Cassiano: Christ

La grâce du Christ aidant, je composai naguère un premier recueil de dix Conférences des Pères. Les bienheureux évêques Helladius et Léonce les avaient exigées : il me fallut bien écrire, comme cela se pourrait. Les Conférences: PRÉFACE 2

Sept autres furent ensuite dédiées au bienheureux évêque Honorat, dont la vie, aussi bien que le nom, dit l’honneur où il mérite d’être tenu, et au vénérable serviteur du Christ, Eucher. Les Conférences: PRÉFACE 2

De vrai, c’est la foi qui fait éviter la souillure du vice par crainte du jugement futur et des éternels supplices; c’est l’espérance qui rappelle notre esprit des choses présentes et, dans l’attente des célestes récompenses, méprise tous les plaisirs du corps; c’est la charité qui, nous enflammant d’une sainte ardeur à l’amour du Christ et à cueillir le fruit des vertus spirituelles, nous inspire une aversion suprême pour tout ce qui leur est contraire. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 6

Le bienheureux Jean avait conscience d’être arrivé à cet état, lorsqu’il disait : «La perfection de l’amour en nous, c’est que nous ayons une confiance assurée au jour du jugement, parce que tel est Jésus Christ, tels nous sommes aussi dans ce monde.» (1 Jn 4,17). Comment la nature humaine, faible et fragile comme elle est, peut-elle espérer d’être telle que le Seigneur, si ce n’est en étendant aux bons et aux méchants, aux justes et aux injustes, la charité toujours tranquille de son coeur, à l’imitation de Dieu, et en faisant le bien pour l’amour du bien lui-même ? Puisque ce sont justement ces dispositions qui la font parvenir à l’adoption véritable des fils de Dieu, de laquelle le même apôtre déclare : «Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui; et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu»; (Ibid. 3,9). «Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point, mais la naissance qu’il a reçue de Dieu le conserve pur, et le Malin ne le touche pas.» (Ibid.; 5,18). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9

Au contraire, des péchés qui ne vont pas à la mort, et dont ceux-là mêmes qui servent fidèlement le Christ ne sauraient être exempts, quelque circonspects qu’ils soient à garder leur âme, il est ainsi parlé : «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous»; (Ibid. 1,8). «Si nous disons que nous sommes sans péché, nous faisons Dieu menteur, et sa parole n’est pas en nous.» (1 Jn 1,10). Prenez, en effet, parmi les saints tel qu’il vous plaira, il n’en est point qui ne tombe fatalement en ces manquements minimes qui se font par paroles, par pensées, par ignorance et oubli, impulsion, volonté ou distraction, et qui, pour différer du péché qui va à la mort, ne sont point cependant sans faute ni reproche. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9

C’est aussi bien la marque évidente d’une âme non purifiée encore de la lie des vices, que les fautes du prochain ne trouvent chez elle, au lieu de la miséricorde et de la compassion, que l’appréciation rigide d’un juge. Comment atteindre à la perfection du coeur, si l’on n’a ce qui consomme, au dire de l’Apôtre, la plénitude de la loi : «Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez la loi du Christ,» (Gal 6,2) si l’on ne possède cette vertu de charité qui «ne s’irrite, ni ne s’enfle, ni ne pense le mal, qui souffre tout, supporte tout» ? (1 Cor 13,4-7). Car «le juste a pitié des bêtes qui sont à lui, mais les entrailles des impies sont sans miséricorde.» (Pro 12,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 10

GERMAIN. — Ce que vous avez dit sur le parfait amour de Dieu est d’une éloquence puissante et magnifique. Une chose cependant, nous trouble beaucoup. Tandis que vous l’élevez si haut, vous déclarez imparfaites la crainte de Dieu et l’espérance de la rétribution éternelle. Or, le prophète semble avoir été, sur ce point, d’un sentiment tout autre : «Craignez le Seigneur, dit-il, vous tous, ses saints, parce que rien ne manque à ceux qui le craignent.» (Ps 33,10). Ailleurs, il avoue s’être exercé à l’observation des commandements de Dieu dans la vue de la récompense : «J’ai incliné mon coeur à observer vos commandements à cause de la récompense.» (Ps 117,112). L’Apôtre nous dit d’autre part : «C’est par la foi que Moïse, devenu grand, refusa d’être le fils de la fille du Pharaon, autant mieux être affligé avec le peuple de Dieu, que de jouir des délices passagères du péché, il considéra l’opprobre du Christ comme une richesse plus grande que les trésors de l’Égypte, car il avait les yeux fixés sur la récompense.» (Heb 11,24-26). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 11

Ainsi, la distance est considérable entre la crainte à quoi rien ne manque, trésor de la sagesse et de la science, et la crainte imparfaite. Celle-ci n’est que «le commencement de la sagesse», (Ps 110,10) et, supposant un châtiment, se voit bannir du coeur des parfaits, lorsque survient la plénitude de la charité : car «il n’y a point de crainte dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte.» (1 Jn 4,18). De fait, si le commencement de la sagesse est dans la crainte, où sera sa perfection, si ce n’est dans la charité du Christ, laquelle comprend en soi la crainte de dilection parfaite, et mérite pour ce fait d’être appelée, non plus le commencement, mais le trésor de la sagesse et de la science ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 13

L’Apôtre, en le citant, veut nous instruire sans aucun doute à rejeter tout désir du bien d’autrui; mieux encore, à mépriser d’un coeur magnanime nos biens propres, comme nous lisons, dans les Actes, que fit la multitude des fidèles : «La multitude des fidèles n’avait qu’un coeur et qu’une âme, nul ne disait sien ce qu’il possédait, mais tout était commun entre eux… Tous ceux qui possédaient terres ou maisons, les vendaient et en, mettaient le prix aux pieds des apôtres; on le distribuait ensuite à chacun, selon qu’il en avait besoin.» (Ac 4,32-34). Et, pour que l’on ne croie pas que cette perfection reste l’apanage du petit nombre, il atteste que la cupidité est une idolâtrie. Rien de plus juste. Ne pas secourir l’indigent dans ses nécessités; faire passer les préceptes du Christ après son argent, que l’on conserve avec la ténacité de l’infidèle : c’est bien tomber en effet dans le crime de l’idolâtrie, puisque l’on préfère à la charité divine l’amour d’une chose créée. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 2

Or, nous voyons que beaucoup pour le Christ ont abdiqué leur fortune; et l’expérience témoigne qu’ils n’ont pas seulement renoncé à la possession de l’argent, mais qu’ils en ont encore retranché le désir de leur coeur. Ne devons-nous pas croire que l’on peut de la même manière éteindre le feu de la fornication ? L’Apôtre n’aurait pas joint le possible à l’impossible. S’il commande de mortifier pareillement l’un et l’autre vice, c’est qu’il savait la chose faisable pour tous deux. Il a tant de confiance que nous pouvons extirper de nos membres la fornication et l’impureté, que ce n’est pas assez, à ses yeux, de les mortifier; notre devoir va plus loin, jusqu’à ne pas même les nommer : «Que l’on n’entende pas seulement parler parmi vous, déclare-t-il, de fornication, ni de quelque impureté que ce soit, ni de convoitise. Qu’on n’y entende point de paroles déshonnêtes, ni de folles, ni de bouffonnes, toutes choses qui sont malséantes.» (Eph 5,3-4). Toutes choses aussi qui sont pareillement funestes et nous excluent au même titre du royaume de Dieu, comme il l’enseigne encore : «Sachez-le bien : nul fornicateur, nul impudique, nul homme adonné à l’avarice, ce qui est une idolâtrie, n’a d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu»; (Ibid. 5) «Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu.» (1 Cor 6,9-10). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 3

Un vieillard fondé en cette vertu vivait auprès d’Alexandrie, noyé dans la masse des infidèles. Ceux-ci le criblaient de propos blessants et le chargeaient à l’envie des plus graves injures. Or, un jour qu’ils lui disaient en se moquant : «Mais quels miracles a donc faits ce Christ que vous adorez ?» «Celui-ci, répondit-il, que toutes vos injures, et celles mêmes plus grandes que vous pourriez me dire, ne m’émeuvent ni ne m’offensent.» Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 13

J’ai parlé selon mon pouvoir. À tout le moins puis-je dire que ce ne sont pas là de vains mots, mais que l’expérience a tout dicté. Je soupçonne fort que les lâches et les négligents jugeront ces choses impossibles. Je suis certain, en revanche, que les âmes éprises de la perfection et vraiment spirituelles se reconnaîtront dans mes paroles et y donneront leur suffrage. C’est qu’il y a autant de différence entre les hommes, que sont éloignés l’un de l’autre les buts où se porte le désir de leur coeur, c’est-à-dire le ciel et l’enfer, le Christ et Bélial, selon cette parole de notre Seigneur et Sauveur : «Si quelqu’un veut être mon serviteur, qu’il me suive; où je suis, là sera mon serviteur;» (Jn 12,26) et encore : «Où est votre trésor, là aussi sera votre coeur.» (Mt 6,21). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 16

La grâce du Christ est donc toujours à notre disposition. Comme «il veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité,» il les appelle aussi tous, sans exception : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai !» (Mt 11,28) S’il n’appelait tous les hommes en général, mais quelques-uns seulement, il suivrait que tous ne sont pas non plus chargés, soit du péché originel, soit du péché actuel. Et cette parole ne serait pas juste : «Car tous ont péché, et sont privés de la gloire de Dieu !» (Rm 3,23) On aurait tort aussi de croire que «la mort a passé dans tous les hommes.» (Ibid. 5,12) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 7

La divine Écriture confirme l’existence de notre libre arbitre : «Garde ton coeur, dit-elle, en toute circonspection.» (Pro 4,23) Mais l’Apôtre manifeste son infirmité. «Que le Seigneur garde vos coeurs et vos intelligences dans le Christ Jésus.» (Phil 4,7) — David énonce sa vertu, lorsqu’il dit : «J’ai incliné mon coeur à observer tes commandements;» (ps 118) mais il enseigne aussi sa faiblesse, lorsqu’il fait cette prière : «Incline mon coeur vers tes enseignements, et non vers l’avarice;» (Ibid. 36) et de même Salomon : «Que le Seigneur incline vers lui nos coeurs, afin que nous marchions dans toutes ses voies, et que nous gardions ses commandements, ses cérémonies et ses jugements.» (3 Rois 8,58) — C’est la puissance de notre liberté que désigne le psalmiste, en disant : «Préserve ta langue du mal, et tes lèvres des paroles trompeuses;» (ps 33,14) mais nous attestons son infirmité dans cette prière : «Place, Seigneur, une garde à ma bouche, une sentinelle à la porte de mes lèvres.» (ps 140,3) — Le Seigneur déclare ce dont est capable notre volonté, lorsqu’il dit : «Détache les chaînes de ton cou, captive, fille de Sion» (Is 52,2); d’autre part, le prophète chante sa fragilité : «C’est le Seigneur qui délie les chaînes des captifs» (ps 145,7), et : «C’est toi qui as brisé mes chaînes; je t’offrirai un sacrifice d’action de grâces.» — Nous entendons le Seigneur nous appeler, dans l’Évangile, afin que, par un acte de notre libre arbitre, nous nous hâtions vers lui : «Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai» (Mt 11,28); mais il proteste aussi de la faiblesse de l’humaine volonté, en disant : «Personne ne peut venir à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 6,44) L’Apôtre révèle notre liberté dans ces paroles : «Courez de même, afin de remporter le prix» (1 Co 9,24) ; mais saint Jean le Baptiste atteste sa fragilité lorsqu’il dit : «L’homme ne peut rien prendre de lui-même, que ce qui lui a été donné du ciel.» (Jn 3,27) — Un prophète nous ordonne de garder notre âme avec sollicitude : «Prenez garde à vos âmes» (Jér 17,21), mais le même Esprit fait dire à un autre prophète : «Si le Seigneur ne garde la cité, celui qui la garde veille inutilement.» (ps 126,1) — L’Apôtre, écrivant aux Philippiens, leur dit, pour souligner leur liberté : «Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement» (Phil 2,12); mais il ajoute, pour leur en faire voir la faiblesse : «C’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, de par son bon plaisir» (Ibid. 13). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 10

Ainsi, Dieu éprouve notre foi, pour la rendre et plus forte et plus glorieuse. Le centurion de l’Évangile nous en est un exemple. Le Seigneur, assurément, savait qu’il pouvait guérir son serviteur par la puissance de sa parole; il aime mieux offrir d’y aller de sa personne : «J’irai, et le guérirai» (Mt 8,7). Mais l’autre, dans l’ardeur grandissante de sa foi, s’élève au-dessus de cette offre ; il s’écrie — «Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit; mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri» (Ibid. 8). Et le Seigneur d’admirer. Il le couvre d’éloges, et le préfère à tous ceux qui avaient cru du peuple d’Israël : «En vérité, je vous le dis, je n’ai pas trouvé une telle foi en Israël» (Ibid. 10). Mais il n’aurait ni gloire ni mérite, si le Christ n’avait fait qu’exalter en lui ses propres dons. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 14

Ainsi la sagesse multiforme de Dieu ménage-t-elle le salut des hommes avec une tendresse habile à varier ses moyens et vraiment insondable. Selon la capacité de chacun, il accorde les dons de sa largesse. Pour les guérisons même qu’il opère, il ne veut point se régler sur la puissance toujours égale de sa majesté, mais sur la foi qu’il trouve en chacun de nous ou qu’il a lui-même départie. Celui-ci croit que pour le purifier de sa lèpre, la volonté toute seule du Christ suffit; le Christ le guérit par le seul assentiment de sa volonté : «Je le veux, sois guéri» (Mt 8,3). Un autre le supplie de venir chez lui, et de ressusciter sa fille en lui imposant les mains; il entre dans sa maison, et lui accorde l’objet de sa requête en la manière espérée (cf. Ibid. 9,18). Un troisième croit que le salut réside essentiellement dans le commandement de la parole : «Dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri» (Mt 8,8); par le commandement de sa parole, il rend aux membres alanguis leur vigueur première : «Va, et qu’il te soit fait selon que tu as cru (Ibid. 13).» — En voici qui espèrent trouver le remède dans l’attouchement de la frange de son vêtement; il leur dispense largement le don de la santé. (cf. Ibid. 9,20) — Il accorde à ceux-ci la guérison de leurs maladies sur leur prière; à ceux-là par un don spontané. — Il en exhorte certains à l’espérance : «Veux-tu être guéri ?» (Jn 5,6). Il porte secours de son propre mouvement à d’autres qui ne l’espéraient pas. — Il sonde les désirs des uns avant de satisfaire leur volonté : «Que voulez-vous que je fasse ?» (Mt 20,32). À cette autre qui ignore le moyen d’obtenir ce qu’elle convoite, il l’indique avec bonté : «Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu.» (Jn 11,40) — Il en fut sur qui il épancha surabondamment son pouvoir de guérir, si bien qu’à leur sujet l’évangéliste peut dire : «Il guérit tous leurs malades» (Mt 14,14). Chez d’autres, l’abîme sans fond de ses bienfaits se trouva fermé : «Jésus, est-il dit, ne put faire parmi eux de miracle à cause de leur incrédulité» (Mc 6,5-6). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 15

C’est ce qui arriva, comme il nous souvient, pour l’officier royal de l’Évangile. Persuadé qu’il sera plus facile de guérir son fils malade que de le ressusciter une fois mort, il supplie, il presse le Seigneur de daigner le suivre : «Seigneur, descendez avant que mon fils ne meure» (Jn 4,49). Et le Christ, qui a pourtant blâmé son incrédulité : «Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croyez pas» (Ibid. 48), ne se règle pas sur la faiblesse de cette foi, pour déployer la grâce de sa divinité. Il chasse la fièvre qui menait le malade à la mort, non par sa présence — la foi de l’officier n’allait pas plus loin —, mais par le verbe de sa puissance : «Va, ton fils vit» (Ibid. 50). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 16

Mais quoi d’étonnant si l’on raconte de tels prodiges de la puissance du Seigneur, alors que la divine grâce en a opéré de semblables par l’entremise de ses serviteurs ? Pierre et Jean entraient dans le temple. Un boiteux de naissance, incapable de faire un pas, leur demande l’aumône. Mais eux, au lieu des viles pièces de monnaie qu’il sollicitait, lui accordent libéralement l’usage de ses jambes. Il espérait le soulagement de quelque pauvre obole; ils l’enrichissent avec le don précieux de la santé qu’il n’attendait pas : «Je n’ai ni argent ni or, dit Pierre; mais ce que jai, je te le donne : au nom de Jésus Christ de Nazareth, lève-toi et marche.» (Ac 3,6) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 16

La tropologie est une explication morale qui regarde la pureté de la vie et les principes de la conduite : comme si, par ces deux Alliances, nous entendions la pratique et la théorie, ou que nous voulions prendre Jérusalem ou Sion pour l’âme humaine, comme il nous est montré dans ces paroles : «Loue, Jérusalem, le Seigneur; loue ton Dieu, Sion.» (Ps 147,12). Les quatre figures peuvent se trouver réunies. Ainsi, la même Jérusalem revêtira, si nous le voulons, quatre acceptions différentes : au sens historique, elle sera la cité des Juifs; au sens allégorique, l’Église du Christ; au sens anagogique, la cité céleste, «qui est notre mère à tous;» au sens tropologique, l’âme humaine, que nous voyons souvent louer ou blâmer par le Seigneur sous ce nom. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8

La révélation se rapporte à l’allégorie, qui manifeste, en expliquant selon le sens spirituel, les vérités cachées sous le récit historique. Ainsi, par exemple, si nous essayons de découvrir «comment nos pères furent tous sous la nuée, et tous furent baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer,» comment «tous mangèrent le même aliment spirituel, et burent le même breuvage spirituel du rocher qui les accompagnait, rocher qui était le Christ.» (1 Cor 10,1-4). Cette explication, qui montre figurés d’avance le Corps et le Sang du Christ que nous recevons chaque jour, a raison d’allégorie. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8

La prophétie, que l’Apôtre nomme en troisième lieu, signifie l’anagogie, qui transporte le discours aux choses invisibles et futures comme dans ce passage : «Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance sur le sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne vous contristiez pas, comme fait le reste des hommes, qui n’a point d’espérance. Si, en effet, nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui se sont endormis en Lui. Aussi, nous vous déclarons sur la parole du Seigneur que nous, les vivants, réservés pour le temps de l’avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui se sont endormis. Car le Seigneur Lui-même, au signal donné, à la voix de l’archange, au son de la trompette divine, descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord.» (1 Thes 4,12-15). C’est la figure de l’anagogie qui parait dans une exhortation de cette nature. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8

La doctrine dit l’ordre tout simple de l’explication historique, laquelle ne renferme point de sens plus caché que celui qui sonne dans les mots. Ainsi, dans les textes qui suivent : «Je vous ai enseigné premièrement, comme je l’ai appris moi-même, que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’Il a été enseveli, qu’Il est ressuscité le troisième jour et qu’Il est apparu à Céphas»; (1 Cor 15,3-5). «Dieu a envoyé son Fils, formé d’une femme, né sous la Loi, afin d’affranchir ceux qui étaient sous la Loi»; (Gal 4,5). «Écoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un Seigneur unique.» (Deut 4,4). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8

Puis, après avoir banni tous les soins et les pensées terrestres, efforcez-vous de toutes manières de vous appliquer assidûment, que dis-je ? constamment à la lecture sacrée, tant que cette méditation continuelle imprègne enfin votre âme, et la forme, pour ainsi dire, à son image. Elle en fera de quelque façon l’arche de l’alliance, renfermant en soi les deux tables de pierre, c’est-à-dire l’éternelle fermeté de l’un et l’autre Testament; — l’urne d’or, symbole d’une mémoire pure, et sans tache qui conserve à jamais le trésor caché de la manne, entendez l’éternelle et céleste douceur des pensées spirituelles et du pain des anges; la verge d’Aaron, c’est-à-dire l’étendard, signe du salut, de notre Souverain, et véritable pontife Jésus Christ, toujours verdoyant dans un immortel souvenir : le Christ, en effet, est la verge qui, après avoir été coupée de la racine de Jessé, reverdit de sa mort avec une vigueur nouvelle. Toutes ces choses sont couvertes par deux chérubins, c’est-à-dire la plénitude de la science historique et spirituelle. Car chérubin signifie plénitude de science. Ils couvrent sans cesse le propitiatoire de Dieu, c’est-à-dire la tranquillité de votre coeur, et la protègent contre toutes les attaques des esprits malins. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 10

Libéré de cette double impureté, en voici une troisième à éviter. Elle consiste dans les superstitions de la Loi et du Judaïsme, que l’Apôtre a en vue, lorsqu’il dit : «Nous observez les mois, les temps et les années;», (Gal 4,10) et de nouveau : «On vous prescrit : Ne prends pas ! Ne goûte pas ! Ne touche pas !» (Col 2,21). Il n’est pas douteux, en effet, que ces paroles ne visent les superstitions de la Loi. Or, y tomber, c’est se rendre infidèle au Christ. Et l’on ne mérite plus d’entendre de l’Apôtre : «Je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure;» (2 Cor 11,02) mais sa voix nous adresse ce reproche, qui suit immédiatement : «Je crains que, comme le serpent séduisit Éve par son astuce, vos pensées ne dégénèrent de la simplicité qui est dans le Christ Jésus.» (2 Cor 11,3). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 11

