William Law : Extraits sur Dieu

En effet, le principe de la vie de notre âme étant une émanation du Dieu Triun, il appartient nécessairement à la nature divine, mais quant à nous, il se trouve comme enseveli par les opérations de la chair et du sang, jusqu’au moment où quelques coups de la Providence venant à frapper et à ébranler cette chair et ce sang, nos yeux, si longtemps fermés, s’ouvrent enfin et nous forcent à chercher et à trouver quelque chose au-dedans de nous que ni notre raison ni nos sens ne nous avaient fait soupçonner auparavant. Ne vous étonnez donc point du conflit qui s’est élevé dans votre âme, du désir vif que vous avez de pénétrer plus avant dans la connaissance de ces sublimes vérités, non plus que de l’impatience que vous sentez de les communiquer aux autres ; ce sont là les témoins qui attestent qu’il est né dans vous un esprit céleste ; seulement, veillez exactement sur tous les mouvements de la nature, et prenez garde que quelque sentiment humain, terrestre et propriétaire, ne vienne se mêler à ce feu divin. Il faut, en effet, que votre esprit soit libre, dégagé de toute partialité, qu’il aime tout ce qui est bon, qu’il pratique tout ce qui est vertueux, pour l’amour de la vertu et de la bonté elles-mêmes, parce qu’elles viennent de Dieu, qu’il ne désire la lumière, soit pour lui soit pour les autres, que dans la volonté de Dieu et afin que sa bonté devienne vivante et dans eux et dans lui. Toute bonté venant de Dieu, nous ne pouvons être bons, en réalité, qu’en proportion que le bien que nous faisons, ou que nous voulons faire, est effectué dans l’esprit et par l’esprit par lequel Dieu lui-même est bon ; car comme il n’y en a qu’un seul de bon, il ne peut y avoir non plus qu’une seule bonté réelle. Pourquoi m’appelles-tu bon, dit ce divin maître, il n’y a qu’un seul Bon, qui est Dieu. Aussi, n’est-ce point à cette bonté qui est selon la prudence humaine et adaptée à notre raison propriétaire et à notre caractère naturel que nous sommes appelés, mais à être parfaits comme notre Père qui est au ciel est parfait. Or si notre Père est dans le ciel, il faut que notre esprit et notre vie y soient aussi, autrement nous ne sommes point ses enfants véritables ; si donc nous avons été faits pour le ciel, et que ce soit le ciel que nous ayons perdu, ce n’est point une bonté humaine qui pourra nous faire redevenir les enfants célestes de notre Père qui est aux cieux ; il faudra nécessairement que, par une renaissance céleste, cet esprit qui procède de la bonté même de Dieu vienne opérer dans nous, comme il opère en lui, nous faire aimer sa lumière comme il l’aime lui-même, enfin nous faire désirer que les autres en jouissent, comme il le désire lui-même. Or Dieu est un amour libre, universel, impartial, aimant et opérant toute sorte de bien, pour l’amour du bien lui-même ; et c’est en cela que consiste la plus noble et la plus parfaite opération de la vie ; ainsi tout être qui n’est pas bon pour l’amour de la bonté même est imparfait, participant du mal, de la misère et de la mort ; et il faut nécessairement qu’il naisse de nouveau à cette bonté de Dieu pure, libre et sans mélange, pour qu’il puisse sortir de cet état d’imperfection, de misère et de mort. Oui, quand nous pratiquerions extérieurement toutes les vertus, et que nous ferions en apparence tout ce que les saints de Dieu ont fait, si nous ne le faisons pas par le même esprit, par lequel Dieu lui-même est bon, et que ce ne soit pas lui qui opère tout cela en nous, nos efforts sont vains pour nous élever au-delà de la circonscription terrestre, et nous demeurons sans communication avec le Ciel. Quand je parlerais le langage des anges et des hommes, dit saint Paul, si je n’ai point la charité je ne suis qu’un airain retentissant. Quand j’aurais le don de prophétie, que je comprendrais tous les mystères, que je connaîtrais tout, et que j’aurais une foi capable de transporter des montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien. Quand je donnerais tout mon bien aux pauvres, que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE THÉOPHILE

C’est ainsi que s’exprime notre Divin Maître, et celui en qui son esprit est vivant habite véritablement le ciel, quoiqu’en apparence il soit encore enveloppé de la chair et du sang matériels. Du moment où nous nous sommes déclarés les ennemis de notre faux caractère naturel, de nos affections terrestres, de notre égoïsme, et que nous désirons ardemment en esprit de prière la communication et la manifestation de la vie de Dieu en nous, dès ce moment, dis-je, nous sommes en route pour arriver à être bons de la bonté céleste. Cette bonté est l’unique réelle, elle est une, comme Dieu est un, et c’est avec raison qu’elle est appelée céleste, puisqu’elle est l’apanage exclusif de la nature céleste, et qu’elle ne peut exister dans l’homme jusqu’à ce que cet esprit qui n’est point de ce monde, mais qui est du ciel, ait vaincu et surmonté dans lui toutes les opérations de la nature terrestre. La chair et le sang ne sauraient opérer et travailler que pour eux-mêmes ; de même que les ténèbres sont nécessairement obscures, que la glace est nécessairement froide, que la terre procède nécessairement du principe terrestre, et le jour du principe de la lumière, ainsi la chair et le sang, ou le principe qui procède de la vertu astrale et élémentaire de ce monde, ne peut opérer que suivant la nature des lois astrales élémentaires ; il ne peut manifester qu’une vie temporelle périssable, il est incapable d’avoir le sentiment de la nature divine, et il ne saurait pas plus franchir dans l’homme les bornes de sa nature qu’il ne le peut dans les bêtes des champs ; n’étant pas susceptible de la bonté céleste, qui seule est réelle, il est incapable d’entrer dans le royaume de Dieu. Il n’opère pour le bien, relativement à nous, qu’en proportion qu’il perd de son activité propre et se laisse gouverner par un esprit supérieur à lui. Tant qu’il vit et qu’il domine par lui-même, il est lui-même le but unique de toutes ses opérations ; il n’est qu’une volonté propre terrestre, qu’amour propre et qu’intérêt particulier, totalement incapable d’atteindre à un degré de bonté plus élevé que celui où peuvent le porter son orgueil, sa convoitise, son envie ou sa colère. Toutes ces passions, avec leurs subdivisions, forment l’atmosphère qui circonscrit la vie terrestre et fournit à sa respiration, et elles lui sont aussi nécessaires et en sont aussi inséparables que la dureté et l’opacité le sont d’un bloc de rocher ; et comme, tant que celui-ci existe, il est nécessairement dur et opaque, de même tant que la chair et le sang vivent et opèrent, ils ne peuvent agir que par eux-mêmes, ils ne peuvent rien chercher, rien aimer, rien désirer que ce qui convient à leur volonté, à leur amour-propre et à leur intérêt particulier. La raison en est que nulle vie ne peut franchir les bornes de sa circonscription, ni rien vouloir que ce qui est en analogie avec sa propre essence. Telle est la loi de la Nature Éternelle que toute créature, soit divine, soit terrestre ou infernale, ne peut chercher, aimer ou désirer que ce qui est en harmonie avec sa propre vie. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE ANDRÉ

La nature, aussi bien que l’Écriture sainte, nous assure que Dieu est l’unique source de toute bonté et de toute vie véritable ; il ne peut donc se manifester en nous de principe vivant de bonté que par une naissance intérieure de la parole, de la vie et de l’esprit de Dieu. C’est de cette naissance que peut uniquement découler, comme de sa source naturelle, tout acte de bonté véritable ; c’est elle seule qui peut nous faire manifester ce degré de générosité et d’indépendance qui appartient à la vie divine, et nous mettre véritablement en liberté, en nous faisant aimer et faire tout ce qui est bien pour l’amour du bien, et tout ce qui est vertueux pour l’amour de la vertu. C’est ainsi que nous devenons les vrais enfants de notre Père céleste, et que nous faisons avec joie et de tout notre coeur des oeuvres célestes ; alors nous sommes bons de la manière dont Dieu est bon, parce que c’est sa bonté qui a pris naissance en nous, nous sommes parfaits comme il est parfait, nous aimons comme il aime, nous sommes patients comme il est patient, nous donnons comme il donne, nous pardonnons comme il pardonne ; alors enfin, comme lui, nous ne résistons au mal que par le bien. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE ANDRÉ

Tant de maux et de misères sont le résultat naturel et nécessaire de sa naissance à la vie animale terrestre de ce monde, et cet univers naturel ne lui offrant aucun moyen de s’en garantir, il est condamné à gémir sous ce poids accablant aussi longtemps qu’il ne vit que de la vie de ce monde. Ainsi donc la certitude absolue de la chute de l’homme et la nécessité où il est de renaître de nouveau se trouvent complètement démontrées indépendamment même du témoignage des Écritures. Dieu est par lui-même la bonté infinie et la félicité sans bornes, et cependant l’homme qui vit uniquement de la vie terrestre de ce monde n’est pas plus capable de posséder la bonté réelle que le bonheur véritable ; il est donc évident qu’il n’a pas pu être placé primitivement dans cet ordre de vie par un Dieu qui n’est en lui-même que bonté et félicité. Ainsi tout homme qui croit en un Créateur infiniment parfait est obligé de confesser que nous avons perdu, d’une manière ou d’une autre, cette perfection de vie pour laquelle Dieu nous avait créés. Quant au chrétien pour qui les Écritures saintes sont infaillibles, il trouve dans elles, à chaque page, les témoignages les plus évidents et les plus forts de cette vérité. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE SILVESTRE

Les animaux n’ignorent rien de ce qui est relatif à leur existence, et ils ont la connaissance sensible et intuitive de tout ce qui est nécessaire au bien de leur être, tandis que l’homme, qui a la raison en partage, est en proie à l’ignorance, au doute, à la conjecture, à l’incertitude sur les sujets de la plus grande importance, relativement à ce qu’il est lui-même, à ce qui constitue son véritable bien et aux moyens de l’obtenir. Demander à notre raison de nous apprendre comment Dieu est notre Dieu, comment nous sommes en lui et de lui, ce qu’il est en lui-même et ce qu’il est en nous, c’est demander à nos mains matérielles de distinguer par leur tact la densité ou la rareté de la lumière. Lui demander de nous apprendre si l’âme de l’homme est immortelle par sa propre nature nous avancera tout autant que si nous demandions à nos yeux de nous montrer où commence l’étendue et où elle finit ; enfin la raison est aussi peu capable de nous enseigner s’il y a en nous quelque chose de Dieu et de la nature divine que l’est notre odorat de distinguer s’il existe une vertu céleste dans les odeurs et les parfums aromatiques qu’exhalent les fleurs d’un jardin. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE SILVESTRE

Celui donc qui désire propager le christianisme et y convertir en réalité ne devrait jamais, à l’exemple de Christ, partir d’une autre base. Il faut être fatigué et pesamment chargé pour être propre à être converti ou rafraîchi ; le seul moyen d’amener un homme au christianisme, ou de le rendre propre à être rafraîchi par Christ, est donc de l’amener à sentir évidemment la misère, le poids et la vanité de son état présent ; tant que nous ne pouvons pas atteindre ce but, nous devons le laisser à lui-même, jusqu’à ce que quelque coup de la Providence vienne le réveiller de sa léthargie ; il serait en effet aussi absurde de chercher à lui prouver la nécessité de croire à la Trinité sainte, à l’incarnation du fils de Dieu, etc… que de disputer avec un athée complet sur l’adoration de Dieu en esprit et en vérité ; et de même que l’existence de Dieu est l’unique base d’après laquelle on puisse prouver qu’il doit être adoré en esprit et en vérité, de même il est évident qu’auparavant de croire à la vérité des mystères de la Rédemption, il faut nécessairement croire à la réalité de notre dégradation. Celui qui nie la chute de l’homme rejette aussi nécessairement tous les mystères du christianisme, ainsi que l’athée tout ce qu’on lui enseigne de l’adoration de Dieu en esprit et en vérité. Ainsi exposer ces mystères à la discussion et à la critique de quelqu’un qui ne croit pas à la chute de l’homme, c’est non seulement lui préparer un triomphe aisé, mais c’est encore l’éloigner davantage du christianisme ; en effet, accoutumé peu à peu à traiter légèrement et à tourner en ridicule des mystères qui, pour lui, sont sans fondement, il peut enfin être amené à un état effrayant d’endurcissement. Si, au contraire, vous ne vous écartez point de l’unique fondement du christianisme, que vous ne vous avanciez avec l’incrédule qu’autant qu’il commence à sentir et à reconnaître la réalité de la chute de l’homme et sa mort à la vie divine pour laquelle il avait été créé, dès lors vous vous trouvez toujours en mesure avec lui, vous vous arrêtez où il faut, et vous lui ôtez toute possibilité et tout prétexte de se mêler des autres mystères qui ne sont point à sa portée ; dès lors, pour vous résister, il ne lui reste plus d’autre ressource que de renoncer à sa propre raison, de se mettre en contradiction avec le témoignage de ses sens, en soutenant que l’homme n’est point tombé, mais qu’il est naturellement saint, juste, heureux corporellement et moralement, que le genre humain et le monde qu’il habite sont tout pleins de cette bonté et de cette félicité dont a dû nécessairement les combler un Dieu infiniment bon et infiniment heureux, et qui ne peut vouloir que le bien et la félicité de ses créatures. En procédant ainsi, toute l’absurdité d’une contradiction si manifeste du sens et de la raison est complètement à sa charge, et en défendant ainsi le christianisme, non seulement vous rendez justice à sa cause, mais encore vous agissez de la manière la plus intéressante et la plus avantageuse pour ceux qui ne l’attaquent que parce qu’ils ne comprennent pas la base sur laquelle il repose et sa véritable nature ; et j’ose dire que c’est le cas de tous les déistes de bonne foi et bien intentionnés. En effet, le déisme n’a par lui-même aucune base réelle, il est sans racine et sans force propre, et il ne doit son existence qu’à l’état misérable dans lequel se trouve la chrétienté, et à l’usage lamentable qu’ont fait de l’Évangile les savants profanes et les politiques de ce monde ; le déiste ne se croit si fort et si bien fondé que parce qu’il peut attaquer avec tant de facilité les diverses croyances des sectes qui divisent l’Église, ainsi que leurs systèmes différents ; il ne croit sa cause bonne que parce qu’il lui est si aisé de mettre en évidence les maux et les abus qui désolent la chrétienté ; il ne se regarde comme ayant une raison supérieure que parce qu’il est dégagé de cette multitude d’absurdités et de contradictions dont s’accusent réciproquement les diverses églises ; enfin il n’est point effrayé des conséquences de son opposition à l’Évangile, parce qu’il voit évidemment que tout en baisant l’Évangile et en disant : ” Maître, sois le bienvenu “, les chrétiens enfreignent tous ses commandements. La Voie de la Science divine PREMIER DIALOGUE SILVESTRE

Dieu est un Esprit dans lequel vous vivez, vous vous mouvez, et dans lequel vous avez l’être, et cet Esprit, pour manifester en vous sa sainte présence, sa vertu et sa vie, n’attend pas que vous deveniez un grand docteur de l’école, mais il veut que vous vous assimiliez à lui, en vous détournant du mal et ne tendant qu’à ce qui est bon et vertueux ; puisque ce n’est qu’en devenant homogène avec lui qu’il peut s’identifier avec vous, et manifester ce qu’il est en lui-même par vous et dans vous. Aussi est-ce l’amour de tout ce qui est bon et droit qui opère véritablement, c’est lui qui est la science de toutes les sciences, et du moment que cet esprit d’amour est devenu l’esprit de votre coeur, dès lors le Père, le Fils et le Saint-Esprit font leur demeure au-dedans de vous, et ils vous manifestent toutes vérités, n’eussiez-vous pas lu plus de livres que moi. ” La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE LE DOCTEUR

Nos méprises à cet égard viennent de la marche ordinaire du monde, qui prodigue le nom de connaissance à cette faculté de discourir que donnent à l’homme sa raison, sa vivacité et son caractère naturel, soit qu’il l’exerce sur des fictions, des conjectures, des traditions, ou qu’il l’applique à l’histoire, à la critique ou la rhétorique, etc… Cette facilité passe pour connaissance réelle, tandis que ce n’est dans le fait que l’activité de la raison, jouant et s’exerçant avec le cercle d’opinions et d’idées vaines qui lui est propre. Aussi arrive-t-il que lorsqu’un homme raisonnable, à la manière humaine, vient à tourner son attention vers l’étude de la théologie, il s’en occupe exactement de la même manière qu’il s’appliquerait à acquérir des connaissances temporelles, et il ne connaît et n’emploie d’autre marche que celle qu’il a suivie dans l’étude de l’histoire et de la rhétorique. Il s’occupe, dis-je, de ouï-dire, de conjectures, de discussions ; il retient quelques grands noms, et se croit enfin un membre de la véritable Église, lorsqu’il peut traiter les différents points de la religion comme il discuterait sur les antiquités romaines. Il sait que Dieu est, de la même manière qu’il est sûr qu’il a existé une fois un premier homme et que son nom était Adam. Il est censé être suffisamment instruit concernant les choses du Royaume des Cieux, lorsqu’il les connaît de la même manière qu’il sait qu’il existe une ville appelée Constantinople. Veut-il approfondir quelques-uns des Mystères de la Rédemption chrétienne, il regarde hors de lui, comme s’il était à la recherche d’antiquités grecques, et il a recours aux mêmes moyens qu’il emploierait s’il désirait parvenir à se mettre au fait de la véritable construction intérieure du temple de Salomon et des cérémonies qu’on y pratiquait. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE

Tout ce qui n’est pas la vie et la lumière de Dieu ne peut remplir auprès de vous que l’emploi de ministre, et soit que la parole du message divin qui vous est envoyé se trouve écrite sur du papier ou gravée sur des tables de pierre, soit qu’elle soit prononcée par un prophète, un ange ou un apôtre, tous ces organes ne sont que des créatures, dont le ministère se borne nécessairement à montrer le chemin qui mène à celui qui, seul, peut être au-dedans de vous la vérité, la vie et la lumière. Car Dieu même ne saurait vous communiquer sa lumière immédiate par une créature, et cela parce que la lumière de Dieu est Dieu lui-même ; elle est la lumière de sa propre vie ; aussi lui seul peut la produire, et nulle créature ne peut y participer que par une naissance véritable de la nature divine. La lumière de Dieu ne peut jamais être séparée de sa nature divine, c’est pourquoi elle ne peut luire que là où est une naissance divine. Il est donc évident que rien ne peut être connu selon la science divine, soit dans le ciel, soit sur la terre, que par la voie unique et par le seul moyen par lesquels l’homme peut être sauvé, je veux dire, par une renaissance véritable de la lumière et de l’esprit de Dieu en nous. C’est pourquoi la route simple, tracée dans l’Évangile, est l’unique qui conduise à la connaissance de tout ce qui peut se connaître de Dieu et de la nature, parce que rien ne peut manifester réellement à l’homme Dieu et la nature que l’esprit même de Dieu opérant en lui, comme il le fait dans la nature, et il n’opère ainsi dans l’homme que dans la proportion de l’avancement en lui de sa nouvelle naissance de la nature divine. Lorsqu’un homme est enfin parvenu à être né de Dieu, dès ce moment, la vie et l’esprit de Dieu sont en lui et y opèrent comme ils opèrent dans la nature éternelle ; il peut alors s’appeler à juste titre disciple de la philosophie divine, puisque Jésus-Christ, la lumière de Dieu et de la nature, est révélé en lui ; et que le Verbe de vie par lequel toutes choses ont été faites dans le commencement est en lui, et qu’il est lui-même dans ce Verbe, lequel crée et opère en lui, comme il opère en toutes choses, tant dans le ciel que sur la terre. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE

Rappelez-vous, Docteur, que tout ce que je puis faire pour vous, en développant, même dans son entier, le sujet dont il s’agit, se borne à vous donner une assurance raisonnable de l’existence d’une perle merveilleuse qui renferme les qualités les plus sublimes, mais qui est cachée dans les entrailles de la terre, au milieu d’un certain champ ; et à vous montrer en détail par quel moyen et par quelle route vous pouvez parvenir à la trouver. Je suppose maintenant que vous passassiez tout votre temps à rechercher quelques nouvelles vertus de cette perle céleste, et à écouter les différents récits qu’on en fait ; croyez-vous que cela vous avançât beaucoup ? Non, sans doute, vous vous trouveriez également éloigné d’elle, et vous ne la posséderiez pas plus réellement que lorsque vous en entendîtes parler pour la première fois ; et quelque plaisir que vous goûtassiez à en discourir vous-même et à en entendre parler aux autres, si vous vous en teniez là, le même intervalle vous en séparerait jusqu’à la fin de votre vie. Aussi l’unique but que je me suis proposé, dans tout ce que je vous ai dit sur la nouvelle naissance, c’est de vous en démontrer la réalité, et de vous indiquer le chemin qui y conduit. Or la voie à cette naissance dépend entièrement de la direction de votre volonté, et chaque pas en avant dans cette route consiste en une mort continuelle aux désirs naturels, corrompus que produisent en nous la chair et le sang. Rien ne peut opérer un changement réel en vous que le changement de votre volonté. Car tout ce que vous êtes est un engendrement de la volonté qui opère en vous. Ainsi donc, si vous voulez connaître ce que vous êtes, vous n’avez qu’à examiner l’état vrai de votre âme, la direction de votre volonté et où vous entraîne votre désir ; et de cet examen fait sérieusement et avec impartialité, vous tirerez plus de lumière que ne peuvent vous en donner tous les hommes et tous les livres de l’Univers. Vous êtes ce que sont votre volonté et votre désir ; là où ils sont, là vous avez votre être et votre vie ; c’est d’eux, en un mot, que vous vient tout le bien et tout le mal que vous pouvez appeler vôtre. Car c’est l’opération seule de votre esprit, de votre volonté et de votre désir qui détermine votre manière d’être et qui engendre pour vous, soit la vie, soit la mort. Si votre volonté est angélique, vous êtes un ange et la félicité angélique vous appartient. Si votre volonté est avec Dieu et qu’elle opère avec lui, Dieu est alors la vie de votre âme, et votre vie sera en Dieu dans toute l’éternité. Si vous suivez au contraire une volonté terrestre, chaque pas que vous ferez dans cette direction vous éloignera de Dieu, jusqu’à ce qu’enfin Dieu et la vie divine soient devenus pour vous, comme pour les autres animaux, comme s’ils n’étaient pas. Si votre volonté se repaît d’orgueil, de vanité, d’envie, de colère, de haine, de méchanceté, de fourberie, d’hypocrisie et de mensonge, vous opérez dès lors avec Satan, vous enfantez sans cesse sa nature au-dedans de vous, vous vous préparez enfin pour le royaume infernal. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE

Cette manifestation de Dieu est un engendrement magique de la volonté tri-une, opérante de la divinité cachée, qui a voulu se voir elle-même dans la manifestation et le déploiement extérieurs de toutes les naissances possibles de vie et de gloire, afin qu’il en put émaner de nouveaux mondes d’être divins finis, qui fussent autant d’images vivantes de Dieu. Indépendamment ou hors de la nature, Dieu n’est manifesté qu’à lui-même et connu que de lui-même : car il ne peut exister des formes ou des créatures qu’autant qu’il existe quelque chose d’antécédent dont elles soient formées ; il faut que la vie soit, avant qu’il puisse exister des créatures finies vivantes ; comme il faut de toute nécessité que la lumière soit, avant qu’il puisse exister un oeil voyant. Aussi la manifestation de Dieu dans un déploiement extérieur de gloire, renfermant toutes les puissances, qualités et perfections possibles de vie, qui est appelée la Nature Éternelle, doit nécessairement précéder la possibilité de l’existence de toute créature. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE

Cette même volonté opérante de la divinité Tri-Une, qui s’est manifestée dans la nature éternelle, s’est donc encore manifestée dans des formes créaturelles, toutes engendrées, vivifiées et animées par ce même Ternaire de feu, de lumière et d’esprit qui constitue la Nature Éternelle ; de sorte que toutes les créatures intelligentes dans leur être fini sont ce qu’est la Nature Éternelle dans son infinité : toutes donc, viennent de Dieu et du ciel, vivent dans Dieu et peuvent opérer avec Dieu, comme Dieu est lui-même dans le ciel, et le ciel dans lui ; toutes, dis-je, peuvent entrer en unité de vie, de pouvoir, de volonté et de félicité avec Dieu. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE

Vous pouvez maintenant reconnaître clairement ce qui distingue en réalité la vraie religion de la fausse. Car, si la volonté seule peut opérer dans la nature, il s’ensuit que dans la religion tout ce qui n’est pas opéré par la volonté n’est qu’une vaine apparence, et que rien ne peut contribuer à sauver l’homme ou à racheter la vie de son âme que ce qui naît de sa volonté à se diriger vers Dieu et à opérer en vue de lui. Voilà pourquoi notre auteur répète si souvent à ses lecteurs ” qu’ils ne sont délivrés de Babel que lorsqu’ils sentent et découvrent en eux cette naissance magique des choses, et non point en courant d’un lieu à un autre, en adoptant tel ou tel système ; qu’ils ne peuvent arriver à la réalité qu’en abandonnant intérieurement toute l’activité opérante de l’être propre terrestre, en laissant écrouler tous les châteaux de cartes de la raison naturelle, et en se retournant vers le Dieu unique de toute la force de leur volonté et avec tout le désir de leur coeur. ” C’est là en effet l’unique voie par laquelle nous pouvons sortir de notre propre Babel d’opinions vaines, pour entrer dans la vérité et la réalité de la Nature Éternelle, qui seule nous manifeste le Dieu vivant ; non par des notions idéales, mais en opérant d’une manière vivante dans l’âme, où ce Dieu est alors adoré en esprit et en réalité. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE

La parole de Dieu qui rachète l’âme, qui la sauve et qui lui donne la vie n’est point cette parole imprimée sur du papier ; mais c’est la parole éternelle, vivante, incessamment parlante, qui est ce Fils de Dieu, qui était avec Dieu dès le commencement ; et qui est elle-même ce Dieu par qui toutes choses ont été faites. C’est cette parole qui enseigne et illumine tout ce qui est dans le ciel et sur la terre ; c’est elle qui depuis le commencement du temps jusqu’à sa fin, sans avoir égard à l’apparence des personnes, se tient à la porte du coeur de tout homme, lui parlant non des paroles humaines, mais celles de la bonté divine ; l’appelant et frappant à sa porte, non par un son extérieur, mais par la motion intérieure de la vie divine réveillée en lui. Saint Jean nous assure que cette parole éternelle est la vie des hommes, et la lumière qui éclaire tout homme venant au monde ; ainsi donc, celui qui est notre Sauveur, qui nous enseigne toute vérité et nous illumine, celui de qui seul viennent toutes les bonnes pensées, c’est Christ au-dedans de nous ; non point dans tel homme en particulier, mais dans tout homme en qui a commencé à poindre la lumière de la vie, quelque pays qu’il habite et dans quelle partie de l’Univers qu’il soit né. Et comment cela pourrait-il être autrement ? Si Dieu est le Dieu de tous les hommes, et la Parole de Dieu, la vie et la lumière de tous, si tous sont capables de bonté, que toute bonté vienne uniquement de Dieu et que l’homme n’en puisse posséder de réelle qu’autant qu’elle est devenue au-dedans de lui principe de vie, n’est-il pas évident que c’est dans ce Centre intérieur, et non pas ailleurs, que doit opérer la Parole ou le Christ de Dieu. Aussi tous les maîtres qui enseignent aux hommes à attendre la vie et le salut d’autres choses que de cette Parole et de cet Esprit vivant au-dedans d’eux sont coupables du sang et de la mort des âmes ; puisqu’il est de toute impossibilité, par la loi éternelle des choses, que rien puisse surmonter cette mort qui est dans l’âme, que la Parole ou le Christ de Dieu, vivant et opérant dans elle. Remarquez qu’il faut que l’homme soit bon de la même manière que Dieu est bon, c’est-à-dire que sa bonté soit le fruit de la nature divine, née et manifestée en lui ; c’est à cette nature seule qu’appartient la bonté, et elle seule en est capable, de sorte qu’il ne se peut trouver dans l’homme un degré de bonté réelle, qu’autant que la nature divine est devenue vivante et opérante en lui. Ainsi, nous ne pouvons posséder que la chose vers laquelle nous tendons par toute l’énergie de notre désir et de notre volonté. La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE THÉOPHILE

” Cette fausse manière de voir vient de ce que nous sommes tout autant dans l’ignorance de ce que Dieu est en lui-même, de la nature de notre relation avec lui et de la manière dont il est notre Dieu que l’étaient les anciens idolâtres, qui prenaient des hommes pour des dieux. Et voilà pourtant les bases sur lesquelles est évidemment fondée toute votre religion de raison humaine ; vous n’avez pas d’autres moyens de la défendre que de supposer que notre relation avec Dieu est une relation extérieure, comme celle d’un prince avec ses sujets, et que tout ce que nous faisons pour Dieu ou à son service, nous le faisons par notre propre pouvoir, comme ce que nous faisons pour notre prince ou à son service, nous le faisons par nos propres forces : et de là vous tirez cette fausse conséquence que si notre propre raison et nos facultés naturelles n’étaient pas suffisantes pour nous procurer tout ce dont nous avons besoin, et pour être tout ce que Dieu veut que nous soyons, il faudrait que Dieu fût moins bon qu’un prince juste de ce monde, qui n’exige de nous que dans la proportion de nos forces et de nos facultés naturelles. Mais on découvre bientôt l’absurdité de cette opinion, et comment elle est l’idolâtrie la plus grossière, lorsqu’on vient à reconnaître que Dieu n’est point un être extérieur ou séparé, mais que, selon les paroles de l’Écriture, c’est dans lui et par lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous avons l’être ; et que, conséquemment, hors de lui nous n’avons ni la vie, ni le mouvement, ni l’être. De là il résulte nécessairement de notre existence en Dieu : premièrement, que par la nature de notre création, nous avons été faits seulement capables de recevoir la vraie vie, puisqu’une créature, par cela même qu’elle est créature, est aussi incapable de se la donner ou de se la communiquer par elle-même qu’elle l’était de se créer elle-même. Secondement, que Dieu seul peut nous communiquer le bien-être et la vraie vie. Troisièmement, que Dieu ne peut nous les communiquer qu’en se communiquant lui-même à nous. Il est donc évident que notre religion de raison, qui nous enseigne que nos moyens naturels peuvent nous procurer la possession de ce dont nous avons besoin, pour le complément du bonheur de notre être ; ou que tout secours divin nous est aussi inutile pour recouvrer cette vie divine, que nous avons perdue, qu’il le serait pour obtenir le pardon d’un prince, et que dans notre réconciliation avec Dieu, nous n’avons pas plus besoin qu’il se communique lui-même à nous qu’un sujet à qui son prince fait grâce n’a besoin qu’il se communique à lui ; il est, dis-je, évident que cette religion de raison n’a d’autre fondement que l’erreur, l’illusion, et l’ignorance de ce qu’est Dieu ; qu’elle n’est qu’une pure idolâtrie lorsqu’elle fait Dieu ce qu’il n’est pas, et que la dévotion qu’elle inspire ne peut être qu’une dévotion de païen, puisqu’elle enseigne à ses sectateurs à mettre la même confiance dans leurs facultés et moyens naturels que les païens mettaient dans leurs idoles grossières. C’est ainsi que notre religion de raison, que vous vantez comme le produit le plus parfait de l’entendement humain, que vous jugez si supérieure à la foi et à l’humilité enseignée par l’Évangile, est en elle-même aussi absurde que toutes les doctrines idolâtres les plus grossières ; elle n’a rien changé à l’idolâtrie des païens que l’idole et le degré de philosophie dont elle se vante, elle ne l’en distingue que de la même manière que le dogme de l’adoration du soleil distinguait la religion qui l’admettait de celle qui prescrivait le culte des oignons. ” La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE SILVESTRE

” Dès qu’il est démontré et admis que Dieu est tout dans tous, que dans lui nous avons la vie, le mouvement et l’être, que nous ne possédons rien en réalité, séparément ou à distance de lui, mais que tout est dans lui, que nous ne pouvons rien être, ni rien avoir de bon que dans lui, et de lui ; que le Tout-Puissant ne peut rien donner que ce qui est quelque chose de lui-même, qu’il ne peut améliorer notre existence et avancer notre salut que dans la proportion qu’il nous communique davantage de lui-même ; dès l’instant, dis-je, que ces vérités immuables sont connues, il est parfaitement démontré qu’il est également absurde, aussi idolâtre et aussi préjudiciable au salut de mettre sa confiance en sa propre raison naturelle que de la placer dans le soleil ou dans un oignon. ” La Voie de la Science divine SECOND DIALOGUE SILVESTRE

Je suppose encore que, guidé par votre raison incertaine, vous soyez parvenu à vous donner des doutes sur l’essence divine et sur les soins de la Providence de Dieu à votre égard ; en vain alors auriez-vous recours aux démonstrations des philosophes païens, ou à celles des théologiens, des déistes ou des athées ; même quand ils concluaient tous qu’il faut nécessairement qu’il existe une cause première éternelle, de laquelle tout soit provenu. En effet, quel Dieu est celui-là, dont l’existence n’est prouvée que parce qu’il existe quelque chose et que, conséquemment, il faut qu’il ait toujours existé quelque chose d’éternel et d’infini, qui ait eu le pouvoir de produire tout ce qui est venu en être ? Quel Dieu, dis-je, est celui-là que l’arien, le déiste et l’athée sont tout autant disposés à reconnaître que le chrétien, et qui sert également de base à l’édifice des uns et des autres ? Car l’athée même admet une cause première éternelle, toute-puissante, aussi bien que ceux qui disputent en faveur de l’existence d’un Dieu. La Voie de la Science divine TROISIÈME DIALOGUE THÉOPHILE