Ernst Benz (CHKC) – Knorr von Rosenroth

Christian Knorr von Rosenroth (1636-1689) avait approché la Kabbale par deux voies différentes. S’étant appliqué dès ses jeunes années à étudier la langue et la littérature hébraïques, il entra pour la première fois en contact — lors d’un voyage d’études qu’il entreprit au cours des années 1663-1666 aux Pays-Bas, en France et en Angleterre — avec des milieux kabbalistiques juifs établis en Hollande, et plus particulièrement à Amsterdam où vivaient alors Thomas di Pinedo et Isaac di Rocamora. Là, il allait étudier la Kabbale, de façon approfondie, auprès du Rabbin Meïr Stern, président de la synagogue des juifs allemands originaires de Francfort-sur-le-Main. II est probable que cet intérêt pour la Kabbale était motivé, dès cette époque, en partie par des intentions missionnaires ; il régnait alors, en effet, dans les conventicules piétistes (les « réduits », comme on les appelait aux Pays-Bas), un esprit missionnaire particulièrement ardent.

Par la suite, Knorr von Rosenroth allait connaître, en Angleterre, une forme de Kabbale chrétienne qui était, de son côté, étroitement liée au néo-platonisme kabbalistico-chrétien de la Renaissance italienne, et tout particulièrement à la tradition de Pic de la Mirandole. Il y rencontra en effet les deux principaux kabbalistes chrétiens de l’époque : Henry More (1614-1687), chef de l’école platonicienne de Cambridge; et l’ami de celui-ci, Franciscus Mercurius van Helmont (1618-1699), fils du fameux médecin néerlandais Baptista van Helmont. Auprès de ces penseurs, il allait pouvoir se familiariser avec un système de philosophie religieuse reliant entre eux de façon très étroite la Kabbale juive, la philosophie néoplatonicienne, les sciences naturelles modernes et, dans une mesure non négligeable, les idées théosophiques de Jacob Boehme. Tant auprès de Henry More qu’auprès de van Helmont, Knorr von Rosenroth trouva exprimées ces deux idées-forces qui allaient l’inciter à s’intéresser de plus près encore à la Kabbale : d’une part, l’idée que celle-ci était une sorte de Révélation originelle qui avait accompagné, depuis l’origine du monde, en tant que science secrète et ésotérique, toute l’évolution spirituelle de l’humanité ; et d’autre part, la conviction que les religions juive et chrétienne étaient identiques entres elles du point de vue de leur noyau ésotérique, autrement dit que la Kabbale juive contenait déjà les vérités de la foi chrétienne et avait pour objectif de les faire prévaloir.

La Cabbala Denudata de Knorr von Rosenroth est, pour l’essentiel, un commentaire du Zohar. Ce dernier livre est l’écrit le plus important de la Kabbale juive ; pendant de nombreux siècles, il fut considéré, à côté de l’Ancien Testament et du Talmud, comme l’un des écrits canoniques du judaïsme. Selon la tradition talmudique, il fut rédigé par Rabbi Siméon ben Yohai qui vécut au second siècle de l’ère chrétienne et mourut quelques années après la destruction de Jérusalem. Knorr von Rosenroth, tout comme les autres kabbalistes chrétiens de l’époque et en particulier Henry More et F.M. van Helmont, attribuaient eux aussi à ce personnage historique la rédaction du Zohar ; ceci explique l’affirmation, assez fréquemment répétée dans leurs oeuvres, selon laquelle l’auteur du Zohar était un contemporain de l’apôtre Paul.

Par ailleurs, la tradition talmudique fournit une explication biographique assez curieuse du caractère inspiré et visionnaire du Zohar. D’après cette tradition, Rabbi Siméon ben Yohai avait été dénoncé, auprès de l’autorité romaine, par un autre rabbin pour s’être exprimé de façon méprisante au sujet de la culture romaine. Craignant des persécutions, Siméon ben Yohai s’était réfugié dans une caverne avec son fils ; là, ils s’étaient enfouis dans le sable jusqu’au cou, et allaient passer leurs journées entières à étudier la Loi. Un caroubier, ayant poussé miraculeusement dans la caverne, et une source d’eau, allaient leur permettre de rester en vie.

Selon ladite légende, c’est dans cette caverne que Rabbi Siméon ben Yohai et son fils auraient reçu, au cours d’une méditation qui se serait prolongée pendant douze ans, la révélation des vérités spirituelles exposées plus tard dans le Zohar. Au bout de ces douze ans, le prophète Elie se serait un jour présenté à l’entrée de la caverne et leur aurait crié : « Qui informera Siméon ben Yohai que César est mort, et qu’il peut maintenant revenir ? » Alors, dit la légende, « ils sortirent et virent les hommes qui labouraient et semaient ».

Ernst Benz, CHKC