Il est encore un autre sens, notez-le avec zèle ! Il dit « Tout don. » Ce qui est le meilleur et le plus haut, ce sont les dons au sens propre et au sens le plus propre de tous. Dieu ne donne rien aussi volontiers que de grands dons. J’ai dit une fois en ce lieu que Dieu pardonne même plus volontiers de grands péchés que des petits. Et plus ils sont grands, plus volontiers il les pardonne et plus vite. Et il en est tout à fait ainsi en ce qui concerne grâce et don et vertu : plus ils sont grands, plus volontiers il les donne ; car sa nature tient en ce qu’il donne de grandes choses. Et c’est pourquoi meilleures sont les choses plus il y en a. Les créatures les plus nobles, ce sont les anges, et ils sont pleinement doués d’intellect et n’ont pas de corporéité en eux, et ils sont les plus nombreux de tous et il en est plus que le nombre de toutes choses corporelles. Ce sont les grandes choses qui s’appellent à proprement parler dons, et qui lui sont les plus propres et les plus intimes. Sermon 4
Or l’homme est tout à fait comme il faut qui vit dans les vertus, car j’ai dit il y a huit jours que les vertus sont dans le coeur de Dieu. Qui vit dans la vertu et opère dans la vertu, il est tout à fait comme il faut. Qui ne recherche pas ce qui est sien en aucune chose, ni en Dieu ni en créatures, celui-là demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Pour cet homme c’est joie que de laisser et de mépriser toutes choses, et c’est joie que d’accomplir toutes choses jusqu’à leur plus haut point. Saint Jean dit : « Dieu est charité », « Dieu est l’amour », et l’amour est Dieu, « et qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui ». Celui qui là demeure en Dieu, il a bon gîte et est un héritier de Dieu, et celui en qui Dieu habite, il a de dignes compagnons près de lui. Or un maître dit qu’à l’âme se trouve donné de par Dieu un don par quoi l’âme se trouve mue aux choses intérieures. Un maître dit que l’âme se trouve touchée sans intermédiaire par le Saint Esprit, car dans l’amour où Dieu s’aime soi-même, dans cet amour il m’aime, et l’âme aime Dieu dans le même amour où il s’aime soi-même, et cet amour dans lequel Dieu aime l’âme ne serait-il pas que l’Esprit Saint ne serait pas. C’est une ardeur et un épanouissement du Saint Esprit où l’âme aime Dieu. Sermon 10
Le soleil correspond à Dieu : la partie la plus élevée de sa profondeur sans fond répond à ce qui est le plus bas dans la profondeur de l’humilité. Oui, l’homme humble n’a pas besoin de le prier pour cela, mais il peut certes lui commander. Car la hauteur de la déité ne peut rien prendre en considération que dans la profondeur de l’humilité ; car l’homme humble et Dieu sont un et non pas deux. Cet homme humble est aussi puissant sur Dieu qu’il ( = Dieu ) est puissant sur soi-même ; et tout le bien qui est en tous les anges et en tous les saints, tout cela est son propre, comme c’est le propre de Dieu. Dieu et cet homme humble sont pleinement un et non pas deux ; car ce que Dieu opère il l’opère aussi, et ce que Dieu veut il le veut aussi : une ( seule ) vie et un ( seul ) être. Oui, de par Dieu : cet homme serait-il en enfer, il faudrait que Dieu aille à lui en enfer, et il faudrait que l’enfer lui soit un royaume céleste. Il lui faut faire cela de nécessité, il serait contraint à ce qu’il lui faille le faire ; car alors cet homme est être divin, et être divin est cet homme. Car ici advient, de par l’unité de Dieu et de l’homme humble, le baiser. Car la vertu qui là s’appelle humilité est une racine dans le fond de la déité et elle est plantée, de sorte qu’elle ait uniquement son être dans le Un éternel et nulle par ailleurs. J’ai dit à Paris, à l’Ecole, que toutes choses devraient se trouver accomplies dans l’homme vraiment humble. Et c’est pourquoi je dis qu’à l’homme vraiment humble rien ne peut être préjudiciable ni peut l’induire en erreur. Car il n’est aucune chose qui ne fuie ce qui pourrait le réduire à néant. Cela, toutes les choses créées le fuient, car elles ne sont rien de rien en elles-mêmes. Et c’est pourquoi l’homme humble fuit tout ce qui peut l’induire en erreur à propos de Dieu. C’est pourquoi je fuis le charbon ( ardent ), car il voudrait me réduire à néant, car il voudrait me dérober mon être. Sermon 15
Tu dois être constant et ferme, c’est-à-dire : tu dois te tenir égal dans amour et souffrance, dans fortune et infortune, et dois avoir en toi la noblesse de toutes les pierres précieuses, c’est-à-dire que toutes le vertus soient enfermées en toi et fluent essentiellement de toi. Tu dois traverser et surpasser toutes les vertus, et dois prendre la vertu dans le fond, là où elle est un avec la nature divine. Et pour autant que tu es plus uni à la nature divine que ne l’est l’ange, dans cette mesure il lui faut recevoir par toi. Pour que nous devenions Un, qu’à cela Dieu nous aide. Amen. Sermon 16 b
Notre Seigneur alla dans une ville qui se nommait Naïm, et avec lui beaucoup de gens, et aussi les disciples. Lorsqu’ils arrivèrent sous la porte, on emportait un jeune homme mort, un fils unique d’une veuve. Notre Seigneur s’approcha, et toucha la civière sur laquelle gisait le mort et dit : « Jeune homme, je te le dis, lève-toi ! » Le jeune homme se dressa et commença aussitôt à venir à la parole par la vertu de l’égalité selon laquelle il avait été relevé par la Parole éternelle. Sermon 18
Or notez-le ! Que veut-il dire ici qu’il lui tient tant à coeur que nous aimions ? Il veut dire que l’amour avec lequel nous aimons doit être si limpide, si nu, si détaché qu’il ne doit être incliné ni vers moi, ni vers mon ami, ni ( vers quoi que ce soit ) à côté de soi. Les maîtres disent que l’on ne peut nommer aucune oeuvre bonne oeuvre bonne, ni aucune vertu vertu, qu’elle n’advienne dans l’amour. Vertu est si noble, si détachée, si limpide, si nue en elle-même qu’elle ne peut rien connaître de mieux que soi et Dieu. Sermon 27
Or il dit : « Que vous vous aimiez les uns les autres. » Ah, ce serait une vie noble, ce serait une vie bienheureuse ! Ne serait-ce pas une vie noble que tout un chacun soit tourné vers la paix de son prochain comme vers sa propre paix, et que son amour soit si nu et si limpide et si détaché en lui-même qu’il ne vise rien que bonté et Dieu ? Qui demanderait à un homme bon : « Pourquoi aimes-tu bonté ? » – « A cause de la bonté » ; « Pourquoi aimes-tu Dieu ? » – « A cause de Dieu ». Et ton amour est-il si limpide, si détaché, si nu en lui-même que tu n’aimes rien d’autre que bonté et Dieu, alors c’est là une vérité certaine que toutes les vertus que tous les hommes ont jamais pratiquées sont tiennes aussi parfaitement que si tu les avais toi-même pratiquées, et plus limpidement et mieux ; car, que le pape soit pape, cela lui procure souvent de grands travaux ; la vertu, tu l’as de façon plus limpide et plus détachée et avec repos, et elle est plus tienne que sienne, s’il se trouve que ton amour est si limpide, si nu en lui-même que tu ne vises ni n’aimes rien d’autre que bonté et Dieu. Sermon 27
Or il dit : « Comme je vous ai aimés. » Comment Dieu nous a-t-il aimés ? Il nous aima alors que nous n’étions pas et alors que nous étions ses ennemis. Telle nécessité a Dieu de notre amitié qu’il ne peut attendre que nous le priions ; il vient au-devant de nous et nous prie que nous soyons ses amis, car il désire de nous que nous voulions qu’il nous pardonne. De là Notre Seigneur dit fort bien : « C’est là ma volonté que vous priiez pour ceux qui vous font du mal. » C’est ainsi que doit nous tenir à coeur de prier ( pour ) ceux qui nous font du mal. Pourquoi ? – Pour que nous fassions la volonté de Dieu, pour que nous ne devions pas attendre que l’on nous prie ; nous devrions dire : « Ami, pardonne-moi de t’avoir attristé ! » Et c’est ainsi que devrait nous tenir à coeur ce qui regarde la vertu. C’est ainsi que doit être ton amour, car amour ne veut être nulle part que là où sont égalité et Un. Un maître qui a un valet, là il n’est pas de paix, car là il n’est pas d’égalité. Une femme et un homme sont inégaux l’un à l’autre ; mais dans l’amour ils sont tout à fait égaux. De là l’Ecriture dit fort bien que Dieu a pris la femme de la côte et du côté de l’homme, non de la tête ni des pieds, car là où il y a deux, là est déficience. Pourquoi ? L’un n’est pas l’autre, car ce « ne pas », qui là fait différence, n’est rien d’autre qu’amertume, car là il n’est pas de paix. Si j’ai une pomme dans la main, elle procure du plaisir à mes yeux, mais la bouche se trouve spoliée de sa douceur Mais que je la mange, alors je spolie mes yeux du plaisir que j’ai là. C’est ainsi que deux ne peuvent être ensemble, car il faut que l’un perde son être. Sermon 27
Tous les commandements de Dieu viennent d’amour et de la bonté de sa nature ; car s’ils ne venaient pas d’amour, ils ne pourraient être alors commandements de Dieu ; car le commandement de Dieu est la bonté de sa nature, et sa nature est sa bonté dans son commandement. Qui maintenant habite dans la bonté de sa nature, celui-là habite dans l’amour de Dieu, et l’amour n’a pas de pourquoi. Aurais-je un ami et l’aimerais-je pour la raison que me viendrait de lui du bien et toute ma volonté, je n’aimerais pas mon ami, mais moi-même. Je dois aimer mon ami pour sa bonté propre et pour sa vertu propre et pour tout ce qu’il est en lui-même : c’est alors que j’aime mon ami comme il faut, lorsque je l’aime ainsi qu’il est dit ci-dessus. Ainsi en est-il de l’homme qui se tient dans l’amour de Dieu, qui ne cherche pas ce qui est sien en Dieu ni en lui-même ni en aucune chose, et qui aime Dieu seulement pour sa bonté propre et pour la bonté de sa nature et pour tout ce qu’il est en lui-même, et c’est là amour juste. Amour de la vertu est une fleur et un ornement et une mère de toute vertu et de toute perfection et de toute béatitude, car il est Dieu, car Dieu est fruit de la vertu, Dieu féconde toutes les vertus et est un fruit de la vertu, et le fruit demeure à l’homme. L’homme qui opérerait en vue d’un fruit et que ce fruit lui demeure, ce lui serait fort agréable ; et s’il y avait un homme qui possédât une vigne ou un champ et les confiât à son serviteur pour qu’il les travaille et pour que le fruit lui demeure, et s’il lui donnait aussi tout ce qui est requis pour cela, ce lui serait fort agréable que le fruit lui demeure sans dépense de sa part. Ainsi est-il fort agréable à l’homme qui habite dans le fruit de la vertu, car celui-là n’a aucune contrariété ni aucun trouble, car il a laissé soi-même et toutes choses. Sermon 28
Or certains hommes disent : « Si je possède Dieu et l’amour de Dieu, alors je peux bien faire ce que je veux ». Ces mots ils ne les entendent pas de façon juste. Aussi longtemps que tu peux chose quelconque qui est contre Dieu et contre son commandement, alors tu n’as pas l’amour de Dieu ; tu peux bien tromper le monde, comme si tu l’avais. L’homme qui se tient dans la volonté de Dieu et dans l’amour de Dieu, lui sont agréables à faire toutes choses qui sont chères à Dieu et à laisser toutes choses qui sont contre Dieu ; et il lui est aussi impossible de laisser chose aucune que Dieu veut avoir opérée que de faire chose aucune qui est contre Dieu ; exactement comme à celui dont les jambes seraient liées, à cet homme il serait impossible de marcher, comme il serait impossible à l’homme qui est dans la volonté de Dieu de se livrer à aucun vice. Quelqu’un disait : Dieu aurait-il ordonné de se livrer au vice et d’éviter la vertu, je ne voudrais pourtant pas me livrer au vice. Car personne n’aime la vertu que celui qui est lui-même la vertu. L’homme qui a laissé soi-même et toutes choses, qui ne recherche pas ce qui est sien en chose aucune et opère toute son oeuvre sans pourquoi et par amour, cet homme est mort au monde entier et vit en Dieu et Dieu en lui. Sermon 29