Zacharie, évêque de Mételin, dit le Scolastique, Contemporain et ami d’Énée, Gazéen comme lui, s’occupa aussi de la création du monde dans son dialogue « Ammonios, ou de la création du monde ». A part l’attitude commune d’Énée et de Zacharie, nous avons sur plusieurs points des problèmes et des arguments identiques et il serait intéressant de savoir lequel des deux dialogues parut le premier. Il se peut bien naturellement qu’ils soient tous les deux basés sur des lieux communs de l’attitude chrétienne de leur époque. Le dialogue de Zacharie est composé dans le but de réfuter la doctrine sur l’éternité du monde professée à Alexandrie par le néoplatonicien Ammonios Hermeiou, l’élève de Proclus, et le médecin sophiste Gesius. Dès le commencement l’opposition entre paganisme et christianisme se pose d’une manière beaucoup plus tranchée et dure. Ammonios est selon Zacharie un soi-disant philosophe ; quant à Proclus, il est sans ménagement qualifié aphilosophos et asophos. Les doctrines se distinguent en doctrines helléniques et en doctrines chrétiennes et à partir d’un certain moment le principal personnage du dialogue, qui est l’auteur lui-même, se donne le nom de chrétien.
La thèse d’Ammonios, qui est celle de Proclos et d’après laquelle le terme création ne signifie qu’un certain lien de causalité, — le monde est né seulement en tant qu’il est l’effet d’une cause ; c’est pourquoi, coéternel au créateur, il est élevé à la même dignité que lui, — oblige Zacharie à développer le concept de Dieu dans toute sa pureté chrétienne. Dieu, dit-il, est intelligible et incorporel, incorruptible et immortel, toujours dans le même état, incirconscriptible, au delà de toute description, lien et relation. Il a été de tout temps créateur, comme ayant en lui les raisons créatrices. De même que le médecin est médecin, même quand il ne soigne pas des malades, de même Dieu est créateur, même quand il ne l’est pas effectivement. Il continue d’ailleurs de l’être toujours par sa Providence et par le fait qu’il est celui qui contient l’univers. D’autre part, ajoute-t-il, le Dieu des chrétiens est le créateur par excellence, puisqu’il a tiré du néant la substance elle-même et a donné à la forme la matière qui lui convenait. « Car nous soutenons, dit-il, que Dieu est le créateur des substances elles-mêmes, et non pas, comme vous, le créateur des formes seulement, celui qui a donné la forme et l’espèce à la matière informe et sans espèce. » Quoique Dieu ait en lui de tout temps la volonté de créer ce qu’il crée actuellement, il crée seulement quand c’est pour le bien des créatures, non pas pour son compte, ni pour se servir des créatures, comme dit Platon, ni pour être Dieu, mais uniquement parce qu’il est bon, et parce qu’il est Dieu. Quant au monde sensible c’est un blasphème de dire qu’il est éternel comme Dieu. Quand Gesius dit que s’il est vrai que tout ce qui naît, naît dans le temps, il n’est pas possible que* le temps lui-même ait une naissance ; car s’il est né, puisque tout ce qui naît, naît dans le temps, il s’ensuivrait que le temps fût né dans le temps ; ce qui est absurde ; le temps est donc sans naissance, ainsi que le monde lui-même (3) ; Zacharie répond qu’il n’est pas vrai que tout ce qui naît, naît dans le temps. D’ailleurs il n’est pas du tout nécessaire que le temps lui-même naisse dans le temps ; autrement on chercherait un temps sans temps pour qu’il y ait le temps. Le temps naît dans l’éternité, il est l’enfant de l’éternité, de Dieu éternel, comme le monde qui est son image sensible. Le biais platonicien sous lequel il voit le monde sensible et ses problèmes permet à Zacharie de se plonger dans l’éternité de Dieu. Pour soutenir l’éternité du monde les païens usaient d’un autre argument, celui de la sphère. Le monde, disaient-ils, est comme la sphère sans commencement et sans fin. A quoi le chrétien répond quelque peu naïvement : « Ce n’est, dit-il, que pour moi et toi que le commencement de la sphère est insaisissable ; en réalité elle commence quelque part comme quand nous traçons un cercle. » De même, en conclut-il, le monde a commencé à partir de quelque point temporel.
Ce qui précède laisse se dessiner clairement la différence profonde qui sépare le Dieu des philosophes grecs de celui des philosophes chrétiens. Le premier est plutôt un principe explicatif, une cause métaphysique, qui sert plutôt à lier qu’à séparer les deux mondes, le monde sensible et le monde intelligible. Il offre plusieurs accès et issues de l’un à l’autre. C’est un Dieu philosophique qui répond à l’activité d’intellectualisation. Le second est purement et simplement Dieu. Il se pose plutôt pour séparer que pour unir les deux mondes. Il n’est pas fait pour aider la raison humaine à expliquer les choses, mais pour la braver. Dès lors ce n’est pas par l’intellect que nous nous approcherons de l’Inabordable, mais par l’amour. Tout étant Lui et en Lui, c’est vers Lui que nous devons toujours nous tourner. A l’éternité du monde le philosophe grec cherche une base pour y fonder la science du sensible et du devenir. Le chrétien y Voit un blasphème contre Dieu. La science du sensible l’intéresse seulement en tant qu’elle l’aide à saisir Dieu.
Zacharie est bien au courant de la philosophie de Platon et d’Aristote, en ce qui a rapport au sujet de son dialogue. Il connaît le Timée, le Phédon, le Phèdre, les théories d’Aristote sur les causes, la puissance, l’acte, la forme, la matière et la critique qu’il a faite aux idées platoniciennes. Quant aux Pères de l’Église il se rapporte à saint Basile et surtout à Grégoire de Nysse, le Théologos. Seuls les Pères jugés comme orthodoxes attirent son attention.