Lors donc que nous offrons à Dieu la dîme de nos biens, nous demeurons en, quelque sorte sous le joug de la Loi; nous ne sommes pas encore parvenus à la sublime perfection de l’Évangile, qui n’accorde pas seulement à ses fidèles les bienfaits de la vie présente, mais les gratifie encore des récompenses à venir. Pour la Loi, en effet, ce n’est pas le prix du royaume des cieux qu’elle promet en retour à ceux qui l’observeront, mais les consolations de cette vie. Celui qui accomplira ces commandements, dit-elle, y trouvera la vie. (Lev 18,5). Mais le Seigneur à ses disciples : Heureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux; (Mt 5,3) et : Quiconque laisse maison, ou frères, ou soeurs, ou père, ou mère, ou femme ou enfants, ou champs à cause de mon Nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. (Ibid. 19,29). Et c’est justice : il y a moins de gloire à s’abstenir des choses défendues, qu’à renoncer encore aux choses licites, et à n’en point user, par révérence pour Celui qui a permis cette latitude à notre infirmité. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Il ajoutait encore de nouvelles raisons. Si Moïse permet aux Juifs de renvoyer leurs épouses à cause de la dureté de leur coeur, pourquoi le Christ n’accorderait-il pas le même privilège au désir de la chasteté ? La Loi, et le Seigneur après elle, n’avaient-ils pas prescrit de tenir en haute révérence les autres affections de famille, l’amour d’un père, d’une mère, de ses enfants ? Et néanmoins, le même Seigneur déclarait qu’il fallait, pour son Nom et le désir de la perfection, non pas simplement y renoncer, mais les haïr. Et il y joignait l’amour conjugal : Quiconque laisse maison, ou frères, ou soeurs, ou père, ou mère, ou femme, ou enfants, ou champs à cause de mon Non, recevra le centuple et possédera la vie éternelle. (Mt 29). Ainsi donc, il était si peu disposé à souffrir aucune comparaison avec la perfection qu’il prêchait, qu’il voulait nous voir briser et rejeter pour son amour les liens sacrés eux-mêmes qui nous unissent à notre père et à notre mère, et qui font, selon l’Apôtre,l’objet du premier commandement auquel une récompense eût été promise : Honore ton père et ta mère, — c’est le premier commandement auquel soit promise une récompense — afin que tu sois heureux, et que tu vives longtemps sur la terre. (Eph 6,2-3). Il paraissait donc assez évident que si l’Évangile condamnait celui qui rompt le lien du mariage hors le cas d’adultère, il promettait aussi le centuple à qui secoue le joug de la chair pour l’amour du Christ et le désir de la chasteté. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS
Comment, à ceux qui renoncent parfaitement, le centuple est promis dès ce monde. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
C’est en ce sens fort juste, fort vrai et entièrement d’accord avec la foi, qu’il faut entendre la promesse faite par le Seigneur au parfait renoncement, de le payer du centuple dès cette vie : Quiconque laisse une maison, ou des frères, ou des soeurs, ou un père, ou une mère, ou une femme, ou des enfants, ou des champs à cause de mon nom, recevra le centuple et possédera la vie éternelle (Mt 19,29). Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Mais la continence aussi goûtera une suavité cent fois plus grande que le contentement de la nature. Puis, pour la satisfaction de posséder un champ, une maison, quelle abondance, quel centuple de richesses et de joie, lorsque passant à l’adoption des fils, on possédera comme un bien propre tout ce qui est au Père éternel, disant en vérité et du fond du coeur, à l’imitation du Fils véritable : Tout ce qu’a mon Père est à moi (Jn 16,15) ! Sans rien des préoccupations douloureuses et des inquiétudes d’autrefois, le coeur tranquille et joyeux, on entrera partout, comme chez soi; chaque jour, on entendra résonner à son oreille la parole de l’Apôtre : Tout est à vous, et le monde, et les choses présentes, et les choses futures (1 Co 3,22), et celle de Salomon : À l’homme fidèle, tout le monde appartient avec ses richesses (Pro 17,6). Ainsi, le centuple se trouve dans la grandeur du prix et l’incomparable différence de la qualité. Pour un certain poids de bronze, de fer, de quelque vil métal, ou vous rend un poids égal d’or : impossible de ne pas penser que c’est là rendre plus que le centuple. De même, lorsque, pour le mépris des voluptés et des affections terrestres, c’est la joie spirituelle et le délice de la très précieuse charité qui paye de retour, le nombre peut rester le même de part et d’autre; il n’empêche que ceci ne soit cent fois plus grand et plus magnifique. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Et, pour rendre la chose plus évidente, à force de la répéter, tel aimait son épouse avec les emportements de la convoitise (cf. 1 Thess 4,5); il l’aime maintenant dans l’honneur de la sainteté et la vraie dilection du Christ : c’est la même et unique épouse, mais le prix de l’amour s’est élevé au centuple. Mettez encore en balance le trouble de la colère et de la fureur avec la constante douceur de la patience; le tourment des soucis et des préoccupations avec le repos de la tranquillité; la tristesse infructueuse du siècle présent, toute en souffrance, avec le fruit de la tristesse qui opère le salut : la vanité des satisfactions temporelles avec l’abondance de la joie spirituelle et, dans un tel échange, le centuple vous apparaîtra manifestement. De même, si l’on compare à la brève et fuyante volupté des vices le mérite de la vertu contraire, le bonheur se multiplie singulièrement de l’une à l’autre : preuve évidente que le prix de la vertu est aussi cent fois supérieur. Le nombre 100 s’obtient, en effet, en passant de la main gauche à la main droite; et bien que la figure formée par les doigts soit identique, la quantité signifiée a pourtant énormément grandi. À gauche, nous étions parmi les boucs; en passant à droite, nous sommes élevés au rang des brebis. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
En effet, quiconque renonce, pour le Nom du Seigneur, à l’amour d’un père, d’une mère, d’un fils, pour entrer dans la vraie et pure dilection de tous les serviteurs du Christ, reçoit cent fois plus de frères et de parents. Car, au lieu d’un seul père, d’un seul frère, il en a dorénavant une multitude, et qui lui sont attachés par une affection bien plus ardente et plus haute. Il voit également se multiplier ses maisons et ses champs, celui qui, ayant abandonné pour l’amour du Christ une seule demeure, possédera comme en propre d’innombrables monastères; et, en quelque partie du monde que ce soit, il y entrera, comme s’il en était le maître. – Comment ne reçoit-il pas aussi le centuple, et, s’il est permis d’ajouter à la Parole de notre Seigneur, plus que le centuple, celui qui, renonçant aux services peu sûrs et contraints de dix ou vingt esclaves, se voit prévenu de bons offices par tant de personnes libres et de noble origine ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM
Enfin, pour clore cette conférence, est-ce que les fidèles serviteurs du Christ ne sont pas encore payés de retour au centuple, lorsque les plus hauts princes de la terre les honorent à cause de son Nom ? Certes, ce n’est pas qu’ils recherchent eux-mêmes la gloire humaine. Et néanmoins, ils sont en respect aux juges et aux puissants, jusque parmi les extrémités de la persécution. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM