Dieu est, en effet, le seul qui fasse le bien, sans y être invité par la crainte ou par l’espoir d’une récompense, mais parle par amour de la bonté : «Le Seigneur a tout fait pour Soi-même,» dit Salomon. (Pro 16,4). Dans la vue de sa bonté, il prodigua l’abondance de tous les biens aux dignes et aux indignes. Ni les injures ne le lassent, ni les iniquités des hommes ne le peuvent émouvoir de douleur, bonté indéfectible, immuable nature. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Je serais fâché que l’on me fit dire qu’il ne s’en trouve point, pour être animés au parfait renoncement. Je prétends seulement que s’il en est qui s’empressent d’une volonté austère à cueillir la palme de la perfection proposée à nos ambitions, ils doivent triompher en quelque manière de leur nature. Car, lorsque l’ardente passion s’en est allumée dans une âme, elle la pousse à supporter, et la faim, et la soif, et les veilles, et la nudité, et toutes les fatigues corporelles, non seulement avec patience, mais de bon coeur : «L’homme, parmi la douleur, travaille pour soi-même, et empêche de force sa propre perte»; (Pro 16,26) «À l’homme pressé de la faim, même ce qui est amer devient doux.» (Ibid. 27,7). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Vous me direz peut-être : «À qui donc dispenser les secrets des divines Écritures ? Le sage Salomon vous l’apprend : «Versez l’ivresse à ceux qui sont dans la tristesse, et donnez à boire du vin à ceux qui sont dans la douleur, afin qu’ils oublient leur misère et qu’ils ne se souviennent plus dorénavant de leurs souffrances.» (Pro 31,6-7). C’est-à-dire: À ceux que le regret de leur première vie abat sous le chagrin et la tristesse, versez abondamment la joie de la science spirituelle, comme d’un vin qui réjouit le coeur de l’homme; réchauffez-les, en les enivrant de la parole du salut, de peur que, se laissant submerger par la continuité de leur chagrin et un mortel désespoir, «ils ne soient absorbés dans une excessive tristesse.» (2 Cor 2,7). Mais pour ceux qui vivent dans la tiédeur et la négligence, sans éprouver dans leur coeur le plus léger remords, voici comme il en est parlé : «Celui qui vit dans les douceurs et sans souffrance, sera dans le dénuement.» (Pro 14,23). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Une multitude énorme était venue pour saisir le Seigneur, avec des épées et des bâtons. Or, personne ne fut plus cruellement parricide contre l’Auteur de notre vie que le traître Judas, qui, prévenant tous les autres afin de lui offrir, en le saluant, un hypocrite hommage, lui donna le baiser d’une charité perfide. Et le Seigneur lui dit : «Judas, tu livres le Fils de l’homme par un baiser ? » (Lc 22,48) c’est-à-dire : Pour couvrir l’amertume de la persécution et de la haine, tu empruntes le signe fait pour exprimer la douceur du véritable amour ! Mais il exhale plus ouvertement et avec plus de véhémence la violence de sa douleur par la bouche du prophète : «Si c’était un ennemi qui m’eût outragé, je l’aurais supporté; et si c’était celui qui m’avait en haine qui se fût élevé contre moi dans ses paroles, je me serais caché de lui. Mais toi, tu n’avais qu’une âme avec moi; tu étais mon guide et mon ami; tu partageais avec moi une douce nourriture; nous allions de concert dans la maison de Dieu !» (Ps 54,13-15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Mais ce que nous estimions devoir nous donner tant de joie, nous est devenu, au contraire, le sujet d’une douleur intolérable, lorsque nous considérons qu’il nous est impossible d’obtenir de cette manière ce qui serait si salutaire. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Aux marques signalées tout à l’heure, quelqu’un a reconnu qu’il est en butté aux mouvements tumultueux de l’impatience et de la colère : qu’il s’exerce constamment par des pensées capables de les exciter. Il s’imaginera qu’il est victime de toutes sortes d’injures et de dommages, et s’entraînera à souffrir, dans une parfaite humilité, tout ce que peut lui imposer la méchanceté des hommes. Il se représentera fréquemment les choses les plus dures et les plus intolérables; et, pénétré des sentiments de la plus profonde contrition, il occupera sa pensée de la grande douceur qu’il devrait montrer en de telles conjonctures. Regardant aux souffrances des saints ou à celles du Seigneur, il conviendra que tous les propos injurieux, tous les genres même de châtiments sont au-dessous de ce qu’il mérite, et se préparera à supporter toute douleur. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
Pour remédier aux vices dont nous avons parlé, la société des hommes, bien loin d’être nuisible, présente, au contraire, de grands avantages. Ils se mainfestent plus souvent par les impatiences multipliées dont ils sont la cause; et plus sont continuels la douleur et le repentir de nos défaillances, plus vite aussi notre mal trouve sa guérison. C’est pourquoi, lorsque nous habitons la solitude, et que les occasions capables de les exciter ne peuvent surgir du côté des hommes, nous devons nous en représenter tout exprès à l’esprit, afin de nous ménager, par un combat ininterrompu une plus prompte guérison. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
Près de trois années s’écoulèrent dans ce labeur et cette humiliante sujétion après lesquels il avait soupiré, trois années de joie; lorsque survint d’aventure un frère de sa connaissance, parti de la même contrée de l’Égypte qu’il avait lui-même quittée. Celui-ci le reconnut sans peine et sur-le-champ; mais les vêtements dont il le voyait couvert, un office si bas le firent hésiter longtemps. Après l’avoir bien observé, tous ses doutes s’évanouirent, et incontinent il tomba à ses genoux. De prime abord, ce fut parmi les frères une grande stupeur; mais, lorsqu’il eut dit le nom de celui qu’il vénérait ainsi, nom que le bruit d’une sainteté si éminente avait publié jusque chez eux, l’étonnement fit place à la douleur. Ils ne pouvaient assez regretter d’avoir appliqué à des emplois si vils un homme de ce mérite, et de plus, honoré du sacerdoce. Pinufe, cependant, versait d’abondantes larmes, et imputait à la jalousie du démon la disgrâce de cette trahison. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Nous ne courbons pas non plus les genoux pour la prière, en ces jours, parce que cette posture est un signe de pénitence et de douleur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Je connais un frère qui jouissait d’une chasteté constante de coeur et de corps, après l’avoir méritée à force de circonspection et d’humilité; mais, toutes les fois qu’il se préparait à la communion du Seigneur, il avait à déplorer un fait de ce genre. Longtemps, la frayeur le retint de participer aux sacrés mystères. À la fin, il va soumettre la question aux anciens, s’assurant de trouver dans leur conseil secourable un remède à ces attaques bien qu’à sa douleur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Nous voilà donc à part du nombre des voyants, du fait de notre impuissance à dé couvrir la multitude des taches légères accumulées en nous. Mais aussi quel état ! Nul sentiment de componction, si la maladie de la tristesse est venue troubler notre âme; nulle douleur des suggestions de vaine gloire qui nous ébranlent; point de larmes pour notre lenteur à prier ou pour notre tiédeur. Que, durant l’oraison et la psalmodie, il nous vienne dans l’esprit des pensées étrangères à l’oraison ou au psaume : nous ne le comptons pas pour faute. Beaucoup de choses que la honte nous arrêterait de dire ou de faire devant les hommes, nous ne rougissons pas d’en occuper notre coeur, ne serait-ce que par moments, sous le regard de Dieu qui nous voit : et nous n’avons point horreur de nous-mêmes. Dans l’exercice de la charité, tandis que nous subvenons aux besoins des frères ou que nous distribuons l’aumône aux pauvres, un nuage vient obscurcir la sérénité de notre joie : hésitation de l’avarice ! Et nous n’avons point de gémissements, pour le déplorer. Nous pensons ne souffrir aucun détriment, si nous quittons le souvenir de Dieu, pour songer aux choses temporelles et corruptibles; et l’oracle de Salomon s’applique à nous fort justement : On me frappe, mais je ne l’ai pas senti; ou me joue, et je ne m’en suis pas aperçu (Prov 23,35). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Déchoir, par le poids victorieux des pensées terrestres, des hauteurs sublimes de la contemplation; passer, contre sa volonté, et qui plus est à son insu, sous la loi du péché et de la mort; se voir détourner de la divine Présence, pour ne rien dire des autres causes de distractions, par les oeuvres énumérées plus haut, bonnes et justes à la vérité, terrestres néanmoins : voilà donc qui est pour les saints d’une expérience quotidienne. Certes, ils ont sujet de pousser des gémissements continuels vers le Seigneur; ils ont sujet de se proclamer pécheurs, non pas seulement de bouche, mais aussi de coeur, avec les sentiments d’une vraie humilité et componction; ils ont sujet de répandre sans cesse de vraies larmes de pénitence, en implorant le pardon des fautes où les entraîne chaque jour la fragilité de la chair. Aussi bien, c’est pour jusqu’au dernier instant de leur vie qu’ils se voient la proie des agitations qui leur sont une perpétuelle et cuisante douleur, hors d’état d’offrir leurs supplications elles-mêmes sans mélange d’inquiétude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Aussi bien, plus l’âme progresse, plus grande est la pureté de contemplation où elle est parvenue; plus aussi elle se voit impure, comme dans le miroir de sa propre pureté. Quelqu’un se porte-t-il de tout lui-même vers une contemplation plus sublime; le regard en avant, sans cesse habite-t-il par le désir dans de plus hautes régions : nécessairement, il méprise le degré où il se trouve comme inférieur et vil. L’oeil sain distingue plus de choses; une vie sans reproche que l’on se reprend avec plus de douleur; l’amendement des moeurs et le zèle vigilant de la vertu multiplient gémissements et soupirs. Impossible de se satisfaire avec le degré où l’on est parvenu. Plus l’âme est pure; plus elle se voit souillée, et trouve en soi des raisons de s’humilier, plutôt que de s’élever. Plus elle est rapide dans son vol vers les cimes, plus elle voit grandir devant soi l’espace à parcourir. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Supposez des moines qui ne peuvent ou ne savent pas encore résister aux poussées de leurs volontés. Voici que l’ennui attaque avec plus de violence leur coeur non accoutumé à de tels assauts, l’anxiété les saisit par dedans leur cellule. S’ils relâchent l’austérité de la règle, et s’accordent la liberté de sortir trop souvent, ils susciteront contre soi un fléau plus terrible, par cela même où ils pensent trouver un remède. Tels certains malades s’imaginent éteindre les ardeurs de la fièvre, en prenant de l’eau fraîche. Mais il est évident que c’est là exciter ce feu intérieur, plutôt que l’abattre; ce soulagement d’un instant sera suivi d’une douleur plus vive. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM