulent apprendre si celle-là aussi est arrivée comme des figures. Il faut remarquer ce passage de l’Épître aux Romains : Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal, qui se trouve dans le Troisième Livre des Rois : Paul l’a compris des Israélites selon l’élection, car il n’y a pas que les Gentils qui ont tiré profit de la venue du Christ, mais aussi quelques-uns de la race divine. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Quant à la manière d’être de ce monde visible, dont la nature cons-titue habituellement un très grand problème, nous en avons parlé plus haut, comme nous l’avons pu, pour ceux qui, partageant notre foi, recherchent d’ordinaire des raisons de croire et pour ceux qui soulèvent contre nous des combats au nom des hérésies et ont l’habitude de nous lancer constamment à la face le mot de matière, sans avoir jamais pu eux-mêmes comprendre ce qu’il signifie ; je pense donc nécessaire de revenir brièvement sur ce sujet. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Cependant il faut savoir que jamais la substance ne subsiste sans qualité et que seule l’intelligence discerne que ce qui est le substrat des corps et est capable de recevoir une qualité est la matière. Certains, voulant se livrer à ce sujet à une recherche plus profonde, ont osé dire que la nature corporelle n’est pas autre chose que les qualités. En effet, si la dureté et la mollesse, le chaud et le froid, l’humide et le sec, sont des qualités, lorsqu’on les supprime, elles et les autres qualités de même nature, on s’aperçoit qu’il n’y a plus de substrat, alors les qualités paraîtront être tout. C’est pourquoi les partisans de cette thèse ont essayé de soutenir ceci : puisque tous ceux qui admettent une matière incréée reconnaissent que les qualités ont été faites par Dieu, on trouve alors que, même pour eux, la matière elle-même n’est pas incréée, puisque les qualités sont tout, et que tous, sans contradiction, affirment qu’elles ont été faites par Dieu. Mais ceux qui veulent montrer que les qualités sont ajoutées du dehors à une matière sous-jacente, se servent d’exemples du genre suivant : Paul, sans aucun doute, ou se tait ou parle, ou veille ou dort, ou bien il garde une attitude définie du corps, c’est-à-dire ou il est assis ou il se tient debout ou il est couché. Tout cela constitue pour les hommes des caractères accidentels, mais on ne peut presque jamais les trouver sans l’un d’eux. Cependant l’idée que nous avons de l’homme ne définit manifestement aucun de ces caractères, mais nous le comprenons et considérons sans tenir compte en aucune façon de son attitude, qu’il soit en état de veille ou de sommeil, en train de parler ou de se taire, ni des autres circonstances accidentelles auxquelles les hommes sont nécessairement soumis. De même qu’on considère Paul sans aucun de ces caractères accidentels, de même on pourra comprendre le substrat sans les qualités. Lorsque notre intelligence, ayant écarté toute qualité de sa compréhension, contemple le point, si on peut ainsi parler, de la seule substance sous-jacente et s’y attache, sans regarder à la dureté ou à la mollesse, au chaud ou au froid, à l’humide ou au sec qui affectent cette substance, alors, par une sorte de pensée artificielle, elle semblera contempler la matière dépouillée de toutes ces qualités. Mais on demandera peut-être s’il est possible de trouver dans les Écritures quelque chose qui permette de comprendre cela. Il me semble que c’est indiqué dans les Psaumes par cette parole du prophète : Mes yeux ont vu ton incomplétude. Il semble que l’intelligence du prophète, examinant les principes des choses avec un regard plus perspicace et distinguant avec l’intellect et la raison seuls la matière des qualités, ait senti en Dieu une incomplétude, qui se parfait, comme il faut le comprendre, par l’adjonction des qualités. Dans son livre, Enoch parle ainsi : J’ai cheminé jusqu’à ce qui est imparfait; on peut le comprendre de façon semblable : l’intelligence du prophète a cheminé, scrutant et discutant une à une toutes les choses visibles jusqu’à parvenir au principe où l’on voit la matière imparfaite sans ses qualités. Il est en effet écrit dans le même livre de la bouche d’Enoch : J’ai considéré toutes les matières. C’est à comprendre ainsi : j’ai examiné l’une après l’autre toutes les divisions de la matière, qui, à partir de l’unité de la matière, se sont séparées en chaque espèce, celles des hommes, des animaux, du ciel, du soleil et de tout ce qui est dans ce monde. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section