Zinzendorf : Les degrés de la foi: Herzbegriff et Herzwahrheit.

Zinzendorf établit une distinction subtile entre Herzbegriff et Herzwahrheit. Non seulement le terme Begriff, pris au sens commun, s’oppose à Wahrheit, la vérité au sens le plus élevé, mais le mot coeur ne s’entend pas dans la même acception. Lorsque Zinzendorf parle d’inculquer l’idée de maternité divine aux non-régénérés, il recommande de couper coeurt à toute spéculation. Il faut laisser de côté les idées abstraites, les symboles, on cherchera à donner de cette matière une idée selon le coeur (Herzbegriff). C’est ce que Zinzendorf appelle, à ce niveau, la connaissance vivante. Nous sommes sur le plan de la pédagogie pratique ; ce qui compte, c’est Y effet produit sur le coeur.

Voyons comment Zinzendorf définit par ailleurs cette simple idée du coeur (Herzbegriff). C’est une connaissance obscure, une intuition dans l’acception vulgaire du terme. Ce n’est pas une connaissance explicite, une notion claire. C’est un simple sentiment qui suffit pour nous faire tressaillir et coeurir au devant de ce Dieu qui vient à nous. C’est tout au plus la connaissance des prophètes, mais les prophètes n’avaient pas la gnose. Ils ne sont que de simples instruments. Balaam offre la preuve éclatante qu’on peut proférer des « oracles divins » sans pour autant être régénéré1. A ce niveau, le coeur peut être l’organe du fanatisme et lorsque Zinzendorf le récuse, il lui oppose, sur ce plan précis, la lettre de l’Ecriture, alors que pour les spirituels, cette lettre ne saurait suffire sans le commentaire de l’Esprit.

11 est vrai que la connaissance claire n’est pas demandée à tout le monde. Zinzendorf parle de la foi implicite, qui suffit; au commun des mortels pour assurer son salut, exactement dans les termes dont il se servait pour définir Herzbegriff. C’est la foi du coeur, qui s’exprime par le sentiment, ce mot étant pris au sens vulgaire. Cette foi implicite, conçue sur le mode de la sensibilité obscure, ira du simple cri de détresse de la créature, qui est à la base des religions, à la foi amoureuse de ceux qui ont été « éveillés ». Dieu, affirme Zinzendorf, n’exige de tous que la foi qui naît de la détresse humaine. C’est une foi élémentaire.

Or, il y a aussi une autre foi. Cette dernière apporte la connaissance claire. C’est la foi explicite. Zinzendorf répète que la foi élémentaire suffit pour gagner la félicité éternelle. Or, il y a des degrés dans le bonheur qui la préfigure sur terre2. Combien plus grand est celui des élus qui, depuis le simple réveil, se sont élevés de degré en degré, de la notion de Créateur à celle de la Divinité éternelle de Jésus, et dont la foi sait se communiquer ! Il ne s’agit plus de foi implicite, de notions obscures ni de simple foi amoureuse, mais de certitude, d’évidence, de propositions apodictiques. C’est une foi savante.

C’est à ce degré de la foi que les Frères doivent communiquer entre eux. Il n’est plus question d’enseigner l’autre, c’est-à-dire de l’instruire d’une vérité qu’il ne posséderait pas encore. Chacun est instruit directement par le Saint Esprit et dans leurs épanchements, les Frères font fructifier une connaissance qui est déjà dans le coeur du moindre d’entre eux. A ce niveau, le mot coeur a naturellement son sens le plus élevé, c’est tout l’homme intérieur. C’est l’organe suprême de la saisie mystique, qui englobe tous les sens spirituels, car le régénéré a des sens qui doublent sa simple sensibilité physique.

Dans cette acception, Zinzendorf ne dira plus Herzbegriff, mais Herzwahrheit. Lorsqu’il regrette la vulgarisation des vérités suprêmes, c’est-à-dire des mystères, il s’exprime ainsi : « Catholisation tieffer und vom Heiligen Geiste sich vorbehaltener Herzwahrheiten » .

Suivant les degrés de la foi, nous aurons trois théologies. La théologie du monde s’inspirera de la situation de détresse de la créature. Ce sera la foi malheureuse (Noth-Glaube). Il y aura la théologie des élèves, sur le plan du réveil. Sa nourriture sera le lait qu’on donne aux enfants. C’est le plan de la foi amoureuse (verliebter Glaube). Enfin, nous avons la théologie des vrais docteurs. Nous sommes maintenant sur le plan de la foi explicite.


  1. Balaam est le voyant des Nombres qui ne sut résister aux présents que lui offrait le roi de Moab pour lui faire maudire les Israélites. Dieu plaça sur son chemin un ange qui avait une épée à la main. L’ânesse du prophète refusa d’avancer et, accablée de coups, elle lui reprocha de l’avoir frappée. Cf. Mos III, p. 1301. 

  2. Zinzendorf voit dans les béatitudes de Mt V, 3-11 autant de degrés qui jalonnent la vie intérieure, cf. Ev I, p. 158.