Puisque l’homme était un vivant apte à la parole, il fallait que l’instrument de son corps fût construit en rapport avec les besoins du langage. De même que les musiciens travaillent tel genre de musique selon la nature des instruments et qu’ils ne jouent pas de la flûte avec un luth ou de la cithare avec une flûte, ainsi la parole devait avoir des organes appropriés, afin que, élaborée par les parties aptes à la VOIX, elle puisse rendre un son répondant aux besoins du discours . VIII
A cette fin les mains ont été articulées au corps. Sans doute peut-on dénombrer par milliers les besoins de la vie où la finesse de ces instruments qui suffisent à tout a servi l’homme dans la paix comme dans la guerre ; pourtant c’est avant tout pour le langage que la nature a ajouté les mains à notre corps. Si l’homme en était dépourvu, les parties du visage auraient été formées chez lui, comme celles des quadrupèdes, pour lui permettre de se nourrir : son visage aurait une forme allongée, amincie dans la région des narines, avec des lèvres proéminentes, calleuses, dures et épaisses, afin d’arracher l’herbe ; il aurait entre les dents une langue toute autre que celle qu’il a, forte en chair, résistante et rude, afin de malaxer en même temps que les dents les aliments ; elle serait humide, capable de faire passer ces aliments sur les côtés, comme celle des chiens ou des autres carnivores, qui font couler les leurs au milieu des interstices des dents. Si le corps n’avait pas de mains, comment la VOIX articulée se formerait-elle en lui ? La constitution des parties entourant la bouche ne serait pas conforme aux besoins du langage. L’homme, dans ce cas, aurait dû bêler, pousser des cris, aboyer, hennir, crier comme les boeufs ou les ânes ou faire entendre des mugissements comme les bêtes sauvages. Mais puisque la main a été donnée au corps, la bouche peut sans difficultés s’occuper de servir à la parole. Aussi les mains sont bien la caractéristique évidente de la nature rationnelle : le modeleur de notre nature nous rend par elles le langage facile. VIII
La divine beauté, dont le Créateur nous a fait don en mettant en son image la ressemblance des biens qu’il possède, apporte avec elle les autres biens dont Dieu a libéralement doté notre nature humaine. L’esprit et la réflexion, on ne peut les appeler proprement des dons, mais plutôt une participation, car par eux, c’est la splendeur même de sa nature que Dieu a déposée en son image. Or l’esprit, qui est du domaine de l’intelligible et de l’incorporel, ne pouvait communiquer et unir sa beauté à d’autres êtres, s’il n’inventait quelque moyen de manifester au dehors son mouvement. C’est ce qui rendit nécessaire la création d’un organisme, afin que l’esprit, touchant à la façon d’un plectre les parties aptes à la VOIX, traduise par l’impression de sons variés le mouvement venu de l’intérieur. Un habile musicien, qu’un accident a privé de sa VOIX, pour faire connaître ce qu’il a dans l’esprit, se sert du chant de VOIX étrangères et livre son art au public grâce à la flûte ou à la lyre. Ainsi l’esprit humain : il découvre des pensers de toutes sortes, mais il ne peut montrer son mouvement intérieur à l’âme qui entend par les sens du corps ; aussi comme un habile accordeur, il touche ces organes animés, pour manifester ses pensées secrètes par le bruit qu’il fait dans les sens. IX
Quant à la musique qui se fait entendre dans l’organisme humain, elle est comme un mélange de flûte et de lyre qui s’unissent l’une à l’autre en une même harmonie. Le souffle, venant des réservoirs qui le contiennent, est poussé vers le haut à travers la trachée. Lorsque celui qui veut parler tend cet organe en vue de produire un son, le souffle se heurte aux commissures intérieures qui entourent ce conduit pareil à une flûte. Il imite d’une certaine façon le son de celle-ci par les vibrations produites autour des saillies membraneuses. Puis le son venu d’en bas est reçu dans la cavité pharyngienne, d’où il se divise dans le double conduit des narines et dans les cartilages de l’ethmoïde pareils à des stries d’écaille, ce qui donne à la VOIX plus de clarté. La joue, la langue, la structure des parties entourant le pharynx qui donne à la mâchoire inférieure une forme creuse terminée en pointe, toute cette organisation correspond de bien des manières au mouvement des cordes du plectre, car elle permet de tendre rapidement l’ensemble au moment voulu. Les lèvres, quand elles se relâchent et se resserrent, ont le même effet que les doigts de ceux qui règlent l’air de la flûte et l’harmonie du chant . IX
Dans cet organisme il y a une double activité, l’une pour l’émission du son, l’autre pour l’impression des objets venus de l’extérieur. Entre les deux il n’y a pas mélange, mais chacune demeure dans la fonction que lui a assignée la nature, sans venir troubler la voisine : ainsi l’oreille n’a pas à parler ni la VOIX à entendre. Mais celle-ci est toujours prête à émettre la parole et l’oreille toujours prête à la recevoir ; cependant elle ne se remplit pas, comme dit Salomon : chose, selon moi, la plus extraordinaire de toutes celles qui se passent en nous ! Car quelles sont les dimensions de l’intérieur de l’oreille, où s’écoule tout ce qui entre en nous par son moyen ? Où sont les secrétaires pour transcrire les paroles qui y pénètrent ? Où sont reçus les objets qui sont déposés ? Comment, dans la diversité des sons qui de partout s’y précipitent les uns sur les autres, l’esprit n’est-il pas confondu et égaré pour discerner la place respective de chacun d’eux ? X
Quatre jours s’étaient écoulés depuis l’événement ; les rites habituels avaient été accomplis pour le mort et le corps était déposé dans le tombeau. Sans doute le cadavre se gonflait déjà ; il commençait à se corrompre et à se dissoudre dans les profondeurs de la terre, selon les lois normales. C’était un objet à fuir, lorsque la nature se vit contrainte de rendre de nouveau à la vie ce qui déjà se dissolvait et était d’une odeur repoussante. Alors l’oeuvre de la résurrection universelle est amenée à l’évidence par une merveille que tous peuvent constater. Il ne s’agit pas ici d’un homme qui se relève d’une maladie grave ou qui, près du dernier soupir, est ramené à la vie ; il ne s’agit pas de faire revivre un enfant qui vient de mourir ou de délivrer du cercueil un jeune homme que l’on portait en terre. Il s’agit d’un homme âgé qui est mort et dont le cadavre, déjà flétri et gonflé, tombe en dissolution au point que ses proches ne supportent pas de faire approcher le Seigneur du tombeau, à cause de la mauvaise odeur du corps qui y est déposé. Or cet homme, par une seule parole, est rendu à la vie et ainsi est fondée l’assurance de la Résurrection : ce que nous attendons pour le tout, nous l’avons concrètement réalisé sur une partie. De même, en effet, que dans la rénovation de l’univers, comme dit l’Apôtre, le Christ lui-même descendra en un clin d’oeil, à la VOIX de l’Archange, et par la trompette fera lever les morts pour l’immortalité , de la même façon maintenant celui qui, au commandement donné, secoue dans le tombeau la mort comme on secoue un songe et qui laisse tomber la corruption des cadavres qui l’atteignait déjà, bondit du tombeau dans son intégrité et en pleine santé, sans que les bandelettes qui entourent ses pieds et ses mains l’empêchent de sortir. XXV
Chacun n’a besoin d’autre maître que de lui-même pour apprendre, par ce qu’il voit, vit et sent, comment exactement se forme notre corps : sa propre nature l’en instruit. Sur ces matières, on peut aussi consulter les explications élaborées par les savants, pour tout savoir avec précision. L’anatomie a permis aux uns de connaître la position de chacune des parties de notre être ; l’étude a permis aux autres d’expliquer la fin de toutes ces mêmes parties et de donner à ceux qui s’y intéressent une connaissance suffisante de la constitution humaine. Mais pour ceux qui préfèrent sur tous ces points être instruits par l’Église, afin de ne pas avoir à écouter des maîtres venus de l’extérieur (c’est la loi des brebis spirituelles, comme dit le Seigneur, de ne pas avoir d’oreilles pour les VOIX étrangères ), nous ajouterons quelques mots sur ce sujet . XXX