Climacus: affection

26. Il me semble qu’on peut très exactement comparer un homme qui n’obéit que par un motif de crainte, aux parfums qu’on fait brûler: ils répandent d’abord une odeur agréable, mais ensuite on ne trouve plus qu’une fumée fatigante; que celui qui se soumet par le motif d’une récompense, est semblable à une meule de moulin, qui ne tourne que d’une seule façon; mais que ceux qui, par affection et par amour pour Dieu, abandonnent le monde pour embrasser les voies étroites d’une vie religieuse, se trouvent tout-à-coup embrasés du feu sacré de la charité; et comme la fureur et l’activité du feu naturel augmentent à mesure qu’il s’étend dans une forêt où il a pris; de même, à mesure que la flamme du divin amour s’étend dans leurs coeurs, elle y produit un heureux incendie. PREMIER DEGRÉ

39. D’ailleurs Dieu, dans sa Sagesse et sa Bonté infinies, prend un soin particulier de ceux qui ne font que de s’engager à son service : Il adoucit Lui-même leurs peines et leurs travaux, afin que le premier choc et le premier assaut qu’ils ont à soutenir, ne soient pas trop violents et ne les portent pas à rentrer dans le siècle. Généreux serviteurs de Dieu, cette assurance ne doit-elle pas vous remplir de joie et d’allégresse ? ne trouvez-vous pas, dans cette conduite admirable du Seigneur une preuve incontestable de son affection et de sa tendresse pour vous, et un témoignage assuré que c’est Lui qui vous a fait entrer dans ce genre de vie ? PREMIER DEGRÉ

3. En effet, si notre divin Sauveur nous assure que “personne n’est bon prophète dans son propre pays” (Jn 4,44) c’est pour nous avertir de prendre garde qu’en renonçant à notre patrie, nous ne le fassions que pour la trouver réellement dans la vaine gloire que nous nous proposerions dans la fuite du monde; car la fuite du monde n’est rien d’autre qu’une séparation franche et véritable de toutes les choses de la terre, de manière que notre âme soit invariablement unie à Dieu et ne s’en sépare jamais. Elle doit essentiellement produire et soutenir en nous la douleur et le repentir de nos fautes. Il s’est donc séparé du siècle, celui qui a renoncé à toute affection charnelle pour les siens, et pour les choses qui sont étrangères à son, nouvel état. TROISIÈME DEGRÉ

6. Il est du plus grand mérite devant Dieu de s’être dépouillé de toute affection pour les choses de la terre; et c’est la fuite du monde qui nous met dans cet heureux état. TROISIÈME DEGRÉ

16. Une sainte amitié les tenait étroitement unis, leur charité les uns pour les autres les liait tous par des chaînes indissolubles; et ce qui me ravissait, c’est que leur affection était exempte de toute familiarité et de toute légèreté, soit dans leurs rapports les uns avec les autres, soit dans leurs conversations. Ils avaient surtout le plus grand soin de ne blesser en rien la conscience de leurs frères. Si quelquefois il arrivait qu’un frère laissât paraître quelque aversion pour un autre frère, l’abbé en purgeait de suite le monastère, et l’envoyait en exil dans une autre maison, comme un misérable. Or voici ce qui arriva sous mes yeux : QUATRIÈME DEGRÉ

40. Or parmi ces hommes d’une éternelle mémoire, il y en avait un qui m’aimait beaucoup en Dieu, et qui me parlait avec une grande liberté. Il me dit donc un jour, avec une affection toute particulière : “Si vous, mon père, qui êtes si sage, éprouvez la force de celui qui, dans le ravissement de son coeur, s’écriait : Je peux tout en celui qui me fortifie (Phil 4.13); si l’Esprit saint est descendu en vous comme une rosée de grâces et de pureté, ainsi qu’il descendit autrefois dans la très sainte Vierge, et si la force du Très-Haut vous environne par la patience, ceignez vos reins, à l’exemple de l’Homme-Dieu, d’un linge blanc, qui est l’obéissance, et comme Lui, levez-vous de table, c’est-à-dire sortez de la solitude; afin de laver les pieds de vos frères dans l’eau pure de la componction et de la pénitence, ou plutôt jetez-vous à leurs pieds dans les sentiments de l’humilité la plus profonde; mettez à la porte de votre coeur des gardes qui ne s’endorment jamais, et qui ne soient jamais de connivence avec vos ennemis; arrêtez l’instabilité et la légèreté de votre esprit, en le fixant invariablement, malgré les distractions et la dissipation que lui causent sans cesse et l’agitation des affaires et les importunités des sens; conservez un repos parfait au milieu des mouvements et des soins dont la vie est continuellement agitée. Ici-bas; et, ce qui est encore plus rare, plus difficile et plus admirable, demeurez ferme et immobile dans le sein des troubles et des tempêtes qui se succèdent sans cesse. Liez votre langue par les chaînes d’un silence parfait, et empêchez-la de tomber dans des disputes hardies et dans des contradictions audacieuses; combattez soixante et dix sept fois le jour contre cette souveraine impérieuse et tyrannique; portez la croix de Jésus Christ dans votre coeur, et comme on enchâsse une enclume dans du bois, enchâssez de même votre esprit dans elle, de sorte qu’il soit capable de résister à tous les coups, à toutes les tentations, à tous les affronts, à toutes les calomnies, à toutes les railleries et à toutes les injustices qui pourront vous arriver, de manière à n’en être jamais ni blessé, ni offensé, ni agité, ni affligé, ni découragé, ni abattu, mais à persévérer immuablement dans la paix et dans le calme. Dépouillez-vous de votre volonté, comme d’un vêtement d’ignominie, et entrez ainsi tout nu dans la carrière céleste; et ce qui est certainement bien rare et bien difficile, soyez d’une confiance entière et inébranlable dans celui qui doit et veut vous couronner après la victoire, et qu’elle soit telle qu’elle ne puisse être pénétrée ni par les flèches du doute ni par les traits de la défiance. Mortifiez exactement vos sens par les austérités de la tempérance, et prenez bien garde que vous n’ayez à souffrir cruellement de leur fureur audacieuse et insolente. Servez-vous avantageusement de la méditation de la mort pour combattre et vaincre la curiosité de vos yeux, qui ne demandent sans cesse qu’à contempler la beauté des créatures sensibles. Faites en sorte de retenir l’indiscrétion et l’injustice de votre esprit, qui, tandis que vous vous livrez vous-même à la négligence la plus condamnable, vous porte à juger mal des actions et de la conduite de vos frères; et tâchez de le porter à exercer envers eux tous les devoirs d’une charité sincère. QUATRIÈME DEGRÉ

C’est par toutes ces choses qu’on pourra connaître que vous êtes véritablement disciples de Jésus Christ, selon sa parole même : “Tout le monde saura, nous dit-Il, que vous êtes mes disciples, si, dans la société qui vous réunit, vous vous aimez les uns les autres, et que vous vous témoigniez une affection mutuelle.” (Jn 13.35) QUATRIÈME DEGRÉ

C’est ainsi que ce bon père, cet excellent maître dans la vie spirituelle, me convainquit par des passages et des autorités tirées de l’Évangile et des Prophètes, et par la tendre affection qu’il me témoignait, qu’il n’y avait rien de comparable à la récompense et à la couronne qu’on acquiert, en vivant sous le joug de l’obéissance. QUATRIÈME DEGRÉ

51. Ce n’est sûrement pas une petite marque de confiance en son supérieur, que de lui découvrir toutes les tentations qu’on éprouve : on suit assurément la voie du salut; mais on s’en éloigne terriblement, quand on cache dans les ténèbres intérieures du coeur, ces serpents cruels et funestes. 52. Voulez-vous savoir si vous avez pour vos frères un amour solide et véritable, et une affection tendre et sincère, considérez si les péchés dont vous les voyez coupables, vous attristent et vous désolent, et si les grâces abondantes qu’ils reçoivent de Dieu, et les progrès qu’ils font dans la vertu, vous remplissent de joie et de plaisir. QUATRIÈME DEGRÉ

80. Ne sortez donc pas d’entre les mains de celui qui, le premier, vous a présenté à notre Seigneur; car vous n’en trouverez pas un autre pour lequel vous puissiez avoir une affection plus respectueuse. QUATRIÈME DEGRÉ

122. Mais considérons encore quelle a été sa rare prudence dans les jugements qu’il portait sur les dispositions intérieures des hommes; prudence admirable qu’il n’avait acquise que par une obéissance très parfaite. Dans le temps qu’il demeurait au monastère de Saint-Sabba, trois moines se présentèrent à lui pour se mettre sous sa discipline. Il les reçut avec une affection toute particulière, et fit tout ce que sa charité lui suggéra pour les remettre de la fatigue du voyage; mais après trois jours, ce saint vieillard leur adressa ces paroles : “Mes Frères, leur dit-il, je ne suis qu’un misérable pécheur; il m’est donc impossible de vous accorder ce que vous me demandez.” QUATRIÈME DEGRÉ

129. Quoique nous soyons bien loin de pouvoir pratiquer des vertus rares et sublimes, le démon, pour nous faire briser le joug de l’obéissance sous lequel nous avons le bonheur de vivre, ne laisse pas de nous en suggérer la pensée et de nous en inspirer le désir insensé. Pénétrez en effet dans l’intérieur des moines imparfaits et téméraires, et vous verrez qu’ils soupirent après la vie solitaire, qu’ils désirent avec ardeur les jeûnes les plus rigoureux, la prière la plus continuelle et la plus recueillie, l’humilité la plus profonde, la méditation de la mort la plus constante, la componction la plus vive, la victoire la plus complète sur leurs passions, le silence le plus absolu et une pureté d’ange. Mais comme, par une conduite secrète de la divine Providence, ils n’ont pu, dès le commencement de leur noviciat, pratiquer selon leur désir ces belles et excellentes vertus, on les a vus ensuite tout découragés, abandonner les pratiques les plus ordinaires, et se retirer du monastère. Le démon les a trompés, en leur faisant désirer à contretemps la pratique de ces vertus, afin qu’ils ne pussent pas par la persévérance, les acquérir dans le temps convenable. Mais ce ne sont pas seulement les moines cénobites qu’il cherche à tromper, il attaque aussi les anachorètes. C’est ainsi que pour décourager et faire tomber les solitaires, cet ennemi rusé et trompeur leur prêche et leur exalte le bonheur des moines qui vivent en communauté; il leur vante l’hospitalité qu’ils exercent, les services de charité qu’ils se rendent les uns aux autres, leur affection et leur union fraternelles, les soins affectueux et assidus qu’ils ont pour les malades, et mille autres avantages afin de les dégoûter du genre de vie qu’ils ont embrassé, et de les faire égarer dans une fausse voie. QUATRIÈME DEGRÉ

8. La preuve certaine et indubitable que nous craignons la mort par un mouvement de la grâce, c’est lorsque cette crainte nous porte à nous dépouiller de toute affection pour les choses créées, et nous fait renoncer parfaitement à notre propre volonté. SIXIÈME DEGRÉ

23. Celui-là donc pense véritablement à la mort, lequel a fait mourir en lui-même toute affection pour les créatures et pour les choses du monde; mais il ne cesse de se tendre des pièges à lui-même, celui qui est encore dominé par des désirs profanes. SIXIÈME DEGRÉ

7. L’aigreur ou l’amertume du coeur est un sentiment, ou plutôt une affection pleine de malice qui demeure dans un coeur et qui le précipite dans l’ennui et dans la tristesse, sans lui donner aucune jouissance. HUITIÈME DEGRÉ

18. Les hommes intempérants ne pensent guère qu’aux viandes et aux banquets, et donnent entièrement leur affection à ces choses viles et grossières; ceux, au contraire, qui pleurent leurs péchés ne s’occupent, le jour et la nuit, que de la pensée des jugements de Dieu et des peines éternelles. QUATORZIÈME DEGRÉ

Or dis-nous, infâme et cruelle maîtresse du genre humain, toi qui, pour nous rendre tes esclaves, nous a malheureusement achetés avec de l’or, par le désir insatiable de manger, dis-nous donc par quelles voies tu as pu arriver jusqu’à nous; dis-nous ce que tu nous as donné et fait depuis que tu as fixé ta cruelle demeure en nous; apprends-nous toi-même qu’elles sont les moyens efficaces que nous devons employer pour te chasser et nous délivrer de la servitude. Irritée par ces questions fatigantes, enflammée de fureur et frémissant de rage, elle va nous faire entendre, malgré elle, les réponses suivantes : “Pourquoi me chargez-vous d’injures et de reproches ? oubliez-vous que vous êtes mes esclaves ? comment vous est-il même venu en pensée que vous puissiez vous séparer de moi ? Ignorez-vous que c’est la nature elle-même qui vous a enchaînés et qui vous retient sous mon esclavage ? Vous voulez savoir comment je me suis rendue maître de vous ? et bien je vous le dirai : C’est par la quantité de la nourriture plus ou moins délicieuse que vous prenez l’habitude d’user de cette nourriture a produit en vous cette insatiable avidité que vous éprouvez, et cette habitude, accompagnée de l’endurcissement du coeur et de l’oubli de la mort, me conserve et me fait demeurer au milieu de vous. Vous voulez encore connaître les noms et le nombre des enfants auxquels j’ai donné le jour ? mais si je vous les nommais tous, les grains de sable qui sont sur la terre seraient à peine suffisants pour les compter. Écoutez seulement quels sont ceux que j’ai mis les premiers au monde et pour lesquels je conserve une affection particulière : l’aiguillon de la chair est mon premier-né et mon premier ministre; le second, est l’endurcissement du coeur; le troisième, est l’amour du repos; après ceux-ci viennent le déluge des pensées impures, le principe de toutes les corruptions et de toutes les souillures spirituelles, et un abîme d’infamies secrètes et exécrables. Mes filles sont la paresse, la démangeaison de parler, l’audacieuse présomption, la plaisanterie, la bouffonnerie, la contradiction, l’opiniâtreté, la stupeur du coeur, la captivité de l’esprit, l’insolente ostentation et l’inclination pour plaire au monde. Ce sont elles qui troublent la ferveur et souillent la sainteté de la prière qui occasionnent des tourbillons dans les pensées, et qui frappent par des accidents subits et des malheurs inattendus; enfin ce sont elles qui produisent le désespoir, le plus affreux et le plus grand de tous les maux. QUATORZIÈME DEGRÉ

18. Or ce qui fait le plus souvent tomber les jeunes moines dans des fautes contraires à la chasteté, c’est une certaine affection pour les douceurs et les commodités de la vie. L’enflure du coeur a coutume de faire chanceler et quelquefois tomber ceux qui sont le plus avancés dans les voies de la vie religieuse. Enfin ce qui est pour ceux qui sont plus près de la perfection, une pierre d’achoppement, ce sont les jugements téméraires qu’ils font et les condamnations injustes qu’ils portent contre leurs frères. QUINZIÈME DEGRÉ

59. Tels devraient être du moins nos sentiments, lorsque nous entendons chanter les saints cantiques et quelque mélodies; car les personnes qui aiment Dieu avec ardeur, sont émues d’une allégresse toute céleste, d’une affection divine et d’une tendresse qui va jusqu’aux larmes, quand elles entendent une belle harmonie, soit qu’elle soit sacrée, soit même qu’elle soit profane. Ceux, au contraire, qui sont esclaves des plaisirs des sens, éprouvent des sentiments et des mouvements tout opposés. QUINZIÈME DEGRÉ

Ils disent que le premier mouvement de l’âme est une espèce de discours simple et nu, et la représentation d’un objet, choses qui se passent dans l’imagination; que la sympathie de l’esprit pour l’objet qu’il s’est figuré par la pensée, est un certain entretien, une certaine conversation de notre âme avec l’objet qu’elle considère, soit qu’elle en agisse de la sorte avec une mauvaise intention, soit qu’elle le fasse sans mauvais dessein; que le consentement qu’on donne au péché, est un amour et une affection qui la portent à vouloir et à posséder l’objet qu’elle s’est représenté; que la captivité est la violence qui est faite à notre coeur, laquelle l’entraîne, comme malgré lui et l’enchaîne, ou bien un lien fort et constant qui le fixe et l’attache à l’objet dont il est ému et lui fait perdre l’heureux état de grâce et d’innocence; que le combat est une égalité de forces qu’on emploie pour combattre un ennemi; de sorte qu’une âme qui se trouve exposée au combat, peut, selon sa volonté, vaincre, ou être vaincue; enfin que la passion bien formée est un vide qui depuis longtemps s’était glissé dans notre âme, y a pris racine, et l’a conduite peu à peu dans une telle habitude de mal faire, qu’elle le suit avec plaisir et exécute avec ardeur ce qu’il lui commande. QUINZIÈME DEGRÉ

9. J’ai vu des pauvres des biens de la fortune, mais qui étaient très riches des biens de la grâce, oublier entièrement leur pauvreté temporelle en vivant au milieu des personnes qui étaient elles-mêmes pauvres, mais seulement par affection et par volonté. SEIZIÈME DEGRÉ

13. Il est l’heureux enfant de la paix et de la tranquillité du coeur; car il est libre de toute affection déréglée. Dans sa retraite il ne donne pas une plus grande attention aux choses présentes qu’à celles qui sont absentes, à celles qui sont, qu’à celles qui n’existent pas, et tout dans ce monde lui parait être boue et fumier. Celui qui s’attriste et s’afflige en se voyant dans quelque besoin, n’est pas pauvre de cette pauvreté qui, seule, est la véritable. SEIZIÈME DEGRÉ

16. Ils sont bien plus avancés dans les voies de la perfection, ceux qui, pour l’amour de Dieu sont pèlerins, que ceux qui n’y demeurent que par affection pour certaines choses qu’ils y possèdent. SEIZIÈME DEGRÉ

24. Job sur son fumier ne donna aucune marque ni aucun signe qu’il fut possédé par quelque affection de cupidité, aussi réduit à la dernière extrémité, conserva-t-il son âme dans une paix et une tranquillité parfaites. SEIZIÈME DEGRÉ

3. L’insensibilité n’est-ce pas à un philosophe insensé qui, en donnant des leçons aux autres, prononce sa propre condamnation; à un avocat qui parle contre sa propre cause; à un médecin aveugle qui, tout en faisant de longues et savantes dissertations sur les moyens de guérir un malade, ne cesse d’agrandir et d’envenimer ses plaies et d’augmenter son mal ? En effet on l’entend parler avec zèle et science de la maladie de son âme, et on ne le voit jamais s’abstenir des choses qui l’entretiennent; il demande à Dieu de l’en délivrer, et, par ses mauvaises habitudes dans lesquelles il ne cesse de tomber, il s’enfonce et s’engage plus avant dans l’abîme; s’indigne contre lui-même : eh ! le malheureux ! ne rougit plus des reproches amers qu’il se fait; il sait encore qu’il fait mal, il le dit même, et il ne prend pas les moyens de se corriger; il parle de la mort, et il vit comme s’il ne devait jamais mourir; il pousse de longs gémissements sur les suites terribles et inévitables de la mort, et il est tranquille, comme s’il n’avait rien à craindre et qu’il fût immortel ici bas; il traite des avantages précieux et des fruits salutaires de la mortification, et il n’hésite pas de se livrer sans scrupule aux excès et aux délices de la bonne chère; il lit souvent ce qui regarde le jugement dernier, et il est assez insensé pour n’en faire aucun cas, et même pour en plaisanter; il parcourt, en lisant, ce qui est écrit de la vaine gloire, et cette lecture même augmente ce vice dans son misérable coeur; il donne des louanges aux veilles, et lui-même se plonge dans les douceurs du sommeil; il relève avec éloquence la vertu et l’excellence de la prière, et cependant il l’a en horreur et ne se livre à ce saint exercice qu’avec une extrême répugnance et par force : elle fait son supplice et son tourment. Il loue et exalte l’obéissance, et il est le premier à désobéir; il prodigue les éloges les plus pompeux à ceux qui n’ont aucune affection pour les biens fragiles et périssables de ce monde, et il n’a pas honte de se fâcher et de se disputer pour un vil et méprisable chiffon; il se met en colère de s’être fâché, et il s’irrite et s’indigne de s’être mis en mauvaise humeur; et, quoiqu’il tombe et retombe sans cesse, l’insensé ! il ne s’aperçoit même pas de ses chutes. Il se repent de s’être livré aux excès de l’intempérance, et un moment après il ajoute de nouveaux excès aux premiers; il béatifie le silence, et afin de ne pas l’observer, il se livre à de longs discours sur les louanges qu’il mérite; il fait d’excellentes exhortations aux autres pour les porter à pratiquer la douceur, et lui-même s’indigne et s’irrite de sa propre indignation et de ses impatiences; un peu rendu à lui-même, on le voit gémir sur son état déplorable; et à peine s’est-il donné le moindre mouvement pour en sortir, qu’il retombe dans une léthargie plus profonde : il blâme et condamne sévèrement les ris et la joie, et lui-même en parlant de la pénitence, se met à rire d’une manière qui fait pitié et annonce la folie; il s’accuse devant les autres d’être coupable de vaine gloire, et dans cette accusation même, il cherche à contenter son orgueil et sa vanité; il ne cesse de recommander à ses frères de garder la modestie dans leurs regards, et de pratiquer la chasteté avec la plus scrupuleuse attention, et le misérable porte sans cesse, et dans de perverses intentions, les yeux sur des objets agréables et dangereux ! Le rencontre-t-on au milieu des gens du siècle ? il ne peut assez faire l’éloge de la vie religieuse et solitaire, et, dans sa stupide insensibilité, il ne comprend pas que ces louanges condamnent sa conduite; il accable d’honneur et de louanges ceux qui prennent soin des pauvres et qui répandent d’abondantes aumônes dans le sein de l’indigence et de la misère, et lui-même couvre les indigents et les pauvres d’injures, d’affronts et d’outrages. C’est ainsi que ce pauvre malheureux s’accuse et se condamne en tout et partout, sans penser à rentrer en lui-même ! à rougir de son triste et funeste état, à se repentir de sa conduite et à se convertir : mais, hélas ! le dirai-je ? la chose lui est-elle possible ? DIX-SEPTIÈME DEGRÉ

15. Quelqu’un, parmi vos proches et vos amis, a-t-il fait quelque calomnie contre vous, soit en votre présence, ou en votre absence ? ne manquez pas de l’excuser par une affection sincère. VINGT-UNIÈME DEGRÉ

17. Je croirai difficilement à l’humilité de celui qui s’abaisse et se méprise lui-même devant les autres. En effet est-il bien pénible et bien difficile de se supporter quelque temps dans un état où l’on s’est mis soi-même par sa propre volonté ? mais je penserai qu’il pratique réellement cette vertu, celui qui, accablé d’outrages et d’injures, conserve pour celui qui l’insulte la même affection qu’il lui portait avant ces mauvais traitements. 18. Je remarquai un jour que le démon de la vaine gloire inspira certaines pensées à un frère, lesquelles furent révélées à un autre frère, et que le même démon porta ce dernier à découvrir au premier le secret de son coeur, afin de se glorifier et de se faire regarder comme un homme extraordinaire, pour un prophète, en un mot. Mais ce n’est pas seulement notre coeur que le cruel démon de la vaine gloire attaque directement, il se sert encore des membres mêmes de notre corps pour empoisonner notre âme. C’est pour cela, qu’il leur communique des mouvements faciles et aisés. VINGT-UNIÈME DEGRÉ

Quant à ceux qui ont déjà fait quelques progrès dans la science religieuse, leur étude et leur application particulières doivent être de s’efforcer de remporter une victoire complète sur la vaine gloire et sur la colère, de nourrir et d’augmenter en eux l’espérance des biens à venir, de rendre plus parfaite la paix de leur âme et plus grande, la circonspection de leur esprit, de graver de plus en plus dans leur mémoire le souvenir et la pensée des jugements de Dieu, de perfectionner leurs sentiments de tendresse et de commisération pour leurs frères, d’exercer envers eux les devoirs de l’hospitalité avec affection et prudence, d’être plus doux et plus modérés dans les corrections, plus fervents et plus recueillis dans la prière, enfin, de mépriser entièrement les richesses. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

Quand ils m’eurent expliqué cette première chose, je me permis de demander à ces hommes vénérables de vouloir bien contenter mes désirs, en m’apprenant quels étaient les péchés produits par les péchés capitaux, et de quel péché chacun tirait son origine, et voici encore la réponse qu’ils me firent avec une bonté et une affection admirables : Il ne faut pas chercher de l’ordre et de la raison parmi des passions folles et impétueuses, puisqu’on n’y trouve que désordre et confusion. Ce fut ce qu’ils me démontrèrent par des exemples très justes et très convenables et par des raisons nombreuses, fortes convaincantes; et j’en dirai ici quelque chose pour vous donner la facilité de juger du reste. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

L’endurcissement du coeur prend naissance, et dans la bonne chère, et dans une certaine indifférence pour les choses saintes, et dans l’affection que nous avons pour les créatures; cette affection mondaine et sensuelle peut elle-même venir de l’esprit d’impureté, l’avarice, d’intempérance, de vaine gloire et de plusieurs autres causes. La colère et la malice tirent communément leur origine de l’enflure du coeur et de l’estime que nous avons pour nous; l’hypocrisie est le fruit de la complaisance que nous avons en nous-mêmes, de la confiance que nous mettons dans notre conduite, laquelle nous excite à penser et à croire que nous sommes capables de nous suffire, d’être maîtres et les arbitres de nos actions. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

57. En général, les hommes pieux, se sentent portés à donner à ceux qui leur font des demandes et leur exposent leurs besoins; mais les personnes qui possèdent cette précieuse qualité dans un degré plus parfait, ne consultent que les besoins de leurs frères, et, pour faire des largesses, n’attendent pas qu’on les leur demande. Ne pas reprendre et ne pas exiger qu’on nous rende les choses qu’on nous a prises, ce n’est que le propre des hommes qui ont renoncé à toute affection pour les biens périssables. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

69. Nos exercices spirituels, soit extérieurs et visibles, soit intérieurs et invisibles, sont ordinairement précédés d’une bonne résolution et d’un bon propos, d’une sainte affection et d’un pieux désir; mais toutes ces heureuses dispositions, nous les devons à la grâce de Dieu, qui agit en nous et avec nous. 70. Sans le bon propos, nous ne ferions point de bonnes oeuvres; car si, comme nous l’enseigne l’Ecclésiaste : tout ce qui se passe sous le ciel, doit se faire dans un temps convenable (Ec 3,1), nous sommes essentiellement obligés dans notre saint état, qui est une république céleste, à considérer avec la plus grande attention quelles sont les choses qui conviennent aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, et de quelle manière elles conviennent; car il est certain que, pour ceux qui combattent dans la carrière de la vie religieuse, il y a un temps où ils jouissent d’une grande tranquillité d’âme et sont délivrés de tout trouble et de toute agitation. Or je ne parle ici qu’à ceux qui ne font que d’entrer dans cette sainte carrière. Il est encore certain qu’il y a un temps de larmes et un temps d’aridité et de dureté de coeur, un temps pour obéir et un temps pour commander, un temps pour jeûner et un temps pour manger, un temps de guerre où notre corps est précisément l’ennemi que nous avons à combattre, et un temps de paix où nous avons heureusement triomphé des ardeurs de la concupiscence, un temps de tempête et un temps de sérénité, un temps de tristesse et un temps de joie, un temps pour enseigner et un temps pour apprendre, un temps où l’enflure du coeur souille la conscience, et un temps où l’humilité la purifie; un temps de combat et un temps de repos, un temps de tranquillité et un temps de travail, un temps pour prier longuement et avec assiduité, et un temps pour exercer les fonctions de son état ou de son emploi. C’est pourquoi, loin de nous laisser entraîner par une ardeur pleine d’orgueil, ne faisons chaque chose qu’au temps qui lui est assigné et qui lui convient. Gardons-nous en hiver de chercher des fruits qu’on ne trouve que pendant l’été, et de vouloir moissonner quand il s’agit de semer; car il est un temps destiné à semer les grains précieux des travaux, des sueurs et des austérités, et un autre temps pour en recueillir les fruits inestimables et incompréhensibles. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

83. Il est subtil et pénétrant l’oeil de notre âme; car, si nous exceptons les anges, il surpasse en lumière et en finesse toutes les autres créatures. Aussi voyons-nous que ceux-là mêmes qui sont encore agités de leurs passions, pourvu qu’ils ne soient pas ensevelis dans la boue du péché, en vertu de la grande affection qu’ils ont pour leurs frères, connaissent les pensées et les sentiments qui sont dans leurs âmes. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

98. Mais il en est d’autres qui, désirant sincèrement savoir quelle est la Volonté de Dieu sur eux, renoncent à toute affection pour eux-mêmes, se tournent humblement vers le Seigneur par des prières très ferventes, Lui offrent et Lui sacrifient leurs pensées et leurs projets, Lui soumettent entièrement leur esprit et leurs lumières, et se dépouillent parfaitement de leur propre volonté, qui tantôt les portait à prendre un parti, tantôt les engageait à en prendre un autre : or ayant ainsi persévéré quelque temps dans ces heureuses dispositions, ils ont enfin connu ce que Dieu leur demandait et exigeait d’eux, soit qu’ils l’aient appris par le ministère d’un esprit envoyé de la part du Seigneur, soit qu’ils l’aient connu, parce que Dieu Lui-même a effacé dans leur esprit les raisons qui appuyaient ou qui détruisaient le parti qu’ils avaient à prendre. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

131. Le démon de l’avarice fait souvent une guerre cruelle à ceux qui n’ont rien. Il ne cesse de les poursuivre. Si, pour eux-mêmes, il ne peut pas leur faire abandonner la pauvreté, il cherche à les en détourner, en leur inspirant des sentiments de commisération en faveur des indigents. C’est par cette tentation délicate et parce prétexte spécieux, que plusieurs personnes heureusement délivrées de toute affection pour les choses de la terre auxquelles elles avaient renoncé, se sont rengagées misérablement dans les affaires tumultueuses du siècle. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

135. Il est des personnes qui pour être fidèles à certains points de la loi, semblent en violer d’autres : c’est ainsi que j’ai remarqué des jeunes gens qui s’aimaient beaucoup, mais d’une affection pure et chaste, lesquels, afin de ne pas donner du scandale à leurs frères et ne point blesser leur conscience, ne laissaient pas d’interrompre le commerce de leur sainte amitié. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

150. Je vois dans la sainte Écriture que Dieu donne des louanges au saint patriarche Joseph, non pas d’avoir préservé son coeur de toute affection déréglée, mais avoir fui l’occasion de pécher. Or c’est à nous de voir dans quelles circonstances et combien de foi nous avons, nous-mêmes, mérité la récompense réservée à ceux qui fuient l’occasion du péché. Il est une grande différence entre éviter, jusqu’à l’ombre du péché, et courir après le Soleil de Justice. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

67. À mesure qu’on cesse de tomber dans le péché, on se déshabitue de le commettre. Or ce désistement du péché devient le commencement de la pénitence; le commencement de la pénitence,le commencement du salut; le commencement du salut, la résolution de bien vivre; la résolution de bien vivre, le commencement des travaux; le commencement des travaux, le commencement des vertus; le commencement des vertus, le commencement de la fleur des vertus; le commencement de la fleur des vertus, le commencement de la bonne volonté; le commencement de la bonne volonté, le commencement à l’habitude de la vertu; le commencement de l’habitude de la vertu, le commencement de la crainte de Dieu; le commencement de la crainte de Dieu, le commencement de la fidélité à observer les commandements du Seigneur; le commencement de la fidélité à observer les commandements de Dieu, le commencement de l’amour du Seigneur; le commencement de l’amour du Seigneur, le commencement d’une profonde humilité; le commencement d’une profonde humilité le commencement de la paix souveraine du coeur; et le commencement de la paix souveraine de l’âme devient la perfection de la charité. Or cette perfection de la charité est elle-même cette sainte et parfaite amitié dont Dieu honorera tous ceux qui, étant délivrés de toute affection déréglée, posséderont leur coeur dans la pureté. car, ils verront Dieu (cf. Mt 5,8). À Lui gloire et honneur dans les siècles. Amen. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

Les pures intelligences ne se mettent pas en peine des besoins corporels, puisqu’elles n’ont point de corps; les hommes qui sont, pour ainsi dire, sans corps, quoique avec un corps, ne conservent aucune inquiétude sur leurs nécessités corporelles. Les anges n’ont que faire de prendre de la nourriture, et les religieux dans la solitude la prennent sans sentiment de plaisir. Les anges méprisent l’or et les richesses, et les solitaires à ce mépris ajoutent encore le mépris des persécutions que leur font les démons. Les esprits célestes ne sont point touchés ni émus par l’amour des choses visibles, et les anachorètes, dont le corps, est sur la terre, mais dont le coeur est dans le ciel, sont également insensibles à toutes ces choses : toute leur estime et toute leur affection sont pour les biens célestes. Les anges feront toujours des progrès dans l’amour de Dieu, et les solitaires ne cesseront pas de marcher sur leurs traces. Les béatitudes célestes n’ignorent pas que leurs progrès dans l’amour de Dieu augmentent leurs richesses et leurs trésors, et les anachorètes savent fort bien qu’ils croissent dans la grâce de Dieu, à mesure qu’ils croissent en amour pour Lui et en ferveur. Enfin ces fervents religieux ne s’arrêteront jamais, mais feront tous leurs efforts pour parvenir le plus qu’ils pourront à la perfection des séraphins, et n’auront de repos que lorsqu’ils seront devenus eux-mêmes de nouveaux anges. Heureux celui qui espère de jouir d’un si grand bonheur ! Mais trois fois heureux celui qui, devenu ange dans le ciel, y possède le bonheur pour lequel il soupirait avec tant d’ardeur sur la terre ! VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ

42. Une jeune épouse qui viole la foi jurée à son époux profane son corps et se déshonore; une âme qui viole la foi qu’elle avait donnée à Dieu, souille et flétrit sa conscience. La haine publique, la bonté, les châtiments, et par dessus tout, un déplorable divorce sont les maux que s’attire une épouse infidèle. L’infidélité sacrilège d’une âme est suivie de mille souillures, de l’oubli de la mort, d’une insatiable intempérance, de l’insolence et de l’impudeur des yeux, de l’amour de la vaine gloire, de l’envie continuelle de dormir, de l’endurcissement du coeur, de l’aveuglement de l’esprit, d’une horrible confusion dans les pensées, d’une volonté de plus en plus portée au péché, de l’esclavage des passions les plus viles, d’un tumulte et d’un désordre effrayants, de l’esprit d’opiniâtreté et de contradiction, d’une abominable affection pour les créatures, de l’infidélité dans la foi, d’une indigne défiance envers Dieu, d’une insupportable loquacité, d’une licence effroyable, d’une vaine confiance en soi-même, laquelle peut justement être regardée comme le plus grand de tous les maux, et, ce qui est le comble de la misère, de la sécheresse du coeur, qui le rend incapable du moindre mouvement de pénitence et de componction, et qui, lorsqu’on la néglige, se change en une stupide insensibilité, laquelle ouvre la porte à tous les vices et à tous les crimes. VINGT-SEPTIÈME DEGRÉ

42. Nous devons, sans aucun doute, pratiquer toutes les bonnes oeuvres avec une grande affection de coeur; mais c’est surtout à la prière que nous devons cette disposition de notre âme; et nous pouvons dire qu’une âme prie avec cette sainte affection du coeur, lorsqu’elle a parfaitement triomphé de là colère. VINGT-HUITIÈME DEGRÉ

11. Je crois ne pas faire une chose inutile, que de me servir ici de comparaisons tirées des actions humaines afin de donner à comprendre quelle est la crainte, l’ardeur, le zèle, les soins, l’empressement, le respect, l’obéissance et l’amour que nous devons avoir pour Dieu. Heureux donc l’homme qui aime Dieu avec une affection aussi ardente qu’un amant insensé chérit la beauté qui a si misérablement ravi son coeur ! Heureux encore celui qui n’a pas pour Dieu moins de crainte, qu’un criminel n’en a pour les juges qui doivent le juger et le condamner ! Heureux encore le chrétien dont le zèle et l’ardeur dans les voies de Dieu enflamment le coeur autant que l’ardeur et le zèle enflamment celui des serviteurs fidèles et dévoués à leurs maîtres temporels ! Heureux encore celui qui n’a pas pour la pratique des vertus une affection moins prononcée ni moins ardente que les maris jaloux n’en ont pour leurs épouses qu’ils adorent ! Heureuses encore les personnes qui, dans leurs prières, se présentent à Dieu avec le même respect que les officiers se présentent devant leur souverain ! Heureuses enfin les âmes qui s’appliquent à plaire à Dieu avec la même attention, que les hommes eux-mêmes s’étudient à plaire à d’autres hommes ! 12. Une mère dont le coeur est tout de tendresse, n’aime pas tant à serrer dans ses bras et à presser sur son sein maternel l’enfant à qui elle a donné le jour et qu’elle nourrit, qu’un enfant véritable de la charité ne se complaît à s’unir à son Dieu. TRENTIÈME DEGRÉ

1. La retraite, ou la fuite du monde, est un renoncement éternel à tout ce qui peut s’opposer aux desseins de piété que nous avons formés; c’est un heureux changement de moeurs et de conduite, une sagesse inconnue, une prudence qui fuit avec horreur les regards des hommes, une vie cachée, une fin et un but intérieur et secret, une méditation douce et tranquille, un empressement pour le mépris et les humiliations, un désir ardent pour les austérités et les souffrances, un solide fondement d’affection et d’amour pour Dieu, une source féconde de charité, un renoncement parfait à la vaine gloire, et un profond silence. TROISIÈME DEGRÉ

6. Le silence et la tempérance sont l’heureux partage de tous ceux qui font des progrès dans cette tristesse salutaire. La douceur et l’oubli des injures ornent le coeur des personnes qui, par des combats soutenus avec courage, ont obtenu quelque victoire; enfin ceux qui sont heureusement parvenus à la perfection de cette bienheureuse tristesse, sont remplis d’affection et d’amour pour la pratique de la plus profonde humilité, sont dévorés d’une soif ardente pour les mépris et les humiliations, d’une faim violente pour toutes les choses qui alarment et font crier la nature; du reste, ils brûlent pour leurs frères d’une charité si pure et si forte, que, non seulement ils les excusent dans les fautes qu’ils leur voient commettre, mais que leur coeur est touché à leur égard d’une compassion toute céleste. Nous devons approuver ceux qui ont fait quelques progrès, louer ceux qui ont remporté quelques victoires, et proclamer heureux ceux qui sont affamés d’humiliations et de souffrances : car ces derniers seront rassasiés de cette nourriture céleste qui n’inspire jamais du dégoût. SEPTIÈME DEGRÉ

17. Si c’est la perfection de la douceur d’être calme et tranquille, et de conserver des sentiments d’amour et d’affection pour la personne qui nous a offensés, même en sa présence, n’est-ce pas le comble de la fureur de nous emporter et de manifester notre colère par des paroles et des actions contre celui qui nous a mortifiés et irrités, lorsque nous sommes seuls, et qu’il est loin de nous. HUITIÈME DEGRÉ

2. La médisance est donc engendrée par la haine. C’est une passion très subtile; mais néanmoins c’est une sangsue très grosse et très vorace, laquelle se cache adroitement pour trahir et pour sucer tout le bon sang de la charité. Sous le prétexte spécieux et trompeur d’amour et d’affection, la médisance exerce les ravages d’une haine implacable et meurtrière, souille horriblement le coeur, charge énormément la conscience et détruit entièrement la chasteté. DIXIÈME DEGRÉ

45. Ne sommes-nous pas témoins tous les jours et ne pouvons-nous pas rendre témoignage que tous, ceux qui sont les tristes esclaves du vice honteux, sont remplis d’affection pour les autres, sensibles à leurs malheurs, touchés de compassion pour eux, mêlent facilement leurs larmes avec les leurs, et n’usent à leur égard que de paroles douces et flatteuses. Ah! ceux qui désirent de devenir et d’être chastes, ne se laissent pas aller à une tendresse si étudiée. QUINZIÈME DEGRÉ

11. Celui donc qui hait l’esprit du monde, se délivre heureusement de tout ce qui peut lui causer des peines et des chagrins; mais celui qui se laisse conduire par cet esprit et qui conserve encore de l’affection pour les choses de la terre, n’est sûrement pas exempt de tristesse et d’ennui. Eh! Comment pourrait-il sans peine se voir privé des choses qu’il aime ? DEUXIÈME DEGRÉ

23. Prenez garde, oui, je le répète, prenez garde que l’affection que vous auriez pour vos proches et pour les choses de la terre, ne vous fasse faire un triste naufrage au milieu des eaux de péchés dont le monde est inondé. Et si vous ne voulez pas pleurer éternellement, ne soyez pas sensibles aux larmes de vos parents et de vos amis. TROISIÈME DEGRÉ

29. Or, comme je suis très malicieux, je ne manquais pas de chercher l’occasion de parler à ce vénérable vieillard, pour lui demander à quoi il pensait pendant qu’il était ainsi debout devant la table. “Je regardais, me répondit-il, Jésus Christ dans la personne de mon supérieur; aussi ne considérais-je pas le commandement qui m’était imposé comme venant d’un homme, mais comme venant de Dieu; c’est pourquoi, mon cher père Jean, j’étais bien loin de croire que j’étais debout auprès d’une table, autour de laquelle étaient assis de simples mortels; mais me figurant être devant l’autel du Seigneur, je Lui adressais, selon mon pouvoir, de ferventes prières; et je peux vous assurer qu’il ne m’est pas même venu dans l’esprit une mauvaise pensée contre mon supérieur, tant est grande la confiance que j’ai en lui, et tant est forte l’affection que je lui porte; car, ajouta-t-il, “l’amour ne pense mal de personne” (1 Cor 13). Au reste, mon Père, sachez bien que le démon ne trouve plus d’issue pour entrer dans un coeur qui s’est dévoué et consacré entièrement à la simplicité, à l’innocence et à la bonté. QUATRIÈME DEGRÉ

50. Présentez donc à Dieu, en esprit et en vérité, la confiance et l’affection que vous avez pour votre père spirituel; et par une grâce singulière, Dieu lui fera connaître l’amour et la tendresse que vous lui portez, et cette connaissance lui inspirera de vous traiter avec douceur et ménagement; et, selon que vous le désirez, il deviendra votre ami dévoué. QUATRIÈME DEGRÉ

24. N’usez pas de paroles pour faire savoir aux personnes que vous chérissez, que vous les aimez d’un amour bien affectueux; contentez-vous seulement de demander à Dieu de leur faire connaître de la manière qui lui conviendra, les sentiments de charité et de tendresse que vous avez pour elles; car si vous en agissiez autrement, tout le temps de votre vie ne suffirait pas pour témoigner à vos amis l’affection que vous leur portez, et pour vous exciter à la componction et à la douleur de vos péchés. SIXIÈME DEGRÉ

65. Cette âme ressemble encore à un autre enfant. Voyez-vous cette mère qui se cache avec adresse et se dérobe à la vue de son fils ? Mais entend-elle ses cris plaintifs, et voit-elle couler ses larmes ? Alors, elle éprouve un plaisir délicieux. Elle lui apprend par là et lui fait sentir l’importance et la nécessité de ne pas s’éloigner de sa présence; et c’est ainsi qu’elle nourrit et qu’elle augmente dans son enfant l’affection qu’il a pour elle. Or, dit le Seigneur : “Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ces paraboles.” (Luc 14,35). SEPTIÈME DEGRÉ

Alors la concupiscence, que le corps représente, nous donne les réponses suivantes : “Je ne vous dirai pas des choses inconnues; mais je vous raconterai, ô mon âme, ce que nous savons également l’une et l’autre. Je me glorifie d’avoir pour mère l’affection intérieure que je me porte. Je suis bien aise de pouvoir profiter et de jouir de la délicatesse avec laquelle on me traite, et de la négligence avec laquelle on remplit ses devoirs et l’on pratique la vertu, afin de produire au dehors les flammes d’un grand embrasement. Pour causer intérieurement les ardeurs et les feux criminels, je me sers du relâchement dans la piété et du souvenir bruyant des choses passées. Lorsque j’ai bien médité les péchés et les crimes dans lesquels je veux vous faire tomber, j’en viens assez facilement à bout; et, lorsque je vous ai fait tomber dans cet abîme, je vous précipite dans un autre, qui est la mort éternelle causée par l’abattement et le désespoir. QUINZIÈME DEGRÉ

50. Les vices et la méchanceté ne sont point originairement dans la nature de l’homme, puisque Dieu n’est point l’auteur des passions. Mais il y a dans lui plusieurs bonnes inclinations naturelles que Dieu lui a données : telles sont, par exemple, la tendresse et la compassion pour les malheureux; ne voyons-nous pas les païens touchés de commisération pour ceux qui souffraient ? telles sont encore l’affection et la bienveillance : les animaux mêmes témoignent de la tristesse, en se voyant séparés les uns des autres; la foi, puisque nous sentons en nous une violente inclination à croire ce qu’on nous raconte; l’espérance, car nous n’empruntons et ne prêtons de l’argent, nous ne faisons des voyages sur terre et sur mer que dans l’espoir de quelques avantages et de quelque profit; et si l’amour que nous avons pour nos frères est fondé sur notre nature, et que la charité soit le lien et la perfection de la loi, il s’en suit que cette vertu, ainsi que les autres, n’est point hors de notre nature, et que ceux qui, pour ne pas pratiquer le bien, allèguent leur faiblesse, doivent être couverts de honte et de confusion. VINGT-SIXIÈME DEGRÉ

31. L’affection que nous conserverions intérieurement pour nos proches, et même pour des étrangers, pourrait nous devenir très funeste; elle nous engagerait peu à peu à rentrer dans le monde, ou du moins serait très propre à éteindre dans nous la ferveur de la piété et de notre componction. TROISIÈME DEGRÉ