divinité (Orígenes)

Il ne faut pas se représenter Dieu comme s’il était un corps ou comme s’il était dans un corps, mais comme une nature intellectuelle simple, qui ne souffre absolument aucun ajout : ne croyons pas qu’il y ait en lui du plus ou du moins, car il est entièrement une monade, et, pour ainsi parler, une hénade, une intelligence qui est la source d’où procède toute nature intellectuelle ou toute intelligence. Pour se mouvoir et pour agir, l’intelligence n’a pas besoin de lieu corporel, ni de grandeur sensible, ni de figure corporelle, ni de couleur, ni absolument de rien qui soit propre au corps et à la matière. C’est pourquoi cette nature simple, tout entière intelligence, pour se mouvoir et agir, ne peut rien avoir qui la retarde ou la fasse hésiter. S’il en était autrement, ce qui lui serait ajouté limiterait et inhiberait en quelque façon la simplicité de la nature divine : ce qui est le principe de toutes choses serait composé et divers, multiple et non un; il importe en effet qu’il soit étranger à toute adjonction corporelle pour être constitué seulement par ce que je pourrais appeler l’espèce unique de la divinité. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Si tu me demandes ma pensée au sujet du Fils unique, désirant savoir si même à lui la nature divine n’est pas visible, elle qui est naturellement invisible, que ceci ne te paraisse pas aussitôt impie ou absurde : nous allons en donner de suite la raison. Autre chose est de voir, autre chose de connaître. Voir et être vu sont le propre des corps ; connaître et être connu, de la nature intellectuelle. Tout ce qui est le propre des corps, on ne peut l’attribuer au Père ni au Fils; ce qui appartient à la nature de la divinité est commun au Père et au Fils. C’est pourquoi ce dernier n’a pas dit dans son Évangile : personne ne voit le Père si ce n’est le Fils, ni le Fils si ce n’est le Père, mais : Personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père, ni le Père si ce n’est le Fils. On voit par là clairement qu’aux mots « voir » et « être vu » parmi les natures corporelles correspondent, en ce qui concerne le Père et le Fils, les mots « connaître » et « être connu », ce qui se fait par la force de la connaissance et non par la faiblesse de la visibilité. Puisqu’on ne peut attribuer en propre à la nature incorporelle et invisible les termes « voir » et « être vu », l’Évangile ne dit pas que le Père est vu par le Fils et le Fils par le Père, mais qu’ils sont connus l’un par l’autre. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Pour comprendre plus pleinement comment le Sauveur est une figure de la substance ou subsistance de Dieu, prenons un exemple qui, sans exprimer complètement ni proprement ce dont il s’agit, est choisi cependant parce que le Fils qui était sous la forme de Dieu s’est dépouillé de lui-même et, par ce dépouillement, a cherché à nous montrer la plénitude de la divinité. Supposons qu’on ait fait une statue tellement grande qu’elle contiendrait par sa grandeur le monde entier et qu’elle ne pourrait être vue de personne à cause de son immensité, et qu’on ait fait aussi une seconde statue, en tout semblable à l’autre par la configuration des membres et les traits du visage, par la forme et la matière, sans être cependant aussi grande : ceux qui ne pourraient pas examiner et contempler la première à cause de son immensité pourraient du moins, en voyant la petite, croire qu’ils ont vu la grande, puisqu’elles seraient absolument semblables par le dessin des membres et du visage, par la forme et la matière. Pareillement le Fils, se dépouillant de son égalité avec le Père pour nous montrer le chemin de la connaissance, devient la figure et expression de sa substance : ainsi, nous qui ne pouvons regarder la gloire de la pure lumière qui se trouve dans la grandeur de sa divinité, par le fait qu’il en devient pour nous le rayonnement, nous recevons le moyen de voir la lumière divine en contemplant son rayonnement. Cette comparaison des deux statues, appliquée à des objets matériels, ne doit avoir de sens que le suivant : le Fils de Dieu, inséré dans la forme minuscule d’un corps humain, indiquait en lui-même, par suite de la similitude de ses oeuvres et de sa puissance, la grandeur infinie et invisible de Dieu le Père présent en lui et c’est pourquoi il disait à ses disciples : Qui m’a vu a vu le Père, et : Le Père et moi nous sommes un. Dans le même sens il faut comprendre : Le Père est en moi et moi dans le Père. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Que personne ne pense qu’en disant que l’Esprit Saint n’est donné qu’aux saints, tandis que les bienfaits et l’action du Père et du Fils parviennent aux bons et aux mauvais, aux justes et aux injustes, nous mettons le Saint Esprit au-dessus du Père et du Fils et nous lui attribuons une plus grande dignité : cela manquerait tout à fait de conséquence. Car nous avons décrit le caractère propre de sa grâce et de son action. Cependant il n’est pas question de plus ou de moins dans la Trinité, puisque une unique source de divinité gouverne l’univers par sa Parole et sa Raison et sanctifie par l’Esprit (le souffle) de sa bouche tout ce qui est digne de sanctification, comme il est écrit dans le Psaume : Par la Parole du Seigneur les deux ont été affermis et par l’Esprit (le souffle) de sa bouche toute leur puissance. C’est en effet une opération principale de Dieu le Père en plus de celle par laquelle il donne à tous les êtres d’exister selon leur nature. Il y a aussi un ministère principal du Seigneur Jésus-Christ à l’égard de ceux à qui il confère d’être raisonnables par nature, ministère par lequel il leur accorde en outre de bien l’être. Il y a encore une autre grâce de l’Esprit Saint attribuée à ceux qui en sont dignes, par le ministère du Christ, par l’opération du Père, d’après le mérite de ceux qui en sont faits capables. C’est ce qu’indiqué très clairement l’apôtre Paul, montrant qu’il y a une seule et même puissance de la Trinité quand il dit : Les dons sont différents, mais l’Esprit est le même; les ministères sont différents, mais le Seigneur est le même; les actions sont différentes, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. A chacun il est donné de manifester l’Esprit selon ce qui convient. Il explique par là très clairement qu’il n’y a dans la Trinité aucune séparation, mais que ce qui est appelé don de l’Esprit, vient du ministère du Fils et est opéré par Dieu le Père : Tout est l’oeuvre d’un seul et même Esprit, répartissant à chacun comme il veut. Après ces mises au point sur l’unité du Père, du Fils et du Saint Esprit, revenons à ce que nous avons commencé de discuter. Dieu le Père donne à tous les êtres l’existence, mais la participation du Christ selon qu’il est Parole – ou Raison – les rend raisonnables. Ils s’ensuit qu’ils sont dignes de louange ou d’accusation parce qu’ils sont capables de vertu ou de malice. En conséquence la grâce de l’Esprit Saint est en eux pour rendre saints par sa participation ceux qui ne le sont pas par leur substance. Puisqu’ils ont reçu d’abord de Dieu le Père l’être, ensuite de la Parole la rationalité, en troisième lieu du Saint Esprit la sainteté, ils deviennent en revanche capables de recevoir le Christ en tant qu’il est la Justice de Dieu, ceux qui ont été déjà auparavant sanctifiés par l’Esprit Saint; et ceux qui ont mérité de parvenir à ce degré par la sanctification reçue de l’Esprit Saint, obtiennent néanmoins le don de sagesse par la vertu de l’action de l’Esprit de Dieu. C’est, je pense, ce que dit Paul lorsqu’il écrit qu’à certains est donnée la parole de sagesse, à d’autres la parole de connaissance selon le même Esprit. Et désignant chaque sorte de dons, il rapporte toutes choses à la source de l’univers par ces mots : Les opérations sont différentes, mais c’est un seul Dieu qui opère tout en tous. Par là, l’action du Père qui donne l’existence à tous apparaît plus brillante et plus magnifique, lorsque chacun, en participant au Christ en tant que Sagesse, Connaissance et Sanctification, se perfectionne et monte dans son progrès à des degrés supérieurs. Sanctifié par la participation au Saint Esprit, on devient ainsi de plus en plus pur, on reçoit plus dignement la grâce de la sagesse et de la connaissance, et en rejetant toutes les taches de la souillure et de l’ignorance et en s’en nettoyant, on en arrive à un tel progrès de pureté, qu’ayant reçu de Dieu l’existence, on parvient à être digne de Dieu, qui donne d’être d’une manière pure et parfaite : tellement que la créature devient aussi digne que l’est celui qui l’a créée. Ainsi celui qui est tel que l’a voulu son créateur comprendra par l’action de Dieu que sa puissance existe toujours et demeure éternellement. Pour que cela se produise et pour que les créatures adhèrent sans fin et sans séparation possible à celui qui est, c’est l’oeuvre de la Sagesse de les enseigner et de les conduire à la perfection par l’Esprit Saint qui les affermit et les sanctifie continuellement, condition qui seule rend possible la réception de Dieu. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Nous voyons ce qu’est la fin, lorsque tous les ennemis seront soumis au Christ, lorsque le dernier ennemi sera détruit, la mort, et lorsque la royauté sera transmise à Dieu le Père par le Christ à qui tout a été soumis : à partir de cette fin, dis-je, examinons les commencements des choses. La fin est en effet toujours semblable au commencement : et c’est pourquoi, de même que la fin de toutes choses est l’unité, de même il faut comprendre que le commencement de tout est l’unité. Comme cette fin unique est celle de nombreux êtres, ainsi à partir d’un commencement unique, il y a beaucoup de différences et de variétés qui de nouveau, par la bonté de Dieu, la soumission du Christ et l’unité de l’Esprit Saint, sont ramenées à une seule fin semblable au début. Il s’agit de tous ceux qui, fléchissant le genou devant Jésus, donnent par là témoignage de leur soumission, parmi les êtres célestes, terrestres et infernaux : ces trois catégories désignent tout l’univers, c’est-à-dire ceux qui, à partir d’un commencement unique, se comportant de façon variée chacun de son propre mouvement, ont été répartis en divers ordres selon leur mérite ; car la bonté n’était pas en eux de façon substantielle, comme en Dieu, dans son Christ et dans le Saint Esprit. Dans cette Trinité seule, qui est l’auteur de tout, la bonté est présente de façon substantielle : tous les autres êtres ont une bonté accidentelle et qui peut défaillir ; ils sont donc dans la béatitude quand ils participent à la sainteté, à la sagesse et à la divinité elles-mêmes. Si cependant ils négligent cette participation et ne s’en occupent pas, alors par la faute de leur propre paresse, l’un plus tôt, l’autre plus tard, un troisième plus ou moins profondément, chacun devient pour lui-même cause de sa chute et de sa déchéance. Et puisque, comme nous l’avons dit, cette chute ou cette déchéance, qui éloigne chacun de son état, se produit avec une très grande diversité selon les mouvements de l’intelligence et de la volonté qui font pencher vers le bas, l’un plus légèrement, l’autre plus lourdement, en cela le jugement de la providence de Dieu est juste, car il atteint chacun selon la diversité de ses mouvements dans la mesure de son éloignement et de son agitation. Certes, parmi ceux qui sont restés dans l’état initial, que nous avons décrit semblable à la fin à venir, les uns obtiennent par eux-mêmes dans l’ordonnance et le gouvernement de l’univers le rang des anges, d’autres celui des Vertus, d’autres celui des Principautés, d’autres celui des Puissances – par là évidemment ils exercent leur puissance sur ceux qui ont besoin d’avoir la puissance sur leur tête -, d’autres l’ordre des Trônes, ayant la charge de juger et de diriger ceux qui en ont besoin, d’autres la Domination, sans aucun doute sur des serviteurs : tout cela leur est accordé par la divine providence selon un jugement équitable et juste, d’après leur mérite et leurs progrès, qui les ont fait croître dans la participation et l’imitation de Dieu. Mais ceux qui se sont écartés de l’état de béatitude première, non cependant de façon irrémédiable, sont soumis aux ordres saints et bienheureux que nous avons décrits plus haut, pour être gouvernés et dirigés, afin que, s’ils usent de leur aide, s’ils se réforment d’après leurs instructions et leurs doctrines salutaires, ils puissent revenir à leur état bienheureux et y être rétablis. C’est avec ceux-ci, autant que je puisse le penser, qu’a été constitué cet ordre du genre humain, qui assurément dans le siècle futur ou dans les siècles qui surviendront, lorsqu’il y aura selon Isaïe un ciel nouveau et une terre nouvelle, sera rétabli dans cette unité que promet le Seigneur Jésus lorsqu’il dit à Dieu le Père au sujet de ses disciples : Ce n’est pas pour eux seuls que je te prie, mais pour tous ceux qui croiront par leur parole en moi, afin que tous soient un, comme moi je suis en toi, Père, et toi en moi, afin que ceux-ci soient un en nous. Il ajoute : Afin qu’ils soient un, comme nous, nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient eux-mêmes consommés en un. L’apôtre Paul lui aussi le confirme : Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi pour former l’homme parfait, dans la mesure de la pleine maturité du Christ. Et de même cet apôtre nous exhorte, alors que nous sommes encore dans la vie présente, dans l’Église, où se trouve assurément la figure du royaume à venir, à une unité semblable à celle-là : Afin que vous disiez tous les mêmes choses et qu’il n’y ait pas parmi vous de dissensions, afin que vous soyez parfaits dans une seule et même pensée, dans une seule et même opinion. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Mais puisque certains sont troublés de ce que les chefs de cette hérésie paraissent avoir séparé le juste du bon, déclarant que le juste est une chose et le bon une autre, et ont appliqué cette distinction à la divinité, affirmant que le Dieu Père de notre Seigneur Jésus-Christ est bon et non juste et que le Dieu de la loi et des prophètes est juste et non bon, je juge nécessaire de répondre à cette question le plus brièvement possible. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Après tant de si grandes considérations sur la nature du Fils de Dieu, nous sommes saisis d’une stupéfaction extrême en voyant que cette nature qui dépasse toutes les autres, se vidant de sa condition de majesté, s’est faite homme et a vécu parmi les hommes, comme l’atteste la grâce répandue sur ses lèvres, comme en rend témoignage le Père céleste et comme l’ont confirmé les signes, prodiges et miracles divers qu’elle a opérés. Avant d’être présent à nous comme il l’a montré par son corps, il a envoyé les prophètes, précurseurs et annonciateurs de sa venue ; après son ascension dans les cieux, il a fait circuler par toute la terre les saints apôtres remplis de la puissance de sa divinité, hommes inexpérimentés et ignorants venus du milieu des publicains ou des pêcheurs, pour rassembler de toutes les nations et de toutes les populations un peuple d’hommes pieux croyant en lui. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Mais après toutes ces merveilles et magnificences, la capacité d’étonnement de l’intelligence humaine est complètement dépassée et la fragilité d’un entendement mortel ne voit pas comment elle pourrait penser et comprendre que cette Puissance si grande de la majesté divine, cette Parole du Père lui-même, cette Sagesse de Dieu dans laquelle ont été créés tout le visible et tout l’invisible, ait pu, comme il faut le croire, exister dans les étroites limites d’un homme qui s’est montré en Judée, et bien mieux que la Sagesse de Dieu ait pénétré dans la matrice d’une femme, soit née comme un petit enfant, ait émis des vagissements à la manière des nourrissons qui pleurent; et ensuite qu’elle ait été troublée par sa mort, comme on le rapporte et comme Jésus le reconnaît lui-même : Mon âme est triste jusqu’à la mort; et enfin qu’elle ait été conduite à la mort que les hommes jugent la plus indigne, bien qu’elle soit ressuscitée le troisième jour après. Tantôt nous voyons en lui certains traits humains qui paraissent ne différer en rien de la fragilité commune des mortels, tantôt des traits si divins qu’ils ne conviennent à personne d’autre qu’à la nature première et ineffable de la divinité : aussi l’entendement humain reste immobile par suite de son étroitesse et frappé d’une telle stupéfaction qu’il ignore où aller, que tenir, vers où se tourner. Pense-t-il le Dieu, il voit le mortel. Pense-t-il l’homme, il l’aperçoit, ayant vaincu le règne de la mort, revenir des morts avec ses dépouilles. C’est pourquoi ce mystère doit être contemplé en toute crainte et révérence pour montrer en un seul et même être la vérité de chaque nature, afin de ne rien penser d’indigne et d’indécent sur cet être substantiel divin et ineffable, ni juger au contraire que ce qu’il a fait soit l’illusion d’une imagination fausse. Exposer cela à des oreilles humaines et l’expliquer par des paroles excède de beaucoup les possibilités de notre mérite, de notre talent et de notre discours. Je juge que cela dépasse même la mesure des saints apôtres : bien mieux l’explication de ce mystère est peut-être au-dessus des puissances célestes de toute la création. Ce n’est pas cependant par témérité, mais parce que la suite du développement le demande, que nous exposerons en peu de mots, plutôt ce que notre foi contient que ce que les assertions de la raison humaine pourraient revendiquer, en présentant davantage ce que nous supposons que des affirmations manifestes. Donc le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, le visible et l’invisible, comme nous l’a appris plus haut cette discussion, a fait toute chose, selon l’attestation de l’Écriture, et aime tout ce qu’il a fait. Car, alors que du Dieu invisible il est lui-même l’image invisible, il a donné à toutes les créatures raisonnables de participer à lui de telle sorte que chaque créature adhère à lui par le sentiment de l’amour dans la mesure où elle participe davantage à lui. Mais puisque la faculté du libre arbitre a mis une variété et une diversité parmi les intelligences, les unes ayant un amour plus ardent envers leur créateur, les autres un amour plus faible et plus chétif, cette âme, dont Jésus dit : Personne ne m’ôte mon âme, adhérant à lui depuis sa création et dans la suite d’une manière inséparable et indissociable, comme à la Sagesse et à la Parole de Dieu, à la Vérité et à la Vraie Lumière, le recevant tout entier en elle tout entière et se changeant en sa lumière et en sa splendeur, est devenue avec lui dans son principe un seul esprit, de même que l’apôtre a promis à ceux qui devaient imiter cette âme que : Celui qui se joint au Seigneur est un seul esprit avec lui. De cette substance de l’âme servant d’intermédiaire entre un Dieu et la chair – car il n’était pas possible que la nature d’un Dieu se mêlât à la chair sans médiateur – naît, comme nous l’avons dit, le Dieu-Homme : cette substance était l’intermédiaire, car il n’était pas contre nature pour elle d’assumer un corps. Et de même il n’était pas contre nature que cette âme, substance raisonnable, puisse contenir Dieu, puisque, nous l’avons dit plus haut, elle s’était déjà toute changée en lui, comme en la Parole, la Sagesse et la Vérité. C’est pourquoi, à bon droit, parce qu’elle était tout entière dans le Fils de Dieu ou qu’elle contenait tout entier en elle le Fils de Dieu, elle est appelée elle-même, avec la chair qu’elle a assumée, Fils de Dieu et Puissance de Dieu, Christ et Sagesse de Dieu ; et réciproquement, le Fils de Dieu par qui tout a été créé est nommé Jésus-Christ et Fils de l’homme. Car on dit que le Fils de Dieu est mort, à savoir à cause de cette nature qui pouvait parfaitement recevoir la mort ; et il est appelé Fils de l’homme, celui que l’on prêche comme devant venir dans la gloire de Dieu le Père avec les saints anges. Pour cette raison, dans toute l’Écriture la divine nature est appelée par des vocables humains et la nature humaine est ornée des titres réservés à Dieu. Dans ce cas plus que dans tout autre, on peut dire ce qui est écrit : Ils seront les deux dans une chair une: désormais ils ne sont plus deux, mais une chair une. Car la Parole de Dieu est bien plus avec son âme dans une chair une que ce que l’on pense du mari avec son épouse. Mais à qui convient-il mieux d’être un seul esprit avec Dieu qu’à cette âme qui s’est si bien jointe à Dieu par l’amour qu’elle peut être dite à bon droit un seul esprit avec lui. La perfection de l’amour et la sincérité d’une affection pure ont fait l’unité inséparable de cette âme avec un Dieu, tellement que l’assomption de cette âme n’est pas le produit du hasard ni le résultat d’une partialité envers une personne, mais vient du mérite de ses vertus. C’est ce que dit le prophète s’adressant à elle : Tu as aimé la justice et haï l’iniquité: c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a ointe de l’huile de joie plus que tes participants. A cause du mérite de son amour elle est ointe de l’huile de joie, c’est-à-dire l’âme avec la Parole de Dieu devient le Christ. Etre oint de l’huile de joie ne veut pas dire autre chose qu’être rempli de l’Esprit Saint. Ce qui est dit : plus que tes participants, indique que la grâce de l’Esprit ne lui a pas été donnée comme aux prophètes, mais qu’elle avait en elle la plénitude substantielle de la Parole de Dieu, selon l’Apôtre : En qui habite corporellement la plénitude de la divinité. Et enfin il n’est pas dit seulement : Tu as aimé la justice, mais : Et tu as haï l’iniquité. Haïr l’iniquité revient à ce que l’Écriture dit du Christ : Il n’a pas commis de péché et on n’a pas trouvé de ruse dans sa bouche, et : Il a été éprouvé en tout de manière semblable sans péché. Mais le Seigneur lui-même dit : Qui de vous me convainc de péché ? De nouveau il dit de lui-même : Voici que vient le prince de ce monde et en moi il ne trouve rien. Tout cela montre qu’il n’y a en lui aucune pensée de péché. Le prophète exprime avec plus de clarté encore que jamais aucune pensée d’iniquité n’est entrée en lui quand il dit : Avant que l’enfant ait su appeler son père ou sa mère, il s’est détourné de l’iniquité. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Voici ce qui s’est maintenant présenté, à notre esprit en traitant de questions si difficiles, de l’incarnation et de la divinité du Christ. Certes, si quelqu’un peut trouver mieux et confirmer ce qu’il dit par des affirmations plus évidentes prises aux saintes Écritures, que l’on reçoive ses paroles plutôt que les miennes. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

C’est donc le moment de disserter un peu dans la mesure de nos forces sur l’Esprit Saint que notre Seigneur et Sauveur dans l’Évangile selon Jean a nommé le Paraclet. De même qu’il y a un seul et même Dieu et un seul et même Christ, de même il y a un seul et même Saint Esprit qui fut aussi bien chez les prophètes que chez les apôtres, chez ceux qui ont cru en Dieu avant la venue du Christ et chez ceux qui par le Christ ont pris refuge en Dieu. Si, comme nous l’avons entendu, les hérétiques ont osé parler de deux Dieux et de deux Christs, nous n’avons jamais appris que quelqu’un ait prêché deux Saints Esprits. Comment pourraient-ils affirmer cela à partir des Écritures ou quelle distinction pouvaient-ils faire entre un Saint Esprit et un autre Saint Esprit, en supposant qu’on puisse définir en quelque façon ou décrire le Saint Esprit ? Car même si on accorde à Marcion et à Valentin qu’on puisse introduire des distinctions dans la divinité et décrire différemment la nature du bon et celle du juste, comment imaginer et inventer des distinctions à l’intérieur de l’Esprit Saint ? Je pense qu’ils n’ont rien pu trouver qui indique une distinction quelconque. Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique

Il y a de nombreuses manières de comprendre le Christ, car, bien qu’il soit, certes, la Sagesse, il n’opère pas ni n’accomplit en tous les effets de la Sagesse, mais seulement en ceux qui s’adonnent en lui à la sagesse ; s’il est appelé médecin, il n’agit pas envers tous comme médecin, mais seulement envers ceux qui, ayant compris qu’ils sont malades, se réfugient dans sa miséricorde pour obtenir la santé. Je pense de même du Saint Esprit en qui se trouve toute la nature des dons. Aux uns en effet est fournie par l’Esprit la parole de sagesse, aux autres la parole de connaissance, à d’autres la foi; et ainsi, en chacun de ceux qui peuvent le recevoir, l’Esprit lui-même prend la forme dont a besoin celui qui a mérité de participer à lui et se fait comprendre de cette façon. Mais, sans remarquer ces distinctions et ces différences, certains, entendant qu’il est nommé Paraclet dans l’Évangile, ne réfléchissant pas à l’activité et au rôle qui le font appeler Paraclet, l’ont comparé à je ne sais quels esprits vils et ont tenté de troubler par là les Églises du Christ, au point d’engendrer des dissensions non négligeables parmi les frères. Mais l’Évangile lui confère une si grande puissance et majesté que, selon lui, les apôtres ne pouvaient encore comprendre ce que voulait leur enseigner le Sauveur, avant la venue de l’Esprit Saint qui, se répandant dans leurs âmes, les éclairerait sur la nature de la Trinité et sur la foi en elle. Mais ces hérétiques, à cause de l’incapacité de leur intelligence qui les empêche non seulement d’exposer avec logique ce qui est exact, mais encore de prêter l’oreille à ce que nous disons, pensent de la divinité de l’Esprit Saint des choses inférieures à sa dignité et se sont livrés à l’erreur et à la tromperie, déformés par des esprits erronés plutôt qu’instruits par les enseignements du Saint Esprit, selon cette parole de l’apôtre : Suivant la doctrine des esprits démoniaques qui défendent de se marier, pour la perte et la ruine de beaucoup, et obligent à contretemps de s’abstenir des nourritures, pour séduire les âmes des innocents en faisant montre d’une observance plus stricte. Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique

Puisque nous sommes en train de traiter des puissances contraires et de la manière dont elles mènent des combats contre nous, ces puissances qui insinuent dans les intelligences humaines une fausse connaissance et séduisent les âmes, alors que celles-ci pensent avoir trouvé la sagesse, il me paraît nécessaire de discerner et de distinguer ce qu’est la sagesse de ce monde et ce qu’est la sagesse des princes de ce monde, pour que nous puissions ainsi remarquer qui sont les pères de cette sagesse, ou mieux de ces sagesses. Je pense donc, comme on l’a dit plus haut, que la sagesse de ce monde est autre chose que les sagesses qui sont des princes de ce monde : c’est par cette sagesse, semble-t-il, que l’on conçoit et comprend ce qui est de ce monde. Rien en elle ne peut nous donner quelque idée de la divinité, de la nature du monde, ou de tout ce qui est d’un ordre plus élevé, ni même de la manière dont on peut mener une vie bonne et bienheureuse ; elle est de même nature, par exemple, que la poésie, la grammaire, la rhétorique, la musique, on peut y ajouter peut-être aussi la médecine. Dans tous ces arts, croyons-nous, est présente la sagesse du monde. Nous entendons par sagesse des princes de ce monde ce qu’on appelle la philosophie mystérieuse et occulte des Égyptiens, l’astrologie des Chaldéens, la sagesse des Indiens, qui promettent la connaissance des réalités supérieures, et aussi les opinions multiples et variées des Grecs sur la divinité. Nous voyons donc dans les Écritures saintes qu’il y a des princes au-dessus de chaque nation : ainsi nous lisons dans Daniel qu’il y a un prince du royaume des Perses et un prince du royaume des Grecs, et la logique même de son texte montre à l’évidence qu’il ne s’agit pas d’hommes, mais de certaines puissances. Dans le prophète Ézéchiel il est indiqué très clairement que le prince de Tyr est une puissance spirituelle. Ces princes de ce monde et les autres du même genre, ayant chacun leur sagesse, professant leurs doctrines et des opinions diverses, lorsqu’ils virent notre Seigneur et Sauveur promettre dans sa prédication qu’il était venu en ce monde pour détruire toutes les doctrines relevant de ce qui est faussement appelé connaissance, ignorant quelle était sa personnalité cachée, lui ont aussitôt tendu des embûches. En effet, les rois de la terre se sont dressés et les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ. Ayant connu leurs embûches et compris celles qu’ils ont machinées contre le Fils de Dieu lorsqu’ils ont crucifié le Seigneur de la gloire, l’Apôtre dit : Nous parlons de la sagesse entre parfaits, la sagesse non de ce monde, ni des princes de ce monde qui sont détruits, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue. S’ils l’avaient connue, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de majesté. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Il y a aussi, outre ces princes, certaines forces de ce monde, c’est-à-dire des puissances spirituelles, consacrées à un certain genre d’action, qu’elles ont choisi elles-mêmes conformément à leur libre arbitre et parmi elles se trouvent ces esprits qui agissent sur la sagesse de ce monde : par exemple une force ou puissance particulière inspire la poésie, une autre la géométrie, et ainsi animent-elles chaque art ou discipline de ce genre. Aussi de nombreux Grecs ont pensé qu’il ne pouvait y avoir de poésie sans folie ; et leurs histoires rapportent que parfois ceux qu’ils appellent vates sont soudain envahis par un esprit de folie. Que dire encore de ceux qu’ils nomment devins et qui, par l’opération des démons qui les gouvernent, profèrent des oracles dans des vers modulés avec art. Mais ceux qu’ils disent magiciens ou auteurs de maléfices, parfois après avoir invoqué les démons sur des enfants encore petits, leur ont fait dire des poèmes dignes de plonger tout le monde dans l’étonnement et la stupéfaction. Tout se passe de la même façon que lorsque des âmes saintes et sans tache, qui se sont vouées à Dieu de toute leur volonté et en toute pureté, qui se sont tenues à l’écart de toute contagion démoniaque, qui se sont purifiées par une grande abstinence et se sont instruites des doctrines pieuses et religieuses, ont acquis par là une participation à la divinité et ont mérité de recevoir la grâce de la prophétie et de tous les autres dons divins ; de même, il faut le penser, ceux qui se sont livrés aux puissances contraires, et cela par leur activité, leur vie et un zèle en leur faveur qui leur est agréable, reçoivent leur inspiration et deviennent participants à leur sagesse et à leur doctrine. Il s’ensuit qu’ils deviennent les sujets de leurs opérations, puisqu’ils se sont d’abord assujettis à leur esclavage. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Mais puisque, quand nous discutons de réalités si nombreuses et si importantes, il ne suffit pas de nous confier entièrement aux pensées humaines et aux conceptions communes et, pour ainsi dire, de nous prononcer de mais que nous prenons en outre pour faire la démonstration de ce que nous disons des témoignages venant des Écritures que nous croyons divines, celle qui est dite l’Ancien Testament et celle qui est appelée le Nouveau, nous tentons d’affermir notre foi par la raison et nous n’avons pas encore établi la divinité des Écritures. Permettez que nous nous expliquions un peu, comme en résumé, sur ce sujet, exposant pour cela ce qui nous pousse à considérer les Écritures comme divines. Et d’abord, avant d’utiliser les Écritures elles-mêmes et tout ce qui y est exprimé, il nous faut discuter de Moïse et de Jésus-Christ, du législateur des Hébreux et de l’auteur des doctrines salvatrices du Christianisme. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

En montrant succinctement ce qui regarde la divinité de Jésus, en nous servant des paroles prophétiques qui le concernent, nous montrons que les Écritures qui ont prophétisé à son sujet étaient inspirées par Dieu, ainsi que les écrits qui ont annoncé sa venue, qui ont rapporté un enseignement donné avec puissance et autorité et qui pour cela a dominé sur ceux qui ont été élus parmi les nations. Il faut dire que l’inspiration divine des paroles prophétiques et le caractère spirituel de la loi de Moïse apparurent d’une manière éclatante avec la venue de Jésus. Il n’était pas très possible de présenter des exemples clairs de l’inspiration divine des anciennes Écritures avant la venue du Christ ; mais la venue de Jésus a mené ceux qui pouvaient supposer que la loi et les prophètes n’étaient pas divins à constater avec évidence qu’ils avaient été écrits à l’aide d’une grâce céleste. Celui qui étudie avec soin et attention les écrits prophétiques ressentira à leur lecture une trace d’enthousiasme et ce sentiment le persuadera que ce que nous croyons être les paroles de Dieu ne sont pas des écrits d’hommes. Et la lumière que contient la loi de Moïse, cachée auparavant sous le voile, a brillé avec la venue de Jésus qui a écarté le voile et a fait connaître peu à peu les biens dont la lettre possédait l’ombre. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Ce serait un gros travail de passer en revue les prophéties très anciennes concernant chacune des réalités futures, afin que celui qui doute, frappé de leur inspiration divine, rejette toute hésitation et tout ce qui le tire en arrière et se donne de toute son âme aux paroles de Dieu. Mais si le caractère surhumain des pensées (de l’Écriture) pour ceux qui ne sont pas instruits n’apparaît guère dans la lettre de chaque passage, il n’y a là rien d’étonnant : en effet, en ce qui concerne les oeuvres de la providence qui s’étend à tout l’univers, certaines apparaissent très clairement en tant qu’oeuvres de la Providence, mais d’autres sont cachées pour rendre possible l’incroyance envers le Dieu qui gouverne toutes choses avec un art et une puissance indicibles. La manière dont opère le Dieu provident n’est pas aussi claire quand il s’agit des réalités terrestres que quand il s’agit du soleil, de la lune ou des étoiles, mais elle n’est pas non plus aussi claire en ce qui concerne les événements humains que quand il s’agit des âmes et des corps des animaux, car le pourquoi et la finalité peuvent être parfaitement trouvés par ceux que cela intéresse, au sujet des instincts, des imaginations et des natures des animaux et de la constitution des corps. Mais la Providence n’est pas victime d’une banqueroute à cause de nos ignorances aux yeux de ceux, du moins, qui l’ont une fois pour toutes bien acceptée ; il en est de même de la divinité de l’Écriture, qui s’étend à toute l’Écriture, bien que notre faiblesse ne puisse faire ressortir dans chacune de ses expressions la splendeur cachée des doctrines qui est déposée dans une lettre vile et méprisable : Nous avons en effet ce trésor dans des vases d’argile afin qu’éclaté la démesure de la puissance de Dieu et qu’on ne pense pas qu’elle vienne de nous, les hommes. En effet, si les méthodes de démonstration dont les hommes ont l’habitude et qui sont consignées dans les livres avaient convaincu l’humanité, on soupçonnerait avec raison notre foi d’avoir pour origine la sagesse des hommes et non la puissance de Dieu ; mais maintenant, pourvu qu’on lève les yeux, il est clair que la parole et la prédication tiennent leur pouvoir sur la foule, non des expressions persuasives de la sagesse, mais de la manifestation de l’esprit et de la puissance. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Tout homme qui se soucie de vérité ne doit guère s’occuper des mots et des paroles, car dans chaque nation il y a des usages divers concernant les mots ; il doit porter plutôt son attention sur ce qui est signifié que sur les mots qui le signifient, surtout quand il s’agit de réalités si hautes et si difficiles. Par exemple, lorsqu’on se demande s’il existe une substance à laquelle on ne peut attribuer ni couleur ni forme ni toucher ni grandeur, une substance que seule l’intelligence peut percevoir et que chacun nomme comme il veut : car les Grecs l’ont appelée asômaton, c’est-à-dire incorporelle, tandis que les divines Écritures la disent invisible, puisque l’Apôtre affirme que Dieu est invisible : il dit en effet que le Christ est l’image du Dieu invisible. Mais il dit pareillement que par le moyen du Christ tout a été créé, le visible et l’invisible. Il affirme par là qu’il y a parmi les créatures des substances invisibles selon leur nature propre. Mais ces dernières, quoique non corporelles, se servent cependant de corps, bien qu’elles soient supérieures à la nature corporelle. Mais la substance de la Trinité, principe et cause de toutes choses, de laquelle et dans laquelle tout existe, il faut croire qu’elle n’est pas un corps, ni dans un corps, mais totalement incorporelle. Tout cela nous l’avons dit brièvement, comme par digression, menés par la suite logique du développement : cela suffît à montrer qu’il y a des réalités dont la signification ne peut être expliquée adéquatement par aucun mot d’un langage humain, mais qui sont affirmées plutôt par un acte plus simple de l’intelligence que par les expressions les plus exactes. Cette règle aussi doit guider la compréhension des divines Écritures, afin d’estimer ce qui est dit non d’après le peu de valeur du style, mais selon la divinité de l’Esprit Saint qui en a inspiré la rédaction. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Récapitulation sur le Père, le Fils l’Esprit Saint et les autres points qui ont été traités plus haut: Le moment est venu, après avoir parcouru selon nos forces tout ce qui a été dit plus haut, de récapituler en guise de rappel chacun des points que nous avons traités séparément et d’abord de revenir sur le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Puisque Dieu le Père est invisible et inséparable de son Fils, il n’a pas engendré le Fils par prolation comme certains le pensent. En effet si le Fils est une prolation du Père, comme ce mot de prolation exprime une génération semblable au mode ordinaire de reproduction des animaux ou des hommes, il faut nécessairement que celui qui a mis au jour et celui qui a été mis au jour soient corps. Nous ne disons donc pas, comme le pensent les hérétiques, qu’une partie de la substance de Dieu se soit changée en fils ou que le Fils a été procréé par le Père à partir de rien, c’est-à-dire en dehors de sa substance, de telle sorte qu’il fut un moment où il n’était pas, mais nous disons, en supprimant toute signification corporelle, que la Parole et Sagesse est née du Père invisible et incorporel, sans que rien ne se produise corporellement, comme la volonté procède de l’intelligence. Il ne paraîtra pas absurde, puisqu’il est appelé fils de la charité, de penser qu’il est pareillement fils de la volonté. Mais Jean indique aussi que Dieu est lumière, et Paul montre que le Fils est le rayonnement de la lumière éternelle. De même que jamais la lumière n’a pu exister sans son rayonnement, de même le Fils ne peut être compris sans le Père, lui qui est appelé l’empreinte et l’expression de sa substance, sa Parole et sa Sagesse. Comment peut-il être dit qu’il fut un moment où le Fils n’aurait pas été ? Cela revient à dire qu’il fut un moment où la Vérité n’aurait pas été, où la Sagesse n’aurait pas été, où la Vie n’aurait pas été, alors que dans tous ces aspects est dénombrée parfaitement la substance du Père. Ils ne peuvent pas être séparés de lui et ne peuvent jamais être séparés de sa substance. Bien qu’on dise qu’ils sont multiples sous le regard de l’intelligence, ils sont un par leur substance et en eux se trouve la plénitude de la divinité. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Si quelqu’un disait que, par l’intermédiaire de ceux qui participent à la Parole de Dieu, ou à sa Sagesse, sa Vérité et sa Vie, la Parole et la Sagesse mêmes paraissent être dans un lieu, il faut répondre que sans aucun doute le Christ, en tant que Parole, Sagesse et les autres dénominations, se trouvait dans Paul, et c’est pourquoi ce dernier disait : Ou bien cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ ? et de même : Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Mais alors, lorsqu’il était en Paul, peut-on douter qu’il se trouvait pareillement en Pierre, en Jean et dans chacun des saints, et pas seulement dans ceux qui sont sur terre, mais aussi dans ceux qui sont dans les cieux ? Il est absurde en effet de dire que le Christ était en Pierre et en Paul, mais non dans l’archange Michel ou dans Gabriel. On saisit là clairement que la divinité du Fils n’était pas enfermée dans un lieu, autrement il aurait été seulement en celui-ci et non en un autre ; mais, puisqu’il n’est pas enfermé dans un lieu selon la majesté de la nature incorporelle, il faut comprendre qu’il ne manque aussi à aucun. La seule différence qu’il faille remarquer est que, bien qu’il soit en des êtres divers, en Pierre ou Paul ou Michel ou Gabriel comme nous l’avons dit, il n’est pas de la même façon en tous. Il se trouve plus pleinement, plus glorieusement, et pour ainsi dire plus ouvertement dans les archanges que dans les autres hommes saints. Cela est clair, puisque, lorsque tous les saints seront arrivés au sommet de la perfection, on dit qu’ils seront faits semblables aux anges et égaux à eux, selon la parole évangélique. C’est pourquoi il est clair que le Christ est formé en chacun selon que le permet la mesure de ses mérites. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Après cela, nous rappellerons dûment la venue corporelle et l’incarnation du Fils Unique de Dieu. Il ne faut pas comprendre que toute la gloire de sa divinité a été enfermée dans l’enceinte d’un tout petit corps, de sorte que toute la Parole de Dieu, sa Sagesse, sa Vérité qui est substance, sa Vie, ont été arrachés au Père et ont été contraints de se circonscrire dans la petitesse de ce corps, sans qu’on puisse penser que par la suite ils aient aussi agi ailleurs ; mais la profession de foi doit se garder prudemment de deux excès : de croire d’une part que quelque chose de la divinité aurait manqué dans le Christ et de penser par ailleurs qu’il se serait produit comme un arrachement de la substance du Père qui est partout. Car Jean le Baptiste exprime aussi quelque chose de semblable lorsqu’il disait aux foules, alors que Jésus était absent corporellement : Au milieu de vous se tient celui que vous ignorez, qui est venu après moi et dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie des chaussures. Il ne pouvait pas dire de quelqu’un qui était absent en ce qui concerne sa présence corporelle qu’il se tenait au milieu d’eux, alors qu’il n’était pas là corporellement. Cela montre que le Fils de Dieu était présent tout entier dans son corps et tout entier partout. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

On ne doit pas penser que nous affirmons ainsi qu’il y avait dans le Christ une partie de la divinité du Fils de Dieu, le reste se trouvant ailleurs ou partout : ceux qui peuvent penser ainsi ignorent la nature de la substance incorporelle et invisible. Il est impossible de parler d’une partie de l’incorporel ou qu’il y ait en lui une division ; mais il est en tout et à travers tout et au-dessus de tout, de la manière indiquée plus haut, c’est-à-dire qu’il est compris comme Sagesse, Parole, Vie et Vérité, compréhension qui exclut sans aucun doute qu’il soit enfermé dans un lieu. Donc le Fils de Dieu, voulant se montrer aux hommes et vivre parmi eux pour le salut du genre humain, a reçu non seulement, comme certains le pensent, un corps humain, mais aussi une âme, semblable par sa nature aux nôtres, mais semblable à lui, le Fils, par son propos et sa vertu, de façon qu’elle puisse accomplir sans aucune défaillance toutes les volontés et tous les desseins de la Parole et de la Sagesse. Qu’il ait possédé une âme, le Sauveur lui-même l’affirme très clairement dans les Évangiles : Personne ne m’enlève mon âme, mais c’est moi qui la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai le pouvoir de la reprendre. Et pareillement : Mon âme est triste jusqu’à la mort. Ou encore : Maintenant mon âme est troublée. Il ne faut pas entendre dans cette âme triste et troublée la Parole de Dieu, qui dit par contre avec l’autorité de la divinité : J’ai le pouvoir de déposer mon âme. Nous ne disons pas non plus que le Fils de Dieu se soit trouvé dans cette âme comme il fut dans les âmes de Paul, de Pierre ou des autres saints, dans lesquels on croit que le Christ a parlé comme en Paul. Mais de tous ceux-ci il faut penser ce que dit l’Écriture : Personne n’est pur de souillure, même si sa vie n’a duré qu’un jour. Mais au contraire l’âme qui fut en Jésus, avant de connaître le mal, a choisi le bien; et parce qu’elle a aimé la justice et haï l’iniquité, à cause de cela Dieu l’a ointe de l’huile d’allégresse plus que ses compagnes. Elle a été ointe de l’huile d’allégresse lorsqu’elle fut jointe à la Parole de Dieu par une union sans tache et, à cause de cela, seule de toutes les âmes, elle a été incapable de pécher, puisqu’elle a contenu le Fils de Dieu d’une manière bonne et pleine ; c’est pourquoi elle est un avec lui, on la nomme des mêmes vocables que lui et on l’appelle Jésus-Christ, par qui, dit l’Écriture, tout a été fait. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section