Cassiano: charité

La charité, dès lors, me faisait violence. J’ai eu souci du désir de l’un et des fatigues de l’autre; je ne me suis point dérobé à la tâche redoutable d’écrire sur un tel sujet, souhaitant seulement que l’autorité du premier s’en trouve grandie auprès de ses fils, et que soit évité au second un voyage si plein de périls. Les Conférences: PRÉFACE 1

L’élection d’un évêque l’avait amené ce jour-là à Thennesus. Il nous reçut avec toutes les marques de la plus tendre charité. Puis, lorsqu’il connut notre désir d’aller, visiter les pères jusque dans les provinces les plus reculées de l’Égypte. «Venez, nous dit-il, venez en attendant voir les vieillards qui habitent non loin de notre monastère. Leur grand âge paraît à leur taille déjà penchée, et la sainteté éclate rien que dans leur aspect. Leur seule vue vaut pour ceux qui en jouissent de longs enseignements. Le divin secret que j’ai laissé échapper, hélas ! et ne puis vous communiquer maintenant qu’il est perdu pour moi, ils vous l’apprendront moins par leurs paroles que par l’exemple de leur sainte vie. Puissé-je par ce soin compenser de quelque manière mon indigence ! Si je n’ai pas la pierre précieuse de l’Évangile, que vous cherchez, je veux du moins vous fournir le moyen de vous la procurer plus aisément.» Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 2

Il y a trois choses, dit alors le bienheureux Cheremon, qui retiennent l’homme de s’abandonner au vice : la crainte de l’enfer ou des lois terrestres, l’espérance et le désir du royaume des cieux, l’affection du bien pour lui-même et l’amour des vertus. Nous lisons, en effet, que la crainte exècre la souillure du mal : «La crainte du Seigneur hait le mal.» (Pro 8,13). L’espérance aussi ferme l’entrée du coeur au vice, quel qu’il soit : «Ceux qui espèrent en Lui ne pécheront point.» (Ps 33,23). L’amour enfin n’a pas à redouter la ruine du péché, parce que «la charité ne passe point», (1 Cor 13,8) «elle couvre la multitude des péchés». (1 Pi 4,8). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 6

De vrai, c’est la foi qui fait éviter la souillure du vice par crainte du jugement futur et des éternels supplices; c’est l’espérance qui rappelle notre esprit des choses présentes et, dans l’attente des célestes récompenses, méprise tous les plaisirs du corps; c’est la charité qui, nous enflammant d’une sainte ardeur à l’amour du Christ et à cueillir le fruit des vertus spirituelles, nous inspire une aversion suprême pour tout ce qui leur est contraire. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 6

Et nous aussi, hâtons-nous de monter, par la grâce d’une indissoluble charité, à ce troisième degré des fils, qui regardent comme étant à soi tout ce qui appartient à leur père; méritons de recevoir en nous l’image et la ressemblance de notre Père des cieux. Alors, à l’imitation du Fils véritable, nous pourrons proclamer : «Tout ce qu’a mon Père est à moi.» (Jn 16,15). Paroles dont le bienheureux Apôtre se faisait l’écho, lorsqu’il disait : «Tout est à vous, et Paul, et Apollo, et Céphas, et le monde, et la vie, et la mort, et les choses présentes, et les choses à venir : tout est à vous.» (1 Cor 3,22). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 7

C’est le précepte même du Seigneur qui nous invite à cette ressemblance avec le Père : «Soyez parfaits, dit-il, comme votre Père céleste est parfait.» (Mt 5,48). Dans les degrés inférieurs, l’amour du bien s’interrompt quelquefois, lorsque la tiédeur, le contentement ou le plaisir viennent détendre la vigueur de l’âme, et font perdre de vue, sur le moment, la crainte de l’enfer ou le désir du bonheur futur. Ils constituent néanmoins comme des échelons dans le progrès, un apprentissage. Après avoir évité le vice, au commencement, par crainte du châtiment ou l’espoir de la récompense, il nous devient possible de passer au degré de la charité, où la crainte ne se trouve plus : «Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour bannit la crainte : car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour. Nous donc aimons Dieu, parce qu’il nous a aimés le premier.» (1 Jn 4,18-19). Nul autre chemin, pour nous élever à la perfection véritable : comme Dieu nous a aimés le premier sans égard à rien d’autre que notre salut, ainsi devons nous l’aimer uniquement pour son amour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 7

Efforçons-nous donc avec une ardeur entière de monter de la crainte à l’espérance, de l’espérance à la charité de Dieu et à l’amour des vertus. Allons nous établir dans l’affection du bien pour lui-même, et demeurons-y attachés immuablement, autant qu’il est possible à l’humaine nature. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 7

Un homme n’éteint en soi les flammes du vice que par peur de la géhenne ou l’espoir de la rétribution future. Cet autre se détourne avec horreur du mal et de l’impureté mêmes dans le sentiment de la divine charité. Il possède le bien de la pureté par le seul amour et désir de la chasteté. Ses yeux ne cherchent pas dans l’avenir la récompense promise, mais la conscience qu’il a du bien déjà présent lui est un profond délice. Il n’a jamais égard au châtiment, et n’agit que pour le bonheur qu’il trouve en la vertu. Entre les deux, la différence est grande. Le second, quand bien même il serait sans témoin, n’abusera pas de l’occasion, non plus qu’il ne laissera profaner son âme par les complaisances secrètes des pensées mauvaises. L’amour de la vertu a pénétré ses moelles; et loin qu’il donne accueil en son âme aux influences contraires, tout son être se soulève pour les rejeter. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8

La confiance au secours divin nous méritera ces dispositions, non la présomption que nous pourrions concevoir de nos propres efforts. L’âme qui, les possède sort de la condition servile, caractérisée par la crainte, et du désir mercenaire de l’espérance, qui s’attache à la récompense plus qu’à la bonté de Celui qui la donne, pour passer à l’adoption des fils, où la crainte ne se trouve plus, ni le désir, mais où règne à jamais la charité qui ne meurt pas. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9

Mais quiconque est parvenu par la charité à l’image et ressemblance divine, se plaît dorénavant au bien lui-même à cause du plaisir qu’il y trouve. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9

Le bienheureux Jean avait conscience d’être arrivé à cet état, lorsqu’il disait : «La perfection de l’amour en nous, c’est que nous ayons une confiance assurée au jour du jugement, parce que tel est Jésus Christ, tels nous sommes aussi dans ce monde.» (1 Jn 4,17). Comment la nature humaine, faible et fragile comme elle est, peut-elle espérer d’être telle que le Seigneur, si ce n’est en étendant aux bons et aux méchants, aux justes et aux injustes, la charité toujours tranquille de son coeur, à l’imitation de Dieu, et en faisant le bien pour l’amour du bien lui-même ? Puisque ce sont justement ces dispositions qui la font parvenir à l’adoption véritable des fils de Dieu, de laquelle le même apôtre déclare : «Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui; et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu»; (Ibid. 3,9). «Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point, mais la naissance qu’il a reçue de Dieu le conserve pur, et le Malin ne le touche pas.» (Ibid.; 5,18). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9

Que la perfection de la charité consiste à prier pour ses ennemis, et à quel signe se reconnaît l’âme qui n’est pas encore purifiée Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 10

C’est aussi bien la marque évidente d’une âme non purifiée encore de la lie des vices, que les fautes du prochain ne trouvent chez elle, au lieu de la miséricorde et de la compassion, que l’appréciation rigide d’un juge. Comment atteindre à la perfection du coeur, si l’on n’a ce qui consomme, au dire de l’Apôtre, la plénitude de la loi : «Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez la loi du Christ,» (Gal 6,2) si l’on ne possède cette vertu de charité qui «ne s’irrite, ni ne s’enfle, ni ne pense le mal, qui souffre tout, supporte tout» ? (1 Cor 13,4-7). Car «le juste a pitié des bêtes qui sont à lui, mais les entrailles des impies sont sans miséricorde.» (Pro 12,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 10

C’est dans ce sens qu’il faut prendre mes paroles. Je n’entends pas dire que la considération des peines éternelles ou de la bienheureuse rétribution promise aux saints, ne soit de nulle valeur. Elle est utile, au contraire, puisqu’elle introduit ceux qui s’y donnent dans les premiers degrés de la béatitude. Mais la charité rayonne d’une confiance plus pleine et déjà de la joie sans fin. S’emparant d’eux à son tour, elle les fera passer de la crainte servile et de l’espérance mercenaire à la dilection de Dieu et à l’adoption des fils. Si l’on peut ainsi parler, de parfaits qu’ils étaient, elles les rendra plus parfaits encore. «Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père,» (Jn 14,2) dit le Sauveur. Tous les astres brillent au ciel; toutefois, entre l’éclat du soleil, de la lune, de Vénus et des autres étoiles, il y a bien de la distance. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 12

Aussi le bienheureux Apôtre préfère-t-il la charité, non seulement à la crainte et à l’espérance, mais à tous les charismes, si grands et si merveilleux dans l’estime des hommes; et il la montre comme la voie excellente entre toutes sans comparaison. Après avoir achevé la liste des charismes spirituels, il se propose de décrire les manifestations diverses de la charité. Or, voici comme il commence : «Aussi bien, je vais vous montrer une voie excellente entre toutes. Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, que j’aurais le don de prophétie, connaîtrais tous les mystères et posséderais toute science; quand j’aurais la foi jusqu’à transporter les montagnes, que je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres et livrerais mon corps aux flammes : si je n’ai l’amour, tout ne me sert de rien.» (1 Cor 12,31). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 12

Rien de plus précieux, vous le voyez, rien de plus parfait, de plus sublime et, pour ainsi parler, de plus éternel que la charité. «Les prophéties, elles seront abolies; les langues, elles cesseront; la science, elle prendra fin. Mais l’amour ne passera jamais.» (Ibid. 13,8). Sans elle, les charismes les plus excellents, la gloire même du martyre se dissipent comme une fumée. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 12

Fondé dans la charité parfaite, on s’élèvera nécessairement à un degré plus excellent encore et plus sublime, qui est la crainte d’amour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 13

Ainsi, la distance est considérable entre la crainte à quoi rien ne manque, trésor de la sagesse et de la science, et la crainte imparfaite. Celle-ci n’est que «le commencement de la sagesse», (Ps 110,10) et, supposant un châtiment, se voit bannir du coeur des parfaits, lorsque survient la plénitude de la charité : car «il n’y a point de crainte dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte.» (1 Jn 4,18). De fait, si le commencement de la sagesse est dans la crainte, où sera sa perfection, si ce n’est dans la charité du Christ, laquelle comprend en soi la crainte de dilection parfaite, et mérite pour ce fait d’être appelée, non plus le commencement, mais le trésor de la sagesse et de la science ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 13

Donc il y a dans la crainte deux degrés. Le premier se remarque chez les commençants, qui tremblent encore servilement sous le joug. C’est d’eux qu’il est dit : «Le serviteur craindra son maître;» (Mal 1,6) et, dans l’Évangile : «Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son, maître.» (Jn 15,14). Il est dit encore ailleurs, comme une suite de cet état : «L’esclave ne demeure pas toujours dans la maison; mais le fils y demeure toujours.» L’Écriture veut par là nous persuader de passer de la crainte du châtiment à la pleine liberté de la charité, et à la confiance qui est le propre des amis et des fils. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 13

Écoutez encore le bienheureux Apôtre. Il a dépassé jadis, par la vertu de la charité divine, ce degré de la crainte servile. Et maintenant, il proclame, avec une sorte de mépris pour cette vertu inférieure, qu’il a été enrichi de dons plus magnifiques : «Ce n’est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de force, d’amour et de modération.» (2 Tim 1,7). Puis, il exhorte ceux qui brûlent pour le Père céleste de la dilection parfaite, et que l’adoption divine d’esclaves a rendus fils : «Vous n’avez pas reçu un Esprit de servitude, pour être encore dans la crainte; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, en qui nous crions : Abba ! Père !» (Rom 8,15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 13

C’est logique. Ne faisant qu’un avec la charité qui ne passera jamais, non seulement il remplit, mais il possède inséparablement et pour toujours celui dont il s’est emparé, sans que les complaisances de la joie ou des plaisirs d’ici-bas le puissent diminuer : ce qui arrive plus d’une, fois à la crainte que bannit l’amour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 13

GERMAIN. — Vous nous avez entretenus de la charité parfaite; nous voudrions maintenant vous interroger librement sur la chasteté consommée. Car nous ne doutons pas que ces hauteurs sublimes d’amour, par où l’on s’élève, ainsi que vous l’avez montré jusqu’à présent, à l’image et ressemblance divine, ne puissent en aucune façon exister sans la perfection de la chasteté. Mais cette vertu peut-elle être si constante, que l’intégrité de notre coeur n’ait jamais à souffrir des séductions de la concupiscence ? Vivant dans la chair, pouvons-nous rester si éloignés des passions charnelles, que nous n’en ressentions jamais les atteintes ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 14

CHEREMON. — Ce serait la marque de la plus haute béatitude et d’un mérite singulier, de s’entretenir constamment de la charité qui nous unit au Seigneur, soit pour l’apprendre, soit pour l’enseigner. Nos jours et nos nuits, selon le mot du psalmiste, se consumeraient à la méditer; et nos âmes, dévorées d’une faim et d’une soif insatiables de la justice se nourriraient sans cesse de ce céleste aliment. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 15

Lorsqu’il fut fini, le vieillard s’aperçut que nous attendions sur l’heure l’accomplissement de sa promesse : «Je vous sais gré, dit-il, du transport où vous met la passion d’apprendre. Mais je n’éprouve pas un moindre contentement à voir la logique qui se marque en vos discours. L’ordre que vous observez dans votre question est, en effet, celui même de la raison. La plénitude d’une charité si sublime appelle nécessairement l’infinie récompense d’une parfaite et indéfectible chasteté. Il y a là deux palmes étonnamment semblables, deux joies soeurs; et si étroite est l’alliance qui les unit, qu’il est impossible de posséder l’une sans l’autre. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 1

L’Apôtre, en le citant, veut nous instruire sans aucun doute à rejeter tout désir du bien d’autrui; mieux encore, à mépriser d’un coeur magnanime nos biens propres, comme nous lisons, dans les Actes, que fit la multitude des fidèles : «La multitude des fidèles n’avait qu’un coeur et qu’une âme, nul ne disait sien ce qu’il possédait, mais tout était commun entre eux… Tous ceux qui possédaient terres ou maisons, les vendaient et en, mettaient le prix aux pieds des apôtres; on le distribuait ensuite à chacun, selon qu’il en avait besoin.» (Ac 4,32-34). Et, pour que l’on ne croie pas que cette perfection reste l’apanage du petit nombre, il atteste que la cupidité est une idolâtrie. Rien de plus juste. Ne pas secourir l’indigent dans ses nécessités; faire passer les préceptes du Christ après son argent, que l’on conserve avec la ténacité de l’infidèle : c’est bien tomber en effet dans le crime de l’idolâtrie, puisque l’on préfère à la charité divine l’amour d’une chose créée. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 2

D’autres se plaisent au service de charité qui se rend aux étrangers dans les hôpitaux. C’est par cette vertu de l’hospitalité qu’autrefois déjà le patriarche Abraham et Loth plurent au Seigneur, et récemment le bienheureux Macaire. Cet homme, d’une mansuétude et d’une patience singulières, dirigea un hospice à Alexandrie. Il le fit de telle manière, qu’on ne doit le regarder comme inférieur à aucun des amants de la solitude. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 4

Ceux-ci ont préféré le soin des malades; ceux-là se sont entremis pour les misérables et les opprimés; les uns s’appliquèrent à l’enseignement; les autres, à distribuer des aumônes aux pauvres. Et tous ont brillé parmi les plus grands et les plus saints, pour leur éminente charité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 4

Oui, si vous voulez parvenir à la science véritable des Écritures, fondez-vous d’abord inébranlablement dans l’humilité du coeur. C’est elle qui vous conduira, non à la science qui enfle, mais à celle qui illumine, par la consommation de la charité. Il est impossible encore une fois que l’âme qui n’est pas pure obtienne le don de la science spirituelle. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 10

Le bienheureux Apôtre aussi nous enseigne, pour parvenir à la science, l’ordre que nous avons dit. Voulant un jour dresser la liste complète de ses vertus, et tout à la fois en expliquer la suite, c’est-à-dire marquer l’origine et la descendance de chacune d’elles, il ajoute après quelques mots : «Dans les veilles et les jeûnes, par la chasteté, par la science, par la longanimité, par la bonté, par l’Esprit saint, par une charité sincère.» (2 Cor 6,5-6). Cette manière de rattacher l’une à l’autre les vertus, prétend évidemment nous apprendre que l’on va des veilles et des jeûnes à la chasteté, de la chasteté à la science, de la science à la longanimité, de la longanimité à la bonté, de la bonté à l’Esprit saint, de l’Esprit saint à la récompense d’une charité sincère. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 16

Telle est la science pratique, que l’Apôtre appelle d’un autre nom la charité, et que son autorité nous enseigne à préférer à toutes les langues des hommes et des anges, à la plénitude de foi capable de transporter même les montagnes, à toute science et prophétie, à l’abandon de tous nos biens, enfin au glorieux martyre lui-même. Après avoir énuméré tous les genres de charismes : «À l’un est donnée par l’Esprit une parole de sagesse, à l’autre, une parole de science, à un autre la foi, à un autre le don de guérison, à un autre la puissance d’opérer des miraclesÉ» il va parler de l’amour. Or, remarquez dans un seul mot comme il la met au-dessus de tous les charismes : «Aussi bien, dit-il, je vais vous montrer une voie excellente entre toutes.» (1 Cor 12,8-10). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 2

Voilà qui prouve à l’évidence que la somme de la perfection et de la béatitude ne consiste pas à opérer des merveilles, mais dans la pureté de la charité. Et non sans cause. Car les premières sont destinées à s’évanouir dans le néant, tandis que la charité demeure à jamais. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 2

Ainsi, cette vertu, cette grâce singulière serait peut-être demeurée toujours cachée, pour autant qu’il dépendait de lui, si la nécessité de toute une province en péril, et sa dévotion entière, son amour sincère pour le Seigneur ne l’eussent poussé à faire ce miracle. Car, certes, il ne le fit pas par ostentation de vaine gloire; mais la charité du Christ et l’utilité de tout le peuple le lui arracha. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 3

Si l’on vient à faire en notre présence quelqu’un de ces prodiges, ce n’est pas cette merveille qui rendra son auteur estimable à nos yeux, mais seulement la beauté de sa vie. Nous ne chercherons pas si les démons lui sont soumis, mais s’il possède la charité avec les manifestations diverses que l’Apôtre énumère. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 7

Le troisième procédé consiste à se persuader que tout, même ce que l’on estime vraiment utile, doit passer après le bien de la paix et de la charité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 6

Si l’on tient fermement ces principes, il est impossible de ressentir soi-même ou de causer chez les autres l’amertume de la colère et de la discorde. Viennent-ils, au contraire, à être négligés, l’ennemi de la charité versera insensiblement dans le coeur des amis le poison de la tristesse. Dispute sur dispute, la dilection, par une suite nécessaire, se refroidira peu à peu; tant qu’enfin la rupture se fasse complète entre des coeurs dès longtemps ulcérés. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 6

Aussi ne servirait-il de rien, pour conserver une éternelle et indivisible charité, de retrancher la premier cause de dissentiment, qui vient habituellement des choses caduques et terrestres, de mépriser tout ce qui est charnel, et de permettre indifféremment à tous les frères l’usage des objets qui nous sont le plus nécessaire; si nous n’ôtions aussi la seconde, qui surgit de la diversité des opinions, et ne prenions soin d’acquérir en tout, avec l’humilité de l’esprit, une volonté à l’unisson de celle d’autrui. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 9

Il est impossible d’éviter ce malheur, si l’on se lie à son propre sens. Mais il faut aimer et pratiquer la vraie humilité; il faut remplir, avec un coeur contrit, le voeu si pressant de l’Apôtre : «S’il est quelque consolation dans le Christ, s’il est quelque douceur et soulagement dans la charité, s’il est quelque tendresse et compassion, rendez ma joie parfaite; ayez une même pensée, un même amour, une même âme, un même sentiment; ne faites rien dans un esprit de contention ni par vaine gloire; mais tenez-vous en toute humilité pour supérieurs les uns aux autres.» (Phil 2,13). Il dit encore : «Prévenez-vous d’honneur les uns les autres.» (Rom 12,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 11

Que la charité n’est pas seulement une chose divine, mais Dieu Lui-même. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 13

L’Écriture exalte merveilleusement la charité. Le bienheureux apôtre Jean va jusqu’à proclamer, non seulement qu’elle est chose de Dieu, mais qu’elle est Dieu Lui-même : «Dieu, dit-il, est amour; et quiconque demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui.» (1 Jn 4,16). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 13

Il existe une charité générale qu’il est possible de rendre à chacun. C’est d’elle que le bienheureux Apôtre dit : «Durant que nous en avons le temps, pratiquons le bien envers tous, principalement envers nos frères dans la foi.» (Gal 6,10). Nous la devons à tous sans exception, tellement que le Seigneur nous fait un commandement de la témoigner même à nos ennemis : «Aimez, dit-il, vos ennemis.» (Mt 5,44). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 14

Mais pour la charité d’affection, nous ne la rendons qu’à un très petit nombre, à ceux-là seulement qui nous sont unis par la ressemblance des moeurs ou la société des vertus. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 14

On voit bien, par exemple, que l’amour des parents pour leurs enfants n’est pas uniforme. Le patriarche Jacob nous en fournit une preuve. Père de douze fils, il les aimait tous d’une charité vraiment paternelle. Il ressentait cependant un penchant tout particulier pour Joseph, de qui l’Écriture déclare ouvertement : «Ses frères le jalousaient, parce que son père l’aimait.» (Gen 37,4). Non que ce juste, ce vrai père ne chérît aussi grandement ses autres enfants; mais il avait plus de douceur et de complaisance à se reposer dans son affection pour celui-ci, comme portant dans sa personne la figure du Seigneur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 14

Nous lisons que Jean l’évangéliste fut l’objet d’une semblable préférence : rien de plus clair que les paroles qui le désignent comme «le disciple que Jésus aimait.» (Jn 13,23). Certes, le Seigneur enveloppait également les onze autres, qu’il avait choisis aussi bien que lui, d’une véritable prédilection. Il l’atteste Lui-même dans l’Évangile,lorsqu’Il dit : «Comme Je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.» (Jn 13,34). Et c’est d’eux encore qu’il est écrit dans un autre endroit : «Aimant les siens qui étaient dans le monde, Il les aima jusqu’à la fin.» (Jn 13,1). Ainsi, la particulière dilection qu’il montra pour le seul saint Jean, ne signifie point que sa charité fût tiède à l’égard des autres; mais seulement que la surabondance de son amour s’épanchait plus largement sur celui-ci, parce que le privilège de sa virginité et sa parfaite intégrité le lui rendaient aussi plus aimable. C’est précisément pourquoi l’Évangile marque cette effusion comme plus sublime et exceptionnelle; car ce n’est pas le contraste de la haine qui la relève tant, mais la grâce plus abondante d’un débordant amour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 14

Nous trouvons encore quelque chose de pareil, au Cantique des Cantiques, sur les lèvres de l’Épouse : «Ordonnez en moi, dit-elle, l’amour.» (Can 2,4). Or, la charité vraiment ordonnée est celle qui, n’ayant de haine pour personne, en aime toutefois quelques-uns par préférence, à cause de leurs mérites. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 14

À l’opposé de cette charité, nous avons reconnu chez quelques frères — et plût au ciel que de tels faits nous fussent restés ignorés ! — une obstination et une dureté singulières. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 15

Une multitude énorme était venue pour saisir le Seigneur, avec des épées et des bâtons. Or, personne ne fut plus cruellement parricide contre l’Auteur de notre vie que le traître Judas, qui, prévenant tous les autres afin de lui offrir, en le saluant, un hypocrite hommage, lui donna le baiser d’une charité perfide. Et le Seigneur lui dit : «Judas, tu livres le Fils de l’homme par un baiser ? » (Lc 22,48) c’est-à-dire : Pour couvrir l’amertume de la persécution et de la haine, tu empruntes le signe fait pour exprimer la douceur du véritable amour ! Mais il exhale plus ouvertement et avec plus de véhémence la violence de sa douleur par la bouche du prophète : «Si c’était un ennemi qui m’eût outragé, je l’aurais supporté; et si c’était celui qui m’avait en haine qui se fût élevé contre moi dans ses paroles, je me serais caché de lui. Mais toi, tu n’avais qu’une âme avec moi; tu étais mon guide et mon ami; tu partageais avec moi une douce nourriture; nous allions de concert dans la maison de Dieu !» (Ps 54,13-15). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 18

Il ne faut pas qu’il s’arrête à considérer le présent; il ne faut pas que ses lèvres profèrent ce que lui suggère sur l’heure une colère emportée, ce que lui dicte son coeur exaspéré. Mais plutôt qu’il repasse en son esprit la complaisance de charité qui l’unissait naguère à son ami; ou qu’il tourne ses regards vers l’avenir, pour y voir en esprit la paix déjà refaite comme elle était devant; qu’il s’attache à la contempler, dans le temps même où il se sent ému, à la pensée qu’elle va revenir sur-le-champ. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 26

L’Apôtre ne parle pas autrement : «Ne vous vengez pas vous-mêmes, mais donnez place à la colère;» (Rom 12,19) c’est-à-dire : Ne courez pas à ta vengeance sous l’aveugle poussée de la passion, mais donnez place à la colère. Quoi encore ? Ne laissez pas resserrer vos coeurs par l’étroitesse de l’impatience et de la pusillanimité, tellement qu’ils ne puissent soutenir la tempête impétueuse de l’emportement, lorsqu’elle se déchaînera. Dilatez-les, au contraire, et recevez les flots ennemis de la passion dans les espaces élargis de la charité, qui «souffre tout, supporte tout.» (1 Cor 13,7). Que votre âme ainsi dilatée par la largeur de la longanimité et de la patience, possède en soi les retraites salutaires de la délibération et du conseil, on l’horrible fumée de la colère trouve, si l’on peut ainsi parler, une issue, se répande, et finalement se dissipe. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 27

Dès lors, il n’y a nul préjudice dans ce qui semble contrevenir à cette disposition, du moment que vous ne variez pas dans le but primordial que vous vous êtes proposé. Ce n’est pas abandonner l’ouvrage que de changer d’instrument; le choix d’une route, et plus courte, et plus directe, n’accuse point la paresse du voyageur. De même pour ce qui vous concerne. Si vous corrigez une disposition imprudemment concertée, on n’estimera point que ce soit là manquer à votre voeu. Tout ce qui se fait en vue de la charité divine et pour l’amour de la piété «qui a les promesses de la vie présente et de la vie future» (1 Tim 4,8) quelque apparence pénible et rebutante qu’il revête en ses commencements, ne mérite aucun reproche, mais, au contraire, l’éloge. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 14

Répondez-moi, je vous prie. Qu’auriez-vous fait, vous qui vivez sous l’Évangile, si vous vous étiez trouvés en pareil cas ? Auriez-vous préféré aussi les cacher par un mensonge, en disant comme elle : «Ils ont passé, après avoir bu un peu d’eau,» et accomplir ainsi le précepte : «Délivre ceux que l’on traîne à la mort, et sauve ceux que l’on va égorger, n’épargne rien;» (Pro 24,11) oui bien, en disant la vérité, les livrer à leurs meurtriers ? Et que faites-vous de cette parole de l’Apôtre : «Que personne ne cherche son propre avantage, mais celui d’autre ?» (1 Cor 10,24). Et de celle-ci : «La charité ne cherche pas son intérêt mais celui des autres »? (Phil 2,4). Il dit encore de lui-même: «Je ne cherche pas mon avantage, mais celui du plus grand nombre, afin qu’ils soient sauvés.» (1 Cor 10,33) Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 19

Nous n’aurons point une charité entière, nous ne chercherons pas, comme l’Apôtre nous enseigne à le faire, l’intérêt des autres, à moins de relâcher quelque peu les exigences de notre vie austère et de notre idéal de perfection, pour condescendre d’un coeur complaisant aux avantages d’autrui, et nous faire, à son exemple, faibles avec les faibles, afin de les gagner. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 19

Autre cas. Un frère, dans la joie de notre arrivée, nous offre à boire, et nous supplie d’accepter. Nous refusons, et donnons notre parole que nous n’en ferons rien. Voilà notre frère à nos genoux, prosterné contre terre ! Il croit ne remplir le devoir de la charité qu’en nous traitant à sa manière. Qu’est-ce qui est bien ? De lui céder à nos dépens ou de rester inflexible dans sa résolution, et de s’en tenir à ce qu’on a dit ? Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 21

Quant à l’observance des commandements principaux, il faut des résolutions très constantes, jusqu’à ne pas reculer devant la mort même, s’il est nécessaire; et c’est à leur sujet qu’il convient de dire : «J’ai juré, j’ai résolu.» Tel est en particulier notre devoir, lorsqu’il s’agit de la charité. Il faut que tout nous soit à mépris pour elle, pour qu’elle demeure immaculée dans sa tranquillité et dans sa perfection. Mêmes serments pour la pure chasteté; même conduite aussi pour ce qui est de la foi, de la sobriété, de la justice. Ces vertus doivent être gardées avec une persévérance qui jamais ne se démente. S’en éloigner, si peu que ce soit, est damnable. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 28

Les avis et la doctrine du bienheureux Joseph nous parurent un oracle de Dieu. Rassurés désormais, nous décidâmes de rester en Égypte. Cependant, bien que notre promesse nous donnât très lors peu de souci, nous ne laissâmes pas de l’accomplir, après sept ans écoulés. Nous fîmes alors un rapide voyage à notre monastère, et d’ailleurs avec la ferme confiance d’obtenir congé de retourner au désert. Cette visite nous permit d’abord de rendre à nos supérieurs l’honneur que nous leur devions. De plus, telle était l’ardeur de leur affection, que nos lettres d’excuse, si fréquentes qu’elles fussent, n’avaient pas réussi à calmer leurs esprits : nous eûmes le bonheur de voir refleurir la charité d’autrefois. Enfin, pleinement délivrés du scrupule que nous avait laissé notre engagement, nous reprîmes le chemin du désert de Scété; et eux-mêmes se firent une joie de nous accompagner. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 30

Cette dame conduit la veuve à son logis, et se met à lui prodiguer ses services. Cependant, elle ne trouve en son hôtesse que modestie et douceur; à tout moment, ce sont actions de grâces nouvelles pour les témoignages de charité qu’on lui donne. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 14

On eut moins de peine à la trouver que la première. On la lui donne. Elle la prend chez elle, et commence à la servir avec la même diligence et même avec plus de zèle que la précédente. Mais pour tant de bons offices elle ne reçoit, en guise de remerciement, qu’indignes outrages, invectives et reproches sans trêve. Cette femme la prenait violemment à partie avec des propos insultants, lui reprochant de l’avoir demandée à l’évêque, non pour lui donner du soulagement, mais afin de la tourmenter et de lui faire des affronts. Au lieu de lui changer la peine en repos, c’était bien plutôt le contraire qui était arrivé. De querelle en querelle, la mégère s’emporte jusqu’aux coups. L’autre redouble de prévenances et de volontaire abaissement. Elle s’apprenait à vaincre cette furie, non par la résistance, mais en se soumettant plus humblement; et, cependant qu’elle était harcelée d’indignités, elle cherchait à calmer par la mansuétude de sa charité la rage insensée de la querelleuse. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 14

Si cependant il m’arrive de proférer quelque parole qui paraisse déroger à l’humilité ou marquer une ouverture excessive, je vous prie de ne l’attribuer point à la jactance, mais au seul désir de vous édifier. Vous voudrez bien croire que, si j’estime ne devoir rien cacher de la vérité à des hommes qui la cherchent si ardemment, ce n’est pas orgueil, mais charité. Aussi bien, je pense que mes paroles pourront vous être de quelque instruction, si, mettant un peu l’humilité de côté, je vous découvre simplement et dans toute sa vérité le propos qui fut le mien. Ainsi, j’ai la confiance que ma franchise ne me vaudra pas de votre part la note de vanité, et je m’assure aussi que je n’encourrai pas le reproche de mensonge, pour avoir étouffé la vérité. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 3

Cependant, je sais que l’abbé Moïse, Paphnuce et les deux Macaire ont possédé parfaitement l’une et l’autre vertu. Ils étaient donc parfaits en ces deux professions. Dans la retraite, ils se nourrissaient insatiablement du secret de la solitude, plus que tous les autres habitants du désert, et, autant qu’il était en eux, ne recherchaient en aucune façon la compagnie des hommes. Mais, d’autre part, ils supportaient admirablement le concours et les faiblesses de ceux qui s’empressaient vers eux; parmi la multitude innombrable des frères qui affluaient de toutes parts, soit seulement pour leur faire visite, soit avec le dessein de progresser, l’inquiétude quasi sans relâche que leur causait l’obligation de recevoir tout ce monde, les trouvait d’une patience inaltérable. On eût pu croire qu’ils n’avaient rien appris ni pratiqué tout le temps de leur vie, que de rendre aux étrangers les devoirs ordinaires de la charité; et c’était pour tous une question de savoir en quelle profession leur zèle se montrait davantage, si leur magnanimité s’accordait plus merveilleusement à la pureté érémitique ou à la vie commune. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 9

Le salut éternel n’est point promis seulement à la pénitence simplement dite, de laquelle parlait le bienheureux Pierre : «Faites pénitence et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés,» (Ac 3,19) et que Jean Baptiste, puis le Seigneur Lui-même avaient prêchée : «Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche.» (Mt 3,2). La charité ensevelit les montagnes de péchés : «La charité, est-il écrit, couvre la multitude des péchés.» (1 Pi 4,8). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8

Vous voyez combien d’ouvertures la Clémence du Sauveur nous a ménagées vers sa Miséricorde, afin que personne de ceux qui désirent le salut, ne se laisse abattre par le découragement, lorsque tant de remèdes l’appellent à la vie. Vous alléguez votre faiblesse, qui vous empêche d’effacer vos péchés par l’affliction du jeûne ? Vous ne pouvez dire : «Mes genoux se sont affaiblis par le jeûne, et ma chair s’est changée par le manque d’huile; car j’ai mangé la cendre comme du pain et mêlé mes pleurs à mon breuvage »? (Ps 108,24). Rachetez-les par vos largesses et vos aumônes. Vous n’avez rien à donner aux indigents ? — Quoique les sévérités de la détresse pécuniaire et de la pauvreté n’interdisent cette bonne oeuvre à personne : les deux menues pièces de la veuve ont été préférées aux dons magnifiques des riches, (cf. Lc 21,1-2) et le Seigneur promet de récompenser un verre d’eau froide.— (cf. Mt 10,42). Mais il est, certes, en votre pouvoir de vous purifier par la correction de votre vie.— Acquérir la perfection des vertus par l’extinction de tous les vices vous paraît chose impossible ? Dépensez au salut d’autrui vos soins pieux. — Vous vous plaignez d’être impropre à ce ministère ? Couvrez vos péchés par la charité. — Il y a en vous une certaine mollesse qui vous rend fragile aussi sur ce point ? Abaissez-vous, et, dans les sentiments de l’humilité, implorez le remède à vos blessures de la prière et de l’intercession des saints. Enfin, qui est-ce qui ne peut dire sur le ton de la supplication ardente : «J’ai fait connaître mon péché, et je n’ai point couvert mon injustice,» (Ps 31,5) afin de mériter par cette profession d’ajouter ensuite : «Et vous avez remis l’impiété de mon coeur.» (Ibid.) —La honte vous retient ? Vous rougissez de révéler vos péchés en présence des hommes ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8

Pour clore cette conférence, c’est peu à qui souhaite d’atteindre la cime de la perfection, d’être parvenu jusqu’à la fin de la pénitence, c’est-à-dire de s’abstenir des choses défendues. Infatigable dans sa course, il doit tendre toutes ses énergies vers la pratique des vertus qui conduisent à la pleine satisfaction. Se garder des souillures graves, qui sont abominables au Seigneur, ne suffit pas, si l’on n’acquiert, par la pureté du coeur et la perfection de la charité apostolique, la bonne odeur des vertus, qui fait ses délices. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 12

À ce discours, le bienheureux Théonas se sentit brûler d’un désir inextinguible de la perfection évangélique; la semence de la parole était tombée dans son coeur comme dans une terre féconde, ameublie par de profonds labours. Ceci l’humiliait surtout et le touchait : non seulement, au dire du vieillard, il n’avait pas encore atteint la perfection de l’Évangile, mais à peine avait-il satisfait aux commandements de la Loi. Sans doute, il avait accoutumé de remettre tous les ans, pour les offices de la charité, la dîme de ses biens. Mais il n’avait jamais entendu seulement parler des prémices; et c’était pour lui un sujet de larmes. Au reste, eut-il été fidèle sur ce point, comme sur le premier, il avouait humblement qu’il serait resté fort loin encore de la perfection, selon que le vieillard l’avait déclaré. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 8

Si enfin, poursuivait-il, vous entendez raison, et vous laissez fléchir au parti si cher à mon coeur, de nous consacrer tous deux au service du Seigneur, afin d’éviter le châtiment de la géhenne : je ne renie point l’amour conjugal; j’y veux, au contraire, plus de dilection que jamais. Car je reconnais alors en vous et révère l’aide que les jugements divins m’ont destinée, et je ne refuse pas de vous rester attaché dans le Christ par un indissoluble lien de charité. Non, je n’entends pas séparer de moi l’être que le Seigneur m’a uni par la loi de la première création, pourvu que vous soyez aussi de votre part ce que le Créateur a voulu. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9

Des exemples. Voici venir un frère. C’est le Christ qu’en sa Personne nous devons hospitaliser, et recevoir avec la plus aimable charité. Mais on préfère observer strictement le jeûne. N’est-ce pas là encourir le reproche d’inhumanité, plutôt que s’acquérir la gloire et le mérite de la dévotion ? — Ou bien l’épuisement et la faiblesse du corps exigent des aliments, pour qu’il puisse réparer ses forces. Cependant, tel ne consent point à fléchir la rigueur de son abstinence. Ne faudra-t-il pas l’estimer cruel, et homicide de lui-même, plutôt que soucieux de son salut ? — De même encore, il se trouve qu’une fête invite à une trêve d’abstinence, et, en concédant un usage raisonnable de la nourriture, permet une réfection d’ailleurs nécessaire. Quelqu’un s’obstine, néanmoins dans l’observance rigide et ininterrompue de ses jeûnes. On le taxera moins de religion que de sottise et de déraison. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14

En effet, la miséricorde, la patience, la charité ou les autres vertus précédemment nommées et dans lesquelles réside le bien par essence, ne doivent pas se subordonner au jeûne, mais le jeûne à elles. Il faut travailler à les acquérir, elles qui sont vraiment bonnes, par le moyen du jeûne; et non pas leur donner le jeûne pour terme. Affliger la chair a son utilité; l’abstinence est un bon traitement à lui appliquer : pourquoi ? Afin d’arriver, par cette méthode, à la charité, où consiste le bien immuable et perpétuel, sans exception de temps. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Tenons fermement ces notions sur la nature du jeûne. Nous pourrons ensuite nous y porter de toutes les forces de notre âme, sachant qu’il nous sera bon, si nous y observons le temps, la qualité, la mesure convenable, sans mettre en lui le terme de notre espérance, mais avec la pensée de parvenir par son moyen à la pureté du coeur et à la charité apostolique. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 17

Le seul fait qu’on lui ait déterminé des temps spéciaux, et qu’on en ait encore réglé la qualité et la mesure, prouve assez clairement qu’il n’est pas bon par essence, mais tient le milieu entre le bien et le mal. Ce que l’autorité d’un précepte ordonne. comme bon ou interdit comme mauvais, n’est point soumis de la sorte à des exceptions de temps, si bien que l’on doive, de temps en temps, faire ce qui est défendu, omettre ce qui est prescrit. La justice, la patience, la sobriété, la pureté, la charité n’ont point de mesure déterminée; et d’autre part, l’injustice, l’impatience, la colère, l’impureté, l’envie, la superbe ne reçoivent jamais leurs franchises. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 17

Mais sa réponse montre évidemment que le jeûne n’est pas toujours nécessaire ni convenable, lorsque le caractère festif du temps ou, d’aventure, quelque raison de charité conseillent de l’interrompre. Les amis de l’époux peuvent-ils être dans le deuil, tant que l’époux est avec eux ? Mais il viendra des jours où l’époux leur sera ôté, et alors ils jeûneront. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 18

Quiconque a su gravir ces sommets de la perfection évangélique, se trouve élevé, par le mérite de si grandes vertus, au-dessus de toute la Loi. Tous les commandements portés par Moïse lui semblent désormais petits et mesquins; et il a conscience de n’être petits sujet que de la grâce du Sauveur, dont le secours, il le voit, l’a fait parvenir à un état si sublime. Le péché ne domine plus en lui. La charité de Dieu, répandue dans nos coeurs par l’Esprit saint qui nous a été donné, (Rom 5,5) exclut, en effet, toute autre affection; elle est aussi incapable de convoiter ce qui est défendu, que de mépriser ce qui est commandé, elle dont l’étude et tout le désir sont dans le divin amour, et ne se posent même pas sur les choses permises, bien loin qu’ils se laissent prendre aux basses voluptés. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33

Comme chez le partisan du mariage, le péché est également en celui qui se contente de payer la redevance de la dîme et des prémices. Il est fatal qu’il manque, soit par retard, soit par négligence, sur la qualité ou sur la quantité, ou enfin dans la distribution quotidienne qu’il en fait. Représentez-vous un homme obligé à servir infatigablement son bien aux indigents : si grandes que puissent être sa foi et sa dévotion dans cette charité, comme il est difficile qu’il ne tombe maintes fois dans les filets du péché ! Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33

Voilà comme il élève bien au-dessus des fruits de sa prédication ce bien suréminent. Et toutefois, devant la charité, sans laquelle on ne mérite point le Seigneur, il se décide à plier. En considération de ceux qu’il nourrit, comme pourrait le faire une mère, du lait de l’Évangile, il ne refuse pas la séparation d’avec le Christ, dommageable pour lui, mais nécessaire aux autres. Son excessive tendresse, l’incline à ce parti. Ne le pousse-t-elle pas à souhaiter, s’il était possible, le mal suprême de l’anathème pour le salut de ses frères : Je souhaiterais, d’être anathème du Christ pour mes frères, mes parents selon la chair, eux qui sont Israélites (Rm 9,3-4). C’est-à-dire : Je voudrais être voué, non seulement à des peines temporelles, mais à des peines éternelles, pour que tous les hommes, s’il se pouvait, jouissent de la compagnie du Christ; car je suis certain que le salut de tous est plus utile au Christ et à moi-même, que le mien propre. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5

Nous voilà donc à part du nombre des voyants, du fait de notre impuissance à dé couvrir la multitude des taches légères accumulées en nous. Mais aussi quel état ! Nul sentiment de componction, si la maladie de la tristesse est venue troubler notre âme; nulle douleur des suggestions de vaine gloire qui nous ébranlent; point de larmes pour notre lenteur à prier ou pour notre tiédeur. Que, durant l’oraison et la psalmodie, il nous vienne dans l’esprit des pensées étrangères à l’oraison ou au psaume : nous ne le comptons pas pour faute. Beaucoup de choses que la honte nous arrêterait de dire ou de faire devant les hommes, nous ne rougissons pas d’en occuper notre coeur, ne serait-ce que par moments, sous le regard de Dieu qui nous voit : et nous n’avons point horreur de nous-mêmes. Dans l’exercice de la charité, tandis que nous subvenons aux besoins des frères ou que nous distribuons l’aumône aux pauvres, un nuage vient obscurcir la sérénité de notre joie : hésitation de l’avarice ! Et nous n’avons point de gémissements, pour le déplorer. Nous pensons ne souffrir aucun détriment, si nous quittons le souvenir de Dieu, pour songer aux choses temporelles et corruptibles; et l’oracle de Salomon s’applique à nous fort justement : On me frappe, mais je ne l’ai pas senti; ou me joue, et je ne m’en suis pas aperçu (Prov 23,35). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 7

Telle était la disposition que le bienheureux apôtre Jean voulait inculquer à tous, lorsqu’il disait : Mes petits enfants, n’aimez point le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la charité de Dieu n’est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie; et cela ne vient pas du Père, mais du monde. Cependant, le monde passe, et sa concupiscence avec lui; mais celui qui fait la Volonté de Dieu, demeure éternellement (Jn 2,15-17). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 8

Ainsi en va-t-il de notre âme. Si le moine ne fait de la charité le centre immobile autour duquel toutes ses oeuvres rayonnent; s’il ne redresse ses pensées ou ne les rejette, en se guidant, pour ainsi dire, par le compas très sûr de la charité : il ne réussira jamais à construire avec une véritable habileté l’édifice spirituel dont l’apôtre Paul est l’architecte (cf. 1 Co 3,10); il ne connaîtra pas la beauté de ce temple intérieur que le bienheureux David désirait de présenter à Dieu, lorsqu’il s’écriait : Seigneur, j’ai aimé la beauté de ta Demeure et le lieu où réside ta Gloire (Ps 25,8). Mais il élèvera sans art, dans son coeur, un temple sans beauté, indigne du saint Esprit et destiné à s’abîmer sans retard. Loin d’avoir la gloire d’y habiter avec l’Hôte divin, il sera écrasé misérablement sous ses ruines. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 6

À la vérité, sauf l’espèce de moines qui vit, selon le précepte de l’Apôtre, du travail de ses mains, tout le genre humain s’attend à la charité d’autrui. Non seulement ceux qui font gloire de subsister des biens de leurs parents, du travail de leurs gens ou des fruits de leurs domaines, mais les rois eux-mêmes doivent à l’aumône leur entretien. Et c’est aussi le sens des décisions de nos pères : tout ce qui, sur notre dépense quotidienne, ne provient pas du travail de nos mains, il faut, d’après eux, le porter au compte de la charité. Ils suivent d’ailleurs en ce point l’enseignement de l’Apôtre, qui interdit aux oisifs tout secours de la libéralité d’autrui : Celui qui ne veut pas travailler, déclare-t-il, ne doit pas non plus manger (2 Thess 3,10). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 12

Ainsi parla le bienheureux Antoine en réponse à ce frère. Cet exemple nous instruit nous-mêmes à fuir les pernicieuses complaisances de nos parents et de tous ceux dont la charité pourrait fournir à notre entretien, comme aussi les agréments d’un séjour délicieux. Il nous apprend encore à mettre au-dessus de toutes les richesses de ce monde, des sables naturellement amers et stériles, des régions brûlées par l’inondation marine et sur lesquelles aucun homme vivant n’exerce droit ni domaine : cela, dans la vue, sans doute, d’éviter les foules humaines à l’abri d’une retraite inaccessible; mais aussi pour que la fécondité du sol ne nous sollicite point a quelque culture absorbante, par où l’âme, distraite de son objet essentiel, se condamnerait au vide et à la stérilité spirituelle. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 12

Pour vous, si vous brûlez d’un amour véritable et parfait pour notre Seigneur, et suivez Dieu, qui est charité (cf. 1 Jn 4,16), avec une ferveur entière, fuyez en tels lieux inaccessibles qu’il vous plaira, les hommes fatalement vous y viendront trouver; et plus l’ardeur du divin amour vous mettra près de Dieu, plus grande sera la multitude des saints qui affluera vers vous. C’est la parole du Christ : Une ville située sur une montagne ne peut être cachée (Mt 5,14). Ceux qui M’aiment, dit le Seigneur, Je les glorifierai; mais ceux qui Me méprisent seront sans honneur (1 Rois 2,30). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 19

Mais la continence aussi goûtera une suavité cent fois plus grande que le contentement de la nature. Puis, pour la satisfaction de posséder un champ, une maison, quelle abondance, quel centuple de richesses et de joie, lorsque passant à l’adoption des fils, on possédera comme un bien propre tout ce qui est au Père éternel, disant en vérité et du fond du coeur, à l’imitation du Fils véritable : Tout ce qu’a mon Père est à moi (Jn 16,15) ! Sans rien des préoccupations douloureuses et des inquiétudes d’autrefois, le coeur tranquille et joyeux, on entrera partout, comme chez soi; chaque jour, on entendra résonner à son oreille la parole de l’Apôtre : Tout est à vous, et le monde, et les choses présentes, et les choses futures (1 Co 3,22), et celle de Salomon : À l’homme fidèle, tout le monde appartient avec ses richesses (Pro 17,6). Ainsi, le centuple se trouve dans la grandeur du prix et l’incomparable différence de la qualité. Pour un certain poids de bronze, de fer, de quelque vil métal, ou vous rend un poids égal d’or : impossible de ne pas penser que c’est là rendre plus que le centuple. De même, lorsque, pour le mépris des voluptés et des affections terrestres, c’est la joie spirituelle et le délice de la très précieuse charité qui paye de retour, le nombre peut rester le même de part et d’autre; il n’empêche que ceci ne soit cent fois plus grand et plus magnifique. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 26