Mais, pour une que soit la fin où tendent ces trois vertus, puisque toutes elles nous appellent à nous abstenir des choses illicites, elles diffèrent beaucoup d’une de l’autre quant à leur degré d’excellence. Les deux premières sont proprement humaines; elles se voient en ceux qui cherchent le progrès, mais n’ont pas encore conçu une affection véritable pour les vertus. La troisième est particulière à Dieu et à quiconque a reçu en soi l’image et la ressemblance divine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Dieu est, en effet, le seul qui fasse le bien, sans y être invité par la crainte ou par l’espoir d’une récompense, mais parle par amour de la bonté : «Le Seigneur a tout fait pour Soi-même,» dit Salomon. (Pro 16,4). Dans la vue de sa bonté, il prodigua l’abondance de tous les biens aux dignes et aux indignes. Ni les injures ne le lassent, ni les iniquités des hommes ne le peuvent émouvoir de douleur, bonté indéfectible, immuable nature. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Celle-ci ne se compare plus à la condition d’esclave, mais à celle de mercenaire. L’espérance, en effet, attend la récompense. Certaine d’être pardonnée et sans crainte du châtiment consciente d’ailleurs des bonnes oeuvres accomplies, elle poursuit le prix auquel Dieu S’est engagé. Mais elle n’est pas encore parvenue à ce sentiment du fils qui, se confiant en l’indulgence et la libéralité paternelles, ne doute pas que tout ce qui est à son père ne soit également sien. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
C’est le précepte même du Seigneur qui nous invite à cette ressemblance avec le Père : «Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père céleste est parfait.» (Mt 5,48). Dans les degrés inférieurs, l’amour du bien s’interrompt quelquefois, lorsque la tiédeur, le contentement ou le plaisir viennent détendre la vigueur de l’âme, et font perdre de vue, sur le moment, la crainte de l’enfer ou le désir du bonheur futur. Ils constituent néanmoins comme des échelons dans le progrès, un apprentissage. Après avoir évité le vice, au commencement, par crainte du châtiment ou l’espoir de la récompense, il nous devient possible de passer au degré de la charité, où la crainte ne se trouve plus : «Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour bannit la crainte : car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour. Nous donc aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier.» (1 Jn 4,18-19). Nul autre chemin, pour nous élever à la perfection véritable : comme Dieu nous a aimés le premier sans égard à rien d’autre que notre salut, ainsi devons nous l’aimer uniquement pour son amour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Efforçons-nous donc avec une ardeur entière de monter de la crainte à l’espérance, de l’espérance à la charité de Dieu et à l’amour des vertus. Allons nous établir dans l’affection du bien pour lui-même, et demeurons-y attachés immuablement, autant qu’il est possible à l’humaine nature. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
L’amour fait de l’esclave un fils, et confère en même temps l’image et la ressemblance de Dieu Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Il embrasse aussi avec un égal amour la patience et la douceur. Les manquements des pécheurs n’irritent plus sa colère; mais plutôt implore-t-il leur pardon, pour la grande pitié et compassion qu’il ressent à l’endroit de leurs faiblesses. Ne se souvient-il pas d’avoir éprouvé l’aiguillon de passions semblables, jusqu’au jour qu’il plut à la divine miséricorde de l’en délivrer ? Ce ne sont pas ses propres efforts qui l’ont sauvé de l’insolence de la chair, mais la protection de Dieu. Dès lors, il comprend que ce n’est pas de la colère qu’il faut avoir pour ceux qui s’égarent, mais de la commisération; et, dans l’absolue tranquillité, de son coeur, il chante à Dieu ce verset : «C’est vous qui avez brisé mes chaînes, je vous offrirai un sacrifice d’action de grâces;» (Ps 115,16-17) et encore : «Si le Seigneur n’eût été mon soutien, peu s’en fallait que mon âme n’habitât l’enfer.» (Ps 93,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Le bienheureux Jean avait conscience d’être arrivé à cet état, lorsqu’il disait : «La perfection de l’amour en nous, c’est que nous ayons une confiance assurée au jour du jugement, parce que tel est Jésus Christ, tels nous sommes aussi dans ce monde.» (1 Jn 4,17). Comment la nature humaine, faible et fragile comme elle est, peut-elle espérer d’être telle que le Seigneur, si ce n’est en étendant aux bons et aux méchants, aux justes et aux injustes, la charité toujours tranquille de son coeur, à l’imitation de Dieu, et en faisant le bien pour l’amour du bien lui-même ? Puisque ce sont justement ces dispositions qui la font parvenir à l’adoption véritable des fils de Dieu, de laquelle le même apôtre déclare : «Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui; et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu»; (Ibid. 3,9). «Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point, mais la naissance qu’il a reçue de Dieu le conserve pur, et le Malin ne le touche pas.» (Ibid.; 5,18). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Pour ces derniers, si quelqu’un ne voulait s’en retirer ni s’en purifier, saint Jean déclare en un autre endroit que l’on ne doit même pas prier pour lui : «Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu’il prie; et Dieu donnera la vie à ce frère, à tous ceux dont le péché ne va pas à la mort. Il y a tel péché qui va à la mort; ce n’est pas pour celui-là que je dis de prier.» (1 Jn 5,16). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Au contraire, des péchés qui ne vont pas à la mort, et dont ceux-là mêmes qui servent fidèlement le Christ ne sauraient être exempts, quelque circonspects qu’ils soient à garder leur âme, il est ainsi parlé : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous»; (Ibid. 1,8). «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous faisons Dieu menteur, et sa parole n’est pas en nous.» (1 Jn 1,10). Prenez, en effet, parmi les saints tel qu’il vous plaira, il n’en est point qui ne tombe fatalement en ces manquements minimes qui se font par paroles, par pensées, par ignorance et oubli, impulsion, volonté ou distraction, et qui, pour différer du péché qui va à la mort, ne sont point cependant sans faute ni reproche. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Lors donc que quelqu’un sera parvenu à cet amour du bien et cette imitation de Dieu dont nous avons parlé, il revêtira les sentiments de longanimité qui furent ceux du Seigneur, et priera comme lui pour ses persécuteurs : «Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font.» (Lc 23,34). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
GERMAIN. — Ce que vous avez dit sur le parfait amour de Dieu est d’une éloquence puissante et magnifique. Une chose cependant, nous trouble beaucoup. Tandis que vous l’élevez si haut, vous déclarez imparfaites la crainte de Dieu et l’espérance de la rétribution éternelle. Or, le prophète semble avoir été, sur ce point, d’un sentiment tout autre : «Craignez le Seigneur, dit-il, vous tous, ses saints, parce que rien ne manque à ceux qui le craignent.» (Ps 33,10). Ailleurs, il avoue s’être exercé à l’observation des commandements de Dieu dans la vue de la récompense : «J’ai incliné mon coeur à observer vos commandements à cause de la récompense.» (Ps 117,112). L’Apôtre nous dit d’autre part : «C’est par la foi que Moïse, devenu grand, refusa d’être le fils de la fille du Pharaon, autant mieux être affligé avec le peuple de Dieu, que de jouir des délices passagères du péché, il considéra l’opprobre du Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l’Égypte, car il avait les yeux fixés sur la récompense.» (Heb 11,24-26). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Nous en avons la marque évidente dans la variété des béatitudes évangéliques. Heureux ceux a qui appartient le royaume des cieux; heureux ceux qui posséderont la terre; heureux ceux qui seront consolés; heureux ceux qui seront rassasiés. Nous croyons néanmoins qu’il y a bien de la différence entre habiter les cieux et posséder la terre, quelle qu’elle puisse être; entre la consolation, et la plénitude et satiété de la justice; entre ceux qui recevront miséricorde, et ceux qui jouiront de la très glorieuse vision de Dieu : «Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune et autre l’éclat des étoiles; même une étoile diffère en éclat d’une autre étoile. Ainsi en est-il pour la résurrection des morts.» (1 Cor 15,41-42). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Il est vrai, l’Écriture loue ceux qui craignent Dieu : «Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur» (Ps 127,1) et leur promet, par ce moyen, la béatitude parfaite. Cependant, elle dit aussi : «Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte; car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour.» (1 Jn 4,18). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
De même, c’est une gloire de servir Dieu : «Servez le Seigneur dans la crainte»; (Ps 2,11). «Il est glorieux pour toi d’être appelé serviteur»; (Is 49,6). «Heureux le serviteur que son maître, à son retour, trouvera agissant de la sorte.» (Mt 24,46). Le Seigneur, toutefois, dit aux apôtres : «Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître;» (Jn 15,14-15) et de nouveau : «Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande.» (Ibid. 13) Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Vous le voyez donc, la perfection comporte différents degrés. D’un sommet, le Seigneur nous appelle à monter vers un sommet plus élevé. Celui qui s’est rendu bienheureux et parfait dans la crainte de Dieu, marchera, comme il est écrit, «de vertu en vertus», (Ps 83,8) et de perfection en perfection, c’est-à-dire qu’il s’élèvera, dans l’allégresse de son âme, de la crainte à l’espérance; puis, il entendra de nouveau l’appel divin l’inviter à un état plus saint encore, qui est l’amour. Celui qui se sera montre «serviteur fidèle et prudent», (Mt 24,45) passera au commerce intime de l’amitié et à l’adoption des fils. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
C’est dans ce sens qu’il faut prendre mes paroles. Je n’entends pas dire que la considération des peines éternelles ou de la bienheureuse rétribution promise aux saints, ne soit de nulle valeur. Elle est utile, au contraire, puisqu’elle introduit ceux qui s’y donnent dans les premiers degrés de la béatitude. Mais la charité rayonne d’une confiance plus pleine et déjà de la joie sans fin. S’emparant d’eux à son tour, elle les fera passer de la crainte servile et de l’espérance mercenaire à la dilection de Dieu et à l’adoption des fils. Si l’on peut ainsi parler, de parfaits qu’ils étaient, elles les rendra plus parfaits encore. «Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père,» (Jn 14,2) dit le Sauveur. Tous les astres brillent au ciel; toutefois, entre l’éclat du soleil, de la lune, de Vénus et des autres étoiles, il y a bien de la distance. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Un des prophètes en a bien exprimé la grandeur : «Les richesses du salut, dit-il, sont la sagesse et la science; mais la crainte du Seigneur en est le trésor.» (Is 33,6). Il ne pouvait marquer plus évidemment sa dignité ni son prix, qu’en disant que les richesses de notre salut, ou la vraie sagesse de Dieu et la science, ne se gardent que par elle. C’est pourquoi ce sont les saints, et non les pécheurs, que l’oracle du psaume invite à cette crainte : «Craignez le Seigneur, vous tous ses saints, car rien ne manque à ceux qui le craignent.» (Ps 33,10). Tant il est vrai que rien ne manque à la perfection de qui en est pénétré. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Écoutez encore le bienheureux Apôtre. Il a dépassé jadis, par la vertu de la charité divine, ce degré de la crainte servile. Et maintenant, il proclame, avec une sorte de mépris pour cette vertu inférieure, qu’il a été enrichi de dons plus magnifiques : «Ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de force, d’amour et de modération.» (2 Tim 1,7). Puis, il exhorte ceux qui brûlent pour le Père céleste de la dilection parfaite, et que l’adoption divine d’esclaves a rendus fils : «Vous n’avez pas reçu un Esprit de servitude, pour être encore dans la crainte; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, en qui nous crions : Abba ! Père !» (Rom 8,15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Quant à la crainte servile du châtiment, vrai Fils de Dieu comme il était, «qui ne commit pas le péché, et dont la bouche ignora la ruse», (1 Pi 2,22) il ne pouvait l’avoir. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON
Or, nous voyons que beaucoup pour le Christ ont abdiqué leur fortune; et l’expérience témoigne qu’ils n’ont pas seulement renoncé à la possession de l’argent, mais qu’ils en ont encore retranché le désir de leur coeur. Ne devons-nous pas croire que l’on peut de la même manière éteindre le feu de la fornication ? L’Apôtre n’aurait pas joint le possible à l’impossible. S’il commande de mortifier pareillement l’un et l’autre vice, c’est qu’il savait la chose faisable pour tous deux. Il a tant de confiance que nous pouvons extirper de nos membres la fornication et l’impureté, que ce n’est pas assez, à ses yeux, de les mortifier; notre devoir va plus loin, jusqu’à ne pas même les nommer : «Que l’on n’entende pas seulement parler parmi vous, déclare-t-il, de fornication, ni de quelque impureté que ce soit, ni de convoitise. Qu’on n’y entende point de paroles déshonnêtes, ni de folles, ni de bouffonnes, toutes choses qui sont malséantes.» (Eph 5,3-4). Toutes choses aussi qui sont pareillement funestes et nous excluent au même titre du royaume de Dieu, comme il l’enseigne encore : «Sachez-le bien : nul fornicateur, nul impudique, nul homme adonné à l’avarice, ce qui est une idolâtrie, n’a d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu»; (Ibid. 5) «Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu.» (1 Cor 6,9-10). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
S’il peut se réjouir, au matin, d’avoir été préservé, qu’il le comprenne bien ! il n’est pas redevable de ce bienfait à son zèle ni à sa vigilance, mais à la protection de Dieu; et cette intégrité ne persévérera que le temps qu’il plaira à la divine miséricorde de lui en faire la grâce. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Celui qui parvient à se fonder dans cette foi, se gardera d’un sentiment d’orgueil qui lui persuaderait la confiance en sa propre vertu. Il ne se laissera pas davantage amollir, après une longue immunité, par une sécurité agréable, mais trompeuse. Il sait que l’humiliation ne tarderait pas, si Dieu retirait un instant sa protection. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Jusqu’à ce que l’âme soit parvenue à l’état de la pureté parfaite, elle passera fréquemment par ces alternatives, nécessaires à sa formation; tant qu’enfin la grâce de Dieu comble ses désirs, en l’y affermissant pour toujours. Alors, elle pourra dire en toute vérité : «Je ne me suis point lassée d’attendre le Seigneur, et il m’a regardée. Il a exaucé ma prière, et il m’a retirée de la fosse de misère, de la fange du bourbier; il a dressé mes pieds sur le rocher, il a affermi mes pas» (Ps 39,2-3). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Une longue expérience l’y conduira, ainsi que la pureté du coeur, unies à la lumière de la parole divine, dont le bienheureux Apôtre dit : «Elle est vivante, la parole de Dieu, et efficace, plus acérée que nulle épée à deux tranchants, si pénétrante, qu’elle va jusqu’à séparer l’âme de l’esprit, les jointures et les moelles; et elle discerne les pensées et les sentiments du coeur.» (Heb 4,12). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ainsi placé, pour ainsi dire, à leur commune frontière, il distinguera en toute équité, comme ferait un spectateur ou un juge impartial, ce qui est le fait nécessaire et inévitable de l’humaine condition, et ce qui provient des habitudes vicieuses ou de la négligence de la jeunesse. Sur leur nature, non plus que sur leurs effets, il ne se laissera pas égarer par les fausses opinions du vulgaire, il n’acquiescera pas davantage aux préjugés des gens sans expérience. Mais il aura pour pierre de touche infaillible sa propre expérience, et c’est avec une juste appréciation des choses qu’il décidera des exigences de la pureté, sans donner dans l’erreur de ceux qui mettent au compte de la nature ce qui n’est dû qu’à leur négligence, et rendent responsable la chair elle-même, ou plutôt son Créateur, de leur incontinence. De ces personnes, il est dit fort heureusement au livre des Proverbes : «La folie de l’homme corrompt ses voies, et c’est Dieu qu’il accuse dans son coeur.» (Pro 29,3). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Celui-là donc pourra s’excuser sur la nécessité inhérente à la nature, qui sera parvenu par une application continuelle à un tel état de pureté, que son âme ne soit plus touchée des appas du vice, et qu’il n’ait plus à regretter que des souillures inconscientes et rares. Tel il sera durant le jour, tel il demeurera durant la nuit; le même dans le sommeil et à la prière, seul et en la compagnie des hommes. Jamais il ne s’apercevra tel dans le secret, qu’il rougisse d’être vu par autrui. Le regard inévitable de Dieu ne surprendra rien chez lui qu’il désire tenir caché à la vue des hommes. Mais la très suave lumière de la chasteté le comblera de continuelles délices, et il pourra dire avec le prophète : «La nuit même est devenue lumineuse, au sein des délices où je suis. Les ténèbres n’ont point d’obscurité pour vous; la nuit brille comme le jour, ses ténèbres ressemblent à la lumière.» (Ps 138,11-12). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
GERMAIN. Nous ne sommes pas sans avoir éprouve nous-mêmes en quelque façon qu’il est possible, avec la grâce de Dieu, de garder son corps parfaitement pur durant la veille. Nous ne nions pas que la rigueur d’une vie austère et la résistance de la raison ne puissent alors empêcher toute révolte de la chair. Mais restera-t-elle également paisible durant le sommeil ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Celui-là donc qui dépasse le degré figuré par Jacob «le supplantateur», s’élève, après avoir paralysé la force de la chair, des luttes de la continence et du corps à corps pour la destruction des vices au titre glorieux d’Israël, son coeur ne déviant plus de sa direction vers Dieu. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Le bienheureux David a bien marqué, sous l’inspiration du saint Esprit, ces deux étapes distinctes : «Dieu, dit-il, s’est fait connaître en Judée,» (Ps 75,2) c’est-à-dire dans l’âme qui doit confesser ses péchés, car Judée signifie confession; mais «en Israël», c’est-à-dire en celui qui voit Dieu ou, selon une autre version, en l’homme parfaitement droit devant Dieu, Dieu n’est pas seulement connu, mais «grand est son nom.» (Ibid. 4). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Puis, il nous appelle vers des hauteurs plus sublimes encore; il veut nous montrer le lieu même où Dieu prend ses délices : «Et sa demeure, ajoute-t-il, est établie dans la paix,» (Ibid. 3) c’est-à-dire, non dans la mêlée des combats et la lutte contre les vices, mais dans la paix de la chasteté et la perpétuelle tranquillité du coeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Si quelqu’un mérite, par l’extinction des passions charnelles, d’atteindre à cette demeure de paix, poursuivant ses progrès il deviendra une Sion spirituelle, ce qui signifie tour d’observation de Dieu, et il sera aussi la demeure de Dieu. Car le Seigneur ne se trouve point parmi les batailles de la continence, mais il réside dans l’observatoire indéfectible des vertus. C’est là qu’il ne se contente plus d’émousser ou de contenir, mais qu’il a pour jamais brisé la puissances des ares, de ces ares d’où partaient jadis contre nous les traits enflammés de la volupté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Grandes en vérité, et merveilleuses, et inconnues profondément aux hommes, si ce n’est à ceux qui en ont fait l’expérience, sont les largesses que Dieu, en sa libéralité ineffable, accorde à ses fidèles, même durant qu’ils demeurent en ce vase de corruption. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Dans la pureté de son âme, le prophète en embrasse tout le détail; et tant en son propre nom qu’au nom de ceux qui parviennent à cet état merveilleux de paix et de chasteté, il s’écrie : «Admirables sont vos oeuvres, et mon âme se plaît à le reconnaître.» (Ps 138,14). Serait-ce lui faire dire rien de neuf ou de grand, que de voir dans ses paroles un autre sentiment, une allusion aux autres oeuvres de Dieu ? Est-il personne qui n’aperçoive, ne fut-ce que par la grandeur de la création, que merveilleux sont les divins ouvrages ? Mais les dons que Dieu dispense quotidiennement à ses saints et dont il les comble avec une munificence si particulière, nul ne les connaît que l’âme qui en jouit. Elle en est le témoin à un titre si unique, dans le secret de sa conscience, que redescendue de cette ferveur toute de flamme à la vue des choses matérielles et terrestres, elle manque de paroles pour dire ce qu’elle a éprouvé, l’intelligence même ou la réflexion sont inégales à le concevoir. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Qui n’admirerait en soi les oeuvres du Seigneur, lorsqu’il voit l’instinct de la gloutonnerie et la recherche dispendieuse autant que fatale des plaisirs de la bouche si parfaitement étouffés, qu’à peine prend-il encore à de rares intervalles et comme malgré soi une chétive et grossière nourriture ? Qui ne demeurerait saisi de stupeur devant les ouvrages de Dieu, en constatant que le feu de la volupté, qu’il considérait auparavant comme inhérent à la nature et en quelque sorte impossible à éteindre, s’est tellement refroidi en lui, qu’il n’éprouve plus dans sa chair le moindre mouvement, fut-ce le plus innocent ? Comment n’admirer pas avec tremblement la vertu divine, lorsqu’on voit des hommes cruels jadis et farouches, que même la soumission la plus insinuante exaspérait jusqu’au comble de la fureur, devenus des anges de douceur, tellement que, loin qu’ils s’émeuvent de l’injure, leur magnanimité souveraine va jusqu’à s’en réjouir ? Qui s’étonnerait devant les oeuvres de Dieu et s’écrierait du fond de son coeur: «J’ai connu que le Seigneur est grand,» (Ps 134,5) lorqu’il se voit lui-même, ou quelque autre, passé de l’extrême cupidité à la libéralité, de la prodigalité à une vie d’abstinence, de la superbe l’humilité, faisant succéder aux délicatesse et à la recherche un extérieur négligé et hirsute, embrassant volontairement la pénurie et la détresse et y plaçant sa joie ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ce sont là en vérité les divines merveilles que l’âme du prophète et celles qui lui ressemblent, découvrent avec étonnement dans une contemplation pleine de miracles. Ce sont là les prodiges que Dieu a opérés sur la terre, et dont la vue fait dire au même prophète, en appelant tous les peuples à les admirer : «Venez et voyez les oeuvres de Dieu, les prodiges qu’il a opérés sur la terre; il a brisé l’arc et rompu les armes, et consumé par le feu les boucliers.» (Ps 45,9-10). Car quel plus grand prodige, que de voir en un moment les publicains cupides devenir apôtres, les persécuteurs farouches se charger en prédicateurs de l’Évangile et propager au prix de leur sang la foi qu’ils poursuivaient ? Tels sont les divins ouvrages que le Fils atteste qu’il accomplit chaque jour en union avec son Père : «Mon Père agit jusqu’aujourd’hui, et moi aussi j’agis.» (Jn 5,17). Telles sont les oeuvres de Dieu que le bienheureux David chante en esprit : «Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, qui seul fait des prodiges !» (Ps 71,18). C’est d’elles que parle le prophète Amos : «Il a fait toutes choses, et il les change; il change en matin l’ombre de la mort.» (Amos 5,18). «Ce sont là, en effet, les changements de la droite du Très-Haut.» (Ps 76,11). C’est au sujet de cet ouvrage de salut que le prophète adresse au Seigneur cette prière : «Affermissez, ô Dieu, ce que vous avez fait en nous !» (Ps 67,29). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Je ne parle pas de ces conduites secrètes et cachées dont l’âme des saints se voit l’objet à toute heure; de cette infusion céleste de la joie spirituelle qui relève l’esprit abattu et lui rend l’allégresse; de ces transports brûlants, de ces consolations enivrantes que la bouche ne peut dire et que l’oreille n’a pas entendues, qui souvent nous éveillent d’une torpeur inerte et stupide, comme d’un profond sommeil, pour nous faire passer à la prière la plus fervente. C’est bien là cette joie dont le bienheureux Apôtre dit : «L’oeil de l’homme n’a pas vu, son oreille n’a pas entendu, le secret pressentiment de son coeur n’a point deviné.» (1 Cor 2,9). Mais il parle de celui qui, rendu stupide par les vices terrestres, est resté homme, rivé aux passions humaines et incapable de rien apercevoir de ces divines largesses. De lui-même, au contraire, et de ceux qui, d’ores et déjà étrangers à la manière de vivre des hommes lui sont devenus semblables, il dit aussitôt : «Mais à nous, Dieu l’a révélé par son Esprit.» (Ibid. 10). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Il en va de même pour celui qui a mérité de parvenir à la hauteur de vertu dont nous parlons. Il repasse en son esprit les grandes choses que Dieu fait en lui par une grâce toute spéciale; et dans le transport où le jette la vue de tant de merveilles, il s’enflamme, il s’écrie du plus profond de son coeur : «Admirables sont vos oeuvres, et mon âme se plaît à le reconnaître.» (Ps 138,14). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Oui, c’est bien là le grand miracle de Dieu, qu’un homme de chair et vivant dans la chair ait rejeté tout penchant charnel, que parmi tant de circonstances diverses, tant d’assauts qui lui sont livrés, il garde son âme dans la même disposition et demeure immobile au milieu du flux incessant des événements. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Persuasion facile et à la portée de tous, semble-t-il; et cependant, elle est aussi difficile aux commençants que la chasteté parfaite elle-même. À peine ont-ils entrevu les premiers sourires de la pureté : un certain élèvement se glisse subtilement dans le secret de leur conscience, et ils se complaisent en eux-mêmes, dans la pensée que leur soin diligent a tout fait. C’est pourquoi il leur est nécessaire de se voir retirer pour un temps le secours divin, et de subir la tyrannie des vices que la vertu de Dieu avait éteints, jusqu’à ce que l’expérience leur ait appris qu’ils ne sauraient obtenir par leurs propres forces et par leur travail personnel le bien de la pureté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
De la protection de Dieu Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Réponse : Ce n’est pas seulement la perfection de la chasteté qui ne peut exister sans le secours de Dieu, mais aucun bien absolument. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
CHEREMON. — L’exemple même que vous apportez prouve à l’évidence que nos soins ne servent de rien sans le secours de Dieu. Même après avoir dépensé tous ses efforts à mettre sa terre en valeur, le laboureur ne peut porter au compte de son activité personnelle l’abondance des moissons ni la richesse des récoltes. Il a si souvent éprouvé qu’elle avait été vaine ! Mais des pluies opportunes, un ciel serein et doux sont encore nécessaires par après. Que de fois nous en fûmes témoins : les récoltes grandies et arrivées à parfaite maturité étaient enlevées, pour ainsi dire, aux mains qui déjà les tenaient; et les plus persévérants labeurs demeuraient sans résultat, parce que le secours du Seigneur avait manqué, pour les mener à bien ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Même en cas de succès, que l’homme, dans son orgueil, n’ait point la prétention de s’égaler à la grâce ou d’entrer en société avec elle; qu’il n’essaye pas de revendiquer sa part dans les bienfaits de Dieu : comme si son labeur était cause de la divine largesse, ou qu’il pût se glorifier que l’abondance des récoltes réponde au mérite de son zèle. Mais plutôt qu’il se considère et s’examine sincèrement. Les efforts mêmes, si intenses, qu’il a produits par désir de l’opulence, sa propre vigueur lui eût-elle permis de les fournir, si la protection de Dieu et sa miséricorde ne l’avaient soutenu, pour se livrer à tous les soins des champs ? Volonté, énergie personnelle fussent restées inefficaces, n’eût été la divine clémence, qui lui a ménagé la possibilité de conduire jusqu’au terme un ouvrage souvent rendu impraticable par la sécheresse ou les pluies excessives. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La conclusion manifeste de tout ceci, c’est que le principe des actes bons, mais aussi des bonnes pensées, est en Dieu, qui nous inspire le commencement de la bonne volonté, et nous donne encore la force et le moment favorable, pour accomplir nos saints désirs : «Tout don excellent, toute grâce parfaite vient d’en haut, et descend du Père des lumières» (Jac 1,17), qui commence, poursuit et consomme en tous tout bien. «Celui qui donne la semence au semeur, dit l’Apôtre, vous fournira aussi le pain pour votre nourriture; il multipliera votre semence, et fera croître les fruits de votre justice.» (2 Cor 9,10). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Objection : Les païens ont gardé, dit-on, la chasteté; comment l’ont-ils fait sans la grâce de Dieu ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
GERMAIN. — Il ne nous est pas possible d’improuver absolument votre opinion comme contraire à la piété. Pourtant, elle semble avoir contre soi, qu’elle tend à la destruction de notre liberté. D’autant que nous voyons briller chez nombre de païens, qui certes ne méritent pas la grâce du secours divin, des vertus comme la frugalité, la patience et, ce qui est plus merveilleux encore, la chasteté. Et comment croire que ces vertus leur aient été accordées par un don de Dieu qui aurait rendu captif le libre arbitre de leur volonté ? Ne dit-on pas que les sectateurs de la sagesse mondaine, ignorants comme ils étaient, non seulement de la grâce, mais du vrai Dieu lui-même, ont possédé la pure fleur de la chasteté par la vertu de leurs propres efforts, ainsi que nos lectures nous l’ont appris et les récits d’autrui ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Un sage aurait-il des assertions aussi contraires ? Vous affirmiez hier que la céleste pureté de la chasteté ne saurait devenir le partage d’un mortel, même avec la grâce de Dieu. Et maintenant, vous croyez que les païens eux-mêmes l’ont possédée par leur propre vertu ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Donc, le fait est constant, ils n’ont, pas même eu la notion de la vraie chasteté qu’on réclame de nous. Et il est aussi par là bien assuré que notre circoncision, spirituelle comme elle est, ne s’acquiert que par le don de Dieu, et se rencontre uniquement chez ceux qui le servent d’une âme profondément contrite. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Que, sans la grâce de Dieu, nous ne pouvons accomplir aucun effort. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
En bien des choses, et pour mieux dire, en toutes, l’homme a besoin sans cesse du secours divin : on le montrerait sans peine. L’humaine fragilité ne peut rien accomplir de ce qui regarde le salut, par soi seule et sans l’aide de Dieu. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Pour différer de quelques instants l’étude de ce point particulier, ne parlons maintenant, très brièvement, que des moyens qui conduisent à cette haute perfection. Qui donc, je vous le demande, si grande soit sa ferveur, serait de taille à supporter l’horreur de la solitude et à se contenter de pain sec pour tout mets quotidien, en eût-il de quoi satisfaire sa faim : je dis par ses seules forces, et sans le soutien des louanges humaines ? Si le Seigneur ne donnait ses consolations, qui pourrait endurer une soif continuelle, que trompent mal quelques gouttes d’eau; dérober à ses yeux le doux et délicieux sommeil du matin, et ne point prolonger son repos au-delà de quatre heures ? Qui serait capable, sans la grâce divine, d’une application constante à la lecture, et d’un travail aussi assidu qu’il est peu profitable pour les intérêts de ce monde ? Voilà autant de choses qu’il nous est également impossible, et de désirer persévéramment sans l’inspiration de Dieu, et d’accomplir sans son aide. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Du dessein primordial de Dieu et de sa providence quotidienne. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Dieu n’a pas créé l’homme pour qu’il se perde, mais pour qu’il vive éternellement : ce dessein demeure immuable. Dès qu’il voit éclater en nous la plus petite étincelle de bonne volonté, ou qu’il la fait jaillir lui-même de la dure pierre de notre coeur, sa bonté en prend un soin attentif. Il l’excite, il la fortifie par son inspiration. Car «il veut que tous les hommes soient sauvés et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité !» (1 Tim 2,4) «C’est la volonté de votre Père qui est dans les cieux, dit le Seigneur, qu’il ne se perde pas un seul de ces petits !» (Mt 18,4) Et il est écrit ailleurs : «Dieu ne veut pas qu’une seule âme périsse; mais il diffère l’exécution de son arrêt, afin que celui qui a été rejeté ne se perde pas sans retour.» (2 Rois 14,14) Dieu est véridique; et il ne ment pas, lorsqu’il assure avec serment : «Je suis vivant, dit le Seigneur Dieu : je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse de sa voie mauvaise et qu’il vive !» (Ez 33,11) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La grâce du Christ est donc toujours à notre disposition. Comme «il veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité,» il les appelle aussi tous, sans exception : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai !» (Mt 11,28) S’il n’appelait tous les hommes en général, mais quelques-uns seulement, il suivrait que tous ne sont pas non plus chargés, soit du péché originel, soit du péché actuel. Et cette parole ne serait pas juste : «Car tous ont péché, et sont privés de la gloire de Dieu !» (Rm 3,23) On aurait tort aussi de croire que «la mort a passé dans tous les hommes.» (Ibid. 5,12) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La grâce de Dieu et le libre arbitre. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Dieu lui-même dépeint à merveille par la bouche du prophète Osée les soins de sa providence à notre endroit. Il le fait sous la figure de Jérusalem infidèle qui s’en va dans un empressement fatal, au culte des idoles. Elle dit : «J’irai après mes amants, qui me donnent mon pain et mon eau, ma laine et mon lin, mon huile et ma boisson !» (Os 2,5)Et la bonté divine répond, plus soucieuse de son salut que de la laisser satisfaire ses caprices : «Voici que je vais fermer ses chemins avec des épines; je l’enfermerai avec un mur, et elle ne trouvera plus ses sentiers. Elle poursuivra ses amants, et ne les atteindra pas — elle les cherchera, et ne les trouvera pas. Alors, elle dira : Je retournerai vers mon premier mari, parce que j’étais plus heureuse autrefois que je ne le suis maintenant !» (Ibid. 6,7) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La protection divine ne nous quitte jamais. Si grande est la tendresse du Créateur pour sa créature, que sa providence ne serait point satisfaite de nous accompagner; elle nous précède. Le prophète, qui en avait fait l’expérience, le témoigne ouvertement : «La miséricorde de mon Dieu me préviendra.» (ps 58,11) Aperçoit-il en nous quelque commencement de bonne volonté, aussitôt il épanche sur nous sa lumière et sa force, il nous excite au salut, donnant la croissance au germe qu’il a semé lui-même ou qu’il voit naître de nos efforts. «Avant qu’ils crient vers moi, dit-il, je les entendrai; ils parleront encore, que je les exaucerai.» (Is 55,24) Il est dit encore : «Au son de tes cris, aussitôt qu’il t’aura entendu, il te répondra.» (Ibid. 30,19) Et non seulement il nous inspire de saints désirs; mais il nous prépare les occasions de revenir à la vie, les circonstances favorables pour faire de bons fruits; il montre aux égarés le chemin du salut. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Quelle est la vertu de notre bonne volonté, et celle de la grâce de Dieu. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Il y a bien d’autres énigmes. On fait honneur au libre arbitre de toute l’oeuvre du salut : «Si vous le voulez, et m’écoutez, vous mangerez les biens de votre pays.» (Is 1,19) Puis, il est dit — «Ce n’est au pouvoir, ni de celui qui veut, ni de celui qui court; mais de Dieu, qui fait miséricorde.» (Rm 9,16) — Dieu «rendra à chacun selon ses oeuvres.» (Ibid. 2,6) Mais, «c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, selon son bon plaisir;» (Phil 2,13) et nous lisons de même : «Cela ne vient pas de vous, mais c’est le don de Dieu; ce n’est pas le fruit de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie.» (Ép 2,8-9) — Il est dit d’une part : «Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous;» (Jac 4,8) et d’autre part : «Personne ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 65,44) — «Conduis ta course par des chemins droits, est-il écrit, rends droites tes voies.» (Pro 4,26) Et nous disons dans nos prières — «Dirige mes pas devant ta face» (ps 5,9); «Affermis nos pas dans tes sentiers, afin qu’ils ne chancellent point.» (ps 16,5) — On nous donne cet avertissement : «Faites-vous un coeur nouveau et un esprit nouveau.» (Ez 18,31) Et l’on nous fait cette promesse : «Je leur donnerai un seul coeur, et je mettrai dans leur poitrine un esprit nouveau; et j’ôterai de leur chair leur coeur de pierre, et je leur donnerai un coeur de chair, afin qu’ils marchent selon mes commandements et qu’ils gardent mes lois.» (Ibid. 11,19-20) — Le Seigneur nous intime ce précepte : «Purifie ton coeur de toute malice, Jérusalem, afin que tu sois sauvée.» (Jér 4,14) Et voici que le prophète lui demande cela même qu’il nous ordonne : «Crée en moi, ô Dieu, un coeur pur» (ps 50,16); «Tu me laveras, et je serai plus blanc que la neige.» (Ibid. 9) — Il nous est dit «Allumez en vous la lumière de la science». (Puis, il est dit de Dieu : «Il enseigne à l’homme la science» (ps 93,10); «Le Seigneur donne la lumière aux aveugles.» (ps 145,8) Et nous-mêmes, nous demandons avec le prophète : «Donne la lumière à mes yeux, afin que je ne m’endorme jamais dans la mort.» (ps 12,4) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Quelle conclusion tirer, sinon que tous ces textes déclarent à la fois, et la grâce de Dieu, et notre liberté; parce que l’homme peut s’élever parfois de son propre mouvement au désir de la vertu, mais qu’il a toujours besoin d’être aidé par le Seigneur ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ne jouit pas de la santé qui veut. Nos désirs ne suffisent pas à nous délivrer de maladie. Que sert de souhaiter la grâce de la santé, si Dieu, qui nous a donné l’usage de la vie, ne nous accorde aussi la force et la vigueur? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La divine Écriture confirme l’existence de notre libre arbitre : «Garde ton coeur, dit-elle, en toute circonspection.» (Pro 4,23) Mais l’Apôtre manifeste son infirmité. «Que le Seigneur garde vos coeurs et vos intelligences dans le Christ Jésus.» (Phil 4,7) — David énonce sa vertu, lorsqu’il dit : «J’ai incliné mon coeur à observer tes commandements;» (ps 118) mais il enseigne aussi sa faiblesse, lorsqu’il fait cette prière : «Incline mon coeur vers tes enseignements, et non vers l’avarice;» (Ibid. 36) et de même Salomon : «Que le Seigneur incline vers lui nos coeurs, afin que nous marchions dans toutes ses voies, et que nous gardions ses commandements, ses cérémonies et ses jugements.» (3 Rois 8,58) — C’est la puissance de notre liberté que désigne le psalmiste, en disant : «Préserve ta langue du mal, et tes lèvres des paroles trompeuses;» (ps 33,14) mais nous attestons son infirmité dans cette prière : «Place, Seigneur, une garde à ma bouche, une sentinelle à la porte de mes lèvres.» (ps 140,3) — Le Seigneur déclare ce dont est capable notre volonté, lorsqu’il dit : «Détache les chaînes de ton cou, captive, fille de Sion» (Is 52,2); d’autre part, le prophète chante sa fragilité : «C’est le Seigneur qui délie les chaînes des captifs» (ps 145,7), et : «C’est toi qui as brisé mes chaînes; je t’offrirai un sacrifice d’action de grâces.» — Nous entendons le Seigneur nous appeler, dans l’Évangile, afin que, par un acte de notre libre arbitre, nous nous hâtions vers lui : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai» (Mt 11,28); mais il proteste aussi de la faiblesse de l’humaine volonté, en disant : «Personne ne peut venir à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 6,44) L’Apôtre révèle notre liberté dans ces paroles : «Courez de même, afin de remporter le prix» (1 Co 9,24) ; mais saint Jean le Baptiste atteste sa fragilité lorsqu’il dit : «L’homme ne peut rien prendre de lui-même, que ce qui lui a été donné du ciel.» (Jn 3,27) — Un prophète nous ordonne de garder notre âme avec sollicitude : «Prenez garde à vos âmes» (Jér 17,21), mais le même Esprit fait dire à un autre prophète : «Si le Seigneur ne garde la cité, celui qui la garde veille inutilement.» (ps 126,1) — L’Apôtre, écrivant aux Philippiens, leur dit, pour souligner leur liberté : «Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement» (Phil 2,12); mais il ajoute, pour leur en faire voir la faiblesse : «C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, de par son bon plaisir» (Ibid. 13). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Est-ce que la grâce de Dieu précède ou suit notre bonne volonté ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La grâce et la liberté se mêlent, pour ainsi dire, et se confondent d’une si étrange sorte, que c’est entre beaucoup un grand débat, de savoir laquelle de ces deux choses est vraie : si c’est parce que nous montrons un commencement de bonne volonté, que Dieu a pitié de nous; ou si c’est parce qu’il a pitié de nous que nous arrivons à un commencement de bonne volonté. Bon nombre s’attachent à l’une ou à l’autre alternative; et, dépassant dans leurs affirmations la juste mesure, se prennent en des erreurs différentes et contraires l’une à l’autre. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Si nous attribuons à notre libre arbitre la gloire de nous conduire à la vertu parfaite et l’accomplissement des commandements de Dieu, comment pouvons-nous demander : «Affermis, ô Dieu, ce que tu as accompli en nous !» (ps 57,29); «Dirigez pour nous les oeuvres de nos mains !» (ps 89,17) ? — Balaam est payé pour maudire Israël, et nous voyons qu’il ne lui fut pas permis de remplir son désir. (cf. Nb 22,5 et ss.) — Dieu garde Abimélech, de peur qu’il ne touche Rebecca, et ne pèche contre lui (cf. Gn 20,6). — La jalousie de ses frères fait emmener Joseph au loin (cf. Ibid. 37, 28), pour ménager la descente des fils d’Israël en Égypte; ils méditaient un fratricide, et le secours va leur être préparé pour les jours de famine. C’est ce que Joseph lui-même leur découvre, après avoir été reconnu par eux : «N’ayez point peur, et ne vous affligez pas de m’avoir vendu, pour être conduit dans ce pays. C’est pour votre salut que Dieu m’a envoyé devant vous» (Gn 45,5); et un peu après : «Dieu m’a envoyé devant vous, afin que vous soyez gardés sur la terre, et que vous ayez de la nourriture pour vivre. Ce n’est point par votre conseil, mais par la volonté de Dieu que j’ai été envoyé. Il m’a fait comme le père du Pharaon, le seigneur de toute sa maison et le prince de toute la terre d’Égypte» (Ibid. 7,8). Et comme, après la mort de leur père, ils étaient en proie à la terreur, pour leur ôter tout soupçon de crainte, il leur dit : «N’ayez point peur. Est-ce que nous pouvons résister à la volonté de Dieu ? Vous avez médité de me faire du mal; mais Dieu l’a changé en bien, pour m’exalter, comme vous le voyez présentement, afin de sauver des peuples nombreux» (Ibid. 50,19-20). Pareillement, le bienheureux David déclare, dans le psaume 104, que toutes ces choses arrivaient par une conduite spéciale de Dieu : «Il appela la famine sur le pays, et il les priva de tout le pain qui les soutenait. Il envoya devant eux un homme; Joseph fut vendu comme esclave» (ps 104,16-17). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Voilà donc la grâce et le libre arbitre qui semblent s’opposer. Ils s’accordent pourtant, et la piété nous fait un devoir de les admettre tous deux. Enlever à l’homme, soit l’un, soit l’autre, serait abandonner la règle de foi de l’Église. Lorsque Dieu voit notre volonté se tourner vers le bien, il court à notre rencontre, nous dirige, nous conforte : «Au son de tes cris, aussitÔt qu’il t’aura entendu, il te répondra» (Is 30,19). Et il dit lui-même : «Invoque-moi au jour de la tribulation; je te délivrerai, et tu me glorifieras» (ps 49,15). Aperçoit-il, au contraire, de la résistance ou de la tiédeur, il adresse à notre coeur des exhortations salutaires, qui renouvellent ou forment en nous la bonne volonté. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Il ne faut pas croire que Dieu ait fait l’homme tel qu’il ne veuille ni ne puisse jamais faire le bien. Ou l’on ne pourra plus dire qu’il lui ait accordé le libre arbitre, s’il lui a seulement donné de vouloir et de pouvoir le mal, non de vouloir ni de pouvoir par lui-même le bien. Puis, comment cette parole du Seigneur après la chute du premier homme demeurera-t-elle vraie : «Voici qu’Adam est devenu comme l’un d’entre nous, sachant le bien et le mal» (Gn 3,22) ? Que signifie-t-elle, en effet ? D’abord, ne pensez pas que l’homme, dans l’état qui précéda la chute, ait ignoré totalement le bien. Autrement, il faudrait avouer qu’il à été créé comme un animal privé de sens et de raison, ce qui est passablement absurde et tout à fait incompatible avec la foi catholique. Que dis-je ? Selon la parole du sage Salomon,, «Dieu a créé l’homme droit» (Eccl 7,29), c’est-à-dire pour jouir uniquement et sans cesse de la science du bien; mais «les hommes eux-mêmes se sont embarrassés dans une multitude de pensées,» ils sont devenus, comme il a été dit, sachant le bien et le mal. Adam obtint donc, après sa prévarication, la science du mal, qu’il n’avait pas; mais il n’a pas perdu la science du bien qu’il avait reçue. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Que le genre humain n’ait point perdu la science du bien après la faute d’Adam, c’est ce que les paroles de l’Apôtre nous rendent manifeste jusqu’à l’évidence : «Quand des Gentils, qui n’ont pas la foi, accomplissent naturellement ce que la foi commande, n’ayant pas la foi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes; ils montrent que ce que la Loi ordonne est écrit dans leurs coeurs, leur conscience leur rendant témoignage par des pensées qui, de part et d’autre, les accuseront et les défendront au Jour que Dieu jugera les secrets des hommes» (Rm 2,14-16). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Dans le même sens, Dieu accuse, par la bouche du prophète, l’aveuglement, non pas naturel, mais volontaire des Juifs : «Sourds, dit-il, écoutez; aveugles, ouvrez les yeux pour voir ! Qui est aveugle, sinon mon serviteur, et sourd, si ce n’est celui à qui j’envoie mes messagers ?» (Is 42,18-19). Et, de peur que l’on n’attribue leur cécité à la nature, non à la volonté, il dit ailleurs : «Faites sortir le peuple aveugle qui a des yeux, le sourd qui a des oreilles» (Ibid. 43,9). Et de nouveau : «Vous qui avez des yeux, et ne voyez pas; des oreilles, et n’entendez pas» (Jér 5,21). Le Seigneur aussi dit dans l’Évangile — «Parce qu’en voyant, ils ne voient pas, et qu’en entendant, ils n’entendent ni ne comprennent» (Mt 13,13). La prophétie d’Isaïe s’accomplit en eux : «Vous entendrez, et ne comprendrez point; vous regarderez, et vous ne verrez point. Le coeur de ce peuple a été aveuglé, et il est devenu dur d’oreille; et il s’est bouché les yeux; de peur qu’ils ne voient de leurs yeux, et n’entendent de leurs oreilles, et que leur coeur ne comprenne, et qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse» (Is 6,9-10). Enfin, pour signifier qu’ils avaient la possibilité de faire le bien, le Seigneur reprend encore les Pharisiens : «Et comment, leur dit-il, ne discernez-vous pas de vous-mêmes ce qui est juste ?» (Lc 12,57) Il ne leur eût certainement point parlé de la sorte, s’il n’avait su qu’ils étaient naturellement capables de discerner ce qui est juste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Gardons-nous donc bien de rapporter au Seigneur tous les mérites des saints, de telle manière que nous ne laissions à la nature humaine que ce qui est mauvais et pervers. Après le témoignage que rend Salomon, ou plutôt le Seigneur de qui sont ces paroles, cela ne nous est pas permis. Dans la prière qu’il fit, lorsqu’il eut achevé la construction du temple, il s’exprime ainsi : «David, mon père, voulut bâtir une maison au nom du Seigneur, Dieu d’Israël; mais le Seigneur dit à David mon père : Lorsque tu as formé cette pensée dans ton coeur, d’élever une maison à mon nom, tu as bien fait; le dessein en était bon. Toutefois, ce n’est pas toi qui bâtiras une maison à mon nom» (3 Rois 8,17,19). Cette pensée, ces réflexions de David, dites-moi, étaient-elles bonnes et de Dieu, ou mauvaises et de l’homme ? Si cette pensée était bonne et de Dieu, pourquoi Celui qui l’a inspirée lui refuse-t-il d’aller jusqu’à l’effet ? Si elle était mauvaise et de l’homme, pourquoi le Seigneur lui donne-t-il des louanges ? Il ne nous reste que de croire qu’elle était bonne et de l’homme. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
On ne peut douter par conséquent que toute âme possède naturellement les semences des vertus, déposées en elle par le bienfait du Créateur. Mais, si le secours divin ne les éveille, elles ne parviendront pas à la parfaite croissance, parce que, selon le bienheureux Apôtre, «ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose; mais Dieu, qui donne la croissance, est tout» (1 Co 3,7). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ainsi l’homme garde toujours la liberté de mépriser ou d’aimer la grâce de Dieu. L’Apôtre n’aurait pas donné ce précepte : «Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement» (Phil 2,12), s’il n’avait su qu’il était en notre pouvoir de le négliger ou d’en prendre soin. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Mais, afin qu’ils ne croient pas pouvoir se passer du secours divin pour accomplir ce grand ouvrage, il ajoute : «C’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le parfaire, de par son bon plaisir» (Phil 2,13). Il avertit de même Timothée : «Ne néglige pas la grâce qui est en toi» (1 Tim 4,14); et de nouveau : «C’est pourquoi je t’avertis de ressusciter la grâce de Dieu qui est en toi» (2 Tim 1,6). Écrivant aux Corinthiens, il leur rappelle, il les presse de ne pas se rendre indignes de la grâce de Dieu par des oeuvres stériles : «Or donc, étant ses coopérateurs, nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu» (2 Co 6,1). Simon, lui, l’avait reçue en vain; aussi ne lui fut-elle d’aucun profit. Il ne voulut pas obéir au commandement du bienheureux Pierre, qui lui disait : «Fais pénitence de ta malice, et prie Dieu qu’il te pardonne, s’il est possible, cette pensée de ton coeur. Je te vois la proie d’un fiel amer, et dans les liens de l’iniquité» (Ac 8,22-23). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Dieu prévient la volonté de l’homme : «La miséricorde de mon Dieu, est-il dit, me préviendra» (ps 58). Puis, il tarde, il s’arrête en quelque sorte pour notre bien, afin d’éprouver notre libre arbitre; et c’est notre volonté, alors, qui le prévient : «Au matin, ma prière vous préviendra» (ps 87,14), «J’ai devancé le matin et j’ai crié vers vous» (ps 118,147), «Mes yeux ont devancé le point du jour :» (Ibid. 148). — Il nous appelle et nous invite, lorsqu’il dit : «Tout le jour, j’ai tendu les mains vers un peuple incrédule et rebelle» (Rm 10,21); et nous l’invitons à notre tour, quand nous lui disons : «Tout le jour, j’ai tendu les mains vers vous» (ps 87,10). — Il nous attend : «Le Seigneur attend, dit le prophète, pour avoir pitié de vous.» (Is 30,18) Et nous l’attendons : «Je ne me suis point lassé d’attendre le Seigneur, et il m’a regardé» (ps 39,2); «J’ai attendu ton salut, Seigneur» (ps 118,166). — Il nous fortifie : «Je les ai instruits, et j’ai fortifié leurs bras, et ils ont médité le mal contre moi» (Os 7,15) et il nous exhorte à nous fortifier nous-mêmes : «Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui chancellent» (Is 35,3). — Jésus crie : «Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive !» (Jn 7,37). Et le prophète crie vers lui : «Je me suis épuisé à crier, ma gorge s’est enrouée; mes yeux se sont consumés, tandis que j’espère en mon Dieu.» (ps 58,4) — Le Seigneur nous cherche : «J’ai cherché, et il n’y avait point d’homme; j’ai appelé, et personne n’était là pour me répondre» (Cant 5,6). Et l’épouse le cherche lui-même avec ces plaintes pleines de larmes : «Sur ma couche, pendant la nuit, j’ai cherché celui que mon âme chérit; je l’ai cherché, et je ne l’ai pas trouvé; je l’ai appelé, et il ne m’a pas répondu» (Ibid. 3,1). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Les efforts humains ne peuvent se comparer à la grâce de Dieu Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
La grâce de Dieu coopère toujours pour le bien avec notre libre arbitre; en tout, elle l’aide, le protège, le défend. Mais parfois elle exige ou attend de lui quelques efforts de bonne volonté, pour ne point paraître lui conférer ses dons quand il est tout endormi et énervé par un lâche repos. Elle cherche en quelque façon les occasions où l’homme a secoué sa torpeur et sa paresse, afin que les largesses de sa munificence ne semblent pas déraisonnables, ayant un prétexte dans un certain désir, une ombre de labeur. Toutefois, elle demeure, même alors, gratuite — car à des efforts si minces et tellement insignifiants, c’est la gloire immense de l’immortalité, ce sont les dons magnifiques de l’éternelle béatitude qu’elle accorde avec une inappréciable libéralité. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Que dire d’un aveu si bref, et de l’incomparable, de l’infinie récompense que Dieu lui octroie, lorsque nous considérons comment le bienheureux Apôtre, regardant à la grandeur de la rétribution future, s’est exprimé sur les persécutions sans nombre qu’il avait souffertes : «Car notre légère tribulation d’un moment produit en nous le poids éternel d’une incommensurable gloire» (2 Co 4,17). Ailleurs, il déclare encore avec une belle constance : «Les souffrances du temps présent n’ont pas de proportion avec la gloire future qui sera manifestée en nous» (Rm 8,18). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Cependant, après avoir attesté qu’il tient de la grâce la dignité apostolique — «C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis» (1 Co 15,10) le Maître des nations proclame aussi qu’il y a répondu : «Et sa grâce envers moi n’a pas été vaine ; mais j’ai travaillé plus qu’eux tous, non pas moi cependant, mais la grâce de Dieu avec moi» (Ibid.). En disant : «J’ai travaillé,» il marque l’effort de son libre arbitre. Lorsqu’il ajoute : «Non pas moi, mais la grâce de Dieu,» il montre la vertu de la protection divine. Par ces mots enfin : «Avec moi,» il déclare qu’elle a coopéré, non pas avec un oisif et un insouciant, mais avec quelqu’un qui a travaillé et pris de la peine. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Dans les tentations qu’il envoie, Dieu se propose d’éprouver les forces de la liberté humaine. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
S’il n’avait lutté contre son adversaire avec ses propres forces, mais que la grâce de Dieu eût tout fait, en le couvrant de sa protection ; s’il avait enduré, sans déployer la moindre patience, mais seulement par la vertu du secours divin, les tentations et les maux inventés par l’ennemi avec un art cruel : comment celui-ci n’aurait-il pas repris avec bien plus de justice la calomnie qu’il avait auparavant proférée : «Est-ce gratuitement que Job sert Dieu ? Ne l’as-tu pas entouré comme d’une clôture, lui, sa maison et tout son bien ? Mais retire ta main — c’est-à-dire : Laissez-le combattre contre moi avec ses seules forces — , et l’on verra s’il ne te maudit pas en face» ? (Job 1,9-11) Mais il n’ose, tout calomniateur qu’il soit, renouveler, après la lutte, une plainte de ce genre; et par là même, il confesse que ce n’est pas la force de Dieu qui l’a vaincu, mais celle de Job. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ainsi, Dieu éprouve notre foi, pour la rendre et plus forte et plus glorieuse. Le centurion de l’Évangile nous en est un exemple. Le Seigneur, assurément, savait qu’il pouvait guérir son serviteur par la puissance de sa parole; il aime mieux offrir d’y aller de sa personne : «J’irai, et le guérirai» (Mt 8,7). Mais l’autre, dans l’ardeur grandissante de sa foi, s’élève au-dessus de cette offre ; il s’écrie — «Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit; mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri» (Ibid. 8). Et le Seigneur d’admirer. Il le couvre d’éloges, et le préfère à tous ceux qui avaient cru du peuple d’Israël : «En vérité, je vous le dis, je n’ai pas trouvé une telle foi en Israël» (Ibid. 10). Mais il n’aurait ni gloire ni mérite, si le Christ n’avait fait qu’exalter en lui ses propres dons. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Nous lisons que la divine justice a ménagé pareillement cette épreuve de la foi au plus magnifique des patriarches. «Et il arriva, après ces événements, que Dieu mit à l’épreuve Abraham.» (Gn 22,1) En effet, ce n’est pas la foi qu’il a lui-même inspirée que le Seigneur veut éprouver, mais celle qu’Abraham peut librement témoigner, dès lors qu’il a été appelé et éclairé d’en haut. Aussi sa constance est-elle ensuite à juste titre reconnue, lorsque la grâce lui revient, après l’abandon passager nécessaire pour l’épreuve : «Ne porte pas la main sur l’enfant, et ne lui fais aucun mal; je sais maintenant que tu crains le Seigneur, et que tu n’a pas épargné ton fils, ton unique, à cause de moi.» (Ibid. 12) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Il se peut qu’à notre tour nous soyons soumis à ce genre de tentation, afin d’avoir aussi le mérite de l’épreuve. Le Législateur le prédit bien clairement dans le Deutéronome : «S’il s’élève au milieu de toi un prophète ou quelqu’un qui dise avoir vu un songe, et qu’il te prédise un signe ou un prodige, et que ce qu’il a dit s’accomplisse, puis qu’il te dise : Allons, et suivons des dieux étrangers que tu ignores, et servons-les : tu n’écouteras pas les paroles de ce prophète ou de ce songeur, parce que le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu’il paraisse si vous l’aimez, ou non, de tout votre coeur et de toute votre âme.» (Deut 13,1-3) Quoi donc ? lorsque Dieu aura permis que surgisse ce prophète ou ce songeur, protégera-t-il ceux dont il veut éprouver la foi, de manière à ne point laisser de place à leur liberté, pour qu’ils luttent par leurs propres forces avec le tentateur ? Et quel besoin même de tentation, s’il les sait trop faibles et trop fragiles, pour être capables de résister par leurs propres forces au tentateur ? La justice du Seigneur n’aurait donc pas permis qu’ils fussent tentés, s’il ne leur avait connu une force de résistance égale à l’attaque, en sorte que l’on pût en toute équité les juger coupables ou dignes d’éloge, selon qu’ils auraient agi. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Tel encore ce que dit l’Apôtre : «Ainsi donc, que celui qui pense être ferme, prenne garde de tomber. Aucune tentation ne vous survient qui ne soit humaine. Et Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces; mais avec la tentation, il ménagera aussi une heureuse issue, afin que vous puissiez la supporter» (Co 10,12-13). Par ces paroles : «Que celui qui pense être ferme, prenne garde de tomber», il rend leur liberté vigilante; car il sait bien qu’il dépend d’elle, ou de rester debout par son zèle, ou de tomber par sa négligence. Lorsqu’il poursuit : «Aucune tentation ne vous survient qui ne soit humaine,» il leur reproche la faiblesse et l’inconstance qui se voient dans les âmes non encore robustes, et les rendent impropres à subir l’assaut des puissances du mal, contre lesquelles il lutte lui-même chaque jour, ainsi que les parfaits dont il parle aux Éphésiens : «Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les chefs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l’air» (Ép 6,12). En ajoutant : «Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces», il ne souhaite point du tout que le Seigneur empêche la tentation, mais qu’ils ne soient pas tentés au delà de ce qu’ils peuvent supporter. Que la tentation soit permise, voilà qui prouve le pouvoir de la liberté humaine; qu’ils ne soient pas tentés au delà de leurs forces, ceci montre, au contraire, la grâce du Seigneur modérant les assauts de la tentation. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Tous ces faits confirment que la grâce divine excite le libre arbitre, mais ne le protège ni ne le défend, de manière qu’il n’ait plus à faire effort par lui-même, pour lutter contre ses ennemis spirituels. Vainqueur, l’homme reconnaîtra la grâce de Dieu; vaincu, sa faiblesse. Ainsi apprendra-t-il à ne pas compter sur sa propre force, mais toujours sur le secours divin, et à recourir sans cesse à son protecteur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ce n’est point là conjecture personnelle, mais un sentiment qui s’appuie des témoignages les plus évidents de la divine Écriture. Rappelons-nous ce qui se lit au livre de Josué : «Voici les peuples que le Seigneur laissa et ne voulut pas détruire, à dessein d’éprouver par eux Israël, pour voir s’il garderait les commandements du Seigneur son Dieu, et afin qu’il prît l’habitude de combattre» (Jud 3,1-2, et 2,22). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ceci montre à l’évidence que les jugements de Dieu sont insondables, et incompréhensibles les voies (cf. Rm 11,33) par lesquelles il attire au salut le genre humain. Mais l’exemple des vocations racontées dans l’Évangile nous en peut fournir une preuve nouvelle. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Ainsi la sagesse multiforme de Dieu ménage-t-elle le salut des hommes avec une tendresse habile à varier ses moyens et vraiment insondable. Selon la capacité de chacun, il accorde les dons de sa largesse. Pour les guérisons même qu’il opère, il ne veut point se régler sur la puissance toujours égale de sa majesté, mais sur la foi qu’il trouve en chacun de nous ou qu’il a lui-même départie. Celui-ci croit que pour le purifier de sa lèpre, la volonté toute seule du Christ suffit; le Christ le guérit par le seul assentiment de sa volonté : «Je le veux, sois guéri» (Mt 8,3). Un autre le supplie de venir chez lui, et de ressusciter sa fille en lui imposant les mains; il entre dans sa maison, et lui accorde l’objet de sa requête en la manière espérée (cf. Ibid. 9,18). Un troisième croit que le salut réside essentiellement dans le commandement de la parole : «Dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri» (Mt 8,8); par le commandement de sa parole, il rend aux membres alanguis leur vigueur première : «Va, et qu’il te soit fait selon que tu as cru (Ibid. 13).» — En voici qui espèrent trouver le remède dans l’attouchement de la frange de son vêtement; il leur dispense largement le don de la santé. (cf. Ibid. 9,20) — Il accorde à ceux-ci la guérison de leurs maladies sur leur prière; à ceux-là par un don spontané. — Il en exhorte certains à l’espérance : «Veux-tu être guéri ?» (Jn 5,6). Il porte secours de son propre mouvement à d’autres qui ne l’espéraient pas. — Il sonde les désirs des uns avant de satisfaire leur volonté : «Que voulez-vous que je fasse ?» (Mt 20,32). À cette autre qui ignore le moyen d’obtenir ce qu’elle convoite, il l’indique avec bonté : «Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu.» (Jn 11,40) — Il en fut sur qui il épancha surabondamment son pouvoir de guérir, si bien qu’à leur sujet l’évangéliste peut dire : «Il guérit tous leurs malades» (Mt 14,14). Chez d’autres, l’abîme sans fond de ses bienfaits se trouva fermé : «Jésus, est-il dit, ne put faire parmi eux de miracle à cause de leur incrédulité» (Mc 6,5-6). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Voilà comment la libéralité de Dieu se conforme à la capacité de notre foi. Il dit à, celui-ci «Qu’il te soit fait selon ta foi» (Mt 9,29); à celui-là «Va, et qu’il te soit fait selon que tu as cru» (Ibid. 8,13); à un troisième : «Qu’il te soit fait comme tu le désires» (Ibid. 15,28); à un autre encore : «Ta foi t’a sauvé» (Mc 10,52 et Lc 18,42). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Que la grâce de Dieu dépasse les bornes étroites de la foi humaine. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Mais que l’on n’aille point penser que nous ayons dit ces choses, dans le dessein d’établir que toute l’affaire de notre salut est dans la main de notre foi, selon l’opinion sacrilège de quelques-uns. Donnant tout au libre arbitre, ils affirment que la grâce de Dieu est dispensée à chacun selon son mérite. Nous déclarons, au contraire, de la façon la plus catégorique que la grâce de Dieu déborde quelquefois par delà les étroites limites de notre incrédulité. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
De la providence insondable de Dieu Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
À ces exemples produits des Évangiles, nous pouvons clairement reconnaître que divers et innombrables sont les modes et insondables les voies par où Dieu procure le salut du genre humain. Les uns sont remplis de bonne volonté et dévorés d’une sainte passion : il les excite à plus d’ardeur encore; il contraint les autres malgré qu’ils en aient. Tantôt il nous aide à accomplir les bons désirs qu’il voit que nous avons formés; tantôt il nous inspire les premiers mouvements des saintes aspirations, et nous donne le commencement des bonnes oeuvres aussi bien que la persévérance. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Considérant en esprit la libéralité multiforme qui se décèle en cette providence de Dieu, le bienheureux Apôtre se voit englouti comme dans un océan sans fond et sans rivages de la tendresse divine; et il s’écrie : «0 profondeur inépuisable de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Car qui a connu la pensée du Seigneur ?» (Rm 11,33-34). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Vue admirable sur les choses divines, qui jetait dans une sorte d’effroi un homme tel que l’Apôtre des nations ! Celui-là tente de la réduire à néant, qui croit pouvoir mesurer avec sa raison humaine la profondeur de cet abîme insondable. Oui, quiconque se fait fort de comprendre ou d’expliquer parfaitement les conduites divines, nie la parole de l’Apôtre; et son audace sacrilège prononce, à l’encontre, que les jugements de Dieu sont pénétrables au regard, ses voies possibles à découvrir. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Voilà donc la chose du monde la plus croyable ; et l’expérience nous la fait, pour ainsi dire, toucher du doigt : selon l’Apôtre, le Dieu de l’univers opère tout en tous, sans différence, avec les sentiments du plus tendre des pères et du plus bienveillant des médecins. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Mais, si notre résistance ne prenait fin, si nous persévérions dans notre mauvaise volonté, Dieu ne ferait pas tout. D’autre part, toute l’affaire de notre salut doit être attribuée, non pas au mérite de nos oeuvres, mais à la grâce céleste. Ce sont là deux vérités que le Seigneur lui-même nous enseigne par ces paroles : «Vous vous souviendrez de vos voies et de tous les crimes dont vous vous êtes souillés; et vous commencerez à vous déplaire à vous-mêmes pour toutes les mauvaises actions que vous avez commises. Et vous saurez que je suis le Seigneur, lorsque je vous ferai du bien à cause de mon nom, et non selon vos voies mauvaises ni selon vos crimes détestables, maison d’Israël» (Ez 20,43-44). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Premièrement, c’est le don de Dieu qui allume en nous le désir de tout ce qui est bien, mais notre liberté demeure entière de pencher, soit d’un côté, soit de l’autre; Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Troisièmement, la vertu une fois acquise, la persévérance est encore un présent de Dieu, mais notre liberté, tout en s’y dévouant, ne se sent pas captive. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Le Dieu de l’univers opère tout; mais il faut croire que cela consiste pour lui à exciter, protéger, affermir, non pas à nous ravir la liberté qu’il nous a lui-même donnée. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
Le raisonnement humain pourra découvrir quelque conclusion qui paraisse contredire ce sentiment : il faut l’éviter; plutôt que de la produire, au risque de détruire par elle la foi. Car la foi ne vient pas de l’intelligence; mais c’est l’intelligence qui vient de la foi, selon qu’il est écrit : «Si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas» (Is 7,9). Et aussi bien, comment il se peut faire que Dieu opère tout en nous, et qu’en même temps tout soit attribué à notre libre arbitre : c’est un mystère que la raison de l’homme est impuissante à comprendre pleinement. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON
C’est en vain que l’on tend à voir Dieu, si l’on n’évite la contagion des vices, car «l’Esprit de Dieu hait l’astuce et n’habite point dans un corps esclave du péché.» (Sag 1,5). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Certains dirigent tous leurs efforts vers le secret du désert et la pureté du coeur. Tels, aux jours passés, Élie et Élisée; dans nos temps, le bienheureux Antoine, et les autres qui poursuivirent le même idéal. Ils jouirent d’une très familière union avec Dieu, parmi les silences de la solitude. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Bien des voies mènent à Dieu. Que chacun poursuive donc jusqu’au bout celle où il est une fois entré, et reste irrévocablement fidèle à sa direction première. Quelque profession qu’il ait choisie, il aura chance de s’y rendre parfait. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
L’homme déclara qu’il était de la campagne et demandait de quoi vivre au travail de ses mains. Du reste, il ne se connaissait aucune vertu, sinon qu’il ne manquait point le matin, avant de se rendre aux travaux des champs, et le soir, quand il revenait à la maison, d’entrer à l’église, pour rendre grâces à Dieu de lui donner le pain quotidien. Jamais non plus il n’avait rien pris sur ses récoltes, qu’il n’en eût d’abord offert à Dieu les prémices et la dîme; jamais il n’avait conduit ses boeufs le long des moissons d’autrui, sans prendre soin de les museler, de peur que le prochain ne souffrit quelque dommage par sa négligence, si minime qu’il fût. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
La tropologie est une explication morale qui regarde la pureté de la vie et les principes de la conduite : comme si, par ces deux Alliances, nous entendions la pratique et la théorie, ou que nous voulions prendre Jérusalem ou Sion pour l’âme humaine, comme il nous est montré dans ces paroles : «Loue, Jérusalem, le Seigneur; loue ton Dieu, Sion.» (Ps 147,12). Les quatre figures peuvent se trouver réunies. Ainsi, la même Jérusalem revêtira, si nous le voulons, quatre acceptions différentes : au sens historique, elle sera la cité des Juifs; au sens allégorique, l’Église du Christ; au sens anagogique, la cité céleste, «qui est notre mère à tous;» au sens tropologique, l’âme humaine, que nous voyons souvent louer ou blâmer par le Seigneur sous ce nom. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
La science, qui est aussi mentionnée par l’Apôtre, représente la tropologie. Celle-ci nous fait discerner selon la prudence l’utilité ou la bonté de toutes les choses qui relèvent du jugement pratique: comme lorsqu’il nous est ordonné de juger par devers nous «s’il convient qu’une femme prie Dieu, la tête non voilée.» (1 Cor 11,13). Cette sorte d’interprétation renferme, nous l’avons dit, un sens moral. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
La prophétie, que l’Apôtre nomme en troisième lieu, signifie l’anagogie, qui transporte le discours aux choses invisibles et futures comme dans ce passage : «Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance sur le sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne vous contristiez pas, comme fait le reste des hommes, qui n’a point d’espérance. Si, en effet, nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui se sont endormis en Lui. Aussi, nous vous déclarons sur la parole du Seigneur que nous, les vivants, réservés pour le temps de l’avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui se sont endormis. Car le Seigneur Lui-même, au signal donné, à la voix de l’archange, au son de la trompette divine, descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord.» (1 Thes 4,12-15). C’est la figure de l’anagogie qui parait dans une exhortation de cette nature. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
La doctrine dit l’ordre tout simple de l’explication historique, laquelle ne renferme point de sens plus caché que celui qui sonne dans les mots. Ainsi, dans les textes qui suivent : «Je vous ai enseigné premièrement, comme je l’ai appris moi-même, que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’Il a été enseveli, qu’Il est ressuscité le troisième jour et qu’Il est apparu à Céphas»; (1 Cor 15,3-5). «Dieu a envoyé son Fils, formé d’une femme, né sous la Loi, afin d’affranchir ceux qui étaient sous la Loi»; (Gal 4,5). «Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique.» (Deut 4,4). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Que si vous avez conçu le souci de parvenir à la lumière de la science spirituelle, non par le mouvement de la vaine jactance, mais par l’amour de la pureté, enflammez vous premièrement du désir de cette béatitude dont il est dit : «Heureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu,» (Mt 5,8) afin que vous puissiez atteindre aussi à celle dont l’ange parle à Daniel : «Ceux qui auront été savants brilleront comme la splendeur du firmament, et ceux qui en instruisent beaucoup à pratiquer la justice luiront comme les étoiles dans les éternités sans fin,» (Dan 15,3-5) et sur laquelle on lit encore chez un autre prophète : «Allumez en vous la lumière de la science, tandis qu’il en est temps.» (Os 10,12). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Puis, après avoir banni tous les soins et les pensées terrestres, efforcez-vous de toutes manières de vous appliquer assidûment, que dis-je ? constamment à la lecture sacrée, tant que cette méditation continuelle imprègne enfin votre âme, et la forme, pour ainsi dire, à son image. Elle en fera de quelque façon l’arche de l’alliance, renfermant en soi les deux tables de pierre, c’est-à-dire l’éternelle fermeté de l’un et l’autre Testament; — l’urne d’or, symbole d’une mémoire pure, et sans tache qui conserve à jamais le trésor caché de la manne, entendez l’éternelle et céleste douceur des pensées spirituelles et du pain des anges; la verge d’Aaron, c’est-à-dire l’étendard, signe du salut, de notre Souverain, et véritable pontife Jésus Christ, toujours verdoyant dans un immortel souvenir : le Christ, en effet, est la verge qui, après avoir été coupée de la racine de Jessé, reverdit de sa mort avec une vigueur nouvelle. Toutes ces choses sont couvertes par deux chérubins, c’est-à-dire la plénitude de la science historique et spirituelle. Car chérubin signifie plénitude de science. Ils couvrent sans cesse le propitiatoire de Dieu, c’est-à-dire la tranquillité de votre coeur, et la protègent contre toutes les attaques des esprits malins. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Votre âme, ainsi devenue, par son inséparable amour de la pureté, l’arche du divin Testament et le royaume sacerdotal, absorbée en quelque sorte dans les connaissances spirituelles, accomplira le commandement fait au pontife par le Législateur : «Il ne sortira pas du sanctuaire, de peur qu’il ne profane le sanctuaire de Dieu,» (Lev 21,12) c’est-à-dire son coeur, où le Seigneur promet de faire sa constante demeure : «J’habiterai parmi eux, et je marcherai au milieu d’eux.» (2 Cor 6,16). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Telle est l’infidélité dont il est dit que Jérusalem s’est souillée, lorsqu’elle s’est déshonorée «sur toute colline élevée et sous tout arbre vert». (Jer 3,6). C’est de quoi le Seigneur la reprend par la bouche de son prophète: «Qu’ils viennent et qu’ils te sauvent, les augures du ciel qui contemplaient les astres et comptaient les mois, afin de t’annoncer ce qui doit t’advenir !» (Is 47,13). Telle est aussi la faute dont il accuse ailleurs son peuple : «Un esprit d’infidélité les a égarés, et ils ont été infidèles à leur Dieu.» (Os 4,12). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Si l’on a pu éviter cette faute également, que l’on prenne garde de tomber dans le vice de l’infidélité par un péché plus subtil, qui consiste dans la divagation de l’esprit. Je ne dis pas seulement toute pensée honteuse, mais toute pensée inutile ou qui s’éloigne si peu que ce soit de Dieu, est, aux yeux du parfait, une souillure, une infidélité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Votre esprit sera nécessairement occupé de ces poèmes, aussi longtemps qu’il n’aura pas conquis, par une égale application et une assiduité toute pareille, d’autres objets qu’il repasse en lui-même, et qu’au lieu de ces pensées infructueuses et terrestres, il n’en enfantera point de spirituelles et de divines. Mais, s’il réussit à se pénétrer profondément de ces idées nouvelles, à en faire sa vie, les premières pourront être expulsées peu à peu ou tout à fait abolies. Il ne saurait demeurer vide. S’il ne s’occupe des choses de Dieu, il reste fatalement engagé dans ce qu’il a précédemment appris; tant qu’il n’a pas où revenir à tout moment et exercer son infatigable activité, une pente irrésistible l’entraîne vers les sujets dont il fut imbu dès la première enfance, et il roule incessamment les pensées qu’un long commerce et une méditation assidue lui ont rendues intimes et familières. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
NESTEROS. — Ce n’est pas examiner comme il convient la portée d’une doctrine, que de ne pas prendre le soin de peser tous les termes qui l’expriment. Nous avons dit déjà que cette sorte de gens n’ont rien qu’une certaine habileté à parler, avec de l’agrément dans le discours; mais qu’ils sont incapables d’entrer au coeur de l’Écriture et dans le mystère des sens spirituels. La science véritable ne se trouve que chez ceux qui honorent vraiment Dieu. Ce peuple ne l’a certes point, à qui il est dit : «Écoute, peuple insensé, qui n’as point de coeur; vous qui avez des yeux et ne voyez point, des oreilles et n’entendez point;» (Jer 5,21) et de nouveau : «Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai à mon tour, et ne souffrirai pas que tu remplisses les fonctions de mon sacerdoce.» (Os 4,6). Il est écrit que «tous les trésors de la science sont cachés» (Col 2,3) dans le Christ. Dès lors, comment croire que celui qui dédaigne de trouver le Christ, ou qui, l’ayant trouvé, le blasphème d’une bouche sacrilège, comment croire que celui qui déshonore la foi catholique par des oeuvres d’impureté, aient atteint à la vraie science ? «L’Esprit de Dieu, en effet, hait l’astuce et n’habite point dans un corps esclave du péché.» (Sag 1,5). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
«La louange n’est point belle, qui vient de la bouche du pécheur.» (Ec 15,9). Et Dieu lui dit par le prophète : «Pourquoi racontes-tu mes préceptes et as-tu mon alliance à la bouche ?» On lit encore dans les Proverbes ce mot vraiment topique sur les âmes qui ne possèdent pas d’une façon stable la crainte du Seigneur — dont il est dit : «La crainte du Seigneur est science et sagesse» (Pro 15,33), et qui s’efforcent néanmoins, par une méditation continuelle, de pénétrer le sens des Écritures : «Que sert à l’insensé d’avoir la richesse ? L’homme sans intelligence ne pourra acheter la sagesse.» (Pro 17,16). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Ou bien c’est l’auditeur qui est mauvais et rempli de vices; et son coeur endurci demeure fermé à la salutaire et sainte doctrine de l’homme spirituel. De ceux qui lui ressemblent, Dieu dit par le prophète : «Le coeur de ce peuple a été aveuglé, et il est devenu dur d’oreille, et il s’est bouché les yeux, de peur qu’ils ne voient de leurs yeux et n’entendent de leurs oreilles, et que leur coeur ne comprenne, et qu’ils ne se convertissent, et que je ne les guérisse.» (Is 6,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Mais la Providence surnaturelle de Dieu, qui «veut que tous les hommes soient sauvés et qu’ils viennent à la connaissance de la vérité,» (1 Tim 2,4) permet quelquefois, dans sa libéralité magnifique, que celui qui ne s’était pas rendu digne de prêcher l’Évangile par une vie irrépréhensible, obtienne néanmoins la grâce de la science spirituelle pour le salut de beaucoup. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
La troisième sorte de guérisons est un jeu et une ruse des démons. Un homme est engagé dans des crimes manifestes, mais on admire ses miracles, et on le croit serviteur de Dieu : c’est pour les esprits malins le moyen de persuader aux autres d’imiter jusqu’à ses vices. De plus, la porte est ouverte à la critique, et la sainteté de la religion elle-même discréditée. À tout le moins peuvent-ils s’attendre que celui qui se croit ainsi le don de guérison, le coeur enflé de superbe, tombera d’une chute plus terrible. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
De là leur stratagème : on les voit prononcer avec effroi le nom de personnes qu’ils savent entièrement dépourvues de sainteté et de fruits spirituels, comme si leurs mérites étaient un enfer insupportable qui les chasse du corps des possédés. Mais de ces personnes, il est dit dans le Deutéronome : «S’il s’élève du milieu de toi un prophète ou quelqu’un qui dise avoir vu, un songe, et qu’il te prédise un signe ou un prodige, et que ce qu’il a dit s’accomplisse, puis qu’il le dise : Allons, et suivons des dieux étrangers que tu ignores, et servons-les : tu n’écouteras point les paroles de ce prophète ou de ce songeur, parce que le Seigneur votre Dieu vous éprouve, afin qu’il paraisse si vous l’aimez, ou non, de tout votre coeur et de toute votre âme.» (Dt 13,1-3). Il est dit de même dans l’Évangile : «Il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes, et ils feront de grands signes et de grands prodiges, jusqu’à induire dans l’erreur, s’il se pouvait, même les élus.» (Mt 24,24). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Il arrive. Et l’hérétique de l’attaquer à grand renfort de syllogismes. Triomphant de son ignorance, il prétendait l’entraîner dans le maquis aristotélicien. Mais le bienheureux, Macaire mit fin à tous ses discours par une brièveté tout apostolique : «Le royaume de Dieu, dit-il, ne consiste pas en paroles, mais en oeuvres de puissance.» Allons donc vers les tombeaux, et invoquons le nom du Seigneur sur le premier mort qui se trouvera. Selon qu’il est écrit, montrons notre foi par des oeuvres. Le témoignage divin déclarera où sont les marques de la vraie foi; et ce ne sera point par de vaines disputes de mots que nous rendrons la vérité manifeste, mais par la puissance des miracles et par le jugement de Celui qui ne peut se tromper. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Le bienheureux Macaire s’arrête donc près d’une tombe des plus anciennes : «Ô homme, s’écrie-t-il, si cet hérétique, ce fils de perdition fût venu ici avec moi; et qu’en sa présence, invoquant le nom du Christ, mon Dieu, je t’eusse appelé : dis-moi si tu te serais levé devant tout ce monde que son imposture a failli conduire à la ruine.» Le mort se leva, et répondit que oui. L’abbé Macaire lui demanda ce qu’il avait été durant sa vie, en quel temps il avait vécu et s’il avait alors connu le nom du Christ. Il répondit qu’il avait vécu sous les plus anciens rois, et qu’il n’avait pas même entendu prononcer le nom du Christ à cette époque. «Dors en paix, reprit l’abbé Macaire, en attendant que le Christ te ressuscite en ton rang avec tous les autres, à la fin des temps.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Le même abbé s’en allait à certain bourg, lorsqu’il fut entouré par une troupe de gens qui s’amusaient de lui. Par dérision, ils lui montraient un homme à qui son genou tout contracté rendait depuis longues années la marche impossible, et réduit à ramper par un mal désormais invétéré. «Abbé Abraham, disaient-ils pour le tenter, montre si tu es le serviteur de Dieu, et rends à cet homme sa santé d’autrefois, afin que nous croyions que le nom du Christ que tu adores, n’est pas un nom qui soit vain.» Sur-le-champ, il invoque le nom du Christ, se penche et, prenant le pied desséché, le tire. Au contact de sa main, le genou desséché et courbé se redresse soudain; le malade recouvre l’usage de ses jambes, qu’il avait depuis longtemps oublié, et s’en va tout comblé de joie. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Personne, à leur sens, ne devait être loué pour les dons et les merveilles de Dieu, mais bien plutôt pour le fruit qu’il avait fait dans les vertus. Car ceci est un effet du zèle et des bonnes oeuvres. Mais il arrive quelquefois, nous l’avons dit plus haut, que des hommes d’esprit pervers, condamnables sur le sujet de la foi, chassent les démons et opèrent les plus grands miracles au nom du Seigneur. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Mais voici que l’auteur même de tous les signes et les miracles appelle ses disciples à recueillir sa doctrine; il va manifester avec évidence ce que ses sectateurs véritables et choisis entre tous devront apprendre particulièrement de lui : «Venez, dit-il, et apprenez de Moi,» (Mt 11,28) non pas certes à chasser les démons par la puissance du ciel, ni à guérir les lépreux, ni à rendre la lumière aux aveugles, ni à ressusciter les morts — J’opère, il est vrai, tous ces prodiges par l’entremise de quelques-uns de mes serviteurs; néanmoins, l’humaine condition ne saurait entrer en société avec Dieu pour les louanges qui Lui sont dues; le ministre et l’esclave ne peut prendre sa part où toute la gloire appartient à la seule divinité; mais, dit-il, «apprenez de Moi» ceci, «que je suis doux et humble de coeur.» (Mt 11,29). Voilà, en effet, ce qu’il est possible à tous communément d’apprendre et de pratiquer. Mais de faire des signes et des miracles, cela n’est pas toujours nécessaire, ni avantageux à tous, et n’est pas accordé non plus universellement. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Des guérisons corporelles, il est dit aux bienheureux apôtres : «Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis.» (Lc 10,20). Ce n’était pas leur puissance qui opérait ces prodiges, mais la vertu du nom qu’ils invoquaient. Et voilà pourquoi le Seigneur les avertit de ne revendiquer ni béatitude ni gloire pour ce qui n’est dû qu’à la puissance et à la vertu de Dieu; mais uniquement pour la pureté intime de leur vie et de leur coeur, qui leur mérite d’avoir leurs noms inscrits dans les cieux. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Surviennent un jour quelques hommes de Dieu. Tandis qu’il leur prépare un plat de lentilles, une flamme s’échappant du four, comme il arrive, lui brûla la main. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Cette révélation frappa vivement le vieillard. Il ne voulut point tenter la chance de l’expérience qui lui avait été indiquée de par Dieu. Mais il interrogea sa conscience, examina la pureté de son coeur; et, jugeant que sa chasteté n’était pas encore à la mesure d’une telle épreuve : «Il n’est pas étonnant, se dit-il, que même après avoir vu les esprits immondes reculer devant moi, je ne laisse pas d’éprouver encore les brûlures ennemies du feu, que j’avais cru d’abord moins terribles que leurs cruels assauts. C’est une vertu plus haute, une grâce plus sublime, d’éteindre en soi le feu de la chair, que de subjuguer, par le signe de la croix et la puissance du Très-Haut, les esprits mauvais qui nous attaquent de l’extérieur, ou de les chasser du corps des possédés par l’invocation du Nom divin. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS
Si vous désirez, vous aussi, garder inviolable votre amitié, hâtez-vous d’expulser vos vices et de mortifier vos volontés propres; puis, n’ayant plus qu’une même ambition, un même idéal, accomplissez vaillamment l’oracle qui comblait de délices l’âme du prophète : «Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères d’habiter ensemble !» (Ps 67,7). Ce qui doit s’entendre, non de ceux qui habitent en un même lieu, mais de ceux qui vivent dans un même esprit. Il ne sert de rien d’être unis dans une habitation commune, si l’on est séparé par la vie et par le but que l’on se propose; au contraire, pour ceux qui sont également fondés en vertu, la distance des lieux ne constitue pas un obstacle. Devant Dieu, c’est l’unité de conduite, et non point celle des lieux, qui fait habiter les frères dans une même demeure; et la paix ne se conservera jamais entière, où les volontés sont divergentes. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
GERMAIN. — Quoi donc ? Si l’un veut faire une chose qu’il reconnaît avantageuse et salutaire selon Dieu, et que l’autre n’y donner point son consentement, devra-t-il exécuter son projet, même contre le désir e son frère, ou l’abandonner, afin de lui complaire ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Rien ne vous servirait, en effet, d’affirmer que vous n’avez point, quant à vous, de colère, et de vous persuader que vous remplissez ce commandement : «Que le soleil ne se couche pas sur votre colère», (Ep 4,26). «Quiconque se met en colère contre son frère méritera d’être puni par les juges,» (Mt 5,22) si vous méprisez d’un coeur superbe et dur la tristesse de votre prochain, quand votre mansuétude aurait pu l’adoucir. Vous encourez au même titre le reproche de prévarication contre le précepte du Seigneur; car Celui qui a dit que vous ne deviez pas entrer en colère contre votre prochain, a dit du même coup que vous ne deviez pas faire fi de sa tristesse. Que vous vous perdiez vous-même oui un autre, cela ne fait point de différence aux yeux de Dieu, «qui veut que tous les hommes soient sauvés.» (1 Tim 2,4). Quel que soit celui qui périt, c’est pour lui un même dommage. Pareillement, celui qui trouve tant de plaisir à l’universelle perdition, retire un même gain de votre mort éternelle ou de celle de votre frère. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Cependant, elles semblaient éclater comme la lumière auparavant, lorsque le démon nous les inspirait; et elles auraient facilement engendré la discorde, si le commandement des anciens, gardé par nous comme un oracle de Dieu, ne nous eût prévenus contre toute dispute. Ils ont prescrit, en effet, et posé comme une sorte de loi, que ni l’un ni l’autre ne devait plus se lier à son jugement propre qu’à celui de son frère, s’il ne voulait être abusé par la fourberie du démon. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Que la charité n’est pas seulement une chose divine, mais Dieu Lui-même. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
L’Écriture exalte merveilleusement la charité. Le bienheureux apôtre Jean va jusqu’à proclamer, non seulement qu’elle est chose de Dieu, mais qu’elle est Dieu Lui-même : «Dieu, dit-il, est amour; et quiconque demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui.» (1 Jn 4,16). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Et nous-mêmes, n’apercevons-nous pas très clairement qu’elle est divine ? Car nous sentons en nous comme une réalité vivante ce que dit l’Apôtre : «L’amour de Dieu a été répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui habite en nous.» (Rom 5,5). Ce qui équivaut à dire : Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit saint qui habite en nous. Ignorants de ce que nous devons demander, c’est l’Esprit qui «prie pour nous par des gémissements ineffables; et Celui qui scrute les coeurs sait quel est le désir de l’Esprit, car il ne demande rien que selon Dieu pour les saints.» (Rom 8,26-27). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Nous estimons n’être point coupables devant Dieu, parce que nulle parole n’est sortie de nos lèvres qui nous puisse flétrir ou condamner au jugement des hommes. Comme si, aux yeux de Dieu, ce fuissent les paroles seulement qui comptent pour fautes, et non pas surtout la volonté ! où qu’il n’y eût de crime que dans l’oeuvre du péché, et non pas aussi dans le voeu et le dessein ! Comme s’il avait uniquement égard, lorsqu’il nous juge, à ce que nous avons fait; et point du tout à ce que nous nous sommes proposés de faire ! Ce n’est pas seulement le caractère apparent de nos provocations qui fait notre culpabilité, mais aussi notre intention. Notre juge, dans son examen impartial, s’enquerra moins des modalités extérieures de la querelle, qu’il ne cherchera par la faute de qui elle s’est allumée. Ce qu’il faut considérer, c’est le péché lui-même, et non pas l’acte matériel. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
Une multitude énorme était venue pour saisir le Seigneur, avec des épées et des bâtons. Or, personne ne fut plus cruellement parricide contre l’Auteur de notre vie que le traître Judas, qui, prévenant tous les autres afin de lui offrir, en le saluant, un hypocrite hommage, lui donna le baiser d’une charité perfide. Et le Seigneur lui dit : «Judas, tu livres le Fils de l’homme par un baiser ? » (Lc 22,48) c’est-à-dire : Pour couvrir l’amertume de la persécution et de la haine, tu empruntes le signe fait pour exprimer la douceur du véritable amour ! Mais il exhale plus ouvertement et avec plus de véhémence la violence de sa douleur par la bouche du prophète : «Si c’était un ennemi qui m’eût outragé, je l’aurais supporté; et si c’était celui qui m’avait en haine qui se fût élevé contre moi dans ses paroles, je me serais caché de lui. Mais toi, tu n’avais qu’une âme avec moi; tu étais mon guide et mon ami; tu partageais avec moi une douce nourriture; nous allions de concert dans la maison de Dieu !» (Ps 54,13-15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
C’est tomber très évidement dans le crime de sacrilège. Les jeûnes que l’on ne doit offrir qu’à Dieu seul, en vue d’humilier son coeur et de se purifier des vices, ils les soutiennent afin de satisfaire un orgueil diabolique ! Ce qui est tout de même que s’ils présentaient des prières et des sacrifices, non à Dieu, mais aux démons, et méritaient par là d’entendre le reproche de Moïse : «Ils ont sacrifié à des démons, et non à Dieu, à des dieux qu’ils ne connaissaient pas.» (Dt 32,7). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH
JOSEPH — En toute chose, nous l’avons dit, ce n’est pas le résultat de l’acte qu’il faut considérer, mais la volonté de celui qui agit. Ne disons pas : Qu’a-t-il fait ? mais : Dans quelle vue a-t-il agi ? Il s’en trouve qui ont été condamnés pour des actions dont il est sorti du bien. D’autres, au contraire, sont parvenus à la plus haute justice par des commencements répréhensibles. Le tour heureux qu’ont pris les choses, n’a point profité aux premiers. Animés d’une intention mauvaise dans l’instant qu’ils mettaient la main à l’ouvrage, ce n’est pas le bien qui est survenu qu’ils ont voulu faire, mais tout le contraire. En revanche, des commencements répréhensibles n’ont pas nui aux seconds. Car ils n’avaient ni le mépris de Dieu ni la volonté de mal faire; mais ils se résignaient à des débuts blâmables, comme on fait à l’inévitable, en vue d’une fin sainte et nécessaire. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Vous le voyez, Dieu n’a pas égard aux conséquences de l’acte, mais au but qu’on s’est proposé. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
JOSEPH — Je l’ai dit tout à l’heure, c’est l’intention qui mérite à l’homme la récompense ou la condamnation, selon cette parole : «Leurs pensées, de part et d’autre, les accusent ou les défendent, au jour que Dieu jugera les secrets des hommes;» (Rom 2,15-16) et cette autre : «Voici que je viens, pour rassembler leurs oeuvres et leurs pensées, avec toutes les nations et toutes les langues.» (Is 56,18). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Ainsi, il n’y a pas de mal à rompre un engagement inconsidéré, pourvu que, de toute manière, on reste fidèle à la pensée de religion que l’on avait dans l’esprit. Quel est donc le but de toutes nos actions, sinon d’offrir à Dieu un coeur pur ? Si vous jugez plus facile d’y atteindre en ce lieu, reprendre une promesse extorquée ne peut vous nuire : vous suivez la Volonté du Seigneur, du moment que vous arrivez plus vite au but essentiel, c’est-à-dire à la pureté du coeur, qui fut le motif de votre engagement. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Des saints, des hommes très agréables à Dieu se sont servi utilement du mensonge; et ce faisant, loin de tomber, dans le péché, ils parvinrent à la justice la plus éminente. Mais si l’artifice a pu leur conférer la gloire, que leur eût apporté, au contraire, la vérité, sinon la condamnation ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Telle fut Rahab. L’Écriture ne fait mémoire à son sujet d’aucune vertu, mais seulement de son impudicité. Cependant, plutôt que de livrer les espions de Josué, elle les cache par un mensonge : pour cela seul, elle mérite d’être agrégée au peuple de Dieu, dans une bénédiction éternelle. Or, supposez qu’elle eût préféré dire la vérité, et pourvoir au salut de ses concitoyens. Il est clair à tous les yeux qu’elle n’eût pas échappé, avec toute sa maison, à la mort suspendue sur sa tête; elle n’aurait pas pris rang parmi les ascendants du Seigneur; elle n’était point comptée sur la liste des patriarches; elle ne méritait, point de donner le jour, par les générations sorties de son sein, au Sauveur du monde. Voyez, en effet, Dalila. Elle prend les intérêts de ses concitoyens, et trahit la vérité qu’elle a réussi à connaître : son sort est la perte éternelle, et elle ne laisse à l’humanité que le souvenir de son crime. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
C’est que Dieu n’examine et ne juge pas seulement nos paroles et nos actes; mais il considère aussi notre volonté et nos intentions. Nous voit-il faire ou promettre quelque chose pour notre salut éternel ou en vue de la contemplation divine : même si notre conduite revêt, aux yeux des hommes, des apparences de dureté et d’injustice, lui regarde aux sentiments de religion qui sont au fond de notre coeur, et nous juge, non d’après le son des mots, mais sur le voeu de notre volonté. La fin de l’acte, les dispositions de celui qui agit, voilà ce qui est à considérer. Par là, comme on l’a dit plus haut, l’un peut se justifier en mentant; et l’autre, tomber dans un péché qui le condamne à la mort éternelle, en disant la vérité. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Tel ce trait, que vous avez rappelé, du roi David, lorsque, fuyant l’injuste persécution de Saül, il use auprès d’Achimélech de paroles mensongères, non par esprit de lucre ou dans le dessein de nuire à personne, mais seulement pour se sauver d’une poursuite si impie. C’étaient bien là, en effet, les sentiments d’un homme qui ne voulut pas souiller ses mains du sang d’un roi, son ennemi, et que Dieu Lui-même lui livra tant de fois : «Que Dieu me préserve, s’écriait-il, de faire à mon Seigneur, à l’oint du Seigneur, une chose telle que de porter la main sur lui, car il est l’oint du Seigneur.» (1 Roi 24,7). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Nous ne pouvons renier maintenant, lorsqu’une semblable nécessité nous presse, ces procédés que l’Ancien Testament nous montre suivis par des saints, soit parce que Dieu le voulait ainsi, soit afin de préfigurer certains mystères, soit pour sauver des vies en péril. Il s’en faut de tant, que nous voyons les apôtres eux-mêmes ne pas reculer à les employer, lorsque le bien l’exige. Mais je diffère pour un moment de traiter ce point particulier, afin d’expliquer d’abord ce que j’ai à dire de l’Ancien Testament. J’y reviendrai ensuite, et avec plus d’à-propos; car je ferai mieux voir par cette méthode que les justes et les saints, tant de l’Ancien Testament que du Nouveau, se sont pleinement accordés sur le sujet qui nous occupe. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Que dire de la feinte pieuse de Chusaï devant Absalon, afin de sauver le roi David ? Uniquement inspirée par le désir de tromper et de circonvenir, dirigée tout entière contre l’intérêt de celui qui demande conseil, elle a néanmoins pour elle le témoignage de l’Écriture : «Par la Volonté du Seigneur, le bon conseil d’Achitopel fut rendu vain, afin que le Seigneur amenât le malheur sur Absalon. (cf. 1 Roi 17,14). Aussi bien, il était impossible que cette conduite fût blâmée : une intention droite, un jugement pieux, l’intérêt du parti de la justice l’avaient dictée; un religieux artifice l’avait conçue pour le salut et la victoire de l’homme dont la piété plaisait à Dieu. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Mais le bienheureux Apôtre lui-même témoigne, en d’autres termes, qu’il a partout et toujours observé ces tempéraments : «Avec les Juifs, j’ai vécu comme Juif, afin de gagner les Juifs; avec ceux qui sont sous la loi, comme si j’étais sous la loi — bien que je le fusse pas assujetti à la Loi — afin de gagner ceux qui étaient sous la Loi; avec ceux qui étaient sans loi, comme si j’étais sans loi — bien que je ne fusse pas sans la loi de Dieu, étant sous la loi du Christ —, afin de gagner ceux qui sont sans loi. Je me suis rendu faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin de les sauver tous.» (1 Cor 9,0-22). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Où a-t-il vécu avec ceux qui étaient sous la Loi, comme s’il eût été lui-même sous la Loi ? — À Jérusalem. Les Juifs convertis, ou, pour mieux dire, les chrétiens judaïsants avaient reçu la foi du Christ avec la conviction qu’elle demeurait astreinte aux cérémonies légales. Jacques et tous les anciens de l’Église, redoutant que cette multitude ne se jetât sur lui, s’efforcent de parer au danger, et lui insinuent ce conseil : «Tu vois, frère, combien de milliers de Juifs ont cru, et tous sont zélés pour la Loi. Or, ils ont ouï dire que tu enseignes aux Juifs qui sont parmi les Gentils, de se séparer de Moïse, en disant qu’ils ne doivent pas circoncire leurs enfants;» (Ac 21,20-21) et plus loin : «Fais donc ce que nous allons te dire. Nous avons ici quatre hommes qui ont fait un voeu; prends-les, purifie-toi avec eux, et fais pour eux les frais des sacrifices, afin qu’ils se rasent la tête. Ainsi, tous sauront que ce qu’ils ont entendu dire de toi est faux, et que toi aussi tu observes la Loi.» (Ac 21,23-24). Et lui, pour le salut de ceux qui étaient sous la Loi, d’oublier un instant la rigueur de la parole qu’il avait dite : «C’est par la Loi que je suis mort à la Loi, afin de vivre à Dieu.»(Gal 2,19). Il se laisse engager à se raser la tête, à subir les purifications légales, à offrir des voeux dans le Temple suivant le rite mosaïque. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Vous demandez encore : Où s’est-il fait comme s’il était lui-même sans loi, pour le salut de ceux qui ignoraient complètement la loi de Dieu ? — Lisez l’exorde de son discours d’Athènes, où régnait l’impiété païenne : «En passant, j’ai vu vos idoles, et un autel avec cette inscription : Au Dieu inconnu.» (Ac 17,23). Il prend son point de départ dans leur superstition. Comme, s’il était lui-même sans loi, c’est à l’occasion de cette inscription profane qu’il propose la foi du Christ : «Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, vous l’annoncer.» (Ibid.) Peu après, comme s’il ignorait tout à fait la loi divine, il cite le vers d’un poète païen, plutôt que d’en appeler à la parole de Moïse ou à celle du Christ : «Ainsi que plusieurs de vos poètes l’ont dit : Nous sommes aussi de sa race.» (Ac 17,28). Il leur emprunte ces témoignages qu’ils ne peuvent récuser, pour les aborder; puis, il ajoute, se servant du faux pour établir le vrai : «Puisque nous sommes de la race de Dieu, nous ne devons point penser que la divinité soit semblable à l’or, à l’argent ou à la pierre, aux sculptures de l’art et du génie humain.» (Ibid. 29). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Nous le voyons accomplir ce qu’il ordonnait aux Corinthiens : «Ne soyez un scandale, dit-il, ni pour les Juifs, ni pour les Grecs, ni pour l’Église de Dieu. C’est ainsi que moi-même je m’efforce en toutes choses de complaire à tous, ne cherchant pas mon avantage, mais celui du grand nombre, afin qu’ils soient sauvés.» (1 Cor 10,32-33). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Or, bien qu’il ait agi en ceci pour la gloire de Dieu, la simulation n’en fut pas absente. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Celui qui était mort à la Loi par la loi du Christ, afin de vivre à Dieu, qui tenait pour un préjudice la justice de la Loi dans laquelle il avait vécu sans reproche, et la considérait comme de la balayure, afin de gagner le Christ, celui-là, dis-je, n’a pu se soumettre d’un coeur sincère aux observances légales. Il n’est pas permis de penser que celui qui avait dit : «Si ce que j’ai détruit, je le rebâtis, je me constitue moi-même prévaricateur,» (Gal 2,18) soit tombé dans la faute qu’il avait lui-même condamnée. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Le roi Saül se plaignait devant ses serviteurs de la fuite de David : «Le fils de Jessé vous donnera-t-il à tous des champs et des vignes, vous fera-t-il tous chefs de milliers et chefs de centaines, que vous vous soyez tous conjurés contre moi, et qu’il n’y ait personne pour m’informer ?» (1 Roi 22,7-8) Doëg fait-il autre chose que dire la vérité, lorsqu’il déclare: «J’ai vu le fils de Jessé venir à Nobé chez le prêtre d’Achimélech, fils d’Achitob. Achimélech a consulté pour lui le Seigneur et lui a donné des vivres; il lui a donné encore l’épée de Goliath, le Philistin »? (Ibid. 9-10). Mais il mérite pour ce fait d’être déraciné de la terre des vivants, et de lui, le prophète dit : «C’est pourquoi Dieu te renversera pour toujours; il t’arrachera, et t’enlèvera de ta tente; il te déracinera de la terre des vivants.» (Ps 51,7). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
L’autorité du docteur des nations nous enseigne à suivre ce chemin; car, ayant à parler de la grandeur de ses révélations, il a voulu le faire sous le nom d’un autre : «Je connais un homme dans le Christ qui — fût-ce dans son corps ou hors de son corps, je l’ignore, Dieu le sait, — a été ravi jusqu’au troisième ciel. Et je sais que cet homme fut enlevé dans le paradis, et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de dire.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Il nous est impossible de tout parcourir, même brièvement. Qui suffirait à énumérer les patriarches — il faudrait les nommer tous ! — et les innombrables saints qui, soit pour sauver leur vie, soit dans le désir d’obtenir une bénédiction, par un sentiment de miséricorde ou en vue de tenir caché quelque secret, les uns par zèle de Dieu, les autres afin de découvrir la vérité, ont, si j’ose ainsi dire, pris sur eux de patronner le mensonge ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Pour moi, cet aveu expia, par son humilité, un forfait si grand, non seulement devant leur frère, contre qui ils avaient péché, avec une cruauté inhumaine, mais aussi devant Dieu. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Parlerai-je encore de Salomon ? Dès son premier jugement, il manifeste le don de sagesse qu’il a reçu de Dieu, en faisant un mensonge. Pour dégager la vérité cachée par le mensonge d’une femme, il a lui-même recours à un mensonge extrêmement habile : «Apportez-moi une épée, et partagez en deux l’enfant vivant, et donnez-en la moitié à l’une et la moitié à l’autre.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Cette cruauté feinte émeut les entrailles de la vraie mère, tandis que l’autre y applaudit. C’est le signe de la vérité attendu par son esprit si pénétrant. Il promulgue alors cette sentence que tous ont regardée comme inspirée de Dieu : «Donnez a celle-ci l’enfant vivant, et qu’on ne le tue pas, c’est elle qui est sa mère.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Mais poursuivons. Nous n’avons ni le devoir ni le pouvoir d’accomplir tout ce que nous décidons, que notre détermination ait été prise avec calme ou dans un moment d’émotion. C’est ce que nous apprennent d’autres témoignages, plus abondants encore, des Écritures. Fréquemment, en effet, nous lisons que les saints, ou les anges, ou le Dieu tout-puissant lui-même ont changé ce qu’ils avaient d’abord résolu. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Le bienheureux David prend sa résolution, et s’engage par serment : «Que Dieu traite dans toute sa rigueur les ennemis de David ! D’ici au matin, je ne laisserai pas subsister un seul homme de tout ce qui appartient à Nabal.» Mais l’épouse de celui-ci, Abigaïl, s’interpose, et implore la grâce de son mari. David aussitôt de suspendre ses menaces et de fléchir ses résolutions. Il aime mieux paraître manquer à son dessein, plutôt que de garder la foi du serment au prix d’une cruauté : «Aussi vrai, dit-il, que le Seigneur est vivant, si tu n’étais venue en hâte à ma rencontre, pas un homme ne fût resté a Nabal d’ici au lever du jour.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Mais il lui vient un plan meilleur : il n’exécute pas ce qu’il avait promis, comme il le confesse lui-même de la façon la plus claire : «Est-ce donc qu’en formant ce dessein, j’aurais agi avec légèreté ? Ou bien les projets que je fais, est-ce que je les fais selon la chair, de sorte qu’il y ait en moi le oui et le non.» Il déclare enfin, et avec serment, pourquoi il a préféré manquer à sa parole, plutôt que leur causer par sa visite une pénible tristesse : «Pour moi, je prends Dieu à témoin sur mon âme que c’est pour vous épargner que je ne suis pas allé de nouveau à Corinthe. Je me suis promis à moi-même de ne pas retourner chez vous dans la tristesse.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Le roi Ézéchias est étendu sur son lit, en proie à une grave maladie. Le prophète Isaïe l’aborde au nom de Dieu, et lui dit : «Ainsi parle le Seigneur : Mets ordre à ta maison, car tu vas mourir, et tu ne vivras plus. Et Ézéchias, dit l’Écriture, tourna son visage contre la muraille, et il pria le Seigneur, et il dit : Je t’en supplie, Seigneur, souviens-toi comme j’ai marché devant toi dans la vérité et avec un coeur parfait et que j’ai fait ce qui est bien à tes yeux. Et Ézéchias répandit une grande abondance de larmes.» Après quoi, il est dit à Isaïe «Retourne, et dis à Ézéchias, roi de Juda : Ainsi parle le Seigneur, le Dieu de David, ton père : J’ai entendu ta prière, j’ai vu tes larmes; et voici que j’ajouterai à tes jours quinze années encore; et je te délivrerai de la main du roi d’Assyrie; et je protégerai cette cité à cause de moi et à cause de David, mon serviteur.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Les jugements de Dieu, sur tout inestimables, nous apprennent encore que, prévoyant la fin de toutes choses dès leur naissance, sa providence agit néanmoins toujours en se conformant à l’ordre et à la raison commune, et d’une certaine manière aux sentiments humains. Ce n’est pas par puissance ni selon les idées ineffables de sa prescience, mais selon les actions présentes des hommes qu’il juge de tout, repousse ou attire chacun, épanche chaque jour ou détourne sa grâce. L’élection de Saül en particulier manifeste qu’il en est bien comme nous disons. Dieu le choisit parmi tant de milliers d’Israélites, et lui donne l’onction royale. Il récompense le mérite de sa vie présente, sans regarder a sa prévarication future. Et, après que Saül a été réprouvé, comme s’il se repentait de l’avoir choisi, c’est en quelque sorte avec des paroles et des sentiments humains qu’il se plaint de lui : «Je me repens d’avoir établi Saül roi, parce qu’il m’a abandonné et n’a pas accompli mes paroles;» et de nouveau : «Cependant, Samuel pleurait sur Saül, parce que le Seigneur se repentait de l’avoir établi roi sur Israël.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Les avis et la doctrine du bienheureux Joseph nous parurent un oracle de Dieu. Rassurés désormais, nous décidâmes de rester en Égypte. Cependant, bien que notre promesse nous donnât très lors peu de souci, nous ne laissâmes pas de l’accomplir, après sept ans écoulés. Nous fîmes alors un rapide voyage à notre monastère, et d’ailleurs avec la ferme confiance d’obtenir congé de retourner au désert. Cette visite nous permit d’abord de rendre à nos supérieurs l’honneur que nous leur devions. De plus, telle était l’ardeur de leur affection, que nos lettres d’excuse, si fréquentes qu’elles fussent, n’avaient pas réussi à calmer leurs esprits : nous eûmes le bonheur de voir refleurir la charité d’autrefois. Enfin, pleinement délivrés du scrupule que nous avait laissé notre engagement, nous reprîmes le chemin du désert de Scété; et eux-mêmes se firent une joie de nous accompagner. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Vous avez ici, frères saints, la science et la doctrine de pères illustres, telles que mon ignorance a su vous les présenter. Si mon style inculte y a mis plus de confusion que de clarté, je vous prie que le blâme mérité par ma gaucherie n’affaiblisse pas les louanges dues à des hommes si remarquables. Devant Dieu, qui nous jugera, il m’a paru plus sûr de divulguer la magnificence de leur doctrine, fût-ce en une langue sans beauté, que de la taire. D’autant que le lecteur, s’il regarde à la sublimité des pensées, ne sera pas arrêté dans ses progrès par ce qui le choquera dans une forme imparfaite. Quant à moi, j’ai plus souci d’être utile que d’être loué, l’avertis donc tous ceux à qui ces opuscules viendront entre les mains : Qu’ils sachent que ce qu’ils y trouveront d’agréable appartient aux pères, à moi ce qui leur déplaira. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH
Si donc, comme je le crois, c’est le zèle de Dieu qui vous inspire l’envie de nous connaître, il faut renoncer entièrement à tous les principes dont vos commencements ont été prévenus, pour embrasser sans discernement et en toute humilité les pratiques et les enseignements de nos anciens. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Pour ceux en qui brûlait encore la flamme des temps apostoliques, fidèles au souvenir de la perfection des jours anciens, ils quittèrent les cités, et la compagnie de ceux qui croyaient licite pour soi ou pour l’Église de Dieu la négligence d’une vie relâchée. Établis aux alentours des villes, en des lieux écartés, ils se mirent à pratiquer privément et pour leur propre compte les règles qu’ils se rappelaient avoir été posées par les apôtres pour tout le corps de l’Église. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Les cénobites, sans pensée du lendemain, offrent à Dieu le fruit de leurs sueurs comme une hostie agréable; les sarabaïtes étendent le souci de leur âme infidèle, non seulement au lendemain, mais à une longue suite d’années, et font Dieu menteur ou dénué de ressources, comme s’il ne pouvait ou ne voulait pas tenir sa promesse, de donner en suffisance le pain quotidien et le vêtement. Les premiers souhaitent de tous leurs voeux le dépouillement total et la pauvreté perpétuelle, les seconds, l’abondance de tous les biens. Les uns s’efforcent à l’envi de dépasser la mesure de travail prescrite, mais afin qu’après avoir suffi aux saints usages du monastère, le reste soit dépensé, selon le jugement de l’abbé, aux prisonniers, aux hospices pour les étrangers, aux hôpitaux, aux indigents; les autres n’ont pour but que de satisfaire, avec le superflu de leur gourmandise, une fantaisie dépensière ou une coupable avarice. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
La différence d’un pécheur et d’un saint ne vient pas de ce que celui-ci ne serait pas tenté aussi bien que l’autre, mais de ce qu’il ne se laisse pas vaincre aux assauts les plus violents, tandis que la tentation la plus légère suffit à surmonter le premier. Nous l’avons dit, la force du juste n’aurait point de titre a la louange, s’il triomphait, sans être tenté. Peut-il y avoir une victoire sans combat ? Mais «heureux l’homme qui supporte la tentation, parce que, après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui L’aiment.» (Jac 1,12). Selon l’apôtre Paul également, «la vertu s’achève,» non point dans le repos et les délices, mais «dans l’infirmité». (2 Cor 12,9). «Car voici, est-il dit, que je t’établis en ce jour comme une ville fortifiée, une colonne de fer et un mur d’airain, sur tout le pays, sur les rois de Juda, ses princes, ses prêtres, et tout le peuple du pays. Et ils te feront la guerre; mais ils ne prévaudront point, parce que Je suis avec toi, dit le Seigneur, pour te délivrer.» (Jer 1,18-19). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Exemple de patience chez une femme dévouée au service de Dieu. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Le premier est d’une femme dévouée au service de Dieu. Elle se porta d’une telle avidité à la vertu de patience, que, loin de fuir le choc des tentations, elle-même se ménagea des occasions de déplaisir, afin de s’habituer à les surmonter, pour fréquentes qu’elles fussent. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Il s’éloigne à l’instant de l’église, moins abattit de son malheur que plein de confiance au jugement de Dieu; sans trêve il répand ses larmes et ses prières, triple ses jeûnes, et s’abaisse encore profondément à la face des hommes avec les sentiments de la vraie humilité. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Secondement, tenons pour bien assuré que nous ne pouvons être en sûreté contre les orages des tentations et les attaques du démon, si nous plaçons la sauvegarde et l’espoir de notre patience, non dans la vigueur de notre homme intérieur, mais dans la clôture d’une cellule, l’éloignement de la solitude, la compagnie des saints, ou quelque autre soutien extérieur à nous. Si Celui qui a dit dans l’Évangile : «Le règne de Dieu est au-dedans de vous,» (Lc 17,21) ne fortifie notre âme par la vertu de sa protection, c’est en vain que nous nous flattons de vaincre les embûches des puissances de l’air, ou de les éviter par la distance des lieux, ou de leur fermer toute approche par le rempart d’une cellule. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Rien de tout cela n’a manqué à l’abbé Paphnuce. Néanmoins, le tentateur ne laissa pas de trouver un chemin, pour l’attaquer, ni les murs qui le cloîtraient, ni la solitude du désert, ni les mérites de tant de saints rassemblés dans ce lieu ne réussirent à repousser l’esprit du mal. Mais le bienheureux serviteur de Dieu n’avait pas fixé son espérance en des secours extérieurs; son coeur s’attendait à Celui qui juge des secrets les plus cachés. Et voilà pourquoi, assailli par une machine de guerre si redoutable, il ne put être ébranlé. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Ne cherchons pas, ne cherchons pas notre paix en dehors de nous; ne comptons pas sur la patience d’autrui, pour venir en aide au vice de notre impatience. De même que «le règne de Dieu est au-dedans de nous», (Lc 17,21) de même «l’homme a pour ennemis les gens de sa maison.» (Mt 10,36). Quel familier plus intime que mon propre coeur ? Et cependant, personne m’est plus ennemi que lui. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Soyons vigilants, et nos ennemis intérieurs ne pourront plus nous blesser. Les gens de notre maison cessant de nous combattre, notre âme pacifiée possédera le royaume de Dieu. À bien prendre les choses, un autre homme ne saurait m’atteindre, quelque malice qu’il déploie, si mon coeur inapaisé ne me met en guerre contre moi-même. Suis-je blessé ? La faute n’en est pas à l’attaque d’autrui, mais à mon impatience. Ainsi en va-t-il de la nourriture forte et solide, bonne à qui est en santé, pernicieuse au malade. Elle ne peut faire mal à qui la prend, à moins qu’elle ne trouve dans sa faiblesse la force de nuire. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Afin que le basilic ne tue pas, d’une seule de ses morsures empoisonnées, tout ce qui est vivant en nous et, pour ainsi dire, animé par le mouvement vital du saint Esprit Lui-même, il nous faut implorer sans cesse le secours de Dieu, à qui rien n’est impossible. Car, pour le venin des autres serpents — et par ce venin, j’entends les péchés ou les vices charnels —, autant l’humaine fragilité est prompte à y succomber, autant il est facile de l’en délivrer. Les blessures qu’ils font se reconnaissent à de certaines marques extérieures et corporelles; et, pour dangereuse que puisse être l’enflure qu’elles déterminent, si quelque enchanteur, habile à se servir des formules magiques de l’Écriture, y applique le remède des paroles salutaires, le poison n’ira pas jusqu’à donner la mort à l’âme. Mais l’envie, tel le venin jeté par le basilic, détruit la religion et la foi jusque dans les racines de leur vie, avant que la blessure ait paru au dehors. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Et je dis qu’elle détruit la religion et la foi, parce que ce n’est pas contre l’homme que l’envieux s’élève, mais contre Dieu. Oui, ne trouvant rien à reprendre chez son frère, que sa félicité, il blâme, non la faute d’un homme, mais les jugements divins. C’est bien là cette «racine d’amertume qui pousse ses rejetons», (Heb 12,15) et qui ne s’élève que pour porter l’outrage à Celui de qui viennent à l’homme tous les biens. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Par ailleurs, il ne faut pas s’émouvoir de ce que Dieu menace d’envoyer des basilics, pour mordre ceux dont les crimes l’offensent. Assurément, il n’est point l’auteur de l’envie. Toutefois, selon l’ordre providentiel, les dons excellents sont accordés aux humbles, refusés aux superbes et aux réprouvés. N’est-ce point dès lors une chose équitable et digne de ses jugements, que l’envie semble un fléau parti de sa Main, pour mordre et consumer ceux qui méritent d’être livrés «à leur sens réprouvé», (Rom 1,28) selon l’expression de l’Apôtre ? C’est ce qu’expriment ces paroles : «Ils ont piqué ma jalousie, en aimant ce qui n’est pas Dieu; et Moi, Je piquerai leur jalousie, en aimant ce qui n’est pas un peuple.» (Dt 1,28). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN
Si jamais personne se plut dans le secret de la solitude, au point d’oublier le commerce des hommes et de pouvoir dire avec Jérémie : «Je n’ai pas désiré le jour de l’homme, vous le savez,» (Jer 17,16) j’avoue que le Seigneur me fit la grâce de m’établir dans cette disposition, ou de m’efforcer au moins d’y parvenir. Je me souviens d’avoir été souvent ravi en de tels transports, par une faveur toute miséricordieuse de notre Seigneur, que j’en oubliais le fardeau de ce corps de fragilité. Mon âme s’isolait tout à coup des sens extérieurs, et sen allait si loin du monde matériel, que ni mes yeux ni mes oreilles ne s’acquittaient plus de leur fonction. La pensée des choses de Dieu et la contemplation spirituelle remplissaient mon coeur à tel point, que fréquemment, je ne savais, le soir, si j’avais pris de la nourriture durant le jour, et restais incapable de décider, le lendemain, si j’avais rompu le jeûne le jour d’auparavant. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
Ici, nul, besoin de prévoir le travail quotidien: nulle préoccupation de vente ni d’achat rien de cette inéluctable nécessité de faire sa provision de pain pour l’année —, point l’ombre de sollicitude à l’endroit des choses matérielles, pour parer, soit à ses propres besoins, soit à ceux de nombreux visiteurs; aucune prétention, enfin, de gloire humaine, qui souille, aux yeux de Dieu, plus que tout le reste, et rend si souvent inutiles les grands travaux du désert. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
Eussent-ils réalisé pleinement l’idéal de leur profession, ce n’est pas là encore la perfection intégrale et de tous points consommée, mais une partie seulement de la perfection. Que celle-ci est rare, et combien peu nombreux ceux à qui Dieu l’accorde par un don gratuit ! Celui-là est parfait véritablement, et non pas seulement en partie, qui sait supporter avec une égale grandeur d’âme, et l’horreur de la solitude, dans le désert, et les faiblesses de ses frères, dans le monastère. Mais il est bien difficile de trouver quelqu’un qui soit parfaitement consommé en l’une et l’autre profession : parce que l’anachorète n’arrive point tout à fait au mépris et au dénuement des choses matérielles; ni le cénobite, à la pureté de la contemplation. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN
On a beaucoup dit sur la puissance suppliante et le mérite de la pénitence, de voix ou par écrit. On a montré ses avantages immenses, la vertu et la grâce qui sont en elle. S’il est permis de le dire, elle résiste en quelque sorte à Dieu, offensé par nos méfaits passés et prêt à nous infliger le juste châtiment de tant de crimes; elle retient comme malgré lui, si je puis ainsi m’exprimer, le bras de sa vengeance. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Parfois, c’est l’intercession des saints qui obtient le pardon de nos fautes : «Si quelqu’un voit son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu’il prie; et Dieu donnera la vie à ce frère, dont le péché ne va pas à la mort.» (1 Jn 5,163). Et de nouveau : «Quelqu’un parmi vous est-il malade, qu’il appelle les prêtres de l’Église, et que ceux-ci prient sur lui, l’oignant d’huile au nom du Seigneur. Et la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le soulagera; et s’il a commis des péchés, ils lui seront remis.» (Jac 5,14-15). D’autres fois, c’est le mérite de la miséricorde et de la foi qui réduit la souillure de nos vices, selon cette parole : «Les péchés s’expient par la miséricorde et la foi.» (Pro 15,27). Souvent aussi, c’est la conversion et le salut de ceux que ramènent au bien nos avis et notre prédication : «Celui qui convertira un pécheur de l’égarement de ses voies, sauve cette âme de la mort et couvrira la multitude de ses propres péchés.» (Jac 5,20). Enfin, l’oubli et le pardon que nous accordons aux autres, nous méritent le pardon de nos propre méfaits : «Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi vos manquements.» (Mt 6,14). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Voilà donc la disposition qu’il faut revêtir tout d’abord. Ensuite, les jeûnes quotidiens, la mortification de l’esprit et du corps obtiendront la grâce de la satisfaction; car, selon qu’il est écrit : «Sans effusion de sang, il n’y a pas de rémission.» (Hb 9,22). Et justement. En effet, «la chair ni le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu.» (1 Cor 15,50). Par suite, quiconque retient «le glaive de l’esprit, qui est la parole de Dieu,» (Eph 6,17) afin d’empêcher cette effusion du sang, celui-là tombera sans aucun doute sous la malédiction de Jérémie : «Maudit, celui qui refuse le sang à l’épée !» Jer 78,10). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
C’est ce glaive dont les salutaires blessures répandent le sang corrompu, sève vivante du péché. Toutes végétations charnelles et terrestres qu’il rencontre en notre âme il les coupe et retranche, nous faisant mourir au vice, afin de vivre à Dieu, dans la vigueur des vertus spirituelles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Dès que le souvenir de nos vices passés a frappé notre esprit, fuyons-le, comme, sur la voie publique, un homme vertueux et grave se sauve de la courtisane impudente et effrontée qui s’approche pour le tenter. S’il ne s’arrache en toute hâte à son déshonorant contact, et s’arrête à l’entretenir l’espace d’un moment : lors même qu’il refuserait tout consentement au mal, son bon renom ne sera pas sans en souffrir dans le jugement des passants, et l’on ne manquera, pas de le blâmer. Ainsi devons-nous, lorsqu’un souvenir malsain nous entraîne vers des pensées de cette nature, nous écarter d’elles au plus vite. Nous remplirons de la sorte le précepte de Salomon, qui dit : «Sortez vite, ne vous attardez pas où demeure la femme insensée et ne jetez point les yeux sur elle.» (Pro 9,8). Autrement, les anges, nous voyant occupés, d’idées impures et honteuses, ne pourraient dire de nous, en passant : «La bénédiction de Dieu soit sur vous !» (Ps 128,8) Il est tellement impossible que l’âme s’attache à de bonnes pensées, lorsque, par la partie principale d’elle-même, elle se dégrade à des considérations indignes et terrestres ! La parole de Salomon est véritable : «Si tes yeux voient l’étrangère, ta bouche dira des paroles perverses, et tu seras comme un homme couché au coeur de la mer, comme un pilote au milieu d’une grande tempête. Tu diras : On me frappe, mais je ne l’ai pas senti; on m’a joué, et je ne m’en suis pas aperçu.» (Pro 23,33-35). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
Nous y tombons avec une telle facilité, que l’on dirait une loi de nature. Aussi ne peuvent-elles être évitées complètement, quelque circonspect et vigilant que l’on soit à leur endroit. Et l’un des disciples, celui que Jésus aimait, a sur ce propos une parole formelle et absolue : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la parole de Dieu n’est point en nous.» (1 Jn 1,8). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE
C’est avec le plus vif plaisir, mes enfants, que je vois la pieuse largesse dont vos présents sont le gage; et je trouve une vraie joie de coeur à recevoir ces dévotes offrandes, dont la dispensation m’a été commise. En ceci paraît bien, en effet, votre fidélité à donner au Seigneur, comme un sacrifice d’agréable odeur, les prémices et la dîme de ce qui vous appartient, pour servir aux nécessités des indigents. Vous vous assurez d’ailleurs que le reste de vos récoltes et de votre avoir, dont vous prélevez pour Dieu cette part, seront largement bénis à cause de votre générosité, et que vous serez comblés, même en ce monde, de l’abondance de tous les biens, selon la promesse exprimée dans le divin commandement : Honore le Seigneur de tes justes travaux, et offre-lui les prémices des fruits de ta justice, afin que tes greniers se remplissent d’une abondance de froment et que tes pressoirs débordent de vin. (Pro 3,9-10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
C’est ainsi qu’Abraham enchérit sur les préceptes que la Loi devait porter un jour. Après avoir triomphé de quatre rois, il ramène le butin qu’ils avaient fait à Sodome. Sa victoire lui donnait sur ce butin un droit véritable; d’autant que le roi de Sodome lui-même, dont c’étaient les dépouilles, le lui offrait à genoux. Mais il ne consent point à y toucher; et, prenant à témoin le Nom de Dieu, il s’écrie : Je lève la main vers le Seigneur, le Dieu Très-Haut, qui a fait le ciel et la terre, que, depuis le fil d’un tissu jusqu’à la courroie d’une chaussure, je ne prendrai rien de ce qui l’appartient. (Gen 14,22-23). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Que dirai-je des fils de Jonadab, fils de Rechab ? Au prophète Jérémie, qui leur offre du vin par ordre du Seigneur, ils répondent : Nous ne buvons point de vin; car Jonadab fils de Rechab, notre père, nous a fait ce commandement : Vous ne boirez point de vin, ni vous, ni vos fils, à jamais; vous ne bâtirez point de maison, vous ne ferez point de semailles, vous ne planterez point de vignes et vous n’en aurez point à vous; mais vous habiterez sous des tentes tous les jours de votre vie. (Jer 35,6-7). Ce qui leur vaut d’entendre de la bouche du même prophète : Voici ce que dit le Seigneur des armées, Dieu d’Israël : Jamais il ne manquera d’hommes de la race de Jonadab, fils de Rechab, pour subsister en ma présence, à toujours. (ibid. 19). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Tous ces saints personnages ne se contentèrent pas d’offrir la dîme de ce qu’ils avaient; mais, renonçant à leurs domaines eux-mêmes, ils offrirent à Dieu leur personne et leur âme, cette âme pour laquelle l’homme n’a point de compensation à donner, selon que le Seigneur l’atteste dans l’Évangile : Qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ? (Mt 16,26). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Lors donc que nous offrons à Dieu la dîme de nos biens, nous demeurons en, quelque sorte sous le joug de la Loi; nous ne sommes pas encore parvenus à la sublime perfection de l’Évangile, qui n’accorde pas seulement à ses fidèles les bienfaits de la vie présente, mais les gratifie encore des récompenses à venir. Pour la Loi, en effet, ce n’est pas le prix du royaume des cieux qu’elle promet en retour à ceux qui l’observeront, mais les consolations de cette vie. Celui qui accomplira ces commandements, dit-elle, y trouvera la vie. (Lev 18,5). Mais le Seigneur à ses disciples : Heureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux; (Mt 5,3) et : Quiconque laisse maison, ou frères, ou soeurs, ou père, ou mère, ou femme ou enfants, ou champs à cause de mon Nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. (Ibid. 19,29). Et c’est justice : il y a moins de gloire à s’abstenir des choses défendues, qu’à renoncer encore aux choses licites, et à n’en point user, par révérence pour Celui qui a permis cette latitude à notre infirmité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Il y a plus. Ce n’est pas seulement celui qui se refuse à remplir le commandement de la Loi qu’il faut regarder comme étant toujours sous la Loi, mais aussi celui qui, satisfait d’observer ce qu’elle prescrit, ne donne pas les fruits dignes de la vocation et de la grâce chrétienne. Car le Christ ne nous dit pas : Tu offriras la dîme et les prémices de tes biens au Seigneur ton Dieu, (Ex 22,29) mais : Va, vends ce que as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis Moi; (Mt 19,21). Telle est encore la grandeur de la perfection chrétienne: un disciple réclame pour ensevelir son père; on ne lui concède pas même le court espace d’une heure, et la vertu de l’amour divin passe avant le devoir de l’affection humaine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Il retourne chez lui, percé jusqu’au fond du coeur de cette tristesse qui opère le repentir salutaire et durable. Ne doutant plus de ses propres intentions, qu’il sent bien arrêtées, il tourne sa sollicitude et ses soins vers le salut de sa compagne. Il tâchait d’exciter en elle le même désir dont il était embrasé, en reprenant les exhortations de l’abbé Jean. Nuit et jour, il lui recommandait avec larmes le saint propos de servir Dieu de concert, dans la continence et chasteté. Il ne fallait point différer de se convertir à une vie meilleure. Les vains espoirs qui bercent le jeune âge, n’arrêtent point les coups soudains de la mort, que l’on voit emporter l’enfance, l’adolescence et la jeunesse pêle-mêle avec les vieillards. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Il répondait en alléguant la condition de l’humaine nature, combien fragile, combien incertaine ! Quel péril à s’engager dans les désirs et les oeuvres de la chair ! Il ajoutait qu’il n’était loisible à personne, de mettre comme une frontière entre soi et le bien que l’on avait reconnu infiniment digne d’être embrassé. Puis, il y avait plus de danger à mépriser le bien connu, qu’à ne pas l’aimer inconnu. Lui-même, n’était-il pas déjà sous la prévarication, dès là qu’ayant découvert des biens si magnifiques et si célestes, il leur en avait préféré de terrestres et de sordides ? Les grandeurs de la perfection convenaient à tout âge, à tout sexe; tous les membres de l’Église étaient invités à gravir les hauteurs des vertus les plus sublimes : Courez, avait dit l’Apôtre, afin de remporter le prix. (1 Cor 9,24). Les retards des apathiques et des lâches ne devaient point retenir la prompte ardeur des enthousiastes. N’était-ce pas le droit, que l’avant-garde entraînât les paresseux, plutôt que de voir sa course entravée par leur poids mort ? Au surplus, sa résolution était prise, de renoncer au siècle et de mourir au monde, afin de vivre à Dieu; et s’il ne pouvait obtenir ce bonheur, de passer avec sa compagne dans la société du Christ, il aimait mieux être sauvé avec un membre de moins, et entrer mutilé dans le royaume des cieux, plutôt que d’être damné avec son corps entier. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Si je ne puis vous arracher à la mort, dit alors le bienheureux Théonas, vous non plus, vous ne me séparerez pas du Christ. Il est plus sûr pour moi de faire divorce avec une créature, plutôt qu’avec Dieu. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Si j’ai conté le fait, qu’on le croie, ce n’est pas que j’aie dessein de provoquer des séparations entre époux. Je suis bien éloigné de condamner les noces; mais, au contraire, je redis après l’Apôtre : Le mariage est honorable en tout, et le lit conjugal sans souillure. (Heb 13,4). Je n’ai voulu que présenter fidèlement au lecteur le principe de la conversion qui donna à Dieu un si grand homme. En retour, et comme témoignage de sa bienveillance, je le prie avant tout, que le trait lui, agrée ou non, de vouloir bien me mettre hors de cause, et de réserver ses louanges ou ses critiques pour le héros lui-même. Quant à moi, qui n’ai point prétendu exprimer une opinion personnelle en cette affaire, mais me suis borné au rôle de simple narrateur, il est juste que, ne revendiquant point de part aux éloges qu’on en pourra faire, je ne sois pas non plus en butte aux censures de ceux qui désapprouveront. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Que chacun donc en pense ce qu’il voudra. Je l’avertis néanmoins d’être circonspect dans son jugement. Qu’il n’aille pas s’estimer plus équitable ou plus saint que Dieu Lui-même, qui a donné à Théonas de renouveler les miracles des apôtres. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Je ne dis rien du sentiment de tant de pères, qui, loin de reprendre son geste, le louèrent si manifestement. Ne l’ont-ils pas préféré, pour en faire un diacre, aux hommes les plus éminents et les plus sublimes ? Je pense que tant d’hommes spirituels ne se sont point trompés dans le jugement qu’ils ont porté sous l’inspiration de Dieu; d’autant qu’il se trouvait confirmé par des prodiges si merveilleux, comme je l’ai dit tout à l’heure. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Si nous le comptons pour l’une des vertus, et plaçons l’abstinence des aliments entre les biens essentiels, il sera donc mauvais et criminel de se nourrir : car tout ce qui est contraire à un bien essentiel, doit être réputé un mal essentiel. Mais l’autorité des Écritures ne nous permet pas ce langage; et si nous jeûnons dans la pensée que c’est pécher d’user des aliments, non seulement nous n’obtenons aucun fruit de notre abstinence, mais nous encourons, selon l’Apôtre, un très grave reproche et le crime du sacrilège, en nous abstenant des aliments que Dieu a créés pour être mangés avec action de grâces, par les fidèles et ceux qui ont connu la vérité. Car tout ce que Dieu a créé est bon, et l’on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec action de grâces. (1 Tim 4,3-4). Mais si quelqu’un estime une chose impure, pour lui elle est impure. (Rom 14,14). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Vous le voyez, Dieu n’estime pas que le jeune soit un bien par essence : puisqu’il ne lui agrée pas par lui-même, mais à raison d’autres bonnes oeuvres; et qu’au rebours, les circonstances peuvent le rendre vain et, plus encore, odieux. Quand ils jeûneront, je n’écouterai pas leurs prières, (Jer 14,12) dit le Seigneur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Nous le voyons d’ailleurs figuré dans l’Ancien Testament. Les prêtres y devaient offrir au Seigneur, après sept semaines écoulées, le pain des prémices. (cf. Dt 16,9). Mais ce pain des prémices, le vrai, fut réellement offert à Dieu car la prédication que les apôtres firent à la foule en ce jour-là; c’était le pain de la nouvelle doctrine, lequel nourrit et rassasia cinq mille hommes, et consacra au Seigneur le peuple chrétien, comme des prémices prises sur les Juifs. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Il importe donc de garder notre coeur constamment attentif et circonspect, en toute prudence et sagacité. Car quel malheur, si le jugement de notre discrétion venant à errer, nous nous laissions enflammer par le désir d’une abstinence inconsidérée ou séduire par l’amour d’une excessive douceur ! Ce serait peser nos forces sur une balance fausse. Eh bien, non ! Mettant sur un plateau la pureté de l’âme, sur l’autre notre vigueur corporelle, pesons-les selon le jugement véridique de la conscience, de manière à n’être entraînés ni d’une part ni de l’autre, par une affection prépondérante et vicieuse. Si nous inclinions la balance, ou vers une austérité sans mesure, ou vers un trop grand relâchement, il nous serait dit pour cet excès : Si vous avez bien offert et que vous n’ayez pas bien partagé, n’avez-vous point péché ? (Gen 7,7). Les sacrifices extorqués à notre pauvre estomac, au prix de convulsions violentes, nous avons beau les croire offerts à Dieu selon la droiture; Celui qui aime la miséricorde et la justice, (Ps 32,5) les exècre : Je suis le Seigneur, dit-il, qui aime la justice, et qui hais l’holocauste venant de rapine. (Is 46,8). Par ailleurs, ceux qui consacrent le principal de leurs offrandes, je veux dire de leur service et de leurs actes, à favoriser la chair et à satisfaire leurs propres besoins, ne réservant au Seigneur que des restes, une part insignifiante, la divine parole les condamne à leur tour comme des ouvriers infidèles : Maudit soit celui qui fait l’oeuvre de Dieu avec fraude. (Jer 48,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ainsi, ce n’est pas sans motif que Dieu éclate en reproches contre celui qui se Basile tellement abuser par un jugement sans équité : Cependant, s’écrie-t-il, les fils des hommes sont vains, les fils des hommes sont menteurs, quand ils pèsent, afin de tromper. (Ps 41,10). Le bienheureux Apôtre aussi nous avertit de garder les tempéraments de la discrétion, afin de ne pencher ni à droite ni à gauche, victimes d’une outrance pleine de mirages : il parle, en effet, d’un culte raisonnable et spirituel. (Rom 12,1). Le Législateur porte la même défense : Que vos balances, ordonne-t-il, soient justes; vos poids, justes; juste, votre boisseau; juste, votre setier. (Lev 19,36). Salomon, enfin, a sur ce sujet une pensée toute semblable : Le double poids, grand et petit, et les doublés mesures sont deux choses abominables devant le Seigneur; et celui qui se livre à ces pratiques, se prendra lui-même à ses propres ruses. (Pro 20,10-11). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Cependant nous n’avons parlé jusqu’ici que d’une seule manière d’éviter les faux Jonas et les mesures doubles, dans les affaires de la conscience et le secret jugement du coeur. En voici un autre. Il ne faut pas, tandis que, nous nous lâchons la bride avec une indulgence excessive, pour adoucir les exigences de l’austérité régulière, il ne faut pas, dis-je, accabler ceux à qui nous prèdions la parole de Dieu, sous des commandements plus sévères et des fardeaux plus lourds que ceux que nous pouvons nous-mêmes porter. Lorsque nous agissons de la sorte, que faisons-nous, que peser et mesurer avec un double poids et une mesure double les denrées et les récoltes du Seigneur ? Si nous dosons les préceptes d’une manière pour nous, et d’une autre pour nos frères, Dieu nous reproche justement d’avoir des balances trompeuses et des mesures doubles, selon cette sentence de Salomon : C’est une abomination devant le Seigneur que le double poids, et la balance trompeuse n’est pas chose bonne devant lui. (Pro 23) Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
C’est encore tomber évidemment dans le péché du poids trompeur et de la double mesure, que de faire parade à la vue de nos frères, par un désir de gloire humaine, des pratiques plus austères auxquelles nous avons coutume de nous livrer dans nos cellules : en effet, c’est vouloir paraître plus abstinents et plus saints aux yeux des hommes, que nous ne le sommes aux yeux de Dieu. Or, il n’est point de vice qu’il faille davantage, je ne dis pas éviter, mais abominer. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Dans la Loi de Moïse, c’était un précepte général, promulgué pour tout le peuple : Tu offriras la dîme et les prémices de tes biens au Seigneur ton Dieu. (Ex 22,29). S’il nous est commandé d’offrir la dîme de nos biens et de nos récoltes, combien plus est-il nécessaire que nous offrions aussi la dîme de notre vie, de notre activité humaine, de nos oeuvres. Et c’est ce que nous faisons très exactement par le moyen du carême. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ils offrent semblablement à Dieu, au sortir du sommeil, l’hostie de leur jubilation. Le premier mouvement de leur langue est pour l’invoquer, célébrer son nom et ses louanges; c’est pour lui chanter des hymnes qu’ils ouvrent tout d’abord les portes de leurs lèvres, immolant à Dieu le service de leur bouche. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ils lui adressent en même manière la première offrande de leurs mains et de leurs pieds, lorsque, se levant de leur couche, ils se tiennent debout en oraison; et qu’au lieu d’accomplir les fonctions de leurs membres pour leurs propres affaires, ils n’en veulent d’abord rien distraire pour soi, mais n’avancent leurs pas qu’en vue de l’honneur de Dieu ou ne les arrêtent que pour sa louange, acquittant ainsi les prémices de tous leurs mouvements, par leurs mains tendues, et leurs genoux ployés, et tout leur corps prosterné. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Si donc nous souhaitons d’offrir à Dieu, telles des hosties de complaisance et toujours agréées, les prémices des fruits de notre esprit, nous ne devons pas dépenser une médiocre sollicitude à garder nos sens, principalement aux heures du matin, comme les sacrés holocaustes du Seigneur, inviolés et intacts. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Telle est donc la raison profonde de notre observance. Mais l’insouciance des hommes l’effaça de leur mémoire; et le temps où nous offrons à Dieu la dîme de l’année par trente-six jours et demi de jeûne, reçut le nom de carême, on quarantaine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Nos anciens ont témoigné fréquemment de la coutume suivante chez la nation ennemie des démons. Durant ces jours, ils redoublent leurs attaques contre l’espèce des moines, et les poussent avec plus d’impétuosité à quitter leurs cellules, pour passer en d’autres lieux. De même que les Égyptiens opprimaient jadis les enfants d’Israël sous de violentes afflictions, ces Égyptiens spirituels s’efforcent de courber sous un dur et boueux travail le véritable Israël, le peuple spirituel des moines. Ils voudraient nous empêcher d’abandonner, par une tranquillité agréable à Dieu, la terre d’Égypte, et de passer au désert des vertus, où réside le salut. Le Pharaon frémit de colère contre nous, et s’écrie : Ils sont oisifs, et c’est pourquoi ils vocifèrent, disant : Allons, et sacrifions au Seigneur, notre Dieu. Qu’on les charge de travail, qu’ils soient tout occupés à la besogne, et qu’ils ne prêtent plus l’oreille à des paroles vaines ! (Ex 5,8-9). Vains eux-mêmes, les démons représentent comme la suprême vanité le sacrifice saint du Seigneur, qui ne s’offre que dans le désert d’un coeur libre, car la religion est une abomination au pécheur. (Ec 1,24) Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Au contraire, celui qui n’offre rien à Dieu volontairement, n’agirait pas de même, sans se rendre gravement coupable de fraude. Il est tenu strictement, lui, d’acquitter sa dîme; et la loi ne lui laisse pas d’excuse. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
L’une dit : Haïssez vos ennemis; l’autre : Aimez-les; et elle va jusqu’à prescrire de prier Dieu pour eux sans cesse. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Quiconque a su gravir ces sommets de la perfection évangélique, se trouve élevé, par le mérite de si grandes vertus, au-dessus de toute la Loi. Tous les commandements portés par Moïse lui semblent désormais petits et mesquins; et il a conscience de n’être petits sujet que de la grâce du Sauveur, dont le secours, il le voit, l’a fait parvenir à un état si sublime. Le péché ne domine plus en lui. La charité de Dieu, répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui nous a été donné, (Rom 5,5) exclut, en effet, toute autre affection; elle est aussi incapable de convoiter ce qui est défendu, que de mépriser ce qui est commandé, elle dont l’étude et tout le désir sont dans le divin amour, et ne se posent même pas sur les choses permises, bien loin qu’ils se laissent prendre aux basses voluptés. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Voyez, d’autre part, celui qui n’a pas méprisé le conseil du Seigneur. Après avoir distribué tous ses biens aux pauvres, il a pris sa croix, et il suit le dispensateur de la grâce. Le péché pourrait-il dominer sur lui ? Sa fortune est déjà consacrée au Christ, ses richesses ne sont plus à lui; et, tandis qu’il en fait pieusement le partage, il n’est point mordu par le souci infidèle de garder pour vivre, aucune hésitation chagrine ne vient gâter la joie qui sied à l’aumône. Avant tout donné à Dieu, rien ne lui appartient plus; et il le dispense comme tel, sans souvenir de ses propres besoins, sans crainte pour le morceau de pain qui le fera vivre, tant il est dans la certitude que, parvenu au dépouillement désiré, Dieu le nourrira avec bien plus de sollicitude encore que l’oiseau du ciel. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ce n’est pas, en effet, la chasteté extérieure, la circoncision apparente, qui fait le sujet de vos soucis, mais celle qui est dans le secret. Vous savez que la plénitude de la perfection ne consiste pas dans une continence toute matérielle, que la nécessité ou l’hypocrisie peuvent donner même aux infidèles; mais qu’elle gît dans la pureté du coeur, qui part de la volonté libre et demeure cachée aux yeux. C’est elle que prêche l’Apôtre : Le vrai Juif n’est pas celui qui l’est au dehors, et la vraie circoncision n’est pas celle qui paraît dans la chair. Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement; et la circoncision, c’est celle du coeur, dans l’esprit non selon la lettre. Ce vrai Juif aura sa louange, non des hommes, mais de Dieu, (Rom 2,28-29) qui seul pénètre les secrets des coeurs. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ils passent donc sans retard à la deuxième cause. N’y a-t-il pas là faute de l’esprit et excès dans le jeûne ? Il s’en trouve, en effet, je dis des plus austères, qui s’élèvent insensiblement de leur pureté corporelle. Mais, alors, c’est le vice de la superbe qui leur ménage une pénible déception, parce qu’ils ont cru obtenir par leurs forces humaines ce qui est un don très particulier de Dieu, la chasteté du corps. On interroge donc le frère. Se croirait-il capable d’une telle vertu par ses propres efforts, en sorte qu’il se puisse passer du Secours divin ? Mais lui d’abominer une idée si impie. Il affirme humblement qu’il n’eût pas conservé son corps pur, même les autres jours, si la Grâce divine ne l’avait aidé. Dès lors, il fallait se rabattre sur la troisième cause. Tout est clair : on est en face d’une secrète machination du diable. Assurés qu’il n’y a faute ni de l’esprit ni de la chair, les anciens décident hardiment que le frère doit prendre part au sacré banquet. Persévérer dans son abstention, serait donner dans le piège adroit que lui tend la malignité de l’ennemi, rester éloigné du Corps du Christ et de sa Sainteté, et se voir à jamais exclu, par cette ruse diabolique, d’un si puissant moyen de salut. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Quant à nous, pour être délivrés de toute illusion regrettable, il faut tendre de toute notre force : premièrement, à triompher du vice impur, afin que, selon la parole du bienheureux Apôtre, le péché ne règne plus dans notre corps mortel par notre obéissance à ses convoitises; deuxièmement, à calmer et endormir la puissance de la chair, de manière à ne pas livrer nos membres au péché, comme des instruments d’iniquité; troisièmement, à mortifier jusque dans les moelles, notre homme intérieur tout instinct de concupiscence, nous offrant à Dieu comme vivants, de morts que nous étions. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Ces étapes progressives nous ferons parvenir à la tranquillité perpétuelle du corps, et, nous permettront d’offrir nos membres à Dieu, comme des instruments non de passion, mais de justice. Fondés en cette pureté de chasteté, le péché ne dominera plus sur nous. Car nous ne sommes plus sous la Loi, qui recommandait le mariage, mais sous la grâce, qui, en conseillant la virginité, rend innocent l’usage du mariage lui-même. (Rm 6,12-14) Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Quels sont ces fils et ces filles, à qui les premiers sont préférés, jusqu’à recevoir une place et un nom meilleurs, sinon les saints de l’Ancien Testament, qui, vivant dans le mariage méritèrent cependant l’adoption des fils par l’observation des commandements ? Mais quel est ce nom promis d’autre part pour insigne et suprême récompense, si ce n’est celui du Christ, que nous devions porter un jour ? Nom, duquel le même prophète dit ailleurs : Il appellera ses serviteurs d’un autre nom, en lequel celui qui doit être béni sur la terre, sera béni par le Dieu de Vérité, et celui qui doit être béni sur la terre, jurera par le Dieu de Vérité. (Is 65,15-16). Il dit encore : Et l’on t’appellera d’un nom nouveau que la Bouche du Seigneur dictera (Ibid., 62,2). En outre, pour cette pureté de coeur et de corps, les fidèles du Christ goûteront la béatitude souveraine et singulière de chanter le cantique que nul des saints ne peut chanter, sinon ceux qui suivent l’Agneau partout où il va, car ils sont vierges et ils ne se sont pas souillés avec des femmes. (Apoc 14,4). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Cependant, renfermons notre coeur, avec un soin jaloux, sous la garde de l’humilité, et tenons invariablement cette maxime : il es impossible de parvenir jamais à un tel mérite de pureté, que nous ne devions nous estimer indignes de la communion au Corps du Seigneur; même si nous avions accompli, par la Grâce de Dieu, tout ce qui vient d’être dit. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Puis, quelle circonspection évitera, dans la mêlée de ce inonde, que les traits du mal ne nous atteignent, au moins par intervalles, au moins d’une blessure légère ? C’est chose impossible de ne pécher point, par ignorance, négligence ou surprise, par pensée, par impulsion, par oubli. Un homme s’est élevé sur de telles cimes de vertu, qu’il peut, sans jactance, s’écrier avec l’Apôtre : Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain; je ne me juge pas moi-même, car ma conscience ne me reproche rien (1 Cor 4,3-4). Soit ! Cet homme doit savoir pourtant qu’il ne saurait être sans péché. Ce n’est pas en vain que le grand docteur ajoute : Mais je ne suis pas justifié pour cela (Ibid., 4). C’est-à-dire : Si moi je me crois juste, je ne posséderai pas du même coup la gloire de la vraie justice; ou : De ce que le remords de ma conscience ne me reprend d’aucune faute, il ne suit pas que je sois net de toute souillure; il est bien des choses qui échappent à ma conscience, mais, inconnues et cachées pour moi, elle sont connues et manifestes pour Dieu. Aussi, continue-t-il : Mon juge, c’est le Seigneur (Ibid.). C’est-à-dire : Celui-là seul qui pénètre le secret des coeurs, porte sur moi un jugement véritable. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Seul le Fils de Dieu a vaincu le tentateur, sans éprouver la blessure du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Il fut tenté, à notre image, d’abord de gourmandise. Le rusé serpent, selon l’ordre qu’il avait suivi jadis en séduisant Adam, compte sur la faim du Seigneur, et s’efforce de Le jouer par le désir de la nourriture : Si Tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres se changent en pains (Mt 4,3). Mais la tentation ne donne point chez Lui d’ouverture au péché; bien que ce miracle Lui fût possible indubitablement, Il repousse la nourriture que Lui propose l’artisan de mensonges : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la Bouche de Dieu (Ibid., 4). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Il fut tenté, à notre image, de vaine gloire, lorsque ces paroles Lui furent adressés : Si Tu es le Fils de Dieu, jette-Toi en bas (Ibid., 6). Mais Il ne se laisse point prendre à la suggestion perfide du diable, et repousse le fourbe séducteur, en lui opposant encore une fois les Écritures : Tu ne tenteras pas, dit-Il, le Seigneur ton Dieu (Ibid. 7). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Il fut tenté, à notre image, d’enflure et de superbe, lorsque le diable Lui promit tous les royaumes du monde et leur gloire. Cependant, Il se rit de l’imposture du tentateur, et le soufflette de cette réponse : Arrière, Satan ! Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et ne serviras que Lui seul (Ibid., 10). — Ces divers exemples nous apprennent que nous devons pareillement résister aux trompeuses suggestions de l’ennemi par le souvenir des Écritures. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Et comment faudra-t-il entendre ce que dit de Lui l’Apôtre, qu’Il est venu dans la ressemblance de la chair du péché, si nous pouvons avoir aussi une chair exempte de la tache du péché ? Car c’est bien encore un privilège unique de Celui qui seul est sans péché, qu’Il veut exprimer dans ces paroles : Dieu a envoyé son Fils dans la ressemblance de la chair du péché (Rm 8,3). Prenant, dans sa vérité et son intégrité, la substance de notre chair, le Christ ne prit point avec elle le péché, mais seulement la ressemblance du péché. Ainsi, le mot ressemblance ne va pas contre la Vérité de la chair, selon le sens absurde de quelques hérétiques, mais regarde l’image du péché. Il avait une chair véritable; mais elle était sans péché, et portait seulement la ressemblance de la chair pécheresse. La première partie de la phrase affirme la réalité de la nature humaine; la deuxième concerne ses vices et ses moeurs. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Mais Il en avait la ressemblance. Et c’est pourquoi les Pharisiens, qui pouvaient si bien pourtant se rappeler ce qui est écrit de Lui dans le prophète Isaïe : Il n’a point commis le péché, et sa Bouche ignora la ruse (Is 53,9), se laissèrent néanmoins abuser par les apparences, au point de dire : Voici un homme de bonne chère et un buveur de vin, un ami des publicains et des pécheurs (Mt 11,19); et à l’aveugle qui avait recouvré la lumière : Rends gloire à Dieu, nous savons que cet homme est un pécheur (Jn 9,24); à Pilate enfin : Si cet homme n’était un pécheur, nous ne te l’aurions pas livré (Ibid. 18,30). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Voici le bienheureux Pierre, le premier entre les apôtres. Que penser de lui, sinon qu’il était saint ? À l’heure surtout que le Seigneur lui disait : Tu es heureux, Simon, fils de Jean, car ce n’est pas la chair ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux… Et Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre, sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre, sera délié dans les cieux (Ibid. 17,19). Toutefois, l’instant d’après, dans son ignorance du mystère de la passion, il s’oppose, sans savoir, à ce qui devait être un si grand bienfait pour le genre humain : À Dieu ne plaise, Seigneur, cela Ne sera pas ! Et il mérite cette réponse : Arrière, Satan ! tu M’es à scandale; car tes sentiments ne sont pas ceux de Dieu, mais ceux des hommes (Ibid., 22,23). Quoi ! lorsque l’Équité même lui adresse un tel reproche, faut-il croire qu’il ne soit pas tombé ? Mais faut-il penser, d’autre part, qu’il ne soit pas demeuré dans la sainteté de la justice ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
C’est de lui et des saints qui lui ressemblent, que nous devons entendre ce que chante David : Le Seigneur affermit les pas de l’homme, et Il prend plaisir à sa voie. Si le juste tombe, il ne se brisera pas, parce que le Seigneur le soutient de sa Main (Ps 36,23-24). Celui dont les pas sont affermis par le Seigneur, peut-il ne pas être juste ? Et pourtant, c’est de lui qu’il est dit : S’il tombe, il ne se brisera pas. Que signifie : S’il tombe, sinon : S’il tombe en quelque péché ? Il ne se brisera pas, est-il dit. Qu’est-ce là ? Que les assauts du péché ne l’accableront pas longtemps. Sur l’heure, il peut bien paraître brisé; mais, relevé par le Secours divin, qu’il implore, sa promptitude à se remettre debout fait qu’il ne perd point l’immobile rectitude de la justice, ou du moins, s’il la perd un instant par la fragilité de la chair, la Main du Seigneur, en le soutenant, la lui rend. Un homme pourrait-il cesser d’être saint après sa chute, lorsque, reconnaissant qu’il ne saurait être justifié par la confiance en ses propres oeuvres, et persuadé que la seule Grâce du Seigneur le délivrera des innombrables liens du péché, il ne cesse de proclamer avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 24,25) ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
L’Apôtre Paul a reconnu que l’homme, empêché par le bouillonnement de ses pensées, demeure impuissant à pénétrer jusque dans l’abîme inestimable de la pureté; et, longtemps balloté lui-même comme sur l’infini des mer, il a dit : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; puis : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi; et encore : Je prends plaisir à la Loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Il a donc vu le fond de sa propre fragilité, de la fragilité humaine; et, saisi d’effroi devant cet incommensurable abîme, il cherche un refuge au port assuré du Secours divin. Désespérant, si je puis ainsi dire, de sa frêle embarcation, qu’il voit toujours près de sombrer sous le fardeau de la mortalité, il supplie Celui à qui rien n’est impossible, de le sauver du naufrage, et pousse ce cri pathétique : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Et la délivrance qu’il n’attendait plus de la faiblesse de la nature, il se la promet aussitôt de la Bonté divine : il poursuit, plein de confiance : La Grâce de Dieu, par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 7,19-25). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Quant au bienheureux Apôtre, parvenu comme il était, sans aucun doute, an plus haut sommet de la perfection, ces paroles ne sauraient lui convenir en aucune façon : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; ni non plus ce qu’il ajoute immédiatement : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi; ni ceci : Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Le moyen d’accommoder ces idées à la personne de l’Apôtre ? Quel est le bien qu’il n’a pas accompli ? Quel est, au contraire, le mal qu’il a commis malgré lui et malgré la haine qu’il en avait, par l’entraînement de la nature ? Sous quelle loi de péché ce vase d’élection, en qui le Christ parlait (cf. 2 Cor 13,3), a-t-il pu être mené captif ? Lui qui, après avoir captivé toute désobéissance et toute hauteur qui s’élève contre Dieu (Ibid. 10,5), disait de lui-même en toute confiance : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi; maintenant, la couronne de justice m’est tenue en réserve, que me décernera en ce jour-là le Seigneur, le juste Juge (2 Tm 4,7-8). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE
Vous vous efforcez, dit alors Théonas, de prouver que l’apôtre Paul ne parlait pas en son propre nom, mais dans la personne des pécheurs, lorsqu’il a dit : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; ou encore : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi; et ceci : Je prends plaisir à la Loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Et ce mot, dira-t-on qu’il convienne aux pécheurs : Je suis donc le même qui, par l’esprit, sers la loi de Dieu; et par la chair, la loi du péché (Rm 7,25) ? Il est manifeste qu’ils ne servent Dieu ni dans leur esprit ni dans leur corps. Et comment ceux qui pèchent de corps, serviraient-ils Dieu par l’esprit ? Le foyer des vices est engendré dans la chair par le coeur ! L’auteur même de l’une et l’autre substance le déclare, c’est là qu’est la source et l’origine du péché : C’est du coeur, dit-il, que procèdent les pensées mauvaises, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages (Mt 15,19), et le reste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
La preuve en est désormais bien évidente, ces textes ne peuvent s’entendre de la personne des pécheurs. Car, non seulement ils ne haïssent pas le mal, mais ils l’aiment; loin de servir Dieu par l’esprit et par la chair, ils font le mal dans leur coeur, avant de le commettre dans la chair, et, avant qu’ils livrent leur corps au plaisir, le péché de leur esprit et de leurs pensées les a déjà prévenus. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Qu’est-ce que le bienheureux Apôtre appelle bien ? Qu’est-ce que, par comparaison, il appelle mal ? Nous n’en devons pas juger sur la signification pure et simple des mots, mais du même point de vue que lui; c’est en nous guidant par la dignité et le mérite de celui qui parle, qu’il faut essayer de scruter le fond de sa pensée. Le moyen, en effet, de comprendre les maximes inspirées de Dieu, comme il veut qu’elles le soient, si ce n’est de considérer attentivement la grandeur et le mérite de ceux qui les ont promulguées, et de revêtir, non en paroles, mais en fait et réellement, de semblables dispositions ? C’est de l’état où l’on se trouve, que dépend la manière de concevoir les choses, comme de les dire. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
La théorie, la contemplation de Dieu, voilà l’unique nécessaire dont le mérite surpasse tous les mérites des actions saintes, tous les efforts de la vertu. Assurément, les qualités que nous avons vu reluire chez l’apôtre Paul, étaient bonnes, étaient utiles, et plus encore, grandes et illustres. Mais l’étain, qui paraissait d’abord de quelque profit et beauté, s’avilit en regard de l’argent; toute la valeur de l’argent s’évanouit, si on le compare avec l’or, l’or lui-même est à mépris, comparé aux pierres précieuses; toute la beauté enfin des pierres précieuses pâlit devant l’éclat d’une seule perle. De même, tous les mérites de la sainteté, encore qu’ils ne soient pas bons et utiles seulement pour la vie présente, mais nous acquièrent aussi le bien de la vie éternelle, paraîtront vils et, si je puis dire, faits pour mettre à l’encan, au prix des mérites de la contemplation divine. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ne disent-elles pas généralement de toutes les créatures de Dieu : Et voici que tout ce que Dieu avait fait était très bon (Gn 1,31) ? et de nouveau : Toutes les choses que Dieu a faites, sont bonnes en leur temps (Eccl 39,16) ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Voilà donc que les créatures matérielles sont proclamées bonnes par rapport au siècle présent, et non pas bonnes simplement, mais très bonnes, avec le superlatif. Et de fait, tant que nous demeurons en ce monde, elles se prêtent aux nécessités de la vie, servent à la santé du corps, sans parler de mainte utilité dont la connaissance nous échappe. Elles sont même très bonnes en ceci, qu’elles nous font voir les attributs invisibles de Dieu, perçus dans ses ouvrages depuis la création du monde, et contempler sa Toute-Puissance éternelle et sa Divinité (Rm 1,20), dans la grandeur et l’ordre de l’univers créé et de tous les êtres qui subsistent en lui. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Toutefois, de la bonté elles ne retiendront pas même le nom, si on les compare au siècle futur, où les biens demeurent sans changement, où il n’y a plus à redouter aucune altération de la vraie béatitude. Écoutez la description de cette béatitude du monde futur : La lumière de la lune sera comme la lumière du soleil, et la lumière du soleil brillera sept fois plus, comme la lumière de sept jours (Is 30,26). Aussi, toutes les choses d’ici-bas, si grandes, si belles au regard et si merveilleuses, paraîtront-elles vanité, au prix de ce que la foi nous promet dans l’avenir : Toutes choses, s’écrie David, vieilliront comme un vêtement. Tu les changeras, comme un habit dont on se couvre, et elles seront changées; mais Toi, Tu restes toujours le même, et tes années ne passeront point (Ps 101 27-28). Mais, si rien n’est stable par soi-même, si rien n’est immuable, si rien n’est bon que Dieu; si nulle créature ne peut obtenir la béatitude de l’éternité et de l’immutabilité de par sa nature propre, mais seulement par une participation de son Créateur et par grâce : toute bonté créée s’évanouit en face du Créateur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Que de choses, dans l’Évangile, sont qualifiées de bonnes ! Un bon arbre, un homme bon, un bon serviteur : Un bon arbre, est-il dit, ne peut porter de mauvais fruits (Mt 7,18); L’homme bon tire du bon trésor de son coeur des choses bonnes (Ibid., 12,35) C’est bien, bon et fidèle serviteur (Ibid., 25,21). Et il n’est certes pas douteux qu’il ne s’agisse, en tous ces cas, d’une bonté réelle. Néanmoins, le mot bon ne s’y pourra plus employer, si nous levons les yeux vers la bonté divine : Personne n’est bon que Dieu (Lc 18,19) dit le Seigneur. Au prix de lui, les apôtres eux-mêmes, qui surpassaient de tant de manières la bonté commune des hommes par le mérite de leur élection, sont déclarés mauvais. C’est à eux que s’adresse, en effet, ce discours du Seigneur : Si donc, méchants comme vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-Il les vrais biens à ceux qui les Lui demandent (Mt 7,11) ! Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
C’est pourquoi David désire adhérer sans cesse au Seigneur, et décide que cela seul est bon à l’homme : D’être uni avec Dieu, c’est pour moi le bonheur, de mettre au Seigneur mon espérance (Ps 72,28). Mais, l’Ecclésiaste prononce que nul parmi les saints n’est capable de réaliser sans reproche cet idéal : Car, dit-il, il n’y a point de juste sur la terre qui fasse le bien, sans jamais pécher (Eccl 7,21). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Donc, afin d’obtenir le bien souverain, qui consiste à jouir de la vue de Dieu et rester perpétuellement uni au Christ, il souhaite de voir se briser les liens de son corps. Caduc comme il est, et empêché par les mille nécessités qui naissent de sa fragilité, il est impossible, en effet, que notre corps mortel ne soit quelquefois séparé de la société du Christ ? Il n’est pas jusqu’à l’âme elle-même, distraite par tant de soins, entravée de tant d’inquiétudes diverses autant que fâcheuses qui ne soit incapable de jouir sans cesse de la contemplation de Dieu. Quelle application si persévérante, quelle vie si austère, qui ne soit de temps en temps sujette aux illusions de l’insidieux et rusé adversaire ? S’est-il trouvé personne, passionné du secret de la solitude et appliqué à fuir le commerce des mortels, au point de ne jamais glisser dans les pensées superflues, ni déchoir, ou par la vue des choses d’ici-bas, ou par le souci des occupations terrestres, de la contemplation divine, qui seule est bonne ? Qui put jamais garder si bien la ferveur de l’esprit, que la pente trop facile de ses pensées ne l’ait parfois emporté loin de sa prière, et soudain précipité du ciel sur la terre ? À qui d’entre nous n’est-il pas arrivé, pour ne rien dire des autres moments de divagation, d’être saisi d’une sorte de stupeur et de tomber d’une chute profonde, à l’heure même qu’il élevait au ciel son âme pleine de supplications ? Offense involontaire, je l’accorde; c’était pourtant offenser Dieu, par où l’on pensait obtenir son pardon. – Qui est tellement exercé et vigilant, qu’il ne se laisse en aucune façon distraire du sens de l’Écriture, tandis qu’il chante un psaume à Dieu ? tellement entré dans l’intimité divine, qu’il puisse se réjouir d’avoir accompli un seul jour le précepte de l’Apôtre, de prier sans cesse ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
En vérité, n’est-ce pas se rendre coupable, je ne dis pas seulement d’une faute légère, mais d’une impiété grave, si, tandis que l’on répand sa prière devant Dieu, on s’écarte de sa Présence, comme on ferait d’un aveugle et d’un sourd, pour suivre la vanité d’une folle pensée ? Mais ceux qui couvrent les yeux de leur coeur du voile épais des vices, et, selon la parole du Sauveur, en voyant ne voient pas, en entendant n’entendent ni ne comprennent (Mt 13,13), à peine aperçoivent-ils, dans les profondeurs de leur conscience, les péchés mortels : comment auraient-ils le pur regard qu’il faut pour discerner l’apparition insensible des pensées, ou les mouvements fugitifs et cachés de la concupiscence, qui blessent l’âme d’une pointe légère et subtile, ou les distractions qui les retiennent captifs ? Errant sur tous objets au gré d’une imagination sans retenue, ils n’ont pas l’idée de s’affliger, lorsqu’ils sont arrachés de la divine contemplation, qui est quelque chose d’infiniment simple. Mais quoi ? ils n’ont rien dont ils puissent déplorer la perte ! Ouvrant leur âme toute grande au flot envahissant des pensées, ils n’ont point, en effet, de but fixe auquel ils se tiennent sur toutes choses, et vers lequel ils fassent converger tous leurs désirs. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Nous voilà donc à part du nombre des voyants, du fait de notre impuissance à dé couvrir la multitude des taches légères accumulées en nous. Mais aussi quel état ! Nul sentiment de componction, si la maladie de la tristesse est venue troubler notre âme; nulle douleur des suggestions de vaine gloire qui nous ébranlent; point de larmes pour notre lenteur à prier ou pour notre tiédeur. Que, durant l’oraison et la psalmodie, il nous vienne dans l’esprit des pensées étrangères à l’oraison ou au psaume : nous ne le comptons pas pour faute. Beaucoup de choses que la honte nous arrêterait de dire ou de faire devant les hommes, nous ne rougissons pas d’en occuper notre coeur, ne serait-ce que par moments, sous le regard de Dieu qui nous voit : et nous n’avons point horreur de nous-mêmes. Dans l’exercice de la charité, tandis que nous subvenons aux besoins des frères ou que nous distribuons l’aumône aux pauvres, un nuage vient obscurcir la sérénité de notre joie : hésitation de l’avarice ! Et nous n’avons point de gémissements, pour le déplorer. Nous pensons ne souffrir aucun détriment, si nous quittons le souvenir de Dieu, pour songer aux choses temporelles et corruptibles; et l’oracle de Salomon s’applique à nous fort justement : On me frappe, mais je ne l’ai pas senti; ou me joue, et je ne m’en suis pas aperçu (Prov 23,35). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Telle était la disposition que le bienheureux apôtre Jean voulait inculquer à tous, lorsqu’il disait : Mes petits enfants, n’aimez point le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la charité de Dieu n’est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie; et cela ne vient pas du Père, mais du monde. Cependant, le monde passe, et sa concupiscence avec lui; mais celui qui fait la Volonté de Dieu, demeure éternellement (Jn 2,15-17). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Avec quelle prudence le moine doit garder la mémoire de Dieu. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Je comparerais volontiers les saints, et non sans justesse, aux danseurs de corde et funambules. Lorsqu’ils s’efforcent de garder fidèlement le souvenir de Dieu, ne semble-t-il pas qu’ils marchent dans le vide sur des cordes tendues dans les hauteurs de l’air ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
De même la Bonté infatigable et l’immuable Substance de Dieu ne blessent personne. C’est nous qui nous donnons la mort, en nous écartant des cimes du ciel, pour tendre vers les bassesses de la terre. Que dis-je ? l’écart lui-même est notre mort : Malheur à eux, est-il dit, parce qu’ils se sont retirés de Moi; ils seront la proie des dévastateurs, parce qu’ils ont prévariqué contre Moi (Os 7,13); Malheur à eux lorsque Je Me serai retiré d’eux (Ibid., 9,12). Il est dit encore : Ta malice t’accusera, et ton infidélité te reprendra. Sache donc et comprends quel mal c’est pour toi, quelle amertume, d’avoir abandonné le Seigneur (Jér 2,19). C’est qu’en effet, tout homme est prisonnier dans les liens de ses péchés (Prov 5,22). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Ceux qui tendent à la perfection s’humilient en vérité, et sentent qu’ils ont toujours besoin de la Grâce de Dieu. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Conscients désormais de l’inanité des forces humaines, pour atteindre, malgré le fardeau de la chair, à la fin désirée, de leur impuissance à s’unir selon le désir de leur coeur au Bien incomparable et souverain; des distractions qui les mènent captifs vers les choses de ce monde, loin de la contemplation divine : ils recourent à la Grâce de Dieu, qui justifie les impies (Rm 4,5), et protestent avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par notre Seigneur Jésus Christ. Ils sentent, en effet, qu’ils ne peuvent accomplir le bien qu’ils veulent; mais qu’ils tombent sans cesse dans le mal qu’ils ne veulent pas, qu’ils détestent, je veux dire dans l’agitation des pensées ou le souci des choses temporelles. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Explication de cette parole : Je prends plaisir à la Loi de Dieu, selon l’homme intérieur… etc. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Assurément, ils prennent plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur, lequel, dépassant tout le visible, s’efforce de vivre dans une constante union avec le Seigneur. Mais ils voient dans leurs membres, c’est-à-dire inhérente et connaturelle à notre condition d’hommes, une autre loi, qui lutte contre la loi de l’esprit; et c’est elle qui captive leur intelligence sous la loi tyrannique du péché, en la forçant d’abandonner le bien souverain, pour s’assujettir aux pensées terrestres. Si utiles que celles-ci paraissent, lorsqu’elles sont commandées par la religion, afin de subvenir à quelque nécessité : en comparaison du Bien divin qui réjouit leur vue, les saints y voient un mal qu’il faut fuir, parce quelles les arrachent, pour un temps du moins, à la joie de cette parfaite béatitude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Oui, c’est véritablement une loi de péché, celle que la prévarication du premier père sur le genre humain, lorsque, en punition de sa faute, le juste Juge porta contre lui cette sentence : La terre est maudite dans tes travaux, elle te produira des épines et des chardons, et c’est à la sueur de ton front que tu mangeras ton pain (Gn 3,17). C’est là, dis-je, la loi inhérente aux membres de tous les mortels, qui lutte contre la loi de notre esprit et nous éloigne de la contemplation de Dieu. Par elle, après que l’homme eut acquis la connaissance du bien et du mal, la terre, maudite dans nos travaux, a commencé de produire des épines et des chardons. Cependant, les semences naturelles des vertus s’étouffent sous ces rejetons maudits; impossible de manger autrement qu’à la sueur de notre front le pain qui descend du ciel (Jn 6,33) et fortifie le coeur de l’homme (Ps 103,15). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Voulez-vous connaître ce qui vous a vendus ? Écoutez voire Rédempteur qui vous le déclare hautement par la bouche du prophète Isaïe : Où est l’acte de divorce de votre mère, par lequel Je l’ai répudiée ? ou quel est le créancier auquel Je vous ai vendus ? Voici : C’est pour vos iniquités que vous avez été vendus, pour vos crimes que J’ai renvoyé votre mère (Is 1,1). Davantage, voulez-vous clairement savoir pourquoi Il ne voulut point user de puissance, afin de vous délivrer du joug de servitude auquel vous étiez dévoués ? Écoutez ce qu’Il ajoute aux paroles par lesquelles Il reprochait tout à l’heure aux esclaves du péché la cause de leur vente volontaire : Ma Main est-elle donc raccourcie, est-elle devenue plus petite, pour que Je ne puisse plus sauver ? ou n’ai-Je pas assez de force pour délivrer ? (Ibid., 2). Mais qu’est-ce qui s’est toujours opposé a cette Miséricorde toute-puissante ? Le même prophète vous l’annonce : Non, la Main du Seigneur n’est pas devenue trop courte pour sauver; ni son oreille trop dure pour entendre. Mais ce sont vos iniquités qui ont creusé un abîme entre vous et votre Dieu, vos péchés qui lui ont fait cacher sa Face pour ne pas entendre (Ibid., 59,1-2). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Charnels, condamnés aux épines et aux chardons, de par la malédiction première de Dieu; vendus par notre père dans nu marché inique : nous sommes donc impuissants de faire le bien que nous voulons. Occupés de la pensée du Dieu très-haut, la nécessité nous en arrache, pour songer aux besoins de l’humaine fragilité; brûlant d’amour pour la pureté, les aiguillons de la chair, que nous voudrions ignorer, nous blessent maintes fois malgré nous. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Par là, nous savons que le bien n’habite pas dans notre chair, je veux dire la constante et perpétuelle tranquillité de contemplation et de pureté dont nous nous sommes entretenus. Il s’est fait en nous un funeste et lamentable divorce. Par l’esprit, nous voudrions servir la Loi de Dieu et ne détourner jamais notre vue de la Clarté divine. Mais, environnés des ténèbres de la chair, une loi de péché nous arrache de force au bien que nous connaissons. Des cimes de l’esprit, nous tombons vers les soucis et les pensées terrestres, auxquels nous condamne justement la loi du péché, la Sentence divine portée contre le premier pécheur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Car, quelles sortes de péchés pourraient-ils commettre, selon vous, dont la Grâce quotidienne du Christ dût les délivrer, s’ils s’y engageaient après le baptême ? De quel corps de mort faut-il penser que l’Apôtre a dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? N’est-il pas manifeste, comme la vérité vous a contraints de l’avouer à votre tour, qu’il ne s’agit point ici des péchés mortels, dont le prix est la mort éternelle : homicide, fornication, adultère, ivresse, vol, rapine; mais du corps de péché dont nous avons précédemment parlé, et auquel porte remède la Grâce quotidienne du Christ ? Tel, après avoir reçu le baptême et la science de Dieu, s’abandonne-t-il à l’autre corps de mort, celui des péchés graves : qu’il le sache, son crime ne sera pas effacé par la Grâce quotidienne du Christ, c’est-à-dire le pardon facile que le Seigneur accorde à notre prière, pour des erreurs sans conséquences; mais il devra subir les longues afflictions de la pénitence et de grandes peines expiatoires, à moins qu’il ne soit voué, dans la vie future, aux supplices du feu éternel. C’est le même apôtre qui le déclare : Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu (1 Co 6,9-10). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Je vous le demande encore une fois, quelle est cette loi qui milite dans nos membres et lutte contre la loi de notre esprit, qui, après nous avoir menés, en dépit de notre résistance, tels des captifs sous la loi du péché et de la mort et rendus ses esclaves quant à la chair, nous laisse néanmoins servir Dieu par l’esprit ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Je ne pense pas, quant à moi, que la loi du péché désigne les péchés énormes ou qu’elle puisse s’entendre des crimes énumérés à l’instant. À se rendre coupable de telles fautes, on ne servirait plus la loi de Dieu par l’esprit, mais on devrait, au contraire, faire divorce avec elle dans son coeur, avant d’en commettre quelqu’une dans sa chair. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Qu’est-ce que servir la loi du péché, sinon accomplir ce que le péché commande ? Mais quel est le péché, dont une sainteté aussi achevée que celle de l’Apôtre peut se sentir captive, sans douter pourtant que la Grâce du Christ ne la délivre ! Car il dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. Quelle sera, dis-je, à votre sens, cette loi dans nos membres, qui, en nous arrachant à la Loi de Dieu, pour nous captiver sous la loi du péché, fait de nous des malheureux, plutôt que des coupables ? Tellement, qu’au lieu d’être voués aux éternels supplices, nous soupirons seulement de voir s’interrompre la joie de notre béatitude, et nous écrions avec l’Apôtre, en quête d’un secours qui nous y rétablisse : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Être emmené captif sous la loi du péché, qu’est-ce autre chose que demeurer dans les actes du péché ? Or, quel est le bien par excellence que les saints ne peuvent accomplir, sinon celui au prix de quoi tous les autres cessent d’être des biens ? Certes, il existe, nous le savons, des biens multiples en ce monde, et avant tout, la chasteté, la continence, la sobriété, l’humilité, la justice, la miséricorde, la tempérance, la piété. Mais ils ne sauraient aller de pair avec ce bien souverain. D’autre part, ils sont à la portée, je ne dirai pas des apôtres, mais des âmes médiocres. Aussi bien, si ou ne les accomplit, on sera puni de l’éternel supplice on des labeurs d’une longue pénitence; mais il ne faut point espérer sa délivrance de la Grâce quotidienne du Christ. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Tel est l’inévitable corps de mort, où les parfaits, après avoir goûté combien le Seigneur est bon (ps 33,9), retombent journellement, éprouvant avec le prophète quel mal c’est pour eux, quelle amertume, d’avoir abandonné le Seigneur leur Dieu (Jér 2,19). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
On peut même raisonnablement penser qu’il a voulu mettre un accent particulier, une sorte d’emphase dans sa manière de dire : Ainsi donc, moi-même, comme pour signifier : Moi que vous connaissez pour un Apôtre du Christ, que vous révérez en tout honneur et respect, que vous croyez si grand et si parfait, moi qui suis le porte-parole du Christ, je confesse que, servant la Loi de Dieu par l’esprit, je sers la loi du péché par la chair. Les distractions inhérentes à l’humaine condition, me forcent à descendre souvent du ciel sur la terre; et, des hauteurs où il aime a planer, mon esprit s’abîme au souci des choses basses et vulgaires. Loi du péché, qui, je le sens, me fait captif à tout moment : et, bien que mes désirs persévèrent dans leur direction immuable vers Dieu, je me vois impuissant à m’évader de cette captivité violente, à moins d’un incessant recours à la Grâce du Sauveur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Voici que la Parole de Dieu a dissipé les iniquités et les péchés de l’un d’eux, avec un charbon de feu pris sur l’autel. Or, après sa vision merveilleuse de la Divinité, après avoir contemplé les chérubins sublimes et reçu la révélation des mystères du ciel, il s’écrie : Malheur à moi ! je suis un homme aux lèvres impures, et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures (Is 6,5). Et je crois, quant à moi, qu’il n’eût pas senti, même alors, l’impureté de ses lèvres, s’il n’avait appris, par la contemplation de Dieu, la vraie et entière pureté de la perfection. Mais à cette vue, il connut soudain la souillure qui lui demeurait auparavant cachée. Car c’est bien de la souillure de ses propres lèvres qu’il parle, et non de la souillure du peuple, lorsqu’il dit : Malheur à moi ! je suis un homme aux lèvres impures. La preuve en est dans ce qui suit : Et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Je rapprocherais cette parole : Voici que Tu T’es irrité, et nous avons péché, de celle de l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Ce que le prophète ajoute : Nous fûmes toujours dans nos péchés, mais nous serons sauvés, s’accorde bien aussi à la suite de saint Paul : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. De même, ce passage du prophète : Malheur à moi ! Je suis un homme aux lèvres impures et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures, paraît comme un écho de ce que nous avons entendu tout à l’heure : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Enfin, quand le prophète continue : Et voici que l’un des séraphins vola vers moi, et dans sa main était un charbon (ou une pierre) de feu, qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel; et il en toucha ma bouche, et il dit : Vois, avec ceci j’ai touché tes lèvres, et ton iniquité va être ôtée, ton péché effacé (Is 6,6-7); lorsque, dis-je, le prophète parle de la sorte, ne croirait-on pas entendre saint Paul, qui dit de son côté : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Nous découvrîmes simplement au vieillard toutes ces pensées, suivant le témoignage de notre conscience, et protestâmes a travers nos larmes que nous ne pouvions plus soutenir la violence de ces assauts, si la Grâce de Dieu ne nous venait en aide, par le moyen du remède qu’il voudrait bien nous donner. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Il faut donc que sans cesse le moine fixe toute son attention vers un but unique, auquel il fera activement converger toutes les pensées qui se lèvent ou s’agitent dans son esprit; et c’est le souvenir de Dieu. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Ainsi en va-t-il de notre âme. Si le moine ne fait de la charité le centre immobile autour duquel toutes ses oeuvres rayonnent; s’il ne redresse ses pensées ou ne les rejette, en se guidant, pour ainsi dire, par le compas très sûr de la charité : il ne réussira jamais à construire avec une véritable habileté l’édifice spirituel dont l’apôtre Paul est l’architecte (cf. 1 Co 3,10); il ne connaîtra pas la beauté de ce temple intérieur que le bienheureux David désirait de présenter à Dieu, lorsqu’il s’écriait : Seigneur, j’ai aimé la beauté de ta Demeure et le lieu où réside ta Gloire (Ps 25,8). Mais il élèvera sans art, dans son coeur, un temple sans beauté, indigne du saint Esprit et destiné à s’abîmer sans retard. Loin d’avoir la gloire d’y habiter avec l’Hôte divin, il sera écrasé misérablement sous ses ruines. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
C’est en cette manière que Balaam conclut avec certitude à la possibilité de surprendre le peuple de Dieu. Connaissant le faible des enfants d’Israël, il conseilla de leur tendre de ce côté le piège où ils se prendraient. Il ne douta pas de leur chute immédiate, si on leur offrait une occasion de luxure, parce qu’il savait que c’était la partie concupiscible de leur âme qui souffrait la corruption (cf. Nb 31,16; 25,1-2). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
C’est aussi de cette méthode que la malignité perfide des puissances spirituelles s’emploie à nous tenter. Elles tendent principalement leurs pièges insidieux par les côtés de l’âme où elles la sentent malade. Voient-elles, par exemple, que la partie raisonnable est viciée en nous, elles s’efforcent de nous tromper par le même procédé qui servit jadis aux Syriens pour le roi Achab, selon que l’Écriture nous le raconte : Nous savons, dirent les Syriens, que les rois d’Israël sont cléments. Mettons donc des sacs sur nos reins et des cordes à notre cou; sortons vers le roi d’Israël, et nous lui dirons : Ton serviteur Benadab dit : Je t’en prie, que mon âme vive ! (3 Rois 20,31-32) Et Achab, ému du vain éloge que l’on faisait de sa miséricorde, plutôt que de vraie clémence : S’il vit encore, dit-il, il est mon frère. (Ibid.,32) Ainsi les démons s’efforcent-ils de nous abuser quant à la partie raisonnable, afin de nous faire offenser Dieu par où nous penserions obtenir une récompense et recevoir le prix de la clémence. Mais alors, nous entendrions à notre tour le reproche fait à Achab : Parce que tu as laissé échapper de tes mains un homme digne de mort, ta vie répondra pour sa vie, et ton peuple pour son peuple (Ibid., 42) Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Il se forgeait une idée toute semblable de notre Seigneur; et c’est pourquoi il Le tenta par les trois puissances de l’âme, puisque c’est par l’une ou l’autre de ces trois portes que tout le genre humain est fait captif. Mais toutes ses habilités insidieuses ne purent rien gagner. Il attaque la partie concupiscible, en disant : Ordonne que ces pierres se changent en pains (Mt 4,3); l’irascible, lorsqu’il Le pousse à convoiter la puissance du siècle présent et les royaumes de ce monde; la raisonnable, quand il dit : Si Tu es le Fils de Dieu, jette-Toi en bas (Ibid., 6). Cependant, ses illusions restent sans effet, parce que, contrairement à la conjecture qu’il avait formée faussement, il ne trouve rien en Lui de vicié : Le prince de ce monde vient, et il ne trouvera rien en Moi (Jn 14,30), dit le Seigneur. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Pour vous, si vous brûlez d’un amour véritable et parfait pour notre Seigneur, et suivez Dieu, qui est charité (cf. 1 Jn 4,16), avec une ferveur entière, fuyez en tels lieux inaccessibles qu’il vous plaira, les hommes fatalement vous y viendront trouver; et plus l’ardeur du divin amour vous mettra près de Dieu, plus grande sera la multitude des saints qui affluera vers vous. C’est la parole du Christ : Une ville située sur une montagne ne peut être cachée (Mt 5,14). Ceux qui M’aiment, dit le Seigneur, Je les glorifierai; mais ceux qui Me méprisent seront sans honneur (1 Rois 2,30). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Les plaisirs que nous aimons, font eux-mêmes notre tourment; les jouissances et les délices du corps se retournent contre nous comme autant de bourreaux. Celui-là, en effet, qui s’appuie sur ses biens et ses ressources d’autrefois, fatalement ne parviendra ni à l’entière humilité du coeur ni à la parfaite mortification des plaisirs mauvais. Or, autant, par le secours de ces vertus, les extrémités de la vie présente et les pertes que l’ennemi peut nous infliger, se supportent, je ne dirai pas seulement avec la plus grande patience, mais avec la joie la plus vive; autant leur absence laisse croître un élèvement pernicieux, qui, pour le plus léger affront, nous blesse des traits mortels de l’impatience. C’est alors que le prophète Jérémie nous adresse ces paroles : Et maintenant, qu’as-tu à faire sur la route de l’Égypte, pour aller boire de l’eau bourbeuse ? Et qu’as-tu à faire sur la route de l’Assyrie, pour aller boire de l’eau du fleuve ? Ta malice t’accusera, et ton infidélité te reprendra. Sache donc et comprends quel mal c’est pour toi, quelle amertume, d’avoir abandonné le Seigneur ton Dieu, et que ma crainte ne soit plus en toi, dit le Seigneur (Jér 2,18-19). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
En revanche, quiconque, renonçant véritablement à ce monde, prendra sur soi le joug du Seigneur, et apprendra de lui, par le support quotidien des injures, qu’Il est doux et humble de coeur (Mt 11,9), celui-là demeurera constamment immobile au milieu de toutes les tentations, et toutes choses concourront à son bien (Rm 8,28). En effet, selon le prophète Abdias, les Paroles de Dieu sont bonnes avec ceux qui marchent selon la droiture (Mi 2,7); et il est dit encore : Les Voies du Seigneur sont droites, et les justes y marcheront; mais les prévaricateurs y tomberont (Os 14,10). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Serviteurs bons et fidèles, prenez sur vous le joug du Seigneur, et apprenez de Lui qu’Il est doux et humble de coeur. Alors, déposant en quelque sorte le fardeau des passions terrestres, vous trouverez, par le Don de Dieu, non point la peine, mais le repos pour vos âmes. Il l’atteste par son prophète Jérémie : Tenez-vous sur les routes, et voyez; interrogez sur les sentiers d’autrefois, quelle est la voie du salut, et suivez-la; et vous trouverez le repos pour vos âmes (Ibid., 6,16). En vous aussitôt, les chemins tortueux seront redressés, les raboteux seront aplanis (Is 40,4). Vous goûterez et verrez que le Seigneur est bon (Ps 33,9). À la parole du Christ, dans l’Évangile : Venez à Moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et Je vous soulagerai (Mt 11,28), vous déposerez le poids écrasant de vos vices; puis, vous comprendrez les paroles qui suivent : Parce que mon Joug est doux, et mon fardeau léger (Ibid. 30). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Oui, la Voie du Seigneur est tout rafraîchissement, si l’on y marche suivant sa Loi. C’est nous qui nous créons douleurs et tourments par des préoccupations excessives et pleines de confusion, tandis que nous aimons mieux suivre les voies de ce siècle, tortueuses et fausses, même au prix des plus extrêmes périls et difficultés. Et après que, par cette méthode, nous nous sommes rendu pesant et dur le Joug du Sauveur, un esprit de blasphème nous emporte à nous plaindre de la dureté et âpreté du joug lui-même ou du Seigneur qui nous l’impose : La folie de l’homme corrompt ses voies; cependant, c’est Dieu qu’il accuse dans son coeur (Prov 19,3). Mais, selon ce qui se lit dans le prophète Aggée, lorsque nous dirons : La Voie du Seigneur n’est pas droite (Ez 18,25); il nous fera cette juste réponse : La Voie du Seigneur n’est pas droite ? Ne sont-ce pas plutôt vos voies qui sont tortueuses (Ibid.) ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM