viscère

Pour ma part, je reconnais sans peine que la prépondérance des affections physiques trouble souvent l’intelligence et que les dispositions du corps émoussent l’activité naturelle de la raison. J’admets aussi que le coeur est la source du feu qui est dans le corps et que les fortes émotions ont leur retentissement sur lui. En outre, quand les savants en ces matières me disent que cette méninge est placée près des organes des sens, qu’elle enferme le cerveau de ses plis et qu’elle est comme « arrosée » des vapeurs venues des sens, ils l’ont constaté par les anatomies qu’ils ont faites. Je ne rejette pas ce qu’ils disent. Mais je ne puis y voir la preuve de ce que la nature incorporelle soit circonscrite en des délimitations spatiales. En effet, nous le savons, le délire ne vient pas de la seule ivresse ; la maladie des membranes qui entourent les côtes s’accompagne également, au dire des médecins, d’un affaiblissement de la pensée : ils appellent ce mal « phrenitis » (folie), du mot « phrenes » qui est le nom donné à ces membranes. Par ailleurs, dans l’état consécutif au chagrin et qui agit sur le coeur, les choses ne se passent pas comme l’on dit : ce n’est pas le coeur, mais l’entrée de l’estomac qui est ainsi éprouvée ; seulement, par ignorance, on attribue ce mal au coeur. Voici ce que disent ceux qui ont examiné avec soin ces phénomènes : quand nous sommes dans le chagrin, les conduits se contractent et s’obstruent naturellement dans tout le corps et tout l’air qui ne peut sortir est repoussé vers les profondeurs. Alors les VISCÈREs, qui ont besoin de respirer, se trouvant comprimés de tous côtés, l’attraction de l’air se fait plus forte et la nature, pour remédier à cet affaissement, cherche à élargir ce qui s’est rétréci. Cette difficulté de respirer, nous en faisons le signe du chagrin et nous l’appelons gémissement et soupir. L’apparente compression des alentours du coeur est une mauvaise disposition, non du coeur, mais de l’entrée de l’estomac, qui a la même origine que la contraction des conduits : le réceptacle de la bile, par suite de son rétrécissement, verse son liquide âcre et mordant sur l’entrée de l’estomac. La preuve en est que la peau de ceux qui sont ainsi chagrinés devient jaune et « hépatique », sous l’action de la bile qui, trop resserrée, se déverse dans les veines. XII

Ce qui se passe dans la joie et le rire confirme encore davantage ce que nous disons. Les conduits du corps sont relâchés et dilatés par le plaisir, chez ceux par exemple qu’une bonne nouvelle épanouit. Dans le cas du chagrin, par suite de la fermeture dans les conduits de ces passages minces et imperceptibles ouverts à la respiration et, par suite, de la compression de l’intérieur des VISCÈREs, il se produit un refoulement vers la tête et les méninges de la vapeur humide : celle-ci reçue en abondance dans les cavités du cerveau, par l’intermédiaire des conduits qui sont à sa base, est repoussée vers les yeux : d’où la contraction des sourcils fait sortir goutte à goutte l’humidité (ces gouttes que nous appelons larmes). D’une façon identique, vous pouvez penser que la disposition contraire élargit les conduits plus que de coutume, que l’air est attiré par eux vers les profondeurs et, de là, à nouveau rejeté naturellement par la bouche avec le concours des VISCÈREs et surtout, dit-on, du foie, qui le chassent dans un mouvement tumultueux et bouillonnant. Aussi la nature, pour faciliter la sortie commode de cet air, élargit la bouche et écarte de chaque côté les joues pour permettre la respiration. Le nom donné à ce phénomène est le rire. XII

Comme dans l’embryon déposé en vue de la conception du corps, on ne peut encore distinguer, avant leur formation, les articulations des membres, on ne peut pas davantage y constater les propriétés de l’âme, avant que celle-ci n’en vienne à exercer son activité. Mais comme il ne fait de doute pour personne que l’embryon ne contienne les grands traits de la différenciation en membres et en VISCÈREs, sans qu’il faille y introduire une force étrangère, puisque la force inhérente à l’embryon amène naturellement cette transformation par l’activité qu’elle possède, nous pouvons raisonner de même au sujet de l’âme : même si elle ne se manifeste pas au grand jour par certaines activités, elle n’en est pas moins présente dans l’embryon. En effet la configuration de l’homme à venir y est déjà en puissance, mais l’âme est encore cachée, puisqu’elle ne peut se manifester que selon l’ordre nécessaire. Ainsi elle est présente, mais invisible ; elle ne paraîtra que grâce à l’exercice de son activité naturelle, en accompagnant le développement du corps. XXIX

Étudiant la nature de notre corps, nous considérerons la finalité de chaque partie de notre être sous trois aspects : la vie, son bien-être, sa transmission. Les organes, sans lesquels il est impossible que se soutienne la vie humaine, sont au nombre de trois : le cerveau, le coeur et le foie. Il faut ajouter tous les biens que la nature accorde à l’homme pour lui permettre de vivre aisément : ce sont les organes des sens. Ils ne constituent pas la vie de l’homme, puisque certains font souvent défaut, sans qu’elle en soit atteinte ; mais, sans leur activité, l’homme ne peut trouver de joie dans l’existence. Le troisième point concerne la continuité et la succession de la vie. En plus de ces organes, il y en a d’autres, présents chez tous, pour la conservation de son être et qui ont chacun leur utilité propre, comme l’estomac ou les poumons : l’un, par le souffle, ranime le feu du coeur, l’autre introduit la nourriture dans les VISCÈREs. Par cette division de notre organisme, on peut se rendre exactement compte que la vie ne nous est pas communiquée par un seul organe, mais que la nature a réparti en plusieurs ce qui contribue au maintien de notre être et qu’elle rend nécessaire au tout le concours de chaque élément. De là viennent le nombre et la grande variété des organes qu’elle a confectionnés pour assurer et embellir notre vie. XXX

Quand l’organe qui contient la nourriture a pris la matière suffisante, l’activité du feu n’en cesse pas pour autant. Mais comme dans une fonderie, le feu dissout la matière ; puis cette masse dissoute se renverse et se répand, comme d’un creuset de fondeur, dans les conduits voisins. La séparation se fait ensuite entre les éléments plus lourds et les plus purs : ceux-ci, plus minces, sont poussés par plusieurs canaux vers l’entrée du foie et les résidus matériels de la nourriture sont rejetés vers les conduits plus larges des intestins où, dans les nombreux replis de ceux-ci, ils tournent un certain temps, pour fournir un aliment aux VISCÈREs. Si le conduit était droit, les matières seraient facilement évacuées, mais le vivant serait immédiatement repris par l’appétit. L’homme devrait alors travailler sans arrêt à le satisfaire, comme font les animaux. XXX