Il y a trois choses, dit alors le bienheureux Cheremon, qui retiennent l’homme de s’abandonner au vice : la crainte de l’enfer ou des lois terrestres, l’espérance et le désir du royaume des cieux, l’affection du bien pour lui-même et l’amour des vertus. Nous lisons, en effet, que la crainte exècre la souillure du mal : «La crainte du Seigneur hait le mal.» (Pro 8,13). L’espérance aussi ferme l’entrée du coeur au vice, quel qu’il soit : «Ceux qui espèrent en Lui ne pécheront point.» (Ps 33,23). L’amour enfin n’a pas à redouter la ruine du péché, parce que «la charité ne passe point», (1 Cor 13,8) «elle couvre la multitude des péchés». (1 Pi 4,8). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 6
De vrai, c’est la foi qui fait éviter la souillure du vice par crainte du jugement futur et des éternels supplices; c’est l’espérance qui rappelle notre esprit des choses présentes et, dans l’attente des célestes récompenses, méprise tous les plaisirs du corps; c’est la charité qui, nous enflammant d’une sainte ardeur à l’amour du Christ et à cueillir le fruit des vertus spirituelles, nous inspire une aversion suprême pour tout ce qui leur est contraire. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 6
Voyez : il a envié les gousses que mangeaient les pourceaux, c’est-à-dire le mets sordide du vice; et on lui refusait de s’en rassasier. Alors, il est rentré en soi-même. Touché d’une crainte salutaire, il s’est pris d’horreur pour l’immondicité des pourceaux, il a redouté les tourments cruels de la faim. Ces sentiments font de lui en quelque sorte un esclave. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 7
C’est le précepte même du Seigneur qui nous invite à cette ressemblance avec le Père : «Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père céleste est parfait.» (Mt 5,48). Dans les degrés inférieurs, l’amour du bien s’interrompt quelquefois, lorsque la tiédeur, le contentement ou le plaisir viennent détendre la vigueur de l’âme, et font perdre de vue, sur le moment, la crainte de l’enfer ou le désir du bonheur futur. Ils constituent néanmoins comme des échelons dans le progrès, un apprentissage. Après avoir évité le vice, au commencement, par crainte du châtiment ou l’espoir de la récompense, il nous devient possible de passer au degré de la charité, où la crainte ne se trouve plus : «Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour bannit la crainte : car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour. Nous donc aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier.» (1 Jn 4,18-19). Nul autre chemin, pour nous élever à la perfection véritable : comme Dieu nous a aimés le premier sans égard à rien d’autre que notre salut, ainsi devons nous l’aimer uniquement pour son amour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 7
Excellence de l’âme qui s’écarte du vice par le mouvement de l’amour Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8
Un homme n’éteint en soi les flammes du vice que par peur de la géhenne ou l’espoir de la rétribution future. Cet autre se détourne avec horreur du mal et de l’impureté mêmes dans le sentiment de la divine charité. Il possède le bien de la pureté par le seul amour et désir de la chasteté. Ses yeux ne cherchent pas dans l’avenir la récompense promise, mais la conscience qu’il a du bien déjà présent lui est un profond délice. Il n’a jamais égard au châtiment, et n’agit que pour le bonheur qu’il trouve en la vertu. Entre les deux, la différence est grande. Le second, quand bien même il serait sans témoin, n’abusera pas de l’occasion, non plus qu’il ne laissera profaner son âme par les complaisances secrètes des pensées mauvaises. L’amour de la vertu a pénétré ses moelles; et loin qu’il donne accueil en son âme aux influences contraires, tout son être se soulève pour les rejeter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8
Aussi bien, celui qui ne renonce aux séductions du vice que par le motif de la crainte, retournera, dès que la crainte sera évanouie qui faisait obstacle à son penchant, vers l’objet de ses amours. Pour lui, pas de stabilité dans le bien. Point de repos non plus du côté de la tentation, parce qu’il n’a point la paix solide et constante que donne la chasteté. Où règne le tumulte de la guerre, il est impossible d’échapper au risque d’être blessé. Pour propre que l’on soit à la lutte et vaillant dans le combat, bien que l’on porte souvent aux adversaires de mortelles blessures, il est fatal, dès là qu’on est engagé dans la mêlée, que l’on tâte quelquefois du fer ennemi. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8
Considérez, au contraire, celui qui s’est mis au-dessus des attaques du vice et jouit désormais de la sécurité de la paix, entièrement transformé en l’amour de la vertu. Il demeurera constant dans le bien auquel il appartient sans partage, parce qu’il n’existe pas, à ses yeux, de plus sensible dommage qu’une atteinte portée à la chasteté intime de son âme. La pureté qu’il a présente fait son plus cher et plus précieux trésor, comme le plus grave des châtiments serait de voir les vertus malheureusement blessées, ou d’éprouver la souillure empoisonnée du vice. La présence des hommes et la retenue qu’elle commande n’ajouteront rien à sa modestie, la solitude ne lui ôtera rien. Partout et toujours, il porte avec soi l’arbitre suprême de ses actes et de ses pensées mêmes, sa conscience; et toute son étude n’est que de plaire à ce juge, qu’il sait que l’on ne peut circonvenir, ni tromper, ni éviter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8
Or, nous voyons que beaucoup pour le Christ ont abdiqué leur fortune; et l’expérience témoigne qu’ils n’ont pas seulement renoncé à la possession de l’argent, mais qu’ils en ont encore retranché le désir de leur coeur. Ne devons-nous pas croire que l’on peut de la même manière éteindre le feu de la fornication ? L’Apôtre n’aurait pas joint le possible à l’impossible. S’il commande de mortifier pareillement l’un et l’autre vice, c’est qu’il savait la chose faisable pour tous deux. Il a tant de confiance que nous pouvons extirper de nos membres la fornication et l’impureté, que ce n’est pas assez, à ses yeux, de les mortifier; notre devoir va plus loin, jusqu’à ne pas même les nommer : «Que l’on n’entende pas seulement parler parmi vous, déclare-t-il, de fornication, ni de quelque impureté que ce soit, ni de convoitise. Qu’on n’y entende point de paroles déshonnêtes, ni de folles, ni de bouffonnes, toutes choses qui sont malséantes.» (Eph 5,3-4). Toutes choses aussi qui sont pareillement funestes et nous excluent au même titre du royaume de Dieu, comme il l’enseigne encore : «Sachez-le bien : nul fornicateur, nul impudique, nul homme adonné à l’avarice, ce qui est une idolâtrie, n’a d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu»; (Ibid. 5) «Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu.» (1 Cor 6,9-10). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 3
Plus on grandit dans la douceur de la patience, plus on profite dans la pureté du corps; on est d’autant plus ferme dans la chasteté, que l’on a repoussé plus loin le vice de la colère. Car il est impossible d’éviter les révoltes de la chair, à moins d’étouffer premièrement les emportements du coeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
Celui-là donc pourra s’excuser sur la nécessité inhérente à la nature, qui sera parvenu par une application continuelle à un tel état de pureté, que son âme ne soit plus touchée des appas du vice, et qu’il n’ait plus à regretter que des souillures inconscientes et rares. Tel il sera durant le jour, tel il demeurera durant la nuit; le même dans le sommeil et à la prière, seul et en la compagnie des hommes. Jamais il ne s’apercevra tel dans le secret, qu’il rougisse d’être vu par autrui. Le regard inévitable de Dieu ne surprendra rien chez lui qu’il désire tenir caché à la vue des hommes. Mais la très suave lumière de la chasteté le comblera de continuelles délices, et il pourra dire avec le prophète : «La nuit même est devenue lumineuse, au sein des délices où je suis. Les ténèbres n’ont point d’obscurité pour vous; la nuit brille comme le jour, ses ténèbres ressemblent à la lumière.» (Ps 138,11-12). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 8
Il est prouvé par ailleurs de la façon la plus certaine que celle-ci nous trahit, même durant la veille. Un vice qui n’est contenu qu’avec peine, accordera bien quelque trêve, jamais la sécurité ni le repos parfaits qui succèdent au labeur. Si, au contraire, il est vaincu complètement par une vertu qui s’insinue jusque dans les profondeurs de l’être, il se tient dorénavant tranquille, sans donner le moindre soupçon de révolte, et laisse son vainqueur jouir d’une paix constante et assurée. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 10
Ainsi, ce n’est pas nous seulement qui l’affirmons; ils le confessent eux-mêmes : ils se retiennent uniquement de consommer leurs passions, en se faisant violence; mais le mauvais désir et la volupté du vice ne sont point bannis de leur coeur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5
Si l’on a pu éviter cette faute également, que l’on prenne garde de tomber dans le vice de l’infidélité par un péché plus subtil, qui consiste dans la divagation de l’esprit. Je ne dis pas seulement toute pensée honteuse, mais toute pensée inutile ou qui s’éloigne si peu que ce soit de Dieu, est, aux yeux du parfait, une souillure, une infidélité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 11
Mais ils méconnaissent absolument le sens de ce texte et l’objet qu’il se propose. Ils s’imaginent pratiquer la patience évangélique par le vice de la colère. Or, c’est précisément afin de le retrancher radicalement que, non content de nous interdire la pratique du talion et les provocations aux voies de fait, le Seigneur nous ordonne d’apaiser qui nous frappe, par notre constance à supporter l’injure, même redoublée. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 20
Si, d’ailleurs, il blâme les disputes et les colères précipitées, ce n’est pas qu’il les approuve lorsqu’elles sont lentes. Il faut entendre dans le même sens le mot que voici : «L’insensé déclare sur l’heure sa colère, mais l’homme habile cache son ignominie.» (Pro 12,6). En décidant que le sage doit cacher la passion ignominieuse de la colère, Salomon blâme assurément la promptitude à s’emporter. Il ne suit pas toutefois qu’il n’interdise aussi de la même manière le vice lent à se déclarer. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 27
En proie au plus grand embarras et incapables de décider en l’affaire de notre salut, nos seuls gémissements témoignaient tout ce qu’avait de critique une position si pénible. Nous accusions notre peu de résolution, nous maudissions notre naturelle timidité. C’étaient elles qui nous avaient enlevé tout ressort; et contre notre avantage, au risque de faire avorter notre dessein, nous n’avions su résister aux prières de ceux qui voulaient nous retenir, qu’en promettant de revenir au plus tôt. Nous pleurions sur nous, d’avoir été victimes de ce vice dont parle l’Écriture : «Il a une honte qui cause le péché.» (Pro 26,11). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 2
Du nombre de ces parfaits, comme les fleurs et les fruits d’une tige féconde, sortirent les saints anachorètes. Saint Paul et saint Antoine, que je viens de nommer, sont connus pour être les auteurs de cette profession. Ce ne fut pas, comme pour certains, la pusillanimité ni le vice de l’impatience, mais le désir d’un progrès plus sublime et le goût de la divine contemplation, qui leur firent gagner les secrets de la solitude; bien que, dit-on, le premier ait été contraint de fuir au désert par les embûches de ceux de sa parenté, en un temps de persécution. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 6
Mais cette profession noUvelle, ou plutôt cette tiédeur ne permet jamais à ceux qu’elle a une fois infectés, de parvenir à la perfection. Ce n’est pas assez dire, que leurs vices ne se corrigent point; ils empirent, du seul fait que personne ne les excite. Tel un poison intérieur s’insinue d’autant plus profondément dans les tissus, qu’il est plus caché, et finit par engendrer un mal inguérissable. Par révérence pour la cellule du solitaire, on n’ose accuser des vices que lui-même a mieux aimé ignorer, plutôt que de les guérir. Cependant, la vertu ne s’acquiert pas en dissimulant le vice, mais en le surmontant. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 8
Ne cherchons pas, ne cherchons pas notre paix en dehors de nous; ne comptons pas sur la patience d’autrui, pour venir en aide au vice de notre impatience. De même que «le règne de Dieu est au-dedans de nous», (Lc 17,21) de même «l’homme a pour ennemis les gens de sa maison.» (Mt 10,36). Quel familier plus intime que mon propre coeur ? Et cependant, personne m’est plus ennemi que lui. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 16
Ainsi donc, n’arrêtons pas notre pensée sur la ruine du solitaire qui tomba, dans ce désert fameux, d’une si lugubre chute, ni sur une infamie que du reste il sut remarquablement effacer par la suite dans les larmes de la pénitence. Mais aimons à considérer plutôt l’exemple du bienheureux Paphnuce. Au lieu de trouver un sujet de scandale dans le péché du premier, chez qui un zèle mal tourné pour la religion vint ajouter au vice antique de la jalousie, imitons de toutes nos forces l’humilité du second. Celle-ci ne fut pas un fruit spontané du désert; mais, acquise parmi la société des hommes, elle se développa et parvint à son achèvement dans la solitude. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 16
Nous sommes dans la solitude. Un frère survient, ou demeure quelque peu. Or, notre esprit ne le souffre pas sans agitation ni anxiété : c’est le signe qu’il existe en nous un foyer très vivace d’impatience. — Au contraire, nous attendons la visite d’un frère. Mais, pour une raison quelconque, il se fait attendre. Et voilà qu’une indignation secrète s’élève dans nos coeurs, pour blâmer ce retard; notre âme se trouble dans une attente inquiète et hors de propos : notre conscience trouve là une preuve que le vice de la colère et de la tristesse réside en nous. — Un autre nous demande à lire un manuscrit ou à se servir de quelque objet nous appartenant. Sa demande nous attriste, ou nous le rebutons : il n’est pas douteux que nous ne soyons dans les chaînes de l’avarice. — Une pensée jaillit soudainement ou au cours de la lecture sacrée, qui nous trouble : sachons que le feu de l’impureté n’est pas encore éteint dans nos membres. – À la comparaison de notre austérité avec le relâchement d’autrui, un soupçon d’élèvement effleure notre âme : il est sûr que nous sommes infectés du terrible fléau de l’orgueil. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 12
Lors donc que nous saisirons dans notre coeur ces marques du vice, reconnaissons que l’acte seulement du péché nous fait défaut, non le penchant mauvais. Mêlons-nous à la vie des autres hommes : aussitôt, ces passions sortiront des retraites de notre sensibilité. Preuve qu’elles ne naissent pa dans le moment qu’elles s’échappent impétueusement; mais qu’elles se révèlent enfin au grand jour, après être demeurées longtemps cachées. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 12
C’est ainsi que le solitaire lui-même peut reconnaître à des indices certains si la racine de tel ou tel vice existe au fond de son âme. À la condition toutefois qu’il ne fasse point montre de sa pureté, mais qu’il s’applique à l’offrir inviolée aux regards de Celui à qui ne sauraient échapper les secrets du coeur les plus intimes. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 12
Mais contre l’esprit de fornication, la méthode est différente, comme diverse est la cause. Il serait très dangereux pour les âmes encore faibles et malades d’accueillir le moindre souvenir de ces choses… Quant à ceux qui sont déjà parfaits, et consommés dans l’amour de la chasteté, ils ne manqueront pas de moyens pour s’examiner soi-même, et s’assurer de l’intégrité de leur coeur par le jugement incorruptible de leur conscience. Donc, le solitaire consommé, mais celui-là seulement, s’éprouvera sur ce vice, comme sur les autres. Mais il ne siérait aucunement à ceux qui sont encore faibles, de lenter pareil examen il leur serait plus pernicieux qu’utile… Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 16
C’est ce glaive dont les salutaires blessures répandent le sang corrompu, sève vivante du péché. Toutes végétations charnelles et terrestres qu’il rencontre en notre âme il les coupe et retranche, nous faisant mourir au vice, afin de vivre à Dieu, dans la vigueur des vertus spirituelles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8
Aussi bien, personne ne doit se flatter d’obtenir un si beau résultat, avant d’avoir retranché, dans toute la ferveur de son esprit, ce qui fut la cause ou l’occasion de ses chutes. Par exemple, c’est par une dangereuse familiarité avec les personnes du sexe qu’il est tombé dans une faute grave : qu’il évite avec le plus grand soin jusqu’à leur aspect. — Ou bien il s’est laissé emporter à quelque excès de vin ou de bonne chère : qu’il réprime, par une rigoureuse austérité, les séductions de la gourmandise. — Peut-être, il a été induit au parjure, au vol ou à l’homicide par le désir et la passion de l’argent : il faut écarter les objets qui, en allumant son avarice, l’ont attiré dans le piège. — Enfin, c’est le vice de la superbe qui le pousse à la colère : il arrachera la racine même de l’orgueil par une profonde vertu d’humilité. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 11
Et ainsi pour chaque vice. Si l’on veut en effacer la trace, on doit retrancher tout d’abord la cause et l’occasion qui en furent le principe ou la fin. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 11
Or, ces notes auxquelles se reconnaît le bien essentiel, ne sauraient être attribuées au jeûne en aucune façon. — Il n’est pas bon de soi, ni nécessaire pour lui-même : ce qui en fait la pratique salutaire, c’est qu’elle se propose d’acquérir la pureté de coeur et de corps, et de réconcilier l’âme purifiée avec son Auteur, en émoussant les aiguillons de la chair. — Il n’est pas toujours et immuablement bon; car il nous arrive fréquemment de l’interrompre, sans en éprouver aucun dommage. Bien plus, il tourne à la perte de l’âme, lorsqu’on s’y livre à contretemps. — Son contraire, c’est-à-dire le plaisir que l’on trouve naturellement à manger, n’est pas non plus un mal essentiel, car, s’il ne s’accompagne d’intempérance, de luxure ou de quelque autre vice, on ne peut dire qu’il soit mauvais : Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme. (Mt 15,11). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16
C’est encore tomber évidemment dans le péché du poids trompeur et de la double mesure, que de faire parade à la vue de nos frères, par un désir de gloire humaine, des pratiques plus austères auxquelles nous avons coutume de nous livrer dans nos cellules : en effet, c’est vouloir paraître plus abstinents et plus saints aux yeux des hommes, que nous ne le sommes aux yeux de Dieu. Or, il n’est point de vice qu’il faille davantage, je ne dis pas éviter, mais abominer. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 22
Nos pères nous ont appris trois causes de ces attaques : l’excès de nourriture, le défaut de vigilance, la ruse et l’illusion de l’ennemi. C’est d’abord le vice de la gourmandise. Si l’on voit sa pureté ternie dans un temps de plus stricte abstinence, la cause n’en est pas comme vous le pensez, dans les privations de l’heure présente, mais dans les excès passés. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 3
La deuxième cause de tels accidents est celle-ci. L’âme se trouve vide : nulle occupation, nul exercice spirituels. Elle n’essaye plus de vivre selon les disciplines de l’homme d’intérieur; et, sa continuelle torpeur dégénérant en habitude, elle s’enveloppe comme d’une rouille de paresse. Ou bien elle prend peu de garde aux influences des pensées mauvaises, et en vient à désirer si mollement le degré sublime de la pureté du coeur qu’elle fait consister toute la somme de la perfection et de la chasteté dans l’affliction de l’homme extérieur. Erreur et nonchalance qui ont une suite funeste. La multitude vagabonde des pensées fait irruption, avec une impudente audace, dans le secret de l’âme; bien plus, les semences y persévèrent de tous les vices passés. Or, tant que celles-ci demeurent cachées dans ses replis profonds, les jeûnes les plus rigoureux dont on châtie le corps, n’empêcheront pas les songes voluptueux de venir inquiéter le sommeil… C’est bien pourquoi il importe avant tout de réprimer les divagations de la pensée, de peur que l’âme ne s’accoutume à ces écarts, puis ne se laisse entraîner, durant le sommeil, jusqu’aux impressions plus regrettables du vice. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 3
Puis, l’Apôtre ajoute : C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup de gens débiles et de malades, et qu’un grand nombre sont morts (Ibid., 30), affirmant que la maladie et la mort spirituelles doivent principalement à cette présomption leur origine. Beaucoup, en effet, qui osent communier illicitement, sont faibles dans la foi et d’âme débile, c’est-à-dire, en proie aux langueurs du vice; ils dorment du sommeil du péché, sans que jamais une salutaire sollicitude vienne les réveiller de cette funeste léthargie. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 5
Ils passent donc sans retard à la deuxième cause. N’y a-t-il pas là faute de l’esprit et excès dans le jeûne ? Il s’en trouve, en effet, je dis des plus austères, qui s’élèvent insensiblement de leur pureté corporelle. Mais, alors, c’est le vice de la superbe qui leur ménage une pénible déception, parce qu’ils ont cru obtenir par leurs forces humaines ce qui est un don très particulier de Dieu, la chasteté du corps. On interroge donc le frère. Se croirait-il capable d’une telle vertu par ses propres efforts, en sorte qu’il se puisse passer du Secours divin ? Mais lui d’abominer une idée si impie. Il affirme humblement qu’il n’eût pas conservé son corps pur, même les autres jours, si la Grâce divine ne l’avait aidé. Dès lors, il fallait se rabattre sur la troisième cause. Tout est clair : on est en face d’une secrète machination du diable. Assurés qu’il n’y a faute ni de l’esprit ni de la chair, les anciens décident hardiment que le frère doit prendre part au sacré banquet. Persévérer dans son abstention, serait donner dans le piège adroit que lui tend la malignité de l’ennemi, rester éloigné du Corps du Christ et de sa Sainteté, et se voir à jamais exclu, par cette ruse diabolique, d’un si puissant moyen de salut. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6
Quant à nous, pour être délivrés de toute illusion regrettable, il faut tendre de toute notre force : premièrement, à triompher du vice impur, afin que, selon la parole du bienheureux Apôtre, le péché ne règne plus dans notre corps mortel par notre obéissance à ses convoitises; deuxièmement, à calmer et endormir la puissance de la chair, de manière à ne pas livrer nos membres au péché, comme des instruments d’iniquité; troisièmement, à mortifier jusque dans les moelles, notre homme intérieur tout instinct de concupiscence, nous offrant à Dieu comme vivants, de morts que nous étions. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6
Quels sont donc, en effet, les vierges du Christ, véritables et sans tache ? Ceux qui redoutent le mal ? Ceux qui n’y ont pas de complaisance ? Ceux qui, refrènent le vice ? Non pas; mais ceux qui ont étouffé jusque dans leur âme le plus léger souffle de la volupté, les plus imperceptibles mouvements de la passion; ceux qui ont tellement réduit, si je puis ainsi parler, le sens de la chair, qu’ils n’en ressentent plus la moindre atteinte. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6
Au reste, comment ces expressions pourraient-elles s’accommoder à la personne des pécheurs : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais ? ou celles-ci : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché habite en moi ? Qui des pécheurs se souille contre sa volonté d’adultère ou d’impudicité ? Lequel tend malgré soi des embûches au prochain ? Lequel subit une contrainte inévitable, pour opprimer par le faux témoignage, pour duper et voler, pour convoiter les dépouilles ou répandre le sang d’autrui ? Au contraire, il est écrit : Le genre humain est passionnément appliqué au mal dès la jeunesse (Gen 8,21). Chez tous ceux que brûle la passion du vice, quel désir de satisfaire leurs convoitises ! Sollicitudes qui ne dorment jamais ! Ils guettent l’occasion favorable pour commettre le crime, tant ils craignent de jouir trop tard de l’assouvissement de leurs penchants emportés. Mais encore ils se font une gloire de leur ignominie et d’entasser les forfaits; selon la parole sévère de l’Apôtre, ils cherchent a s’acquérir une sorte d’honneur avec la honte (Phil 3,19). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 1
GERMAIN. – Selon nous, ces textes ne conviennent pas plus à ceux qui vivent dans les péchés mortels, qu’à l’Apôtre ou aux parfaits qui ont atteint sa mesure. Proprement, ils doivent s’entendre de ceux qui, après avoir reçu la Grâce divine et connu la Vérité, désirent s’abstenir des vices charnels, mais se voient entraînés vers leurs convoitises invétérées, par la force d’une habitude ancienne qui domine tyranniquement dans leurs membres, telle une loi de nature. L’habitude et la répétition du mal deviennent, en effet, comme une loi naturelle. Inhérente aux membres de la faible humanité, celle-ci captive et emporte au vice les inclinations de l’âme insuffisamment formée aux pratiques de la vertu et, si l’on peut ainsi dire, de chasteté novice encore et tendre. Elle la soumet, en vertu de l’antique condamnation, à la mort et au joug tyrannique du péché, ne lui permettant pas d’atteindre au bien de la pureté qu’elle aime, mais la contraignant plutôt de faire le mal qu’elle déteste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14
Comparez donc les coutumes de votre pays avec celles du nôtre; puis, considérez séparément, de part et d’autre, le degré de vigueur morale des habitants, résultat de la persévérance dans la vertu ou le vice. Ce qui est dur et impossible à un homme de telle contrée, une habitude invétérée a pu en faire pour d’autres comme une seconde nature. Il existe des peuples, séparés par une grande diversité de climat, qui savent endurer, sans vêtements qui les protègent, l’extrême rigueur du froid ou les ardeurs brûlantes du soleil. Mais ceux qui n’ont pas l’expérience d’un ciel aussi inclément, demeurent incapables de supporter ces températures excessives, quelque robustes qu’ils soient. Votre cas n’est-il pas tout pareil ? Vous mettez, ici, la dernière énergie, physique et morale, à combattre en bien des points le naturel, si je puis dire, de votre patrie. Mais examinez si, dans vos régions, roidies dans une torpeur d’hiver, à ce qu’on dit, et comme glacées par le froid d’une excessive infidélité, vous pourrez supporter l’espèce de nudité que vous voyez chez nous. Car, pour ce pays, l’ancienneté de la vie monastique lui a rendu de quelque façon naturelle cette force dans le saint propos. Si vous découvrez en vous une constance égale et une même vertu, vous n’êtes pas obligés non plus à fuir vos parents ni vos frères. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 8
Des choses visibles passant aux invisibles, nous pouvons bien croire que l’énergie des vices se trouve aussi localisée dans les différentes parties et, si l’on peut dire, les membres de l’âme. Or, les sages y distinguent trois facultés, la raisonnable, l’irascible et la concupiscible. L’une ou l’autre sera nécessairement altérée, toutes les fois que le mal nous attaquera. Lors donc que la passion mauvaise touche quelqu’une de ces puissances, c’est d’après l’altération qu’elle y détermine, que le vice particulier reçoit sa dénomination. Si la peste vicieuse infecte la partie raisonnable, elle y engendre la vaine gloire, l’élèvement, la superbe, la présomption, la contention, l’hérésie. Si elle blesse la partie irascible, elle enfante la fureur, l’impatience, la tristesse, la cruauté. Si elle corrompt la partie concupiscible, elle produit la gourmandise, l’impureté, l’amour de l’argent, les pernicieux et terrestres désirs. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 15
C’est nous, dis-je, oui c’est nous, la chose est manifeste, qui hérissons de nos désirs pervers, comme de cailloux tranchants, les sentiers droits et faciles du Seigneur; nous, qui désertons follement la voie royale, construite des pierres apostoliques et prophétiques, et aplanie par les pas des saints et du Seigneur Lui-même, pour suivre des chemins détournés, pleins de buissons, pour aller, les yeux aveuglés par l’enchantement des plaisirs d’ici-bas, ramper le long des sentiers obscurs et embarrassés des ronces du vice, les jambes déchirées, notre robe nuptiale en lambeaux, destinés pour être la proie des épines acérées, des serpents et des scorpions qui ont là leurs retraites. Car il est écrit : Il y a des épines et des pièges sur les voies perverses, et celui qui craint le Seigneur s’en éloigne (Ibid., 22,5). Et dans un autre endroit, le Seigneur, par la bouche du prophète, parle ainsi des égarés : Mon peuple M’a oublié; il a fait de vains sacrifices; il a choppé dans ses propres voies, dans les sentiers du siècle; il a marché par un chemin qui n’était pas frayé (Jér 18,15). Salomon dit encore : Les chemins des paresseux sont pavés d’épines, mais ceux des forts sont aplanis (Pro 15,19). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 24