Cassiano: pratique

Elle fait la matière de deux sciences : la première, pratique ou active, est toute dans le soin de réformer ses moeurs et de se purifier des vices; la seconde, théorique, consiste en la contemplation des choses divines et la connaissance des mystères les plus sacrés. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 1

Quelqu’un veut parvenir à la théorie : nécessairement, toute son étude et son énergie doivent tendre d’abord à acquérir la science pratique. Celle-ci peut s’obtenir sans la théorie; mais la théorie, sans la science pratique, demeure hors de nos prises. Ce sont comme deux degrés méthodiquement disposés, pour que l’humaine petitesse puisse monter vers les hauteurs. S’ils se succèdent en la manière que nous avons dite, on peut arriver jusqu’aux sommets. Mais, le premier degré supprimé, on n’y volera point par-dessus cet abîme. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 2

J’ai dit que la science pratique consiste en deux points. Mais elle se divise en beaucoup de professions et d’états. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 4

Mais il est utile et séant à chacun, selon l’état de vie qu’il a choisi ou la grâce qu’il a reçue, de se hâter en toute ardeur et diligence vers l’achèvement de l’oeuvre entreprise. Il pourra bien louer et admirer les vertus des autres. Mais qu’il ne sorte point pour cela de la profession qu’il a lui-même une fois embrassée, sachant que, suivant l’Apôtre, le corps de l’Église est un, mais les membres plusieurs, et qu’elle a «des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée : soit de prophétie, pour l’exercer conformément à la règle de la foi; soit de ministère, pour l’exercer dans les fonctions du ministère. Si quelqu’un a reçu le don d’enseigner, qu’il enseigne ! d’exhorter, qu’il exhorte ! Que celui qui donne, le fasse en simplicité; celui qui préside, en diligence; celui qui pratique la miséricorde, avec une aimable gaieté !» (Rom 12,6-8). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 5

La pratique, nous l’avons dit plus haut, se partage en beaucoup de professions et d’états. La théorie se divise en deux parties, c’est-à-dire l’interprétation historique et l’intelligence spirituelle; et c’est ce qui fait dire à Salomon, après avoir détaillé la grâce multiforme de l’Église : «Tous ceux de sa maison ont double vêtement.» (Pro 31,21). La science spirituelle, à son tour, comprend trois genres : la tropologie, l’allégorie et l’anagogie. C’est d’eux qu’il est dit dans les Proverbes : «Pour vous, écrivez ces choses en triples caractères sur la largeur de votre coeur.» (Pro 22,20). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8

La tropologie est une explication morale qui regarde la pureté de la vie et les principes de la conduite : comme si, par ces deux Alliances, nous entendions la pratique et la théorie, ou que nous voulions prendre Jérusalem ou Sion pour l’âme humaine, comme il nous est montré dans ces paroles : «Loue, Jérusalem, le Seigneur; loue ton Dieu, Sion.» (Ps 147,12). Les quatre figures peuvent se trouver réunies. Ainsi, la même Jérusalem revêtira, si nous le voulons, quatre acceptions différentes : au sens historique, elle sera la cité des Juifs; au sens allégorique, l’Église du Christ; au sens anagogique, la cité céleste, «qui est notre mère à tous;» au sens tropologique, l’âme humaine, que nous voyons souvent louer ou blâmer par le Seigneur sous ce nom. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8

La science, qui est aussi mentionnée par l’Apôtre, représente la tropologie. Celle-ci nous fait discerner selon la prudence l’utilité ou la bonté de toutes les choses qui relèvent du jugement pratique: comme lorsqu’il nous est ordonné de juger par devers nous «s’il convient qu’une femme prie Dieu, la tête non voilée.» (1 Cor 11,13). Cette sorte d’interprétation renferme, nous l’avons dit, un sens moral. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 8

Je sens que vous avez le zèle de la lecture. Conservez-le; et de toute votre ardeur, hâtez-vous de posséder au plus tôt la plénitude de la science pratique, c’est-à-dire morale. Sans elle, la pureté de la contemplation, dont nous parlions naguère, demeure hors de nos prises. Ceux-là seulement qui sont devenus parfaits, non certes par l’effet de la parole de leurs maîtres, mais par la vertu de leurs propres actions, l’obtiennent, pour ainsi dire, en récompense, après l’avoir payée de bien des oeuvres et des labeurs. Ce n’est pas dans la méditation de la loi qu’ils acquièrent l’intelligence, mais comme le fruit de leurs travaux. Ils chantent avec le psalmiste : «Par vos commandements m’est venue l’intelligence.» (Ps 118,104). Ils s’écrient, pleins de confiance, après avoir éliminé, toute passion : «Je chanterai des psaumes et j’aurai l’intelligence dans le chemin de l’innocence.» (Ps 100,1-2). Car celui-là comprend, tandis qu’il psalmodie, les paroles qu’il chante, qui marche dans les voies de l’innocence par le privilège d’un coeur pur. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 9

Prenez garde avant tout et vous particulièrement, Jean, que votre jeunesse engage plus encore à observer ce que je vais dire de commander à votre bouche le plus complet silence, si vous ne voulez pas qu’un vain élèvement rendent inutiles et votre ardeur à la lecture et vos labeurs pleins de saints désirs. C’est ici le premier pas dans la science pratique : recevoir les enseignements et les décisions de tous vos anciens d’une âme attentive, mais la bouche en quelque sorte muette; les déposer avec soin dans votre coeur, et vous empresser à les accomplir, plutôt qu’à faire le docteur. Au lieu des prétentions funestes de la vaine gloire, vous verrez se multiplier les fruits de la science spirituelle. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 9

Dans les conférences avec les anciens, ne prenez point la liberté de dire mot, si ce n’est pour demander ce qu’il vous serait nuisible d’ignorer ou ce qu’il vous est nécessaire de connaître. Il en est qui, possédés de l’amour de la vaine gloire, ne feignent d’interroger que pour montrer leur savoir. Mais il ne se peut pas que celui qui s’applique à la lecture dans le dessein d’acquérir la gloire humaine, mérite jamais le don de la vraie science. Esclave de cette passion, comment ne porterait-on pas également les chaînes des autres vices, et particulièrement de la superbe ? Mais ainsi terrassé dans le combat de la science pratique et morale, on n’obtiendra point la science spirituelle, qui lui doit son origine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 9

Recueillie avec empressement, soigneusement déposée dans les retraites de l’âme, munie du cachet du silence, il en sera de la doctrine comme de vins au parfum suave, qui réjouissent le coeur de l’homme. Ainsi que la vieillesse fait le vin, la sagesse, qui tient lieu à l’homme de cheveux blancs, et la longanimité de la patience la mûriront. Lorsqu’ensuite elle paraîtra sur vos lèvres, ce sera en exhalant des flots de senteurs embaumées. Il en sera d’elle encore comme d’une fontaine sans cesse jaillissante. Ses eaux bienfaisantes, multipliées par l’expérience et la pratique des vertus, iront se débordant; et du fond de votre coeur, d’où elle sourdra comme d’un secret abîme, elle se répandra en fleuves intarissables. Il arrivera de vous ce qui est dit dans les Proverbes à l’homme pour qui toutes ces choses sont devenues des réalités : «Bois l’eau de tes citernes et de la source de tes puits. Que les eaux de ta source débordent, que tes eaux se répandent sur tes places !» (Pro 5,15-16).Selon la parole du prophète Isaïe, «vous serez comme un jardin bien arrosé, comme une source d’eau qui jamais ne tarit. Les lieux déserts depuis des siècles seront par vous bâtis; vous relèverez les fondements posés de génération en génération; et l’on dira de vous : c’est le réparateur des haies, le restaurateur de la sûreté des chemins.» (Is 58,11-12). La béatitude promise par le même prophète vous sera donnée en partage : «Le Seigneur ne fera plus s’éloigner de toi ton maître, et tes yeux verront ton précepteur. Tes oreilles entendront la voix de celui qui t’avertira, criant derrière toi : Voici le chemin; marchez-y; ne vous en détournez ni à droite ni à gauche.» Et vous verrez cette merveille, que non seulement toute la direction de votre coeur et son étude, mais les écarts mêmes de vos pensées et leur vagabondage incertain ne seront plus qu’une sainte et incessante méditation de la loi divine. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 13

Telle est la science pratique, que l’Apôtre appelle d’un autre nom la charité, et que son autorité nous enseigne à préférer à toutes les langues des hommes et des anges, à la plénitude de foi capable de transporter même les montagnes, à toute science et prophétie, à l’abandon de tous nos biens, enfin au glorieux martyre lui-même. Après avoir énuméré tous les genres de charismes : «À l’un est donnée par l’Esprit une parole de sagesse, à l’autre, une parole de science, à un autre la foi, à un autre le don de guérison, à un autre la puissance d’opérer des miraclesÉ» il va parler de l’amour. Or, remarquez dans un seul mot comme il la met au-dessus de tous les charismes : «Aussi bien, dit-il, je vais vous montrer une voie excellente entre toutes.» (1 Cor 12,8-10). Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ NESTEROS CHAPITRE 2

Mais ils méconnaissent absolument le sens de ce texte et l’objet qu’il se propose. Ils s’imaginent pratiquer la patience évangélique par le vice de la colère. Or, c’est précisément afin de le retrancher radicalement que, non content de nous interdire la pratique du talion et les provocations aux voies de fait, le Seigneur nous ordonne d’apaiser qui nous frappe, par notre constance à supporter l’injure, même redoublée. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBÉ JOSEPH CHAPITRE 20

JOSEPH — Je n’entends point parler ici des commandements principaux, sans lesquels le salut est impossible; mais de ceux que nous pouvons, sans péril pour notre état, négliger ou garder : telles la rigueur continue du jeûne, l’abstinence perpétuelle de vin ou d’huile, la pratique de ne jamais sortir de notre cellule, la lecture et la méditation incessantes. Ce sont là, en effet, des exercices que l’on peut observer à son gré, ou laisser de côté, si besoin est, sans que notre profession ait à en souffrir, ni notre idéal de vie. Les Conférences: SECONDE CONFÉRENCE DE L’ABBA JOSEPH CHAPITRE 28

Nous en avons connu plus d’un, venus de vos régions jusqu’en ce désert, qui parcouraient les monastères des frères à seule fin d’apprendre. Mais il n’entrait aucunement dans leur pensée d’embrasser les règles et les coutumes qui faisaient pourtant tout l’objet de leur voyage, ni de se retirer dans quelque cellule, pour tâcher de mettre en pratique ce qu’ils avaient vu ou entendu. Retenant leurs anciennes modes et les usages où ils avaient été appris, on eut sujet de croire, comme certains leur en font le reproche, qu’ils n’avaient changé de province, qu’en vu d’éviter la gêne et la pauvreté, et non pas avec la volonté de progresser. Loin d’acquérir quelque instruction, leur opiniâtreté fut cause qu’ils ne purent demeurer longtemps. Dès là, en effet, qu’ils ne consentaient à aucun changement, soit dans l’observance des jeûnes, soit pour l’ordre de la psalmodie ou le vêtement lui-même, que pouvait-on penser, sinon qu’ils ne poursuivaient d’autre but, en venant chez nous, que d’y trouver les moyens de subsister ? Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 2

il peut arriver que, sur l’heure, vous ne saisissiez pas le sens profond ou le principe de telle parole, de telle conduite. N’en soyez point ébranlés, et ne laissez pas de vous y conformer. Ceux qui jugent de tout avantageusement et en simplicité, puis s’appliquent à imiter fidèlement ce qu’ils ont vu faire ou dire à leurs anciens, plutôt qu’à le discuter, trouveront la lumière par surcroît dans la pratique elle-même et l’expérience. Mais il n’entrera jamais dans la vérité, celui qui commence à s’instruire en disputant. L’ennemi, voyant qu’il se fie plus à soit jugement qu’à celui des pères, l’amènera sans peine à regarder comme superflues et périlleuses les choses mêmes les plus utiles et les plus salutaires. Ce maître en artifices se jouera de sa présomption; tant et si bien, qu’il force de s’entêter dans ses opinons déraisonnables, le malheureux en viendra jusqu’à se persuader que cela seul est saint, que son aveugle obstination trouve juste et bon. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PIAMUN CHAPITRE 3

C’est de faits analogues qu’est venue la pratique de mettre en réserve, le samedi, dans une petite corbeille à main, la nourriture de la semaine, c’est-à-dire quatorze pains; en sorte que, si le solitaire oublie sa réfection, il puisse s’en apercevoir. Cette coutume a l’avantage encore que prévenir une autre erreur. Lorsque le pain est consommé, c’est le signe que la semaine est écoulée, et que le jour du Seigneur est arrivé. Ainsi, le solitaire est infailliblement averti de se rendre à l’assemblée des frères, pour en célébrer la solennité. Si les transports dont j’ai parlé viennent à troubler ce calcul, le travail quotidien offre un moyen nouveau de compter les jours et d’écarter toute erreur. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 4

GERMAIN. — Il est manifeste pour nous que vous n’avez pas seulement effleuré, comme beaucoup, les premiers degrés de ces deux vies, mais que vous vous êtes élevé jusqu’à leurs cimes. Aussi désirons-nous savoir de vous la fin du cénobite et celle de l’ermite. Personne assurément n’est plus capable de traiter ce sujet d’une manière exacte à la fois et complète, que celui qu’une longue pratique et les leçons de l’expérience ont rendu parfait en l’une et l’autre profession, et propre à en exposer le mérite et la fin en toute doctrine et vérité. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA JEAN CHAPITRE 7

Pour clore cette conférence, c’est peu à qui souhaite d’atteindre la cime de la perfection, d’être parvenu jusqu’à la fin de la pénitence, c’est-à-dire de s’abstenir des choses défendues. Infatigable dans sa course, il doit tendre toutes ses énergies vers la pratique des vertus qui conduisent à la pleine satisfaction. Se garder des souillures graves, qui sont abominables au Seigneur, ne suffit pas, si l’on n’acquiert, par la pureté du coeur et la perfection de la charité apostolique, la bonne odeur des vertus, qui fait ses délices. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA PINUFE CHAPITRE 12

Cette facilité des préceptes anciens, c’est le ton impérieux du Législateur qui l’atteste. Ne va-t-il pas jusqu’à menacer de la malédiction ceux qui ne les rempliraient pas ? Maudit, s’écrie-t-il, celui qui ne sera pas demeuré dans tout ce qui est écrit au livre de la Loi, de manière à le mettre en pratique. (Dt 27,26). Maintenant, au contraire, telle est la sublimité, telle est l’excellence des commandements, qu’il nous est dit seulement : Que celui qui peut comprendre, comprenne ! (Mt 19,22). L’énergique sommation du Législateur marquait autrefois l’humilité des ordonnances : J’en prends à témoin contre vous aujourd’hui le ciel et la terre, dit-il : si vous ne gardez pas les commandements de votre Seigneur, vous périrez et disparaîtrez de la face du pays. (Dt 4,26). La magnificence et sublimité des commandements nouveaux se marque par un conditionnel, qui tient moins d’un ordre que d’une exhortation : Si tu veux être parfait, va, (Mt 19,21) fais ceci ou cela. Moïse impose, même aux récalcitrants, un fardeau si léger, qu’il ne laisse pas d’excuse; saint Paul donne un conseil, et seulement à ceux qui veulent, et se hâtent vers la perfection. (cf. 1 Cor 7,25). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 5

Car songez : la médecine, l’orfèvrerie, les autres arts qui sont dans le monde, ne s’exercent pas en vue des instruments nécessaires à leurs travaux; ce sont les instruments qui sont ordonnés à la pratique de l’art. Utiles aux habiles, ceux-ci deviennent de vains hochets entre des mains ignorantes de la science de l’art. Ils profitent beaucoup à qui sait les utiliser pour produire; mais à celui qui ne connaissant pas la fin pour laquelle ils sont destinés, se contente simplement de les avoir, ils ne peuvent servir absolument de rien : car toute leur utilité, à ses yeux, consiste à les posséder, non à faire oeuvre quelconque. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 15

Or, ces notes auxquelles se reconnaît le bien essentiel, ne sauraient être attribuées au jeûne en aucune façon. — Il n’est pas bon de soi, ni nécessaire pour lui-même : ce qui en fait la pratique salutaire, c’est qu’elle se propose d’acquérir la pureté de coeur et de corps, et de réconcilier l’âme purifiée avec son Auteur, en émoussant les aiguillons de la chair. — Il n’est pas toujours et immuablement bon; car il nous arrive fréquemment de l’interrompre, sans en éprouver aucun dommage. Bien plus, il tourne à la perte de l’âme, lorsqu’on s’y livre à contretemps. — Son contraire, c’est-à-dire le plaisir que l’on trouve naturellement à manger, n’est pas non plus un mal essentiel, car, s’il ne s’accompagne d’intempérance, de luxure ou de quelque autre vice, on ne peut dire qu’il soit mauvais : Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme. (Mt 15,11). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 16

