En vérité, c’est tout autre chose d’avoir en haine la souillure des vices et de la chair, parce que l’on goûte le bien déjà présent, ou, de refréner les convoitises illicites en vue de la récompense future; de craindre un dommage actuel, ou de redouter des tourments à venir. C’est enfin une perfection beaucoup plus grande de ne vouloir pas s’éloigner du bien pour l’amour du bien lui-même, que de ne pas donner son consentement au mal par peur de souffrir un autre mal. Dans le premier cas, le bien est volontaire; dans le second, il paraît forcé, et arraché de haute lutte à un refus par la crainte du supplice ou l’appétit de la récompense. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 8
Il embrasse aussi avec un égal amour la patience et la douceur. Les manquements des pécheurs n’irritent plus sa colère; mais plutôt implore-t-il leur pardon, pour la grande pitié et compassion qu’il ressent à l’endroit de leurs faiblesses. Ne se souvient-il pas d’avoir éprouvé l’aiguillon de passions semblables, jusqu’au jour qu’il plut à la divine miséricorde de l’en délivrer ? Ce ne sont pas ses propres efforts qui l’ont sauvé de l’insolence de la chair, mais la protection de Dieu. Dès lors, il comprend que ce n’est pas de la colère qu’il faut avoir pour ceux qui s’égarent, mais de la commisération; et, dans l’absolue tranquillité, de son coeur, il chante à Dieu ce verset : «C’est vous qui avez brisé mes chaînes, je vous offrirai un sacrifice d’action de grâces;» (Ps 115,16-17) et encore : «Si le Seigneur n’eût été mon soutien, peu s’en fallait que mon âme n’habitât l’enfer.» (Ps 93,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 9
GERMAIN. — Vous nous avez entretenus de la charité parfaite; nous voudrions maintenant vous interroger librement sur la chasteté consommée. Car nous ne doutons pas que ces hauteurs sublimes d’amour, par où l’on s’élève, ainsi que vous l’avez montré jusqu’à présent, à l’image et ressemblance divine, ne puissent en aucune façon exister sans la perfection de la chasteté. Mais cette vertu peut-elle être si constante, que l’intégrité de notre coeur n’ait jamais à souffrir des séductions de la concupiscence ? Vivant dans la chair, pouvons-nous rester si éloignés des passions charnelles, que nous n’en ressentions jamais les atteintes ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 14
Mais nous avons un corps aussi, qui est une pauvre bête de somme. Il y faut songer, comme notre Sauveur nous en prévient si charitablement, de peur qu’il ne défaille en chemin, «car l’esprit est prompt, mais la chair est faible.» (Mt 26,41). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA CHEREMON CHAPITRE 15
Le doute que vous proposez se résume en ce point : est-il possible d’éteindre complètement le feu de la concupiscence dont nous portons dans notre chair les ardeurs innées ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 1
Assurons-nous cependant que la plus austère abstinence, je veux dire la faim et la soif, ni les veilles, ou le travail assidu, ou l’application incessante à la lecture ne nous mériteront la pureté constante de la chasteté. Parmi ce continuel labeur, il faut encore apprendre de l’expérience qu’une telle intégrité est un don libéral de la grâce divine. De notre persévérance infatigable dans ces exercices quel sera donc le fruit ? D’obtenir, en affligeant notre corps, la miséricorde du Seigneur; de mériter qu’il nous délivre par un bienfait de sa main des assauts de la chair et de la tyrannie toute-puissante des vices. Mais ne nous flattons pas d’arriver par leur moyen à l’inviolable chasteté que nous souhaitons. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 4
Utilité des assauts que nous livre la chair Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5
De la nécessité de cette continuelle vigilance voulez-vous une preuve manifeste, qui vous fasse voir du même coup comment les combats de la chair, pour contraires et dangereux qu’ils nous paraissent, concourent à notre bien : considérez, je vous prie, ceux qu’un défaut de nature en exempte. Qu’est-ce qui les rend surtout lâches et tièdes à la poursuite de la vertu ? N’est-ce point qu’ils se croient sans péril de voir leur chasteté ternie ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5
Au surplus, que l’on ne s’imagine point maîtriser ou bannir le désir des choses présentes, si en la place de ces penchants mauvais, que l’on aspire à retrancher, l’on n’en fait succéder de bons. La force vitale de l’âme ne lui permet pas de rester sans quelque sentiment de désir ou de crainte, de joie ou de tristesse; il n’est que de la bien occuper. Nous voulons chasser de notre coeur les convoitises de la chair : livrons incontinent la place aux joies spirituelles. Prise à cet heureux filet, l’âme aura désormais où se fixer, et rejettera les séductions des joies présentes, des bonheurs qui passent. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5
Plus on grandit dans la douceur de la patience, plus on profite dans la pureté du corps; on est d’autant plus ferme dans la chasteté, que l’on a repoussé plus loin le vice de la colère. Car il est impossible d’éviter les révoltes de la chair, à moins d’étouffer premièrement les emportements du coeur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
L’une des béatitudes exaltées par la bouche de notre Sauveur nous rend cette vérité manifeste : «Heureux les doux, parce qu’ils posséderont la terre.» (Mt 5,4). Nous n’avons point d’autre moyen de posséder notre terre, c’est-à-dire de soumettre à notre empire la terre rebelle de notre corps, que de fonder tout d’abord notre âme en la douceur de la patience; dans les combats que la passion suscite à notre chair, le triomphe ne s’obtient que si l’on revêt les armes de la mansuétude : «Les doux, dit le prophète, posséderont la terre,» et «ils y demeureront à jamais.» (Ps 36,11 et 29). Puis, il nous enseigne, dans la suite du psaume, la méthode pour conquérir cette terre : «Attends le Seigneur et garde sa voie; il t’élèvera, et tu posséderas la terre en héritage.» (Ps 36,34). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
Au contraire, celui qui reste sujet dans sa chair aux guerres de la concupiscence, ne jouira point de cette paix d’une façon stable : Fatalement, les démons ne cesseront de lui livrer les plus cruels assauts, et blessé des traits enflammés de la luxure, il perdra la possession de sa terre, jusqu’au jour où le Seigneur «fera cesser les guerres jusqu’aux extrémités du monde, brisera l’arc et rompra les armes, et consumera par le feu les boucliers.» (Ps 45,10). Ce feu est celui que le Seigneur est venu apporter sur la terre. Les arcs et les armes qu’il brisera, sont ceux dont les puissances du mal se servaient contre cet homme dans une guerre incessante du jour et de la nuit, pour percer son coeur avec les traits des passions. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
Mais, lorsque le Seigneur, imposant silence aux guerres, l’aura délivré de tous les emportements de la chair, il parviendra à un merveilleux état de pureté. La confusion s’évanouira, qui lui donnait de l’horreur pour lui-même, je veux dire pour sa chair, durant qu’il en était combattu; et il commencera d’y prendre ses délices comme dans une demeure très pure. «Le mal ne viendra pas jusqu’à lui; nul fléau n’approchera de sa tente.» (Ps 90,10). Par la vertu de patience se trouvera rempli l’oracle prophétique : le mérite de sa mansuétude lui aura donné la terre en héritage, et plus encore, «il goûtera les délices d’une paix débordante.» (Ps 36,11). Tandis qu’il n’y a point de paix débordante pour l’âme où survit l’inquiétude du combat. Car remarquez qu’il n’est pas dit : Ils goûteront les délices de la paix; mais «d’une paix débordante». Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
Mais, jusqu’à ce que nous obtenions cette paix solide et durable, nous devons nous attendre à de fréquents assauts. Souvent, il nous faudra redire dans les larmes et les gémissements : «Je suis devenu misérable et je suis affligé sans mesure, tout le jour je vais accablé de tristesse, parce que mes reins ont été remplis d’illusions»; (Ps 37,7-8) «Il n’est rien de sain dans ma chair à la vue de votre colère, il n’y a point de paix dans mes os à la vue de ma folie.» (Ibid. 4). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
Ces gémissements ne seront jamais plus à propos ni plus fondés que, lorsqu’après être longtemps demeurés purs, espérant déjà d’avoir échappé pour toujours à la souillure de la chair, nous sentirons ses aiguillons s’insurger de nouveau contre nous à cause de l’élèvement de notre coeur, ou serons victimes d’une illusion nocturne. Parce qu’on a joui longtemps de la pureté du coeur et du corps, par une suite naturelle on se flatte de ne pouvoir plus déchoir dorénavant de ces blancheurs, et tout au fond de soi-même on se glorifie dans une certaine mesure : «J’ai dit dans le sentiment de mon abondance : Je ne serai jamais ébranlé.» (Ps 29,7). Mais le Seigneur fait-il mine, pour notre bien, de nous abandonner : la pureté qui nous donnait tant d’assurance, commence de se troubler; au milieu de notre prospérité spirituelle, nous nous voyons chanceler. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
Mais d’accepter ces choses, de les soumettre à l’épreuve, de décider avec certitude si elles sont possibles, ou non, personne ne le peut faire, s’il n’est parvenu à discerner les limites de la chair et de l’esprit. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 8
Ainsi placé, pour ainsi dire, à leur commune frontière, il distinguera en toute équité, comme ferait un spectateur ou un juge impartial, ce qui est le fait nécessaire et inévitable de l’humaine condition, et ce qui provient des habitudes vicieuses ou de la négligence de la jeunesse. Sur leur nature, non plus que sur leurs effets, il ne se laissera pas égarer par les fausses opinions du vulgaire, il n’acquiescera pas davantage aux préjugés des gens sans expérience. Mais il aura pour pierre de touche infaillible sa propre expérience, et c’est avec une juste appréciation des choses qu’il décidera des exigences de la pureté, sans donner dans l’erreur de ceux qui mettent au compte de la nature ce qui n’est dû qu’à leur négligence, et rendent responsable la chair elle-même, ou plutôt son Créateur, de leur incontinence. De ces personnes, il est dit fort heureusement au livre des Proverbes : «La folie de l’homme corrompt ses voies, et c’est Dieu qu’il accuse dans son coeur.» (Pro 29,3). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 8
GERMAIN. Nous ne sommes pas sans avoir éprouve nous-mêmes en quelque façon qu’il est possible, avec la grâce de Dieu, de garder son corps parfaitement pur durant la veille. Nous ne nions pas que la rigueur d’une vie austère et la résistance de la raison ne puissent alors empêcher toute révolte de la chair. Mais restera-t-elle également paisible durant le sommeil ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 9
Sachons-le : tant que nous éprouvons les révoltes de la chair, nous ne sommes point parvenus aux cimes de la chasteté, mais nous restons sous le sceptre débile, de la continence, fatigués de continuels combats, dont l’issue demeure nécessairement douteuse. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 10
Heure bénie, où la chair cesse de convoiter contre l’esprit, pour consentir à ses désirs et communier à sa vertu ! Les liens d’une paix solide les unissent l’un à l’autre, et l’on voit se réaliser en eux la parole du psalmiste au sujet des frères qui habitent ensemble. Ils possèdent la béatitude promise par le Seigneur : «Si deux d’entre vous s’accordent sur la terre, quoi qu’ils demandent, mon Père qui est aux cieux le leur donnera.» (Mt 18,19). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 11
Celui-là donc qui dépasse le degré figuré par Jacob «le supplantateur», s’élève, après avoir paralysé la force de la chair, des luttes de la continence et du corps à corps pour la destruction des vices au titre glorieux d’Israël, son coeur ne déviant plus de sa direction vers Dieu. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 11
Qui n’admirerait en soi les oeuvres du Seigneur, lorsqu’il voit l’instinct de la gloutonnerie et la recherche dispendieuse autant que fatale des plaisirs de la bouche si parfaitement étouffés, qu’à peine prend-il encore à de rares intervalles et comme malgré soi une chétive et grossière nourriture ? Qui ne demeurerait saisi de stupeur devant les ouvrages de Dieu, en constatant que le feu de la volupté, qu’il considérait auparavant comme inhérent à la nature et en quelque sorte impossible à éteindre, s’est tellement refroidi en lui, qu’il n’éprouve plus dans sa chair le moindre mouvement, fut-ce le plus innocent ? Comment n’admirer pas avec tremblement la vertu divine, lorsqu’on voit des hommes cruels jadis et farouches, que même la soumission la plus insinuante exaspérait jusqu’au comble de la fureur, devenus des anges de douceur, tellement que, loin qu’ils s’émeuvent de l’injure, leur magnanimité souveraine va jusqu’à s’en réjouir ? Qui s’étonnerait devant les oeuvres de Dieu et s’écrierait du fond de son coeur: «J’ai connu que le Seigneur est grand,» (Ps 134,5) lorqu’il se voit lui-même, ou quelque autre, passé de l’extrême cupidité à la libéralité, de la prodigalité à une vie d’abstinence, de la superbe l’humilité, faisant succéder aux délicatesse et à la recherche un extérieur négligé et hirsute, embrassant volontairement la pénurie et la détresse et y plaçant sa joie ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 12
Oui, c’est bien là le grand miracle de Dieu, qu’un homme de chair et vivant dans la chair ait rejeté tout penchant charnel, que parmi tant de circonstances diverses, tant d’assauts qui lui sont livrés, il garde son âme dans la même disposition et demeure immobile au milieu du flux incessant des événements. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 13
GERMAIN. — Une telle chasteté n’est plus une vertu humaine ou qui appartienne à la terre; elle semble plutôt le privilège du ciel, le don particulier des anges. Étonnés et confondus, nous nous sentons plus d’effroi et de découragement que d’ardeur à l’acquérir. Nous vous en prions, enseignez-nous de la manière la plus complète quelles observances nous y pourraient conduire, et en combien de temps, afin de nous donner la confiance qu’elle est chose possible, et que, d’avoir un délai précis, nous soyons animés à la poursuivre. Nous sommes bien près de la croire inaccessible à notre chair infirme, à moins que vous ne nous indiquiez sûrement la méthode et le chemin par où l’où y puisse parvenir. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 14
Tout d’abord, il ne faut pas croire que les philosophes soient jamais parvenus à la chasteté d’âme qui est exigée de nous; car songez à ce qui nous est enjoint : ce n’est pas seulement la fornication, c’est l’impureté même qui ne doit pas être nommée parmi nous ! Mais ils eurent une certaine chasteté partielle, qui consistait à pratiquer la continence extérieure, sans réprimer davantage les passions de la chair. Quant à la pureté intérieure de l’âme, à la pureté constante du corps, ils n’ont pu, je ne dirai pas l’obtenir en effet, mais en avoir seulement l’idée. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 5
Bien plus, c’est pour notre bien que nous nous sentons parfois détournés de nos exercices spirituels. Tandis que l’élan de notre course se trouve, malgré nous, entravé, et que nous donnons quelque relâche à la faiblesse de la chair, nous assurons, sans le vouloir, notre persévérance future. Le bienheureux Apôtre a quelque chose de semblable au sujet de cette conduite divine : «Par trois fois, dit-il, je priai le Seigneur que cet ange de Satan s’éloignât de moi; et il me répondit : Ma grâce te suffit, car c’est dans la faiblesse que ma force se montre tout entière !» (2 Co 12,8-9) et de nouveau : «Nous ne savons pas ce qu’il faut demander !» (Rm 8,26) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 6
Il y a bien d’autres énigmes. On fait honneur au libre arbitre de toute l’oeuvre du salut : «Si vous le voulez, et m’écoutez, vous mangerez les biens de votre pays.» (Is 1,19) Puis, il est dit — «Ce n’est au pouvoir, ni de celui qui veut, ni de celui qui court; mais de Dieu, qui fait miséricorde.» (Rm 9,16) — Dieu «rendra à chacun selon ses oeuvres.» (Ibid. 2,6) Mais, «c’est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire, selon son bon plaisir;» (Phil 2,13) et nous lisons de même : «Cela ne vient pas de vous, mais c’est le don de Dieu; ce n’est pas le fruit de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie.» (Ép 2,8-9) — Il est dit d’une part : «Approchez-vous de Dieu, et il s’approchera de vous;» (Jac 4,8) et d’autre part : «Personne ne vient à moi, si le Père, qui m’a envoyé, ne l’attire.» (Jn 65,44) — «Conduis ta course par des chemins droits, est-il écrit, rends droites tes voies.» (Pro 4,26) Et nous disons dans nos prières — «Dirige mes pas devant ta face» (ps 5,9); «Affermis nos pas dans tes sentiers, afin qu’ils ne chancellent point.» (ps 16,5) — On nous donne cet avertissement : «Faites-vous un coeur nouveau et un esprit nouveau.» (Ez 18,31) Et l’on nous fait cette promesse : «Je leur donnerai un seul coeur, et je mettrai dans leur poitrine un esprit nouveau; et j’ôterai de leur chair leur coeur de pierre, et je leur donnerai un coeur de chair, afin qu’ils marchent selon mes commandements et qu’ils gardent mes lois.» (Ibid. 11,19-20) — Le Seigneur nous intime ce précepte : «Purifie ton coeur de toute malice, Jérusalem, afin que tu sois sauvée.» (Jér 4,14) Et voici que le prophète lui demande cela même qu’il nous ordonne : «Crée en moi, ô Dieu, un coeur pur» (ps 50,16); «Tu me laveras, et je serai plus blanc que la neige.» (Ibid. 9) — Il nous est dit «Allumez en vous la lumière de la science». (Puis, il est dit de Dieu : «Il enseigne à l’homme la science» (ps 93,10); «Le Seigneur donne la lumière aux aveugles.» (ps 145,8) Et nous-mêmes, nous demandons avec le prophète : «Donne la lumière à mes yeux, afin que je ne m’endorme jamais dans la mort.» (ps 12,4) Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 9
Tel encore ce que dit l’Apôtre : «Ainsi donc, que celui qui pense être ferme, prenne garde de tomber. Aucune tentation ne vous survient qui ne soit humaine. Et Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces; mais avec la tentation, il ménagera aussi une heureuse issue, afin que vous puissiez la supporter» (Co 10,12-13). Par ces paroles : «Que celui qui pense être ferme, prenne garde de tomber», il rend leur liberté vigilante; car il sait bien qu’il dépend d’elle, ou de rester debout par son zèle, ou de tomber par sa négligence. Lorsqu’il poursuit : «Aucune tentation ne vous survient qui ne soit humaine,» il leur reproche la faiblesse et l’inconstance qui se voient dans les âmes non encore robustes, et les rendent impropres à subir l’assaut des puissances du mal, contre lesquelles il lutte lui-même chaque jour, ainsi que les parfaits dont il parle aux Éphésiens : «Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les chefs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l’air» (Ép 6,12). En ajoutant : «Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces», il ne souhaite point du tout que le Seigneur empêche la tentation, mais qu’ils ne soient pas tentés au delà de ce qu’ils peuvent supporter. Que la tentation soit permise, voilà qui prouve le pouvoir de la liberté humaine; qu’ils ne soient pas tentés au delà de leurs forces, ceci montre, au contraire, la grâce du Seigneur modérant les assauts de la tentation. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBÉ CHEREMON CHAPITRE 14
L’histoire a trait à la connaissance des événements passés et qui frappent les sens. L’Apôtre en donne un exemple, lorsqu’il dit : «Il est écrit qu’Abraham eut deux fils, l’un de la servante et l’autre de la femme libre. Mais celui de la servante naquit selon la chair; et celui de la femme libre, en vertu de la promesse.» (Gal 4,22-23). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8
L’homme encore prisonnier des vices honteux de la chair, gardera utilement ce précepte, en le prenant simplement au sens littéral. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 11
Nul autre moyen de parvenir à la science spirituelle, que de se conformer à l’ordre suivant, si heureusement exprimé par l’un des prophètes : «Semez pour vous en vue de la justice, moissonnez l’espérance de la vie, allumez en vous la lumière de la science.» (Os 10,12). Premièrement, il faut semer en vue de la justice, c’est-à-dire propager en quelque sorte notre perfection active par les oeuvres de la justice; nous devons ensuite moissonner l’espérance de la vie, c’est-à-dire recueillir les fruits des vertus spirituelles, en expulsant les vices de la chair. Par cette méthode, nous pourrons allumer en nous la lumière de la science. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 16
Sur ceux qui paraissent avoir quelque semblant de science, ou qui, tout en s’adonnant avec ardeur à lire les volumes sacrés et à les apprendre de mémoire, ne quittent point les vices de la chair, les Proverbes ont cette expression fort heureuse : «Comme d’un anneau d’or au nez d’un pourceau, ainsi en va-t-il de la beauté dans une femme de mauvaise vie.» (Pro 11,22). Car quel avantage pour l’homme de posséder les joyaux des célestes paroles et les beautés sans prix de l’Écritures, s’il s’enlise dans la boue par ses oeuvres et ses pensées ? Ne semble-t-il pas alors fouiller une terre immonde, y mettre en pièces ses trésors et les souiller dans le bourbier fangeux de ses passions impures ? La science est parure à qui en use bien. Mais que le sort est différent de ceux qui la profanent de cette sorte ! Dans leur fange, qu’elle fait encore plus profonde, elle se couvre d’éclaboussures à son tour. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 16
Aussi bien, est-ce un plus grand miracle d’extirper de sa propre chair le foyer de la luxure, que d’expulser les esprits immondes du corps d’autrui; un signe plus magnifique de contenir par la vertu de patience les mouvements sauvages de la colère, que de commander aux puissances de l’air. C’est quelque chose de plus, d’éloigner de son propre coeur les morsures dévorantes de la tristesse, que de chasser les maladies et les fièvres des autres. Enfin, c’est, à bien des titres, une plus noble vertu, un progrès plus sublime, de guérir les langueurs de son âme, que les faiblesses corporelles d’autrui. Plus l’âme est au-dessus de la chair, plus est préférable son salut; plus sa substance l’emporte par l’excellence et le prix, plus grave et funeste serait sa perte. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8
Cette révélation frappa vivement le vieillard. Il ne voulut point tenter la chance de l’expérience qui lui avait été indiquée de par Dieu. Mais il interrogea sa conscience, examina la pureté de son coeur; et, jugeant que sa chasteté n’était pas encore à la mesure d’une telle épreuve : «Il n’est pas étonnant, se dit-il, que même après avoir vu les esprits immondes reculer devant moi, je ne laisse pas d’éprouver encore les brûlures ennemies du feu, que j’avais cru d’abord moins terribles que leurs cruels assauts. C’est une vertu plus haute, une grâce plus sublime, d’éteindre en soi le feu de la chair, que de subjuguer, par le signe de la croix et la puissance du Très-Haut, les esprits mauvais qui nous attaquent de l’extérieur, ou de les chasser du corps des possédés par l’invocation du Nom divin. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 10
Mais il lui vient un plan meilleur : il n’exécute pas ce qu’il avait promis, comme il le confesse lui-même de la façon la plus claire : «Est-ce donc qu’en formant ce dessein, j’aurais agi avec légèreté ? Ou bien les projets que je fais, est-ce que je les fais selon la chair, de sorte qu’il y ait en moi le oui et le non.» Il déclare enfin, et avec serment, pourquoi il a préféré manquer à sa parole, plutôt que leur causer par sa visite une pénible tristesse : «Pour moi, je prends Dieu à témoin sur mon âme que c’est pour vous épargner que je ne suis pas allé de nouveau à Corinthe. Je me suis promis à moi-même de ne pas retourner chez vous dans la tristesse.» Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 25
Mais, après la mort des apôtres, la foule des croyants commença de se refroidir, celle-là surtout qui affluait du dehors il la foi du Christ, de tant de peuples divers. Par égard pour leur foi encore bégayante et leur paganisme invétéré, on ne demandait rien de plus aux gentils que de s’abstenir «des viandes offertes aux idoles, de l’impureté, de la chair étouffée et du sang». (Ibid. 15,29). Cette liberté qu’on leur accordait par condescendance pour la faiblesse de leur foi naissante, ne laissa pas de contaminer insensiblement la perfection de l’Église de Jérusalem. Le nombre des recrues s’augmentant chaque jour, du judaïsme et de la gentilité, la ferveur de la foi primitive se perdit. Ce ne fut pas seulement la foule des prosélytes que l’on vit se relâcher de l’antique austérité, mais jusqu’aux chers de l’Église. Plusieurs, estimant licite pour eux-mêmes la concession faite à la faiblesse des gentils, se persuadèrent qu’il n’y avait aucun détriment à garder biens et fortune, tout en confessant la foi du Christ. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 5
C’est alors que je préférai suivre le mieux que je pourrais l’idéal cénobitique, plutôt que de languir dans une profession si sublime par la préoccupation constante des nécessités de la chair. Si je n’y trouvais plus la liberté ni les transports dont j’avais joui autrefois, du moins aurais-je la consolation d’accomplir le précepte évangélique, en rejetant absolument tout souci du lendemain; et la perte que je faisais d’une contemplation si haute, aurait sa compensation dans l’humilité, de l’obéissance. Enfin, c’est une chose déplorable, de faire profession d’un art, d’une carrière quelconque, et de ne point s’y rendre parfait. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 5
Tandis qu’il se condamne par ces reproches mêlés de repentir, il ne laissera pas impunie l’émotion à laquelle il s’est laissé surprendre. Mais il châtiera plus durement sa chair par les jeûnes et les veilles; il expiera, dans le labeur d’une continuelle abstinence, la faute échappée à sa mobilité : de manière à consumer dans la solitude ce qu’il aurait dû réduire, lorsqu’il vivait parmi les cénobites. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 14
Voilà pourquoi nous avons, dans notre conscience, un juge très véridique de notre pénitence, un témoin de notre pardon. Dès avant le jour de la révélation et du jugement, tandis que nous demeurons encore en cette chair mortelle, il nous découvre l’acquittement de notre dette, nous manifeste le terme de la satisfaction et la grâce de la rémission. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 5
Vous voyez combien d’ouvertures la Clémence du Sauveur nous a ménagées vers sa Miséricorde, afin que personne de ceux qui désirent le salut, ne se laisse abattre par le découragement, lorsque tant de remèdes l’appellent à la vie. Vous alléguez votre faiblesse, qui vous empêche d’effacer vos péchés par l’affliction du jeûne ? Vous ne pouvez dire : «Mes genoux se sont affaiblis par le jeûne, et ma chair s’est changée par le manque d’huile; car j’ai mangé la cendre comme du pain et mêlé mes pleurs à mon breuvage »? (Ps 108,24). Rachetez-les par vos largesses et vos aumônes. Vous n’avez rien à donner aux indigents ? — Quoique les sévérités de la détresse pécuniaire et de la pauvreté n’interdisent cette bonne oeuvre à personne : les deux menues pièces de la veuve ont été préférées aux dons magnifiques des riches, (cf. Lc 21,1-2) et le Seigneur promet de récompenser un verre d’eau froide.— (cf. Mt 10,42). Mais il est, certes, en votre pouvoir de vous purifier par la correction de votre vie.— Acquérir la perfection des vertus par l’extinction de tous les vices vous paraît chose impossible ? Dépensez au salut d’autrui vos soins pieux. — Vous vous plaignez d’être impropre à ce ministère ? Couvrez vos péchés par la charité. — Il y a en vous une certaine mollesse qui vous rend fragile aussi sur ce point ? Abaissez-vous, et, dans les sentiments de l’humilité, implorez le remède à vos blessures de la prière et de l’intercession des saints. Enfin, qui est-ce qui ne peut dire sur le ton de la supplication ardente : «J’ai fait connaître mon péché, et je n’ai point couvert mon injustice,» (Ps 31,5) afin de mériter par cette profession d’ajouter ensuite : «Et vous avez remis l’impiété de mon coeur.» (Ibid.) —La honte vous retient ? Vous rougissez de révéler vos péchés en présence des hommes ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8
Voilà donc la disposition qu’il faut revêtir tout d’abord. Ensuite, les jeûnes quotidiens, la mortification de l’esprit et du corps obtiendront la grâce de la satisfaction; car, selon qu’il est écrit : «Sans effusion de sang, il n’y a pas de rémission.» (Hb 9,22). Et justement. En effet, «la chair ni le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu.» (1 Cor 15,50). Par suite, quiconque retient «le glaive de l’esprit, qui est la parole de Dieu,» (Eph 6,17) afin d’empêcher cette effusion du sang, celui-là tombera sans aucun doute sous la malédiction de Jérémie : «Maudit, celui qui refuse le sang à l’épée !» Jer 78,10). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 8
Quant à ces manquements intimes on «le juste tombe sept fois le jour et se relève», (Pro 24,16) il y aura toujours matière au repentir. Car, nous les commettons fréquemment chaque jour, volontairement ou non, par ignorance et oubli, par pensée on par parole, par surprise ou impulsion, par la fragilité de la chair. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 12
Il répondait en alléguant la condition de l’humaine nature, combien fragile, combien incertaine ! Quel péril à s’engager dans les désirs et les oeuvres de la chair ! Il ajoutait qu’il n’était loisible à personne, de mettre comme une frontière entre soi et le bien que l’on avait reconnu infiniment digne d’être embrassé. Puis, il y avait plus de danger à mépriser le bien connu, qu’à ne pas l’aimer inconnu. Lui-même, n’était-il pas déjà sous la prévarication, dès là qu’ayant découvert des biens si magnifiques et si célestes, il leur en avait préféré de terrestres et de sordides ? Les grandeurs de la perfection convenaient à tout âge, à tout sexe; tous les membres de l’Église étaient invités à gravir les hauteurs des vertus les plus sublimes : Courez, avait dit l’Apôtre, afin de remporter le prix. (1 Cor 9,24). Les retards des apathiques et des lâches ne devaient point retenir la prompte ardeur des enthousiastes. N’était-ce pas le droit, que l’avant-garde entraînât les paresseux, plutôt que de voir sa course entravée par leur poids mort ? Au surplus, sa résolution était prise, de renoncer au siècle et de mourir au monde, afin de vivre à Dieu; et s’il ne pouvait obtenir ce bonheur, de passer avec sa compagne dans la société du Christ, il aimait mieux être sauvé avec un membre de moins, et entrer mutilé dans le royaume des cieux, plutôt que d’être damné avec son corps entier. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9
Il ajoutait encore de nouvelles raisons. Si Moïse permet aux Juifs de renvoyer leurs épouses à cause de la dureté de leur coeur, pourquoi le Christ n’accorderait-il pas le même privilège au désir de la chasteté ? La Loi, et le Seigneur après elle, n’avaient-ils pas prescrit de tenir en haute révérence les autres affections de famille, l’amour d’un père, d’une mère, de ses enfants ? Et néanmoins, le même Seigneur déclarait qu’il fallait, pour son Nom et le désir de la perfection, non pas simplement y renoncer, mais les haïr. Et il y joignait l’amour conjugal : Quiconque laisse maison, ou frères, ou soeurs, ou père, ou mère, ou femme, ou enfants, ou champs à cause de mon Non, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. (Mt 29). Ainsi donc, il était si peu disposé à souffrir aucune comparaison avec la perfection qu’il prêchait, qu’il voulait nous voir briser et rejeter pour son amour les liens sacrés eux-mêmes qui nous unissent à notre père et à notre mère, et qui font, selon l’Apôtre,l’objet du premier commandement auquel une récompense eût été promise : Honore ton père et ta mère, — c’est le premier commandement auquel soit promise une récompense — afin que tu sois heureux, et que tu vives longtemps sur la terre. (Eph 6,2-3). Il paraissait donc assez évident que si l’Évangile condamnait celui qui rompt le lien du mariage hors le cas d’adultère, il promettait aussi le centuple à qui secoue le joug de la chair pour l’amour du Christ et le désir de la chasteté. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 9
Il commence par se faire à lui-même une objection, comme parlant en leur nom : Pourquoi avons-nous jeûné, sans que vous regardiez ? Pourquoi avons-nous humilié nos âmes, sans que vous y preniez garde ? (Is 58,3). Il reprend aussitôt, et fait connaître les raisons pour lesquelles ils ne méritent pas d’être exaucés : C’est, dit-Il, que votre volonté propre se trouve au jour de votre jeûne, et redemandez vs créances à tous vos débiteurs. Voici : vous jeûnes, pour faire des procès et des querelles; et vous frappez du poing méchamment. Ne jeûnez plus comme vous l’avez fait jusqu’à ce jour, si vous voulez que votre cri soit entendu là-haut. Est-ce là un jeûne qui me plaise, que l’homme afflige son âme durant un jour ? Courber la tête comme un cercle, se coucher sur le sac et la cendre : est-ce là ce que vous appelez un jeune, un jour agréable au Seigneur ? (Is 87,3-5). Puis, il enseigne la manière, pour celui qui jeûne, de rendre agréable son abstinence, et prononce évidemment que le jeûne, par soi-même, n’est utile à rien, à moins de s’entourer des conditions suivantes : Le jeûne qui m’agrée, n’est-ce pas celui-ci ? Dénouez les chaînes d’impiété, déliez les fardeaux qui accablent, renvoyez libres les opprimés, brisez tous les jougs. Rompez votre pain à celui qui a faim, faites entrer dans votre maison les pauvres et les sans-abri. Si vous voyez un homme nu, couvrez-le, et ne méprisez point votre propre chair. Alors, votre lumière éclatera comme un matin, et la santé vous viendra promptement; la justice marchera devant votre face, et la Gloire du Seigneur sera votre arrière-garde. Alors, vous appellerez, et le Seigneur vous entendra; vous crierez, et il vous dira : Me voici. (Is 57,6-9) Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 14
En effet, la miséricorde, la patience, la charité ou les autres vertus précédemment nommées et dans lesquelles réside le bien par essence, ne doivent pas se subordonner au jeûne, mais le jeûne à elles. Il faut travailler à les acquérir, elles qui sont vraiment bonnes, par le moyen du jeûne; et non pas leur donner le jeûne pour terme. Affliger la chair a son utilité; l’abstinence est un bon traitement à lui appliquer : pourquoi ? Afin d’arriver, par cette méthode, à la charité, où consiste le bien immuable et perpétuel, sans exception de temps. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15
Or, ces notes auxquelles se reconnaît le bien essentiel, ne sauraient être attribuées au jeûne en aucune façon. — Il n’est pas bon de soi, ni nécessaire pour lui-même : ce qui en fait la pratique salutaire, c’est qu’elle se propose d’acquérir la pureté de coeur et de corps, et de réconcilier l’âme purifiée avec son Auteur, en émoussant les aiguillons de la chair. — Il n’est pas toujours et immuablement bon; car il nous arrive fréquemment de l’interrompre, sans en éprouver aucun dommage. Bien plus, il tourne à la perte de l’âme, lorsqu’on s’y livre à contretemps. — Son contraire, c’est-à-dire le plaisir que l’on trouve naturellement à manger, n’est pas non plus un mal essentiel, car, s’il ne s’accompagne d’intempérance, de luxure ou de quelque autre vice, on ne peut dire qu’il soit mauvais : Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme. (Mt 15,11). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16
GERMAIN. — La chair ne sera-t-elle point flattée par les douceurs insolites d’une fête si prolongée ? Et dès lors, se peut-il que la racine des vices, si bien retranchée qu’elle soit, ne germe pas des épines nouvelles ? L’esprit, appesanti par une bonne chère inaccoutumée ne fléchira-t-il pas la rigueur de son empire a l’égard de son serviteur le corps ? Chez nous surtout, la verdeur de la jeunesse ne va-t-elle pas tôt pousser à la rébellion nos membres domptés, si nous prenons les mets habituels avec une plus grande abondance, ou nous en permettons d’extraordinaires ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 21
Il importe donc de garder notre coeur constamment attentif et circonspect, en toute prudence et sagacité. Car quel malheur, si le jugement de notre discrétion venant à errer, nous nous laissions enflammer par le désir d’une abstinence inconsidérée ou séduire par l’amour d’une excessive douceur ! Ce serait peser nos forces sur une balance fausse. Eh bien, non ! Mettant sur un plateau la pureté de l’âme, sur l’autre notre vigueur corporelle, pesons-les selon le jugement véridique de la conscience, de manière à n’être entraînés ni d’une part ni de l’autre, par une affection prépondérante et vicieuse. Si nous inclinions la balance, ou vers une austérité sans mesure, ou vers un trop grand relâchement, il nous serait dit pour cet excès : Si vous avez bien offert et que vous n’ayez pas bien partagé, n’avez-vous point péché ? (Gen 7,7). Les sacrifices extorqués à notre pauvre estomac, au prix de convulsions violentes, nous avons beau les croire offerts à Dieu selon la droiture; Celui qui aime la miséricorde et la justice, (Ps 32,5) les exècre : Je suis le Seigneur, dit-il, qui aime la justice, et qui hais l’holocauste venant de rapine. (Is 46,8). Par ailleurs, ceux qui consacrent le principal de leurs offrandes, je veux dire de leur service et de leurs actes, à favoriser la chair et à satisfaire leurs propres besoins, ne réservant au Seigneur que des restes, une part insignifiante, la divine parole les condamne à leur tour comme des ouvriers infidèles : Maudit soit celui qui fait l’oeuvre de Dieu avec fraude. (Jer 48,10). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 22
Hélas ! il n’est point de fête dont la joie puisse étouffer les aiguillons de la chair. Nous avons en elle un adversaire farouche, que ne sait point adoucir la révérence due aux plus saints des jours. Il est possible toutefois de conserver aux fêtes la solennité fixée par la coutume, sans outrepasser la mesure d’une salutaire parcimonie. Il suffira de ne pas laisser franchir à l’indulgence et aux douceurs les limites suivantes : la nourriture que nous réservions pour la neuvième heure, nous la prendrons un peu plus tôt, c’est-à-dire à la sixième heure, étant donné le caractère festif du temps, mais nous ne changerons rien à la mesure accoutumée ni à la qualité, de crainte que la pureté de corps et l’intégrité d’âme conquises par l’abstinence du carême, ne se perdent par les mitigations de la Pentecôte, et qu’il ne nous serve de rien d’avoir obtenu par le jeûne ce qu’une imprudente satiété ne tarderait pas à nous arracher. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 23
Ainsi, point d’extra, ni pour la qualité ni pour la quantité de la nourriture. Les mets dont la privation gardait notre pureté sans atteinte aux jours ordinaires, proscrivons-les également durant les jours les plus solennels, de peur que l’allégresse de la fête, en nous suscitant les combats de la chair, ne se change en deuil, et ne fasse s’évanouir la fête plus excellente de l’esprit, qui consiste dans la joie triomphante de l’innocence parfaite. Après la joie charnelle, si brève et si vaine, nous devrions pleurer, dans les longues afflictions de la pénitence, notre pureté perdue. Non, non ! tâchons, au contraire, que l’exhortation du prophète ne nous soit pas adressée en vain : Célèbre, ô Juda, tes fêtes, accomplis tes voeux. (Nah 1,15). Si les solennités qui viennent interrompre le cours ordinaire du temps, ne changent rien à la continuité de notre abstinence, nous jouirons de fêtes spirituelles sans trêve, et, cessant de cette sorte toute oeuvre servile, nous irons de nouvelle lune en nouvelle lune et de sabbat en sabbat. (Is 46,23). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 23
Mais la Loi, qui garantit le droit mutuel des époux, a beau restreindre les emportements de la chair à l’unité du mariage : il est impossible que les aiguillons de la luxure ne restent très vivaces. Un feu auquel on s’applique à fournir des aliments, se renferme malaisément dans les bornes qu’on lui a fixées; mais il s’échappe, pour brûler tout ce qu’il touche. Je veux que la concupiscence ait toujours, dans le mariage, comme une matière à dévorer, qui l’empêche de répandre au dehors ses ardeurs brûlantes. Elle ne laisse pas néanmoins d’embraser, alors même qu’elle est contenue; car, dans la volonté, se développe une tendance coupable, et l’usage légitime crée une pente rapide vers l’infidélité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 33
Or, n’être pas sous la grâce, parce qu’on n’a pas su gravir les cimes de la doctrine du Seigneur; ni sous la Loi, parce qu’on refuse d’embrasser les commandements mêmes, si faciles, de la Loi : c’est subir deux fois la tyrannie du péché; c’est croire qu’on n’a reçu la grâce du Christ, qu’afin de se séparer de lui par une liberté funeste; c’est tomber dans l’abîme contre lequel nous prévenait l’apôtre Pierre : Agissez comme des hommes libres, et non en hommes qui se font de la liberté un manteau à couvrir leur malice. (1 Pi 2,16). Et le bienheureux apôtre Paul dit de même : Pour vous, mes frères, vous avez été appelés à la liberté, ce qui signifie : à l’affranchissement de la tyrannie du péché; seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte, pour vivre selon la chair, (Gal 5,13) c’est-à-dire : Ne croyez pas qu’échapper aux préceptes de la Loi, c’est ouvrir la carrière aux vices. La vraie liberté ne se trouve que là où demeure le Seigneur; c’est encore l’apôtre Paul qui nous l’enseigne : Le Seigneur, c’est l’Esprit; où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. (2 Cor 3,17). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 34
Pourquoi sommes-nous parfois plus âprement combattus de la chair, dans le temps même où nous sommes plus adonnés au jeûne ? Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 35
GERMAIN. — Vous venez de faire la lumière sur une question fort obscure, et qui garde pour beaucoup, je pense, tout son mystère. Aidez-nous, je vous prie, à poursuivre nos progrès, en éclaircissant encore ce point : dans le temps même de nos plus grandes ardeurs a jeûner, nous sentons s’élever dans notre chair des combats plus violents; et souvent, à notre réveil, nous sommes si abattus de ce qui nous est arrivé, que, toute confiance nous abandonnant, nous n’osons même plus nous lever pour la prière. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 35
Ce n’est pas, en effet, la chasteté extérieure, la circoncision apparente, qui fait le sujet de vos soucis, mais celle qui est dans le secret. Vous savez que la plénitude de la perfection ne consiste pas dans une continence toute matérielle, que la nécessité ou l’hypocrisie peuvent donner même aux infidèles; mais qu’elle gît dans la pureté du coeur, qui part de la volonté libre et demeure cachée aux yeux. C’est elle que prêche l’Apôtre : Le vrai Juif n’est pas celui qui l’est au dehors, et la vraie circoncision n’est pas celle qui paraît dans la chair. Mais le Juif, c’est celui qui l’est intérieurement; et la circoncision, c’est celle du coeur, dans l’esprit non selon la lettre. Ce vrai Juif aura sa louange, non des hommes, mais de Dieu, (Rom 2,28-29) qui seul pénètre les secrets des coeurs. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 36
Rappel de notre question : Pourquoi les combats de la chair se font-ils parfois plus violents après une plus grande abstinence ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 2
Voici le point, si je ne me trompe, que touchait votre question : C’est parfois dans un temps de relâche et de joyeux abandonnement que les aiguillons de la chair semblent s’amollir; et il arrive, au contraire, que, redoublant d’abstinence, le corps languissant et épuisé, nous soyons pressés de plus rudes assauts, jusqu’au point de subir des souillures involontaires. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 2
THÉONAS. — Certes, nous devons apporter tout le soin qui est en nous à garder immaculée la pureté de notre chasteté, alors surtout que nous souhaitons d’approcher des saints autels. Quelle vigilance, quelle circonspection, quelles précautions, infinies ne seront pas de saison, pour que l’intégrité de notre chair, indemne jusque-là, ne nous soit pas ravie la nuit même où nous nous préparons à la communion du divin banquet ! Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 5
Le Lévitique nous fait, en termes évidents, un commandement identique à celui de l’Apôtre : Quiconque, sera pur, pourra manger de la chair du sacrifice. Mais, celui qui, se trouvant en état d’impureté, aura mangé de la chair du sacrifice salutaire appartenant au Seigneur, périra devant le Seigneur (Lév 7,19-20). Nous voyons aussi dans le Deutéronome que l’homme impur est mystiquement séparé du camp spirituel : S’il se trouve un homme parmi vous qui ait souffert quelque impureté durant la nuit, il sortira du camp, et ne reviendra pas, avant de s’être baigné vers le soir; et après le coucher du soleil, il pourra rentrer dans le camp (Dt 23, 10-11). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 5
Ils passent donc sans retard à la deuxième cause. N’y a-t-il pas là faute de l’esprit et excès dans le jeûne ? Il s’en trouve, en effet, je dis des plus austères, qui s’élèvent insensiblement de leur pureté corporelle. Mais, alors, c’est le vice de la superbe qui leur ménage une pénible déception, parce qu’ils ont cru obtenir par leurs forces humaines ce qui est un don très particulier de Dieu, la chasteté du corps. On interroge donc le frère. Se croirait-il capable d’une telle vertu par ses propres efforts, en sorte qu’il se puisse passer du Secours divin ? Mais lui d’abominer une idée si impie. Il affirme humblement qu’il n’eût pas conservé son corps pur, même les autres jours, si la Grâce divine ne l’avait aidé. Dès lors, il fallait se rabattre sur la troisième cause. Tout est clair : on est en face d’une secrète machination du diable. Assurés qu’il n’y a faute ni de l’esprit ni de la chair, les anciens décident hardiment que le frère doit prendre part au sacré banquet. Persévérer dans son abstention, serait donner dans le piège adroit que lui tend la malignité de l’ennemi, rester éloigné du Corps du Christ et de sa Sainteté, et se voir à jamais exclu, par cette ruse diabolique, d’un si puissant moyen de salut. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6
Quant à nous, pour être délivrés de toute illusion regrettable, il faut tendre de toute notre force : premièrement, à triompher du vice impur, afin que, selon la parole du bienheureux Apôtre, le péché ne règne plus dans notre corps mortel par notre obéissance à ses convoitises; deuxièmement, à calmer et endormir la puissance de la chair, de manière à ne pas livrer nos membres au péché, comme des instruments d’iniquité; troisièmement, à mortifier jusque dans les moelles, notre homme intérieur tout instinct de concupiscence, nous offrant à Dieu comme vivants, de morts que nous étions. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6
Quels sont donc, en effet, les vierges du Christ, véritables et sans tache ? Ceux qui redoutent le mal ? Ceux qui n’y ont pas de complaisance ? Ceux qui, refrènent le vice ? Non pas; mais ceux qui ont étouffé jusque dans leur âme le plus léger souffle de la volupté, les plus imperceptibles mouvements de la passion; ceux qui ont tellement réduit, si je puis ainsi parler, le sens de la chair, qu’ils n’en ressentent plus la moindre atteinte. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 6
La raison en est premièrement, que cette manne céleste possède une si haute majesté que, personne, en cette chair pétrie de limon, ne peut songer à la recevoir par la vertu de ses propres mérites, et non par une libéralité toute gratuite du Seigneur. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 7
C’est donc par cette seule exception qu’il se distingue de nous tous : nous ne sommes pas tentés sans péché; Lui, au contraire, fut tenté, sans péché. Quel est l’homme, pour courageux et vaillant qu’il soit, qui ne prête maintes fois le flanc aux traits ennemis ? Qui vivra sans danger parmi les périls de tant de combats, comme s’il était revêtu d’une chair vulnérable ? Seul le Christ, le plus beau des enfants des hommes (Ps 44,3), en prenant une condition mortelle et toute la fragilité de la chair, ne connut jamais l’atteinte d’une souillure. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 9
Seul le Christ est venu dans la ressemblance de la chair du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11
Et comment faudra-t-il entendre ce que dit de Lui l’Apôtre, qu’Il est venu dans la ressemblance de la chair du péché, si nous pouvons avoir aussi une chair exempte de la tache du péché ? Car c’est bien encore un privilège unique de Celui qui seul est sans péché, qu’Il veut exprimer dans ces paroles : Dieu a envoyé son Fils dans la ressemblance de la chair du péché (Rm 8,3). Prenant, dans sa vérité et son intégrité, la substance de notre chair, le Christ ne prit point avec elle le péché, mais seulement la ressemblance du péché. Ainsi, le mot ressemblance ne va pas contre la Vérité de la chair, selon le sens absurde de quelques hérétiques, mais regarde l’image du péché. Il avait une chair véritable; mais elle était sans péché, et portait seulement la ressemblance de la chair pécheresse. La première partie de la phrase affirme la réalité de la nature humaine; la deuxième concerne ses vices et ses moeurs. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11
Il avait la ressemblance de la chair du péché, lorsque, tel un homme ignorant et inquiet pour sa nourriture, Il demandait : Combien avez-vous de pains ? (Mc 6,38) Mais, comme sa Chair n’était point sujette au péché, son Esprit ne l’était pas non plus à l’ignorance. Aussi, l’Évangéliste ajoute-t-il aussitôt : Il dit cela pour l’éprouver, car Il savait, Lui, ce qu’Il devait faire (Jn 6,6). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11
Il avait une chair semblable à la chair pécheresse, lorsque, comme un homme qui souffre de la soif, Il demandait à boire à la femme de Samarie. Mais sa Chair n’était pas souillée de la tache du péché, car, voyez le contraste ! C’est Lui qui invite la Samaritaine à solliciter l’eau vive qui l’empêcherait d’avoir soif à jamais, et deviendrait en elle une source d’eau jaillissant jusqu’à la vie éternelle (cf. Jn 4,7 et ss). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11
On pouvait penser qu’Il portait une chair pécheresse, aussi bien que les autres, lorsque, dans le péril de mort et frappé de terreur à la vue des supplices qui Le menaçaient, Il faisait cette prière : Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de Moi ! (Mt 26,39) ou qu’Il disait : Mon âme est triste jusqu’à la mort (Ibid., 38). Mais cette tristesse ignorait la souillure du péché, parce que l’Auteur de la vie ne pouvait redouter la mort. Il dit, en effet : Personne ne Me prend ma Vie, c’est de Moi-même que Je la donne; J’ai le pouvoir de la donner, et J’ai le pouvoir de la reprendre (Jn 10,18). Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 11
Il y a donc, entre l’Homme né de la Vierge et ceux qui naissent des oeuvres de la chair, cette différence considérable, que tous nous portons dans notre chair, non pas la ressemblance, mais la vérité du péché, tandis que Lui, tout en prenant une chair véritable, n’a point pris cependant la vérité mais seulement la ressemblance du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 12
Au demeurant, quiconque ose se déclarer sans péché, s’abandonne à un orgueil blasphématoire, et revendique une part du privilège si uniquement propre au Seigneur. C’est dire, en effet, qu’on a la ressemblance de la chair du péché, et non la vérité du péché. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 12
Voici le bienheureux Pierre, le premier entre les apôtres. Que penser de lui, sinon qu’il était saint ? À l’heure surtout que le Seigneur lui disait : Tu es heureux, Simon, fils de Jean, car ce n’est pas la chair ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux… Et Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que tu lieras sur la terre, sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre, sera délié dans les cieux (Ibid. 17,19). Toutefois, l’instant d’après, dans son ignorance du mystère de la passion, il s’oppose, sans savoir, à ce qui devait être un si grand bienfait pour le genre humain : À Dieu ne plaise, Seigneur, cela Ne sera pas ! Et il mérite cette réponse : Arrière, Satan ! tu M’es à scandale; car tes sentiments ne sont pas ceux de Dieu, mais ceux des hommes (Ibid., 22,23). Quoi ! lorsque l’Équité même lui adresse un tel reproche, faut-il croire qu’il ne soit pas tombé ? Mais faut-il penser, d’autre part, qu’il ne soit pas demeuré dans la sainteté de la justice ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 13
C’est de lui et des saints qui lui ressemblent, que nous devons entendre ce que chante David : Le Seigneur affermit les pas de l’homme, et Il prend plaisir à sa voie. Si le juste tombe, il ne se brisera pas, parce que le Seigneur le soutient de sa Main (Ps 36,23-24). Celui dont les pas sont affermis par le Seigneur, peut-il ne pas être juste ? Et pourtant, c’est de lui qu’il est dit : S’il tombe, il ne se brisera pas. Que signifie : S’il tombe, sinon : S’il tombe en quelque péché ? Il ne se brisera pas, est-il dit. Qu’est-ce là ? Que les assauts du péché ne l’accableront pas longtemps. Sur l’heure, il peut bien paraître brisé; mais, relevé par le Secours divin, qu’il implore, sa promptitude à se remettre debout fait qu’il ne perd point l’immobile rectitude de la justice, ou du moins, s’il la perd un instant par la fragilité de la chair, la Main du Seigneur, en le soutenant, la lui rend. Un homme pourrait-il cesser d’être saint après sa chute, lorsque, reconnaissant qu’il ne saurait être justifié par la confiance en ses propres oeuvres, et persuadé que la seule Grâce du Seigneur le délivrera des innombrables liens du péché, il ne cesse de proclamer avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur (Rm 24,25) ? Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 13
GERMAIN. — Beaucoup sont d’avis que cet endroit de l’Apôtre devrait s’entendre différemment. Il n’a pas parlé en son propre nom, affirment-ils, mais dans la personne des pécheurs qui voudraient s’abstenir des voluptés charnelles. Ils voudraient; cependant, prisonniers de leurs vices anciens, enchantés des passions se la chair, ils ne peuvent se contenir; l’habitude invétérée du mal les opprime sous une impitoyable tyrannie, qui ne leur permet pas de respirer l’air pur de la liberté et de la vertu. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 15
Et ce mot, dira-t-on qu’il convienne aux pécheurs : Je suis donc le même qui, par l’esprit, sers la loi de Dieu; et par la chair, la loi du péché (Rm 7,25) ? Il est manifeste qu’ils ne servent Dieu ni dans leur esprit ni dans leur corps. Et comment ceux qui pèchent de corps, serviraient-ils Dieu par l’esprit ? Le foyer des vices est engendré dans la chair par le coeur ! L’auteur même de l’une et l’autre substance le déclare, c’est là qu’est la source et l’origine du péché : C’est du coeur, dit-il, que procèdent les pensées mauvaises, les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages (Mt 15,19), et le reste. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 1
La preuve en est désormais bien évidente, ces textes ne peuvent s’entendre de la personne des pécheurs. Car, non seulement ils ne haïssent pas le mal, mais ils l’aiment; loin de servir Dieu par l’esprit et par la chair, ils font le mal dans leur coeur, avant de le commettre dans la chair, et, avant qu’ils livrent leur corps au plaisir, le péché de leur esprit et de leurs pensées les a déjà prévenus. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 1
Aussi, voyez-le reconnaissant, d’une part, les fruits inappréciables qu’il fait dans la vie active ; de l’autre, pesant dans son coeur le bien de la théorie. Il met en quelque sorte sur un plateau de la balance le fruit de tant de labeurs, sur l’autre le délice de la contemplation divine. Puis, longtemps il s’efforce, dirait-on, d’amener à la rectitude parfaite son jugement intérieur. Car, d’un côté, le prix immense de ses travaux le réjouit; mais, de l’autre, le désir de l’unité et de l’inséparable société du Christ l’invite à quitter son corps. Enfin, dans son doute, il s’écrie : Que choisir ? Je l’ignore. Je me sens pressé des deux parts. J’ai le désir de voir se briser les liens de mon corps et d’être avec le Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur; mais il est plus utile que je demeure dans la chair à cause de vous (Phil 1,22-24). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5
Voilà comme il élève bien au-dessus des fruits de sa prédication ce bien suréminent. Et toutefois, devant la charité, sans laquelle on ne mérite point le Seigneur, il se décide à plier. En considération de ceux qu’il nourrit, comme pourrait le faire une mère, du lait de l’Évangile, il ne refuse pas la séparation d’avec le Christ, dommageable pour lui, mais nécessaire aux autres. Son excessive tendresse, l’incline à ce parti. Ne le pousse-t-elle pas à souhaiter, s’il était possible, le mal suprême de l’anathème pour le salut de ses frères : Je souhaiterais, d’être anathème du Christ pour mes frères, mes parents selon la chair, eux qui sont Israélites (Rm 9,3-4). C’est-à-dire : Je voudrais être voué, non seulement à des peines temporelles, mais à des peines éternelles, pour que tous les hommes, s’il se pouvait, jouissent de la compagnie du Christ; car je suis certain que le salut de tous est plus utile au Christ et à moi-même, que le mien propre. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5
Telle était la disposition que le bienheureux apôtre Jean voulait inculquer à tous, lorsqu’il disait : Mes petits enfants, n’aimez point le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la charité de Dieu n’est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie; et cela ne vient pas du Père, mais du monde. Cependant, le monde passe, et sa concupiscence avec lui; mais celui qui fait la Volonté de Dieu, demeure éternellement (Jn 2,15-17). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 8
Déchoir, par le poids victorieux des pensées terrestres, des hauteurs sublimes de la contemplation; passer, contre sa volonté, et qui plus est à son insu, sous la loi du péché et de la mort; se voir détourner de la divine Présence, pour ne rien dire des autres causes de distractions, par les oeuvres énumérées plus haut, bonnes et justes à la vérité, terrestres néanmoins : voilà donc qui est pour les saints d’une expérience quotidienne. Certes, ils ont sujet de pousser des gémissements continuels vers le Seigneur; ils ont sujet de se proclamer pécheurs, non pas seulement de bouche, mais aussi de coeur, avec les sentiments d’une vraie humilité et componction; ils ont sujet de répandre sans cesse de vraies larmes de pénitence, en implorant le pardon des fautes où les entraîne chaque jour la fragilité de la chair. Aussi bien, c’est pour jusqu’au dernier instant de leur vie qu’ils se voient la proie des agitations qui leur sont une perpétuelle et cuisante douleur, hors d’état d’offrir leurs supplications elles-mêmes sans mélange d’inquiétude. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 10
Conscients désormais de l’inanité des forces humaines, pour atteindre, malgré le fardeau de la chair, à la fin désirée, de leur impuissance à s’unir selon le désir de leur coeur au Bien incomparable et souverain; des distractions qui les mènent captifs vers les choses de ce monde, loin de la contemplation divine : ils recourent à la Grâce de Dieu, qui justifie les impies (Rm 4,5), et protestent avec l’Apôtre : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? La Grâce de Dieu par notre Seigneur Jésus Christ. Ils sentent, en effet, qu’ils ne peuvent accomplir le bien qu’ils veulent; mais qu’ils tombent sans cesse dans le mal qu’ils ne veulent pas, qu’ils détestent, je veux dire dans l’agitation des pensées ou le souci des choses temporelles. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 10
Sur ces paroles : Je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair (Rm 7,18). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 13
Charnels, condamnés aux épines et aux chardons, de par la malédiction première de Dieu; vendus par notre père dans nu marché inique : nous sommes donc impuissants de faire le bien que nous voulons. Occupés de la pensée du Dieu très-haut, la nécessité nous en arrache, pour songer aux besoins de l’humaine fragilité; brûlant d’amour pour la pureté, les aiguillons de la chair, que nous voudrions ignorer, nous blessent maintes fois malgré nous. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 13
Par là, nous savons que le bien n’habite pas dans notre chair, je veux dire la constante et perpétuelle tranquillité de contemplation et de pureté dont nous nous sommes entretenus. Il s’est fait en nous un funeste et lamentable divorce. Par l’esprit, nous voudrions servir la Loi de Dieu et ne détourner jamais notre vue de la Clarté divine. Mais, environnés des ténèbres de la chair, une loi de péché nous arrache de force au bien que nous connaissons. Des cimes de l’esprit, nous tombons vers les soucis et les pensées terrestres, auxquels nous condamne justement la loi du péché, la Sentence divine portée contre le premier pécheur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 13
Je vous le demande encore une fois, quelle est cette loi qui milite dans nos membres et lutte contre la loi de notre esprit, qui, après nous avoir menés, en dépit de notre résistance, tels des captifs sous la loi du péché et de la mort et rendus ses esclaves quant à la chair, nous laisse néanmoins servir Dieu par l’esprit ? Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15
Je ne pense pas, quant à moi, que la loi du péché désigne les péchés énormes ou qu’elle puisse s’entendre des crimes énumérés à l’instant. À se rendre coupable de telles fautes, on ne servirait plus la loi de Dieu par l’esprit, mais on devrait, au contraire, faire divorce avec elle dans son coeur, avant d’en commettre quelqu’une dans sa chair. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15
Supposons un instant que, par cette loi des membres, ils se sentissent engagés en des crimes quotidiens : ce n’est pas la félicité qu’ils se plaindraient d’avoir perdue, mais l’innocence. L’Apôtre Paul ne dirait pas : Malheureux homme que je suis ! mais : Homme impur, scélérat que je suis ! Il ne souhaiterait pas la délivrance de ce corps de mort, c’est-à-dire de la condition mortelle, mais des hontes et des crimes de la chair. Or, au contraire, se voyant, de par l’humaine fragilité, tenu captif et entraîné vers les sollicitudes et les soins charnels, fruits de la loi du péché et de la mort, il gémit sur cette loi à laquelle il est soumis malgré lui et recourt sur-le-champ au Christ, dont la Grâce le sauve par une prompte délivrance. Tout ce que la loi du péché, racine féconde en épines et chardons de pensées et de soucis terrestres, vient à produire de sollicitudes au coeur de l’Apôtre, la Loi de la Grâce l’arrache sans tarder : Car, dit-il lui-même, la Loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort (Rm 8,2). Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15
On peut même raisonnablement penser qu’il a voulu mettre un accent particulier, une sorte d’emphase dans sa manière de dire : Ainsi donc, moi-même, comme pour signifier : Moi que vous connaissez pour un Apôtre du Christ, que vous révérez en tout honneur et respect, que vous croyez si grand et si parfait, moi qui suis le porte-parole du Christ, je confesse que, servant la Loi de Dieu par l’esprit, je sers la loi du péché par la chair. Les distractions inhérentes à l’humaine condition, me forcent à descendre souvent du ciel sur la terre; et, des hauteurs où il aime a planer, mon esprit s’abîme au souci des choses basses et vulgaires. Loi du péché, qui, je le sens, me fait captif à tout moment : et, bien que mes désirs persévèrent dans leur direction immuable vers Dieu, je me vois impuissant à m’évader de cette captivité violente, à moins d’un incessant recours à la Grâce du Sauveur. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16
Enfin, si nous avons à coeur d’approfondir la question et de savoir plus exactement si l’impeccabilité est possible à la nature humaine, qui nous en instruira mieux que ceux qui ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises (Gal 5,24), et pour qui le monde est crucifié (Ibid., 6,14) véritablement ? Or, après avoir déraciné tous les vices de leur coeur; bien plus, alors qu’ils s’efforcent de bannir jusqu’à la pensée et au souvenir du péché : ils confessent tous les jours avec loyauté qu’ils ne peuvent rester sans la tache du péché, l’espace d’une heure seulement. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 20
Nous ne sommes pas tellement destitués de tout secours du côté de nos parents. Il n’en manque pas qui se feraient une joie de nous entretenir de leurs biens, s’il ne nous souvenait de cette parole du Sauveur, qui nous fait exclure tout ce qui va à flatter la chair : Quiconque ne laisse pas – ou ne hait pas – son père et sa mère, ses enfants et ses frères, ne peut être mon disciple (Lc 14,26). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 2