Non, celui dont l’âme n’est point pure ne saurait acquérir la science spirituelle, quelque peine qu’il se donne, si assidu qu’il puisse être à la lecture. L’on’ ne confie point à un vase fétide et corrompu un parfum de qualité, un miel excellent, une liqueur précieuse. Le vase pénétré de senteurs repoussantes, infectera plus facilement le parfum le plus odorant, qu’il n’en recevra lui-même quelque suavité ou agrément; car ce qui est pur se corrompt plus vite que ce qui est corrompu ne se purifie. Ainsi le vase de notre coeur. S’il n’est d’abord entièrement purifié de la contagion fétide des vices, il ne méritera pas de recevoir ce parfum de bénédiction dont parle le prophète : «Comme l’huile précieuse qui, répandue sur la tête, coule sur la barbe d’Aaron et descend sur le bord de son vêtement;» (Ps 132,2) non plus qu’il ne gardera sans souillure la science spirituelle ou les paroles de l’Écriture, «qui sont plus douces que le miel et que le rayon rempli de miel». (Ps 18,11). «Car, quelle communication y a-t-il de la justice avec l’iniquité ? Quelle société de la lumière avec les ténèbres? Quel accord entre le Christ et Bélial ?» (2 Cor 6,14-15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 14

GERMAIN. — Votre assertion ne nous semble pas fondée sur la vérité ni appuyée de raisons plausibles. Tous ceux qui refusent la foi du Christ, ou la corrompent par des opinions mensongères et impies, manifestement n’ont pas le coeur pur. Comment donc se fait-il que tant de juifs, d’hérétiques ou même de catholiques, qui sont en proie à des vices divers, parviennent à une connaissance parfaite des Écritures et peuvent se glorifier d’une science spirituelle éminente; tandis que l’on voit une multitude incalculable de saints qui ont purifié leur coeur de toute souillure de péché, et dont néanmoins la religion, contente de la simplicité de la foi, ignore les secrets d’une science plus profonde ? Et comment, après cela, votre opinion, qui attribue la science spirituelle à la seule pureté du coeur, pourra-t-elle tenir ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 15

NESTEROS. — Ce n’est pas examiner comme il convient la portée d’une doctrine, que de ne pas prendre le soin de peser tous les termes qui l’expriment. Nous avons dit déjà que cette sorte de gens n’ont rien qu’une certaine habileté à parler, avec de l’agrément dans le discours; mais qu’ils sont incapables d’entrer au coeur de l’Écriture et dans le mystère des sens spirituels. La science véritable ne se trouve que chez ceux qui honorent vraiment Dieu. Ce peuple ne l’a certes point, à qui il est dit : «Écoute, peuple insensé, qui n’as point de coeur; vous qui avez des yeux et ne voyez point, des oreilles et n’entendez point;» (Jer 5,21) et de nouveau : «Parce que tu as rejeté la science, je te rejetterai à mon tour, et ne souffrirai pas que tu remplisses les fonctions de mon sacerdoce.» (Os 4,6). Il est écrit que «tous les trésors de la science sont cachés» (Col 2,3) dans le Christ. Dès lors, comment croire que celui qui dédaigne de trouver le Christ, ou qui, l’ayant trouvé, le blasphème d’une bouche sacrilège, comment croire que celui qui déshonore la foi catholique par des oeuvres d’impureté, aient atteint à la vraie science ? «L’Esprit de Dieu, en effet, hait l’astuce et n’habite point dans un corps esclave du péché.» (Sag 1,5). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 16

Tel est aussi l’enseignement du psalmiste: «Heureux, dit-il, ceux qui sont sans tâche dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur. Heureux ceux qui scrutent ses témoignages.» (Ps 118,1-2). Il n’a pas commencé, par dire : «Heureux ceux qui scrutent ses témoignages,» pour ajouter ensuite : «Heureux ceux qui sont sans tâche dans leur voie.» Mais il dit en premier lieu : «Heureux ceux qui sont sans tâche dans leur voie;» et par là, il montre évidemment que l’on ne peut parvenir à sonder le fond des divins témoignages, qu’en marchant d’abord sans tâche dans la voie du Christ par la vie active. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 16

Le bienheureux Macaire s’arrête donc près d’une tombe des plus anciennes : «Ô homme, s’écrie-t-il, si cet hérétique, ce fils de perdition fût venu ici avec moi; et qu’en sa présence, invoquant le nom du Christ, mon Dieu, je t’eusse appelé : dis-moi si tu te serais levé devant tout ce monde que son imposture a failli conduire à la ruine.» Le mort se leva, et répondit que oui. L’abbé Macaire lui demanda ce qu’il avait été durant sa vie, en quel temps il avait vécu et s’il avait alors connu le nom du Christ. Il répondit qu’il avait vécu sous les plus anciens rois, et qu’il n’avait pas même entendu prononcer le nom du Christ à cette époque. «Dors en paix, reprit l’abbé Macaire, en attendant que le Christ te ressuscite en ton rang avec tous les autres, à la fin des temps.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 3

Ainsi, cette vertu, cette grâce singulière serait peut-être demeurée toujours cachée, pour autant qu’il dépendait de lui, si la nécessité de toute une province en péril, et sa dévotion entière, son amour sincère pour le Seigneur ne l’eussent poussé à faire ce miracle. Car, certes, il ne le fit pas par ostentation de vaine gloire; mais la charité du Christ et l’utilité de tout le peuple le lui arracha. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 3

Le même abbé s’en allait à certain bourg, lorsqu’il fut entouré par une troupe de gens qui s’amusaient de lui. Par dérision, ils lui montraient un homme à qui son genou tout contracté rendait depuis longues années la marche impossible, et réduit à ramper par un mal désormais invétéré. «Abbé Abraham, disaient-ils pour le tenter, montre si tu es le serviteur de Dieu, et rends à cet homme sa santé d’autrefois, afin que nous croyions que le nom du Christ que tu adores, n’est pas un nom qui soit vain.» Sur-le-champ, il invoque le nom du Christ, se penche et, prenant le pied desséché, le tire. Au contact de sa main, le genou desséché et courbé se redresse soudain; le malade recouvre l’usage de ses jambes, qu’il avait depuis longtemps oublié, et s’en va tout comblé de joie. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 5

C’est de quoi les apôtres se plaignaient un jour : «Maître, disaient-ils, nous avons vu un homme qui chasse les démons en votre Nom, et nous l’avons empêché, parce qu’il ne va pas avec nous.» (Lc 9,49). Sur l’heure, le Christ répondit : «Ne l’empêchez pas, car celui qui n’est pas contre vous est pour vous.» (Mt 9,50). Mais, lorsque, à la fin des temps, ces gens diront : «Seigneur, Seigneur, n’avons-nous point prophétisé en votre Nom ? n’avons-nous pas en votre Nom, chassé les démons ? et en votre Nom, n’avons-nous pas fait quantité de miracles ?» (Mt 7,22) Il atteste qu’il répliquera : «Je ne vous ai jamais connus. Retirez-vous de Moi, ouvriers d’iniquité.» (Mt 7,23). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 6

C’est donc l’humilité qui est la maîtresse de toutes les vertus, le fondement inébranlable de l’édifice céleste, le don propre et magnifique du Sauveur. Celui-là pourra faire sans péril d’élèvement tous les miracles que le Christ a opérés, qui cherche à imiter le doux Seigneur, non dans la sublimité de ses prodiges, mais dans la vertu de patience et d’humilité. Pour celui qu’agite le désir impatient de commander aux esprits immondes, de rendre la santé aux malades, de montrer aux foules quelque signe merveilleux, il peut bien invoquer le Nom du Christ au milieu de toute son ostentation; mais il est étranger au Christ, parce que son âme superbe ne suit pas le Maître de l’humilité. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 7

Aussi bien, nous en avons connu beaucoup dans notre profession qui, après s’être liés, par amour pour le Christ, de la plus chaude amitié, n’ont pas su la conserver toujours sans rupture. Le principe de leur union était bon; mais ils ne firent point paraître une égale et même ardeur à tenir le propos qu’ils avaient embrassé. Leur affection fut de celle qui ne dure qu’un temps, parce qu’elle ne vivait pas d’une vertu pareille chez l’un et l’autre, mais ne se soutenait que par la patience d’un seul. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 3

Se permettra-t-il la moindre chose qui puisse affliger son frère, lui qui n’estime rien plus précieux que le bien de la paix, et ne perd jamais la mémoire de cette parole du Seigneur : «C’est en cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres;» (Jn 13,35) amour que le Christ a voulu pour le troupeau de ses brebis comme un cachet spécial auquel on le reconnût en ce monde, et, si l’on peut ainsi parler, comme une empreinte qui le distinguât du reste des hommes ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 6

Il est impossible d’éviter ce malheur, si l’on se lie à son propre sens. Mais il faut aimer et pratiquer la vraie humilité; il faut remplir, avec un coeur contrit, le voeu si pressant de l’Apôtre : «S’il est quelque consolation dans le Christ, s’il est quelque douceur et soulagement dans la charité, s’il est quelque tendresse et compassion, rendez ma joie parfaite; ayez une même pensée, un même amour, une même âme, un même sentiment; ne faites rien dans un esprit de contention ni par vaine gloire; mais tenez-vous en toute humilité pour supérieurs les uns aux autres.» (Phil 2,13). Il dit encore : «Prévenez-vous d’honneur les uns les autres.» (Rom 12,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 11

Qui pourrait usurper une telle indépendance, sans courir à de mortels dangers ? Voyez saint Paul, en qui le Christ parlait, à ce qu’il déclare lui-même (Cf. 2 Cor 13,3). Il assure être monté à Jérusalem, uniquement en vue de communiquer aux autres apôtres, dans un examen privé, l’Évangile qu’il prêchait aux nations d’après la révélation et avec la coopération du Seigneur. Cet exemple est éloquent : la docilité aux règles que nous traçons, ne conserve pas seulement l’unanimité à la concorde; mais elle met encore à l’abri de toutes les embûches du démon, notre ennemi, et des pièges de ses illusions. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 12

Question : Comment, obéissant aux commandements du Christ, peuvent-ils être frustrés de la perfection évangélique ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 21

Réponse : Le Christ n’a pas égard à l’acte seulement, mais aussi à l’intention. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 22

Il faut bien se le persuader: celui-là montre le plus de force, qui soumet sa volonté à celle de son frère, et non celui qui est le plus opiniâtre à défendre et garder son sentiment. Par le support et la patience, le premier mérite de compter parmi les trempes saines et robustes; le second, au contraire, se range parmi les faibles et, si l’on peut dire, les malades, C’est un homme à qui l’on doit prodiguer caresses et douceurs. Parfois même, il sera bon de prendre quelque relâche dans les choses nécessaires, afin qu’il demeure tranquille et en paix. Que l’on ne croie pas, du reste, ôter, ce faisant, à sa propre perfection. Tant s’en faut : le bien de la longanimité et de la patience fait qu’on a profité beaucoup plus. C’est, en effet, le précepte de l’Apôtre : «Vous qui êtes forts, supportez les faiblesses de ceux qui sont infirmes.» (Rom 15,1). Il dit encore : «Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ.» (Gal 6,2). Jamais le faible ne supportera le faible, ni le malade ne pourra endurer ou guérir le malade. Mais celui-là peut apporter le remède au faible, qui n’est pas lui-même soumis à la faiblesse. Autrement, on aurait sujet de dire : «Médecin, guéris-toi toi même.» (Lc 4,23). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 23

Le premier renonce à une détermination qu’il avait confirmée par une manière de serment : «Non, jamais vous ne me laverez les pieds.» (Jn 13,8). Mais il mérite pour ce fait d’avoir part éternellement avec le Christ; tandis qu’il était, sans aucun doute, retranché de cette grâce et béatitude, s’il se fût obstinément tenu à sa parole. L’autre, pour garder la foi d’un serment inconsidéré, se fait le sanglant meurtrier du Précurseur; la vaine crainte de se parjurer l’engloutit dans la damnation et les supplices de l’éternelle mort. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 9

JOSEPH — La pluralité des épouses et des concubines fut une licence accordée aux anciens. Elle cessa d’être nécessaire, lorsque la fin des temps se fit imminente, et que la multiplication du genre humain fut arrivée à son terme; la perfection évangélique devait la supprimer. Jusqu’à l’avènement du Christ, il fallait que continuât d’agir la vertu de la bénédiction originelle : «Croissez, multipliez et remplissez la terre.» (Gen 1,28). Mais il était juste que de cette racine de la fécondité, qu’une disposition temporaire d’intérêt général avait mise à l’honneur sous la synagogue, germassent, dans l’Église, les fleurs de l’angélique virginité et naquissent les fruits au parfum suave de la continence. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 19

Mais le bienheureux Apôtre lui-même témoigne, en d’autres termes, qu’il a partout et toujours observé ces tempéraments : «Avec les Juifs, j’ai vécu comme Juif, afin de gagner les Juifs; avec ceux qui sont sous la loi, comme si j’étais sous la loi — bien que je le fusse pas assujetti à la Loi — afin de gagner ceux qui étaient sous la Loi; avec ceux qui étaient sans loi, comme si j’étais sans loi — bien que je ne fusse pas sans la loi de Dieu, étant sous la loi du Christ —, afin de gagner ceux qui sont sans loi. Je me suis rendu faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin de les sauver tous.» (1 Cor 9,0-22). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20

On demande : Comment prouver que le bienheureux Apôtre a su s’adapter à tous et en tout ? Où s’est-il fait Juif avec les Juifs ? — Ce fut le jour où, gardant au fond du coeur le sentiment qui lui avait fait déclarer aux Galates : «Voici que moi, Paul, je vous dis que, si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien,» (Gal 5,2) il adopta en quelque manière les apparences de la superstition judaïque, et circoncit Timothée. (cf. Ac 16,3). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20

Où a-t-il vécu avec ceux qui étaient sous la Loi, comme s’il eût été lui-même sous la Loi ? — À Jérusalem. Les Juifs convertis, ou, pour mieux dire, les chrétiens judaïsants avaient reçu la foi du Christ avec la conviction qu’elle demeurait astreinte aux cérémonies légales. Jacques et tous les anciens de l’Église, redoutant que cette multitude ne se jetât sur lui, s’efforcent de parer au danger, et lui insinuent ce conseil : «Tu vois, frère, combien de milliers de Juifs ont cru, et tous sont zélés pour la Loi. Or, ils ont ouï dire que tu enseignes aux Juifs qui sont parmi les Gentils, de se séparer de Moïse, en disant qu’ils ne doivent pas circoncire leurs enfants;» (Ac 21,20-21) et plus loin : «Fais donc ce que nous allons te dire. Nous avons ici quatre hommes qui ont fait un voeu; prends-les, purifie-toi avec eux, et fais pour eux les frais des sacrifices, afin qu’ils se rasent la tête. Ainsi, tous sauront que ce qu’ils ont entendu dire de toi est faux, et que toi aussi tu observes la Loi.» (Ac 21,23-24). Et lui, pour le salut de ceux qui étaient sous la Loi, d’oublier un instant la rigueur de la parole qu’il avait dite : «C’est par la Loi que je suis mort à la Loi, afin de vivre à Dieu.»(Gal 2,19). Il se laisse engager à se raser la tête, à subir les purifications légales, à offrir des voeux dans le Temple suivant le rite mosaïque. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20

Vous demandez encore : Où s’est-il fait comme s’il était lui-même sans loi, pour le salut de ceux qui ignoraient complètement la loi de Dieu ? — Lisez l’exorde de son discours d’Athènes, où régnait l’impiété païenne : «En passant, j’ai vu vos idoles, et un autel avec cette inscription : Au Dieu inconnu.» (Ac 17,23). Il prend son point de départ dans leur superstition. Comme, s’il était lui-même sans loi, c’est à l’occasion de cette inscription profane qu’il propose la foi du Christ : «Ce que vous adorez sans le connaître, je viens, vous l’annoncer.» (Ibid.) Peu après, comme s’il ignorait tout à fait la loi divine, il cite le vers d’un poète païen, plutôt que d’en appeler à la parole de Moïse ou à celle du Christ : «Ainsi que plusieurs de vos poètes l’ont dit : Nous sommes aussi de sa race.» (Ac 17,28). Il leur emprunte ces témoignages qu’ils ne peuvent récuser, pour les aborder; puis, il ajoute, se servant du faux pour établir le vrai : «Puisque nous sommes de la race de Dieu, nous ne devons point penser que la divinité soit semblable à l’or, à l’argent ou à la pierre, aux sculptures de l’art et du génie humain.» (Ibid. 29). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20

Celui qui était mort à la Loi par la loi du Christ, afin de vivre à Dieu, qui tenait pour un préjudice la justice de la Loi dans laquelle il avait vécu sans reproche, et la considérait comme de la balayure, afin de gagner le Christ, celui-là, dis-je, n’a pu se soumettre d’un coeur sincère aux observances légales. Il n’est pas permis de penser que celui qui avait dit : «Si ce que j’ai détruit, je le rebâtis, je me constitue moi-même prévaricateur,» (Gal 2,18) soit tombé dans la faute qu’il avait lui-même condamnée. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 20

L’autorité du docteur des nations nous enseigne à suivre ce chemin; car, ayant à parler de la grandeur de ses révélations, il a voulu le faire sous le nom d’un autre : «Je connais un homme dans le Christ qui — fût-ce dans son corps ou hors de son corps, je l’ignore, Dieu le sait, — a été ravi jusqu’au troisième ciel. Et je sais que cet homme fut enlevé dans le paradis, et qu’il entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de dire.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 24

David aussi se plaignait, sous l’inspiration de l’esprit prophétique, de Judas et des persécuteurs du Christ : «Qu’ils soient effacés, disait-il, du livre des vivants!» Puis, comme, après s’être rendu coupable d’un tel crime, ils ne méritaient point de parvenir à la pénitence qui sauve, il ajoutait : «Et qu’ils ne soient pas écrits avec les justes !» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

Là-dessus, nous ne devons pas douter qu’au moment qu’il fut choisi par le Christ et reçut l’honneur de l’apostolat, son nom n’ait été écrit au livre des vivants, ni que ces paroles ne lui aient été adressées comme à tous les autres : «Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux.» Mais la peste de l’avarice le corrompt et, du ciel où il était écrit, le précipite à terre. Aussi est-il dit justement de lui et de ses pareils par la bouche du prophète: «Seigneur, tous ceux qui t’abandonnent seront confondus, ceux qui se retirent de toi seront écrits sur la terre, parce qu’ils ont abandonné la source des eaux vives, le Seigneur;» et ailleurs : «Ils ne siégeront point dans le conseil de mon peuple, ils ne seront pas écrits dans le livre de la maison d’Israël et ils n’entreront pas dans la terre d’Israël.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25

Mais, après la mort des apôtres, la foule des croyants commença de se refroidir, celle-là surtout qui affluait du dehors il la foi du Christ, de tant de peuples divers. Par égard pour leur foi encore bégayante et leur paganisme invétéré, on ne demandait rien de plus aux gentils que de s’abstenir «des viandes offertes aux idoles, de l’impureté, de la chair étouffée et du sang». (Ibid. 15,29). Cette liberté qu’on leur accordait par condescendance pour la faiblesse de leur foi naissante, ne laissa pas de contaminer insensiblement la perfection de l’Église de Jérusalem. Le nombre des recrues s’augmentant chaque jour, du judaïsme et de la gentilité, la ferveur de la foi primitive se perdit. Ce ne fut pas seulement la foule des prosélytes que l’on vit se relâcher de l’antique austérité, mais jusqu’aux chers de l’Église. Plusieurs, estimant licite pour eux-mêmes la concession faite à la faiblesse des gentils, se persuadèrent qu’il n’y avait aucun détriment à garder biens et fortune, tout en confessant la foi du Christ. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 5

Descendants en ligne directe des chrétiens dont nous avons parlé naguère, qui aimaient mieux affecter les dehors de la perfection évangélique que d’en embrasser la réalité, ce qui les a poussés, c’est le désir de rivaliser avec la vertu des héros qui préfèrent à toutes les richesses la parfaite nudité du Christ, ou d’avoir part aux louanges dont ils les voyaient combler. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 7

L’esprit immonde le tourmenta durement et longtemps. Vainement la prière des saints qui habitaient ce désert et avaient reçu le charisme divin de commander aux esprits mauvais, s’employait-elle à le délivrer. Isidore lui-même n’y put réussir, malgré sa grâce singulière, lui à qui la munificence du Seigneur avait octroyé une puissance si grande, qu’on ne lui conduisit jamais un possédé, qui ne fût guéri, avant même de toucher le pas de sa cellule. Le Christ réservait cette gloire au jeune Paphnuce. Seule, la prière de celui qu’il avait si odieusement trahi devait libérer le coupable; c’est en invoquant le nom de qui sa haine jalouse avait cru pouvoir rabaisser l’honneur, qu’il devait recevoir le pardon de sa faute et voir la fin de ses supplices. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 15

La fin de l’ermite est d’avoir l’esprit dégagé de toutes les choses terrestres, et de s’unir ainsi avec le Christ, autant que l’humaine faiblesse en est capable. Le prophète Jérémie le décrit en ces termes : «Heureux l’homme qui porte le joug dès sa jeunesse; il s’assiéra seul et il se taira, parce qu’il a pris ce joug sur lui.» (Lam 3,27-28). Le psalmiste dit aussi : «Je suis devenu semblable au pélican qui habite dans la solitude; j’ai veillé, et je suis devenu comme le passereau solitaire sur un toit.» (Ps 101,7-8). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 8

Il ne fallait pas faire entrer dans un précepte universel, ni exiger de tous comme si ce fût la règle, ce qui n’est pas à la portée de toutes les intelligences, à cause de sa merveilleuse sublimité. Mais il est préférable qu’il y ait une simple invitation à la grâce, et par manière de conseil. De la sorte, les forts ont le moyen de gagner la couronne de la vertu parfaite; et les faibles, qui ne peuvent remplir la mesure de l’âge de la plénitude du Christ, (Eph 4,13) bien qu’ils paraissent éclipsés par l’éclat des premiers, comme par des astres plus grands, échappent néanmoins aux ténèbres des malédictions légales, et ne s’envoient point livrés aux maux présents ni condamnés à l’éternel supplice. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5

Le Christ ne contraint donc personne, par la nécessité du précepte, à s’élever sur le faîte sublime des vertus, mais il y provoque notre libre choix, nous excite par la bonté de son conseil, nous enflamme par le désir de la perfection. Où il y a précepte, en effet, il y a nécessité, et par suite, châtiment en cas de faute. Mais aussi, ceux qui observent seulement le minimum auquel les force la sévérité d’une loi catégorique, évitent plutôt la peine dont elle les menaçait, qu’ils ne gagnent une récompense. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5

Mais il est en notre pouvoir aujourd’hui de vivre sous la grâce de l’Évangile ou sous la terreur de la Loi : la qualité de nos actes nous range à l’un ou l’autre parti. Ou bien nous dépassons la Loi, et la grâce du Christ nous ouvre son sein; on nous lui sommes inférieurs, et elle nous retient comme ses débiteurs et ses sujets. Violateur des préceptes légaux, il est impossible d’atteindre à la perfection évangélique; c’est sans raison que l’on se vante alors d’être chrétien, et d’avoir été rendu libre par la grâce du Seigneur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 7

Il y a plus. Ce n’est pas seulement celui qui se refuse à remplir le commandement de la Loi qu’il faut regarder comme étant toujours sous la Loi, mais aussi celui qui, satisfait d’observer ce qu’elle prescrit, ne donne pas les fruits dignes de la vocation et de la grâce chrétienne. Car le Christ ne nous dit pas : Tu offriras la dîme et les prémices de tes biens au Seigneur ton Dieu, (Ex 22,29) mais : Va, vends ce que as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis Moi; (Mt 19,21). Telle est encore la grandeur de la perfection chrétienne: un disciple réclame pour ensevelir son père; on ne lui concède pas même le court espace d’une heure, et la vertu de l’amour divin passe avant le devoir de l’affection humaine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 7

Il répondait en alléguant la condition de l’humaine nature, combien fragile, combien incertaine ! Quel péril à s’engager dans les désirs et les oeuvres de la chair ! Il ajoutait qu’il n’était loisible à personne, de mettre comme une frontière entre soi et le bien que l’on avait reconnu infiniment digne d’être embrassé. Puis, il y avait plus de danger à mépriser le bien connu, qu’à ne pas l’aimer inconnu. Lui-même, n’était-il pas déjà sous la prévarication, dès là qu’ayant découvert des biens si magnifiques et si célestes, il leur en avait préféré de terrestres et de sordides ? Les grandeurs de la perfection convenaient à tout âge, à tout sexe; tous les membres de l’Église étaient invités à gravir les hauteurs des vertus les plus sublimes : Courez, avait dit l’Apôtre, afin de remporter le prix. (1 Cor 9,24). Les retards des apathiques et des lâches ne devaient point retenir la prompte ardeur des enthousiastes. N’était-ce pas le droit, que l’avant-garde entraînât les paresseux, plutôt que de voir sa course entravée par leur poids mort ? Au surplus, sa résolution était prise, de renoncer au siècle et de mourir au monde, afin de vivre à Dieu; et s’il ne pouvait obtenir ce bonheur, de passer avec sa compagne dans la société du Christ, il aimait mieux être sauvé avec un membre de moins, et entrer mutilé dans le royaume des cieux, plutôt que d’être damné avec son corps entier. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9

Il ajoutait encore de nouvelles raisons. Si Moïse permet aux Juifs de renvoyer leurs épouses à cause de la dureté de leur coeur, pourquoi le Christ n’accorderait-il pas le même privilège au désir de la chasteté ? La Loi, et le Seigneur après elle, n’avaient-ils pas prescrit de tenir en haute révérence les autres affections de famille, l’amour d’un père, d’une mère, de ses enfants ? Et néanmoins, le même Seigneur déclarait qu’il fallait, pour son Nom et le désir de la perfection, non pas simplement y renoncer, mais les haïr. Et il y joignait l’amour conjugal : Quiconque laisse maison, ou frères, ou soeurs, ou père, ou mère, ou femme, ou enfants, ou champs à cause de mon Non, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. (Mt 29). Ainsi donc, il était si peu disposé à souffrir aucune comparaison avec la perfection qu’il prêchait, qu’il voulait nous voir briser et rejeter pour son amour les liens sacrés eux-mêmes qui nous unissent à notre père et à notre mère, et qui font, selon l’Apôtre,l’objet du premier commandement auquel une récompense eût été promise : Honore ton père et ta mère, — c’est le premier commandement auquel soit promise une récompense — afin que tu sois heureux, et que tu vives longtemps sur la terre. (Eph 6,2-3). Il paraissait donc assez évident que si l’Évangile condamnait celui qui rompt le lien du mariage hors le cas d’adultère, il promettait aussi le centuple à qui secoue le joug de la chair pour l’amour du Christ et le désir de la chasteté. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9

Si enfin, poursuivait-il, vous entendez raison, et vous laissez fléchir au parti si cher à mon coeur, de nous consacrer tous deux au service du Seigneur, afin d’éviter le châtiment de la géhenne : je ne renie point l’amour conjugal; j’y veux, au contraire, plus de dilection que jamais. Car je reconnais alors en vous et révère l’aide que les jugements divins m’ont destinée, et je ne refuse pas de vous rester attaché dans le Christ par un indissoluble lien de charité. Non, je n’entends pas séparer de moi l’être que le Seigneur m’a uni par la loi de la première création, pourvu que vous soyez aussi de votre part ce que le Créateur a voulu. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9

Si je ne puis vous arracher à la mort, dit alors le bienheureux Théonas, vous non plus, vous ne me séparerez pas du Christ. Il est plus sûr pour moi de faire divorce avec une créature, plutôt qu’avec Dieu. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9

Des exemples. Voici venir un frère. C’est le Christ qu’en sa Personne nous devons hospitaliser, et recevoir avec la plus aimable charité. Mais on préfère observer strictement le jeûne. N’est-ce pas là encourir le reproche d’inhumanité, plutôt que s’acquérir la gloire et le mérite de la dévotion ? — Ou bien l’épuisement et la faiblesse du corps exigent des aliments, pour qu’il puisse réparer ses forces. Cependant, tel ne consent point à fléchir la rigueur de son abstinence. Ne faudra-t-il pas l’estimer cruel, et homicide de lui-même, plutôt que soucieux de son salut ? — De même encore, il se trouve qu’une fête invite à une trêve d’abstinence, et, en concédant un usage raisonnable de la nourriture, permet une réfection d’ailleurs nécessaire. Quelqu’un s’obstine, néanmoins dans l’observance rigide et ininterrompue de ses jeûnes. On le taxera moins de religion que de sottise et de déraison. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14

Que dirai-je des prémices ? N’est-ce point la vérité, que tous les fidèles serviteurs du Christ les présentent chaque jour ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 26

À leur premier réveil, et retrouvant, après le sommeil, le mouvement de la vie : avant de concevoir, dans leur coeur, une impression quelconque, avant d’admettre la mémoire ou le souci de leurs intérêts matériels, ils consacrent aux holocaustes divins la naissance et l’origine de leurs pensées. Or, qu’est-ce là, sinon payer véritablement les prémices de leurs fruits par Jésus Christ, le souverain pontife, pour l’usage qui leur est donné de la vie et cette image de résurrection quotidienne ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 26

Voyez, d’autre part, celui qui n’a pas méprisé le conseil du Seigneur. Après avoir distribué tous ses biens aux pauvres, il a pris sa croix, et il suit le dispensateur de la grâce. Le péché pourrait-il dominer sur lui ? Sa fortune est déjà consacrée au Christ, ses richesses ne sont plus à lui; et, tandis qu’il en fait pieusement le partage, il n’est point mordu par le souci infidèle de garder pour vivre, aucune hésitation chagrine ne vient gâter la joie qui sied à l’aumône. Avant tout donné à Dieu, rien ne lui appartient plus; et il le dispense comme tel, sans souvenir de ses propres besoins, sans crainte pour le morceau de pain qui le fera vivre, tant il est dans la certitude que, parvenu au dépouillement désiré, Dieu le nourrira avec bien plus de sollicitude encore que l’oiseau du ciel. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33

Autre chose : le dessein du Seigneur, en faisant sien, par la grâce de l’adoption, quiconque le reçoit, n’est pas de détruire, mais de couronner, ni d’abolir, mais de parfaire les ordonnances de Moïse. C’est ce que plusieurs ignorent tout à fait. Négligeant d’une part les magnifiques exhortations du Christ, ils ne laissent pas de s’abandonner d’ailleurs à une liberté présomptueuse. Les préceptes du Christ sont ardus : ils ne les effleureront pas du bout des doigts. Mais les commandements que la Loi de Moïse faisait aux Juifs, comme à des débutants et des enfants, sont vieillis : et de les mépriser. Liberté coupable, qui équivaut à cette déclaration, maudite par Apôtre : Nous avons péché, parce que nous ne sommes plus sous la Loi, mais sous la grâce. (Rom 6,15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 34

Or, n’être pas sous la grâce, parce qu’on n’a pas su gravir les cimes de la doctrine du Seigneur; ni sous la Loi, parce qu’on refuse d’embrasser les commandements mêmes, si faciles, de la Loi : c’est subir deux fois la tyrannie du péché; c’est croire qu’on n’a reçu la grâce du Christ, qu’afin de se séparer de lui par une liberté funeste; c’est tomber dans l’abîme contre lequel nous prévenait l’apôtre Pierre : Agissez comme des hommes libres, et non en hommes qui se font de la liberté un manteau à couvrir leur malice. (1 Pi 2,16). Et le bienheureux apôtre Paul dit de même : Pour vous, mes frères, vous avez été appelés à la liberté, ce qui signifie : à l’affranchissement de la tyrannie du péché; seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte, pour vivre selon la chair, (Gal 5,13) c’est-à-dire : Ne croyez pas qu’échapper aux préceptes de la Loi, c’est ouvrir la carrière aux vices. La vraie liberté ne se trouve que là où demeure le Seigneur; c’est encore l’apôtre Paul qui nous l’enseigne : Le Seigneur, c’est l’Esprit; où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. (2 Cor 3,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 34

Ils passent donc sans retard à la deuxième cause. N’y a-t-il pas là faute de l’esprit et excès dans le jeûne ? Il s’en trouve, en effet, je dis des plus austères, qui s’élèvent insensiblement de leur pureté corporelle. Mais, alors, c’est le vice de la superbe qui leur ménage une pénible déception, parce qu’ils ont cru obtenir par leurs forces humaines ce qui est un don très particulier de Dieu, la chasteté du corps. On interroge donc le frère. Se croirait-il capable d’une telle vertu par ses propres efforts, en sorte qu’il se puisse passer du Secours divin ? Mais lui d’abominer une idée si impie. Il affirme humblement qu’il n’eût pas conservé son corps pur, même les autres jours, si la Grâce divine ne l’avait aidé. Dès lors, il fallait se rabattre sur la troisième cause. Tout est clair : on est en face d’une secrète machination du diable. Assurés qu’il n’y a faute ni de l’esprit ni de la chair, les anciens décident hardiment que le frère doit prendre part au sacré banquet. Persévérer dans son abstention, serait donner dans le piège adroit que lui tend la malignité de l’ennemi, rester éloigné du Corps du Christ et de sa Sainteté, et se voir à jamais exclu, par cette ruse diabolique, d’un si puissant moyen de salut. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Quels sont ces fils et ces filles, à qui les premiers sont préférés, jusqu’à recevoir une place et un nom meilleurs, sinon les saints de l’Ancien Testament, qui, vivant dans le mariage méritèrent cependant l’adoption des fils par l’observation des commandements ? Mais quel est ce nom promis d’autre part pour insigne et suprême récompense, si ce n’est celui du Christ, que nous devions porter un jour ? Nom, duquel le même prophète dit ailleurs : Il appellera ses serviteurs d’un autre nom, en lequel celui qui doit être béni sur la terre, sera béni par le Dieu de Vérité, et celui qui doit être béni sur la terre, jurera par le Dieu de Vérité. (Is 65,15-16). Il dit encore : Et l’on t’appellera d’un nom nouveau que la Bouche du Seigneur dictera (Ibid., 62,2). En outre, pour cette pureté de coeur et de corps, les fidèles du Christ goûteront la béatitude souveraine et singulière de chanter le cantique que nul des saints ne peut chanter, sinon ceux qui suivent l’Agneau partout où il va, car ils sont vierges et ils ne se sont pas souillés avec des femmes. (Apoc 14,4). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Voulons-nous parvenir à cette gloire sublime des vierges : recherchons de toutes nos forces la chasteté de l’âme et de l’esprit, de peur que nous ne tombions dans le nombre des vierges folles, à qui leur virginité ne fut pas comptée. Elles s’étaient bornées à la chasteté du corps; et c’est pourquoi le nom de vierges leur est donné, mais de vierges folles, parce que, dans leurs vases, manquait l’huile de la pureté intérieure, et que dès lors s’éteignait tout l’éclat et toute la splendeur de leur virginité corporelle. Car il faut que l’intérieure pureté conserve et entretienne par son rayonnement la chasteté de l’homme extérieur, l’animant à persévérer toujours dans la perpétuelle intégrité. Aussi, les vierges folles, malgré leur titre de vierges, ne méritent-elles pas l’entrée glorieuse dans la chambre nuptiale de l’Époux avec les vierges sages, qui, elles, ont sans reproche gardé leur esprit, leur âme et leur corps intacts pour le jour de notre Seigneur Jésus Christ. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Quels sont donc, en effet, les vierges du Christ, véritables et sans tache ? Ceux qui redoutent le mal ? Ceux qui n’y ont pas de complaisance ? Ceux qui, refrènent le vice ? Non pas; mais ceux qui ont étouffé jusque dans leur âme le plus léger souffle de la volupté, les plus imperceptibles mouvements de la passion; ceux qui ont tellement réduit, si je puis ainsi parler, le sens de la chair, qu’ils n’en ressentent plus la moindre atteinte. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6

Réponse : Beaucoup peuvent être saints; mais il n’y a que le Christ qui soit sans péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 9

Autre chose est d’être saint, c’est-à-dire sacré au culte divin, appellation commune — l’Écriture, en témoigne —, aux hommes ainsi qu’aux lieux, aux vases, et ustensiles du Temple; autre chose, d’être sans péché. Ceci n’appartient qu’à la Majesté de notre Seigneur Jésus Christ, de qui l’Apôtre proclame comme un privilège extraordinaire : Il n’a point commis le péché (1 Pi 2,22). C’eût été en somme Lui attribuer, en guise de prérogative incomparable et divine, une gloire assez vulgaire et peu digne d’une si haute majesté, s’il nous était aussi donné de mener une vie pure de tout péché. L’Apôtre dit encore aux Hébreux : Nous n’avons pas un pontife qui ne puisse compatir à nos infirmités; mais il fut tenté de toutes manières, afin de nous être semblable, hormis le péché (Hé 4,15). Mais, s’il peut y avoir, entre notre bassesse terrestre et ce sublime et divin pontife, une telle communauté; si nous sommes également tentés, sans subir l’atteinte du péché : pourquoi l’Apôtre eût-il admiré chez lui ce privilège comme unique et singulier, et mis une telle différence entre son mérite et le reste des hommes ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 9

C’est donc par cette seule exception qu’il se distingue de nous tous : nous ne sommes pas tentés sans péché; Lui, au contraire, fut tenté, sans péché. Quel est l’homme, pour courageux et vaillant qu’il soit, qui ne prête maintes fois le flanc aux traits ennemis ? Qui vivra sans danger parmi les périls de tant de combats, comme s’il était revêtu d’une chair vulnérable ? Seul le Christ, le plus beau des enfants des hommes (Ps 44,3), en prenant une condition mortelle et toute la fragilité de la chair, ne connut jamais l’atteinte d’une souillure. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 9

Seul le Christ est venu dans la ressemblance de la chair du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11

Et comment faudra-t-il entendre ce que dit de Lui l’Apôtre, qu’Il est venu dans la ressemblance de la chair du péché, si nous pouvons avoir aussi une chair exempte de la tache du péché ? Car c’est bien encore un privilège unique de Celui qui seul est sans péché, qu’Il veut exprimer dans ces paroles : Dieu a envoyé son Fils dans la ressemblance de la chair du péché (Rm 8,3). Prenant, dans sa vérité et son intégrité, la substance de notre chair, le Christ ne prit point avec elle le péché, mais seulement la ressemblance du péché. Ainsi, le mot ressemblance ne va pas contre la Vérité de la chair, selon le sens absurde de quelques hérétiques, mais regarde l’image du péché. Il avait une chair véritable; mais elle était sans péché, et portait seulement la ressemblance de la chair pécheresse. La première partie de la phrase affirme la réalité de la nature humaine; la deuxième concerne ses vices et ses moeurs. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11

C’est de lui et des saints qui lui ressemblent, que nous devons entendre ce que chante David : Le Seigneur affermit les pas de l’homme, et Il prend plaisir à sa voie. Si le juste tombe, il ne se brisera pas, parce que le Seigneur le soutient de sa Main (Ps 36,23-24). Celui dont les pas sont affermis par le Seigneur, peut-il ne pas être juste ? Et pourtant, c’est de lui qu’il est dit : S’il tombe, il ne se brisera pas. Que signifie : S’il tombe, sinon : S’il tombe en quelque péché ? Il ne se brisera pas, est-il dit. Qu’est-ce là ? Que les assauts du péché ne l’accableront pas longtemps. Sur l’heure, il peut bien paraître brisé; mais, relevé par le Secours divin, qu’il implore, sa promptitude à se remettre debout fait qu’il ne perd point l’immobile rectitude de la justice, ou du moins, s’il la perd un instant par la fragilité de la chair, la Main du Seigneur, en le soutenant, la lui rend. Un homme pourrait-il cesser d’être saint après sa chute, lorsque, reconnaissant qu’il ne saurait être justifié par la confiance en ses propres oeuvres, et persuadé que la seule Grâce du Seigneur le délivrera des innombrables liens du péché, il ne cesse de proclamer avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 24,25) ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 13

Il a donc vu le fond de sa propre fragilité, de la fragilité humaine; et, saisi d’effroi devant cet incommensurable abîme, il cherche un refuge au port assuré du Secours divin. Désespérant, si je puis ainsi dire, de sa frêle embarcation, qu’il voit toujours près de sombrer sous le fardeau de la mortalité, il supplie Celui à qui rien n’est impossible, de le sauver du naufrage, et pousse ce cri pathétique : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Et la délivrance qu’il n’attendait plus de la faiblesse de la nature, il se la promet aussitôt de la Bonté divine : il poursuit, plein de confiance : La Grâce de Dieu, par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 7,19-25). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 14

Quant au bienheureux Apôtre, parvenu comme il était, sans aucun doute, an plus haut sommet de la perfection, ces paroles ne sauraient lui convenir en aucune façon : Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je hais; ni non plus ce qu’il ajoute immédiatement : Mais, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le péché qui habite en moi; ni ceci : Je prends plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Le moyen d’accommoder ces idées à la personne de l’Apôtre ? Quel est le bien qu’il n’a pas accompli ? Quel est, au contraire, le mal qu’il a commis malgré lui et malgré la haine qu’il en avait, par l’entraînement de la nature ? Sous quelle loi de péché ce vase d’élection, en qui le Christ parlait (cf. 2 Cor 13,3), a-t-il pu être mené captif ? Lui qui, après avoir captivé toute désobéissance et toute hauteur qui s’élève contre Dieu (Ibid. 10,5), disait de lui-même en toute confiance : J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi; maintenant, la couronne de justice m’est tenue en réserve, que me décernera en ce jour-là le Seigneur, le juste Juge (2 Tm 4,7-8). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 15

Aussi, voyez-le reconnaissant, d’une part, les fruits inappréciables qu’il fait dans la vie active ; de l’autre, pesant dans son coeur le bien de la théorie. Il met en quelque sorte sur un plateau de la balance le fruit de tant de labeurs, sur l’autre le délice de la contemplation divine. Puis, longtemps il s’efforce, dirait-on, d’amener à la rectitude parfaite son jugement intérieur. Car, d’un côté, le prix immense de ses travaux le réjouit; mais, de l’autre, le désir de l’unité et de l’inséparable société du Christ l’invite à quitter son corps. Enfin, dans son doute, il s’écrie : Que choisir ? Je l’ignore. Je me sens pressé des deux parts. J’ai le désir de voir se briser les liens de mon corps et d’être avec le Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur; mais il est plus utile que je demeure dans la chair à cause de vous (Phil 1,22-24). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5

Voilà comme il élève bien au-dessus des fruits de sa prédication ce bien suréminent. Et toutefois, devant la charité, sans laquelle on ne mérite point le Seigneur, il se décide à plier. En considération de ceux qu’il nourrit, comme pourrait le faire une mère, du lait de l’Évangile, il ne refuse pas la séparation d’avec le Christ, dommageable pour lui, mais nécessaire aux autres. Son excessive tendresse, l’incline à ce parti. Ne le pousse-t-elle pas à souhaiter, s’il était possible, le mal suprême de l’anathème pour le salut de ses frères : Je souhaiterais, d’être anathème du Christ pour mes frères, mes parents selon la chair, eux qui sont Israélites (Rm 9,3-4). C’est-à-dire : Je voudrais être voué, non seulement à des peines temporelles, mais à des peines éternelles, pour que tous les hommes, s’il se pouvait, jouissent de la compagnie du Christ; car je suis certain que le salut de tous est plus utile au Christ et à moi-même, que le mien propre. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5

Donc, afin d’obtenir le bien souverain, qui consiste à jouir de la vue de Dieu et rester perpétuellement uni au Christ, il souhaite de voir se briser les liens de son corps. Caduc comme il est, et empêché par les mille nécessités qui naissent de sa fragilité, il est impossible, en effet, que notre corps mortel ne soit quelquefois séparé de la société du Christ ? Il n’est pas jusqu’à l’âme elle-même, distraite par tant de soins, entravée de tant d’inquiétudes diverses autant que fâcheuses qui ne soit incapable de jouir sans cesse de la contemplation de Dieu. Quelle application si persévérante, quelle vie si austère, qui ne soit de temps en temps sujette aux illusions de l’insidieux et rusé adversaire ? S’est-il trouvé personne, passionné du secret de la solitude et appliqué à fuir le commerce des mortels, au point de ne jamais glisser dans les pensées superflues, ni déchoir, ou par la vue des choses d’ici-bas, ou par le souci des occupations terrestres, de la contemplation divine, qui seule est bonne ? Qui put jamais garder si bien la ferveur de l’esprit, que la pente trop facile de ses pensées ne l’ait parfois emporté loin de sa prière, et soudain précipité du ciel sur la terre ? À qui d’entre nous n’est-il pas arrivé, pour ne rien dire des autres moments de divagation, d’être saisi d’une sorte de stupeur et de tomber d’une chute profonde, à l’heure même qu’il élevait au ciel son âme pleine de supplications ? Offense involontaire, je l’accorde; c’était pourtant offenser Dieu, par où l’on pensait obtenir son pardon. – Qui est tellement exercé et vigilant, qu’il ne se laisse en aucune façon distraire du sens de l’Écriture, tandis qu’il chante un psaume à Dieu ? tellement entré dans l’intimité divine, qu’il puisse se réjouir d’avoir accompli un seul jour le précepte de l’Apôtre, de prier sans cesse ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5

Conscients désormais de l’inanité des forces humaines, pour atteindre, malgré le fardeau de la chair, à la fin désirée, de leur impuissance à s’unir selon le désir de leur coeur au Bien incomparable et souverain; des distractions qui les mènent captifs vers les choses de ce monde, loin de la contemplation divine : ils recourent à la Grâce de Dieu, qui justifie les impies (Rm 4,5), et protestent avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par notre Seigneur Jésus Christ. Ils sentent, en effet, qu’ils ne peuvent accomplir le bien qu’ils veulent; mais qu’ils tombent sans cesse dans le mal qu’ils ne veulent pas, qu’ils détestent, je veux dire dans l’agitation des pensées ou le souci des choses temporelles. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 10

De là vient que le bienheureux Apôtre, tout en confessant ouvertement cette inévitable nécessité de péché où lui et les autres saints se trouvent engagés, ne laisse pas de prononcer hardiment que pas un d’eux n’est damnable pour ce fait : Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus. Car la Loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort (Rm 8,1-2). C’est-à-dire : La Grâce que le Christ répand chaque jour sur tous ses saints, les absout, lorsqu’ils implorent la remise de leurs dettes, de cette loi du péché et de la mort à laquelle les assujettit sans cesse une involontaire fatalité. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 13

Car, quelles sortes de péchés pourraient-ils commettre, selon vous, dont la Grâce quotidienne du Christ dût les délivrer, s’ils s’y engageaient après le baptême ? De quel corps de mort faut-il penser que l’Apôtre a dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? N’est-il pas manifeste, comme la vérité vous a contraints de l’avouer à votre tour, qu’il ne s’agit point ici des péchés mortels, dont le prix est la mort éternelle : homicide, fornication, adultère, ivresse, vol, rapine; mais du corps de péché dont nous avons précédemment parlé, et auquel porte remède la Grâce quotidienne du Christ ? Tel, après avoir reçu le baptême et la science de Dieu, s’abandonne-t-il à l’autre corps de mort, celui des péchés graves : qu’il le sache, son crime ne sera pas effacé par la Grâce quotidienne du Christ, c’est-à-dire le pardon facile que le Seigneur accorde à notre prière, pour des erreurs sans conséquences; mais il devra subir les longues afflictions de la pénitence et de grandes peines expiatoires, à moins qu’il ne soit voué, dans la vie future, aux supplices du feu éternel. C’est le même apôtre qui le déclare : Ne vous y trompez point : ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les infâmes, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les calomniateurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu (1 Co 6,9-10). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Qu’est-ce que servir la loi du péché, sinon accomplir ce que le péché commande ? Mais quel est le péché, dont une sainteté aussi achevée que celle de l’Apôtre peut se sentir captive, sans douter pourtant que la Grâce du Christ ne la délivre ! Car il dit : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. Quelle sera, dis-je, à votre sens, cette loi dans nos membres, qui, en nous arrachant à la Loi de Dieu, pour nous captiver sous la loi du péché, fait de nous des malheureux, plutôt que des coupables ? Tellement, qu’au lieu d’être voués aux éternels supplices, nous soupirons seulement de voir s’interrompre la joie de notre béatitude, et nous écrions avec l’Apôtre, en quête d’un secours qui nous y rétablisse : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Être emmené captif sous la loi du péché, qu’est-ce autre chose que demeurer dans les actes du péché ? Or, quel est le bien par excellence que les saints ne peuvent accomplir, sinon celui au prix de quoi tous les autres cessent d’être des biens ? Certes, il existe, nous le savons, des biens multiples en ce monde, et avant tout, la chasteté, la continence, la sobriété, l’humilité, la justice, la miséricorde, la tempérance, la piété. Mais ils ne sauraient aller de pair avec ce bien souverain. D’autre part, ils sont à la portée, je ne dirai pas des apôtres, mais des âmes médiocres. Aussi bien, si ou ne les accomplit, on sera puni de l’éternel supplice on des labeurs d’une longue pénitence; mais il ne faut point espérer sa délivrance de la Grâce quotidienne du Christ. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Supposons un instant que, par cette loi des membres, ils se sentissent engagés en des crimes quotidiens : ce n’est pas la félicité qu’ils se plaindraient d’avoir perdue, mais l’innocence. L’Apôtre Paul ne dirait pas : Malheureux homme que je suis ! mais : Homme impur, scélérat que je suis ! Il ne souhaiterait pas la délivrance de ce corps de mort, c’est-à-dire de la condition mortelle, mais des hontes et des crimes de la chair. Or, au contraire, se voyant, de par l’humaine fragilité, tenu captif et entraîné vers les sollicitudes et les soins charnels, fruits de la loi du péché et de la mort, il gémit sur cette loi à laquelle il est soumis malgré lui et recourt sur-le-champ au Christ, dont la Grâce le sauve par une prompte délivrance. Tout ce que la loi du péché, racine féconde en épines et chardons de pensées et de soucis terrestres, vient à produire de sollicitudes au coeur de l’Apôtre, la Loi de la Grâce l’arrache sans tarder : Car, dit-il lui-même, la Loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort (Rm 8,2). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Aussi, le bienheureux Apôtre, afin d’exprimer évidemment qu’il avait parlé des saints, des parfaits, de ceux, en un mot, qui lui ressemblaient, poursuit immédiatement, comme s’il se désignait du doigt : Ainsi donc, moi-même… (Rm 7,25). Ce qui équivaut à dire : Moi qui vous parle de la sorte, ce ne sont pas les mystères de la conscience d’autrui, mais ceux de la mienne propre, que je prétends vous découvrir. Aussi bien, ce lui est une coutume familière de faire usage de locutions de ce genre, lorsqu’il veut se désigner spécialement : Moi Paul, je vous conjure par la mansuétude et la modestie du Christ (2 Co 10,1); et de nouveau : Si ce n’est que pour moi, je n’ai point voulu vous être à charge (Ibid., 12,13); ou : Eh bien, soit ! pour moi, je ne vous ai pas été à charge (Ibid., 16); ailleurs : C’est moi Paul qui vous le dis : si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien (Gal 5,2); aux Romains enfin : Je souhaiterais d’être moi-même anathème du Christ pour mes frères (Rm 9,3). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16

On peut même raisonnablement penser qu’il a voulu mettre un accent particulier, une sorte d’emphase dans sa manière de dire : Ainsi donc, moi-même, comme pour signifier : Moi que vous connaissez pour un Apôtre du Christ, que vous révérez en tout honneur et respect, que vous croyez si grand et si parfait, moi qui suis le porte-parole du Christ, je confesse que, servant la Loi de Dieu par l’esprit, je sers la loi du péché par la chair. Les distractions inhérentes à l’humaine condition, me forcent à descendre souvent du ciel sur la terre; et, des hauteurs où il aime a planer, mon esprit s’abîme au souci des choses basses et vulgaires. Loi du péché, qui, je le sens, me fait captif à tout moment : et, bien que mes désirs persévèrent dans leur direction immuable vers Dieu, je me vois impuissant à m’évader de cette captivité violente, à moins d’un incessant recours à la Grâce du Sauveur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16

Je rapprocherais cette parole : Voici que Tu T’es irrité, et nous avons péché, de celle de l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Ce que le prophète ajoute : Nous fûmes toujours dans nos péchés, mais nous serons sauvés, s’accorde bien aussi à la suite de saint Paul : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur. De même, ce passage du prophète : Malheur à moi ! Je suis un homme aux lèvres impures et j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures, paraît comme un écho de ce que nous avons entendu tout à l’heure : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? – Enfin, quand le prophète continue : Et voici que l’un des séraphins vola vers moi, et dans sa main était un charbon (ou une pierre) de feu, qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel; et il en toucha ma bouche, et il dit : Vois, avec ceci j’ai touché tes lèvres, et ton iniquité va être ôtée, ton péché effacé (Is 6,6-7); lorsque, dis-je, le prophète parle de la sorte, ne croirait-on pas entendre saint Paul, qui dit de son côté : La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 17

Aussi l’apôtre privilégié entre tous, celui que Jésus aimait, a-t-il, en reposant sur la poitrine de son Maître, tiré, pour ainsi dire, du Coeur divin cette parole : Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous (1 Jn 1,8). Et si, quand nous disons que nous sommes sans péché, nous n’avons pas en nous la Vérité, c’est-à-dire le Christ, que gagnons-nous par cette profession, sinon que de pécheurs nous nous rendons publiquement criminels et impies ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 19

Ici je commence, par une Faveur du Christ, la vingt-quatrième conférence, qui est de l’abbé Abraham. Elle clôt les enseignements et préceptes des anciens. Lorsque, par vos prières, je l’aurai achevée, je m’estimerai quitte de toutes mes promesses, ayant rempli ce nombre de vingt-quatre, qui est dans un rapport mystique avec les vingt-quatre vieillards de la sainte Apocalypse, offrant leurs couronne, à l’Agneau. Si nos vingt-quatre anciens (Apo 4,4) méritent quelque couronne de gloire pour leur belle doctrine, ils l’offriront aussi, le front dans la poussière, à l’Agneau qui a été immolé en vue du salut du monde. C ‘est lui qui a daigné départir, pour l’honneur de son Nom, à eux un sens si excellent, et à moi un style quelconque, afin d’exprimer de telles profondeurs : il faut rapporter à l’Auteur de tout bien le mérite de ses Dons. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 1

Et l’abbé Apollon : Ignorez-vous qu’il y a vingt ans que je suis mort à ce monde, et que, du tombeau de cette cellule, je ne puis vous être d’aucun secours pour ce qui regarde la vie présente. Le Christ pourrait-il souffrir la moindre trêve à la vie de mortification que j’ai embrassée, pour vous aider à retirer votre boeuf ? Il n’a pas accordé un moment de délai pour la sépulture d’un père, qui était un office beaucoup plus prompt, plus digne, plus religieux ! Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 9

Pour vous, si vous brûlez d’un amour véritable et parfait pour notre Seigneur, et suivez Dieu, qui est charité (cf. 1 Jn 4,16), avec une ferveur entière, fuyez en tels lieux inaccessibles qu’il vous plaira, les hommes fatalement vous y viendront trouver; et plus l’ardeur du divin amour vous mettra près de Dieu, plus grande sera la multitude des saints qui affluera vers vous. C’est la parole du Christ : Une ville située sur une montagne ne peut être cachée (Mt 5,14). Ceux qui M’aiment, dit le Seigneur, Je les glorifierai; mais ceux qui Me méprisent seront sans honneur (1 Rois 2,30). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 19

GERMAIN. – Puisque vous avez si bien apporté remède à toutes nos illusions, et que votre doctrine a su démasquer les tromperies diaboliques qui nous agitaient si violemment, nous vous prions de nous expliquer encore ce mot de l’Évangile : Mon joug est doux, et mon fardeau léger. Car il paraît assez opposé à ce que dit le prophète : À cause des paroles de tes Lèvres, j’ai gardé des voies dures (Ps 106,4). D’autant que l’Apôtre lui-même déclare : Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ Jésus, auront à souffrir persécution (2 Tm 3,12). Ce qui est dur et semé de persécutions, ne peut être léger ni suave. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 22

La parole de notre Seigneur et Sauveur est parfaitement vraie : le témoinage de l’expérience peut nous en fournir une preuve facile. Il suffit d’entrer dans le chemin de la perfection de la manière qui convient et comme le Christ le veut, – de mortifier tous nos désirs et retrancher nos volontés mauvaises, – de ne point souffrir qu’il nous reste rien des biens de ce monde, qui donnerait prise au démon pour nous dévaster et déchirer selon soit bon plaisir, – plus encore, de comprendre que nous ne sommes point maîtres de nous-mêmes, et d’accomplir en vérité l’oracle de l’Apôtre : Je vis, non pas moi, c’est le Christ qui vit en moi (Gal 2,20). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 23

Que peut-il y avoir de pénible, que peut-il y avoir de dur pour celui qui a embrassé le joug du Christ de toute son âme, et qui, affermi dans la vraie humilité, le regard toujours attaché aux souffrances du Christ, parmi toutes les injures qui lui sont faites se réjouit et dit : C’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les opprobres, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les détresses pour le Christ; car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (2 Co 12,10). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 23

Quelle atteinte à son patrimoine fera souffrir celui qui, glorieux de son parfait dénuement, a rejeté volontairement pour le Christ toutes les pompes de ce monde, et regarde toutes ses convoitises comme de l’ordure, afin de gagner le Christ (cf. Phil 3,8); qui méprise et écarte de son coeur toute angoisse que lui pourrait donner la perte de ses biens, par la méditation continuelle qe ce précepte évangélique : Que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? Ou qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ? (Mt 16,26). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 23

Quel labeur, quel ordre, si dur qu’il soit, de son ancien pourra troubler dans sa tranquillité de coeur celui qui, n’ayant point de volonté propre, va au-devant de tout ce qui lui est commandé, non seulement avec patience, mais avec joie; qui, à l’exemple de notre Sauveur, ne cherche pas à faire sa volonté, mais celle du Père, lui disant à son tour : Non pas comme je veux, mais comme Tu veux. (Mt 26,39) ?Quelles injures, quelle persécution pourront effrayer, mais plutôt quel supplice pourra ne pas réjouir celui qui, parmi les coups, sans cesse avec les apôtres exulte et souhaite d’être jugé digne de souffrir l’opprobre pour le Nom du Christ (cf. Ac 5,41) ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 23

Que si le joug du Christ ne nous paraît, au contraire, ni léger, ni suave, il n’est que juste de l’attribuer à notre résistance opiniâtre. La défiance et le manque de foi nous ôtent tout ressort. Ensuite, par quel prodige de déraison ! nous luttons contre le commandement, ou plutôt le conseil qui dit : Si tu veux être parfait, va, vends (ou abandonne) tout ce que tu as; puis, viens et suis-Moi (Mt 19,21). C’est-à-dire que nous voulons garder les biens de la terre. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 24

Serviteurs bons et fidèles, prenez sur vous le joug du Seigneur, et apprenez de Lui qu’Il est doux et humble de coeur. Alors, déposant en quelque sorte le fardeau des passions terrestres, vous trouverez, par le Don de Dieu, non point la peine, mais le repos pour vos âmes. Il l’atteste par son prophète Jérémie : Tenez-vous sur les routes, et voyez; interrogez sur les sentiers d’autrefois, quelle est la voie du salut, et suivez-la; et vous trouverez le repos pour vos âmes (Ibid., 6,16). En vous aussitôt, les chemins tortueux seront redressés, les raboteux seront aplanis (Is 40,4). Vous goûterez et verrez que le Seigneur est bon (Ps 33,9). À la parole du Christ, dans l’Évangile : Venez à Moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et Je vous soulagerai (Mt 11,28), vous déposerez le poids écrasant de vos vices; puis, vous comprendrez les paroles qui suivent : Parce que mon Joug est doux, et mon fardeau léger (Ibid. 30). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 25

Combien plus croyable et plus manifeste notre opinion ! Quiconque, à la Voix du Christ, méprisera quelque affection ou richesse terrestre, ses frères par la vocation, qu’un lien spirituel unit avec lui, lui rendront dès cette vie un amour cent fois plus doux. L’amour, en effet, que l’alliance ou le sang créent ici-bas entre les parents et les enfants, entre les frères, les époux, les proches, se montre fragile et de courte durée. Lorsque les enfants ont grandi, il arrive qu’ils soient exclus, même bons et dévoués, de la demeure et de la fortune paternelle; le lien conjugal est parfois rompu, et pour des motifs honnêtes, on voit les divisions et les procès partager le bien des frères. Seuls les moines persévèrent jusqu’à la fin dans leur étroite union, et possèdent toutes choses en indivis. Chacun regarde comme sien ce qui est à ses frères, et comme étant à ses frères ce qui lui appartient à lui-même. Si donc l’on compare aux affections qui naissent des liens charnels, la beauté d’une telle dilection, elle est assurément cent fois plus douce et plus haute. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26

Et, pour rendre la chose plus évidente, à force de la répéter, tel aimait son épouse avec les emportements de la convoitise (cf. 1 Thess 4,5); il l’aime maintenant dans l’honneur de la sainteté et la vraie dilection du Christ : c’est la même et unique épouse, mais le prix de l’amour s’est élevé au centuple. Mettez encore en balance le trouble de la colère et de la fureur avec la constante douceur de la patience; le tourment des soucis et des préoccupations avec le repos de la tranquillité; la tristesse infructueuse du siècle présent, toute en souffrance, avec le fruit de la tristesse qui opère le salut : la vanité des satisfactions temporelles avec l’abondance de la joie spirituelle et, dans un tel échange, le centuple vous apparaîtra manifestement. De même, si l’on compare à la brève et fuyante volupté des vices le mérite de la vertu contraire, le bonheur se multiplie singulièrement de l’une à l’autre : preuve évidente que le prix de la vertu est aussi cent fois supérieur. Le nombre 100 s’obtient, en effet, en passant de la main gauche à la main droite; et bien que la figure formée par les doigts soit identique, la quantité signifiée a pourtant énormément grandi. À gauche, nous étions parmi les boucs; en passant à droite, nous sommes élevés au rang des brebis. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26

Mais considérons maintenant la quantité, dans ces mêmes biens que le Christ nous rend dès ce monde, pour avoir méprisé des avantages temporels. Le texte de saint Marc surtout nous invite : Il n’est personnne qui aura quitté une maison, ou des frères, ou des soeurs, ou une mère, ou un père, ou des enfants, ou des champs à cause de moi et de l’Évangile, qui ne reçoive maintenant, en ce temps, cent fois autant de maisons, de frères, de soeurs, de mères, d’enfants, de champs, avec des persécutions, et, dans le siècle à venir, la vie éternelle (Mc 10,29-30). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26

En effet, quiconque renonce, pour le Nom du Seigneur, à l’amour d’un père, d’une mère, d’un fils, pour entrer dans la vraie et pure dilection de tous les serviteurs du Christ, reçoit cent fois plus de frères et de parents. Car, au lieu d’un seul père, d’un seul frère, il en a dorénavant une multitude, et qui lui sont attachés par une affection bien plus ardente et plus haute. Il voit également se multiplier ses maisons et ses champs, celui qui, ayant abandonné pour l’amour du Christ une seule demeure, possédera comme en propre d’innombrables monastères; et, en quelque partie du monde que ce soit, il y entrera, comme s’il en était le maître. – Comment ne reçoit-il pas aussi le centuple, et, s’il est permis d’ajouter à la Parole de notre Seigneur, plus que le centuple, celui qui, renonçant aux services peu sûrs et contraints de dix ou vingt esclaves, se voit prévenu de bons offices par tant de personnes libres et de noble origine ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26

Enfin, pour clore cette conférence, est-ce que les fidèles serviteurs du Christ ne sont pas encore payés de retour au centuple, lorsque les plus hauts princes de la terre les honorent à cause de son Nom ? Certes, ce n’est pas qu’ils recherchent eux-mêmes la gloire humaine. Et néanmoins, ils sont en respect aux juges et aux puissants, jusque parmi les extrémités de la persécution. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26

Peut-être l’obscurité de leur naissance ou leur condition servile les eussent-elles rendus méprisables pour leur bassesse, même aux yeux de la classe moyenne, s’ils étaient restés dans la vie séculière. Mais la milice du Christ les a anoblis. Et personne n’ose plus soulever de critiques sur leur rang social, personne n’ose leur opposer la petitesse de leur origine. Bien plus, le misérable appareil d’une condition basse, qui est à confusion et déshonneur au reste des hommes, devient un nouveau titre de noblesse et de gloire pour les serviteurs du Christ. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26

C’est ce que nous pouvons constater avec évidence pour l’abbé Jean, qui demeure dans le désert contigu à la ville de Lyco. Né de parents fort obscurs, le nom du Christ l’a rendu admirable quasi à tout le genre humain. Les maîtres de la terre, qui détiennent l’empire et le gouvernement de ce monde, devant qui tremblent les puissants eux-mêmes et les rois, le vénèrent comme leur seigneur, envoient réclamer de si loin ses oracles, et confient à ses prières la souveraineté de leur empire, leur vie et le succès des batailles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26