Nous lisons dans l’Évangile que les Pharisiens jeûnaient, et les disciples de Jean aussi, tandis que les apôtres, comme amis et convives du céleste époux, n’avaient point la même pratique. Or, les disciples de Jean pensaient bien tenir dans leur jeûne la somme de la justice. Est-ce qu’ils ne suivaient pas la trace de cet extraordinaire prédicateur de la pénitence, modèle à tous les peuples par l’exemple de sa vie, qui ne se refusait pas seulement les mets variés dont les hommes font usage, mais ignorait le pain lui-même, qui forme la nourriture commune de tous ? Ils se plaignent donc au Seigneur : Pourquoi, tandis que nous et les Pharisiens, nous jeûnons fréquemment, vos disciples ne jeûnent-ils pas ? (Mt 9,14). Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 18

THÉONAS. — Votre question soulève derechef un problème infini; et je sais que, si l’on n’est instruit par l’expérience, il est également impossible d’en livrer et d’en saisir le secret. J’essayerai toutefois, selon mon pouvoir, de le résoudre et de l’expliquer brièvement. J’y mets cette unique condition, que votre intelligence ne s’intéresse pas seule à mes paroles, mais qu’elle s’accompagne de la pratique et des oeuvres. Ainsi en va-t-il de tout ce qui s’apprend par l’expérience, plutôt que par doctrine : celui qui ne l’a pas pratiqué, est incapable d’en instruire les autres; et l’on ne saurait non plus le comprendre ni le retenir, à moins d’en vivre profondément. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 32

J’ignore si j’ai pu tirer au clair la pensée du bienheureux Apôtre, comme savent la pénétrer ceux qui ont pour eux l’expérience. Ce que je sais très bien, c’est que, sans maître qui l’explique, elle découvre ses secrets à ceux qui sont allés jusqu’au bout de la science pratique. Ils n’auront pas à se travailler, pour comprendre dans une conférence ce que l’action leur a appris. Les Conférences: PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 34

Reste enfin la troisième cause. Par une pratique régulière et vigilante de l’abstinence, par la contrition du coeur et du corps, nous souhaitons d’acquérir la perpétuelle pureté de chasteté. Mais, tandis que nous prenons un soin si méritoire du bien du corps et de l’esprit, la jalousie perfide de l’ennemi imagine cette tactique savante. Abattre notre confiance, et nous humilier comme par une faute véritable : tel est son but. Là-dessus, il choisit particulièrement les jours où nous désirons plaire davantage à la divine Présence par une intégrité plus parfaite, pour souiller notre corps, afin de nous détourner de la très sainte communion. Les Conférences: DEUXIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉODOSE CHAPITRE 3

Si nous attendions d’être dignes, nous ne ferions pas même la communion une fois l’an. Cette pratique de la communion annuelle est celle de plusieurs, qui demeurent dans les monastères. Ils se forgent une telle idée de la dignité, de la sainteté, de la grandeur des divins Mystères, qu’il ne faut s’en approcher, à leur sens, que, si l’on est saint et sans tache, et non pas plutôt afin de le devenir. Ils pensent éviter toute présomption orgueilleuse. En réalité, celle où ils tombent est plus grande : car, le jour du moins où ils communient, ils se jugent dignes de la communion. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 21

Mais, afin de comprendre ces choses et d’en garder un utile souvenir, implorons avec plus d’attention la Miséricorde du Seigneur, afin qu’Il nous aide à les accomplir. Elles ne s’apprennent pas, en effet, comme les autres sciences humaines, où l’on commence par l’enseignement verbal. C’est la pratique, c’est l’expérience qui doivent ici précéder. Cependant, il est également nécessaire, et d’en faire une étude soignée dans des conférences avec les hommes spirituels, et de les approfondir par des exemples et une expérience de chaque jour : autrement, elles s’effacent par la négligence, ou elles se perdent par l’oubli. Les Conférences: TROISIÈME CONFÉRENCE DE L’ABBA THÉONAS CHAPITRE 21

Non pas, croyez-le bien, que nous n’eussions très volontiers suivi votre pratique, si les exemples des apôtres et les enseignements de nos anciens nous avaient appris qu’elle fût plus utile. Mais sachez qu’elle est cause d’un inconvénient non moins grave que celui dont nous parlions tout à l’heure : sain de corps et robuste comme vous êtes, c’est l’argent des autres qui doit fournir à votre subsistance; or ceci ne convient en bonne justice qu’aux personnes débiles. Les Conférences: CONFÉRENCE DE L’ABBA ABRAHAM CHAPITRE 12