vices (Orígenes)

Si donc nos interlocuteurs acquiescent à notre assertion – car la raison même montre la nature de cette lumière – et reconnaissent qu’on ne peut comprendre Dieu comme un corps d’après la signification de cette lumière, on pourra leur donner une raison semblable à propos du feu qui consume. En effet, que consume Dieu en tant qu’il est feu ? Peut-on croire qu’il consume une matière corporelle, telle que bois, foin ou paille ! Que fait-il là qui soit digne de louange, s’il est un feu consumant de telles matières ? Mais considérons donc ce que Dieu consume et supprime : il consume les mauvaises pensées, il consume les actes honteux, il consume les désirs de péché, lorsqu’il pénètre dans les intelligences des croyants, lorsqu’il habite avec son Fils dans les âmes qui ont été rendues capables de recevoir sa Parole et sa Sagesse, selon ce qui est dit : Moi et mon Père nous viendrons et nous ferons chez lui notre demeure, et qu’ayant consumé en elles tous les vices et toutes les passions, il s’en fait un temple pur et digne de lui. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Pour que cela ne semble pas trop difficile à comprendre, on peut considérer les passions vicieuses qui s’emparent souvent des âmes, par exemple lorsqu’elles sont embrasées des flammes de l’amour, énervées par les feux de la jalousie ou de l’envie, agitées par une colère folle, consumées d’une tristesse sans bornes, et voir comment quelques-uns jugeant intolérables ces excès de maux ont préféré subir la mort que de supporter des tourments de cette sorte. On peut, certes, se demander si ceux qui ont été impliqués dans les malheurs et les vices indiqués plus haut, n’ont jamais pu trouver ici-bas le moin-dre adoucissement et ont laissé ce monde de cette façon, en seront quittes en ce qui concerne le châtiment avec les tourments que leur infligeront la continuation en eux de ces passions malfaisantes, colère, fureur, folie ou tristesse, quand aucun remède ou aucun adoucissement n’a apaisé en cette vie leur venin mortel, ou si, leurs passions ayant changé, ils seront torturés alors par les souffrances du châtiment commun aux pécheurs. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

De cela on trouve aussi des images dans les Écritures saintes. Ainsi, dans le Deutéronome la parole divine menace les pécheurs de les punir par des fièvres, le froid, la jaunisse et de les torturer par des infirmités oculaires, l’aliénation mentale, la paraplégie, la cécité, les affections rénales. Si quelqu’un collectionne à loisir, à travers toute l’Écriture, toutes les mentions qui sont faites des maux dont les pécheurs sont menacés sous des appellations de maladies corporelles, il trouvera indiqués par là, de façon figurée, les vices et les supplices des âmes. Pour nous faire com-prendre que Dieu agit envers ceux qui sont tombés et ont péché de la même façon que les médecins appliquent des remèdes aux malades pour leur rendre la santé par leurs soins, on peut invoquer, d’après le prophète Jérémie, l’ordre d’abreuver toutes les nations du calice de la fureur de Dieu, pour qu’elles en boivent, qu’elles en deviennent folles et qu’elles le vomissent. Et le prophète les menace en disant que celui qui ne voudra pas en boire ne sera pas purifié. Il faut donc comprendre que la fureur de la vengeance divine sert à la purification des âmes. Isaïe enseigne aussi que le châtiment infligé par le feu est à comprendre comme appliqué en tant que remède, lorsqu’il dit d’Israël : Le Seigneur lavera les souillures des fils et des filles de Sion, il nettoiera le sang qui est au milieu d’eux avec un esprit (souffle) de jugement et avec un esprit (souffle) de combustion. Il parle ainsi des Chaldéens : Tu as des charbons de feu, assieds-toi sur eux, ils te seront en aide. Et ailleurs : Le Seigneur les sanctifiera dans le feu ardent. Le prophète Malachie dit ce qui suit : De son trône le Seigneur fera fondre son peuple comme l’or et l’argent, il fera fondre, il purifiera et, une fois purifiés il affinera les fils de Juda. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

La raison en est claire : en ce qui concerne le bien, le propos humain à lui tout seul est insuffisant pour l’accomplir – c’est l’aide divine qui mène toute chose à sa perfection – ; de même, en ce qui concerne son opposé, nous recevons le début et pour ainsi dire la semence du péché de ce que nous utilisons naturellement. Si nous nous y complaisons plus qu’il ne faut et si nous ne résistons pas aux premiers mouvements d’intempérance, alors la puissance ennemie, prenant occasion de ce premier manquement, nous excite et nous presse, s’efforçant de toute manière de multiplier à profusion les péchés : c’est nous, les hommes, qui fournissons les occasions et les débuts des péchés, mais ce sont les puissances ennemies qui les propagent en long et en large et, si cela peut se faire, sans aucune limite. Ainsi on tombe dans l’avarice parce que d’abord on désire un peu d’argent, puis avec l’accroissement du vice la cupidité augmente. Et même ensuite, lorsque la passion a produit l’aveuglement de l’intelligence, sous la suggestion et la pression des puissances ennemies, on ne se contente pas de désirer l’argent, mais on le vole, on l’acquiert par violence et même en répandant le sang humain. Pour nous assurer avec plus de certitude que ces vices sans mesure viennent des démons, il est facile d’observer que ceux qu’accablent des amours immodérées, des colères intempérantes, des tristesses excessives, ne souffrent rien de moins que ceux qui sont possédés dans leurs corps par des dénions. Car quelques histoires rapportent que certains sont tombés dans la folie à partir de l’amour, d’autres à partir de la colère, d’autres à partir de la tristesse ou d’une joie excessive. A mon avis, cela se produit parce que ces puissances contraires, c’est-à-dire les démons, ayant occupé dans leurs intelligences la place que leur a faite auparavant l’intempérance, ont possédé complètement leur intellect, surtout lorsque la vertu n’a jamais eu pour eux le prestige qui les aurait poussés à résister. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Mais puisque nous en sommes venus à une discussion sur des réalités très profondes, il est nécessaire de toucher tous les points qui peuvent être soulevés de chaque côté. Voyons si on ne peut pas examiner à ce sujet si, de même qu’il vaut mieux pour l’âme suivre l’esprit quand l’esprit a vaincu la chair, de même, quoiqu’il paraisse pire de suivre la chair combattant contre l’esprit et voulant attirer l’âme à elle, cependant il pourrait paraître plus utile à l’âme d’être dominée par la chair que de s’en tenir à ses volontés propres. En effet, tant qu’elle reste dans ses volontés, elle n’est alors, selon ce qui est écrit, ni chaude ni froide, mais, puisqu’elle s’attarde dans une tiédeur indifférente, sa conversion risque d’être plus lente et assez difficile ; tandis que si elle adhère à la chair, parfois rassasiée et remplie de ces maux qu’elle subit par suite des vices de la chair, fatiguée de la luxure et de la volupté comme de fardeaux très pesants, elle peut plus aisément et rapidement se détourner des souillures de la matière pour se tourner vers le désir des réalités célestes et la grâce spirituelle. Je pense que c’est cela qu’a voulu dire l’Apôtre quand il montre l’esprit luttant contre la chair et la chair contre l’esprit, de sorte que nous ne faisons pas ce que nous voulons, désignant par là sans aucun doute ce qui est à la fois étranger à la volonté de l’esprit et à celle de la chair ; en d’autres termes, il vaut mieux pour l’homme être dans la vertu ou dans la malice que dans aucune des deux. Avant de se tourner vers l’esprit et de devenir avec lui une seule chose, l’âme en effet, tant qu’elle adhère au corps et a des pensées charnelles, ne semble être ni dans un bon état ni expressément dans un mauvais, mais elle est semblable, pour ainsi dire, à l’animal. Certes, il vaut mieux pour elle, si cela est possible, qu’elle adhère à l’esprit et devienne spirituelle ; mais si cela ne se peut, il est plus expédient qu’elle suive la malice de la chair, que de rester dans ses volontés propres et dans l’état d’un animal déraisonnable. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section

Mais parmi les oeuvres de la chair l’Apôtre cite aussi les divergences d’opinions, les envies, les disputes, etc., et ils les comprennent ainsi : l’âme, lorsqu’elle a acquis une sensibilité plus grossière, parce qu’elle se soumet aux passions du corps, est opprimée sous la masse des vices et elle ne sent plus rien de subtil et de spirituel ; on dit alors qu’elle est devenue chair et elle tire son nom de cette chair qui est davantage l’objet de son zèle et de sa volonté. Ceux qui se posent ces questions ajoutent : Peut-on trouver un créateur de ces pensées mauvaises qui sont dites la pensée de la chair ou peut-on appeler quelqu’un ainsi ? En effet ils soutiendront qu’il faut croire qu’il n’y a pas d’autre créateur de l’âme et de la chair que Dieu. Si nous disons que c’est le Dieu bon qui, dans sa création elle-même, a créé quelque chose qui lui soit ennemi, cela paraîtra tout à fait absurde. Si donc il est écrit : La sagesse de la chair est ennemie de Dieu et si on dit que cela s’est fait à partir de la création, il semblera que Dieu ait créé une nature qui lui soit ennemie, qui ne puisse être soumise ni à lui ni à sa loi, car on se sera représenté comme un être doué d’âme cette chair dont on parle. Si on accepte cette opinion, en quoi paraît-elle différer de la doctrine de ceux qui se prononcent pour la création de natures différentes d’âmes, destinées par leur nature au salut ou à la perdition? Seuls des hérétiques pensent ainsi et, parce qu’ils n’arrivent pas à soutenir par des raisonnements conformes à la piété la justice de Dieu, ils inventent des imaginations aussi impies. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section

Je pense que cette expression attribuée à Dieu être tout en tout signifie aussi qu’il sera tout en chaque être. Il sera tout en chaque être en ce sens que tout ce qu’une intelligence raisonnable, purifiée de toutes les ordures des vices et nettoyée complètement de tous les nuages de la malice, peut sentir, comprendre et croire, tout cela sera Dieu, et elle ne fera rien d’autre que sentir Dieu, penser Dieu, voir Dieu, tenir Dieu, Dieu sera tous ses mouvements : et c’est ainsi que Dieu lui sera tout. Il n’y aura plus de discernement du mal et du bien, car il n’y aura plus de mal – Dieu en effet lui est tout, lui en qui il n’y a pas de mal – et celui-là ne désirera plus manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui est toujours dans le bien et à qui Dieu est tout. Si donc la fin restituée selon la condition initiale et la consommation des choses rapportée à leur début restaureront l’état qu’avait alors la nature raisonnable, quand elle n’avait pas besoin de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, après avoir écarté tout sentiment de malice, l’avoir nettoyé pour parvenir à la propreté et à la pureté, celui-là seul qui est l’unique Dieu bon lui deviendra tout et il sera tout, non seulement en quelques-uns, ni en beaucoup, mais en tous, quand il n’y aura plus de mort, plus d’aiguillon de la mort, et absolument plus de mal : alors Dieu sera vraiment tout en tous. Mais cette perfection et cette béatitude des natures raisonnables, certains pensent qu’elle perdurera dans l’état dont nous avons parlé, c’est-à-dire celui où tous les êtres possèdent Dieu et où Dieu est pour eux tout, si leur union avec la nature corporelle ne les en éloigne pas du tout. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section