Cassiano: divin

L’élection d’un évêque l’avait amené ce jour-là à Thennesus. Il nous reçut avec toutes les marques de la plus tendre charité. Puis, lorsqu’il connut notre désir d’aller, visiter les pères jusque dans les provinces les plus reculées de l’Égypte. «Venez, nous dit-il, venez en attendant voir les vieillards qui habitent non loin de notre monastère. Leur grand âge paraît à leur taille déjà penchée, et la sainteté éclate rien que dans leur aspect. Leur seule vue vaut pour ceux qui en jouissent de longs enseignements. Le divin secret que j’ai laissé échapper, hélas ! et ne puis vous communiquer maintenant qu’il est perdu pour moi, ils vous l’apprendront moins par leurs paroles que par l’exemple de leur sainte vie. Puissé-je par ce soin compenser de quelque manière mon indigence ! Si je n’ai pas la pierre précieuse de l’Évangile, que vous cherchez, je veux du moins vous fournir le moyen de vous la procurer plus aisément.» Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

La confiance au secours divin nous méritera ces dispositions, non la présomption que nous pourrions concevoir de nos propres efforts. L’âme qui, les possède sort de la condition servile, caractérisée par la crainte, et du désir mercenaire de l’espérance, qui s’attache à la récompense plus qu’à la bonté de Celui qui la donne, pour passer à l’adoption des fils, où la crainte ne se trouve plus, ni le désir, mais où règne à jamais la charité qui ne meurt pas. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Vous le voyez donc, la perfection comporte différents degrés. D’un sommet, le Seigneur nous appelle à monter vers un sommet plus élevé. Celui qui s’est rendu bienheureux et parfait dans la crainte de Dieu, marchera, comme il est écrit, «de vertu en vertus», (Ps 83,8) et de perfection en perfection, c’est-à-dire qu’il s’élèvera, dans l’allégresse de son âme, de la crainte à l’espérance; puis, il entendra de nouveau l’appel divin l’inviter à un état plus saint encore, qui est l’amour. Celui qui se sera montre «serviteur fidèle et prudent», (Mt 24,45) passera au commerce intime de l’amitié et à l’adoption des fils. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Persuasion facile et à la portée de tous, semble-t-il; et cependant, elle est aussi difficile aux commençants que la chasteté parfaite elle-même. À peine ont-ils entrevu les premiers sourires de la pureté : un certain élèvement se glisse subtilement dans le secret de leur conscience, et ils se complaisent en eux-mêmes, dans la pensée que leur soin diligent a tout fait. C’est pourquoi il leur est nécessaire de se voir retirer pour un temps le secours divin, et de subir la tyrannie des vices que la vertu de Dieu avait éteints, jusqu’à ce que l’expérience leur ait appris qu’ils ne sauraient obtenir par leurs propres forces et par leur travail personnel le bien de la pureté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Là ne se borne pas le besoin qu’a le bon laboureur du divin secours. Celui-ci doit de plus écarter les accidents imprévus. Lors même que la terre se couvrirait à plaisir de fruits opulents, les espérances du propriétaire peuvent encore être frustrées, son attente demeurer vaine. Que dis-je ? Recueilli en quantité et entassé dans l’aire ou les greniers, le grain peut encore se perdre. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

GERMAIN. — Il ne nous est pas possible d’improuver absolument votre opinion comme contraire à la piété. Pourtant, elle semble avoir contre soi, qu’elle tend à la destruction de notre liberté. D’autant que nous voyons briller chez nombre de païens, qui certes ne méritent pas la grâce du secours divin, des vertus comme la frugalité, la patience et, ce qui est plus merveilleux encore, la chasteté. Et comment croire que ces vertus leur aient été accordées par un don de Dieu qui aurait rendu captif le libre arbitre de leur volonté ? Ne dit-on pas que les sectateurs de la sagesse mondaine, ignorants comme ils étaient, non seulement de la grâce, mais du vrai Dieu lui-même, ont possédé la pure fleur de la chasteté par la vertu de leurs propres efforts, ainsi que nos lectures nous l’ont appris et les récits d’autrui ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

En bien des choses, et pour mieux dire, en toutes, l’homme a besoin sans cesse du secours divin : on le montrerait sans peine. L’humaine fragilité ne peut rien accomplir de ce qui regarde le salut, par soi seule et sans l’aide de Dieu. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Si nous disons que le commencement de la bonne volonté est nôtre, quel fait-il chez Paul persécuteur (cf. Ac 9), chez Matthieu publicain (cf. Mt 9,9) ? Ils sont attirés au salut, tandis qu’ils se plaisent, l’un dans le sang et le supplice des innocents, l’autre aux violences et aux rapines publiques ! Si nous affirmons, au contraire, que le principe de la bonne volonté est toujours dû à l’inspiration de la grâce, que dirons-nous de la foi de Zachée et de la piété du larron sur la croix (cf. Lc 19,2 et ss.; 23,4 et ss.), eux dont le désir, faisant violence au royaume des cieux, prévient l’avertissement particulier de l’appel divin. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

On ne peut douter par conséquent que toute âme possède naturellement les semences des vertus, déposées en elle par le bienfait du Créateur. Mais, si le secours divin ne les éveille, elles ne parviendront pas à la parfaite croissance, parce que, selon le bienheureux Apôtre, «ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose; mais Dieu, qui donne la croissance, est tout» (1 Co 3,7). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Mais, afin qu’ils ne croient pas pouvoir se passer du secours divin pour accomplir ce grand ouvrage, il ajoute : «C’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le parfaire, de par son bon plaisir» (Phil 2,13). Il avertit de même Timothée : «Ne néglige pas la grâce qui est en toi» (1 Tim 4,14); et de nouveau : «C’est pourquoi je t’avertis de ressusciter la grâce de Dieu qui est en toi» (2 Tim 1,6). Écrivant aux Corinthiens, il leur rappelle, il les presse de ne pas se rendre indignes de la grâce de Dieu par des oeuvres stériles : «Or donc, étant ses coopérateurs, nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu» (2 Co 6,1). Simon, lui, l’avait reçue en vain; aussi ne lui fut-elle d’aucun profit. Il ne voulut pas obéir au commandement du bienheureux Pierre, qui lui disait : «Fais pénitence de ta malice, et prie Dieu qu’il te pardonne, s’il est possible, cette pensée de ton coeur. Je te vois la proie d’un fiel amer, et dans les liens de l’iniquité» (Ac 8,22-23). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

S’il n’avait lutté contre son adversaire avec ses propres forces, mais que la grâce de Dieu eût tout fait, en le couvrant de sa protection ; s’il avait enduré, sans déployer la moindre patience, mais seulement par la vertu du secours divin, les tentations et les maux inventés par l’ennemi avec un art cruel : comment celui-ci n’aurait-il pas repris avec bien plus de justice la calomnie qu’il avait auparavant proférée : «Est-ce gratuitement que Job sert Dieu ? Ne l’as-tu pas entouré comme d’une clôture, lui, sa maison et tout son bien ? Mais retire ta main — c’est-à-dire : Laissez-le combattre contre moi avec ses seules forces — , et l’on verra s’il ne te maudit pas en face» ? (Job 1,9-11) Mais il n’ose, tout calomniateur qu’il soit, renouveler, après la lutte, une plainte de ce genre; et par là même, il confesse que ce n’est pas la force de Dieu qui l’a vaincu, mais celle de Job. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Tous ces faits confirment que la grâce divine excite le libre arbitre, mais ne le protège ni ne le défend, de manière qu’il n’ait plus à faire effort par lui-même, pour lutter contre ses ennemis spirituels. Vainqueur, l’homme reconnaîtra la grâce de Dieu; vaincu, sa faiblesse. Ainsi apprendra-t-il à ne pas compter sur sa propre force, mais toujours sur le secours divin, et à recourir sans cesse à son protecteur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Votre âme, ainsi devenue, par son inséparable amour de la pureté, l’arche du divin Testament et le royaume sacerdotal, absorbée en quelque sorte dans les connaissances spirituelles, accomplira le commandement fait au pontife par le Législateur : «Il ne sortira pas du sanctuaire, de peur qu’il ne profane le sanctuaire de Dieu,» (Lev 21,12) c’est-à-dire son coeur, où le Seigneur promet de faire sa constante demeure : «J’habiterai parmi eux, et je marcherai au milieu d’eux.» (2 Cor 6,16). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Il arrive. Et l’hérétique de l’attaquer à grand renfort de syllogismes. Triomphant de son ignorance, il prétendait l’entraîner dans le maquis aristotélicien. Mais le bienheureux, Macaire mit fin à tous ses discours par une brièveté tout apostolique : «Le royaume de Dieu, dit-il, ne consiste pas en paroles, mais en oeuvres de puissance.» Allons donc vers les tombeaux, et invoquons le nom du Seigneur sur le premier mort qui se trouvera. Selon qu’il est écrit, montrons notre foi par des oeuvres. Le témoignage divin déclarera où sont les marques de la vraie foi; et ce ne sera point par de vaines disputes de mots que nous rendrons la vérité manifeste, mais par la puissance des miracles et par le jugement de Celui qui ne peut se tromper. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Cette révélation frappa vivement le vieillard. Il ne voulut point tenter la chance de l’expérience qui lui avait été indiquée de par Dieu. Mais il interrogea sa conscience, examina la pureté de son coeur; et, jugeant que sa chasteté n’était pas encore à la mesure d’une telle épreuve : «Il n’est pas étonnant, se dit-il, que même après avoir vu les esprits immondes reculer devant moi, je ne laisse pas d’éprouver encore les brûlures ennemies du feu, que j’avais cru d’abord moins terribles que leurs cruels assauts. C’est une vertu plus haute, une grâce plus sublime, d’éteindre en soi le feu de la chair, que de subjuguer, par le signe de la croix et la puissance du Très-Haut, les esprits mauvais qui nous attaquent de l’extérieur, ou de les chasser du corps des possédés par l’invocation du Nom divin. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Que notre coeur se dilate donc et s’ouvre largement ! Resserré par l’étroitesse de la pusillanimité, le bouillonnement tumultueux de la colère le remplirait. Puis, nous n’aurions point de place, dans un coeur étroit, pour le commandement divin, qui est infini, selon le prophète; nous ne pourrions non plus redire après celui-ci : «J’ai couru dans la voie de vos commandements, parce que vous dilatiez mon coeur.» (Ps 118,32). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH

L’esprit immonde le tourmenta durement et longtemps. Vainement la prière des saints qui habitaient ce désert et avaient reçu le charisme divin de commander aux esprits mauvais, s’employait-elle à le délivrer. Isidore lui-même n’y put réussir, malgré sa grâce singulière, lui à qui la munificence du Seigneur avait octroyé une puissance si grande, qu’on ne lui conduisit jamais un possédé, qui ne fût guéri, avant même de toucher le pas de sa cellule. Le Christ réservait cette gloire au jeune Paphnuce. Seule, la prière de celui qu’il avait si odieusement trahi devait libérer le coupable; c’est en invoquant le nom de qui sa haine jalouse avait cru pouvoir rabaisser l’honneur, qu’il devait recevoir le pardon de sa faute et voir la fin de ses supplices. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

C’est avec le plus vif plaisir, mes enfants, que je vois la pieuse largesse dont vos présents sont le gage; et je trouve une vraie joie de coeur à recevoir ces dévotes offrandes, dont la dispensation m’a été commise. En ceci paraît bien, en effet, votre fidélité à donner au Seigneur, comme un sacrifice d’agréable odeur, les prémices et la dîme de ce qui vous appartient, pour servir aux nécessités des indigents. Vous vous assurez d’ailleurs que le reste de vos récoltes et de votre avoir, dont vous prélevez pour Dieu cette part, seront largement bénis à cause de votre générosité, et que vous serez comblés, même en ce monde, de l’abondance de tous les biens, selon la promesse exprimée dans le divin commandement : Honore le Seigneur de tes justes travaux, et offre-lui les prémices des fruits de ta justice, afin que tes greniers se remplissent d’une abondance de froment et que tes pressoirs débordent de vin. (Pro 3,9-10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Il y a plus. Ce n’est pas seulement celui qui se refuse à remplir le commandement de la Loi qu’il faut regarder comme étant toujours sous la Loi, mais aussi celui qui, satisfait d’observer ce qu’elle prescrit, ne donne pas les fruits dignes de la vocation et de la grâce chrétienne. Car le Christ ne nous dit pas : Tu offriras la dîme et les prémices de tes biens au Seigneur ton Dieu, (Ex 22,29) mais : Va, vends ce que as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis Moi; (Mt 19,21). Telle est encore la grandeur de la perfection chrétienne: un disciple réclame pour ensevelir son père; on ne lui concède pas même le court espace d’une heure, et la vertu de l’amour divin passe avant le devoir de l’affection humaine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Quiconque a su gravir ces sommets de la perfection évangélique, se trouve élevé, par le mérite de si grandes vertus, au-dessus de toute la Loi. Tous les commandements portés par Moïse lui semblent désormais petits et mesquins; et il a conscience de n’être petits sujet que de la grâce du Sauveur, dont le secours, il le voit, l’a fait parvenir à un état si sublime. Le péché ne domine plus en lui. La charité de Dieu, répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui nous a été donné, (Rom 5,5) exclut, en effet, toute autre affection; elle est aussi incapable de convoiter ce qui est défendu, que de mépriser ce qui est commandé, elle dont l’étude et tout le désir sont dans le divin amour, et ne se posent même pas sur les choses permises, bien loin qu’ils se laissent prendre aux basses voluptés. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Que le sort est différent, de ceux que la grâce du Sauveur enflamme d’une sainte passion pour l’incorruption parfaite ! Ils consument par le feu de l’amour divin toutes les épines des charnels désirs, de sorte qu’il ne se trouve même pas chez eux de cendres tièdes, pour ôter à la fraîcheur de leur intégrité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

THÉONAS. — Certes, nous devons apporter tout le soin qui est en nous à garder immaculée la pureté de notre chasteté, alors surtout que nous souhaitons d’approcher des saints autels. Quelle vigilance, quelle circonspection, quelles précautions, infinies ne seront pas de saison, pour que l’intégrité de notre chair, indemne jusque-là, ne nous soit pas ravie la nuit même où nous nous préparons à la communion du divin banquet ! Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Ils passent donc sans retard à la deuxième cause. N’y a-t-il pas là faute de l’esprit et excès dans le jeûne ? Il s’en trouve, en effet, je dis des plus austères, qui s’élèvent insensiblement de leur pureté corporelle. Mais, alors, c’est le vice de la superbe qui leur ménage une pénible déception, parce qu’ils ont cru obtenir par leurs forces humaines ce qui est un don très particulier de Dieu, la chasteté du corps. On interroge donc le frère. Se croirait-il capable d’une telle vertu par ses propres efforts, en sorte qu’il se puisse passer du Secours divin ? Mais lui d’abominer une idée si impie. Il affirme humblement qu’il n’eût pas conservé son corps pur, même les autres jours, si la Grâce divine ne l’avait aidé. Dès lors, il fallait se rabattre sur la troisième cause. Tout est clair : on est en face d’une secrète machination du diable. Assurés qu’il n’y a faute ni de l’esprit ni de la chair, les anciens décident hardiment que le frère doit prendre part au sacré banquet. Persévérer dans son abstention, serait donner dans le piège adroit que lui tend la malignité de l’ennemi, rester éloigné du Corps du Christ et de sa Sainteté, et se voir à jamais exclu, par cette ruse diabolique, d’un si puissant moyen de salut. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Autre chose est d’être saint, c’est-à-dire sacré au culte divin, appellation commune — l’Écriture, en témoigne —, aux hommes ainsi qu’aux lieux, aux vases, et ustensiles du Temple; autre chose, d’être sans péché. Ceci n’appartient qu’à la Majesté de notre Seigneur Jésus Christ, de qui l’Apôtre proclame comme un privilège extraordinaire : Il n’a point commis le péché (1 Pi 2,22). C’eût été en somme Lui attribuer, en guise de prérogative incomparable et divine, une gloire assez vulgaire et peu digne d’une si haute majesté, s’il nous était aussi donné de mener une vie pure de tout péché. L’Apôtre dit encore aux Hébreux : Nous n’avons pas un pontife qui ne puisse compatir à nos infirmités; mais il fut tenté de toutes manières, afin de nous être semblable, hormis le péché (Hé 4,15). Mais, s’il peut y avoir, entre notre bassesse terrestre et ce sublime et divin pontife, une telle communauté; si nous sommes également tentés, sans subir l’atteinte du péché : pourquoi l’Apôtre eût-il admiré chez lui ce privilège comme unique et singulier, et mis une telle différence entre son mérite et le reste des hommes ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

C’est de lui et des saints qui lui ressemblent, que nous devons entendre ce que chante David : Le Seigneur affermit les pas de l’homme, et Il prend plaisir à sa voie. Si le juste tombe, il ne se brisera pas, parce que le Seigneur le soutient de sa Main (Ps 36,23-24). Celui dont les pas sont affermis par le Seigneur, peut-il ne pas être juste ? Et pourtant, c’est de lui qu’il est dit : S’il tombe, il ne se brisera pas. Que signifie : S’il tombe, sinon : S’il tombe en quelque péché ? Il ne se brisera pas, est-il dit. Qu’est-ce là ? Que les assauts du péché ne l’accableront pas longtemps. Sur l’heure, il peut bien paraître brisé; mais, relevé par le Secours divin, qu’il implore, sa promptitude à se remettre debout fait qu’il ne perd point l’immobile rectitude de la justice, ou du moins, s’il la perd un instant par la fragilité de la chair, la Main du Seigneur, en le soutenant, la lui rend. Un homme pourrait-il cesser d’être saint après sa chute, lorsque, reconnaissant qu’il ne saurait être justifié par la confiance en ses propres oeuvres, et persuadé que la seule Grâce du Seigneur le délivrera des innombrables liens du péché, il ne cesse de proclamer avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 24,25) ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Il a donc vu le fond de sa propre fragilité, de la fragilité humaine; et, saisi d’effroi devant cet incommensurable abîme, il cherche un refuge au port assuré du Secours divin. Désespérant, si je puis ainsi dire, de sa frêle embarcation, qu’il voit toujours près de sombrer sous le fardeau de la mortalité, il supplie Celui à qui rien n’est impossible, de le sauver du naufrage, et pousse ce cri pathétique : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Et la délivrance qu’il n’attendait plus de la faiblesse de la nature, il se la promet aussitôt de la Bonté divine : il poursuit, plein de confiance : La Grâce de Dieu, par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 7,19-25). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

S’il faut un témoignage plus évident encore, voici la Loi. Ses préceptes sont des préceptes de vie : car elle a été donnée par les anges, par l’entremise d’un médiateur (Gal 3,19); et c’est d’elle encore que l’Apôtre dit : Ainsi donc, la Loi est sainte; et le commandement est saint, juste et bon (Rm 7,12). Mais, en regard de la perfection évangélique, l’oracle divin prononce qu’ils ne sont pas bons : Je leur ai donné, des préceptes qui ne sont pas bons, et des ordonnances où ils ne trouveront pas la vie (Ez 20,25). Entendez aussi l’Apôtre affirmer que toute la gloire de la Loi s’éclipse à la lumière du Nouveau Testament, tellement que, devant la splendeur de l’Évangile, elle ne mérite plus d’être glorifiée : Ce qui a été glorifié autrefois, dit-il, cesse d’être glorieux en face de cette gloire suréminente (2 Co 3,10). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Ils ont accoutumé de dire : Si nous supplions quelque personnage élevé en dignité, non pour avoir la vie sauve, mais seulement en vue de quelque avantage temporel : rivés à lui par les yeux et par toute l’âme, suspendus dans une attente pleine d’alarmes à un signe de sa tête, nous tremblons qu’un mot inopportun ou maladroit ne vienne à détourner sa miséricorde. Ou bien, voici que nous sommes à l’audience, devant le tribunal des juges de ce monde. En face, se tient notre partie. Si, au beau milieu des débats, nous nous prenions à tousser, cracher, rire, bâiller ou dormir, combien la haine vigilante de notre ennemi serait-elle prompte à exciter, pour notre perte, la sévérité du juge ! Eh ! lorsque nous supplions le Juge divin, infaillible témoin de tous les secrets, afin qu’Il écarte le péril de mort éternelle dont nous sommes menacés, ayant en face de nous surtout celui qui est à la fois notre perfide séducteur et notre accusateur, avec quelle attention, quelle ferveur de prière devons-nous implorer sa Clémence ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Assurément, ils prennent plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur, lequel, dépassant tout le visible, s’efforce de vivre dans une constante union avec le Seigneur. Mais ils voient dans leurs membres, c’est-à-dire inhérente et connaturelle à notre condition d’hommes, une autre loi, qui lutte contre la loi de l’esprit; et c’est elle qui captive leur intelligence sous la loi tyrannique du péché, en la forçant d’abandonner le bien souverain, pour s’assujettir aux pensées terrestres. Si utiles que celles-ci paraissent, lorsqu’elles sont commandées par la religion, afin de subvenir à quelque nécessité : en comparaison du Bien divin qui réjouit leur vue, les saints y voient un mal qu’il faut fuir, parce quelles les arrachent, pour un temps du moins, à la joie de cette parfaite béatitude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Quoi donc ? À force de ruse et d’habileté, l’acheteur a-t-il donc ravi son domaine au vrai et légitime Seigneur ? Non pas. Une seule fourbe n’a pu lui livrer à fond le Trésor divin, au point que le Maître véritable perdit entièrement son droit de propriété. Ne se courbe-t-il pas lui-même, tout rebelle et fugitif qu’il soit, sous le joug de la servitude divine ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Aussi l’apôtre privilégié entre tous, celui que Jésus aimait, a-t-il, en reposant sur la poitrine de son Maître, tiré, pour ainsi dire, du Coeur divin cette parole : Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous (1 Jn 1,8). Et si, quand nous disons que nous sommes sans péché, nous n’avons pas en nous la Vérité, c’est-à-dire le Christ, que gagnons-nous par cette profession, sinon que de pécheurs nous nous rendons publiquement criminels et impies ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Ainsi en va-t-il de notre âme. Si le moine ne fait de la charité le centre immobile autour duquel toutes ses oeuvres rayonnent; s’il ne redresse ses pensées ou ne les rejette, en se guidant, pour ainsi dire, par le compas très sûr de la charité : il ne réussira jamais à construire avec une véritable habileté l’édifice spirituel dont l’apôtre Paul est l’architecte (cf. 1 Co 3,10); il ne connaîtra pas la beauté de ce temple intérieur que le bienheureux David désirait de présenter à Dieu, lorsqu’il s’écriait : Seigneur, j’ai aimé la beauté de ta Demeure et le lieu où réside ta Gloire (Ps 25,8). Mais il élèvera sans art, dans son coeur, un temple sans beauté, indigne du saint Esprit et destiné à s’abîmer sans retard. Loin d’avoir la gloire d’y habiter avec l’Hôte divin, il sera écrasé misérablement sous ses ruines. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Pour vous, si vous brûlez d’un amour véritable et parfait pour notre Seigneur, et suivez Dieu, qui est charité (cf. 1 Jn 4,16), avec une ferveur entière, fuyez en tels lieux inaccessibles qu’il vous plaira, les hommes fatalement vous y viendront trouver; et plus l’ardeur du divin amour vous mettra près de Dieu, plus grande sera la multitude des saints qui affluera vers vous. C’est la parole du Christ : Une ville située sur une montagne ne peut être cachée (Mt 5,14). Ceux qui M’aiment, dit le Seigneur, Je les glorifierai; mais ceux qui Me méprisent seront sans honneur (1 Rois 2,30). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

Si nous trouvons amère la suavité merveilleuse du joug du Seigneur, où en est la cause, sinon en ce que nous la mêlons d’amertume par nos défections. Si l’aimable légèreté du fardeau divin nous devient lourde, n’est-ce point que nous méprisons, dans notre présomption orgueilleuse, Celui qui nous aidait à le porter ? C’est le témoignage évident de l’Écriture : S’ils eussent marché par des sentiers droits, ils auraient trouvé doux les sentiers de la justice (Pro 2,20). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM

La Grâce du Sauveur, bénigne à notre endroit, nous procure, par la lutte contre les tentations, une plus belle couronne de gloire, qu’elle n’eût fait, en nous dispensant du combat. Il est d’une vertu plus sublime et plus excellente, quoique assiégé de persécutions et d’épreuves, de demeurer toujours inébranlable, et de garder jusqu’au bout la même confiante intrépidité par la pensée du Secours divin, de se faire des attaques des hommes comme l’armure d’une vertu invincible, remportant sur l’impatience un triomphe très glorieux, et par le moyen de la faiblesse conquérant la vertu, car la vertu s’achève dans l’infirmité (2 Co 12,9). Il est dit en effet : Voici que je t’établis en ce jour comme une ville fortifiée, une colonne de fer et un mur d’airain, sur tout le pays, sur les rois de Juda, ses princes, ses prêtres et tout le peuple du pays. Et ils te feront la guerre; mais ils ne prévaudront point, parce que je suis avec toi pour te délivrer, dit le Seigneur (Jér 1,18-19). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM