Cassiano: douceur

Il embrasse aussi avec un égal amour la patience et la douceur. Les manquements des pécheurs n’irritent plus sa colère; mais plutôt implore-t-il leur pardon, pour la grande pitié et compassion qu’il ressent à l’endroit de leurs faiblesses. Ne se souvient-il pas d’avoir éprouvé l’aiguillon de passions semblables, jusqu’au jour qu’il plut à la divine miséricorde de l’en délivrer ? Ce ne sont pas ses propres efforts qui l’ont sauvé de l’insolence de la chair, mais la protection de Dieu. Dès lors, il comprend que ce n’est pas de la colère qu’il faut avoir pour ceux qui s’égarent, mais de la commisération; et, dans l’absolue tranquillité, de son coeur, il chante à Dieu ce verset : «C’est vous qui avez brisé mes chaînes, je vous offrirai un sacrifice d’action de grâces;» (Ps 115,16-17) et encore : «Si le Seigneur n’eût été mon soutien, peu s’en fallait que mon âme n’habitât l’enfer.» (Ps 93,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Plus on grandit dans la douceur de la patience, plus on profite dans la pureté du corps; on est d’autant plus ferme dans la chasteté, que l’on a repoussé plus loin le vice de la colère. Car il est impossible d’éviter les révoltes de la chair, à moins d’étouffer premièrement les emportements du coeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

L’une des béatitudes exaltées par la bouche de notre Sauveur nous rend cette vérité manifeste : «Heureux les doux, parce qu’ils posséderont la terre.» (Mt 5,4). Nous n’avons point d’autre moyen de posséder notre terre, c’est-à-dire de soumettre à notre empire la terre rebelle de notre corps, que de fonder tout d’abord notre âme en la douceur de la patience; dans les combats que la passion suscite à notre chair, le triomphe ne s’obtient que si l’on revêt les armes de la mansuétude : «Les doux, dit le prophète, posséderont la terre,» et «ils y demeureront à jamais.» (Ps 36,11 et 29). Puis, il nous enseigne, dans la suite du psaume, la méthode pour conquérir cette terre : «Attends le Seigneur et garde sa voie; il t’élèvera, et tu posséderas la terre en héritage.» (Ps 36,34). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Voilà donc une vérité constante : personne n’arrive à la ferme possession de cette terre, hors ceux qui gardent les voies dures et les préceptes du Seigneur par la douceur inaltérable de la patience. Sa main les retirera de la fange et les élèvera au-dessus des passions charnelles. «Les doux posséderont la terre;», et non seulement ils la posséderont, mais «ils goûteront les délices d’une paix débordante.» (Ibid. 11). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Qui n’admirerait en soi les oeuvres du Seigneur, lorsqu’il voit l’instinct de la gloutonnerie et la recherche dispendieuse autant que fatale des plaisirs de la bouche si parfaitement étouffés, qu’à peine prend-il encore à de rares intervalles et comme malgré soi une chétive et grossière nourriture ? Qui ne demeurerait saisi de stupeur devant les ouvrages de Dieu, en constatant que le feu de la volupté, qu’il considérait auparavant comme inhérent à la nature et en quelque sorte impossible à éteindre, s’est tellement refroidi en lui, qu’il n’éprouve plus dans sa chair le moindre mouvement, fut-ce le plus innocent ? Comment n’admirer pas avec tremblement la vertu divine, lorsqu’on voit des hommes cruels jadis et farouches, que même la soumission la plus insinuante exaspérait jusqu’au comble de la fureur, devenus des anges de douceur, tellement que, loin qu’ils s’émeuvent de l’injure, leur magnanimité souveraine va jusqu’à s’en réjouir ? Qui s’étonnerait devant les oeuvres de Dieu et s’écrierait du fond de son coeur: «J’ai connu que le Seigneur est grand,» (Ps 134,5) lorqu’il se voit lui-même, ou quelque autre, passé de l’extrême cupidité à la libéralité, de la prodigalité à une vie d’abstinence, de la superbe l’humilité, faisant succéder aux délicatesse et à la recherche un extérieur négligé et hirsute, embrassant volontairement la pénurie et la détresse et y plaçant sa joie ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Ceux-là seulement qui en font l’expérience, connaissent la douceur de la chasteté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Je suppose un homme qui n’ait jamais goûté rien de doux. On veut lui faire saisir avec des paroles la douceur du miel. Mais les mots qui entrent par ses oreilles ne lui donnent pas le sentiment d’une suavité que son palais n’a point éprouvée. D’autre part, les paroles manqueront à celui qui veut expliquer la douceur que le plaisir du goût lui a révélée; et charmé par un agrément qu’il est seul à connaître, il sera réduit à admirer silencieusement en soi-même la saveur exquise dont il a fait l’expérience. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Puis, après avoir banni tous les soins et les pensées terrestres, efforcez-vous de toutes manières de vous appliquer assidûment, que dis-je ? constamment à la lecture sacrée, tant que cette méditation continuelle imprègne enfin votre âme, et la forme, pour ainsi dire, à son image. Elle en fera de quelque façon l’arche de l’alliance, renfermant en soi les deux tables de pierre, c’est-à-dire l’éternelle fermeté de l’un et l’autre Testament; — l’urne d’or, symbole d’une mémoire pure, et sans tache qui conserve à jamais le trésor caché de la manne, entendez l’éternelle et céleste douceur des pensées spirituelles et du pain des anges; la verge d’Aaron, c’est-à-dire l’étendard, signe du salut, de notre Souverain, et véritable pontife Jésus Christ, toujours verdoyant dans un immortel souvenir : le Christ, en effet, est la verge qui, après avoir été coupée de la racine de Jessé, reverdit de sa mort avec une vigueur nouvelle. Toutes ces choses sont couvertes par deux chérubins, c’est-à-dire la plénitude de la science historique et spirituelle. Car chérubin signifie plénitude de science. Ils couvrent sans cesse le propitiatoire de Dieu, c’est-à-dire la tranquillité de votre coeur, et la protègent contre toutes les attaques des esprits malins. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Pour plusieurs, c’est une recommandation qui les a mis d’abord en connaissance, leur a fait nouer commerce d’amitié. Certains se sont liés d’affection à l’occasion de quelque contrat ou convention portant donné et reçu. D’autres ont conclu amitié, à cause de la ressemblance et communauté qu’ils avaient, soit dans les affaires, soit au service militaire, dans le métier ou dans la profession. Cette communauté est capable de mettre tant de douceur réciproque aux coeurs les plus farouches, que ceux-là mêmes qui, dans les forêts et les montagnes, se plaisent au brigandage et trouvent des délices à l’effusion du sang humain, se montrent pleins d’attachement et de soins les uns pour les autres. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Le moyen qu’il allume le brandon de la dispute ? Il s’est fait une loi, lorsqu’il s’agira de sa manière de voir et de comprendre les choses, de ne pas tant se fier à son jugement qu’à l’appréciation de son frère; et sur la décision de cet arbitre, on le voit approuver on désapprouver ses propres idées, montrant dans l’humilité d’un coeur tout rempli de douceur une expression achevée de cette parole de l’Évangile : «Non pas comme je veux, mais comme vous voulez.» (Mt 26,39). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Il est impossible d’éviter ce malheur, si l’on se lie à son propre sens. Mais il faut aimer et pratiquer la vraie humilité; il faut remplir, avec un coeur contrit, le voeu si pressant de l’Apôtre : «S’il est quelque consolation dans le Christ, s’il est quelque douceur et soulagement dans la charité, s’il est quelque tendresse et compassion, rendez ma joie parfaite; ayez une même pensée, un même amour, une même âme, un même sentiment; ne faites rien dans un esprit de contention ni par vaine gloire; mais tenez-vous en toute humilité pour supérieurs les uns aux autres.» (Phil 2,13). Il dit encore : «Prévenez-vous d’honneur les uns les autres.» (Rom 12,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

On voit bien, par exemple, que l’amour des parents pour leurs enfants n’est pas uniforme. Le patriarche Jacob nous en fournit une preuve. Père de douze fils, il les aimait tous d’une charité vraiment paternelle. Il ressentait cependant un penchant tout particulier pour Joseph, de qui l’Écriture déclare ouvertement : «Ses frères le jalousaient, parce que son père l’aimait.» (Gen 37,4). Non que ce juste, ce vrai père ne chérît aussi grandement ses autres enfants; mais il avait plus de douceur et de complaisance à se reposer dans son affection pour celui-ci, comme portant dans sa personne la figure du Seigneur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Une multitude énorme était venue pour saisir le Seigneur, avec des épées et des bâtons. Or, personne ne fut plus cruellement parricide contre l’Auteur de notre vie que le traître Judas, qui, prévenant tous les autres afin de lui offrir, en le saluant, un hypocrite hommage, lui donna le baiser d’une charité perfide. Et le Seigneur lui dit : «Judas, tu livres le Fils de l’homme par un baiser ? » (Lc 22,48) c’est-à-dire : Pour couvrir l’amertume de la persécution et de la haine, tu empruntes le signe fait pour exprimer la douceur du véritable amour ! Mais il exhale plus ouvertement et avec plus de véhémence la violence de sa douleur par la bouche du prophète : «Si c’était un ennemi qui m’eût outragé, je l’aurais supporté; et si c’était celui qui m’avait en haine qui se fût élevé contre moi dans ses paroles, je me serais caché de lui. Mais toi, tu n’avais qu’une âme avec moi; tu étais mon guide et mon ami; tu partageais avec moi une douce nourriture; nous allions de concert dans la maison de Dieu !» (Ps 54,13-15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

JOSEPH. — Je l’ai dit tout à l’heure, il ne faut pas considérer seulement l’acte matériel, mais la disposition d’esprit et l’intention de celui qui agit. Pesez bien, dans l’intime de votre coeur, les sentiments qui animent les actions humaines, examinez de quel mouvement elles procèdent; et vous verrez que la vertu de patience et de douceur ne se peut accomplir en aucune façon par un esprit tout contraire, à savoir l’esprit d’impatience et de fureur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Vous voyez par là combien ceux dont nous parlons sont éloignés de la perfection évangélique. Elle nous enseigne à garder la patience, non en paroles, mais par la tranquillité du coeur. Et avec quelles exigences veut-elle que nous soyons attentifs à la conserver dans les rencontres fâcheuses ! Ce n’est rien encore de nous garder indemnes des émotions violentes de la colère.,Nous devons, en pliant sous l’injure, contraindre à s’apaiser ceux qui sont émus même par leur faute, leur permettre de s’assouvir en nous frappant. Il faut, à force de douceur, triompher de leur emportement. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Ainsi remplirons-nous le conseil de l’Apôtre : «Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien.» (Rom 12,21). Mais c’est de quoi demeurent bien incapables, ceux qui profèrent des paroles de douceur et d’humilité dans un esprit d’orgueil; et, loin de songer à éteindre chez soi l’incendie de la colère, ne se proposent, au contraire, que d’en aviver les flammes, et dans leur propre coeur, et dans le coeur de leur frère. Lors même qu’ils réussiraient, pour leur part, à conserver quelque façon de douceur et de paix, ils ne cueilleraient pas encore de cette manière le fruit de la justice, parce qu’ils cherchent à obtenir la gloire de la patience au détriment du prochain. Ne se rendent-ils point, par ce fait, absolument étrangers à l’amour recommandée par l’Apôtre ? Celle-ci «ne cherche pas son intérêt propre,» (1 Cor 13,5) mais celui des autres. Le désir de s’enrichir ne lui fait point poursuivre son profit aux dépens du prochain. Elle ne souhaite pas de rien acquérir, en dépouillant autrui. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Tandis qu’il se réserve pour la douceur de la concorde prochaine, il ne sentira pas l’amertume de la querelle présente, et fera de préférence telle réponse dont il n’ait pas à s’accuser lui-même ni à être repris par son frère, lorsque l’amitié sera rétablie. De cette façon, il accomplira la parole du prophète : «Dans la colère, souviens-toi de la miséricorde.» (Hab 3,2). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

