Cassiano: conscience

Un homme n’éteint en soi les flammes du vice que par peur de la géhenne ou l’espoir de la rétribution future. Cet autre se détourne avec horreur du mal et de l’impureté mêmes dans le sentiment de la divine charité. Il possède le bien de la pureté par le seul amour et désir de la chasteté. Ses yeux ne cherchent pas dans l’avenir la récompense promise, mais la conscience qu’il a du bien déjà présent lui est un profond délice. Il n’a jamais égard au châtiment, et n’agit que pour le bonheur qu’il trouve en la vertu. Entre les deux, la différence est grande. Le second, quand bien même il serait sans témoin, n’abusera pas de l’occasion, non plus qu’il ne laissera profaner son âme par les complaisances secrètes des pensées mauvaises. L’amour de la vertu a pénétré ses moelles; et loin qu’il donne accueil en son âme aux influences contraires, tout son être se soulève pour les rejeter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Considérez, au contraire, celui qui s’est mis au-dessus des attaques du vice et jouit désormais de la sécurité de la paix, entièrement transformé en l’amour de la vertu. Il demeurera constant dans le bien auquel il appartient sans partage, parce qu’il n’existe pas, à ses yeux, de plus sensible dommage qu’une atteinte portée à la chasteté intime de son âme. La pureté qu’il a présente fait son plus cher et plus précieux trésor, comme le plus grave des châtiments serait de voir les vertus malheureusement blessées, ou d’éprouver la souillure empoisonnée du vice. La présence des hommes et la retenue qu’elle commande n’ajouteront rien à sa modestie, la solitude ne lui ôtera rien. Partout et toujours, il porte avec soi l’arbitre suprême de ses actes et de ses pensées mêmes, sa conscience; et toute son étude n’est que de plaire à ce juge, qu’il sait que l’on ne peut circonvenir, ni tromper, ni éviter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Le bienheureux Jean avait conscience d’être arrivé à cet état, lorsqu’il disait : «La perfection de l’amour en nous, c’est que nous ayons une confiance assurée au jour du jugement, parce que tel est Jésus Christ, tels nous sommes aussi dans ce monde.» (1 Jn 4,17). Comment la nature humaine, faible et fragile comme elle est, peut-elle espérer d’être telle que le Seigneur, si ce n’est en étendant aux bons et aux méchants, aux justes et aux injustes, la charité toujours tranquille de son coeur, à l’imitation de Dieu, et en faisant le bien pour l’amour du bien lui-même ? Puisque ce sont justement ces dispositions qui la font parvenir à l’adoption véritable des fils de Dieu, de laquelle le même apôtre déclare : «Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui; et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu»; (Ibid. 3,9). «Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point, mais la naissance qu’il a reçue de Dieu le conserve pur, et le Malin ne le touche pas.» (Ibid.; 5,18). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON

Dans la pureté de son âme, le prophète en embrasse tout le détail; et tant en son propre nom qu’au nom de ceux qui parviennent à cet état merveilleux de paix et de chasteté, il s’écrie : «Admirables sont vos oeuvres, et mon âme se plaît à le reconnaître.» (Ps 138,14). Serait-ce lui faire dire rien de neuf ou de grand, que de voir dans ses paroles un autre sentiment, une allusion aux autres oeuvres de Dieu ? Est-il personne qui n’aperçoive, ne fut-ce que par la grandeur de la création, que merveilleux sont les divins ouvrages ? Mais les dons que Dieu dispense quotidiennement à ses saints et dont il les comble avec une munificence si particulière, nul ne les connaît que l’âme qui en jouit. Elle en est le témoin à un titre si unique, dans le secret de sa conscience, que redescendue de cette ferveur toute de flamme à la vue des choses matérielles et terrestres, elle manque de paroles pour dire ce qu’elle a éprouvé, l’intelligence même ou la réflexion sont inégales à le concevoir. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Persuasion facile et à la portée de tous, semble-t-il; et cependant, elle est aussi difficile aux commençants que la chasteté parfaite elle-même. À peine ont-ils entrevu les premiers sourires de la pureté : un certain élèvement se glisse subtilement dans le secret de leur conscience, et ils se complaisent en eux-mêmes, dans la pensée que leur soin diligent a tout fait. C’est pourquoi il leur est nécessaire de se voir retirer pour un temps le secours divin, et de subir la tyrannie des vices que la vertu de Dieu avait éteints, jusqu’à ce que l’expérience leur ait appris qu’ils ne sauraient obtenir par leurs propres forces et par leur travail personnel le bien de la pureté. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Que le genre humain n’ait point perdu la science du bien après la faute d’Adam, c’est ce que les paroles de l’Apôtre nous rendent manifeste jusqu’à l’évidence : «Quand des Gentils, qui n’ont pas la foi, accomplissent naturellement ce que la foi commande, n’ayant pas la foi, ils se tiennent lieu de loi à eux-mêmes; ils montrent que ce que la Loi ordonne est écrit dans leurs coeurs, leur conscience leur rendant témoignage par des pensées qui, de part et d’autre, les accuseront et les défendront au Jour que Dieu jugera les secrets des hommes» (Rm 2,14-16). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON

Mais, nous l’avons dit, il est impossible de connaître ou d’enseigner ces choses, à moins d’en avoir l’expérience. Celui qui n’est pas capable même de les comprendre, comment le serait-il de les communiquer aux autres ? Que s’il a cependant la présomption d’en parler, son discours restera sans aucun doute inefficace et vain. Ses paroles frapperont l’oreille de ses auditeurs; elles ne pénétreront pas jusqu’à leur âme : parce que, triste fruit de la négligence et d’une stérile vanité, elles ne sortent pas du trésor d’une bonne conscience, mais ont leur principe dans la vaine présomption de la jactance. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Après l’avoir attendu jusqu’à la neuvième heure avec tout le peuple, Macaire voit que les reproches de sa conscience l’ont déterminé à éviter le rendez-vous. Il prend alors, avec soi la multitude que l’hérétique avait entraînée dans le mauvais chemin, et se dirige vers les tombeaux. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Vivant depuis bien des années dans une très grande austérité, il se croyait entièrement délivré de la concupiscence charnelle, d’autant qu’après avoir combattu longtemps contre les démons à front découvert, il avait conscience d’avoir été supérieur à toutes leurs attaques. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Cette révélation frappa vivement le vieillard. Il ne voulut point tenter la chance de l’expérience qui lui avait été indiquée de par Dieu. Mais il interrogea sa conscience, examina la pureté de son coeur; et, jugeant que sa chasteté n’était pas encore à la mesure d’une telle épreuve : «Il n’est pas étonnant, se dit-il, que même après avoir vu les esprits immondes reculer devant moi, je ne laisse pas d’éprouver encore les brûlures ennemies du feu, que j’avais cru d’abord moins terribles que leurs cruels assauts. C’est une vertu plus haute, une grâce plus sublime, d’éteindre en soi le feu de la chair, que de subjuguer, par le signe de la croix et la puissance du Très-Haut, les esprits mauvais qui nous attaquent de l’extérieur, ou de les chasser du corps des possédés par l’invocation du Nom divin. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS

Lors donc qu’il y a grave péril à déclarer la vérité, il faut se résigner à recourir au mensonge, non sans éprouver toutefois, dans l’intime de sa conscience, un humble remords. Mais, ce cas d’extrême nécessité mis à part, évitons-le comme un poison mortel. Nous le disions tout à l’heure de l’hellébore : salutaire, lorsqu’on le prend sous le coup d’une maladie sans espoir, son énergie fatale se saisit, au contraire, des parties vitales avec une promptitude foudroyante, si la santé est entière et sans altération. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH

S’il ne les avait effrayés par ce miséricordieux mensonge, il n’aurait pu revoir son père et son jeune frère, ni les nourrir au milieu d’une disette si terrible, ni enfin laver la conscience de ses frères du crime qu’ils avaient commis en le vendant. Et, par conséquent, il mérite moins d’être repris, pour leur avoir inspiré la crainte à l’aide d’un mensonge qu’il n’est saint et digne d’éloge, pour avoir amené à un salutaire repentir, grâce à ces feintes menaces, des gens qui étaient ses ennemis et qui l’avaient vendu. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH

C’est alors que la même passion qui jadis avait excité contre le patriarche Joseph l’esprit de ses frères, brûla d’un feu jaloux le coeur de l’un des nôtres. Possédé d’un malheureux désir de flétrir par une tache déshonorante l’éclat d’une telle, beauté, sa malice invente ce stratagème. Un dimanche, saisissant le moment où Paphnuce était parti de sa cellule pour aller à l’église, il y entre furtivement, et, sans être vu, cache son manuscrit parmi les tresses que le jeune solitaire s’occupait a faire avec des feuilles de palmier; puis, assuré du succès d’une ruse si bien concertée, en homme qui a la conscience pure et innocente, il se rend à l’église avec les autres. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

Paphnuce était certain de la pureté de sa conscience. Il fit néanmoins comme s’il se reconnaissait coupable du larcin, se soumit entièrement à la satisfaction qu’on en voudrait tirer, et supplia humblement qu’on le reçût à la pénitence. Il épargnait par ce moyen sa pudeur et sa modestie. Fallait-il donc essayer de se laver de cette flétrissure ? Mais c’eût été donner à croire qu’au vol il ajoutait le mensonge; car personne ne pouvait soupçonner autre chose que ce que l’enquête avait révélé. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN

GERMAIN. — Nous sommes justement de ceux qui ont recherché la solitude avec une formation cénobitique insuffisante, et avant d’avoir expulsé tous leurs vices. Quel remède nous secourra, nous, et nos pareils pour la fragilité comme pour le flegré médiocre de l’avancement ? Le moyen d’obtenir la constance d’une âme qui ne connaît plus le trouble, et l’inébranlable fermeté de la patience, maintenant que nous avons prématurément abandonné, avec notre monastère, l’école même et le lieu authentique de ces exercices ? C’est là que nous aurions dû parfaire notre première éducation et la conduire à son terme. Solitaires aujourd’hui, comment acquérir la perfection de la longanimité et de la patience ? Comment le regard de notre conscience, qui explore les mouvements intérieurs de l’âme, discernera-t-il en nous la présence ou l’absence de ces vertus ? N’est-il pas a craindre que, séparés du commerce des hommes et n’ayant jamais rien à souffrir de leur part, une fausse persuasion ne nous abuse, et ne nous fasse croire que nous sommes parvenus à l’inébranlable tranquillité de l’âme ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Nous sommes dans la solitude. Un frère survient, ou demeure quelque peu. Or, notre esprit ne le souffre pas sans agitation ni anxiété : c’est le signe qu’il existe en nous un foyer très vivace d’impatience. — Au contraire, nous attendons la visite d’un frère. Mais, pour une raison quelconque, il se fait attendre. Et voilà qu’une indignation secrète s’élève dans nos coeurs, pour blâmer ce retard; notre âme se trouble dans une attente inquiète et hors de propos : notre conscience trouve là une preuve que le vice de la colère et de la tristesse réside en nous. — Un autre nous demande à lire un manuscrit ou à se servir de quelque objet nous appartenant. Sa demande nous attriste, ou nous le rebutons : il n’est pas douteux que nous ne soyons dans les chaînes de l’avarice. — Une pensée jaillit soudainement ou au cours de la lecture sacrée, qui nous trouble : sachons que le feu de l’impureté n’est pas encore éteint dans nos membres. – À la comparaison de notre austérité avec le relâchement d’autrui, un soupçon d’élèvement effleure notre âme : il est sûr que nous sommes infectés du terrible fléau de l’orgueil. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Il reste qu’après nous avoir découvert d’une manière si évidente la cause de nos maladies et le moyen de les reconnaître, vous nous montriez également par quel remède on les guérit. Qui parlera pertinemment du traitement à employer, si ce n’est celui qui d’abord a su découvrir les origines et les causes du mal, au point de recueillir, le suffrage de la conscience même du malade ? De voir votre Béatitude mettre à nu nos plus secrètes blessures, nous donne l’assurance d’attendre encore la lumière touchant les remèdes; un diagnostic si évident autorise tous les espoirs. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Mais contre l’esprit de fornication, la méthode est différente, comme diverse est la cause. Il serait très dangereux pour les âmes encore faibles et malades d’accueillir le moindre souvenir de ces choses… Quant à ceux qui sont déjà parfaits, et consommés dans l’amour de la chasteté, ils ne manqueront pas de moyens pour s’examiner soi-même, et s’assurer de l’intégrité de leur coeur par le jugement incorruptible de leur conscience. Donc, le solitaire consommé, mais celui-là seulement, s’éprouvera sur ce vice, comme sur les autres. Mais il ne siérait aucunement à ceux qui sont encore faibles, de lenter pareil examen il leur serait plus pernicieux qu’utile… Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN

Afin de satisfaire avec toute la brièveté et concision possible au désir manifesté par votre question, voici la définition plénière, parfaite de la pénitence : elle consiste à ne plus commettre dorénavant les péchés dont nous avons du repentir ou dont notre conscience éprouve le remords. D’autre part, le signe de la satisfaction et du pardon, c’est d’avoir banni de notre coeur toute affection à ces péchés. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

Voilà pourquoi nous avons, dans notre conscience, un juge très véridique de notre pénitence, un témoin de notre pardon. Dès avant le jour de la révélation et du jugement, tandis que nous demeurons encore en cette chair mortelle, il nous découvre l’acquittement de notre dette, nous manifeste le terme de la satisfaction et la grâce de la rémission. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

Tout le temps, en effet, que dure la pénitence et que nous sentons le remords de nos actes vicieux, il faut que les larmes d’un humble aveu, tombant sur notre âme comme une pluie bienfaisante, y viennent éteindre le feu vengeur, allumé par notre conscience. Mais on est resté longtemps dans cette humilité de coeur et contrition d’esprit, adonné sans trêve au labeur et aux gémissements. Et voici que le souvenir du mal commis s’est assoupi; par une grâce de la divine miséricorde, l’épine du remords est arrachée des moelles de l’âme : c’est le signe certain que l’on est parvenu au terme de la satisfaction; on a gagné son pardon; toute souillure est lavée des fautes d’autrefois. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE

THÉONAS. — Pesons tous nos actes sur la balance de la raison; et, pour ce qui regarde la pureté du coeur, consultons toujours notre conscience, non le jugement d’autrui : moyennant quoi, cette trêve ne saurait assurément faire tort à une juste austérité. Mais, encore une fois, il faut, d’une âme impartiale, faire la mesure égale à l’indulgence et à l’abstinence, et les maintenir en équilibre, de façon à corriger tout excès, d’une part comme de l’autre; distinguer, à la lumière de la véritable discrétion, si le poids des délices déprime la partie spirituelle, ou si l’excessive rigueur de notre jeûne déprime l’autre plateau, qui est celui du corps; appuyer, enfin, sur le plateau que nous voyons s’élever, et soulever celui que nous voyons s’abaisser. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Nous avons un maître qui ne veut pas que nous fassions rien pour son culte et son honneur sans la gouverne du jugement, parce que l’honneur du roi aime la justice. (Ps 98,4). Aussi le très sage Salomon nous donne-t-il l’avertissement de ne dévier ni d’un côté ni de l’autre, par un défaut de jugement : Honore le Seigneur de tes justes travaux, et offre-lui les prémices des fruits de ta justice. (Pro 3,9). C’est qu’en notre conscience réside un juge incorruptible et fidèle, qui, lors même que tous seraient dans l’erreur sur le sujet de notée Pureté, lui seul ne se trompe jamais. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Il importe donc de garder notre coeur constamment attentif et circonspect, en toute prudence et sagacité. Car quel malheur, si le jugement de notre discrétion venant à errer, nous nous laissions enflammer par le désir d’une abstinence inconsidérée ou séduire par l’amour d’une excessive douceur ! Ce serait peser nos forces sur une balance fausse. Eh bien, non ! Mettant sur un plateau la pureté de l’âme, sur l’autre notre vigueur corporelle, pesons-les selon le jugement véridique de la conscience, de manière à n’être entraînés ni d’une part ni de l’autre, par une affection prépondérante et vicieuse. Si nous inclinions la balance, ou vers une austérité sans mesure, ou vers un trop grand relâchement, il nous serait dit pour cet excès : Si vous avez bien offert et que vous n’ayez pas bien partagé, n’avez-vous point péché ? (Gen 7,7). Les sacrifices extorqués à notre pauvre estomac, au prix de convulsions violentes, nous avons beau les croire offerts à Dieu selon la droiture; Celui qui aime la miséricorde et la justice, (Ps 32,5) les exècre : Je suis le Seigneur, dit-il, qui aime la justice, et qui hais l’holocauste venant de rapine. (Is 46,8). Par ailleurs, ceux qui consacrent le principal de leurs offrandes, je veux dire de leur service et de leurs actes, à favoriser la chair et à satisfaire leurs propres besoins, ne réservant au Seigneur que des restes, une part insignifiante, la divine parole les condamne à leur tour comme des ouvriers infidèles : Maudit soit celui qui fait l’oeuvre de Dieu avec fraude. (Jer 48,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Cependant nous n’avons parlé jusqu’ici que d’une seule manière d’éviter les faux Jonas et les mesures doubles, dans les affaires de la conscience et le secret jugement du coeur. En voici un autre. Il ne faut pas, tandis que, nous nous lâchons la bride avec une indulgence excessive, pour adoucir les exigences de l’austérité régulière, il ne faut pas, dis-je, accabler ceux à qui nous prèdions la parole de Dieu, sous des commandements plus sévères et des fardeaux plus lourds que ceux que nous pouvons nous-mêmes porter. Lorsque nous agissons de la sorte, que faisons-nous, que peser et mesurer avec un double poids et une mesure double les denrées et les récoltes du Seigneur ? Si nous dosons les préceptes d’une manière pour nous, et d’une autre pour nos frères, Dieu nous reproche justement d’avoir des balances trompeuses et des mesures doubles, selon cette sentence de Salomon : C’est une abomination devant le Seigneur que le double poids, et la balance trompeuse n’est pas chose bonne devant lui. (Pro 23) Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Quiconque a su gravir ces sommets de la perfection évangélique, se trouve élevé, par le mérite de si grandes vertus, au-dessus de toute la Loi. Tous les commandements portés par Moïse lui semblent désormais petits et mesquins; et il a conscience de n’être petits sujet que de la grâce du Sauveur, dont le secours, il le voit, l’a fait parvenir à un état si sublime. Le péché ne domine plus en lui. La charité de Dieu, répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui nous a été donné, (Rom 5,5) exclut, en effet, toute autre affection; elle est aussi incapable de convoiter ce qui est défendu, que de mépriser ce qui est commandé, elle dont l’étude et tout le désir sont dans le divin amour, et ne se posent même pas sur les choses permises, bien loin qu’ils se laissent prendre aux basses voluptés. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Aussi bien, ce sont là des choses qui veulent de la lenteur, et réclament un coeur libre du bruit des pensées. C’est avec ces dispositions que j’en dois parler, et que vous devez les entendre vous-mêmes. Il ne faut s’en enquérir qu’en vue d’obtenir une pureté plus grande; et, d’autre part, celui-là seulement qui sait d’expérience le don de l’intégrité, les peut bien enseigner. Car il ne s’agit pas de raisonnements vides ni de mots sonores, où le témoignage intime de la conscience et la force de la vérité doivent parler toutes seules. Non, de cette science de la pureté, point de docteur, à moins de la connaître d’expérience; et seul y peut communier l’amant passionné de la vérité, qui n’en fait pas un vain sujet de questions et de discours, mais la poursuit vraiment de toutes ses forces; qui n’est point poussé par le goût d’un stérile verbiage, mais par le désir de l’intérieure pureté. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Le cas serait différent, s’il y avait de notre faute. Il faut alors comme citer en justice notre conscience, songeant avec tremblement à ces paroles de l’Apôtre : Celui qui mangera le pain et boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du Corps et du Sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve lui-même, et qu’ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice. Celui qui mange le pain et boit le calice du Seigneur, indignement, mange et boit sa propre condamnation, parce qu’il ne discerne pas le Corps du Seigneur (1 Co 11,27-29); c’est-à-dire, parce qu’il ne distingue pas cette nourriture céleste des aliments communs et vils, parce qu’il ne sait pas discerner qu’il n’est loisible de la recevoir qu’avec une âme et un corps purs. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Puis, quelle circonspection évitera, dans la mêlée de ce inonde, que les traits du mal ne nous atteignent, au moins par intervalles, au moins d’une blessure légère ? C’est chose impossible de ne pécher point, par ignorance, négligence ou surprise, par pensée, par impulsion, par oubli. Un homme s’est élevé sur de telles cimes de vertu, qu’il peut, sans jactance, s’écrier avec l’Apôtre : Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous ou par un tribunal humain; je ne me juge pas moi-même, car ma conscience ne me reproche rien (1 Cor 4,3-4). Soit ! Cet homme doit savoir pourtant qu’il ne saurait être sans péché. Ce n’est pas en vain que le grand docteur ajoute : Mais je ne suis pas justifié pour cela (Ibid., 4). C’est-à-dire : Si moi je me crois juste, je ne posséderai pas du même coup la gloire de la vraie justice; ou : De ce que le remords de ma conscience ne me reprend d’aucune faute, il ne suit pas que je sois net de toute souillure; il est bien des choses qui échappent à ma conscience, mais, inconnues et cachées pour moi, elle sont connues et manifestes pour Dieu. Aussi, continue-t-il : Mon juge, c’est le Seigneur (Ibid.). C’est-à-dire : Celui-là seul qui pénètre le secret des coeurs, porte sur moi un jugement véritable. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE

Tels les saints. Ce sont eux, les voyants, si je puis dire. Dans leur zèle extrême pour la perfection, ils découvrent en soi avec une rare pénétration et condamnent sans merci des choses que notre regard intérieur, enténébré comme il est, ne sait pas apercevoir. Où, selon le jugement de notre négligence, le péché la plus véniel n’a pas terni la blancheur de la conscience, éclatante comme une neige, eux se voient couverts de taches. Et quand cela ? Lorsque, je ne dis pas une pensée vaine s’est glissée dans le sanctuaire de leur âme, mais le souvenir du psaume à réciter a fait dévier leur attention dans le temps de la prière. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

En vérité, n’est-ce pas se rendre coupable, je ne dis pas seulement d’une faute légère, mais d’une impiété grave, si, tandis que l’on répand sa prière devant Dieu, on s’écarte de sa Présence, comme on ferait d’un aveugle et d’un sourd, pour suivre la vanité d’une folle pensée ? Mais ceux qui couvrent les yeux de leur coeur du voile épais des vices, et, selon la parole du Sauveur, en voyant ne voient pas, en entendant n’entendent ni ne comprennent (Mt 13,13), à peine aperçoivent-ils, dans les profondeurs de leur conscience, les péchés mortels : comment auraient-ils le pur regard qu’il faut pour discerner l’apparition insensible des pensées, ou les mouvements fugitifs et cachés de la concupiscence, qui blessent l’âme d’une pointe légère et subtile, ou les distractions qui les retiennent captifs ? Errant sur tous objets au gré d’une imagination sans retenue, ils n’ont pas l’idée de s’affliger, lorsqu’ils sont arrachés de la divine contemplation, qui est quelque chose d’infiniment simple. Mais quoi ? ils n’ont rien dont ils puissent déplorer la perte ! Ouvrant leur âme toute grande au flot envahissant des pensées, ils n’ont point, en effet, de but fixe auquel ils se tiennent sur toutes choses, et vers lequel ils fassent converger tous leurs désirs. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Aussi, le bienheureux Apôtre, afin d’exprimer évidemment qu’il avait parlé des saints, des parfaits, de ceux, en un mot, qui lui ressemblaient, poursuit immédiatement, comme s’il se désignait du doigt : Ainsi donc, moi-même… (Rm 7,25). Ce qui équivaut à dire : Moi qui vous parle de la sorte, ce ne sont pas les mystères de la conscience d’autrui, mais ceux de la mienne propre, que je prétends vous découvrir. Aussi bien, ce lui est une coutume familière de faire usage de locutions de ce genre, lorsqu’il veut se désigner spécialement : Moi Paul, je vous conjure par la mansuétude et la modestie du Christ (2 Co 10,1); et de nouveau : Si ce n’est que pour moi, je n’ai point voulu vous être à charge (Ibid., 12,13); ou : Eh bien, soit ! pour moi, je ne vous ai pas été à charge (Ibid., 16); ailleurs : C’est moi Paul qui vous le dis : si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien (Gal 5,2); aux Romains enfin : Je souhaiterais d’être moi-même anathème du Christ pour mes frères (Rm 9,3). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Cette fragilité de la nature touche les saints de continuels soupirs; et, lorsqu’ils considèrent la mobilité de leurs pensées ou sondent les replis cachés de leur conscience, ils s’écrient d’une voix suppliante : N’entre pas en jugement avec ton serviteur, car nul vivant ne sera trouvé juste devant Toi(Ps 142), ou : Qui se glorifiera d’avoir le coeur pur ? qui aura l’assurance d’être net de tout péché (Prov 20,9) ? Et de nouveau : Il n’y a point de juste sur la terre qui fasse le bien, sans jamais pécher (Eccl 7,21); ou encore : Qui connaît ses manquements (Ps 18,3) ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

On veut attribuer à la nature humaine l’impeccabilité : soit ! Mais, au lieu de vaines paroles, que l’on apporte, pour nous combattre, le témoignage de la conscience. C’est là la preuve qui compte. Et que l’on ne se déclare sans péché, que si l’on a le sentiment de n’avoir jamais été séparé du souverain bien. J’irai plus loin. Quiconque, le regard sur sa conscience, pourra s’assurer d’avoir célébré une seule synaxe, pour ne rien dire de plus, sans distraction de pensée, de parole ou d’action : que celui-là se proclame sans péché. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Bien qu’ayant conscience de n’être pas sans péché, nous ne devons pas nous suspendre nous-mêmes de la communion du Seigneur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Nous ne devons pas toutefois nous suspendre nous-mêmes de la communion du Seigneur, parce que nous avons conscience d’être pécheurs. Au contraire, nous irons la recevoir avec une avidité plus grande, afin d’y trouver la santé de l’âme et la pureté de l’esprit, mais dans les sentiments de l’humilité et de la foi, nous jugeant indignes d’une telle Grâce, et cherchant uniquement le remède à nos blessures. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS

Nous découvrîmes simplement au vieillard toutes ces pensées, suivant le témoignage de notre conscience, et protestâmes a travers nos larmes que nous ne pouvions plus soutenir la violence de ces assauts, si la Grâce de Dieu ne nous venait en aide, par le moyen du remède qu’il voudrait bien nous donner. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM