Saint Philippe dit : « Seigneur, montre-nous le Père, cela nous suffit. » Or personne ne parvient au Père si ce n’est pas le Fils. Qui voit le Père voit le Fils, et le Saint Esprit est leur amour à tous deux. L’âme est si simple en elle-même qu’elle ne peut percevoir en elle que la présence d’une ( seule ) image. Lorsqu’elle perçoit l’image de la pierre, elle ne perçoit pas l’image de l’ange, et lorsqu’elle perçoit l’image de l’ange elle n’en perçoit aucune autre ; et l’image même qu’elle perçoit, il lui faut l’aimer dans la présence. Percevrait-elle mille anges, que cela serait autant que deux anges, et elle n’en percevrait pourtant pas plus qu’un ( seul ). Or l’homme doit s’unifier en lui-même. Maintenant saint Paul dit : « Etes-vous libérés de vos péchés que vous êtes devenus serviteurs de Dieu. » Le Fils unique nous a libérés de nos péchés. Or Notre Seigneur dit de façon plus précise que saint Paul : « Je ne vous ai pas appelés serviteurs, je vous ai appelés mes amis. » « Le serviteur ne sait pas la volonté de son maître », mais l’ami sait tout ce que sait son ami. « Tout ce que j’ai entendu de mon Père, cela je vous l’ai annoncé », et tout ce que sait mon Père je le sais, et toute ce que je sais vous le savez ; car moi et mon Père avons un seul esprit. L’homme qui maintenant sait tout ce que Dieu sait, celui-là est un homme qui-sait-Dieu. Cet homme saisit Dieu dans sa propriété même et dans son unité même et dans sa présence même et dans sa vérité même ; pour cet homme tout est rectifié. Mais pour l’homme qui n’est pas accoutumé aux choses intérieures, il ne sait pas ce qu’est Dieu. Comme un homme qui a du vin dans sa cave et n’en aurait bu ni goûté ne sait pas qu’il est bon. Il en est de même des gens qui vivent dans l’ignorance : ils ne savent pas ce qu’est Dieu et ils croient et s’imaginent vivre. Ce savoir n’est pas de Dieu. Il faut qu’un homme ait un savoir limpide clair de la vérité divine. L’homme qui a une visée droite dans toutes ses oeuvres, pour lui, le principe de sa visée est Dieu, et l’oeuvre de cette visée est lui-même ( = Dieu ) et est de nature divine limpide et s’achève dans la nature divine en lui-même. Sermon 10
Il est à déplorer que certaines gens s’estiment très élevés et très unis à Dieu qui ne se sont pas pleinement laissés et sont encore attachés à de petites choses dans l’amour et dans la souffrance. Ils en sont bien plus éloignés qu’ils ne l’imaginent. Ils visent beaucoup et veulent tout autant. J’ai dit une fois : Qui ne cherche rien, de ce qu’il ne trouve rien à qui peut-il s’en plaindre ? Il a trouvé ce qu’il cherchait. Qui cherche ou vise quelque chose, il cherche et vise ( le ) néant, et qui demande quelque chose, il lui advient ( le ) néant. Mais qui ne cherche rien ni ne vise rien que Dieu limpidement, à lui Dieu découvre et lui donne tout ce qu’il a de caché dans son coeur divin, en sorte que cela lui advienne en propre, comme cela est en propre à Dieu, ni moins ni plus, à condition qu’il le vise lui seul, sans intermédiaire. Que le malade ne goûte les mets ni le vin, quoi d’étonnant à cela ? Car il n’absorbe pas le vin ni les mets selon leur goût propre. La langue a une couverture et un vêtement au travers desquels elle éprouve, et cela est amer conformément à la nature de la maladie. Cela n’atteint pas au point où cela devrait être goûté ; cela paraît amer au malade, et il a raison, car il faut que cela soit amer du fait du vêtement et du fait de l’intermédiaire. Si l’intermédiaire n’est pas ôté, cela n’est pas goûté selon ce qui est son propre. Aussi longtemps qu’intermédiaire n’est pas ôté en nous, Dieu n’est jamais goûté de nous selon ce qui lui est propre, et notre vie nous est souvent lourde et amère. Sermon 11
Tout vase possède deux choses en lui : il reçoit et contient. Vase spirituel et vase corporel comportent une différence. Le vin est dans le vase ; le vase n’est pas dans le vin, et le vin n’est pas dans le vase comme dans la douve ; car s’il était dans le vase comme dans la douve, on ne pourrait pas le boire. Il en va autrement du vase spirituel. Tout ce qui se trouve reçu en lui, cela est dans la vase et le vase ( est ) en lui et est le vase même. Tout ce que reçoit le vase spirituel est de sa nature. La nature de Dieu est qu’il se donne à toute âme bonne, et la nature de l’âme est qu’elle reçoit Dieu ; et cela on le peut dire du plus noble dont l’âme peut faire montre. En cela l’âme porte l’image de divine et est égale à Dieu. Image ne peut être sans égalité, mais égalité peut bien être sans image. Deux oeufs sont également blancs, et l’un n’est pourtant pas image de l’autre ; car ce qui doit être image de l’autre, il faut que ce soit venu de sa nature, et il lui faut être engendré de lui et il lui faut être égal à lui. Sermon 16 b
Ce qui de l’âme est dans ce monde ou lorgne vers ce monde, et ce qui d’elle est atteint en quelque chose et lorgne vers l’extérieur, elle doit le haïr. Un maître dit que l’âme, dans ce qu’elle a de plus élevé et de plus limpide, est au-dessus du monde. Rien n’attire l’âme vers ce monde qu’amour seulement. Parfois elle a un amour naturel qu’elle porte au corps. Parfois elle a un amour de volonté, qu’elle porte à la créature. Un maître dit : Aussi peu l’oeil a à faire avec le chant et l’oreille avec la couleur, aussi peu l’âme dans sa nature a-t-elle à faire avec tout ce qui est dans ce monde. C’est pourquoi nos maîtres ( ès sciences ) naturelles disent que le corps est davantage dans l’âme que l’âme n’est dans le corps. Tout comme le vase contient davantage le vin que le vin le vase, ainsi l’âme contient-elle davantage en elle le corps que le corps l’âme. Ce que l’âme aime dans ce monde, de cela elle est nue dans sa nature. Un maître dit : Il est de la nature et de la perfection naturelle de l’âme qu’elle devienne dans elle un monde doué d’intellect, là où Dieu a formé dans elle les images de toutes choses. Qui dit alors qu’il est parvenu à sa nature, celui-là doit trouver toutes choses formées en lui dans la limpidité, comme elles sont en Dieu, non comme elles sont dans leur nature, plutôt : comme elles sont en Dieu. Ni esprit ni ange ne touchent le fond de l’âme pas plus que la nature de l’âme. C’est en cela qu’elle parvient dans ce qui est premier, dans le commencement, où Dieu jaillit avec bonté dans toutes les créatures. Là elle prend toutes choses en Dieu, non dans la limpidité, telles qu’elles sont dans leur limpidité naturelle, plutôt : dans la limpide simplicité, telles qu’elles sont en Dieu. Dieu a fait tout ce monde comme en charbon. L’image qui est en or est plus ferme que celle qui est en charbon. C’est ainsi que toutes choses dans l’âme sont plus limpides et plus nobles qu’elles ne le sont dans ce monde. La matière dont Dieu a fait toutes choses est plus médiocre que ne l’est le charbon en regard de l’or. Qui veut faire un pot, celui-là prend un peu de terre ; c’est là sa matière, avec laquelle il opère. Après il lui donne une forme, qui est en lui, qui est en lui plus noblement que la matière. Ici j’estime que toutes choses sont immensément plus nobles dans le monde doué d’intellect qu’est l’âme qu’elles ne le sont dans ce monde ; exactement comme l’image qui est taillée et gravée dans l’or, ainsi les images de toutes choses sont-elles simples dans l’âme. Un maître dit : L’âme a en elle une capacité que les images de toutes choses se trouvent imprimées en elle. Un autre dit : Jamais l’âme n’est parvenue à sa nature qu’elle ne trouve toutes choses formées en elle dans ce monde doué d’intellect, qui est incompréhensible ; aucune pensée n’y parvient. Grégoire dit : Ce que nous énonçons des choses divines, il nous faut le balbutier, car il faut qu’on le dise avec des mots. Sermon 17