mal (Orígenes)

En outre l’âme, qui possède une substance et une vie qui lui sont propres, lorsqu’elle aura quitté ce monde, recevra un sort conforme à ses mérites : ou bien elle obtiendra l’héritage de la vie éternelle et de la béatitude, si ses actions le lui valent, ou bien elle sera abandonnée au feu éternel et aux supplices, si les péchés commis par ses méfaits l’y entraînent; mais viendra le temps de la résurrection des morts, lorsque ce corps-ci, aujourd’hui semé dans la corruption, ressuscitera dans l’incorruption, aujourd’hui semé dans l’ignominie, ressuscitera dans la gloire. Le point suivant est aussi défini par la prédication ecclésiastique : toute âme raisonnable est douée de libre arbitre et de volonté. Elle est en lutte avec le Diable et ses anges, ainsi qu’avec les puissances contraires, car ils s’efforcent de la charger de péchés : mais si nous vivons droitement et avec réflexion, nous nous efforçons de nous débarrasser de telles souillures. Il faut donc comprendre que nous ne sommes pas soumis à la nécessité et que nous ne sommes pas forcés de toute manière, même contre notre gré, de faire le mal ou le bien. Si nous sommes doués de libre arbitre, certaines puissances peuvent bien nous pousser au mal et d’autres nous aider à faire notre salut, nous ne sommes cependant pas contraints par la nécessité d’agir bien ou mal. Pensent le contraire ceux qui disent que le cours et les mouvements des étoiles sont la cause des actes humains, non seulement de ceux qui ne dépendent pas du libre arbitre, mais aussi de ceux qui sont en notre pouvoir. Préface

De nombreux passages des Écritures nous apprennent qu’il y a un Saint Esprit. Ainsi David dans le Psaume 50 : Ne m’ôte pas ton Esprit Saint; et Daniel : L’Esprit Saint qui est en toi. D’abondants témoignages du Nouveau Testament nous l’enseignent, lorsqu’il rapporte que l’Esprit Saint descendit sur le Christ et lorsque le Sauveur souffla sur les apôtres après la Résurrection en leur disant : Recevez l’Esprit Saint. A Marie, l’ange a annoncé : L’Esprit Saint viendra sur toi. Paul enseigne : Personne ne peut dire Jésus Seigneur, si ce n’est dans l’Esprit Saint. Et dans les Actes des Apôtres, les apôtres par l’imposition des mains donnaient l’Esprit Saint dans le baptême. Tout cela nous révèle la grande autorité et dignité qu’a l’Esprit Saint en tant qu’être substantiel, telle que le baptême de salut ne peut être accompli que par l’autorité de la Trinité la plus excellente de toutes, par l’invocation du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, et ainsi au Père inengendré et à son Fils unique est associé le nom du Saint Esprit. N’est-il pas stupéfiant de constater la majesté de l’Esprit Saint, quand on voit que celui qui parlera mal du Fils de l’homme pourra espérer le pardon, mais que celui qui aura blasphémé contre l’Esprit Saint n’aura de pardon ni dans le siècle présent ni dans le futur ? Tout a été créé par Dieu et il n’y a pas d’être qui n’ait reçu de lui l’existence : cela est affirmé par de nombreux passages de toute l’Écriture et permet de rejeter et de réfuter des fausses affirmations faites par certains, au sujet de la matière qui serait coéternelle à Dieu, au sujet des âmes qui seraient inengendrées, Dieu ayant mis en elles non tant l’existence que la qualité et l’ordonnance de la vie. Car dans le petit livre du Pasteur, l’Ange de la Pénitence, rédigé par Hermas, il est écrit : Crois avant tout qu’il y a un seul Dieu qui a tout créé et ordonné; qui, alors que rien n’était, a tout fait; qui contient toutes choses et n’est contenu par aucune. On trouve des affirmations semblables dans le Livre d’Enoch. Mais jusqu’à présent nous n’avons pu trouver dans les Écritures saintes aucune parole disant que le Saint Esprit ait été fait ou créé, même pas de la manière dont nous avons vu Salomon parler de la Sagesse, ou selon les explications que nous avons données de la Vie, de la Parole et des autres dénominations du Fils de Dieu. L’Esprit de Dieu qui se déplaçait sur les eaux, comme c’est écrit, au début de la création du monde, je ne le crois pas autre que l’Esprit Saint, selon ce que je puis comprendre, comme nous l’avons montré en exposant ce passage, non selon l’histoire, mais selon la compréhension spirituelle. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Puisque l’action du Père et du Fils s’exerce sur les saints et les pécheurs, elle se manifeste en ce que tous les êtres raisonnables participent à la Parole de Dieu, c’est-à-dire à la Raison, et pour cela portent en eux comme des semences de la Sagesse et de la Justice, ce qu’est le Christ. De celui qui est vraiment, qui a dit par Moïse : Je suis celui qui suis, tous les êtres tirent participation. Cette participation du Père parvient à tous, justes ou pécheurs, êtres raisonnables et déraisonnables, et absolument à tout ce qui est. L’apôtre Paul montre, certes, que tous ont la participation au Christ quand il dit : Ne dis pas dans ton coeur : Qui montera dans le ciel, c’est-à-dire pour en faire descendre le Christ ? Ou: Qui descendra dans l’abîme, c’est-à-dire pour rappeler le Christ des morts ? Mais que dit l’Écriture: La Parole est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton coeur. Par là il signifie que le Christ est dans le coeur de tous, en tant que Parole ou Raison, dont la participation fait les êtres raisonnables. Ce texte de l’Évangile : Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché; maintenant ils n’ont pas d’excuse pour leur péché est clair pour ceux qui savent expliquer jusqu’à quel moment l’homme n’a pas de péché et à quel âge il devient sujet au péché : on voit ainsi comment, à cause de leur participation à la Parole ou à la Raison, on dit que les hommes ont le péché, à savoir à partir du moment où ils sont devenus capables de compréhension et de connaissance, lorsque la raison, mise à l’intérieur d’eux-mêmes, leur aura apporté le discernement du bien et du mal. Lorsqu’ils ont commencé à savoir ce qu’est le mal, s’ils le font, ils deviennent coupables de péché. C’est ce que veut dire : Les hommes n’ont pas d’excuse pour leur péché : la parole ou raison divine a commencé à leur montrer dans le coeur le discernement du bien et du mal, pour qu’ils puissent ainsi échapper au mal et s’en garder; qui connaît le bien et ne le fait pas, est-il écrit, le péché est en lui. De même, aucun homme n’est hors de la communion de Dieu ; l’Évangile l’enseigne par la bouche du Sauveur : Le royaume de Dieu ne se laisse pas observer quand il vient et on ne dit pas : Le voici ici ou là. Mais le royaume de Dieu est au dedans de vous. Il faut voir aussi si on ne trouve pas la même signification dans cette parole de la Genèse : Et il souffla sur sa face un souffle de vie et l’homme fut fait comme une âme vivante. S’il faut comprendre que cela a été donné à tous les hommes en général, tous les hommes ont une participation à Dieu ; s’il faut entendre de l’Esprit de Dieu cette parole, puisque Adam lui-même, semble-t-il, a prophétisé sur plusieurs points, on ne peut l’appliquer de façon générale, mais seulement à quelques saints. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Si donc des puissances contraires sont appelées transfuges et s’il est dit qu’elles furent autrefois immaculées, il n’appartient à personne si ce n’est au Père, au Fils et au Saint-Esprit d’être immaculé de façon substantielle, mais la sainteté dans toute créature est une réalité accidentelle et ce qui est accidentel peut déchoir. Ces puissances contraires ont été autrefois immaculées et se sont trouvées au milieu de celles qui restent encore immaculées : cela montre que personne n’est immaculé de façon substantielle ou naturelle, ni souillé de façon substantielle. Il s’ensuit qu’il dépend de nous et de nos mouvements d’être saints et bienheureux, ou bien par paresse et négligence de nous écarter de la béatitude pour tomber dans la malice et dans la perdition, tellement qu’un progrès excessif – si l’on peut ainsi parler – dans le mal, lorsque quelqu’un s’est à ce point négligé, le fasse parvenir à un tel état qu’il devienne ce qui est dit au sujet de la puissance contraire. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Tout ce qui précède est dit par nous dans le but de parvenir de façon ordonnée à une recherche sur le soleil, la lune et les étoiles par voie de conséquence : faut-il les compter parmi les principautés parce qu’ils sont dits avoir été faits pour commander au jour et à la nuit, ou faut-il penser que leur principat sur le jour et la nuit se réduit à les éclairer, sans qu’ils aient le même ordre et office que les Principautés. Cependant lorsqu’il est dit que tout a été fait par son intermédiaire et que en lui tout a été créé, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre, on ne peut douter que les êtres qui sont dans le firmament, terme qui désigne assurément le ciel où sont placés, selon l’Écriture, ces luminaires, soient comptés parmi les êtres célestes. Ainsi, puisque tout a été fait ou créé, puisque tout ce qui a été fait reçoit le bien et le mal et est susceptible de l’un et de l’autre, ce que notre discussion a montré avec évidence, peut-on juger conséquente l’opinion de certains des nôtres au sujet du soleil, de la lune ou des étoiles : ils seraient inconvertibles et incapables de passer à l’attitude opposée ? Certains ont pensé cela des saints anges et les hérétiques des âmes, qu’ils appellent des natures spirituelles. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Selon nous, en réalité, dans toute créature raisonnable, il n’y a rien qui ne soit capable de bien autant que de mal. Mais en disant qu’il n’y a aucune nature qui ne puisse recevoir le mal, nous n’affirmons pas, en conséquence, que toute nature a reçu le mal, c’est-à-dire a été faite mauvaise : lorsqu’on dit que toute nature d’homme a la possibilité de naviguer, ce n’est pas pour cela que tout homme naviguera ; de même il est possible à tout homme d’apprendre la grammaire ou la médecine, mais cela ne veut pas dire que tout homme soit médecin ou grammairien. Pareillement, si nous disons qu’il n’y a pas de nature qui ne puisse recevoir le mal, il n’est pas indiqué nécessairement par là qu’elle ait reçu le mal ; réciproquement il n’y a pas de nature incapable de recevoir le bien, mais cela ne prouve pas en conséquence que toute nature ait reçu le bien. Selon nous, en effet, le Diable lui-même n’était pas incapable de bien, mais, du fait qu’il ait pu recevoir le bien, il ne s’ensuit pas qu’il l’ait voulu, ni qu’il ait pratiqué la vertu. Comme nous l’ont appris les passages prophétiques que nous avons invoqués, il fut jadis bon, lorsqu’il se trouvait dans le paradis de Dieu, au milieu des Chérubins. Il possédait la faculté de recevoir la vertu ou la malice, mais s’écartant de la vertu il s’est tourné vers le mal de toute son intelligence : ainsi les autres créatures, tout en possédant cette double faculté, ont fui le mal avec leur libre arbitre et adhéré au bien. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Il n’y a donc pas de nature incapable de recevoir le bien ou le mal, si ce n’est celle de Dieu, source de tous les biens, et celle du Christ : il est en effet Sagesse, et la sagesse ne peut en aucune façon recevoir la sottise ; il est aussi Justice, et jamais assurément la justice n’acquerra l’injustice ; il est Parole ou Raison, une raison qui ne peut jamais devenir déraisonnable; mais il est aussi Lumière, et certainement les ténèbres ne peuvent saisir la lumière. Pareillement, la nature du Saint Esprit qui est sainte ne peut souffrir de souillure : car elle est sainte par nature et de façon substantielle. Mais toute autre nature qui est sainte tient sa sanctification de ce qu’elle a assumé l’Esprit Saint et de ce qu’il l’a inspirée : elle ne la possède pas par nature, mais de manière accidentelle, or ce qui est accidentel peut déchoir. On peut avoir ainsi une justice accidentelle, d’où il suit qu’on peut la perdre. On a pareillement une sagesse accidentelle, mais il est en notre pouvoir, par notre zèle et le mérite de notre vie, par la pratique de la sagesse, de devenir sages : si nous y mettons tous nos soins, nous participons toujours à la sagesse, et ceci plus ou moins selon le mérite de notre vie ou l’importance de notre zèle. Car la bonté de Dieu, selon ce qui lui convient, invite tous les êtres et les attire à la fin bienheureuse, où cessent et disparaissent douleurs, tristesses et gémissements de toute sorte. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Ils pensent en effet que la bonté est un sentiment qui désire pour tous le bien, même si le bénéficiaire en est indigne et ne mérite pas d’obtenir le bien ; à ce qu’il me semble, ils n’ont pas utilisé correctement une telle définition, pensant que celui à qui arrive quelque chose de pénible et de triste ne reçoit pas le bien. Ils ont considéré la justice comme un sentiment qui veut rendre à chacun selon son mérite. Mais là aussi, ils n’interprètent pas correctement le sens de leur définition. Ils pensent en effet qu’il est juste de faire le mal aux mauvais, le bien aux bons, c’est-à-dire que, selon leur signification, le juste ne paraîtrait pas vouloir le bien aux mauvais, mais être animé d’une certaine façon de haine à leur égard : et ils recueillent ainsi tout ce qu’ils trouvent comme récits dans les écrits de l’Ancien Testament, par exemple le châtiment du déluge et de ceux qui y furent noyés, la dévastation de Sodome et de Gomorrhe par une pluie de feu et de soufre, la mort dans le désert à cause de leurs péchés de tous ceux qui avaient quitté l’Egypte, de telle sorte qu’aucun ne put entrer dans la terre des promesses sinon Josué et Caleb. Du Nouveau Testament ils rassemblent les paroles de miséricorde et de pitié que le Sauveur a dites à ses disciples pour les former, celles qui semblent déclarer que Personne n’est bon si ce n’est un seul, Dieu le Père; et ainsi ils ont osé, tout en proclamant bon le Dieu Père du Sauveur Jésus-Christ, dire que le Dieu du monde est autre et l’appeler juste, mais non bon. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

De ce qu’ils disent, il faut d’abord examiner s’ils peuvent, selon leur définition, montrer juste le créateur quand il punit selon leurs démérites soit ceux qui ont péri au temps du déluge, soit les Sodomites, soit ceux qui avaient quitté l’Egypte, alors que nous voyons parfois commis des forfaits bien plus révoltants et criminels que ceux pour lesquels les gens dont nous avons parlé plus haut ont été supprimés, sans que nous ayons encore vu chacun de ces pécheurs expier ses méfaits. Diront-ils alors qu’il est devenu bon, celui qui auparavant était juste ? Ou penseront-ils plutôt qu’il est encore juste maintenant, mais qu’il supporte patiemment les fautes des hommes, et aussi qu’il n’était pas juste celui qui anéantissait des tout-petits innocents et des nourrissons en même temps que les géants cruels et impies ? Mais ils pensent ainsi parce qu’ils ne veulent rien comprendre au delà de la lettre. D’ailleurs qu’ils montrent comment il est juste selon la lettre d’imputer les péchés des parents jusqu’à la troisième et la quatrième génération à leurs fils et aux enfants de leurs fils après eux. Nous, nous ne comprenons pas ces paroles selon la lettre, mais puisque Ézéchiel nous a appris que c’était une parabole, nous cherchons ce que signifie en elle-même cette parabole. Ils doivent montrer comment ce Dieu est juste, rétribuant chacun selon ses mérites, lui qui punit les terrestres et le diable, alors qu’ils n’ont rien commis qui soit digne de peine ; en effet ils ne pouvaient rien faire de bon, puisque, selon ces hérétiques, ils avaient une nature mauvaise et perdue d’avance. Car, quand ils le disent juge, il paraît être chez eux juge non tant des actes que des natures, puisque une nature mauvaise ne peut pas faire le bien, ni une bonne le mal. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Ces témoignages, couverts de l’autorité des Écritures, doivent suffire à réfuter ce que les hérétiques objectent d’ordinaire. Il ne paraîtra pas cependant inconvenant de discuter un peu avec eux par la voie du raisonnement. Demandons-leur donc s’ils savent quelle est chez les hommes la nature de la vertu et de la malice et s’il leur semble logique de parler de vertus en Dieu, ou, comme ils le pensent, dans ces deux Dieux. Qu’ils disent aussi si la bonté leur paraît être une vertu – je pense qu’ils le reconnaîtront sans aucun doute -, mais que diront-ils aussi de la justice ? Jamais assurément, à mon avis, ils ne perdront le sens au point de nier que la justice est une vertu. Si donc la vertu est le bien et la justice une vertu, sans aucun doute la justice est la bonté. S’ils disent que la justice n’est pas un bien, elle sera alors nécessairement un mal ou quelque chose d’indifférent. S’ils disent que la justice est un mal, je pense que ce serait une sottise de leur répondre : il me semble que je répondrais alors à des paroles insensées ou à des hommes à l’intelligence détraquée. Comment peut-on penser que ce soit un mal de rendre le bien pour le bien ? Eux-mêmes le reconnaissent. S’ils disent que c’est quelque chose d’indifférent, il s’ensuit que si la justice est indifférente, c’est aussi le cas de la tempérance, de la prudence et de toutes les autres vertus. Et que répondrons-nous à Paul quand il dit : S’il y a une vertu, s’il y a quelque chose digne de louange, observez ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi ou vu en moi ? Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Qu’ils disent alors, en examinant les Écritures divines, ce qu’est chaque vertu, et qu’ils ne cherchent pas à s’esquiver en disant que le Dieu qui rétribue chacun selon ses mérites, leur rend le mal pour le mal par haine des méchants et que ce n’est pas parce que ceux qui ont péché ont besoin d’être soignés par des remèdes plus pénibles qu’il leur applique un traitement qui, en vue de leur amendement, semble présentement les faire souffrir. Il ne lisent pas ce qui est écrit de l’espérance de ceux qui ont péri par le déluge, espérance dont Pierre dit dans sa Première Épître : Le Christ est mort selon la chair, mais a été vivifié selon l’esprit. Dans cet esprit il est allé prêcher aux esprits maintenus en prison, ceux qui avaient été autrefois incrédules, lorsque Dieu attendait avec patience quand Noé construisait l’arche; dans l’arche un petit nombre, c’est-à-dire huit personnes, ont été sauvées par le moyen de l’eau; vous aussi, de façon semblable, il vous sauve aujourd’hui par le baptême. Au sujet de Sodome et de Gomorrhe, qu’ils nous disent s’ils croient que les paroles prophétiques viennent du Dieu dont on rapporte qu’il fit pleuvoir sur eux une pluie de feu et de soufre! Que dit de ces villes le prophète Ézéchiel ? Sodome sera restaurée dans son état ancien. En punissant ceux qui méritaient le châtiment, ne l’a-t-il pas fait pour leur bien ? Il a dit à la Chaldée : Tu as des charbons de feu, assieds-toi dessus et ils te seront utiles. A propos de ceux qui sont tombés dans le désert, que les hérétiques écoutent ce qui est rapporté dans le Psaume 77, attribué par son titre à Asaph : Lorsqu’il les tuait, alors ils le cherchaient. Il n’a pas dit que, les uns étant tués, les autres le recherchaient, mais que ceux qui étaient tués l’étaient de telle sorte que, mis à mort, ils recherchaient Dieu. Tout cela montre que le Dieu juste et bon, le Dieu de la loi et des Évangiles, est un seul et même Dieu, qu’il fait le bien avec justice et punit avec bonté, puisque ni la bonté sans la justice, ni la justice sans la bonté, ne sont le signe de la dignité de la nature divine. Ajoutons encore ce qui suit, forcés par leurs artifices. Si la justice est autre chose que le bien, puisque le mal est contraire au bien et l’injuste au juste, sans aucun doute l’injuste sera autre que le mal ; et puisque, selon vous, celui qui est juste n’est pas bon, celui qui est injuste ne sera pas mauvais ; de même, puisque celui qui est bon n’est pas juste, celui qui est mauvais ne sera pas injuste. Ne sera-t-il pas absurde, à ce qu’il semble, que celui qui est mauvais soit le contraire du Dieu bon, mais que personne ne soit le contraire du Dieu juste qu’ils présentent comme inférieur au bon ? A Satan qui est appelé le Malin ne correspond donc pas quelqu’un autre qui serait dit l’Injuste. Qu’en est-il donc ? Remontons au point d’où nous sommes descendus. Ils ne pourront pas dire que le mauvais n’est pas en même temps injuste, ni l’injuste mauvais. Mais si, dans ces contraires, il y a une liaison indissociable entre l’injustice et le mal et entre le mal et l’injustice, le bon sera certainement indissociable du juste et le juste du bon : de même que nous disons que la malice et l’injustice sont un seul et même mal, de même nous tenons que la bonté et la justice sont une seule et même vertu. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Mais de nouveau ils nous ramènent aux paroles de l’Écriture en posant leur fameuse question. Il est écrit, disent-ils, qu’un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits ni un arbre mauvais de bons fruits : par son fruit on reconnaît l’arbre. Qu’en est-il donc, disent-ils ? De quelle nature est l’arbre de la loi, cela est manifesté par ses fruits, c’est-à-dire par les paroles de ses préceptes. Si on trouve la loi bonne, sans aucun doute on peut croire que celui qui l’a donnée est aussi le Dieu bon ; mais si elle est plus juste que bonne, on pensera que son Dieu est un législateur juste. L’apôtre Paul n’a employé aucune circonlocution pour dire : Donc la loi est bonne, le commandement saint, juste et bon. De là il est clair que Paul ne s’était pas instruit dans les écrits de ceux qui séparent le juste du bon, mais avait été enseigné par ce Dieu et illuminé par l’Esprit de ce Dieu qui est à la fois saint, bon et juste : parlant par son Esprit, il disait que le commandement de la loi est saint, juste et bon. Pour montrer avec plus d’évidence qu’il y a dans le commandement plus de bonté encore que de sainteté et de justice, il répète sa parole en parlant seulement de la bonté au lieu des trois : Ce qui est donc bon serait mort pour moi ? Qu’il n’en soit pas ainsi. Parce qu’il savait que, parmi les vertus, la bonté représente le genre, la justice et la sainteté les espèces du genre, voilà pourquoi, alors que plus haut il avait nommé le genre et les espèces, en redisant cette parole il a répété seulement le genre. Mais dans ce qui suit il dit : Le péché, par le bien, a opéré en moi la mort. Là il conclut par le genre ce qu’il avait exposé auparavant par les espèces. Il faut comprendre aussi de la même manière ces paroles : L’homme bon, du bon trésor de son coeur, profère le bien et l’homme mauvais, de son mauvais trésor, le mal. Ici aussi l’auteur a pris le genre, bien ou mal, montrant sans aucun doute qu’il y a dans l’homme bon la justice, la tempérance, la prudence, la piété (ou miséricorde) et tout ce qui peut être dit ou compris bon. Pareillement il a parlé de l’homme mauvais, qui serait certainement injuste, impur, impie et tout ce qui forme l’homme mauvais dans ses divers éléments. De même que sans ces malices on ne peut penser qu’un homme est mauvais et qu’il ne peut être mauvais, de même sans ces vertus il est certain que personne ne peut être jugé bon. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Si cela paraît difficile à quelqu’un, alors que nous avons montré plus haut qu’il y a dans le Christ une âme raisonnable et que nous avons répété fréquemment dans toutes nos discussions que la nature des âmes est tout à fait capable de recevoir le bien et le mal, nous résoudrons cette difficulté de la façon suivante. On ne peut douter que la nature de cette âme n’ait été celle de toutes les âmes : autrement on n’aurait pu l’appeler âme, si elle n’avait pas été vraiment âme. Mais puisque choisir le bien ou le mal est au pouvoir de tous, cette âme, celle du Christ, a si bien choisi d’aimer la justice que, par suite de l’immensité de son amour, elle a adhéré à elle de manière inconvertible et inséparable : ainsi la fermeté de son propos, l’immensité de son affection et la chaleur inextinguible de son amour ont retranché tout désir de changement et de retournement, de telle sorte que ce qui se trouvait dans la volonté s’est transformé en nature par suite d’une longue habitude : tel fut le cas, il faut le croire, de l’âme humaine et raisonnable du Christ qui n’a eu aucune pensée ni aucune possibilité de péché. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Mais puisque ces natures raisonnables, qui au début ont été faites, comme nous l’avons dit plus haut, ont été créées alors qu’elles n’existaient pas auparavant, elles sont, puisqu’elles n’existaient pas et qu’elles ont commencé à être, nécessairement convertibles et changeantes : en effet la puissance qui était en elle et en faisait des êtres substantiels, elles ne la possédaient pas par nature, mais par un bienfait du créateur. Ce qu’elles sont n’est pas en elles propre et éternellement durable, mais donné par Dieu : il n’a pas toujours été et ce qui a été donné peut être enlevé ou régresser. La cause de cette régression sera en lui, si les mouvements des intelligences ne sont pas dirigés de manière convenable et louable. Car le créateur a accordé aux intelligences créées par lui des mouvements volontaires et libres, afin que certainement le bien devienne leur propriété lorsqu’elles le conservent par leur volonté propre; mais la paresse, le dégoût de la peine à prendre pour conserver le bien, l’aversion et la négligence à l’égard des valeurs supérieures a été le début d’un éloignement du bien. Or s’éloigner du bien n’est pas autre chose que de tomber dans le mal. En effet il est certain que le mal est la privation du bien. Il arrive donc que, dans la mesure où l’on se détourne du bien, on en vient au mal dans la même proportion. Par conséquent chaque intelligence en négligeant le bien selon ses mou-vements, soit gravement soit de façon plus restreinte, était attirée dans le contraire du bien qui est sans aucun doute le mal. Il semble donc que le créateur de l’univers ait ainsi accepté comme des semences et des causes de variété et de diversité pour créer un monde divers et varié selon la diversité des intelligences, c’est-à-dire des créatures raisonnables, diversité que, je pense, elles ont produite pour la cause signalée plus haut. Quand nous parlons d’un monde divers et varié, c’est proprement ce que nous voulons indiquer. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Mais l’Écriture sainte ne me paraît pas s’être tue complètement sur la raison de ce mystère. L’apôtre Paul discutant Ésaü et de Jacob dit : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, pour que soit maintenue la décision concernant leur élection par Dieu, ce n’est pas par suite de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui les a appelés qu’il fut dit: L’aîné servira le plus jeune. Il est écrit en effet: J’ai aimé Jacob, j’ai pris en haine Elsa. Et Paul ensuite s’est répondu à lui-même en ces termes :Que dirons-nous donc ? Y a-t-il injustice de la part de Dieu ? Pour nous fournir à ce sujet une occasion de recherche et d’examen, pour savoir comment cela s’est passé d’une manière non déraisonnable, il s’est répondu à lui-même : Qu’il n’en soit pas ainsi! Les mêmes questions qui se posent à propos d’Ésaü et de Jacob, à ce qu’il me semble, peuvent s’étendre à tous les êtres célestes, aux créatures terrestres et infernales : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal; cela peut se dire pareillement de tous les autres êtres. Alors qu’ils n’avaient pas encore été créés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, afin que soit maintenue la décision de Dieu concernant leur élection, comme certains le pensent, les uns ont été faits êtres célestes, d’autres terrestres et d’autres infernaux, non par suite de leurs oeuvres, selon l’opinion de ces héré-tiques, mais par la volonté de celui qui les a appelés. Que dirons-nous donc si les choses sont ainsi ? Il y a donc injustice de la part de Dieu ? Qu’il n’en soit pas ainsi! Alors, en scrutant les Écritures avec plus de soin au sujet d’Ésaü et de Jacob, on trouve qu’il n’y a pas d’injustice de la part de Dieu, quand, avant leur naissance et avant qu’ils aient fait quoi que ce soit, dans cette vie évidemment, il est dit que l’aîné servira le plus jeune, et on trouve de même qu’il n’y a pas d’injustice dans le fait que Jacob ait supplanté son frère dans le sein de sa mère, si on pense qu’il a été aimé de Dieu avec raison jusqu’à être préposé à son frère à cause des mérites d’une vie précédente, bien entendu. Ainsi peut-on penser des créatures célestes, si nous remarquons que cette diversité n’est pas l’état initial de la créature, mais que, à la suite de causes antécédentes, le Créateur prépare à chacune une fonction et un service différents selon la dignité de son mérite : cela vient assu-rément du fait que chacun, parce qu’il a été créé par Dieu comme intelligence ou comme esprit raisonnable, s’est acquis plus ou moins de mérite par suite des mouvements de l’intelligence et des affections de l’entendement et s’est rendu ainsi pour Dieu aimable ou même haïssable. Cepen-dant quelques-uns de ceux qui ont le mieux mérité ont reçu pour l’ordonnance du monde la fonction de souffrir avec les autres et de prêter service aux êtres inférieurs, afin de participer ainsi à la patience du créateur, selon ces paroles de l’Apôtre : La création a été en effet soumise à la vanité, contre son gré, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espérance. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Il y a aussi bien d’autres choses qui nous échappent, connues seulement de celui qui est le médecin de nos âmes. En effet pour guérir nos corps des maladies contractées par la nourriture et la boisson, il nous est de temps en temps nécessaire de nous soigner par des médi-cations plus sévères et plus amères ; parfois même, quand la nature du mal l’exige, nous avons besoin de la dureté du fer et de la rudesse des opérations chirurgicales ; bien plus, dans le cas où ces remèdes sont impuissants devant la gravité de la maladie, le feu brûle en dernier lieu le mal qui nous tient. A bien plus forte raison ne faut-il pas penser que Dieu, notre médecin, pour détruire les maux de nos âmes, contractés par suite de nos divers péchés et crimes, utilise pour nous soigner des châtiments de ce genre, appliquant même le supplice du feu à ceux qui ont perdu la santé de l’âme ? Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

Mais l’animal raisonnable, outre la nature imaginative, possède la raison qui juge les représentations, refuse les unes et accepte les autres, pour que le vivant se conduise selon elles. C’est pourquoi, puisque la raison possède dans sa nature les moyens de voir le bien et le mal, que nous utilisons pour voir le bien et le mal et ainsi choisir le bien et refuser le mal, nous sommes dignes de louange si nous nous mettons à pratiquer le bien, dignes de blâme dans le cas contraire. Il ne faut pas ignorer cependant que l’on trouve chez les animaux, en quelque manière, à un degré supérieur une nature ordonnée à toute espèce d’activité, plus ou moins : ainsi, pour parler de la sorte, l’action des chiens qui suivent à la trace ou des chevaux de combat est proche de l’action raisonnable. Qu’une incitation vienne du dehors, provoquant telle ou telle représentation, cela, de l’aveu de tous, ne dépend pas de notre libre arbitre. Mais quant à juger si on doit se servir de cette façon ou de cette autre de ce qui s’est produit, c’est l’oeuvre seulement de la raison qui est en nous et qui, à partir de ces occasions, fortifie en nous les impulsions qui nous entraînent vers le bien et le convenable, ou au contraire nous en détournent. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Voyons de quelle manière Paul lui aussi nous parle comme ayant le libre arbitre et étant causes de perdition et de salut : Méprises-tu la richesse de sa bonté et de sa patience et de sa longanimité, ignorant que cette bonté de Dieu te mène à la pénitence ? En fonction de ta dureté et de l’impénitence de ton coeur, tu thésaurises pour toi la colère au jour de la colère, de la révélation et du juste jugement de Dieu qui rendra à chacun selon ses oeuvres : à ceux qui par leur persévérance à accomplir le bien recherchent la gloire, l’honneur et l’incorruption sera donnée la vie éternelle, mais à ceux qui par chicane n’obéissent pas à la vérité, mais à l’injustice, colère et fureur. Tribulalion et angoisse pour toute personne humaine qui fait le mal, Juif d’abord, puis Grec; gloire, honneur et paix à tous ceux qui font le bien, Juif d’abord, puis Grec. On trouve dans les Écritures d’innombrables affirmations, très claires, du libre arbitre. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Mais, puisqu’ils disent qu’ils le considèrent comme juste, et nous comme juste et bon à la fois, examinons comment celui qui est juste et bon endurcirait le coeur de Pharaon. Voyons si nous pouvons montrer à partir d’un exemple que l’Apôtre a utilisé dans son Epître aux Hébreux, comment par la même action Dieu a miséricorde de l’un et endurcit l’autre, non dans le but d’endurcir, mais dans une intention bonne qui a pour effet d’endurcir à cause du substrat de malice que constitue le mal qui est en eux, et c’est pourquoi on dit qu’il endurcit celui qui est endurci. La terre, dit-il, qui a bu la pluie qui est tombée sur elle et produit une herbe utile à ceux pour qui elle a été cultivée, reçoit de Dieu la bénédiction; si elle porte épines et chardons, elle est réprouvée et proche de la malédiction, destinée à être brûlée. Il y a donc une unique action, celle de la pluie ; à partir de cette unique action qui est celle de la pluie, la terre cultivée produit des fruits, celle qui est négligée et dure produit des épines. Il paraîtrait injurieux de prêter à celui qui fait pleuvoir les paroles suivantes : c’est moi qui ai produit les fruits et les épines qui sont sur la terre. Mais si c’est injurieux, c’est cependant vrai : car s’il n’y avait pas eu de pluie, il n’y aurait pas eu de fruits ni d’épines, mais si elle tombe en temps voulu et avec mesure, les uns et les autres sont produits. En effet quand elle produit des épines et des chardons, la terre qui a bu la pluie qui est tombée sur elle est réprouvée et proche de la malédiction. Le bienfait de la pluie est donc tombé aussi sur la terre la plus mauvaise, et comme le substrat était négligé et inculte, il a produit des épines et des chardons. Ainsi donc les prodiges accomplis par Dieu sont comme la pluie, les volontés diverses comme la terre cultivée ou la négligée, les deux étant une même terre par leur unique nature. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Celui qui est délaissé l’est donc en vertu d’un jugement divin et ce n’est pas sans raison que Dieu patiente à l’égard de certains pécheurs, mais parce qu’il leur sera utile, étant donné l’immortalité de l’âme et l’éternité sans fin, de ne pas recevoir trop vite d’assistance en vue de leur salut, mais d’y être menés plus lentement après avoir éprouvé beaucoup de maux. Il arrive que des médecins, alors qu’ils pourraient guérir rapidement quelqu’un, soupçonnent que le venin subsiste secrètement dans le corps et s’arrangent pour ne pas le guérir : ils agissent ainsi parce qu’ils veulent le guérir plus sûrement et ils pensent qu’il vaut mieux maintenir plus longtemps leur patient dans les inflammations et les souffrances pour qu’il puisse récupérer la santé d’une manière plus solide, que de lui redonner trop rapidement des forces apparentes, l’exposant ainsi à des rechutes postérieures et à une amélioration trop hâtive qui serait passagère. Dieu agit de même, lui qui connaît les secrets des coeurs et qui prévoit le futur : il permet peut-être par sa patience et aussi par les événements extérieurs de faire sortir le mal caché pour purifier celui qui a en lui, à cause de sa négligence, les semences du péché ; en maintenant le pécheur plus longtemps dans ses maux, il fait venir ainsi ces semences à la surface, ce dernier les vomit et, ayant été purifié de sa malice, il peut parvenir ensuite à la régénération. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Il nous faut d’abord signaler ce passage aux hétérodoxes qui pourchassent de telles paroles dans l’Ancien Testament pour montrer par elles, comme ils ont l’audace de le dire, la cruauté du Créateur, sa volonté de se défendre et de rendre le mal pour le mal, quel que soit le nom qu’ils donnent à un tel comportement, dans le seul but de dire qu’il n’y a pas de bonté en celui qui a créé. Mais ils n’examinent pas le Nouveau Testament de la même façon et avec honnêteté, car ils ne remarquent pas des passages semblables à ceux qu’ils jugent blâmables dans l’Ancien. Car l’Évangile montre avec évidence, comme ils le disent eux-mêmes au sujet du texte précédemment cité, que le Sauveur ne s’exprime pas clairement de peur que les hommes ne se convertissent et qu’ils ne méritent de recevoir alors la rémission des péchés : cette affirmation prise en elle-même n’est pas moins grave que celles qu’ils accusent dans l’Ancien Testament. S’ils cherchent à justifier ce qui est dans l’Évangile, il faut leur dire qu’en ne le considérant pas comme répréhensible ils se comportent de façon dissemblable devant des problèmes semblables : en ce qui concerne le Nouveau Testament ils ne se scandalisent pas, mais ils cherchent une justification ; en ce qui concerne les affirmations analogues trouvées dans l’Ancien, alors qu’il faudrait les justifier comme celles du Nouveau, ils les accusent, tandis que nous leur démontrons, à cause de ces ressemblances, la nécessité de penser que toutes les Écritures sont l’oeuvre d’un seul Dieu. Mais maintenant essayons, dans la mesure du possible, de justifier le texte proposé. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Nous disions, quand nous examinions le cas de Pharaon, que parfois il n’est pas bon pour ceux qui sont soignés de l’être trop rapidement, si, étant tombés par eux-mêmes dans des difficultés, ils étaient ainsi éloignés plus aisément de ce en quoi ils étaient tombés : car ils méprisent alors le mal, le considérant comme facile à guérir, et une autre fois, ne prenant pas garde à l’éviter, ils y resteront. C’est pourquoi dans des cas semblables, le Dieu éternel qui connaît les secrets, lui qui sait toute chose avant qu’elle ne se produise, diffère dans sa bonté de leur apporter un secours qui serait autrement trop rapide et, pour ainsi dire, il les secourt en ne les secourant pas, car cela leur est utile. Vraisemblablement ceux du dehors, à qui s’appliquait cette parole, le Sauveur voyait, selon le texte proposé, qu’ils ne seraient pas solides dans leur conversion, s’ils entendaient distinctement ce qui leur était dit, et c’est pourquoi le Seigneur a fait en sorte qu’ils n’entendent pas plus clairement les paroles plus profondes, de peur que, trop vite convertis et guéris en obtenant la rémission, méprisant comme bénignes et faciles à guérir les blessures de la malice, ils n’y retombent bien vite. Peut-être, subissant alors la peine des péchés qu’ils ont commis autrefois contre la vertu en l’abandonnant, n’ont-ils pas encore atteint le temps convenable où, après avoir été privés des visites divines et rassasiés par les maux qu’ils ont eux-mêmes semés, ils seront appelés plus tard à une pénitence plus solide, et ne retomberont pas si vite dans les maux où auparavant ils sont tombés, quand ils insultaient la dignité du bien et qu’ils se livraient au pire. Ceux qui sont dehors, évidemment par comparaison avec ceux du dedans, ne se trouvant pas totalement éloignés de ceux du dedans, alors que ces derniers entendent clairement, entendent de manière obscure parce qu’il leur est parlé en paraboles : ils entendent cependant. D’autres que ceux du dehors, ceux qui sont appelés Tyriens, bien que le Seigneur ait prévu qu’ils auraient fait déjà pénitence assis dans le sac et la cendre, si le Sauveur s’était approché de leurs frontières, n’entendent même pas ce qu’entendent ceux du dehors, comme c’est vraisemblable, car ils sont plus loin de la dignité de ceux du dehors ; mais à un autre moment, après que leur sort sera devenu plus supportable que celui de ceux qui n’ont pas accueilli la Parole – c’est à leur sujet que le Seigneur mentionne aussi les Tyriens -, ayant entendu d’une manière plus opportune, ils feront une pénitence plus solide. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Voyons maintenant ce qui concerne la phrase : Ce n’est donc pas l’oeuvre de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Les attaquants disent : Si ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde, le salut ne vient pas de notre libre arbitre mais de notre constitution, oeuvre de celui qui nous a créés tels, ou encore de la volonté de celui qui fait miséricorde quand il le veut. Nous leur demanderons : Vouloir le bien, est-ce bien ou mal ? Et courir pour atteindre le but quand on se hâte vers le bien, est-ce louable ou blâmable ? S’ils disent blâmable, ils répondront contrairement à l’évidence, car les saints veulent et courent et ils ne font évidemment en cela rien de blâmable. S’ils disent qu’il est bien de vouloir le bien et de courir vers le bien, nous leur demanderons comment la nature qui est perdue veut le bien. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Car c’est comme un arbre mauvais qui porte de bons fruits, puisqu’il est bon de vouloir le bien. Ils diront en troisième lieu que vouloir le bien et courir vers le bien appartient aux réalités indifférentes et que ce n’est ni beau ni laid. Il faut répondre à cela que, si vouloir le bien et courir vers le bien est indifférent, leurs contraires sont aussi indifférents, à savoir vouloir le mal et courir vers le mal. Mais vouloir le mal et courir vers le mal ne sont pas indifférents : donc vouloir le bien et courir vers le bien ne sont pas indifférents. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Et certains disent : Si le vouloir vient de Dieu et si l’agir vient de Dieu, même si nous Voulons mal et si nous agissons mal, cela vient de Dieu ; s’il en est ainsi nous n’avons pas de libre arbitre. De même quand nous voulons les biens les meilleurs et quand nous agissons de façon éminente, puisque de Dieu vient le vouloir et l’agir, ce n’est pas nous qui avons exécuté ces actions éminentes, mais nous avons paru le faire, et c’est Dieu qui nous a donné de le faire : ainsi, en cela même, nous n’avons pas de libre arbitre. A cela il faut dire que la parole de l’Apôtre ne dit pas que vouloir le mal vient de Dieu et que vouloir le bien vient de Dieu, elle ne le dit pas non plus de faire le bien ou le mal, mais de vouloir en général ou d’agir en général. De même que nous tenons de Dieu notre nature de vivants et notre nature d’hommes, de même le vouloir en général, comme je viens de le dire, et le fait de se mouvoir en général. Par le fait que nous sommes des vivants, nous avons la faculté de nous mouvoir et par exemple de remuer tels membres, mains ou pieds : ce n’est pas une raison de dire que nous tenons de Dieu le caractère spécifique de nos actions, par exemple de remuer un membre pour frapper, pour tuer ou pour dérober le bien d’autrui, il s’agit seulement de leur caractère générique, nous mouvoir, que nous avons reçu du Dieu ; c’est nous qui utilisons cette faculté pour le pire ou pour le meilleur. Ainsi nous avons reçu de Dieu l’agir en tant que vivants, et du Créateur le vouloir, mais c’est nous qui nous servons du vouloir, et pareillement de l’agir, pour le meilleur ou pour le pire. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Une autre parole apostolique semble nous amener à croire que nous n’avons pas de libre arbitre. L’Apôtre répond d’avance à une objection qu’il se fait : Il a donc pitié de celui qu’il veut et il endurcit celui qu’il veut. Tu me diras donc: Que blâme-t-il encore ? Qui s’est opposé à sa volonté ? Effectivement, homme, qui es-tu pour répondre à Dieu ? Ce qui est façonné dira-t-il à celui qui l’a façonné: Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Est-ce que le potier qui travaille l’argile n’a pas le pouvoir de faire à partir de la même pâte tel vase pour un usage honorable, tel autre pour un usage sans honneur ? On dira : Si, comme le potier fait à partir de la même pâte des vases pour un usage honorable et d’autres pour un usage sans honneur, Dieu destine les uns au salut, les autres à la perdition, il n’est pas en notre pouvoir d’être sauvés ou de périr, nous n’avons pas de libre arbitre. Il faut demander à celui qui use ainsi de cet argument s’il peut penser que l’Apôtre fasse des affirmations contradictoires : je ne pense pas que quelqu’un aura l’audace de le prétendre. Si donc l’Apôtre ne fait pas des affirmations contradictoires, comment, selon celui qui comprend ainsi les choses, accuse-t-il avec quelque raison le fornicateur de Corinthe ou ceux qui sont tombés sans se repentir des actes d’inconduite et d’intempérance qu’ils ont commis ? Comment bénira-t-il pour leurs bonnes actions ceux qu’il loue, comme la famille d’Onésiphore, quand il dit : Que le Seigneur fasse miséricorde à la famille d’Onésiphore, parce qu’il m’a souvent réconforté et qu’il n’a pas eu honte de mes chaînes, mais, étant allé à Borne, m’a cherché activement et m’a trouvé; que le Seigneur lui donne de trouver miséricorde auprès de lui ce jour-là! Il ne convient pas à ce même Apôtre de tancer le pécheur comme digne de blâme et d’approuver comme louable celui qui a bien agi, et par ailleurs de dire, comme s’il n’y avait pas de libre arbitre, que le Créateur est responsable de ce qu’un vase a été fait pour un usage honorable, un autre pour un usage sans honneur. Comment est-il vrai de dire que : tous nous comparaîtrons devant le tribunal du Christ pour que chacun reçoive selon ce qu’il aura fait par l’intermédiaire de son corps, soit en bien, soit en mal, si ceux qui ont mal agi en sont venus là parce qu’ils ont été créés comme des vases destinés à un usage sans honneur et si ceux qui ont vécu vertueusement ont fait le bien parce qu’ils ont été formés dès le début dans ce but et qu’ils ont été faits comme des vases destinés à un usage honorable ? N’y a-t-il pas encore une contradiction entre le fait d’être, par la responsabilité du créateur, un vase d’honneur ou un vase sans honneur, comme le comprennent nos objecteurs à partir des paroles que nous avons citées, et ce qui est dit ailleurs : Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais des vases de bois et de terre, les uns pour un usage honorable, les autres pour un usage sans honneur. Si quelqu’un se purifie lui-même, il sera un vase honorable, sanctifié, utile au maître, prêt à toute oeuvre bonne ? Car si celui qui se purifie devient un vase honorable et si celui qui a regardé avec indifférence sa propre impureté devient un vase de déshonneur, à s’en tenir à ces paroles le créateur n’en est aucunement responsable. Car ce n’est pas dès le début, selon sa prescience, que le Créateur fait des vases d’honneur et des vases de déshonneur, car il ne condamne pas ni ne justifie d’avance selon elle, mais il fait vases d’honneur ceux qui se sont purifiés et vases de déshonneur ceux qui ont regardé avec indifférence leur propre impureté. Ainsi c’est à la suite de causes précédant leur formation en vases d’honneur ou de déshonneur qu’ils ont été faits les uns pour l’honneur les autres pour le déshonneur. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

A ceux qui inventent la doctrine des natures et qui se servent de cette parole il faut dire ce qui suit : s’ils conservent l’affirmation que d’une seule pâte proviennent les perdus et les sauvés, et qu’il y a un même créateur pour les perdus et les sauvés, s’il est bon celui qui fait non seulement les spirituels (pneumatiques) mais les terrestres (choiques) – ceci suit cela -, il est possible assurément que celui qui est maintenant un vase d’honneur par suite de ses bonnes actions, mais qui n’a pas continué à agir de même, d’une manière conforme à sa dignité de vase d’honneur, soit dans un autre siècle un vase de déshonneur ; pareillement il peut se faire que celui qui, par suite de causes antérieures à cette vie, est devenu ici-bas un vase de déshonneur, se corrige et devienne dans la création nouvelle un vase d’honneur, sanctifié et utile au maître, préparé pour toute oeuvre bonne. Et peut-être les Israélites de maintenant, parce qu’ils n’ont pas vécu d’une façon digne de leur noble origine, ne seront plus de cette race, de vases d’honneur devenant des vases de déshonneur ; et beaucoup de ceux qui sont maintenant des Égyptiens ou des Iduméens, s’agrégeant à Israël, à cause des fruits nombreux qu’ils produiront, entreront dans l’Église du Seigneur et on ne les comptera plus parmi les Égyptiens et les Iduméens, mais ils seront des Israélites. Ainsi de cette façon, selon les orientations de la volonté, certains progressent du pire au meilleur, d’autres tombent du meilleur dans le pire, d’autres encore restent dans le bien ou montent du bien au mieux, d’autres enfin restent dans le mal, ou par l’effusion de leur malice de mauvais deviennent pires. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Il faut voir maintenant selon les Écritures comment les puissances contraires et le diable lui-même combattent le genre humain, le provoquant et l’incitant au péché. D’abord le Livre de la Genèse rapporte que le serpent séduisit Eve ; dans l’Ascension de Moïse, livre que mentionne dans son épître l’apôtre Jude, l’archange Michel se disputant avec le diable au sujet du corps de Moïse dit que ce serpent, inspiré par le diable, fut cause de la prévarication d’Adam et d’Eve. Mais certains se demandent aussi quel est l’ange qui du ciel parle à Abraham en ces termes : Maintenant je sais que tu crains Dieu et que tu n’as pas épargné ton fils bien-aimé, que tu aimais, à cause de moi. Il est écrit clairement qu’il s’agit d’un ange, qui dit savoir alors qu’Abraham craignait Dieu et n’avait pas épargné son fils bien-aimé, comme l’Écriture le dit, mais il n’a pas déclaré (qu’Abraham avait fait cela) pour Dieu, mais pour lui, c’est-à-dire pour celui qui parlait ainsi. Il faut se demander aussi de qui parle l’Exode quand il est dit que ce personnage voulut tuer Moïse parce qu’il partait pour l’Egypte. Mais ensuite quel est l’ange dit exterminateur et celui qui est appelé dans le Lévitique apopompaeus, c’est-à-dire celui qui emporte, et dont l’Écriture dit : Un sort pour le Seigneur et un sort pour l’apopompaeus – c’est-à-dire pour celui qui emporte. Mais dans le premier Livre des Rois il est écrit qu’un esprit très mauvais suffoquait Saul. Dans le troisième Livre des Bois, le prophète Michée dit : J’ai vu le Dieu d’Israël siégeant sur son trône et toute la milice du ciel se tenait autour de lui à sa droite et à sa gauche. Et le Seigneur dit: Qui trompera Achab, roi d’Israël, pour qu’il monte et tombe à Ramot de Galaad. Et celui-ci parla ainsi et celui-là parla ainsi. Mais un esprit sortit (de la foule), se tint devant le Seigneur et dit: Je le tromperai. Et le Seigneur lui dit: Comment ? Il répondit: J’irai et je serai un esprit menteur dans la bouche de tous ses prophètes. Le Seigneur lui dit: Tu le tromperas, certainement tu le pourras ; va donc et agis ainsi. Et maintenant le Seigneur a mis un esprit menteur dans la bouche de tous tes prophètes ; et le Seigneur a appelé sur toi le mal. Cela montre clairement qu’un esprit a choisi avec toute sa volonté et son propos de tromper et d’opérer le mensonge, et que Dieu s’est servi de cet esprit pour la mort d’Achab qui méritait de souffrir tout cela. Dans le premier Livre des Paralipomènes : Le diable suscita un Satan en Israël et il poussa David à recenser le peuple. D’après les Psaumes, un ange malin écrase certaines personnes. Dans l’Ecclésiaste, Salomon dit : Si l’esprit de celui qui a le pouvoir monte sur toi, ne quitte pas ta place, parce que la guérison arrêtera des péchés nombreux. Nous lisons dans Zacharie que le diable se tenait à la droite de Jésus et lui résistait. Isaïe dit que le glaive de Dieu se lève sur le dragon, le serpent pervers. Que dirai-je d’Ézéchiel prophétisant très clairement dans sa seconde vision au prince de Tyr au sujet d’une puissance contraire, lui qui dit aussi que le dragon habite dans les fleuves d’Egypte ? Tout le livre qui parle de Job parle-t-il d’autre chose que du diable, demandant que lui soit donné pouvoir sur tout ce que possède Job, y compris ses fils, et même sur son corps. Et cependant, il est vaincu par la patience de Job. Dans ce livre, le Seigneur par ses réponses nous a instruits abondamment sur la puissance de ce dragon qui nous est hostile. Voici les textes de l’Ancien Testament qui ont pu pour le moment se présenter à notre mémoire : ils affirment que des puissances contraires sont mentionnées dans les Écritures, s’opposent au genre humain et seront finalement punies. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Les pensées qui viennent de notre coeur – la mémoire des actes passés ou la réflexion sur quelque chose ou cause que ce soit -, nous constatons que tantôt elles viennent de nous-mêmes, tantôt elles sont soulevées par les puissances adverses, parfois aussi elles sont mises en nous par Dieu et les saints anges. Mais tout cela paraîtra peut-être fabuleux, si ce n’est pas prouvé par des témoignages venant de la divine Écriture. Les pensées qui naissent de nous-mêmes, David les atteste quand il dit dans les Psaumes: La pensée de l’homme te louera et le reste de ses pensées célébrera pour toi un jour de fête. Celles qui viennent habituellement des puissances contraires, Salomon dans l’Ecclésiaste en témoigne ainsi : Si l’esprit de celui qui a le pouvoir monte sur toi, ne quitte pas ta place, parce que la guérison arrêtera des péchés nombreux. Et l’apôtre Paul lui aussi en donne témoignage en ces termes : Détruisant les pensées et tout orgueil qui se dresse contre la connaissance du Christ. Que cela vienne aussi de Dieu, David l’atteste pareillement dans les Psaumes : Bienheureux l’homme que tu t’attaches, Seigneur, il a des élévations dans son coeur. Et l’Apôtre dit que Dieu a mis dans le coeur de Tite. Que certaines pensées peuvent être suggérées aux coeurs des hommes par des anges, bons ou mauvais, cela est indiqué par l’ange qui accompagne Tobie et par ces paroles du prophète : Et l’ange qui parlait en moi répondit. Le livre du Pasteur affirme de même que deux anges accompagnent chaque homme : lorsque de bonnes pensées montent dans notre coeur, elles sont suggérées selon lui par le bon ange, et si ce sont des pensées contraires, elles sont soulevées par l’ange mauvais. Barnabé enseigne la même doctrine dans son épître lorsqu’il parle de deux voies, celle de la lumière et celle des ténèbres, auxquelles certains anges sont préposés : à la voie de la lumière des anges de Dieu, à la voie des ténèbres des anges de Satan. Mais il ne faut pas penser que ce qu’ils suggèrent à nos coeurs, qu’il s’agisse des bonnes ou des mauvaises pensées, produise autre chose qu’un mouvement ou un stimulant qui nous pousse au bien ou au mal. Nous avons la possibilité, lorsqu’une puissance maligne s’est mise à nous provoquer au mal, de rejeter loin de nous ces suggestions mauvaises, de résister à leurs persuasions perverses et de ne faire absolument rien de coupable ; et en revanche aussi celle de ne pas suivre la puissance divine qui nous invite à agir mieux, car le pouvoir du libre arbitre reste sauf dans l’un et l’autre cas. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Nous disions plus haut que soit la providence divine soit les puissances contraires peuvent aussi éveiller en nous des souvenirs concernant le bien ou le mal. Cela est montré par le Livre d’Esther : Artaxerxès ne se rappelait pas les bonnes actions du très juste Mardochée, mais alors qu’il était harcelé par des insomnies nocturnes, Dieu mit en sa mémoire l’inspiration de réclamer les livres contenant le récit de ses chroniques : mis alors au courant des services rendus par Mardochée il fît pendre son ennemi Aman, lui fit rendre des honneurs magnifiques et sauva toute la nation sainte menacée par un péril imminent. C’est au contraire la puissance du diable, il faut le penser, qui remit en mémoire aux pontifes et aux scribes ce qu’ils allèrent dire à Pilate : Seigneur, nous nous sommes souvenus de ce que ce séducteur a dit quand il était encore vivant: le troisième jour après je ressusciterai. Lorsque Judas eut l’idée de livrer le Sauveur, elle ne venait pas seulement de son intelligence mauvaise : l’Écriture atteste en effet que le diable avait mis dans son coeur le désir de le livrer. C’est pourquoi Salomon a donné un bon précepte lorsqu’il a dit : Garde ton coeur de toute manière. De même l’apôtre Paul en disant : Nous devons accorder une plus grande attention à ce que nous entendons pour ne pas nous égarer, et : Ne donnez pas de place au diable: il montre par là que certaines actions et une certaine négligence spirituelle donnent de la place au diable qui, une fois entré dans notre coeur, nous possède, ou du moins souille notre âme s’il ne peut la posséder complètement, en lançant en nous ses traits enflammés ; par là, tantôt il nous blesse, d’une blessure qui descend dans nos profondeurs, tantôt seulement il nous enflamme. Il arrive rarement que quelques-uns, peu nombreux, réussissent à éteindre ses traits enflammés, de sorte que l’on ne trouve plus trace de la blessure, et cela se produit lorsqu’on est protégé, comme par une fortification très solide, par le bouclier de la foi. Cela est dit réellement dans l’Épître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de malice qui sont dans les deux. Il faudra comprendre de la sorte le mot nous, c’est-à-dire moi, Paul, et vous, Ephésiens, et tous ceux qui n’ont pas à lutter contre la chair et le sang : ce sont eux en effet qui ont à lutter contre les principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Il n’en était pas de même à Corinthe où l’on avait à lutter contre la chair et le sang : les Corinthiens n’étaient pas sujets à la tentation, si ce n’est à une tentation humaine. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Il me paraît logique de rechercher pourquoi l’âme humaine est tantôt mue par les bons esprits, tantôt par les mauvais. Je soupçonne que les causes en sont antérieures à notre naissance corporelle, comme le montre Jean, s’agitant et exultant dans le sein de sa mère, lorsque la voix de la salutation de Marie parvint aux oreilles de sa mère Elisabeth, et comme le déclare le prophète Jérémie qui, avant d’être façonné dans le sein de sa mère, était connu de Dieu, avant de sortir de la matrice fut sanctifié par lui et reçut, encore enfant, la grâce de la prophétie. Et en revanche il est montré clairement que certains ont été possédés par des esprits ennemis dès leur premier âge, c’est-à-dire qu’ils sont nés ayant déjà leur démon ; d’autres ont été devins étant enfants, comme le garantit l’histoire, d’autres ont subi dès leur jeune âge l’action du démon nommé Python, c’est-à-dire ventriloque. A tout cela, ceux qui déclarent que la providence de Dieu régit tout ce qui est dans ce monde – c’est là aussi une affirmation de notre foi, à ce qu’il me semble – ne pourront répondre autre chose que ce qui suit, pour montrer la providence divine indemne de toute faute d’injustice : il faut dire qu’il y a eu certaines causes antécédentes qui, avant que les âmes ne naissent dans des corps, les ont rendues coupables dans leurs pensées et dans leurs mouvements, au point de mériter de souffrir cela au jugement de la providence divine. Car l’âme possède toujours son libre arbitre, qu’elle soit dans ce corps ou en dehors de ce corps ; le libre arbitre est attiré toujours soit au bien soit au mal, et jamais le sens de la raison, c’est-à-dire l’intelligence ou âme, ne peut rester sans mouvement, bon ou mauvais. Que ces mouvements soient causes de mérites, c’est vraisemblable, même avant qu’ils n’agissent en ce monde ; ainsi, selon ces causes et ces mérites, dès la naissance, bien mieux, pour ainsi parler, avant même la naissance, la divine providence a réglé que les hommes subiraient du bien ou du mal. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Tout cela est dit de ce qui paraît arriver à l’homme dès la naissance et même avant qu’il ne vienne à la lumière du jour. De tout ce qui est suggéré par des esprits divers à l’âme, c’est-à-dire aux pensées de l’homme, et le pousse au bien et au mal, il faut penser qu’il y a parfois des causes antécédentes à la naissance corporelle. Tantôt l’intelligence vigilante, rejetant d’elle le mal, s’attire l’aide des bons esprits ; ou au contraire, négligente et lâche, elle ne se tient guère sur ses gardes et donne place à ces esprits qui, comme des larrons machinant leurs embûches en cachette, s’arrangent pour faire irruption dans les intelligences humaines, lorsqu’ils voient que la paresse leur a fait place, comme le dit l’apôtre Pierre : Votre adversaire le diable tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer. C’est pourquoi il faut garder de toute façon notre coeur jour et nuit et ne pas donner place au diable, mais faire tout ce qu’il faut pour que les ministres de Dieu, à savoir ces esprits envoyés au service de ceux qui sont appelés à hériter du salut, trouvent en nous une place et se réjouissent d’entrer dans le gîte de notre âme : habitant chez nous, c’est-à-dire en notre coeur, ils nous dirigeront par des conseils meilleurs, si toutefois ils trouvent l’habitacle de notre coeur orné des parures de la vertu et de la sainteté. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Maintenant je pense qu’il ne faut pas passer sous silence les tentations qui naissent parfois de la chair et du sang ou de la prudence de la chair et du sang, dite ennemie de Dieu, puisque nous avons déjà parlé de ces tentations qui sont traitées de plus qu’humaines, les luttes que nous menons contre principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres et les esprits de méchanceté qui sont aux deux et celles que nous poursuivons contre les esprits malins ou les démons immondes. En cela il faut se demander, je crois, s’il y a en nous, hommes, qui sommes composés d’une âme et d’un corps et aussi d’un esprit de vie, quelque chose d’autre qui possède un stimulant qui lui est propre et un mouvement nous poussant au mal. C’est ainsi que certains se posent habituellement la question suivante : ne faut-il pas parler de deux âmes en nous, l’une plus divine et céleste et l’autre inférieure ; ou bien est-ce, parce que nous sommes attachés à des corps – des corps qui selon leur nature propre sont morts et tout à fait inanimés puisque c’est par nous, c’est-à-dire par nos âmes que le corps matériel est vivifié, alors qu’il est assurément en opposition et en inimitié avec l’esprit – que nous sommes attirés et poussés vers ces maux qui sont agréables au corps ; ou bien encore, troisième solution, suivant l’opinion de quelques Grecs, est-ce que notre âme, une par sa substance, est composée de plusieurs éléments, une partie dite rationnelle et une partie irrationnelle, cette partie dite irrationnelle se divisant de nouveau en deux tendances, la convoitise et la colère. Ces trois opinions susdites concernant l’âme ont été tenues, nous le savons, par certains. De ces trois, celle qui professe selon quelques philosophes grecs, avons-nous dit, le tripartisme de l’âme, je ne la vois guère confirmée par le témoignage de la divine Écriture ; quant aux deux autres qui restent, on peut trouver certaines affirmations dans les lettres divines qui paraissent pouvoir s’y adapter. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section

Je pense que cette expression attribuée à Dieu être tout en tout signifie aussi qu’il sera tout en chaque être. Il sera tout en chaque être en ce sens que tout ce qu’une intelligence raisonnable, purifiée de toutes les ordures des vices et nettoyée complètement de tous les nuages de la malice, peut sentir, comprendre et croire, tout cela sera Dieu, et elle ne fera rien d’autre que sentir Dieu, penser Dieu, voir Dieu, tenir Dieu, Dieu sera tous ses mouvements : et c’est ainsi que Dieu lui sera tout. Il n’y aura plus de discernement du mal et du bien, car il n’y aura plus de mal – Dieu en effet lui est tout, lui en qui il n’y a pas de mal – et celui-là ne désirera plus manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui est toujours dans le bien et à qui Dieu est tout. Si donc la fin restituée selon la condition initiale et la consommation des choses rapportée à leur début restaureront l’état qu’avait alors la nature raisonnable, quand elle n’avait pas besoin de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, après avoir écarté tout sentiment de malice, l’avoir nettoyé pour parvenir à la propreté et à la pureté, celui-là seul qui est l’unique Dieu bon lui deviendra tout et il sera tout, non seulement en quelques-uns, ni en beaucoup, mais en tous, quand il n’y aura plus de mort, plus d’aiguillon de la mort, et absolument plus de mal : alors Dieu sera vraiment tout en tous. Mais cette perfection et cette béatitude des natures raisonnables, certains pensent qu’elle perdurera dans l’état dont nous avons parlé, c’est-à-dire celui où tous les êtres possèdent Dieu et où Dieu est pour eux tout, si leur union avec la nature corporelle ne les en éloigne pas du tout. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section

Après avoir indiqué succinctement que les Écritures divines sont inspirées par Dieu, il faut discourir sur la manière de les lire et de les comprendre, car beaucoup de faux pas sont commis parce que beaucoup n’ont pas trouvé la voie par laquelle il faut parcourir les divines lectures. Ceux de la circoncision à cause de leur dureté de coeur et de leur peu de compréhension n’ont pas cru en notre Sauveur, parce qu’ils pensent qu’il faut suivre la lettre des prophéties le concernant et qu’ils ne le voient pas de façon sensible prêcher aux prisonniers la rémission, ni bâtir celle qu’ils croient être vraiment la ville de Dieu, ni détruire les chars d’Éphraïm et les chevaux de Jérusalem, ni manger le beurre et le miel et avant de connaître et de choisir le mal élire le bien. Ils ont pensé encore que, selon la prophétie, un loup, l’animal quadrupède, devait paître avec un agneau, et une panthère se reposer avec un chevreau, qu’un veau, un taureau et un lion devaient paître ensemble et être menés par un petit enfant, qu’une vache et une ourse devaient paître ensemble et leurs petits être élevés les uns avec les autres, qu’un lion mangerait de la paille comme un boeuf et, n’ayant vu rien de cela se réaliser sensiblement à la venue de celui que nous croyons le Christ, ils n’ont pas accepté notre Seigneur Jésus, mais ils l’ont crucifié parce qu’il affirmait qu’il était le Christ, contrairement à la loi. Quant aux hérétiques, quand ils lisent : Un feu est allumé par ma colère ; je suis un Dieu jaloux, punissant les péchés des pères sur les fils jusqu’à la troisième et quatrième génération; je me suis repenti d’avoir oint Saul comme roi ; Je suis un Dieu qui fais la paix et qui produis le mal ; et ailleurs : Il n’y a pas dans la ville de mal que le Seigneur n’ait pas produit; et encore : Le mal descendit d’auprès du Seigneur sur les portes de Jérusalem ; Un esprit mauvais venant de Dieu étouffait Saul; et bien d’autres choses semblables, n’ont pas osé cependant ne pas croire que les Écritures étaient d’un Dieu, mais ils ont cru qu’elles étaient du créateur adoré par les Juifs et ils ont pensé que, puisque ce créateur était imparfait et non bon, le Sauveur était venu annoncer un Dieu plus parfait, qu’ils disent différent du créateur, ayant des sentiments divers à son égard. Une fois qu’ils se sont éloignés du créateur, qui est le seul Dieu inengendré, ils se sont adonnés à des inventions, fabriquant eux-mêmes des suppositions mythiques sur la création des réalités visibles et sur celle d’autres non visibles que leur âme a représentées en figures. Mais, certes, les plus simples aussi de ceux qui sont fiers d’appartenir à l’Église n’ont pas accepté d’autre Dieu plus grand que le Créateur, agissant en cela sainement ; cependant ils acceptent à son sujet ce qu’ils ne supporteraient pas du plus cruel et du plus injuste des hommes. Pour tous ceux dont nous venons de parler, la cause de ces fausses opinions, de ces impiétés et de ces paroles stupides au sujet de Dieu ne semble pas être autre chose que le fait de ne pas comprendre l’Écriture dans son sens spirituel, mais de l’interpréter selon la lettre seule. C’est pourquoi, à ceux qui sont persuadés que les livres saints ne sont pas des écrits d’hommes, mais qu’ils ont été rédigés par l’inspiration de l’Esprit Saint d’après la volonté du Père de l’univers par le moyen de Jésus Christ et qu’ainsi ils sont venus jusqu’à nous, il faut montrer ce qui nous paraît la méthode convenable pour les comprendre, pour ceux qui tiennent à la règle de l’Église céleste de Jésus-Christ transmise par la succession des apôtres. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté un jardin en Eden du côté de l’orient et a fait dans ce jardin un arbre de vie visible et sensible, de sorte que celui qui a goûté de son fruit avec des dents corporelles reçoive la vie? Et de même que quelqu’un participe au bien et au mal pour avoir mâché le fruit pris à cet arbre. Si Dieu est représenté se promenant le soir dans le jardin et Adam se cachant sous l’arbre, on ne peut douter, je pense, que tout cela, exprimé dans une histoire qui semble s’être passée, mais ne s’est pas passée corporellement, indique de façon figurée certains mystères. Quant à Caïn fuyant de devant la face de Dieu, selon l’avis clair des gens compétents, ce passage amènera celui qui réfléchit à se demander qu’est-ce que la face de Dieu et qu’est-ce que fuir de devant elle. Qu’y a-t-il à ajouter à cela ? Ceux dont l’intelligence n’est pas tout à fait obtuse peuvent recueillir bon nombre de choses semblables, qui sont représentées comme si elles s’étaient passées, alors qu’elles ne se sont pas passées littéralement. Mais les Évangiles aussi sont pleins d’expressions de cette espèce : le diable a porté Jésus sur une haute montagne pour lui montrer de là-haut les royaumes du monde entier et leur gloire. Quand on lit cela sans superficialité, ne blâmera-t-on pas ceux qui pensent qu’avec l’oeil du corps, qui a besoin d’une certaine hauteur pour apercevoir ce qui est placé plus bas, on peut voir les royaumes des Perses, des Scythes, des Indiens et des Parthes, et la gloire que leurs souverains reçoivent des hommes ? Celui qui cherche l’exactitude peut observer d’autres expressions semblables en très grand nombre dans les Évangiles et admettre que, dans les histoires qui se sont passées selon la lettre, sont tissées d’autres histoires qui ne se sont pas passées. Si nous en venons à la législation de Moise, nombreuses sont les lois, pour autant qu’on puisse l’observer par soi-même, qui manifestent des illogismes, ou même des impossibilités. Des commandements déraisonnables, lorsqu’il est interdit de manger des vautours, car même dans les plus grandes famines personne n’a été forcé par la pénurie d’en arriver à manger un tel animal. Lorsqu’il est ordonné d’exterminer de la race les enfants de huit jours qui n’ont pas été circoncis, il faudrait, s’il fallait qu’une telle législation ait été donnée au sens littéral, ordonner que leurs pères ou ceux qui les élèvent soient mis à mort. Or l’Écriture dit : Tout mâle incirconcis, qui n’a pas été circoncis le huitième jour, sera exterminé de la race. Si vous voulez voir des préceptes impossibles, remarquons que le tragélaphe est un animal qui ne peut pas exister, et cependant, puisqu’il est pur, Moïse ordonne de le prendre pour nourriture ; on ne dit pas que le griffon soit jamais tombé sous la main des hommes et cependant le législateur défend de le manger. A propos du sabbat dont on parle tant, si on réfléchit sur le précepte : Vous serez assis chacun dans sa maison; que personne ne quitte sa place le septième jour, il est impossible de l’observer selon la lettre, car aucun vivant ne peut rester assis toute la journée et demeurer sans mouvement après qu’il s’est assis. C’est pourquoi ceux qui appartiennent à la circoncision et tous ceux qui refusent de voir quelque chose de supérieur à la lettre n’ont jamais commencé à se poser des questions sur quelques points, comme en ce qui concerne le tragélaphe, le griffon et le vautour ; mais sur d’autres ils radotent, parlant beaucoup et inutilement, rapportant des traditions insipides, comme lorsqu’ils disent au sujet du sabbat que l’espace concédé à chacun pour ses déplacements est de deux mille coudées. D’autres, comme Dosithée le Samaritain, tout en blâmant de telles explications, pensent que l’on doit rester jusqu’au soir dans la position dans laquelle on a été surpris par le jour du sabbat. Mais il est impossible de ne pas lever de fardeau le jour du sabbat: c’est pourquoi les docteurs des Juifs en sont venus à des bavardages interminables, disant que tel genre de soulier est un fardeau mais non pas tel autre, que la sandale à clous est un fardeau et non celle qui n’en a pas, que ce qui est porté sur une épaule est un fardeau et non ce qui l’est sur les deux. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

On ne doit pas penser que nous affirmons ainsi qu’il y avait dans le Christ une partie de la divinité du Fils de Dieu, le reste se trouvant ailleurs ou partout : ceux qui peuvent penser ainsi ignorent la nature de la substance incorporelle et invisible. Il est impossible de parler d’une partie de l’incorporel ou qu’il y ait en lui une division ; mais il est en tout et à travers tout et au-dessus de tout, de la manière indiquée plus haut, c’est-à-dire qu’il est compris comme Sagesse, Parole, Vie et Vérité, compréhension qui exclut sans aucun doute qu’il soit enfermé dans un lieu. Donc le Fils de Dieu, voulant se montrer aux hommes et vivre parmi eux pour le salut du genre humain, a reçu non seulement, comme certains le pensent, un corps humain, mais aussi une âme, semblable par sa nature aux nôtres, mais semblable à lui, le Fils, par son propos et sa vertu, de façon qu’elle puisse accomplir sans aucune défaillance toutes les volontés et tous les desseins de la Parole et de la Sagesse. Qu’il ait possédé une âme, le Sauveur lui-même l’affirme très clairement dans les Évangiles : Personne ne m’enlève mon âme, mais c’est moi qui la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai le pouvoir de la reprendre. Et pareillement : Mon âme est triste jusqu’à la mort. Ou encore : Maintenant mon âme est troublée. Il ne faut pas entendre dans cette âme triste et troublée la Parole de Dieu, qui dit par contre avec l’autorité de la divinité : J’ai le pouvoir de déposer mon âme. Nous ne disons pas non plus que le Fils de Dieu se soit trouvé dans cette âme comme il fut dans les âmes de Paul, de Pierre ou des autres saints, dans lesquels on croit que le Christ a parlé comme en Paul. Mais de tous ceux-ci il faut penser ce que dit l’Écriture : Personne n’est pur de souillure, même si sa vie n’a duré qu’un jour. Mais au contraire l’âme qui fut en Jésus, avant de connaître le mal, a choisi le bien; et parce qu’elle a aimé la justice et haï l’iniquité, à cause de cela Dieu l’a ointe de l’huile d’allégresse plus que ses compagnes. Elle a été ointe de l’huile d’allégresse lorsqu’elle fut jointe à la Parole de Dieu par une union sans tache et, à cause de cela, seule de toutes les âmes, elle a été incapable de pécher, puisqu’elle a contenu le Fils de Dieu d’une manière bonne et pleine ; c’est pourquoi elle est un avec lui, on la nomme des mêmes vocables que lui et on l’appelle Jésus-Christ, par qui, dit l’Écriture, tout a été fait. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

C’est de cette âme, parce qu’elle avait reçu en elle toute la Sagesse de Dieu, toute sa Vérité et sa Vie, que l’Apôtre, à mon avis, a dit : Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu; lorsque le Christ, votre vie, sera apparu, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire. Que faut-il entendre ici par le Christ qui est montré caché en Dieu et devant apparaître, sinon celui qui, comme on le rapporte, a été oint de l’huile d’allégresse, c’est-à-dire a été rempli, dans sa substance même, de Dieu, dans lequel on le dit maintenant caché ? C’est pourquoi le Christ est donné en exemple à tous les croyants, puisque toujours, et avant même de connaître, le moins que ce soit, le mal, il a choisi le bien, aimé la justice et haï l’iniquité et, pour cette raison, fut oint par Dieu de l’huile d’allégresse ; ainsi, que celui qui a péché ou erré se purifie de ses taches selon l’exemple proposé et que, l’ayant pour guide de sa route, il avance sur le dur chemin de la vertu, pour que par là, dans la mesure du possible, nous soyons faits en l’imitant participants de la nature divine, selon ce qui est écrit : Celui qui dit qu’il croit au Christ doit se conduire comme lui il s’est conduit. Donc cette Parole (Raison) et cette Sagesse, que nous imitons quand nous sommes dits sages ou raisonnables, se fait toutes choses à tous pour les gagner tous : il devient faible avec les faibles pour gagner les faibles. Et parce qu’il est devenu faible, il est dit de lui : Même s’il a été crucifié par faiblesse, il vit cependant de la force de Dieu. En fait, parmi les Corinthiens qui étaient faibles, Paul juge qu’il ne connaît rien quand il est avec eux, sinon Jésus-Christ et encore crucifié. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section