La beauté divine n’est pas le resplendissement extérieur d’une figure ou d’une belle apparence ; elle consiste dans la béatitude indicible d’une vie parfaite. Aussi de même que les peintres, dans les couleurs qu’ils emploient pour représenter un personnage sur un tableau, arrangent leurs teintes selon la nature de l’objet pour faire passer dans le portrait la beauté du modèle, imaginez de même celui qui nous façonne : les couleurs en rapport avec sa beauté sont ici les vertus qu’il dépose et fait fleurir en son image pour manifester en nous le pouVOIR qui est le sien. La gamme variée des couleurs qui sont en cette image et qui représentent vraiment Dieu n’a rien à VOIR avec le rouge, le blanc ou quelque mélange de couleurs, avec le noir qui sert à farder les sourcils et les yeux et dont certain dosage relève l’ombre creusée par les traits, ni en général avec ce que les peintres peuvent encore inventer. Au lieu de tout cela, songez à la pureté , à la liberté spirituelle, à la béatitude, à l’éloignement de tout mal, et à tout le reste par quoi prend forme en nous la ressemblance avec la Divinité. C’est avec de pareilles couleurs que l’auteur de sa propre image a dessiné notre nature. V
Par ces mots, l’Écriture nous enseigne que la force qui est dans les vivants et les êtres animés est de trois sortes : premièrement, celle qui permet aux êtres de s’accroître et de se nourrir, en attirant à eux la nourriture nécessaire à leur développement. On l’appelle « naturelle » : elle se trouve chez les plantes. Dans les produits du sol, en effet, on peut VOIR une force vitale privée de sensation. Secondement, il y a une autre forme de vie, qui possède la première et qui a en plus un organisme sensoriel. C’est le cas des animaux sans raison : ils se nourrissent et se développent, mais ont aussi une activité sensible et la perception. Enfin la perfection de la vie corporelle se trouve dans la nature rationnelle, c’est-à-dire la nature humaine : elle se nourrit, a des sens, participe de la raison et se gouverne par l’esprit. VIII
Pour ma part, je reconnais sans peine que la prépondérance des affections physiques trouble souvent l’intelligence et que les dispositions du corps émoussent l’activité naturelle de la raison. J’admets aussi que le coeur est la source du feu qui est dans le corps et que les fortes émotions ont leur retentissement sur lui. En outre, quand les savants en ces matières me disent que cette méninge est placée près des organes des sens, qu’elle enferme le cerveau de ses plis et qu’elle est comme « arrosée » des vapeurs venues des sens, ils l’ont constaté par les anatomies qu’ils ont faites. Je ne rejette pas ce qu’ils disent. Mais je ne puis y VOIR la preuve de ce que la nature incorporelle soit circonscrite en des délimitations spatiales. En effet, nous le savons, le délire ne vient pas de la seule ivresse ; la maladie des membranes qui entourent les côtes s’accompagne également, au dire des médecins, d’un affaiblissement de la pensée : ils appellent ce mal « phrenitis » (folie), du mot « phrenes » qui est le nom donné à ces membranes. Par ailleurs, dans l’état consécutif au chagrin et qui agit sur le coeur, les choses ne se passent pas comme l’on dit : ce n’est pas le coeur, mais l’entrée de l’estomac qui est ainsi éprouvée ; seulement, par ignorance, on attribue ce mal au coeur. Voici ce que disent ceux qui ont examiné avec soin ces phénomènes : quand nous sommes dans le chagrin, les conduits se contractent et s’obstruent naturellement dans tout le corps et tout l’air qui ne peut sortir est repoussé vers les profondeurs. Alors les viscères, qui ont besoin de respirer, se trouvant comprimés de tous côtés, l’attraction de l’air se fait plus forte et la nature, pour remédier à cet affaissement, cherche à élargir ce qui s’est rétréci. Cette difficulté de respirer, nous en faisons le signe du chagrin et nous l’appelons gémissement et soupir. L’apparente compression des alentours du coeur est une mauvaise disposition, non du coeur, mais de l’entrée de l’estomac, qui a la même origine que la contraction des conduits : le réceptacle de la bile, par suite de son rétrécissement, verse son liquide âcre et mordant sur l’entrée de l’estomac. La preuve en est que la peau de ceux qui sont ainsi chagrinés devient jaune et « hépatique », sous l’action de la bile qui, trop resserrée, se déverse dans les veines. XII
Sur ce point nous pouvons faire une remarque qui est plutôt, semble-t-il, du domaine de la « Physique » et qui est une manière de VOIR assez délicate à saisir. La voici : la Divinité est le Bien Suprême, vers qui tendent tous les êtres possédés du désir du Bien, C’est pourquoi notre esprit, étant à l’image du Bien parfait, tandis qu’il conserve, autant qu’il est en lui, la ressemblance avec son modèle, se maintient lui-même dans le bien ; mais s’en écarte-t-il, il est dépouillé de sa beauté première. Et comme nous disons que l’esprit tire sa perfection de sa ressemblance avec la beauté prototype de toutes les autres, comme un miroir recevant une forme par l’impression de l’objet qui y paraît, par un raisonnement semblable nous disons que la nature, administrée par l’esprit, s’attache à lui et de cette beauté placée près d’elle, reçoit elle-même son ornement, comme si elle était miroir de miroir ; à son tour, elle gouverne et soutient la partie matérielle de l’être existant à qui elle appartient. XII
Tant que cette dépendance est gardée entre les éléments, tous sont unis, chacun à son degré, à la beauté en soi, car l’élément supérieur transmet sa beauté à celui qui est placé sous lui. Mais lorsque dans cette harmonie naturelle, il se produit une rupture ou que, à l’inverse de l’ordre, le supérieur se met à la remorque de l’inférieur, alors la matière, mise à part de la nature, met à jour sa difformité (car d’elle-même elle n’a ni forme ni constitution) ; puis sa difformité corrompt la beauté de la nature, qui reçoit sa beauté de l’esprit. Et ainsi c’est sur l’esprit même que, par l’intermédiaire de la nature, passe la laideur de la matière, en sorte que l’on n’y voit plus l’impression de l’image divine qui s’y modelait. En effet l’esprit, comme un miroir qui ne présente à l’idée de tout bien que sa face postérieure, repousse les manifestations en lui de la splendeur du bien, tandis qu’il modèle en lui la difformité de la matière. Ainsi naît le mal, par la mise à l’écart progressive du bien. Toute bonté, quelle qu’elle soit, est de la même famille que le premier bien, mais tout ce qui n’a avec le bien ni attenance ni similitude n’a absolument aucune bonté. Si donc, selon ce que nous venons de VOIR, le bien réel est un, l’esprit reçoit sa beauté de la création à l’image du Bien, et la nature, qui est par l’esprit, est comme un miroir de miroir . D’où il suit que la partie matérielle de notre être reçoit toute consistance et tout ordre de la nature qui la gouverne, mais que sa séparation d’avec ce qui lui donne ordre et cohésion et sa rupture d’avec la tendance naturelle qui l’unit au bien amènent sa dissolution et son retour vers en bas. Cette chute n’a d’autre cause que le retournement de la tendance spontanée de la nature à la suite du désir qui ne tend pas vers le Bien, mais vers ce qui a besoin d’un autre pour l’embellir. En effet, de toute nécessité, la matière qui mendie sa propre forme impose sa difformité et sa laideur à celui qui veut lui ressembler. XII
Les prédictions que Daniel, Joseph et leurs semblables firent par une puissance divine et sans aucun trouble causé par les sens, n’ont rien à VOIR avec le cas que nous envisageons. Personne ne saurait attribuer ces effets à la puissance des songes : ce serait logiquement admettre que ces manifestations de Dieu qui se font dans l’état de veille ne sont pas une vue directe, mais la suite de l’activité normale de la nature. Or, de même que tous les hommes sont conduits par leur propre esprit et qu’un petit nombre seulement est jugé digne de la fréquentation directe de Dieu, de même tous ont également reçu de la nature la même puissance d’imagination durant le sommeil, tandis que quelques-uns seulement, et non tous, peuvent receVOIR par les rêves une manifestation divine. Chez tous les autres, même si les songes permettent quelque prévision, elle se fait de la façon que j’ai dite . XIII
Ces exemples font VOIR que dans la partie de l’âme occupée à la nourriture et à l’accroissement, l’union de l’âme et du corps maintient des germes d’activité spirituelle, plus ou moins conformes à notre état physique, et met en harmonie les imaginations de l’esprit avec la disposition dominante du corps. XIII
Selon l’Église, en quoi consiste la grandeur de l’homme? Non à porter la ressemblance de l’univers créé, mais à être à l’image de la nature de celui qui l’a fait. Quel est le sens de cette attribution d’« image » ? Comment, dira-t-on, l’incorporel est-il semblable au corps ? Comment ce qui est soumis au temps est-il semblable à l’éternel ? Ce qui se modifie à ce qui ne change pas ? À ce qui est libre et incorruptible ce qui est soumis aux passions et à la mort ? À ce qui ne connaît pas le vice ce qui en tout temps habite et grandit avec lui ? Il y a une grande différence entre le modèle et celui qui est « à l’image ». Or l’image ne mérite parfaitement son nom que si elle ressemble au modèle. Si l’imitation n’est pas exacte, on a affaire à quelque chose d’autre, mais non à une image. Comment donc l’homme, cet être mortel, soumis aux passions et qui passe vite, est-il image de la nature incorruptible, pure et éternelle ? Seul celui qui est la vérité sait clairement ce qu’il en est. Pour nous, selon notre capacité, par des conjectures et des suppositions, nous suivrons la vérité à la trace. Voici donc sur ces points ce que nous supposons : D’un côté, la parole divine ne ment pas, lorsqu’elle fait de l’homme l’image de Dieu ; de l’autre, la pitoyable misère de notre nature n’a pas de commune mesure avec la béatitude de la vie impassible. Il faut choisir : quand nous mettons en comparaison Dieu et notre nature, ou la divinité est soumise aux passions, ou l’humanité est établie dans la liberté de l’esprit, si l’on veut chez les deux à la fois parler de ressemblance. Mais si ni la divinité ne connaît les passions ni notre nature ne les exclut, avons-nous un moyen de vérifier l’exactitude de la parole divine : « L’homme a été fait à l’image de Dieu » ? Revenons à la divine Écriture elle-même pour VOIR si la suite du récit ne donnera pas à nos recherches quelque fil conducteur. Après la parole : « Faisons l’homme à notre image » et après aVOIR indiqué la fin de cette création, elle poursuit : « Dieu fit l’homme et Il le fit à son image. Il les fit mâle et femelle…». Déjà précédemment, on a vu que cette parole a été proférée à l’avance contre l’impiété des hérétiques, afin de nous apprendre que, si Dieu le Fils unique fit l’homme « à l’image de Dieu », il n’y a pas de différence à mettre entre la divinité du Père et celle du Fils, puisque la Sainte Écriture les appelle Dieu l’un et l’autre, celui qui a fait l’homme et celui à l’image de qui il a été fait. Mais laissons ce point pour revenir à notre sujet : Comment, si la divinité est heureuse et l’humanité malheureuse, se peut-il que l’Écriture dise celle-ci « à l’image » de celle-là ? XVI
Celui qui amène toutes choses à l’être et qui, dans son propre vouloir, forme tout l’homme selon l’image divine, répugne à VOIR se constituer la plénitude numérique des âmes humaines par les apports successifs de générations ; sa puissance presciente conçoit globalement dans son ensemble toute la nature humaine et l’élève au pied d’égalité avec les anges. Mais, comme sa puissance qui voit tout lui montre à l’avance la déviation de notre liberté hors de la route droite et la chute qui s’ensuit, loin de la vie des anges, afin de ne pas mutiler le total des âmes humaines qui ont perdu le mode d’accroissement de l’espèce angélique, Dieu, pour ces raisons, établit pour notre nature un moyen plus adapté à notre glissement dans le péché : au lieu de la noblesse des anges, il nous donne de nous transmettre la vie les uns aux autres, comme les brutes et les êtres sans intelligence. De là vient sans doute que le grand David, prenant en pitié la misère humaine, gémit sur nous en ces termes : « L’homme qui était en dignité n’a pas compris » , – en dignité, c’est-à-dire dans un état pareil à celui des anges. A cause de cela, continue-t-il, il a été rejeté dans la compagnie des bêtes sans raison et leur est devenu semblable. Il est réellement devenu bestial, celui qui a reçu ce genre de naissance qui le fait déchoir, à cause de son penchant vers la matière. XVII
Mais grâce à ceux dont la vie s’est redressée, on peut encore VOIR parmi les hommes l’image divine. Si en effet une vie toute aux passions et à la chair nous dissuade d’admettre en l’homme la parure de la beauté de Dieu, la vie de celui qui par la vertu s’est élevé loin des souillures consolidera en nous une meilleure idée de l’homme. Il est plus simple de prendre un exemple : la souillure du péché a effacé la beauté de leur nature en certains hommes dont les fautes sont connues, comme Jéchonias ou quelque autre célèbre par ses vices. Mais si vous regardez Moïse ou ceux qui lui ont ressemblé, ils ont gardé dans sa pureté la forme de l’image. Et la vue de ceux en qui l’image n’a pas été obscurcie confirme notre foi en la création de l’homme comme image de Dieu. XVIII
C’est pourquoi le Serpent met en avant le fruit mauvais du péché, mais sans mettre au grand jour le mal tel qu’il est par nature : l’homme ne serait pas trompé par le mal, s’il éclatait à ses yeux ; mais le démon, faisant briller la grâce extérieure des apparences et, comme un charlatan, charmant notre goût par quelque plaisir des sens, apparaît à la femme digne de confiance, ainsi que dit l’Écriture : « Et la femme vit que le fruit était bon à manger et agréable à VOIR et agréable à contempler. Ayant pris du fruit, elle en mangea » . Cette nourriture est pour les hommes la mère de la mort. Et cela est précisément le mélange des fruits que porte l’arbre, l’Écriture voulant indiquer clairement le sens selon lequel elle déclare ce bois capable de faire connaître le bien et le mal : il a la malice de ces poisons qui sont préparés avec du miel : selon qu’ils flattent le sens, ils paraissent bons ; selon qu’ils font périr celui qui les prend, ils sont le dernier des maux. XX
Lors donc que ce poison funeste eut produit ses effets sur la vie humaine, alors l’homme, dont la création et le nom sont pleins de grandeur, cette image de la nature divine, devint semblable, comme dit le Prophète , aux créatures frivoles. Et ainsi l’image ne réside plus que dans les parties les plus sublimes de notre être ; les tristesses et les misères de la vie présente n’ont rien à VOIR avec notre ressemblance divine. XX
Tous les patriarches qui entourent Abraham eurent le désir de VOIR la béatitude et ils ne cessèrent d’espérer la patrie céleste, comme dit l’Apôtre. Cependant ils demeurent encore dans l’espoir de ce bienfait, tandis que Dieu dispose les choses pour notre bien, selon la parole de l’Apôtre, afin, dit-il, qu’ils ne parviennent pas au terme sans nous. Si donc ceux qui viennent de loin supportent ce délai, si la seule vue de ces biens par la foi et l’espérance n’a pas empêché leur amour, selon l’Apôtre, et s’ils se reposent dans la certitude de la jouissance future sur la foi de la promesse, que doivent faire beaucoup d’entre nous, dont la vie ne manifeste guère l’espoir de ces biens supérieurs ? L’âme du prophète défaillait de désir et il avoue dans les Psaumes l’amour dont il est possédé, disant qu’il ne se tient plus d’être dans la maison du Seigneur, même si on doit le mettre à la dernière place. Car il préfère sans comparaison y être le dernier, plutôt que d’être le premier sous les tentes de ceux qui passent leur vie dans le péché. Pourtant il supportait ce délai, alors qu’il n’avait de bonheur que dans l’au-delà et aimait mieux quelques instants avec Dieu que mille années sur terre. « Un seul jour dans vos demeures vaut mieux que mille ans » , dit-il. Il ne trouvait pas mauvais le gouvernement nécessaire du monde et il lui paraissait suffisant au bonheur de l’humanité de ne l’aVOIR vu qu’en espérance. C’est pourquoi, à la fin de son Psaume, il dit : « Seigneur, Dieu des puissances, bienheureux l’homme qui espère en toi. » Nous non plus, nous ne devons pas resserrer nos coeurs, si la réalisation de nos espérances tarde un peu ; nous devons plutôt mettre tous nos soins à ne pas en être exclus. XXII
Qu’on prédise à un ignorant qu’à l’été la moisson viendra, que les greniers seront pleins et qu’en ce temps d’abondance, les tables seront chargées de mets, vous traiteriez de fou celui qui aurait hâte d’aVOIR devant lui la moisson, quand il faut d’abord semer et donner de sa peine, si l’on veut VOIR les fruits. Alors, que vous le vouliez ou non, la moisson viendra au temps fixé. Mais ils ne la verront pas du même oeil, celui qui par ses soins aura préparé pour lui la récolte et celui qui devant la moisson sera resté sans la préparer. De la même façon, je pense, alors que tous, nous savons par les oracles divins que le temps viendra de la transformation, nous n’avons pas à nous soucier du moment (le Christ a bien dit que ce n’était pas à nous de saVOIR les circonstances et l’époque) et à échafauder des raisonnements qui ne feront que gâter notre espérance de la Résurrection . Mais appuyés solidement sur la foi de ce que nous attendons, il faut nous assurer à l’avance le bienfait à venir par l’excellence de notre vie. XXII
Ensuite il manifeste un peu plus sa puissance, en rendant à la vie le fils de l’officier royal qui, de l’avis de tous, était en danger et que l’on s’attendait à VOIR mourir (il était en effet sur le point de mourir, dit l’Évangile, et le père criait : « Descends avant que ne meure mon enfant » ). Il montre un peu plus sa puissance par le fait qu’il ne s’est pas même approché de l’endroit où était le malade, mais que de loin il lui a rendu la vie par la force de son commandement. XXV
Le Christ s’en va maintenant accomplir un miracle plus sublime, afin que les oeuvres visibles nous fassent approcher du miracle incroyable de la Résurrection. Un des amis et familiers du Seigneur était malade : il s’appelait Lazare. Le Seigneur, qui se trouvait loin de lui, refuse de visiter son ami, afin de donner à la mort en l’absence de la Vie occasion et puissance de faire son oeuvre par la maladie. Le Seigneur en Galilée signifie à ses disciples l’état de Lazare ; il leur dit en particulier qu’il va partir pour aller le VOIR et faire lever celui qui est couché. Ceux-ci, peu assurés devant la brutalité des Juifs, trouvent pleine de difficultés et de risques la présence de Jésus en Judée au milieu de ceux qui veulent Le tuer. Aussi ils tardent et remettent toujours. Enfin, avec le temps, ils quittent la Galilée : le Seigneur les dominait par sa puissance et les conduisait. Il devait les initier à Béthanie aux préfigurations de la Résurrection universelle. XXV
Les tenants de la première opinion, qui soutiennent que la cité formée par les âmes est plus ancienne que leur existence dans la chair, ne me paraissent pas s’être purifiés de ces doctrines imaginées par les Grecs sur la métempsycose. Un examen attentif ferait VOIR que cette façon de penser en vient, selon une pente nécessaire, à soutenir, comme on le prête à l’un de leurs sages, que le même être devient homme, se revêt d’un corps de femme, vole parmi les oiseaux, devient arbuste et finit par vivre dans les eaux. Ce sage, il me semble, n’est pas loin de la vérité, s’il parle de lui-même ; car toutes ces conceptions, tenant qu’une âme unique passe par ces divers états, sont dignes du bavardage des grenouilles ou des geais, de l’inintelligence des poissons ou de l’insensibilité des chênes. XXVIII
Comme on le voit, le retour à un état meilleur est nécessairement impossible pour l’âme. Mais eux la font revenir de l’arbuste à l’état d’homme, sans VOIR que de la sorte ils donnent à penser que la vie dans l’arbuste a plus de prix que l’état de vie incorporel. Ila été admis en effet que l’âme, une fois engagée vers le mal, ne cesse naturellement de descendre. Or l’inanimé vient au-dessous des êtres insensibles et c’est vers l’inanimé que les principes admis au début entraînent l’âme. Comme ces gens ne veulent pas de cette conséquence, ou bien ils enferment l’âme dans un être privé de sensibilité, ou de là ils la font revenir vers la vie humaine ; mais alors, comme nous avons dit, ils donnent à penser que la vie de l’arbre a plus de prix que le premier état de l’âme, si précisément la chute vers le vice a commencé en cet état supérieur et si de l’état inférieur commence le retour vers la vertu. XXVIII
Voici que nous nous égarons loin de notre sujet, tandis que nous nous appesantissons sur les oeuvres de la nature et que nous essayons de décrire comment et de quels éléments est composé chaque partie de notre être, celles qui sont faites pour assurer la vie, celles qui sont faites pour son bien-être et tout ce qui peut encore figurer dans notre première division. Nous nous étions d’abord proposé de montrer que la cause apte à produire notre organisme n’est ni une âme incorporelle, ni un corps inanimé, mais que dès l’origine, à partir des corps animés et vivants, est engendré un être vivant et animé. La nature humaine le recueille et comme une nourrice l’élève par ses moyens à elle. Elle donne sa nourriture à l’une et à l’autre partie de cet être et on les voit toutes deux suivre un développement adapté à ce qu’ils sont. Dès le début, en effet, tandis que le corps se forme suivant un plan savamment conçu, la nature fait paraître en lui la force de l’âme qui lui est liée : celle-ci apparaît d’abord obscurément, puis elle éclate peu à peu avec le perfectionnement de l’organisme corporel. Il se passe alors ce que l’on peut VOIR chez les sculpteurs. Un artiste conçoit l’idée d’un être vivant à tailler dans la pierre. Quand il l’a bien dans son esprit, il brise d’abord la pierre dans le bloc où elle appartient ; ensuite, taillant tout autour les matériaux inutiles, il arrive à une première ébauche qui présente déjà les grands traits du modèle : à cette vue, même un profane, peut deviner dès lors l’intention de l’artiste. Puis les progrès du travail l’approchent encore plus de l’idéal qu’il veut réaliser. Enfin, lorsqu’il a parfaitement exprimé dans le bloc tout le détail de son idée première, son oeuvre est achevée : et alors la pierre, peu auparavant encore informe, est devenue un lion ou toute autre oeuvre que l’artiste a conçue : le bloc n’a pas changé de substance en raison de l’idée, mais c’est l’idée qui, par le travail, a pénétré la masse. XXX