Le repas terminé, l’abbé Sarapion profite de l’habituelle conférence, pour lui faire une monition pleine de bénignité et de douceur. «Il ne devrait pas courir ainsi de tous côtés, oisif et vagabond, toujours inconstant, jamais stable; surtout jeune comme il est, et si robuste. Qu’il se tienne dans sa cellule, selon la règle donnée par les anciens, et s’applique à vivre de son travail, plutôt que de la munificence d’autrui. L’apôtre Paul s’est bien gardé de tomber, dans son travers. Ouvrier de l’évangile, il eût pu réclamer l’hospitalité comme une dette. Cependant, il aimait mieux travailler jour et nuit, afin de gagner pour lui-même et pour ceux qui, l’aidant en son ministère, n’avaient pas le loisir d’exercer un métier, le pain quotidien.» Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

GERMAIN. — Nous voudrions savoir comment s’acquiert et se conserve la tranquillité dont vous parlez. Nous commander le silence, tenir nos lèvres closes et réprimer toute licence de paroles : c’est bien. Mais il faudrait garder aussi la douceur du coeur. Or parfois, alors même que l’on parvient il refréner sa langue, on perd au-dedans sa paix. Et voilà pourquoi il nous paraît impossible de conserver le bien de la mansuétude, à moins de vivre solitaire dans une cellule écartée. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Cette dame conduit la veuve à son logis, et se met à lui prodiguer ses services. Cependant, elle ne trouve en son hôtesse que modestie et douceur; à tout moment, ce sont actions de grâces nouvelles pour les témoignages de charité qu’on lui donne. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Je parle à dessein de cette assemblée si nombreuse, parce que je voudrais raconter en peu de mots la patience d’un frère, qui éclata précisément par la douceur inaltérable dont il fit preuve en présence de tout ce monde. À la vérité, le but du présent écrit est différent : je m’y propose, en effet, de rapporter les discours de l’abbé Jean, qui avait abandonné le désert, pour venir, avec une humilité admirable, se soumettre à la discipline de ce monastère. Mais je ne pense rien faire hors de propos, si, sans nul détour de paroles, je puis donner, comme je l’espère, un grand sujet de s’édifier à tous ceux qui ont le goût de la vertu. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Son dessein, en agissant de la sorte, fut de manifester à tous ceux qui étaient présents la patience de ce frère, et de les instruire par l’exemple d’une si rare modestie. En effet, le jeune homme, dont la patience mérite de rester dans la mémoire des hommes, reçut cet affront avec tant de douceur, que pas une parole ne s’échappa de sa bouche, ni le plus léger murmure ne se laissa deviner au frémissement silencieux de ses lèvres; davantage, son air modeste, sa tranquillité, la couleur même de son visage n’en furent pas le moins du monde altérés. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Aux marques signalées tout à l’heure, quelqu’un a reconnu qu’il est en butté aux mouvements tumultueux de l’impatience et de la colère : qu’il s’exerce constamment par des pensées capables de les exciter. Il s’imaginera qu’il est victime de toutes sortes d’injures et de dommages, et s’entraînera à souffrir, dans une parfaite humilité, tout ce que peut lui imposer la méchanceté des hommes. Il se représentera fréquemment les choses les plus dures et les plus intolérables; et, pénétré des sentiments de la plus profonde contrition, il occupera sa pensée de la grande douceur qu’il devrait montrer en de telles conjonctures. Regardant aux souffrances des saints ou à celles du Seigneur, il conviendra que tous les propos injurieux, tous les genres même de châtiments sont au-dessous de ce qu’il mérite, et se préparera à supporter toute douleur. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Il importe donc de garder notre coeur constamment attentif et circonspect, en toute prudence et sagacité. Car quel malheur, si le jugement de notre discrétion venant à errer, nous nous laissions enflammer par le désir d’une abstinence inconsidérée ou séduire par l’amour d’une excessive douceur ! Ce serait peser nos forces sur une balance fausse. Eh bien, non ! Mettant sur un plateau la pureté de l’âme, sur l’autre notre vigueur corporelle, pesons-les selon le jugement véridique de la conscience, de manière à n’être entraînés ni d’une part ni de l’autre, par une affection prépondérante et vicieuse. Si nous inclinions la balance, ou vers une austérité sans mesure, ou vers un trop grand relâchement, il nous serait dit pour cet excès : Si vous avez bien offert et que vous n’ayez pas bien partagé, n’avez-vous point péché ? (Gen 7,7). Les sacrifices extorqués à notre pauvre estomac, au prix de convulsions violentes, nous avons beau les croire offerts à Dieu selon la droiture; Celui qui aime la miséricorde et la justice, (Ps 32,5) les exècre : Je suis le Seigneur, dit-il, qui aime la justice, et qui hais l’holocauste venant de rapine. (Is 46,8). Par ailleurs, ceux qui consacrent le principal de leurs offrandes, je veux dire de leur service et de leurs actes, à favoriser la chair et à satisfaire leurs propres besoins, ne réservant au Seigneur que des restes, une part insignifiante, la divine parole les condamne à leur tour comme des ouvriers infidèles : Maudit soit celui qui fait l’oeuvre de Dieu avec fraude. (Jer 48,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Au contraire, ceux qui mettent toute douceur, joie et béatitude dans la contemplation des choses divines et spirituelles. Si des pensées tyranniques les en arrachent sans leur aveu et seulement un instant, ils pensent avoir commis une sorte de sacrilège, qu’une pénitence immédiate vient aussitôt punir. Quelles larmes, pour avoir préféré à leur Créateur la vile créature qui a détourné le regard de leur âme ! Ils se taxent, je dirais presque d’impiété; et, encore que leur promptitude soit extrême à ramener vers la clarté de la Gloire divine les veux de leur coeur, les ténèbres, même fugitives, des pensées charnelles leur sont une chose insupportable, et ils ont en exécration tout ce qui retire leur esprit de cette vraie lumière. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

À nous non plus, peut-être, les facilités ni les avantages charnels dont vous parlez n’auraient point fait défaut, si nous avions cru qu’ils convinssent à notre vie, ou jugé que la douceur de ces agréments pût nous être d’un profit égal à celui qui se fait parmi ces sombres lieux et dans l’affliction du corps. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

De là mille chaînes dont le démon nous tient attachés. La conséquence en est fatale : dès qu’il voudra nous séparer des joies spirituelles, il nous contristera par quelque diminution de notre avoir ou une perte totale. Car toutes ses ruses tendent à ce but : lorsque notre convoitise vicieuse nous aura rendu pesantes la douceur du joug du Sauveur et la légèreté de son fardeau, captifs ddes richesses que nous réservions pour notre repos et notre consolation, il nous torturera sans trêve avec les fouets des soucis terrestres, prenant en nous-mêmes de quoi nous lacérer. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Et, pour rendre la chose plus évidente, à force de la répéter, tel aimait son épouse avec les emportements de la convoitise (cf. 1 Thess 4,5); il l’aime maintenant dans l’honneur de la sainteté et la vraie dilection du Christ : c’est la même et unique épouse, mais le prix de l’amour s’est élevé au centuple. Mettez encore en balance le trouble de la colère et de la fureur avec la constante douceur de la patience; le tourment des soucis et des préoccupations avec le repos de la tranquillité; la tristesse infructueuse du siècle présent, toute en souffrance, avec le fruit de la tristesse qui opère le salut : la vanité des satisfactions temporelles avec l’abondance de la joie spirituelle et, dans un tel échange, le centuple vous apparaîtra manifestement. De même, si l’on compare à la brève et fuyante volupté des vices le mérite de la vertu contraire, le bonheur se multiplie singulièrement de l’une à l’autre : preuve évidente que le prix de la vertu est aussi cent fois supérieur. Le nombre 100 s’obtient, en effet, en passant de la main gauche à la main droite; et bien que la figure formée par les doigts soit identique, la quantité signifiée a pourtant énormément grandi. À gauche, nous étions parmi les boucs; en passant à droite, nous sommes élevés au rang des brebis. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM