vérité (Orígenes)

Pour nous, c’est un juste titre de gloire que «la tribulation » et ce qu’énumère la suite ne nous séparent point , mais non pour Paul, ou les apôtres et quiconque leur ressemble il est si au-dessus de tels obstacles qu’il dit « En tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes », indiquant plus qu’une simple victoire. Et si même les apôtres doivent se glorifier de n’être point sépares « de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur », ils peuvent se glorifier de ce que « ni mort ni vie, ni anges ni principautés », ni quoi que ce soit du reste ne peut « les séparer de l’amour de Dieu dans le Christ-Jésus notre Seigneur ». Aussi je déplore qu’on puisse croire au Christ d’une foi susceptible d’être ébranlée par Celse, qui ne vit même plus la vie commune parmi les hommes, mais qui est mort depuis longtemps, ou par quelque force persuasive du discours. Et je ne sais dans quelle catégorie il faut ranger celui qui a besoin de discours écrits dans des livres en réponse aux charges de Celse contre les chrétiens, pour ressaisir et remettre debout une foi qui chancelle. Néanmoins, comme il se trouve peut-être, dans la foule de ceux qui passent pour fidèles, des gens que pourrait ébranler et retourner l’ouvrage de Celse, mais que la réponse par des raisons capables de ruiner les propos de Celse et d’établir la vérité pourrait guérir, j’ai décidé d’obéir à ton ordre et de répondre au traité que tu m’as envoyé : bien que, à mon avis, nul de ceux qui ont fait le moindre progrès en philosophie n’y reconnaisse un véritable discours, comme l’a intitulé Celse. PRÉFACE

Paul a bien vu que la philosophie grecque contient des raisons non négligeables, plausibles aux yeux du grand public, qui présentent le mensonge comme vérité. Il dit à leur sujet : « Prenez garde que personne ne vous réduise en esclavage par la philosophie et une vaine séduction, selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. » Et parce qu’il voyait dans les discours de la sagesse du monde se manifester une certaine grandeur, il a dit que les discours des philosophes étaient « selon les éléments du monde ». Mais tout homme sensé nierait que les écrits de Celse soient de même « selon les éléments du monde ». Ceux-là ont quelque chose de séduisant, et Paul a parlé d’une vaine séduction peut-être pour la distinguer d’une séduction qui n’est pas vaine, celle qu’avait en vue Jérémie quand il eut l’audace de dire à Dieu : « Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit, tu as été plus fort que moi et plus puissant. » Mais ceux de Celse me paraissent n’avoir aucune séduction du tout, donc même pas la vaine séduction qu’offrent ceux des fondateurs d’écoles philosophiques, doués en ces matières d’une intelligence peu commune. Et de même que dans les spéculations géométriques, une faute banale ne peut être appelée « une donnée faussée », ou encore être proposée pour un exercice à partir de telles données, ainsi faut-il que ressemblent aux pensées des fondateurs d’écoles philosophiques celles qu’on pourrait qualifier comme les leurs de vaine séduction « selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde ». PRÉFACE

Voici le premier grief formulé par Celse dans son désir de diffamer le christianisme : Les chrétiens forment entre eux, au mépris des lois établies, des conventions secrètes. Parmi les conventions, les unes sont publiques, toutes celles qui se conforment aux lois, les autres sont occultes, toutes celles dont l’accomplissement viole les lois établies. Il veut incriminer la charité mutuelle des chrétiens, comme née d’un danger commun et plus forte que tout serment. Comme il invoque la loi commune et la dit enfreinte par les conventions des chrétiens, il faut répondre : si un étranger se trouvait au milieu des Scythes aux lois impies, ne pouvant s’éloigner et contraint de vivre chez eux, il aurait raison, au nom de la loi de la vérité, qui est pour les Scythes une violation de la loi, de former avec ceux qui sont de même sentiment des conventions au mépris de leurs lois établies. Ainsi, au tribunal de la vérité, les lois des païens relatives aux statues et au polythéisme athée sont des lois de Scythes ou sont plus impies que les leurs, s’il en est. Il est donc raisonnable de former contre les lois établies des conventions pour la défense de la vérité. En effet, si des gens, pour chasser le tyran usurpateur du pouvoir de la cité, formaient des conventions secrètes, leur acte serait honnête. Ainsi en est-il des chrétiens : sous la tyrannie de celui qu’ils nomment le diable et du mensonge, ils forment des conventions au mépris des lois établies par le diable, contre le diable, et pour le salut des autres qu’ils peuvent persuader de se soustraire à ce qui est comme une loi de Scythes et de tyran. LIVRE I

Et fort judicieusement, il ne reproche point à l’Evangile son origine barbare, car il a cet éloge : Les barbares sont capables de découvrir des doctrines. Mais il ajoute : Pour juger, fonder, adapter à la pratique de la vertu les découvertes des barbares, les Grecs sont plus habiles. Or voici ce que je peux dire, partant de son observation, pour défendre la vérité des thèses du christianisme : quiconque vient des dogmes et des disciplines grecs à l’Evangile peut non seulement juger qu’elles sont vraies, mais encore prouver, en les mettant en pratique, qu’elles remplissent la condition qui semblait faire défaut par rapport à une démonstration grecque, prouvant ainsi la vérité du christianisme. Mais il faut encore ajouter : la parole (divine) a sa démonstration propre, plus divine que celle des Grecs par la dialectique. Et cette démonstration divine, l’Apôtre la nomme « démonstration de l’Esprit et de la puissance » : « de l’Esprit », par les prophéties capables d’engendrer la foi chez le lecteur, surtout en ce qui concerne le Christ ; « de la puissance », par les prodigieux miracles dont on peut prouver l’existence par cette raison entre bien d’autres qu’il en subsiste encore des traces chez ceux qui règlent leur vie sur les préceptes de cette parole. LIVRE I

Ensuite Celse déclare en propres termes : “S’ils veulent bien répondre à mes questions, non que je cherche à me documenter, car je sais tout, mais je porte à tous une égale sollicitude, à la bonne heure ! Mais s’ils ne veulent pas, avec leur habituelle fin de non recevoir: N’examine pas… etc., alors il sera nécessaire de leur apprendre la nature vraie des doctrines qu’ils professent et la source dont elles proviennent…” etc. A son « car je sais tout », le comble de vantardise dont il ait eu l’audace, il faut répliquer : si jamais il avait lu les prophètes notamment, remplis de ce que tout le monde reconnaît comme des énigmes et des paroles qui restent obscures à la foule, s’il avait abordé les paraboles évangéliques, le reste de l’Ecriture, la loi, l’histoire juive, les discours des apôtres, et s’il avait voulu, par une lecture judicieuse, pénétrer jusqu’au sens des expressions, il n’aurait pas eu cette audace de dire « car je sais tout ». Même moi, qui leur ai consacré mon temps, je ne dirais pas «car je sais tout», car j’aime la vérité. Nul d’entre nous ne dira « car je sais tout » du système d’Épicure, ou n’aura la témérité de croire qu’il sait tout du platonisme, tant sont nombreuses les divergences même entre ceux qui en font l’exposé. Qui donc est assez téméraire pour dire « car je sais tout » du stoïcisme, tout du péripatétisme ? A moins par hasard qu’il n’ait appris ce « car je sais tout » de gens du peuple inconscients de leur propre ignorance, et qu’il ne croie tout connaître pour avoir eu de tels maîtres ! Son attitude évoque celle d’un homme qui aurait séjourné en Egypte ; là les sages donnent, d’après les livres sacrés du pays, nombre d’interprétations philosophiques d’usages qu’ils tiennent pour divins, tandis que le vulgaire, connaissant par ouï-dire quelques mythes dont il ne sait pas la portée doctrinale, en conçoit un vif orgueil ; et notre homme croirait savoir toute la doctrine des Egyptiens, pour s’être fait disciple des profanes de là-bas, sans avoir fréquenté un seul des prêtres, ni reçu d’aucun d’eux les enseignements secrets des Egyptiens. Et ce que j’ai dit des sages et des profanes de l’Egypte, on peut le voir également chez les Perses : là aussi il y a des initiations interprétées rationnellement par l’élite du pays, mais accomplies dans leurs figures extérieures par la multitude plus superficielle. Et il faut en dire autant des Syriens, des Indiens, de tous ceux qui possèdent des mythes et des livres sacrés. LIVRE I

Mais je m’étonne que Celse ait classé “les Odryses, les habitants de Samothrace et d’Eleusis, les Hyperboréens parmi les peuples les plus anciens et les plus sages”, et qu’il n’ait daigné admettre les Juifs ni avec les sages ni avec les anciens. Bien des ouvrages circulent en Egypte, en Phénicie, en Grèce qui témoignent de leur antiquité, mais j’ai jugé superflu de les citer. Tout le monde peut lire les deux livres de Flavius Josèphe sur “l’Antiquité des Juifs”, où il mentionne une importante collection d’écrivains qui attestent l’antiquité judaïque. On cite encore le “Discours aux Grecs” de Tatien le Jeune, très savant compilateur des historiens de l’antiquité des Juifs et de Moïse. Celse paraît donc avoir écrit cela sans souci de la vérité, mais par malveillance, pour attaquer l’origine du christianisme, qui dépend du judaïsme. Il dit de plus : “Les Galactophages d’Homère, les Druides de la Gaule, les Gètes sont des peuples antiques et de haute sagesse qui professent des doctrines apparentées à celle des Juifs”. En trouve-t-on des écrits, je l’ignore. Mais aux seuls Juifs il dénie autant qu’il peut l’antiquité et la sagesse. LIVRE I

Ensuite, dans le secret dessein de calomnier le récit de la création d’après Moïse, qui révèle que le monde n’a pas encore dix mille ans, tant s’en faut, Celse prend parti, tout en cachant son intention, pour ceux qui disent que le monde est incréé. Car en disant : “Il y eut de toute éternité bien des embrasements, bien des déluges, dont le plus récent est l’inondation survenue naguère au temps de Deucalion”, il suggère clairement à ceux qui sont capables de le comprendre que, selon lui, le monde est incréé. Mais qu’il nous dise, cet accusateur de la foi chrétienne, par quels arguments démonstratifs il a été contraint d’admettre qu’il y eut bien des embrasements, bien des déluges, et que les plus récents de tous furent l’inondation du temps de Deucalion et l’embrasement du temps de Phaéton ! S’il produit à leur sujet les dialogues de Platon, nous lui répondrons : à nous aussi il est permis de dire que dans l’âme pure et pieuse de Moïse, élevé au-dessus de tout le créé et uni au Créateur de l’univers, résidait un esprit divin qui fit connaître la vérité sur Dieu bien plus clairement que Platon et les sages grecs ou barbares. Et s’il nous demande des raisons de cette foi, qu’il nous en donne le premier de ce qu’il avance sans preuves, ensuite nous prouverons que nos affirmations sont fondées. LIVRE I

Qui donc, s’il ne parcourt d’un regard superficiel la nature des faits, ne serait frappé d’admiration devant cet homme qui a vaincu et qui a pu dépasser, par sa gloire, toutes les causes d’obscurité et tous les hommes glorieux de tous les temps ? En vérité, les hommes glorieux ont rarement été capables de s’acquérir la gloire à plusieurs titres en même temps. C’est, l’un pour sa sagesse, l’autre pour sa valeur militaire, certains barbares pour leur merveilleux pouvoir d’incantation, d’autres pour d’autres titres toujours en petit nombre, qu’ils ont à la fois suscité l’admiration et acquis la renommée. Mais lui, outre ses autres titres, est admiré à la fois pour sa sagesse, pour ses miracles et pour son autorité. Il n’a pas persuadé, comme un tyran, quelques hommes de se joindre à lui au mépris des lois, ni comme un brigand qui excite contre les gens les hommes de sa bande, ni comme un riche qui pourvoit aux besoins de ceux qui l’approchent, ni comme un de ceux qui sont l’objet d’un blâme unanime ; mais il a agi en maître de la doctrine du Dieu de l’univers, du culte à lui rendre et de toute la loi morale, doctrine capable d’unir familièrement au Dieu suprême quiconque y conforme sa vie. Et Thémistocle et les autres hommes glorieux n’ont rien rencontré pour offusquer leur gloire ; lui au contraire, outre les circonstances indiquées, trop capables de faire sombrer dans l’ignominie le caractère le plus noble, sa mort apparemment infamante de crucifié était suffisante pour anéantir même sa gloire précédemment acquise ; et, dans la pensée de ceux qui n’adhèrent pas à son enseignement, elle devait amener les dupes qu’il aurait faites à se dégager de la duperie et à condamner celui qui les avait dupées. LIVRE I

Je dirai donc d’abord : si celui qui refuse de croire en l’apparition du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe était présenté comme épicurien, ou partisan de Démocrite, ou péripatéticien, le propos conviendrait au personnage. Mais en fait le très docte Celse n’a même pas vu qu’il attribuait une telle parole à un Juif qui croit en bien des récits des écritures prophétiques plus extraordinaires que l’histoire de la forme de la colombe. On pourrait dire en effet au Juif incrédule sur l’apparition, qui pense pouvoir l’accuser de fiction : mais toi, mon brave, comment pourrais-tu prouver que le Seigneur Dieu a dit à Adam, Eve, Caïn, Noé, Abraham, Isaac, Jacob ce que la Bible atteste qu’il a dit à ces êtres humains ? Et pour comparer cette histoire à une autre, je dirais volontiers au Juif : Ton Ézéchiel aussi a écrit ces paroles : « Le ciel s’ouvrit et je vis une vision de Dieu » ; et après l’avoir racontée, il ajoute : « C’était la vision d’un aspect de la gloire du Seigneur, et il me parla. » Si ce que l’on relate de Jésus est faux, puisqu’à ton avis nous ne pouvons pas prouver avec évidence la vérité de ce qu’il a seul vu et entendu, ainsi que, comme tu semblés y tenir, « l’un des suppliciés », pourquoi ne dirions-nous point à plus juste titre qu’Ézéchiel lui aussi est victime d’un prestige quand il dit : « Le ciel s’ouvrit… etc. » ? De plus, lorsqu’Isaïe affirme : « Je vis le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé ; les Séraphins se tenaient autour de lui, ayant six ailes l’un, six ailes l’autre…» etc., d’où tiens-tu la preuve qu’il l’a réellement vu ? Car tu as cru, Juif, que ces visions sont véridiques, et que le prophète, sous l’influence de l’Esprit de Dieu, les a non seulement vues, mais encore racontées et écrites. Mais qui donc est plus digne de foi quand il affirme que le ciel lui a été ouvert, et qu’il a entendu une voix ou qu’il a vu « le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé » ? Isaïe, Ézéchiel, ou bien Jésus ? Des premiers on ne trouve aucune oeuvre aussi sublime, tandis que la bonté de Jésus pour les hommes ne s’est pas bornée à la seule période de son incarnation ; même jusqu’à ce jour sa puissance opère la conversion et l’amélioration des moeurs de ceux qui croient en Dieu par lui. Et la preuve manifeste qu’elles sont dues à sa puissance, comme il le dit lui-même et que l’expérience le montre, c’est, nonobstant le manque d’ouvriers qui travaillent à la moisson des âmes, la moisson si abondante de ceux qui sont récoltés et introduits dans les aires de Dieu partout répandues, les églises. LIVRE I

Je me souviens d’avoir un jour, dans une discussion avec des Juifs dont on vantait la science, en présence de nombreux juges pour dirimer le débat, employé un argument de ce genre : « Dites-moi, mes amis : deux personnes sont venues au genre humain, dont on a relaté des prodiges bien au-dessus de la nature humaine ; je veux dire Moïse votre législateur qui a écrit sa propre histoire, et Jésus notre maître qui n’a laissé aucun livre sur lui mais à qui ses disciples rendent témoignage dans les Evangiles. Quel arbitraire de croire que Moïse dit la vérité, bien que les Egyptiens l’aient accusé d’être un sorcier qui semble avoir fait ses miracles par sorcellerie, mais de ne pas croire Jésus, puisque vous l’accusez ! A tous deux, des peuples rendent témoignage ; les Juifs, à Moïse ; et les chrétiens, loin de nier la mission prophétique de Moïse, partent de là pour prouver la vérité sur Jésus, acceptent comme vraies les histoires miraculeuses que racontent de lui ses disciples. Si donc vous nous demandez la raison de notre foi en Jésus, donnez d’abord celle de votre foi en Moïse, puisqu’il a vécu avant lui, ensuite nous vous donnerons celle de notre foi en lui ; si vous vous dérobez et refusez les preuves au sujet de Moïse, alors pour l’instant nous faisons comme vous et ne fournissons pas de preuves. Avouez néanmoins que vous n’avez pas de preuve à offrir pour Moïse, et écoutez les preuves tirées de la loi et des prophètes en faveur de Jésus. Bien plus, l’étonnant est que les preuves qui valent pour Jésus dans la loi et les prophètes prouvent aussi que Moïse et les prophètes étaient des prophètes de Dieu. » LIVRE I

Je voudrais dire à Celse quand il met en scène un Juif admettant d’une certaine manière Jean comme un baptiste baptisant Jésus l’existence de Jean-Baptiste qui baptisait pour la rémission des pèches est relatée par un de ceux qui ont vécu peu après Jean et Jésus. Dans le dix-huitième livre de “l’Antiquité des Juifs”, en effet, Josèphe a témoigne que Jean baptisait en promettant la purification aux baptisés. Et le même auteur, bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la ruine du temple. Il aurait dû dire que l’attentat contre Jésus avait été la cause de ces malheurs pour le peuple, parce qu’on avait mis à mort le Christ annoncé par les prophètes. Mais, comme malgré lui, il n’est pas loin de la vérité quand il affirme que ces catastrophes arrivèrent aux Juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé le Christ, parce qu’ils l’avaient tué en dépit de son éclatante justice. Ce Jacques, Paul le véritable disciple de Jésus dit l’avoir vu, et il l’appelle « frère du Seigneur », moins pour leur parente de sang ou leur éducation commune que pour ses moeurs et sa doctrine. Si donc Josèphe dit que les malheurs de la dévastation de Jérusalem sont arrivés aux Juifs à cause de Jacques, combien n’eut-il pas été plus raisonnable d’affirmer qu’ils survinrent à cause de Jésus-Christ , lui dont la divinité est attestée par tant d’églises, composées d’hommes qui se sont détournes du débordement des vices, attachés au Créateur et qui rapportent tout a son bon plaisir LIVRE I

Un examen approfondi de la question fera dire : suivant le terme de l’Écriture, il existe une sorte de genre, un sens divin, que le bienheureux seul trouve à présent, au dire de Salomon « Tu trouveras un sens divin » Et ce sens comporte des espèces, la vue, qui peut fixer les réalités supérieures aux corps, dont font partie les Chérubins et les Séraphins , l’ouïe, percevant des sons dont la réalité n’est pas dans l’air , le goût, pour savourer le pain vivant descendu du ciel et donnant la vie au monde ; de même encore l’odorat, qui sent ces parfums dont parle Paul qui se dit être « pour Dieu la bonne odeur du Christ » , le toucher, grâce auquel Jean affirme avoir touche de ses mains « le Logos de vie ». Ayant trouvé le sens divin, les bienheureux prophètes regardaient divinement, écoutaient divinement, goûtaient et sentaient de même façon, pour ainsi dire d’un sens qui n’est pas sensible , et ils touchaient le Logos par la foi, si bien qu’une émanation leur arrivait de lui pour les guérir. Ainsi voyaient-ils ce qu’ils écrivent avoir vu, entendaient-ils ce qu’ils disent avoir entendu, éprouvaient-ils des sensations de même ordre lorsqu’ils mangeaient, comme ils le notèrent, « le rouleau » d’un livre qui leur était donné. Ainsi encore Isaac « sentit l’odeur des vêtements » divins de son fils et put ajouter à sa bénédiction spirituelle : « Voici l’odeur de mon fils, pareille à l’odeur d’un champ fertile béni par le Seigneur. » De la même manière que dans ces exemples et de façon plus intelligible que sensible, Jésus « toucha » le lépreux pour le guérir doublement, à mon avis, en le délivrant non seulement, comme l’entend la foule, de la lèpre sensible par son toucher sensible, mais encore de l’autre lèpre par son toucher véritablement divin. C’est donc ainsi que « Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Oui, j’ai vu et j’atteste que c’est Lui le Fils de Dieu. » De plus, c’est bien pour Jésus que le ciel s’est ouvert ; et à ce moment là, de nul autre que Jean il n’est écrit qu’il vit le ciel ouvert. Mais le Sauveur prédit à ses disciples que de cette ouverture du ciel ils seront plus tard les témoins, et dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme. » Ainsi encore Paul fut ravi au troisième ciel, après l’avoir vu d’abord ouvert, puisqu’il était disciple de Jésus. Mais expliquer maintenant pourquoi Paul dit : ” Etait-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais. Dieu le sait “, est hors de propos. LIVRE I

Mais s’il est encore besoin, sur Jésus, d’une seconde prophétie évidente à nos yeux, nous citerons celle écrite par Moïse, bien des années avant la venue de Jésus. Il y affirme que Jacob, au moment de quitter la vie, adressa des prophéties à chacun de ses fils et dit entre autres à Juda : « Le prince ne s’éloignera pas de Juda, ni le chef, de sa race, jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être. » A la lecture de cette prophétie, en vérité bien plus ancienne que Moïse, mais qu’un incroyant suspecterait d’avoir Moïse comme auteur, on peut s’étonner de la manière dont Moïse a pu prédire que les rois des Juifs, alors qu’il y avait parmi eux douze tribus, sortiraient de la tribu de Juda et gouverneraient le peuple ; c’est la raison pour laquelle tous les hommes de ce peuple sont nommés Judéens, du nom de la tribu régnante. Un second motif d’étonnement, à une lecture judicieuse de la prophétie, est la manière dont, après avoir dit que les chefs et les princes du peuple seraient de la tribu de Juda, elle a fixé le terme de leur gouvernement en disant que le prince ne s’éloignerait pas de Juda, ni le chef, de sa race, « jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être, et il est lui-même l’attente des nations ». Il est venu, en effet, celui à qui il est réservé de l’être, le Christ de Dieu, « le prince » des promesses de Dieu. Manifestement seul, à l’exclusion de tous ceux qui l’ont précédé, j’oserais même dire et de ceux qui le suivront, il est « l’attente des nations », car, de toutes les nations, on a cru en Dieu par lui, et les nations ont espéré en son nom suivant la parole d’Isaïe : « En son nom espéreront les nations. » Et à « ceux qui sont dans les fers », suivant que « chaque homme est serré dans les liens de ses péchés », il dit : « Echappez-vous », et à ceux qui sont dans l’ignorance : venez à la lumière, en accomplissement de la prophétie : « Je t’ai donné pour une alliance des nations, pour relever le pays, pour hériter de l’héritage dévasté, disant à ceux qui sont dans les fers : Echappez-vous, et à ceux qui sont dans les ténèbres : Apparaissez à la lumière.» Et on peut voir, à son avènement, réalisé par ceux qui croient avec simplicité dans tous les lieux de la terre, l’accomplissement de cette parole : « Et sur toutes les routes ils paîtront, et sur toutes les hauteurs seront leurs pâturages. » LIVRE I

Mais il a échappé à Celse, à son Juif, à tous ceux qui ne croient pas en Jésus, que les prophètes parlent de deux avènements du Christ : le premier, tout de souffrances humaines et d’humilité, permettant au Christ, vivant au milieu des hommes, d’enseigner la route qui mène à Dieu, sans laisser à personne, durant la vie, l’excuse qu’il ignore le jugement à venir ; le second, uniquement glorieux et divin, sans aucun mélange d’infirmité humaine à sa divinité. Il serait trop long de citer les prophéties ; il suffira pour l’instant du psaume quarante-quatrième, qui, entre autres choses, porte le titre de « chant du bien-aimé ». Le Christ y est manifestement proclamé Dieu dans ces paroles : « La grâce a été répandue sur tes lèvres, c’est pourquoi Dieu t’a béni à jamais. Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta jeunesse et ta beauté élance-toi, avance avec succès et règne, pour la vérité, la douceur et la justice, et ta droite t’ouvrira une voie miraculeuse. Tes traits sont aiguisés, héros, les peuples tomberont au-dessous de toi dans le coeur des ennemis du roi. » Mais observe avec soin la suite où Dieu est nommé : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais ; le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture. Tu as aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction de l’huile d’allégresse, comme à nul de tes compagnons. » Note que le prophète s’adresse à un Dieu dont « le trône est pour toujours et à jamais » et que « le sceptre de sa royauté est un sceptre de droiture » ; il déclare que ce Dieu a reçu l’onction d’un Dieu qui était son Dieu et qui lui a donné l’onction parce que, « plus que ses compagnons », « il a aimé la justice et haï l’iniquité ». Et je me rappelle même avoir, par cette parole, mis dans une grande difficulté le Juif considéré comme savant. Embarrassé pour donner une réponse en harmonie avec son judaïsme, il dit : c’est au Dieu de l’univers que s’adressent : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais, et le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture », mais au Christ : « Tu as aimé la justice et haï l’iniquité, c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction » etc. LIVRE I

Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I

Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa doctrine n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa doctrine et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux doctrines des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma doctrine et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la mort pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I

Si l’on devait reprocher leur vie antérieure à ceux qui se sont convertis, il serait temps d’accuser aussi Phédon, tout philosophe qu’il ait été, puisque Socrate, comme l’atteste l’histoire, le fit passer d’un lieu de débauche à l’étude de la philosophie. De plus, le libertinage de Polémon, successeur de Xénocrate, on irait le reprocher à la philosophie. Alors que, dans ces exemples à sa louange, il faut dire que la raison s’est montrée capable, en ceux qui ont manié la persuasion, de retirer de vices si graves ceux qui d’abord y avaient été plongés. Et parmi les Grecs, le seul Phédon — j’ignore s’il y en eut un second — et le seul Polémon passèrent d’une vie de débauche effrénée à la pratique de la philosophie ; dans le cas de Jésus, non seulement les Douze d’alors, mais sans cesse et en bien plus grand nombre ceux qui sont devenus un choeur de sages disent de leur vie antérieure : « Car nous aussi nous étions naguère des insensés, des rebelles, des égarés, esclaves de toutes sortes de convoitises et de plaisirs, vivant dans la malice et l’envie, odieux et nous haïssant les uns les autres ; mais le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes », « par le bain de régénération et de rénovation de l’Esprit qu’il a répandu sur nous », nous sommes devenus ce que nous sommes. Car Dieu « a envoyé sa parole et il les a guéris et il les a tirés de leurs corruptions », comme l’enseigne le prophète des psaumes. A ces citations, je pourrais ajouter ceci : Chrysippe, pour réprimer les passions des âmes humaines, sans se mettre en peine du degré de vérité d’une doctrine, tente dans son ” Art de guérir les passions ” de soigner suivant les différentes écoles ceux dont l’âme était plongée dans ces passions, et dit : Si le plaisir est la fin, c’est dans cette perspective qu’il faut soigner les passions ; s’il y a trois espèces de biens, ce n’est pas moins suivant cette doctrine qu’il faut délivrer de leurs passions ceux qu’elles entravent. Mais les accusateurs du christianisme ne voient pas le grand nombre d’hommes dont les passions et le débordement sont réprimés ou dont les caractères sauvages se trouvent adoucis en raison de notre doctrine. C’était un devoir, à ces gens qui préconisent le bien commun, d’avouer leur reconnaissance à cet Évangile qui par une nouvelle méthode a retiré les hommes de tant de vices ; bien plus, de rendre témoignage, sinon à sa vérité, du moins à son utilité pour le genre humain. LIVRE I

A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I

Ensuite, soupçonnant les grandes oeuvres accomplies par Jésus que l’on pourrait produire, et dont je n’ai mentionné qu’une infime partie, Celse affecte de concéder la vérité de “tout ce qui est écrit des guérisons, de la résurrection, de quelques pains qui ont nourri la foule et dont il resta quantité de morceaux, et de tout ce que les disciples, à grand renfort de merveilleux”, pense-t-il, “ont raconté d’autre. Eh bien ! ” ajoute-t-il, “croyons que tu as accompli ces oeuvres !” Et aussitôt il les assimile “aux oeuvres des sorciers qui promettraient d’accomplir des choses assez étonnantes, et aux exploits des disciples des Egyptiens: ils vendent au milieu des places publiques pour quelques oboles leurs secrets vénérables, chassent des hommes les démons, guérissent d’un souffle les maladies, évoquent les âmes des héros, exhibent des repas plantureux, des tables de friandises et de victuailles de toutes sortes en réalité inexistantes, font mouvoir comme vivant ce qui ne l’est pas vraiment mais ne paraît tel qu’à l’imagination. Faudra-t-il donc”, poursuit-il, “ces faiseurs de tours, les croire fils de Dieu, ou bien reconnaître là des pratiques d’hommes pervers et possédés de mauvais génies ? ” LIVRE I

Mais, comme le Juif de Celse arrête sur ces mots son entretien avec Jésus, moi aussi j’arrêterai là mon premier livre contre lui. Et si Dieu donne cette vérité qui anéantit les discours mensongers, selon la prière qui demande : « Dans ta vérité anéantis-les », j’aborderai dans la suite le second discours fictif où le Juif que Celse fait parler adresse à ceux qui ont cru en Jésus les objections suivantes. LIVRE I

Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de Moïse prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la doctrine sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II

Après cela, en dépit de la redite de Celse sur Jésus qui répète alors une seconde fois : ” Il a subi chez les Juifs le châtiment de ses fautes”, je ne recommencerai pas à le défendre, me contentant de qui a été dit. Ensuite son Juif déprécie, comme vieilleries, “renseignement sur la résurrection des morts et le jugement de Dieu, la récompense pour les justes et le feu pour les injustes,” et il croit détruire le christianisme en déclarant qu’en ces matières les chrétiens n’enseignent rien de neuf. Il faut lui répondre : notre Jésus, voyant que la conduite des Juifs n’était en rien digne des enseignements prophétiques, enseigna, par une parabole, que « le Règne de Dieu leur serait enlevé et serait donné » à ceux qui viendraient de la gentilité. Et c’est pourquoi on peut vraiment regarder toutes les doctrines des Juifs actuels comme des fables et des futilités – car ils n’ont pas la lumière de l’intelligence des Écritures -, et les doctrines des chrétiens comme la vérité, aptes qu’elles sont à élever et à exalter l’âme et l’esprit de l’homme, et à persuader qu’ils ont une « cité » non point en bas en quelque sorte comme les Juifs de la terre, mais « dans le ciel ». Cela est manifeste chez ceux qui perçoivent la sublimité des pensées de la loi et des prophètes, et qui sont capables de la faire voir aux autres. Même si “Jésus a observé tous les usages en vigueur chez les Juifs, y compris les pratiques sacrificielles,” en résulte-t-il qu’il ne faut pas croire en lui comme au Fils de Dieu ? Jésus est Fils du Dieu qui a donné la loi et les prophètes ; et cette loi, nous qui sommes de son Église, nous ne la transgressons pas, mais nous avons fui les fables des Juifs et nous retirons sagesse et instruction de la contemplation mystique de la loi et des prophètes. En effet, les prophètes ne restreignent pas le sens de leurs paroles au récit dans sa teneur obvie et à la loi dans son texte littéral ; mais tantôt ils déclarent, sur le point de raconter des histoires : « Je vais ouvrir la bouche en paraboles, je vais évoquer les mystères de l’origine», tantôt ils disent dans leurs prières, à propos de la loi, comme si elle n’était pas claire mais demandait le secours de Dieu pour être comprise : « Ouvre mes yeux, et je comprendrai les merveilles de ta loi. » LIVRE II

Mais qu’on nous montre où se trouve même l’apparence d’un mot de Jésus dit par arrogance ! Arrogant celui qui dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coer, et vous trouverez soulagement pour vos âmes »? Arrogant, celui qui, au cours d’un repas, « quitte son manteau » en présence de ses disciples, ceint « un linge », verse « l’eau dans un bassin », lave « les pieds de chacun », et inflige un blâme à celui qui refuse de les présenter : « Si je ne te lave pas, tu n’as plus de part avec moi » ? Arrogant, celui qui affirme : « Et moi, j’ai été au milieu de vous, non comme celui qui est à table, mais comme celui qui sert »? Qu’on montre de même quels mensonges il a dit, qu’on présente ses grands et ses petits mensonges pour établir que Jésus a dit de grands mensonges ! Il y a encore une autre manière de réfuter Celse : c’est que, comme un mensonge n’est pas plus mensonger qu’un mensonge, ainsi n’est-il pas davantage plus grand ; tout comme une vérité n’est pas plus vraie qu’une vérité ou une plus grande vérité. Et que le Juif de Celse rapporte surtout quelles sont les impiétés de Jésus ! Est-ce impiété de renoncer, dans leur acception littérale, à la circoncision, aux sabbats, aux fêtes, aux nouvelles lunes, aux aliments purs ou impurs, et de tourner l’esprit vers une loi digne de Dieu, véritable, spirituelle, quand celui qui est en ambassade pour le Christ a su « se faire Juif pour les Juifs afin de gagner les Juifs », « et comme un sujet de la loi pour les sujets de la loi afin de gagner les sujets de la loi ». LIVRE II

Le Juif continue :” Comment pouvions-nous considérer comme Dieu celui qui, entre autres choses qu’on lui reprochait, n’exécuta rien de ce qu’il promettait; qui, quand nous l’eûmes convaincu, condamné, jugé digne du supplice, alors qu’il se cachait et cherchait la fuite la plus honteuse, fut pris, livré par ceux qu’il nommait ses disciples ? Pourtant il ne lui était pas possible, s’il était Dieu, ni de s’enfuir, ni de se laisser emmener enchaîné; et encore bien moins, s’il était considéré comme le Sauveur, le Fils et l’Envoyé du Dieu très grand, d’être abandonné et trahi par ses compagnons qui avaient partagé en tout point son intimité et le tenaient pour maître.” A quoi je répondrai : nous ne pensons pas non plus que le corps de Jésus, visible alors et perceptible aux sens, est Dieu. Et que dis-je, le corps ? Pas même l’âme, dont il est dit : « Mon âme est triste à en mourir. » Mais, selon la doctrine des Juifs, on croit que c’est Dieu, usant de l’âme et du corps du prophète comme d’un instrument, qui dit : « C’est moi, le Seigneur, Dieu de toute chair », et : « Avant moi aucun Dieu n’a existé, et il n’y en aura pas après moi. » Selon les Grecs, on tient que c’est un dieu qui parle et qu’on entend par l’entremise de la Pythie, et qui déclare : « Je sais le nombre des grains de sable et les dimensions de la mer, je comprends le sourd-muet, j’entends celui qui ne parle pas. » De la même manière selon nous, c’est le Logos Dieu et Fils du Dieu de l’univers qui, en Jésus, disait : « Je suis la voie, la vérité, la vie », « Je suis la porte », « Je suis le pain vivant descendu du ciel » et autres expressions semblables. LIVRE II

Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II

Qu’est-ce donc que Jésus « a promis » et n’a pas accompli ? Que Celse l’établisse et le prouve ! Mais il en sera bien incapable : pour la raison majeure qu’il croit tirer ses arguments contre Jésus et contre nous soit d’histoires mal comprises, soit même de lectures évangéliques, soit de récits juifs. De plus, puisque le Juif répète : « Nous l’avons convaincu, condamné, jugé digne du supplice », qu’on nous montre comment ceux qui cherchaient à établir de faux témoignages contre lui l’ont convaincu ! A moins peut-être que la grande charge contre Jésus ne fût cette déposition des accusateurs : « Cet homme a affirmé : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours » ? Mais « il parlait du temple de son corps ». Tandis qu’ils croyaient, ne sachant l’interpréter au sens de son auteur, que le propos concernait le temple de pierre, plus honoré chez les Juifs que Celui qu’il aurait fallu honorer comme le véritable temple du Dieu Logos, de la Sagesse, de la Vérité. Et que l’on dise comment Jésus « s’est caché et a fui de la manière la plus honteuse » ! Qu’on y montre une conduite digne de blâme ! Il affirme encore qu’« il fut pris ». Je pourrais répliquer : si « être pris » implique que c’était contre son gré, Jésus ne fut pas pris. De lui-même, au moment voulu, il ne s’est pas gardé de tomber aux mains des hommes, comme « Agneau de Dieu », afin « d’ôter le péché du monde ». « Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! C’est moi ! leur dit-il. Judas, qui le livrait se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : C’est moi ! ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là. » De plus, à celui qui, voulant le secourir, frappa le serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille, il dit : « Remets ton glaive au fourreau ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Écritures, d’après lesquelles il devait en être ainsi ? » Fiction des évangélistes que tout cela, croira-t-on ? Pourquoi la fiction ne serait-elle pas plutôt dans les paroles inspirées par l’hostilité et la haine contre le Christ et les chrétiens, et la vérité, dans le témoignage de ceux qui ont prouvé la sincérité de leur attachement à Jésus en supportant pour ses paroles toutes sortes de peines ? Les disciples de Jésus auraient-ils reçu une telle patience et constance à résister jusqu’à la mort, s’ils avaient été disposés à des inventions mensongères au sujet de leur maître ?… Qu’ils aient été convaincus de la vérité de ce qu’ils ont écrit ressort, avec une évidence manifeste pour tout bon esprit, des cruelles et multiples souffrances qu’ils ont supportées pour celui qu’ils croyaient être Fils de Dieu. LIVRE II

Après cela, le Juif de Celse déclare : “J’aurais beaucoup à dire sur les événements de la vie de Jésus ; des choses vraies et qui diffèrent de ce qu’ont écrit les disciples de Jésus ; mais je les laisse à dessein de côté”. Quelles sont, je le demande, ces choses vraies différentes de celles qui sont écrites dans les Evangiles, laissées de côté par le Juif de Celse ? Ou peut-être feint-il, par ce qui lui semble habileté de rhéteur, d’avoir quelque chose à dire, bien qu’il n’ait pourtant rien à rapporter en dehors de l’Évangile, qui pourrait faire impression sur l’auditeur par sa vérité, ou constituer une charge manifeste contre Jésus et son enseignement ? LIVRE II

Il accuse “les disciples d’avoir inventé qu’il avait su par avance et prédit tout ce qui lui est arrivé”. C’est cependant la vérité, quoique Celse refuse de l’admettre ; je l’établirai par beaucoup d’autres paroles prophétiques du Sauveur, où il a prédit ce qui est arrivé aux chrétiens même dans les générations postérieures. Qui donc n’admirerait cette prédiction : « Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi, pour leur rendre témoignage à eux et aux Gentils », et toutes les autres prédictions qu’il a faites sur les persécutions futures de ses disciples ? Y eut-il une autre doctrine au monde dont on ait châtié les adeptes, pour que l’un des détracteurs de Jésus dise : prévoyant les contradictions que susciteraient les impiétés et les mensonges de ses doctrines, il a décidé de s’en faire un titre de gloire par la prédiction qu’il en faisait dès l’origine ? Car si l’on devait, pour leurs doctrines, traîner des hommes au tribunal des gouverneurs et des rois, quels autres fallait-il traîner que les Epicuriens pour leur négation radicale de la Providence et que les Péripatéticiens pour leur affirmation de l’inutilité totale des prières et des sacrifices qu’on croit offrir à la divinité ? LIVRE II

Que le Juif de Celse, qui ne croit pas que Jésus ait prévu tout ce qui allait arriver, considère de quelle manière, alors que Jérusalem était encore debout et centre du culte de toute la Judée, Jésus a prédit ce que lui feraient subir les Romains. On ne dira certes pas que les familiers et les auditeurs de Jésus lui-même aient transmis sans l’écrire l’enseignement des Evangiles et laissé leurs disciples sans souvenirs écrits sur Jésus. Or il y est écrit : « Mais quand vous verrez Jérusalem investie par les armées, sachez alors que la dévastation est proche. » Il n’y avait alors aucune armée autour de Jérusalem pour l’encercler, la bloquer, l’assiéger. Le siège n’a commencé que sous le règne de Néron et a duré jusqu’au gouvernement de Vespasien, dont le fils, Titus, détruisit Jérusalem ; ce fut, d’après ce qu’écrit Josèphe, à cause de Jacques le Juste, frère de Jésus nommé le Christ, mais, comme la vérité le montre, à cause de Jésus le Christ de Dieu. Celse aurait pu, du reste, même en acceptant ou en concédant que Jésus a connu d’avance ce qui lui arriverait, faire semblant de mépriser ces prédictions, comme il l’avait fait pour les miracles, et les attribuer à la sorcellerie ; il aurait même pu dire que beaucoup ont connu ce qui leur arriverait, par des oracles tirés des augures, des auspices, des sacrifices, des horoscopes. Mais il n’a pas voulu faire cette concession, la jugeant trop importante, et, tout en ayant accepté d’une certaine façon la réalité des miracles, il semble l’avoir décriée sous prétexte de sorcellerie. Cependant Phlégon, dans le treizième ou le quatorzième livre de ses “Chroniques”, je crois, a reconnu au Christ la prescience de certains événements futurs, bien qu’il ait confondu le cas de Jésus et le cas de Pierre, et il atteste que ses prédictions se réalisèrent. Il n’en prouve pas moins comme malgré lui, par cette concession sur la prescience de Jésus, que la parole, chez les Pères de nos croyances, n’était pas dénuée de puissance divine. Celse dit : “Les disciples de Jésus, ne pouvant rien dissimuler d’un fait notoire, s’avisèrent de dire qu’il a tout su d’avance”. Il n’avait pas remarqué, ou n’a pas voulu remarquer la sincérité des écrivains : ils ont avoué en effet que Jésus avait encore prédit aux disciples : « Vous serez tous scandalisés cette nuit », qu’effectivement ils furent scandalisés ; et qu’il a aussi prophétisé à Pierre : « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois », et que Pierre l’a renié trois fois. S’ils n’avaient pas été aussi sincères, mais, comme le croit Celse, s’ils avaient écrit des fictions, ils n’auraient pas mentionné le reniement de Pierre et le scandale des disciples. Qui donc alors, même s’ils ont eu lieu, aurait fait un grief à l’Évangile de ces événements ? Ils ne devaient normalement pas être mentionnés par des auteurs qui voulaient enseigner aux lecteurs des Evangiles à mépriser la mort pour professer le christianisme. Mais non : voyant que l’Évangile vaincrait les hommes par sa puissance, ils ont inséré même des faits de ce genre qui, je ne sais comment, ne troubleront pas les lecteurs et ne fourniront pas de prétexte au reniement. LIVRE II

Voilà encore une considération superficielle : ” Déjà, je suppose, un homme qui pressent un complot contre lui, s’il prévient les conspirateurs, ils se détournent de leur projet et sont sur leurs gardes.” Car beaucoup ont conspiré contre des gens qui pressentaient le complot. Ensuite, comme pour conclure son argument, il dit :” Ce n’est donc point parce que ces événements ont été prédits qu’ils sont arrivés, c’est impossible. Au contraire, puisqu’ils sont arrivés, il est prouvé faux qu’il les ait prédits : car il est impossible que des gens prévenus aient persisté à trahir et à renier.” Or, en renversant les considérants qui précèdent, on a par le fait renversé la conclusion : ce n’est donc point parce que ces événements ont été prédits qu’ils sont arrivés. Au contraire : ils sont arrivés, comme c’était possible, et puisqu’ils sont arrivés, il est démontré vrai qu’il les a prédits ; car la vérité sur l’avenir est jugée par les événements. Fausse donc est l’allégation de Celse qu’il est démontré faux qu’il les ait prédits ; et vaine, sa remarque qu’il est en effet absolument impossible que des gens prévenus aient persiste à trahir et à renier. LIVRE II

Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II

Après cela, je ne sais pour quelle raison, il ajoute cette remarque fort niaise :” Si, en forgeant des justifications absurdes à ce qui vous a ridiculement abusés, vous croyez offrir une justification valable, qu’est-ce qui empêche de penser que tous les autres qui ont été condamnés et ont disparu d’une manière plus misérable encore sont des messagers plus grands et plus divins que lui ? ” Mais il est d’une évidence manifeste et claire à tout homme que Jésus, dans les souffrances qui sont rapportées, n’a rien de comparable a ceux qui ont disparu d’une manière plus misérable encore, à cause de leur magie ou de quelque autre grief que ce soit. Car personne ne peut montrer qu’une pratique de sorcellerie ait converti les âmes de la multitude des pèches qui règnent parmi les hommes et du débordement de vice. Et le Juif de Celse, assimilant Jésus aux brigands, déclare ” On pourrait dire avec une égale impudence d’un brigand et d’un assassin mis au supplice ce n’était pas un brigand, mais un Dieu, car il a prédit à ses complices qu’il souffrirait le genre de supplice qu’il a souffert “.Mais d’abord on peut dire ce n’est pas du fait qu’il a prédit ce qu’il souffrirait que nous avons de tels sentiments sur Jésus, comme par exemple lorsque nous professons sincèrement et hardiment qu’il est venu de Dieu à nous , ensuite, nous disons que cette assimilation même est prédite en quelque sorte dans les Evangiles, puisque Jésus « fut compte parmi les malfaiteurs » par des malfaiteurs car ils ont préféré qu’un brigand, emprisonné « pour sédition et meurtre », fût mis en liberté, et que Jésus soit crucifié, et ils le crucifièrent entre deux brigands. De plus, sans cesse, dans la personne de ses disciples véritables et qui rendent témoignage à la vérité, Jésus est crucifié avec des brigands et souffre la même condamnation qu’eux parmi les hommes. Nous disons dans la mesure ou il y a une analogie entre des brigands et ceux qui, pour leur piété envers le Créateur qu’ils veulent garder intacte et pure comme l’enseigna Jésus acceptent tous les genres d’outrages et de morts, il est clair que Celse a quelque raison de comparer aux chefs de brigands Jésus, l’initiateur de cet enseignement sublime. Mais ni Jésus qui meurt pour le salut de tous, ni ceux qui endurent ces souffrances à cause de leur piété, seuls de tous les hommes à être persécutés pour la manière dont ils croient devoir honorer Dieu, ne sont mis à mort sans injustice, et Jésus ne fut pas persécuté sans impiété. Note aussi le caractère superficiel de ce qu’il dit de ceux qui furent alors les disciples de Jésus : “Alors les compagnons de sa vie, qui entendaient sa voix, l’avaient pour maître, quand ils le virent torturé et mourant, ne voulurent ni mourir avec lui ni mourir pour lui, et, loin de consentir à mépriser des supplices, ils nièrent qu’ils fussent ses disciples. Et vous, maintenant, voulez mourir avec lui”. Ici donc Celse, pour attaquer notre doctrine, ajoute foi au péché commis par les disciples encore débutants et imparfaits, que rapportent les Evangiles. Mais leur redressement après leur faute, leur assurance à prêcher devant les Juifs, les maux sans nombre endurés de leur part, leur mort enfin pour l’enseignement de Jésus, il n’en dit mot. C’est qu’il n’a pas voulu considérer la prédiction de Jésus à Pierre « Vieilli, tu étendras les mains… » etc. ; à quoi l’Écriture ajoute « Il indiquait ainsi la mort par laquelle il rendrait gloire à Dieu » , ni considérer la mort par le glaive au temps d’Hérode, pour la doctrine du Christ, de Jacques frère de Jean, apôtre et frère d’apôtre , ni considérer non plus tous les exploits de Pierre et des autres apôtres dans leur intrépide prédication de l’Évangile, et comment ils s’en allèrent du Sanhédrin après leur flagellation, « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour son nom », surpassant de loin tout ce que les Grecs racontent de l’endurance et du courage des philosophes. Des l’origine donc, prévalait chez les auditeurs de Jésus cette leçon capitale de son enseignement le mépris de la vie recherchée par la foule et l’empressement à mener une vie semblable à celle de Dieu. Et comment n’est-ce pas un mensonge que la parole du Juif de Celse “Au cours de sa vie, il ne gagna qu’une dizaine de mariniers et publicains des plus perdus, et encore pas tous ?” Il est bien clair, même des Juifs en conviendraient, qu’il à gagné non seulement dix hommes, ni cent, ni mille, mais en bloc tantôt cinq mille, tantôt quatre mille» , et gagné au point qu’ils le suivaient jusqu’aux déserts, seuls capables de contenir la multitude assemblée de ceux qui croyaient en Dieu par Jésus, et ou il leur présentait non seulement ses discours mais ses actes. Par ses redites, Celse me force à l’imiter puisque j’évite avec soin de paraître négliger l’un quelconque de ses griefs. Sur ce point donc, suivant l’ordre de son écrit, il déclare “Alors que de son vivant il n’a persuadé personne, après sa mort ceux qui en ont le désir persuadent des multitudes n’est-ce point le comble de l’absurde. Il aurait dû dire, pour garder la logique si, après sa mort ceux qui en ont, pas simplement le désir, mais le désir et la puissance, persuadent des multitudes, combien est-il plus vraisemblable que pendant sa vie il en ait persuadé bien davantage par sa puissante parole et par ses actes. LIVRE II

Jésus n’entendait pas détourner ses disciples de l’attachement aux sorciers en général, qui promettent d’accomplir des prodiges par n’importe quel moyen – ils n’avaient pas besoin d’une telle mise en garde -, mais de l’attachement à ceux qui se présenteraient comme le Christ de Dieu et s’efforceraient, grâce à des prestiges, de tourner vers eux les disciples de Jésus. Il dit donc : « Alors, si l’on vous dit : Tenez, voici le Christ ! ou le voilà ! n’en croyez rien. Il surgira en effet de faux christs et de faux prophètes qui produiront des signes et des prodiges considérables, capables d’abuser si c’était possible les élus eux-mêmes : telle est ma prédiction. Si donc on vous dit : le voici au désert, n’y allez pas ; le voilà dans les cachettes, n’en croyez rien. Comme l’éclair, en effet, part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il à l’avènement du Fils de l’homme. » Et ailleurs : « Beaucoup me diront en ce jour : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons mangé, en ton nom que nous avons bu, en ton nom que nous avons chassé les démons et accompli nombre de miracles ? Et moi je leur dirai : écartez-vous de moi : vous êtes des artisans d’injustice. » Mais Celse, dans le désir d’assimiler les prodiges de Jésus à la sorcellerie humaine, dit littéralement ceci : ” O lumière et vérité ! De sa propre voix il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers. Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges; il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants. Sous la contrainte de la vérité, il a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne. N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure des mêmes oevres à la divinité de l’un et à la sorcellerie des autres ? Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. ” Voilà bien la preuve manifeste de la perfidie de Celse à l’égard de l’Évangile : ce que dit Jésus de ceux qui accompliront signes et prodiges diffère totalement de ce qu’affirmé le Juif de Celse. Bien sûr, si Jésus avait simplement dit à ses disciples de se mettre en garde contre ceux qui promettent des prodiges, sans ajouter de quel titre ils se pareraient, peut-être y aurait-il place pour le soupçon du Juif. Mais les gens dont Jésus veut que nous nous gardions professent qu’ils sont le Christ, ce que ne font pas les sorciers , il dit en outre qu’au nom de Jésus des gens à la vie déréglée feront certains miracles, expulseront des hommes les démons. Dés lors, s’il faut le dire, voilà bannie des personnages en question la sorcellerie et tout soupçon à leur adresse, et bien établie au contraire la puissance divine du Christ et celle de ses disciples car il était possible à qui usait de son nom, sous l’impulsion de je ne sais quelle puissance, de prétendre qu’il était le Christ, de paraître accomplir des actes comparables à ceux du Christ, et à d’autres de faire au nom de Jésus des prodiges apparemment voisins de ceux de ses authentiques disciples. LIVRE II

Paul aussi, dans sa deuxième Epître aux Thessaloniciens, fait connaître de quelle manière sera révèlé un jour « l’homme impie, le Fils de perdition, l’Adversaire, celui qui s’élève au dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui même comme Dieu ». Et il redit aux Thessaloniciens « Et vous savez ce qui le retient présentement de façon a ne se révéler qu’à son moment. Des maintenant, oui, le mystère de l’impiété est à l’oevre. Mais que seulement celui qui le retient soit d’abord écarté, alors l’Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l’anéantira par le resplendissement de sa Venue. Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée, sous l’influence de Satan, par toute espèce de miracles, de signes et de prodiges mensongers, ainsi que toutes les séductions du mal sévissant sur ceux qui sont voués à la perdition. » Il indique également la cause pour laquelle l’Impie a permission de vivre : « Parce qu’ils ont refusé d’accepter pour leur salut l’amour de la vérité. Voilà pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare et les pousse à croire le mensonge, pour la condamnation de tous ceux qui auront refusé de croire la vérité et pris parti pour le mal. » LIVRE II

Qu’on nous dise dès lors si un trait du texte de l’Évangile ou de l’Apôtre peut prêter au soupçon que la sorcellerie soit prédite dans ce passage ! Et quiconque le désire pourra extraire en outre de Daniel la prophétie sur l’Antéchrist. Mais Celse calomnie les paroles de Jésus : il n’a pas dit que d’autres se présenteraient, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers, comme Celse le lui fait dire. En effet, la puissance des incantations d’Egypte n’est point pareille à la grâce miraculeuse dont disposait Moïse : l’issue a manifesté que les actions des Egyptiens étaient des sorcelleries, et celles de Moïse des oevres divines. De la même façon, les actions des antéchrists et de ceux qui prétendent faire des miracles à l’égal des disciples de Jésus sont qualifiées de « signes et de prodiges mensongers, sévissant dans toutes les séductions du mal à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition » ; celles du Christ et de ses disciples, au contraire, ont pour fruit non la séduction mais le salut des âmes. Qui donc peut raisonnablement soutenir que la vie vertueuse qui réduit chaque jour à un plus petit nombre les actions mauvaises provient d’une séduction ? Celse a deviné un trait de l’Écriture, quand il fait dire à Jésus qu’un certain Satan serait habile à contrefaire ces prodiges. Mais il ajoute une pétition de principe en affirmant que Jésus ne nie pas en eux tout caractère divin, mais qu’il y voit l’oevre de méchants. C’est renfermer dans une même catégorie des choses de catégorie différente. Comme le loup n’est pas de même espèce que le chien, malgré une ressemblance apparente dans la forme du corps et dans la voix, ni le pigeon ramier de même espèce que la colombe, ainsi une oevre de la puissance de Dieu n’a rien de pareil à ce qui provient de la sorcellerie. Autre réponse aux déloyautés de Celse : est-ce que des méchants démons feraient des miracles par sorcellerie, sans que la nature divine et bienheureuse en accomplisse aucun ? L’existence humaine est-elle accablée de maux, sans la moindre place pour les biens ? Or voici mon avis : dans la mesure où l’on doit admettre le principe général que là où l’on suppose un mal de même espèce que le bien, il existe nécessairement en face de lui un bien, de même aussi, en regard des actes exécutés par sorcellerie il en existe nécessairement qui sont dus à l’activité divine dans l’existence. En conséquence du même principe on peut ou supprimer les deux membres de l’affirmation et dire que ni l’un m l’autre ne se réalise, ou, posé l’un, ici le mal, reconnaître aussi le bien. Mais admettre les effets de la sorcellerie et nier les effets de la puissance divine équivaut, me semble-t-il, à soutenir qu’il y a des sophismes et des arguments plausibles éloignés de la vérité bien qu’ils feignent de l’établir, mais que la vérité et la dialectique étrangère aux sophismes n’ont aucun droit de cité parmi les hommes. Admet-on l’existence de la magie et de la sorcellerie exercée par les méchants démons, charmés par des incantations spéciales et dociles aux invitations des sorciers ? Il s’ensuit que doivent exister parmi les hommes les effets de la puissance divine. Alors pourquoi ne pas examiner soigneusement ceux qui prétendent faire des miracles et voir si leur vie, leurs moers, les résultats de ces miracles nuisent aux hommes ou redressent leurs moers ? Qui donc, au service des démons, obtient de tels effets au moyen de pratiques incantatoires et magiques. Qui au contraire, après s’être uni à Dieu, dans un lieu pur et saint, par son âme, son esprit et je croîs aussi par son corps, et avoir reçu un esprit divin, accomplit de tels actes pour faire du bien aux hommes et les exhorter à croire au vrai Dieu ? Admet-on la nécessité de chercher, sans tirer une conclusion précipitée des miracles, qui accomplit ces prodiges par un principe bon et qui, par un principe mauvais, de manière à éviter soit de tout déprécier, soit de tout admirer et accueillir comme divin ? Comment alors ne sera-t-il pas évident, d’après les événements du temps de Moïse et du temps de Jésus, puisque des nations entières se sont constituées à la suite de leurs miracles, que c’est par une puissance divine qu’ils ont accompli les oevres que la Bible atteste ? Car la méchanceté et la magie n’auraient pas constitué une nation entière qui a dépasse non seulement les idoles et les monuments construits par les hommes, mais encore toute nature créée, et qui s’élève jusqu’au principe incréé du Dieu de l’univers. LIVRE II

Et comme c’est un Juif qui tient ces propos chez Celse, on pourrait lui dire et toi donc, mon brave, pourquoi enfin cette différence tu croîs divines les oevres que d’après tes Écritures Dieu accomplit par Moïse, et tu tâches de les justifier contre ceux qui les calomnient comme des effets de la sorcellerie, analogues à ceux qu’accomplissent les sages d’Egypte ; tandis que celles de Jésus dont tu reconnais l’existence, suivant l’exemple des Egyptiens qui te critiquent, tu les accuses de n’être pas divines ? Si en effet le résultat final, la nation entière constituée par les prodiges de Moïse, prouve évidemment que c’était Dieu l’auteur de ces miracles au temps de Moïse, comment cet argument ne sera-t-il pas plus démonstratif pour le cas de Jésus, auteur d’une plus grande oevre que celle de Moïse ? Car Moïse a pris ceux de la nation formée de la postérité d’Abraham qui avaient gardé le rite traditionnel de la circoncision, observateurs décidés des usages d’Abraham, et il les conduisit hors d’Egypte en leur imposant les lois que tu croîs divines. Jésus, avec une autre hardiesse, substitua au régime antérieur, aux habitudes ancestrales, aux manières de vivre d’après les lois établies, le régime de l’Évangile. Et, tout comme les miracles que Moïse fit d’après les Écritures étaient nécessaires pour lui obtenir l’audience non seulement de l’assemblée des Anciens, mais encore du peuple, pourquoi Jésus lui aussi, pour gagner la foi d’un peuple qui avait appris à demander des signes et des prodiges, n’aurait-il pas eu besoin de miracles capables, par leur grandeur et leur caractère divin supérieurs si on les compare à ceux de Moïse, de les détourner des fables juives et de leurs traditions humaines, et de leur faire accepter que l’auteur de cette doctrine et de ces prodiges était plus grand que les prophètes ? Comment donc n’était-il pas plus grand que les prophètes, lui que les prophètes proclament Christ et Sauveur du genre humain ? Bien plus, toutes les attaques du Juif de Celse contre ceux qui croient en Jésus peuvent se retourner en accusation contre Moïse , en sorte qu’il n’y a pas ou presque pas de différence à parler de la sorcellerie de Jésus et de celle de Moïse, tous deux pouvant, à s’en tenir a l’expression du Juif de Celse, être l’objet des mêmes critiques. Par exemple le Juif de Celse dit a propos du Christ « O lumière et vérité ! De sa propre voix, il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers ». Mais a propos de Moïse, celui qui ne croît pas à ses miracles, qu’il soit d’Egypte ou de n’importe ou, pourrait dire au Juif « O lumière et vérité ! De sa propre voix, Moïse annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers » Car il est écrit dans votre loi : « Que surgisse en toi un prophète ou un faiseur de songes qui te propose un signe ou un prodige, et qu’ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s’il te dit alors « Allons suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas et servons les », vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur » etc… L’un, dans sa critique des paroles de Jésus, dit encore « Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges » L’autre, dans l’application de ce trait à Moïse, dira « Et il nomme un prophète faiseur de songes habile à contrefaire ces prodiges ». Et de même que le Juif de Celse dit de Jésus : « Il ne nie pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » , ainsi, qui ne croît pas aux miracles de Moïse lui dira la même chose en citant la phrase précédente « Il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » Et ainsi fera-t-il pour cette parole « Sous la contrainte de la vérité, Moïse a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne ». Et quand le Juif déclare « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la divinité de l’un et a la sorcellerie des autres ? » on pourrait lui répondre à cause des paroles de Moïse déjà citées « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la qualité de prophète et serviteur de Dieu de l’un et a la sorcellerie des autres ? » Mais insistant davantage, Celse ajoute aux comparaisons que j’ai citées « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? » On ajoutera à ce qui était dit « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à la méchanceté des gens auxquels Moïse défend de croire malgré leur étalage de signes et de prodiges, et non plutôt à la méchanceté de Moïse, quand il attaque les autres pour leurs signes et leurs prodiges ? » Il multiplie les paroles dans le même sens pour avoir l’air d’amplifier sa brève argumentation : « Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. » Qui donc désigne ce « lui-même » ? Toi, Juif, tu dis que c’est Jésus ; mais celui qui t’accuse comme sujet aux mêmes critiques rapportera ce « lui-même » à Moïse. LIVRE II

Mais je veux établir qu’il n’était pas plus utile pour l’ensemble de l’Économie que « c’est du haut de la croix que Jésus aurait dû soudain disparaître » corporellement. La simple lettre et le récit de ce qui est arrivé à Jésus ne laissent point voir la vérité totale. Car à une lecture plus pénétrante de la Bible, chaque événement se révèle de plus symbole d’une vérité. Ainsi en est-il du crucifiement : il contient la vérité qu’exprimé ce mot : « Je suis crucifié avec le Christ » », et cette idée : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de mon Seigneur Jésus-Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde. » Ainsi, de sa mort : elle était nécessaire pour que l’on pût dire : « Car sa mort fut une mort au péché une fois pour toutes », et pour que le juste ajoute qu’« il lui devient conforme dans la mort », et : « Si en effet nous sommes morts avec lui, avec lui aussi nous vivrons ». Ainsi encore, de son ensevelissement : il s’étend à ceux qui lui sont devenus conformes dans la mort, crucifiés avec lui, morts avec lui, suivant ces autres mots de Paul : « Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême », nous sommes aussi ressuscites avec lui. LIVRE II

L’interprétation qui consiste à remonter des événements rapportés par l’Écriture aux réalités dont ils étaient les figures demanderait une explication plus étendue et plus sublime si l’on exposait plus à propos ces matières dans un traité spécial. L’interprétation littérale s’expliquerait ainsi : une fois sa décision prise d’endurer la mise en croix, il se devait de subir les conséquences de son propos ; en sorte que, tué comme un homme, mort comme un homme, il fût de même enseveli comme un homme. Bien plus, à supposer qu’il fût écrit dans les Évangiles que du haut de la croix il avait soudain disparu, Celse et les incroyants blâmeraient le texte par des critiques de ce genre : pourquoi donc est-ce après sa croix qu’il a disparu, et qu’il ne l’a pas fait avant sa passion ? Si donc ils ont appris des Évangiles qu’il n’a pas disparu soudain du haut de la croix, et pensent faire grief à l’Écriture de n’avoir pas inventé comme ils l’auraient voulu cette disparition soudaine du haut de la croix mais de dire la vérité, n’est-il pas raisonnable de les croire aussi lorsqu’il disent qu’il est ressuscité et qu’à son gré, tantôt « toutes portes closes, il se tint au milieu » de ses disciples, tantôt, ayant donné du pain à deux de ses familiers, subitement il disparut de leurs regards, après leur avoir adressé quelques paroles ? LIVRE II

Mais pour quelle raison le Juif de Celse a-t-il dit que Jésus se cachait ? Car il dit de lui : Quel messager envoyé en mission se cacha-t-il jamais au lieu d’exposer l’objet de son mandat ? Non, il ne se cachait pas, puisqu’il dit à ceux qui cherchaient à le prendre : « Chaque jour j’étais dans le temple à enseigner librement, et vous n’osiez m’arrêter. » A la suite, où Celse ne fait que se répéter, j’ai déjà répondu une fois, je me bornerai donc à ce qui est déjà dit. Car plus haut se trouve écrite la réponse à l’objection : Est-ce que, de son vivant, alors que personne ne le croyait, il prêchait à tous sans mesure, et, quand il aurait affermi la foi par sa résurrection d’entre les morts, ne se laissa-t-il voir en cachette qu’à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie ? Ce n’est pas vrai : il n’est pas apparu seulement à une femmelette, car il est écrit dans l’Évangile selon Matthieu : « Après le sabbat, dès l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent visiter le sépulcre. Alors il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre. » Et peu après, Matthieu ajoute : « Et voici que Jésus vint à leur rencontre ? évidemment, les Marie déjà nommées ?, et il leur dit : « Je vous salue ». Elles s’approchèrent, embrassèrent ses pieds et se prosternèrent devant Lui. » On a également répondu à sa question : Est-ce donc que, durant son supplice, il a été vu de tous, mais après sa résurrection, d’un seul – en réfutant l’objection qu’il n’a pas été vu de tous. Ici j’ajouterai : ses caractères humains étaient visibles de tous ; ceux qui étaient proprement divins – je ne parle pas de ceux qui le mettaient en relation avec les autres êtres, mais de ceux qui l’en séparaient – n’étaient pas intelligibles à tous. De plus, note la contradiction flagrante où Celse s’empêtre. A peine a-t-il dit : « Il s’est laissé voir en cachette à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie », qu’il ajoute : « durant son supplice, il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu. » Entendons ce qu’il veut dire par « durant son supplice il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu». A en juger par son expression, il voulait une chose impossible et absurde : que, durant son supplice, il soit vu d’un seul, après sa résurrection, de tous ! Ou comment expliquer : « c’est le contraire qu’il aurait fallu »? Jésus nous a enseigné qui l’avait envoyé, dans les paroles : « Personne n’a connu le Père si ce n’est le Fils », « Personne n’a jamais vu Dieu : mais le Fils unique, qui est Dieu, qui est dans le sein du Père, lui, l’a révélé» . C’est lui qui, traitant de Dieu, annonça à ses disciples véritables les caractéristiques de Dieu. Les indices qu’on en trouve dans les Écritures nous offrent des points de départ pour parler de Dieu : on apprend, ici, que « Dieu est lumière et il n’y a point en lui de ténèbres », là, que « Dieu est esprit, et ses adorateurs doivent l’adorer en esprit et en vérité ». De plus, les raisons pour lesquelles le Père l’a envoyé sont innombrables : on peut à son gré les apprendre soit des prophètes qui les ont annoncées d’avance, soit des évangélistes ; et on tirera bien des connaissances des apôtres, surtout de Paul. En outre, si Jésus donne sa lumière aux hommes pieux, il punira les pécheurs. Faute d’avoir vu cela, Celse écrit : Il illuminera les gens pieux et aura pitié des pécheurs ou plutôt de ceux qui se sont repentis. Après cela, il déclare : S’il voulait demeurer caché, pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? Il pense par là montrer la contradiction entre ce qui est écrit de lui, sans voir que Jésus ne voulait ni que tous ses aspects fussent connus de tous, même du premier venu, ni que tout ce qui le concerne demeurât caché. En tout cas, la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu », au témoignage de l’Écriture, n’a pas été dite de façon à être entendue de la foule, comme l’a cru le Juif de Celse. De plus, la voix venant de la nuée, sur la haute montagne, a été entendue de ceux-là seuls qui avaient fait l’ascension avec lui ; car c’est le propre de la voix divine d’être entendue seulement de ceux à qui il « veut » faire entendre sa parole. Et je n’insiste pas sur le fait que la voix de Dieu, mentionnée dans l’Écriture, n’est certainement pas de l’air en vibration, ou un ébranlement d’air, ou tout autre définition des traites sur la voix : elle est donc entendue par une oreille supérieure et plus divine que l’oreille sensible Et comme Dieu qui parle ne veut pas que sa voix soit audible à tous, qui a des oreilles supérieures entend Dieu, mais qui est sourd des oreilles de l’âme est insensible à la parole de Dieu. Voilà pour répondre à la question : « Pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? » Et la suivante : « S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? » trouve une réponse suffisante dans ce qu’on a dit longuement de sa passion dans les pages précédentes. LIVRE II

Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II

Aussi ne cesserons-nous pas de croire en Dieu selon les règles données par Jésus et de chercher la conversion de ceux qui sont aveugles au point de vue religieux. Les aveugles véritables peuvent nous blâmer d’être aveugles, et ceux, Juifs et Grecs, qui séduisent leurs adeptes, nous reprocher à nous aussi de séduire les hommes. Belle séduction, en vérité, que de conduire de la licence à la tempérance, ou du moins au progrès vers la tempérance ; de l’injustice à la justice ou au progrès vers la justice, de la folie à la sagesse, ou sur le chemin de la sagesse ; de la timidité, du manque de caractère, de la lâcheté, au courage et à la persévérance exercée principalement dans les luttes pour garder la piété envers Dieu créateur de l’univers ! Jésus-Christ est donc venu, après avoir été prédit non par un seul prophète, mais par tous. Et c’est une nouvelle preuve de l’ignorance de Celse que de faire dire au personnage du Juif qu’un seul prophète a prédit le Christ. Le Juif mis en scène par Celse, et qui prétend parler au nom de sa propre loi, achève ici son argumentation, sans rien dire d’autre qui mérite d’être mentionné. Je terminerai donc, moi aussi, le second livre que j’ai composé contre son traité. Avec l’aide de Dieu, et par la puissance du Christ habitant dans notre âme, je m’appliquerai à répondre, dans un troisième livre, à ce que Celse a écrit dans la suite. LIVRE II

En effet, parce que la médecine est utile et nécessaire au genre humain, et qu’elle comporte bien des questions débattues sur la manière de soigner les corps, on trouve, pour cette raison, dans la médecine chez les Grecs des écoles assez nombreuses, de l’aveu de tous ; il en va de même, je suppose, chez les barbares, chez ceux du moins qui font profession de pratiquer la médecine. De son côté, la philosophie, promettant la vérité et la connaissance des êtres, prescrit comment il faut vivre et s’efforce d’enseigner ce qui est utile à notre race et l’objet de ses recherches présente une grande diversité ; pour cette raison, se sont constituées dans la philosophie des écoles si nombreuses, les unes célèbres, les autres moins. De plus, le judaïsme offrit le prétexte à la naissance de sectes dans l’interprétation différente donnée aux écrits de Moïse et aux discours prophétiques. Dès lors aussi, quand le christianisme prit sa valeur aux yeux des hommes, non seulement du ramassis d’esclaves que croit Celse, mais de nombreux lettrés grecs, inévitablement des sectes se formèrent, nullement du fait des rivalités et de l’esprit de querelle, mais parce que bon nombre de ces lettrés, eux aussi, s’efforçaient de comprendre les mystères du christianisme. Le résultat de leurs interprétations différentes des Écritures, que tous ensemble croyaient divines, fut la naissance de sectes patronnées par des auteurs que leur admiration pour l’origine de la doctrine n’avait pas empêchés d’être incités d’une manière ou de l’autre, pour des raisons plausibles, à des vues divergentes. Mais il serait déraisonnable de fuir la médecine à cause de ses écoles ; déraisonnable aussi, si l’on vise au mieux, de haïr la philosophie en alléguant pour justifier cette antipathie la multitude de ses écoles ; déraisonnable de même, à cause des sectes du judaïsme, de condamner les livres sacrés de Moïse et des prophètes. LIVRE III

Quel ramassis attirons-nous, quels contes terrifiants forgeons-nous, comme Celse l’écrit sans preuve, le montre qui voudra ! A moins que par contes terrifiants que nous forgeons Celse ne veuille entendre cet enseignement : que Dieu est juge et que les hommes sont jugés sur toutes leurs actions, ce que l’on établit d’une manière variée, à la fois par les Écritures et le raisonnement plausible. Il est vrai cependant, car j’aime la vérité, que Celse déclare vers la fin : « Dieu nous garde, eux, moi, et tout autre homme, de rejeter la doctrine que les injustes seront punis et les justes jugés dignes de récompense. » Or si l’on excepte la doctrine du jugement, quels sont donc ces contes terrifiants que nous forgeons pour attirer les hommes ? De plus, puisqu’il dit que, forgeant les déformations de l’antique tradition, nous commençons par étourdir les hommes aux sons de la flûte et de la musique, comme ceux qui battent du tambour autour gens qu’on initie aux rites des Corybantes, je lui répondrai : les déformations de quelle antique tradition ? De la tradition grecque, qui a enseigné aussi l’existence de tribunaux sous la terre ? De la tradition juive, qui a prédit entre autres l’existence d’une vie qui suit la vie présente ? je serait bien incapable de prouver que nous déformons la vérité, nous tous du moins qui nous efforçons d’avoir une foi réfléchie, quand nous accordons notre vie à de telles doctrines. LIVRE III

Mais pour n’omettre aucune espèce de dénigrement et de moquerie, ce bouffon de Celse, dans son discours, contre nous, mentionne les Dioscures, Héraclès, Asclépios et Dionysos, ces hommes devenus dieux d’après la croyance grecque. Il dit que nous ne supportons pas de les considérer comme des dieux, parce qu’ils étaient d’abord des hommes, en dépit des multiples et généreux services qu’ils ont rendus à l’humanité; mais nous affirmons que Jésus, après sa mort, apparut à ses sectateurs. Et il corse l’accusation : Il apparut en personne, disent-ils; entendez : son ombre. Je répliquerai que c’est là une habileté de Celse : il ne montre pas clairement qu’il ne les adore pas comme dieux, pour ménager l’opinion de ses lecteurs qui le soupçonneraient d’athéisme s’il proclamait ce qui lui paraît la vérité ; il feint même pour sa part de ne pas les reconnaître comme dieux. Dans les deux cas on aurait de quoi répondre. LIVRE III

Mais nous, nous montrerons la vérité sur notre Jésus par les témoignages des prophètes, puis, en comparant son histoire avec les leurs, nous montrerons que nulle licence n’est rapportée à son sujet. Ceux qui, par inimitié contre lui, avaient cherché « un faux témoignage » pour l’accuser d’inconduite ne purent pas même trouver de fondement plausible à ce « faux témoignage ». De plus sa mort, résultat du complot des hommes, n’eut rien de comparable au foudroiement d’Asclépios. Et qu’a donc de vénérable la frénésie de Dionysos dans ses habits de femmes, pour qu’on l’adore comme un dieu ? Si les défenseurs de ces légendes cherchent refuge dans l’allégorie, il faut examiner d’une part s’il s’agit d’allégories saines, et de l’autre si des êtres déchirés par les Titans et précipités du trône céleste peuvent avoir une existence réelle et mériter les honneurs et l’adoration ? Mais notre Jésus, lorsque, pour employer l’expression de Celse, il apparut à ses propres sectateurs, il apparut réellement, et Celse calomnie l’Évangile en disant qu’il apparut comme une ombre. Comparons, cependant, les histoires de ces héros avec celle de Jésus ! Celse prétend-il que les premières sont vraies et les autres des fictions ? Mais elles renferment les détails rapportés par des témoins oculaires qui ont montré par leur conduite leur claire compréhension de Celui qu’ils avaient contemplé et ont manifesté leur disposition par l’empressement à souffrir pour sa doctrine. Comment serait-ce répondre au dessein d’agir en tout raisonnablement que d’admettre à la légère les histoires des héros, et pour celle de Jésus, de se jeter sans enquête dans l’incrédulité ? LIVRE III

Les Égyptiens, formés au culte d’Antinoos, supporteraient qu’on lui compare Apollon ou Zeus, car c’est l’honorer que le mettre au même rang. Il y a donc, pour Celse, un mensonge manifeste à dire : Ils ne supporteraient pas qu’on lui compare Apollon ou Zeus. Les chrétiens ont appris que la vie éternelle consistait pour eux à connaître « le seul véritable Dieu » suprême, et « Celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » ; ils savent que « tous les dieux des païens sont des démons » avides, rôdant autour des victimes, du sang et des exhalaisons des sacrifices, pour tromper ceux qui ne cherchent pas refuge auprès du Dieu suprême ; ils savent que les anges de Dieu, au contraire, divins et saints, sont de tout autre nature et caractère que les démons de la terre, et sont connus du très petit nombre de ceux qui ont fait de la question une étude intelligente et approfondie : ils ne supporteraient pas une telle comparaison avec Apollon, Zeus, ou tout autre qu’on adore par le fumet de la graisse, le sang et les victimes. Certains dans leur grande simplicité ne savent pas rendre raison de leur conduite, bien qu’ils gardent judicieusement le dépôt qu’ils ont reçu. Mais d’autres le font avec des raisons non pas insignifiantes mais profondes ou, dirait un Grec, ésotériques et époptiques. Elles contiennent une ample doctrine sur Dieu, sur les êtres auxquels Dieu fait l’honneur, par son Logos, Fils unique de Dieu, de participer à sa divinité et par le fait même à son nom ; une ample doctrine également sur les anges divins et sur ceux qui sont ennemis de la vérité pour s’être trompés et, par suite de leur erreur, se sont proclamés dieux, anges de Dieu, bons démons, héros qui doivent leur existence à la métamorphose de bonnes âmes humaines. Ces chrétiens établiront aussi que, comme en philosophie beaucoup se figurent être dans le vrai pour s’être laissés abuser par des raisons spécieuses ou avoir adhéré avec précipitation aux raisons, présentées ou découvertes par d’autres, de même parmi les âmes sorties des corps, les anges et les dénions, certains furent entraînés pour des raisons spécieuses à se proclamer dieux. Et parce que ces doctrines, chez les hommes, ne peuvent être découvertes avec une parfaite exactitude, il a été jugé sûr pour l’homme de ne se confier à personne comme à Dieu, sauf au seul Jésus-Christ modérateur suprême qui a contemplé ces très profonds secrets, et les communique à un petit nombre. LIVRE III

Mais le Logos entend que nous soyons sages, et on peut le montrer soit par les anciennes Écritures juives dont nous gardons l’usage, soit aussi par celles qui sont postérieures à Jésus dont les églises reconnaissent l’inspiration divine. Or il est écrit, au cinquantième psaume, que David dit dans sa prière à Dieu : « Tu m’as révélé les secrets et les mystères de ta sagesse. » Et en lisant les psaumes, on trouve ce livre rempli d’un grand nombre de sages doctrines. De plus, Salomon demanda et obtint la sagesse ; et de sa sagesse, on peut reconnaître les marques dans ses écrits, quand il enferme en peu de mots une grande profondeur de pensée : on y trouverait, entre autres, nombre d’éloges de la sagesse et d’exhortations sur le devoir de l’acquérir. Et telle était même la sagesse de Salomon que la reine de Saba, ayant appris sa « renommée et la renommée du Seigneur », vint « le mettre à l’épreuve en lui posant des énigmes. Elle lui dit tout ce qui était dans son coer. Et Salomon répondit à toutes ses questions ; et il n’y eut pas une question qui resta cachée au roi, sur laquelle il ne lui fournit de réponse. La reine de Saba vit toute la sagesse de Salomon » et toutes ses ressources. « Et hors d’elle-même, elle dit au roi : C’est donc la vérité que j’ai entendu dire dans mon pays sur toi et sur ta sagesse ; je n’ai pas voulu y croire quand on m’en faisait part, avant de venir et de voir de mes yeux. Et voici qu’on ne m’en avait pas dit la moitié. Tu surpasses en sagesse et en magnificence tout ce que j’ai appris par ouï-dire. » Et justement il est écrit de lui : « Dieu donna à Salomon une intelligence et une sagesse extrêmement grandes, et un coer aussi vaste que le sable du rivage de la mer. Et la sagesse de Salomon surpassait de beaucoup l’intelligence de tous les anciens et de tous les sages d’Egypte. Il fut plus sage que tous les hommes, plus sage que Gétan l’Ezrahite, et qu’Emad, Chalcad, Aradab, fils de Mad. Il était renommé dans toutes les nations d’alentour. Salomon prononça trois mille paraboles, et ses cantiques étaient au nombre de cinq mille. Il a parlé des plantes, depuis le cèdre du Liban jusqu’à l’hysope qui se fraye un chemin dans la muraille. Il a parlé des poissons comme du bétail. Tous les peuples venaient entendre la sagesse de Salomon, et on venait de la part de tous les rois de la terre qui avaient entendu parler de sa sagesse. » LIVRE III

De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III

Il est également faux que les maîtres de la divine doctrine ne veuillent convaincre que les gens niais, vulgaires, stupides : esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants. Même eux, le Logos les appelle pour les améliorer ; mais il appelle aussi ceux qui leur sont bien supérieurs : car le Christ est « Sauveur de tous les hommes, et surtout des croyants », qu’ils soient intelligents ou simplets, « il est victime de propitiation devant son Père pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais pour ceux du monde entier ». Il est dès lors superflu de vouloir répondre à ces paroles de Celse : D’ailleurs, quel mal y a-t-il donc à être cultivé, à s’être appliqué aux meilleures doctrines, à être prudent et à le paraître ? Est-ce un obstacle à la connaissance de Dieu ? Ne serait-ce pas plutôt une aide et un moyen plus efficace de parvenir à la vérité ? Assurément, il n’y a pas de mal à être réellement cultivé : car la culture est le chemin vers la vertu. Cependant, compter au nombre des gens cultivés ceux qui professent des doctrines erronées, les sages mêmes de la Grèce n’y souscriraient pas. Par ailleurs, qui ne reconnaîtrait que c’est un bien de s’être appliqué aux meilleures doctrines? Mais qu’appellerons-nous les meilleures doctrines, sinon celles qui sont vraies et invitent à la vertu ? De plus, s’il est bien d’être prudent, ce ne l’est plus de le paraître, comme l’a dit Celse. Et loin d’être un obstacle à la connaissance de Dieu, c’est une aide que d’être cultivé, de s’être appliqué aux meilleures doctrines, d’être prudent. Plutôt qu’à Celse, c’est à nous qu’il revient de le dire, surtout si on le convainc d’épicurisme. LIVRE III

Et qui sont les précepteurs, traités par nous de radoteurs stupides, que Celse défend pour l’excellence de leurs leçons? Peut-être considère-t-il comme habiles précepteurs pour bonnes femmes et non des radoteurs ceux qui les invitent à la superstition et aux spectacles impurs, ou encore, comme exempts de stupidité ceux qui conduisent et poussent les jeunes gens à tous les désordres qu’on leur voit commettre un peu partout. Pour nous, du moins, nous invitons de toutes nos forces même les tenants des doctrines philosophiques à notre religion, en leur montrant son exceptionnelle pureté. Puisque Celse, dans ses remarques, veut établir que, loin de le faire, nous n’invitons que les sots, on pourrait lui répondre : si tu nous faisais grief de détourner de la philosophie ceux qui auparavant y étaient adonnés, tu ne dirais pas la vérité, mais ton propos aurait quelque chose de plausible. Mais en fait, comme tu prétends que nous enlevons nos adeptes à de bons précepteurs, prouve que ces maîtres sont différents des maîtres de philosophie ou de ceux qui ont travaillé à un enseignement utile. Mais il sera incapable de rien montrer de tel. Et nous promettons franchement, et non en secret, que seront heureux ceux qui vivent selon la parole de Dieu, fixant en tout leurs yeux sur lui, accomplissant quoi que ce soit comme sous le regard de Dieu. Est-ce là des leçons de cardeurs, de cordonniers, de foulons, de gens grossiers les plus incultes ? Il ne pourra pas l’établir. Ces hommes, d’après lui comparables aux cardeurs qu’on voit dans les maisons, semblables aux cordonniers, aux foulons, aux gens grossiers les plus incultes, Celse les accuse de ne vouloir, ni de ne pouvoir, en présence du père et des précepteurs, rien expliquer de bon aux enfants. En réponse, nous demanderons : de quel père veux-tu parler, mon brave, de quel précepteur? Si c’est quelqu’un qui approuve la vertu, se détourne du vice, recherche les biens supérieurs, sache-le bien, c’est avec une pleine assurance d’être approuvés d’un tel juge que nous communiquerons nos leçons aux enfants. Mais devant un père qui décrie la vertu et la parfaite honnêteté, nous gardons le silence, comme devant ceux qui enseignent ce qui est contraire à la saine raison : ne va pas nous le reprocher, ton reproche serait déraisonnable. Toi-même, à coup sûr, quand tu transmets les mystères de la philosophie à des jeunes gens et des enfants, dont les pères estiment la philosophie inutile et vaine, tu ne diras rien aux enfants devant leurs pères mal disposés ; mais, désireux de séparer de ces mauvais pères les fils orientés vers la philosophie, tu guetteras les occasions de faire parvenir aux jeunes gens les doctrines philosophiques. J’en dirai autant des précepteurs. Détourner de précepteurs enseignant les turpitudes de la comédie, la licence des ïambes et tant d’autres choses, sans bonne influence sur qui les débite ni utilité pour qui les écoute, car ils ne savent pas interpréter philosophiquement les poèmes, ni ajouter à chacun ce qui contribue au bien des jeunes gens, c’est là une conduite que nous avouons sans rougir. Mais présente-moi des précepteurs initiant à la philosophie et en favorisant l’exercice : au lieu d’en détourner les jeunes gens, je m’efforcerai d’élever ceux qui sont déjà exercés dans le cycle des sciences et des thèmes philosophiques, je les mènerai loin de la foule qui l’ignore jusqu’à la vénérable et sublime éloquence des chrétiens qui traitent des vérités les plus élevées et les plus nécessaires, montrant en détail et prouvant que telle est la philosophie enseignée par les prophètes de Dieu et les apôtres de Jésus. LIVRE III

Puis, sentant bien qu’il nous avait injuriés avec trop d’aigreur, et comme pour s’excuser, il poursuit : Je n’accuse pas avec plus d’aigreur que la vérité ne m’y contraint, qu’on veuille bien en accepter cette preuve. Ceux qui appellent aux autres initiations proclament: « Quiconque a les mains pures et la langue avisée », et d’autres encore : « Quiconque est pur de toute souillure, dont l’âme n’a conscience d’aucun mal, et qui a bien et justement vécu »: voilà ce que proclament ceux qui promettent la purification des péchés. Ecoulons, au contraire, quels hommes appellent ces chrétiens : « Quiconque est pécheur, quiconque faible d’esprit, quiconque petit enfant, bref quiconque est malheureux, le Royaume de Dieu le recevra. » Or, par pécheur, n’entendez-vous pas l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux ? Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? Voici notre réponse : ce n’est pas la même chose d’appeler les malades de l’âme à la santé, et les bien portants à la connaissance et à la science de choses divines. Nous aussi, nous savons établir cette distinction. Au début, invitant les hommes à la guérison, nous exhortons les pécheurs à venir aux doctrines qui enseignent à éviter le péché, les faibles d’esprit aux doctrines qui affinent l’intelligence, les petits enfants à s’élever jusqu’à des sentiments virils, bref, les malheureux au bonheur, plus précisément à la béatitude. Et quand, parmi ceux que nous exhortons, les progressants se montrent purifiés par le Logos, menant autant que possible une vie meilleure, alors nous les appelons à l’initiation parfaite, « car nous parlons sagesse parmi les parfaits ». LIVRE III

Ensuite, il ne comprend pas le sens de l’expression : « Quiconque s’élève sera abaissé », il n’a même pas appris de Platon que l’honnête homme s’avance « humble et rangé », il ne sait même pas que nous disons : « Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu pour qu’il vous élève au bon moment », et il déclare : Des hommes, qui président correctement à un procès, ne tolèrent pas qu’on déplore les fautes en discours à lamentations, de peur que la pitié plus que la vérité ne dicte leur sentence; Dieu, donc, juge en fonction non de la vérité mais de la flatterie. Quelle flatterie, quel discours à lamentations y a-t-il dans les divines Écritures? Le pécheur dit dans sa prière à Dieu : « Je t’ai fait connaître mon péché, je ne t’ai point caché mon iniquité ; j’ai dit : je veux m’accuser de mon iniquité au Seigneur, etc. » Peut-il prouver qu’un tel aveu de pécheurs qui s’humilient devant Dieu dans leurs prières n’est pas capable d’obtenir la conversion ? De plus, troublé par son ardeur à accuser, il se contredit. Tantôt il semble connaître un homme sans péché et juste qui, dans sa vertu originelle lève ses regards vers Dieu, tantôt il approuve ce que nous disons : « Quel est l’homme parfaitement juste, quel est l’homme sans péché ? » car c’est bien approuver cela que d’ajouter : Il est probablement vrai que la race humaine a une propension native à pécher. Ensuite, comme si tous les hommes n’étaient point appelés par le Logos, il objecte : Il eût donc fallu appeler tous les hommes sans exception, si en fait tous sont pécheurs. Mais j’ai montré plus haut que Jésus a dit : « Venez, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. » Tous les hommes donc, « qui peinent et ployent sous le fardeau » à cause de leur nature pécheresse, sont appelés au soulagement près du Logos de Dieu, car Dieu envoya « son Logos, les guérit et les préserva de leurs corruptions ». LIVRE III

Là encore Celse me paraît être dans l’erreur totale en n’accordant point, à ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui ont l’habitude de le faire, la possibilité d’un changement complet, en pensant qu’ils ne peuvent être guéris même par des châtiments. En effet il semble manifeste que, nous les hommes, nous sommes tous naturellement enclins à pécher, et que quelques-uns non seulement sont naturellement enclins à pécher, mais en ont l’habitude. Néanmoins tous les hommes ne sont pas réfractaires au changement complet. On apprend dans chaque école philosophique, et dans la divine Ecriture, qu’il y a des gens tellement changés qu’on les propose en modèle de la vie parfaite. On cite parmi les héros Héraclès et Ulysse, plus tard Socrate, hier ou avant-hier Mousonios. C’est non seulement d’après nous que Celse a menti en disant qu’il est bien clair à chacun que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont l’habitude, personne ne pourrait les conduire, même par des châtiments, à un total changement pour une vie meilleure. C’est aussi d’après les philosophes de valeur qui ne refusent pas la possibilité pour l’homme de recouvrer la vertu. Mais, bien que sa pensée manque de précision, en l’entendant sans parti pris, je ne le convaincrai pas moins de tenir un propos qui n’est pas sensé. Il a dit en effet que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont l’habitude, personne ne pourrait, même par le châtiment, totalement les changer. Et le sens obvie de son texte, je l’ai réfuté de mon mieux. Mais voici probablement ce qu’il veut dire : ceux qui non seulement sont naturellement enclins à ces forfaits commis par les plus dépravés, mais encore en ont l’habitude, personne ne pourrait, même par des châtiments, totalement les changer. C’est encore un mensonge, comme le montre l’histoire de certains philosophes. Ne mettrait-on point au rang des plus dépravés des hommes celui qui accepte en quelque manière d’obéir à un maître qui l’a placé dans un mauvais lieu pour qu’il accueille quiconque voudrait le souiller ? Or c’est ce que l’histoire rapporte de Phédon. Comment ne pas qualifier comme le plus scélérat des hommes celui qui, avec une joueuse de flûte et d’autres convives, ses compagnons de débauche, pénétra dans l’école du vénérable Xénocrate, pour outrager un homme admiré même de son entourage ? Eh bien, la raison eut assez de force pour convertir ces hommes-là, et leur faire accomplir de tels progrès en philosophie que le premier fut jugé digne par Platon de retracer le discours de Socrate sur l’immortalité et décrire sa vigueur d’âme en prison quand, au lieu de s’inquiéter de la ciguë, sans crainte, il développait en toute sérénité d’âme des considérations d’une telle profondeur qu’ont peine à les suivre même les plus réfléchis que ne trouble aucune distraction. Polémon, lui, passa du libertinage à l’extrême tempérance, et reçut, dans son école, la succession de Xénocrate célèbre pour sa dignité. Celse ne dit donc pas la vérité dans son propos que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et en ont l’habitude, personne ne pourrait, même par le châtiment, totalement les changer. LIVRE III

Puis, comme de la bouche de notre maître de doctrine, il énonce : Les sages repoussent ce que nous disons, égarés et entravés qu’ils sont par leur sagesse. A cela donc je répondrai : s’il est vrai que « la sagesse » est la science « des choses divines et humaines » et de leurs causes, ou comme la définit la parole divine : « le souffle de la puissance de Dieu, l’effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, le reflet de la gloire éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté », jamais un véritable sage ne repoussera ce que dit un chrétien qui a une vraie connaissance du christianisme, ni ne sera égaré et entravé par la sagesse. Car la vraie sagesse n’égare pas, mais bien l’ignorance, et la seule réalité solide est la science et la vérité qui proviennent de la sagesse. Si, contrairement à la définition de la sagesse, on donne le nom de sage à qui soutient par des sophismes n’importe quelle opinion, nous admettrons que celui que qualifie cette prétendue sagesse repousse les paroles de Dieu, égaré et entravé qu’il est par des raisons spécieuses et des sophismes. Mais d’après notre doctrine, « la science du mal n’est pas la sagesse » ; « la science du mal » pour ainsi parler, réside en ceux qui tiennent des opinions fausses et sont abusés par des sophismes ; aussi dirai-je qu’elle est chez eux ignorance plutôt que sagesse. LIVRE III

On imagine peut-être qu’il y a là plus de superstition que de perversion pour l’ensemble de ceux qui croient à la doctrine, et on accusera notre doctrine de faire des superstitieux. Nous répondrons par le mot du législateur à qui on demandait s’il avait donné à ses concitoyens les meilleures lois : pas les meilleures absolument, mais les meilleures qu’ils pouvaient recevoir. Ainsi le fondateur du christianisme pourrait dire : j’ai institué les meilleures lois et le meilleur enseignement que les foules pouvaient recevoir pour l’amendement de leurs moers, menaçant les pécheurs de peines et de châtiments non pas mensongers mais véritables, nécessairement infligés pour la réforme des pécheurs obstinés, même s’ils ne comprennent pas absolument l’intention de celui qui châtie ni l’effet de leurs peines. Cette doctrine est bienfaisante, qu’on l’exprime dans sa vérité à découvert, ou s’il est utile, sous une forme voilée. Mais, en général, ce ne sont pas des gens pervers qu’attirent les prédicateurs du christianisme, et nous n’insultons pas Dieu : nous ne disons de lui que des choses vraies et qui semblent claires aux foules, bien qu’elles soient moins claires pour elles que pour l’élite exercée à comprendre philosophiquement les doctrines chrétiennes. LIVRE III

J’en viens à un quatrième livre contre les objections qui suivent, après avoir prié Dieu par le Christ. Puissent m’être données de ces paroles dont il est écrit dans Jérémie, quand le Seigneur parlait au prophète : « Voici que j’ai mis dans ta bouche mes paroles comme un feu, voici que je t’ai établi en ce jour sur les nations et les royaumes, pour déraciner et pour détruire, pour perdre et pour abattre, pour bâtir et pour planter. » J’ai besoin désormais de paroles capables de déraciner les idées contraires à la vérité de toute âme trompée par le traité de Celse ou par des pensées semblables aux siennes. J’ai aussi besoin d’idées qui renversent les édifices de toute opinion fausse et les prétentions de l’édifice de Celse dans son traité, pareilles à la construction de ceux qui disent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel. » J’ai encore besoin d’une sagesse qui abatte toutes les puissances altières qui s’élèvent « contre la connaissance de Dieu », et la puissance altière de la jactance de Celse qui s’élève contre nous. Et puisque je ne dois pas me borner à déraciner et à détruire toutes ces erreurs, mais, à la place de ce qui est déraciné, planter la plantation du champ de Dieu, à la place de ce qui est détruit, construire l’édifice de Dieu et le temple de la gloire de Dieu, voilà autant de raisons pour lesquelles je dois prier le Seigneur, dispensateur des dons mentionnés dans Jérémie, de me donner à moi aussi des paroles efficaces pour bâtir l’édifice du Christ et planter la loi spirituelle et les paroles des prophètes qui s’y rapportent. Il me faut surtout établir, contre les objections actuelles de Celse faisant suite aux précédentes, que l’avènement du Christ a bel et bien été prédit. En effet, il se dresse à la fois contre les Juifs et les chrétiens : les Juifs qui refusent que la venue du Christ soit déjà réalisée mais espèrent qu’elle aura lieu, et les chrétiens qui professent que Jésus est le Christ prédit, et il affirme : Voici la prétention de certains chrétiens et des Juifs : un Dieu ou Fils de Dieu, selon les uns est descendu, selon les autres descendra sur la terre pour en juger les habitants : propos si honteux qu’il n’est pas besoin d’un long discours pour le réfuter. Il semble bien parler avec exactitude quand il dit, non pas certains Juifs, mais tous les Juifs croient que quelqu’un descendra sur la terre, tandis que certains chrétiens seulement disent qu’il est descendu. Il veut indiquer ceux qui établissent par les Écritures juives que la venue du Christ a déjà eu lieu, et il paraît connaître l’existence de sectes qui nient que le Christ Jésus soit la personne prophétisée. Or j’ai déjà établi plus haut de mon mieux que le Christ avait été prophétisé ; aussi ne reviendrai-je pas sur les nombreuses preuves qui pourraient être fournies sur ce point, afin d’éviter les redites. Vois donc que s’il avait voulu, avec une logique au moins apparente, renverser la foi aux prophéties ou à l’avènement futur ou passé du Christ, il devait citer les prophéties mêmes auxquelles, chrétiens ou Juifs, nous avons recours dans nos débats. Ainsi il eût, du moins en apparence, détourné ceux qui sont attirés, à l’en croire, par leur caractère spécieux, de l’adhésion aux prophéties et de la foi, fondée sur elles, en Jésus comme au Christ. LIVRE IV

J’ai donné ces quelques raisons entre bien d’autres pour répondre à la question de Celse : « Quel but aurait donc pour Dieu, une telle descente ? » Mais Celse invente des propos qui ne sont ni ceux des Juifs ni les nôtres : Est-ce pour apprendre ce qui se passe chez les hommes ? Car aucun de nous ne dit que le Christ soit venu en cette vie pour apprendre ce qui se passe parmi les hommes. Puis, comme si certains disaient que c’est pour apprendre ce qui se passe chez les hommes, il répond à la question posée : Ne sait-il donc pas tout ? Et, comme si nous répondions oui, il élève un nouveau doute : Est-ce alors que, sachant, il ne réforme pas et ne peut réformer par sa puissance divine? Autant de sottises que de mots ! Sans cesse, en effet, par son Logos qui descend à chaque génération dans les âmes pieuses et les constitue amies de Dieu et prophètes, Dieu réforme ceux qui écoutent ses paroles ; et au temps de la venue du Christ, il réforme par l’enseignement du christianisme, non les récalcitrants, mais ceux qui ont choisi la meilleure vie qui plaît à Dieu. Mais je ne sais quelle réforme Celse désire réalisée quand il soulève une nouvelle question : Lui est-il donc impossible de réformer par sa puissance divine, sans envoyer quelqu’un voué par nature à ce dessein ? Aurait-il donc voulu que la réforme fût produite chez des hommes dotés de visions par Dieu qui, ayant soudain ôté la malice, implanterait la vertu ? On pourrait demander si ce serait conforme à la nature ou même possible. Je dirais : admettons que ce soit possible ; mais qu’en sera-t-il de notre liberté ? En quoi l’adhésion à la vérité sera-t-elle louable, digne d’approbation le refus du mensonge? Et même une fois concédé que la chose est possible et convenable, pourquoi ne pas poser tout d’abord la question, calquée sur l’affirmation de Celse : était-il donc impossible à Dieu de créer par sa divine puissance une humanité qui n’eût pas besoin de réforme, immédiatement vertueuse et parfaite, sans l’existence de la moindre malice ? Conception qui peut séduire les gens simples et inintelligents, mais non celui qui examine la nature des choses. Car détruire la liberté de la vertu, c’est en détruire l’essence même. Le sujet exigerait toute une étude. Les Grecs même en ont longuement traité dans leurs livres sur la Providence, et ne souscriraient point à la proposition de Celse : « Il sait, mais ne réforme pas, et il lui est impossible de réformer par sa puissance divine. » Moi aussi, à maintes reprises, j’en ai traité de mon mieux, et les divines Écritures l’ont prouvé à ceux qui peuvent les comprendre. LIVRE IV

Et s’il le sait, pourquoi ne réforme-t-il pas ? Nous faut-il expliquer pourquoi, bien qu’il le sache, il ne réforme pas? Alors que toi qui, dans ton ouvrage, ne te montres pas précisément comme épicurien, mais affectes de reconnaître la Providence, tu n’auras pas eu à dire également pourquoi Dieu, sachant tout ce qui se passe chez les hommes, ne réforme pas, et ne délivre point tous les hommes du mal par sa puissance divine. Mais nous n’avons pas honte de dire que Dieu envoie sans cesse des gens pour réformer les hommes : c’est par un don de Dieu que se trouvent dans l’humanité les doctrines qui les invitent aux plus hautes vertus. Or parmi les ministres de Dieu, il y a bien des différences : il en est peu qui prêchent dans toute sa pureté la doctrine de la vérité et réalisent une parfaite réforme. Tels furent Moïse et les prophètes. Mais supérieure à leur oeuvre à tous est la réforme opérée par Jésus qui a voulu guérir, non seulement les habitants d’un coin de la terre, mais, autant qu’il dépendait de lui, ceux du monde entier ; car il est venu comme « Sauveur de tous les hommes ». LIVRE IV

Il pense même que nous faisons cela pour effrayer les simples, nous gardant bien de dire la vérité sur les châtiments inévitables à ceux qui ont péché. Aussi nous compare-t-il aux mystagogues des initiations bacchiques évoquant spectres et fantômes. Aux Grecs de dire si les initiations aux mystères de Bacchus présentent ou non une doctrine plausible ; à Celse et à ses adeptes de se mettre à leur école ! Pour nous, nous défendons ainsi la nôtre : notre but est de réformer le genre humain soit par les menaces de châtiments que nous croyons nécessaires à tout le monde, sans doute profitables à ceux qui doivent les subir, soit par les promesses à ceux dont la vie fut vertueuse, y compris celles de la béatitude dans le Royaume de Dieu pour ceux qui méritent de vivre sous sa royauté. LIVRE IV

Que d’autres accordent à Celse que Dieu ne change pas, mais fait que ceux qui le voient jugent qu’il a changé. Pour nous, persuadés qu’il n’y a point apparence, mais évidence et vérité dans la venue de Jésus aux hommes, l’accusation de Celse ne nous touche pas. Néanmoins, je répliquerai. N’avoues-tu pas, Celse, qu’à titre de remède, il est parfois permis de tromper et de mentir? Quelle inconvenance à l’emploi de ce moyen s’il doit apporter le salut? En effet, il y a des paroles mensongères, comme celles des médecins à leurs patients, qui ont plus d’effet que celles qui disent la vérité, pour redresser certaines moeurs. LIVRE IV

Et tout provient d’une seule faute : il n’a point tenu compte de l’ancienneté de Moïse. On ne paraît guère avoir rapporté le mythe de Phaéton que postérieurement à Homère, lequel est bien plus récent que Moïse. Nous ne nions donc pas le feu purificateur et la destruction du monde, pour supprimer le vice et rénover toutes choses : c’est la leçon que nous disons avoir reçue des prophètes par les livres sacrés. En vérité puisque les prophètes, comme je l’ai dit plus haut, dans leurs multiples prédictions de l’avenir ont montré qu’ils avaient dit la vérité sur bien des événements accomplis et fait la preuve qu’un Esprit divin les habitait, il est clair qu’on doit aussi les croire sur l’avenir, ou plutôt croire à l’Esprit divin qui était en eux. LIVRE IV

Pour répondre, je pose à ceux qui approuvent cette attaque contre nous la question : Est-ce l’ensemble des hommes que vous considérez comme une troupe de chauves-souris, de fourmis, de vers, de grenouilles, au prix de l’excellence de Dieu ? Ou bien exceptez-vous les autres hommes de la comparaison en leur gardant leur dignité d’hommes à cause de la raison et des lois établies, tandis que vous méprisez les chrétiens et les Juifs pour leurs doctrines qui vous déplaisent, les comparant à ces vils animaux ? Quelle que soit votre réponse, je répliquerai en m’efforçant de montrer qu’il ne convient de parler ainsi ni de l’humanité ni de nous-mêmes. Supposons donc que vous disiez d’abord que l’ensemble des hommes relativement à Dieu est comparable à ces vils animaux, puisque leur petitesse est sans commune mesure avec l’excellence de Dieu. Mais de quelle petitesse s’agit-il ? Répondez-moi, braves gens ! De celle des corps ? Apprenez que l’excellence ou l’infériorité au tribunal de la vérité ne se juge pas d’après le corps ; sinon, les griffons et les éléphants seraient supérieurs à nous les hommes, car ils sont plus grands, plus forts et vivent plus longtemps. LIVRE IV

Si vous dédaignez la petitesse de l’homme non à cause du corps mais de l’âme, inférieure pour vous au reste des êtres raisonnables, et surtout des vertueux, et inférieure pour cette raison que le vice est en elle, pourquoi les chrétiens mauvais et les Juifs vivant dans le mal seraient-ils une troupe de chauves-souris, de fourmis, de vers, de grenouilles plus que les hommes pervers des autres nations? A cet égard, tout homme quel qu’il soit, surtout quand il s’abandonne au flot du vice, est chauve-souris, vers, grenouille, fourmi, comparé au reste des hommes. Que l’on soit un Démosthène, l’orateur, avec sa lâcheté et les actions qu’elle lui inspira, ou un Antiphon, autre orateur renommé, mais négateur de la Providence dans un traité “Sur la vérité”, titre analogue à celui de Celse, on n’en reste pas moins des vers vautrés dans un coin du bourbier de la sottise et de l’ignorance. Toutefois, l’être raisonnable, de quelque qualité qu’il soit, ne pourrait être raisonnablement comparé à un vers, avec ses tendances à la vertu. Ces inclinations générales à la vertu ne permettent pas de comparer à des vers ceux qui ont la vertu en puissance et qui ne peuvent totalement en perdre les semences. Il apparaît donc que les hommes en général ne pourraient être des vers relativement à Dieu : car la raison, qui a son principe dans le Logos qui est près de Dieu ne permet pas de juger l’être raisonnable absolument étranger à Dieu. Les mauvais chrétiens et les mauvais Juifs, qui ne sont ni chrétiens ni Juifs selon la vérité, ne sauraient, pas plus que les autres hommes mauvais, être comparés à des vers vautrés dans un coin de bourbier. Si la nature de la raison ne permet même point d’admettre cette comparaison, il est évident que nous n’allons pas calomnier la nature humaine, faite pour la vertu même si elle pèche par ignorance, ni l’assimiler à des animaux tels que ceux-là. LIVRE IV

Cette admirable piété que ni fatigues, ni péril de mort ni arguments captieux ne peuvent vaincre ne servira-t-elle de rien à ceux qui l’ont acquise pour leur éviter d’être comparés à des vers, même s’ils avaient pu l’être avant une telle piété ? En vérité, nous paraissent-ils frères des vers, parents des fourmis, semblables aux grenouilles, les vainqueurs du plus brûlant désir des voluptés, qui a rendu tant de coeurs mous comme cire, dont la victoire vient de leur persuasion que le seul moyen de parvenir à la familiarité avec Dieu est de monter vers lui par la tempérance ? Quoi donc, l’éclat de la justice qui lui fait observer à l’égard de son prochain et de ses parents la sociabilité, la justice, la charité et la bienfaisance n’empêcherait pas celui qui la pratique d’être une chauve-souris ? Au contraire ceux qui se roulent dans la débauche, comme la plupart des hommes, qui s’approchent indifféremment des prostituées et enseignent que ce ne peut être absolument contre le devoir, ne sont-ils pas des vers dans un bourbier ? C’est encore plus clair si on compare à ceux qu’on a instruits à ne pas « prendre les membres du Christ » et le corps habité par le Logos, pour en faire « les membres d’une prostituée », qui ont appris déjà que le corps de l’être raisonnable, consacré au Dieu de l’univers, est « le temple » du Dieu qu’ils adorent, et devient réellement tel si on a une pure notion du Créateur ; et qui, en se gardant de souiller « le temple de Dieu » par une union illicite, pratiquent la tempérance comme un acte de piété envers Dieu. LIVRE IV

Peut-être Celse a-t-il mal compris une phrase de certains, qu’il a nommés vers : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous. Méprise analogue à celle de reprocher à toute une école philosophique les propos d’un jeune inconsidéré qui, pour avoir fréquenté trois jours un philosophe, s’élève contre le reste des hommes pour leur nullité et leur manque de philosophie. Nous savons bien qu’il y a beaucoup d’êtres d’une plus haute valeur que l’homme. Nous avons lu : « Dieu s’est dressé dans l’assemblée des dieux », et non point des dieux qu’adorent les autres hommes, « car tous les dieux des nations sont des démons ». Nous avons lu encore : « Dieu, dressé dans l’assemblée des dieux, au milieu d’eux juge les dieux. » Nous le savons : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, comme il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs, pour nous du moins il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et par qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Nous savons les anges à ce point supérieurs aux hommes que seuls les hommes parfaits deviennent semblables aux anges : « Car à la résurrection des morts, il n’y a plus ni maris, ni femmes, mais les justes sont comme les anges des cieux », et deviennent « les égaux des anges ». Nous savons que dans l’ordonnance de l’univers se trouvent des êtres nommés Trônes, d’autres Dominations, d’autres Principautés, d’autres Puissances. Nous le voyons, nous les hommes, laissés bien loin d’eux, nous avons l’espérance, fondée sur une vie vertueuse et une conduite en tout conforme au Logos, de nous élever jusqu’à leur devenir semblables à tous. Enfin, puisque « n’est pas encore apparu ce que nous serons, nous savons que, lorsque cela apparaîtra, nous serons semblables à Dieu, et nous le verrons tel qu’il est ». Que si l’on maintient les propos de certains qui, intelligents ou stupides, ont mal compris une saine doctrine : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous, même cela, je pourrais l’interpréter en disant : « nous » désigne les êtres raisonnables, et mieux encore les êtres raisonnables vertueux ; car selon nous, la même vertu appartient à tous les bienheureux, et par conséquent, la même vertu est à l’homme et à Dieu. Aussi nous instruit-on à devenir « parfaits comme notre Père céleste est parfait ». Concluons : aucun honnête homme n’est un vers nageant dans un bourbier, aucun homme pieux n’est une fourmi, aucun juste n’est une grenouille, aucun homme dont l’âme resplendit de l’éclatante lumière de la vérité ne peut raisonnablement être comparé à une chauve-souris. LIVRE IV

Nous dirions, d’après lui, nous qui pour lui sommes des vers, que, puisqu’il en est parmi nous qui pèchent, Dieu viendra vers nous, ou enverra son Fils afin de livrer aux flammes les injustes, et pour que nous, les grenouilles qui restons, nous ayons avec lui une vie éternelle. Remarque à quel point, comme un bouffon, ce grave philosophe tourne en raillerie, en ridicule et en dérision la promesse divine d’un jugement, châtiment pour les injustes, récompense pour les justes ! Et brochant sur le tout il dit : Voilà des sottises plus supportables de la part de vers et de grenouilles que de Juifs et de chrétiens dans leurs disputes ! Nous nous garderons bien de l’imiter et de dire pareille chose des philosophes qui prétendent connaître la nature du monde et débattent entre eux le problème de la constitution de l’univers, de l’origine du ciel et de la terre et de tout ce qu’ils renferment, et la question de savoir si les âmes sont inengendrées et non créées par Dieu, bien qu’elles soient soumises à son gouvernement, et si elles changent de corps, ou si, inséminées avec les corps, elles leur survivent ou ne leur survivent pas. Car on pourrait là aussi, loin de prendre au sérieux et d’admettre la sincérité de ceux qui se sont voués à la recherche de la vérité, déclarer en injurieuse moquerie que c’est le fait de vers qui dans un coin du bourbier de la vie humaine ne mesurent pas leurs limites, et pour cette raison en viennent à trancher, comme s’ils les avaient dominés, sur des sujets sublimes, et qu’ils parlent avec assurance, comme s’ils les avaient contemplées, de réalités qu’on ne peut contempler sans une inspiration supérieure et une puissance divine : « Car personne chez les hommes ne sait les secrets de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui. De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. » Nous n’avons pas la folie de comparer la splendide intelligence de l’homme, en prenant intelligence au sens usuel, au grouillement des vers et autres bêtes de ce genre, quand elle n’a cure des affaires de la foule mais s’adonne à la recherche de la vérité. Au contraire, sincèrement nous rendons témoignage que certains philosophes grecs ont connu Dieu, puisque « Dieu s’est manifesté à eux », même s’« ils ne l’ont pas honoré ni remercié comme Dieu, mais sont devenus vains dans leurs raisonnements », et si, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE IV

S’il croit établir qu’ils n’ont jamais compté par le rang et par le nombre, du fait qu’on ne trouve guère d’allusion à leur histoire chez les Grecs, je répondrai : à fixer les yeux sur leur régime initial et les dispositions de leurs lois, on trouvera que ce furent des hommes qui présentaient sur terre une esquisse de la vie céleste. Chez eux, nul autre dieu que le Dieu suprême; nul faiseur d’images qui eût droit de cité. Ni peintre, ni sculpteur n’avaient place dans leur État, la loi bannissant tous les artistes de ce genre pour ôter toute idée de faire des statues, pratique qui attire les simples et détourne les yeux de l’âme loin de Dieu vers la terre. Il y avait donc chez eux cette loi : « N’allez pas transgresser la loi et vous faire une image sculptée, représentant quoi que ce soit : image de mâle ou de femelle, image d’aucune des bêtes de la terre, image d’aucun oiseau qui vole dans le ciel, image d’aucun reptile qui rampe sur la terre, image d’aucun poisson, de rien de ce qui vit dans les eaux au-dessous de la terre. » L’intention de la loi était d’attacher à la réalité de chaque être, en empêchant de modeler en dehors de la vérité des images mensongères sur la vérité du mâle, la réalité de la femelle, la nature des bêtes, le genre des oiseaux, des reptiles, des poussons. Et le motif en était vénérable et sublime : « de peur que, levant les yeux au ciel, et voyant le soleil, la lune, les étoiles, et toute l’armée du ciel, tu ne sois attiré à les adorer et à les servir ». LIVRE IV

Au lecteur du livre de Celse de voir s’il n’insinue point cela dans le passage : « Ils ont tenté de rattacher leur généalogie à une première génération de sorciers et de vagabonds, invoquant le témoignage de paroles obscures, équivoques, comme cachées dans l’ombre. » Ces noms sont bien cachés, soustraits à la lumière et à la connaissance de la foule. D’après nous ils ne sont pas équivoques, même employés par les étrangers à notre religion ; mais d’après Celse, qui n’établit pas le caractère équivoque de ces paroles, je ne sais pourquoi ils sont à rejeter. Pourtant, s’il avait voulu judicieusement réfuter la généalogie que les Juifs s’étaient arrogée, d’après lui, avec une impudence extrême en se vantant d’Abraham et de ses descendants, il lui aurait fallu citer tous les passages concernant le sujet, soutenir d’abord l’opinion qui lui paraissait plausible, et ensuite réfuter sérieusement au nom de la vérité qu’il voyait et des arguments en sa faveur, les passages relatifs au sujet. Mais ni Celse, ni personne d’autre ne pourra, discutant la question de la nature des noms employés pour les miracles, en donner une explication exacte, et convaincre qu’on peut facilement dédaigner des hommes dont les noms même à eux seuls ont du pouvoir, non seulement chez leurs compatriotes, mais encore chez les étrangers. LIVRE IV

A celui qui donne une interprétation allégorique profonde de ce passage, qu’il touche juste ou non dans l’allégorie, nous dirons : est-ce aux seuls Grecs qu’il est permis de trouver des vérités philosophiques sous des significations cachées, ainsi qu’aux Égyptiens et à tous ceux des barbares qui prennent au sérieux la vérité de leurs mystères ; tandis que les seuls Juifs, leur Législateur et leurs écrivains t’ont paru les plus sots de tous les hommes, et que cette seule nation n’a reçu aucune part de la puissance divine, elle qui a été instruite à s’élever si magnifiquement jusqu’à la nature incréée de Dieu, à fixer les yeux sur lui seul, à placer en lui seul ses espérances ? Celse raille encore le passage sur le serpent qui se rebelle contre les prescriptions que Dieu fit à l’homme, tenant le propos pour un conte de bonnes femmes. Il s’abstient volontairement de mentionner le « jardin » et la manière dont il est dit que Dieu l’a planté « en Eden, au Levant », et qu’ensuite « il fit pousser du sol toute espèce d’arbres attrayants à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal », puis les paroles qui s’y ajoutent, capables par elles-mêmes d’inciter le lecteur de bonne foi à voir que tout cela peut, sans inconvenance, être compris au sens figuré. Alors, comparons-lui les paroles de Socrate sur Amour dans le “Banquet” de Platon, et qu’on attribue à Socrate censé plus vénérable que tous ceux qui en traitent dans le “Banquet”. Voici le passage de Platon : « Le jour où naquit Aphrodite banquetaient les dieux, entre autres, le fils d’Invention, Expédient. Au sortir du festin s’en vint mendier Pauvreté, car on avait fait bombance, et elle se tenait à la porte. LIVRE IV

Celse abomine la haine, celle, je pense, que nourrissait contre Jacob Ésaü, dont la méchanceté est reconnue par l’Écriture ; puis, sans citer clairement l’histoire de Siméon et de Lévi qui cherchèrent à venger leur soeur violée par le fils du roi de Sichem, il les accuse tous deux. Il parle des frères qui vendent : les fils de Jacob ; du frère qui est vendu : Joseph ; du père qui se laisse tromper : Jacob, qui n’eut aucun soupçon quand ses fils lui montrèrent « la tunique multicolore » de Joseph, mais les crut et « pleura », comme s’il était mort, Joseph devenu esclave en Egypte. Voilà bien la haine sans amour de la vérité avec laquelle Celse entasse les traits de l’histoire. Là où elle lui paraît contenir des motifs de blâme, il la cite ; mais là où elle prouve la mémorable chasteté de Joseph, refusant, malgré ses prières et ses menaces, de céder à la passion de celle qui était légalement sa maîtresse, il ne se souvient plus de l’histoire. De manière bien supérieure aux actions que l’on rapporte de Bellérophon, on voit, en effet, Joseph préférer la prison à la perte de sa chasteté : du moins, quand il eût pu se défendre et se justifier contre son accusatrice, sa magnanimité lui fit garder le silence et remettre sa cause à Dieu. LIVRE IV

Mais pratiquant une piété pure envers le Créateur, et louant la beauté de ses créatures, nous n’avilissons pas, même de nom, les choses divines, approuvant le mot de Platon dans le Philèbe, qui refuse de convenir que le plaisir soit dieu : « Ma révérence, Protarque, pour le nom des dieux est profonde. » Nous aussi en vérité, nous étendons notre révérence pour le nom de Dieu et de ses belles créatures jusqu’à refuser, même sous prétexte d’allégorie, tout mythe corrupteur pour la jeunesse. LIVRE IV

Voici ce qui me reste à dire contre l’affirmation de Celse que l’âme est oeuvre de Dieu, mais qu’autre est la nature du corps. Il a lancé une doctrine de cette importance sans preuve, bien plus sans définir ses termes, sans avoir clairement indiqué si toute âme est oeuvre de Dieu, ou seule l’âme raisonnable. Je lui dirai donc : si toute âme est oeuvre de Dieu, évidemment celle des animaux sans raison, même les plus vils, l’est aussi, de façon que chaque corps ait une nature autre que celle de l’âme. En vérité, quand il dit plus loin que les animaux sans raison sont plus aimés de Dieu que nous, et ont de la divinité une notion plus pure, il a semblé établir que ce n’est pas seulement celle des hommes qui est oeuvre de Dieu, mais davantage encore l’âme des animaux sans raison ; c’est la conséquence de son propos qu’ils sont plus aimés de Dieu que nous. Et si seule l’âme raisonnable est l’oeuvre de Dieu, d’abord, il ne l’a pas dit clairement, ensuite, de sa manière confuse de parler de l’âme, d’après laquelle non pas toute âme, mais seule l’âme raisonnable serait oeuvre de Dieu, il résulte que pour tous les corps non plus la nature ne saurait être autre. Et si la nature de tous les corps ne peut être autre, et si chaque animal a un corps correspondant a son âme, il est clair que le corps dont l’âme est l’oeuvre de Dieu, l’emporte sur le corps où habite une âme qui n’est pas oeuvre de Dieu. Aussi est-ce un mensonge de dire qu’il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille, et le corps d’un homme. LIVRE IV

Ensuite, nous croyant capables d’apprendre en quelques maximes la nature du mal, cette question à laquelle tant de traités de valeur consacrent des recherches variées et apportent des réponses différentes, il affirme : Il ne saurait y avoir ni plus ni moins de mal dans le monde, autrefois, aujourd’hui, à l’avenir : car la nature de l’univers est une et la même, et l’origine du mal est toujours la même. Il me semble que c’est encore une paraphrase de ce passage du Théétète où Platon faisait dire à Socrate : « Il n’est possible ni que le mal disparaisse de chez les hommes, ni qu’il ait une place chez les dieux… », etc. Et il me paraît même ne pas avoir entendu exactement Platon, quoiqu’il prétende enfermer la vérité dans un seul traité et intitule Discours véritable son livre contre nous. Car le passage qui affirme dans le Timée : « Quand les dieux purifient la terre par les eaux », a bien démontré que la terre une fois purifiée par les eaux contient moins de mal qu’avant sa purification. Et qu’alors il y ait eu moins de mal, je le dis d’après Platon, à cause du passage du Théétète soutenant qu’il n’est pas possible que le mal disparaisse de chez les hommes. LIVRE IV

Certes Dieu n’a jamais omis ni n’omettra de faire à tout moment ce qu’il convient qu’il fasse en ce monde variable et changeant. Comme l’agriculteur aux diverses saisons de l’année accomplit les différents travaux des champs que demandent la terre et ses produits, Dieu, de même, administre l’ensemble des siècles comme s’ils ne formaient pour ainsi dire que quelques années. Il opère en chacun d’eux tout ce qu’exigé ce qui de soi est raisonnable pour l’ensemble et que Dieu est le seul, puisqu’il possède la vérité, à très clairement saisir et accomplir. LIVRE IV

Remarque circonspecte, à la vérité ; mais elle suppose que la nature du mal n’est pas à tout point de vue dommageable, puisqu’elle admet que ce qui semble un mal pour chaque individu peut être utile à l’ensemble. LIVRE IV

Il dit encore : Aux fourmis qui meurent les vivantes choisissent un endroit particulier qui soit pour elles un tombeau de famille. Il faut répondre : plus il exalte les animaux sans raison, plus il magnifie bon gré mal gré, l’oeuvre du Logos ordonnateur de toutes choses, et fait ressortir l’habileté des hommes, capable d’ordonner par la raison même les dons supérieurs de la nature des êtres sans raison. Mais pourquoi dire : des êtres sans raison ? Celse ne considère pas comme sans raison les êtres que d’après les notions communes à tous on déclare sans raison. Les fourmis du moins, il ne les croit pas sans raison, lui qui se targue de parler de la nature universelle, et qui prétend, par le titre de son livre, dire la vérité ! Voici en quels termes il parle des fourmis, comme si elles s’entretenaient ensemble : Et naturellement aussi, quand elles se rencontrent, elles s’entretiennent ensemble, et de là vient qu’elles ne se trompent pas de chemin; il y a donc chez elles plénitude de raison, notions communes de certaines réalités universelles, son signifiant, événements, sens signifiés. En effet, la conversation entre un homme et un autre se fait dans un langage exprimant ce qu’on veut signifier, et souvent aussi on raconte ce qu’on nomme les événements, mais vouloir appliquer cela aux fourmis ne serait-ce pas le comble du ridicule ? LIVRE IV

Aussi bien, entre autres choses que je trouve admirables en Moïse, je signalerai comme dignes d’admiration sa connaissance des différentes natures des animaux, et le fait que, pour avoir appris de Dieu la vérité sur eux et sur les démons apparentés à chaque animal, ou bien pour l’avoir trouvé par ses progrès en sagesse, il ait, dans sa liste des animaux, déclaré impurs tous ceux que les Égyptiens et le reste des hommes considèrent comme aptes à la divination, et généralement purs ceux qui ne sont pas de cette espèce. Sont impurs pour Moïse le loup, le renard, le dragon, l’aigle, le faucon et leurs pareils. Et en général, non seulement dans la Loi, mais aussi dans les prophètes on peut trouver que ces animaux sont donnés en exemple des vices les plus odieux, et que jamais le loup et le renard n’y sont nommés en bonne part. Il semble donc qu’il y ait affinité entre chaque espèce de démons et chaque espèce d’animaux. Et comme, parmi les hommes, il en est de plus forts que d’autres, indépendamment de tout caractère moral, ainsi des démons peuvent être plus forts que d’autres en matières indifférentes. Certains utilisent des animaux déterminés pour tromper les hommes, suivant l’intention de celui que les Écritures appellent « le prince de ce siècle », et d’autres prédisent par l’intermédiaire d’une autre espèce. LIVRE IV

Mais quelle impiété pour qui nous accuse d’impiété d’oser dire, non seulement que les animaux sans raison sont plus savants que la nature humaine, mais encore qu’ils sont plus chers à Dieu ! Et qui ne détournerait son attention d’un homme pour qui dragon, renard, loup, aigle, épervier sont plus chers à Dieu que la nature humaine ? Il suivrait de son propos que si vraiment ces animaux sont plus chers à Dieu que les hommes, évidemment ces animaux sont plus chers à Dieu que Socrate, Platon, Pythagore, Phérécyde, et ces théologiens qu’il a célébrés peu auparavant. Et on pourrait bien lui exprimer ce souhait : si vraiment ces animaux sont plus chers à Dieu que les hommes, puisses-tu devenir cher à Dieu dans leur compagnie, et ressembler à ceux qui, d’après toi, sont plus chers à Dieu que les hommes ! Et qu’on ne prenne pas ce voeu comme une malédiction ! Qui donc ne souhaiterait ressembler entièrement à ceux dont il est persuadé qu’ils sont plus chers à Dieu, et de devenir autant qu’eux lui aussi cher à Dieu ? Pour prouver que les entretiens des animaux sans raison sont plus saints que les nôtres, Celse n’attribue pas cette histoire aux premiers venus, mais aux intelligents. Or ce sont les vertueux qui sont en réalité intelligents, aucun homme mauvais n’est intelligent. Voici donc la manière dont il s’exprime : « Des hommes intelligents disent même qu’il y a entre les oiseaux des entretiens, évidemment plus saints que les nôtres ; eux-mêmes comprennent quelque peu leurs paroles ; la preuve qu’ils donnent en pratique de cette compréhension est que, quand ils ont prévenu que les oiseaux leur ont annoncé qu’ils iraient à tel endroit pour y faire une chose ou l’autre, ils montrent qu’ils y vont bien et font ce qu’ils avaient déjà prédit. » Mais en vérité, aucun homme intelligent n’a raconté de telles histoires, et aucun sage n’a dit que les entretiens des animaux sans raison sont plus saints que ceux des hommes. Et si pour apprécier les vues de Celse on en examinait les conséquences, il est évident que selon lui les entretiens des animaux sans raison seraient plus saints que les entretiens respectables de Phérécyde, Pythagore, Socrate, Platon et autres philosophes. Ce qui, de soi, est non seulement invraisemblable, mais tout à fait absurde. En acceptant de croire que certains aient appris du ramage indistinct des oiseaux que les oiseaux déclarent d’avance qu’ils iraient à tel endroit faire une chose ou l’autre, je dirais que cela encore les démons l’indiquent aux hommes par des signes : leur but est de tromper l’homme et de rabaisser son esprit du ciel et de Dieu vers la terre et plus bas encore. LIVRE IV

La question présente est donc de réfuter le passage que voici : ” Juifs et chrétiens, nul Dieu, nul Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre. Que si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont, dieux ou des êtres d’une autre espèce ? D’une autre espèce, sans doute, des démons.” Ces redites de Celse – car il l’a maintes fois déjà répété plus haut -, n’exigent pas une longue discussion : les réponses données suffiront. Je me bornerai entre bien d’autres à quelques remarques qui semblent être dans la ligne des précédentes, bien qu’elles n’aient pas cependant tout à fait le même sens. J’établirai donc que, dans sa thèse absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est jamais descendu vers les hommes, Celse réduit à néant les manifestations de Dieu généralement admises que lui-même avait mentionnées plus haut. En effet si, dans l’affirmation absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre, Celse a dit la vérité, c’en est fait évidemment de toutes les descentes des dieux du ciel sur la terre pour prédire aux hommes ou les guérir par leurs oracles. Ni Apollon de Pytho, ni Asclépios, ni aucun de ceux auxquels on attribue des actes pareils ne peut être un dieu descendu du ciel, si ce n’est peut-être un dieu dont le sort est de toujours habiter la terre, comme banni du séjour des dieux ou un des êtres incapables d’entrer en communion avec les dieux qui s’y trouvent. Ou bien Apollon, Asclépios et tous ceux dont on vénère l’action sur la terre ne peuvent être des dieux, mais certains démons bien inférieurs aux hommes sages qui s’élèvent par la vertu jusqu’à la voûte du ciel. Remarque à quel point, dans son dessein de ruiner notre foi, on le prend, lui qui tout au long de son traité refuse de s’avouer épicurien, à passer en transfuge au camp d’Épicure. Le moment est venu pour toi, lecteur des arguments de Celse qui admets ce qui précède, ou bien de nier la présence de Dieu qui étend sa providence à tous les hommes individuellement, ou bien de l’admettre et de prouver que la doctrine de Celse est fausse. Nies-tu radicalement la Providence? Alors pour établir la vérité de ta position, tu prouveras la fausseté des raisons qui lui font admettre des dieux et une providence. Affirmes-tu néanmoins la providence, en refusant d’adhérer à l’assertion de Celse : Ni Dieu ni Fils de Dieu n’est descendu ou ne descend vers les hommes ? Alors pourquoi ne point examiner sérieusement, dans ce que j’ai dit de Jésus et dans les prophéties qui le concernent, quel est celui qu’il faut plutôt croire Dieu ou Fils de Dieu descendu vers les hommes : Jésus qui a mené à bien et accompli de si grandes oeuvres, ou ceux qui, sous prétexte d’oracles et de divinations, loin de réformer les m?urs de ceux qu’ils guérissent, vont jusqu’à éloigner du culte vénérable, pur et sans mélange dû au Créateur de l’univers et divisent l’âme de ceux qui s’attachent à eux, sous prétexte d’honneur à rendre à de multiples dieux au lieu de l’unique, seul manifeste et véritable Dieu ? Puis, comme si Juifs et chrétiens avaient répondu que ceux qui descendent vers les hommes sont des anges, il reprend : Si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont : des dieux ou des êtres d’une autre espèce ? Et, supposant notre réponse, il ajoute : ? D’une autre espèce sans doute, les démons. Eh bien ! précisons ce point. D’un commun accord nous disons que les anges sont « des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ». Ils montent porter les supplications des hommes dans les régions célestes les plus pures du monde, ou même dans les supracélestes plus pures que celles-là. Ensuite, ils en descendent porter à chacun suivant son mérite une des grâces que Dieu leur enjoint de dispenser à ceux qui reçoivent ses faveurs. Eux donc, que nous avons appris à nommer anges à cause de leur fonction, nous les trouvons parfois aussi dans les saintes Écritures nommés dieux, parce qu’ils sont divins ; mais ils ne le sont pas au point qu’il nous soit ordonné de vénérer et d’adorer à la place de Dieu ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Dieu. Car il faut faire remonter toute demande, prière, supplication et action de grâce vers le Dieu suprême par le Souverain Prêtre qui est au-dessus de tous les anges, Logos vivant et Dieu. Et nous offrirons au Logos lui-même des demandes, des prières, des actions de grâce, et même des supplications, si nous sommes capables de discerner entre le sens absolu et le sens relatif du mot supplication. LIVRE V

En voilà assez pour justifier notre refus d’adorer le soleil, la lune et les étoiles. Citons le passage suivant, pour lui opposer, avec la grâce de Dieu, les raisons que nous donnera la lumière de la vérité. LIVRE V

Voici ce qu’il dit : ” C’est une autre sottise de leur part de penser que quand Dieu tel un cuisinier appliquera le feu, toute autre race sera grillée, et qu’ils seront seuls à survivre: et non seulement les vivants d’alors mais même ceux qui seront morts depuis longtemps, qui surgiront de la terre avec la même chair que jadis absolument l’espérance des vers ! Quelle âme d’homme regretterait un corps putréfié? Alors que cette doctrine n’est pas même admise par certains de vous et des chrétiens, et que son extrême impureté montre que c’est à la fois révoltant et impossible: quel corps, après une corruption complète, pourrait-il revenir à sa nature originelle et à cette même première constitution qu’il avait avant d’être dissous ? N’ayant rien à répondre, ils recourent à la plus absurde échappatoire: tout est possible à Dieu ! En vérité, Dieu ne peut rien faire de honteux et ne veut rien de contraire à la nature. Aurait-on une infâme convoitise dans la perversité de son c?ur, Dieu ne pourrait l’exaucer et il ne faut pas croire d’emblée qu’elle va être assouvie. Car Dieu n’est pas l’auteur de l’appétit déréglé ni de la licence effrénée, mais de la nature droite et juste. A l’âme il peut bien accorder une vie immortelle ; mais, comme dit Héraclite, « les cadavres sont plus à rejeter que le fumier ». Donc une chair, pleine de ce qu’on ne saurait décemment nommer, Dieu ne voudra ni ne pourra la rendre immortelle contre toute raison. Il est lui-même la raison de tout ce qui existe; il ne peut donc rien faire ni contre la raison ni contre lui-même.” LIVRE V

« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la mort et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « mortel » et destiné à la mort, conséquence immédiate du péché, « revête l’immortalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être mortel l’immortalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la mort qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V

Ensuite, dans la mesure où le permet la forme du récit qui, tout en ayant en lui-même une certaine vérité historique, manifeste en outre un sens caché, il faut voir que certains ont conservé leur langue originelle, parce qu’ils ne se sont pas éloignés du Levant mais restent au Levant et dans la langue du Levant ; il faut comprendre que ceux-là seuls sont devenus la part du Seigneur et son peuple du nom de Jacob, et devenus aussi « le lot de son héritage, Israël » ; ceux-là seuls ont été soumis à un souverain qui n’a pas reçu comme les autres ses sujets pour les punir. Que l’on observe, autant qu’on le peut humainement, que dans la société de ceux qui ont été attribués au Seigneur comme sa part de choix des péchés ont été commis, d’abord tolérables et ne méritant pas à leurs auteurs un complet abandon, ensuite plus nombreux mais encore tolérables. Comprenons que cette situation dura assez longtemps et qu’alors il y avait toujours un remède, et qu’ils se convertissaient par intervalles. Il faut voir qu’en proportion des péchés qu’ils commettaient, ils ont été abandonnés aux puissances maîtresses des autres contrées. D’abord modérément frappés de châtiments et de peines pour ainsi dire éducatrices, ils sont revenus dans leur patrie ; mais ensuite, il faut considérer qu’ils ont subi la tyrannie très rude des Assyriens, puis des Babyloniens comme les nomme l’Écriture. Ensuite il faut voir que, malgré l’application de ces remèdes, ils ont néanmoins multiplié leurs péchés et, pour cette raison, ont été dispersés dans les autres parties de la terre par les chefs des autres nations qui ravagèrent leur pays. Mais leur chef les laisse à dessein démembrer par les chefs du reste des nations afin qu’à son tour, comme par vengeance personnelle, ayant reçu la faculté d’arracher au reste des nations ceux qu’il pourrait, il l’exerçât avec raison, leur donnât des lois et leur proposât le genre de vie à suivre, afin de les conduire au but où il a conduit ceux du premier peuple qui n’ont pas péché. LIVRE V

Ces remarques non seulement réfutent sa théorie des puissances tutélaires, mais dans une certaine mesure préviennent ce que dit Celse contre nous : Mais que paraisse le second choeur: je leur demanderai d’où ils viennent, quel est l’auteur de leurs lois traditionnelles. Ils ne pourront désigner personne. En fait, c’est de là qu’ils sont venus eux aussi, ils ne peuvent indiquer pour leur maître et chef de choeur une autre origine. Néanmoins, ils se sont séparés des Juifs. Eh bien ! nous venons tous, « en ces derniers jours » où notre Jésus nous a visités, « à la splendide montagne du Seigneur », sa Parole, « bien au-dessus » de toute autre parole, et à la maison de Dieu, « qui est l’Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité ». Nous la voyons bâtie « sur les sommets des montagnes », les paroles de tous les prophètes qui lui servent de fondation. Cette maison s’élève « bien au-dessus des collines », ces hommes qui paraissent promettre une supériorité en sagesse et en vérité. Et nous, « toutes les nations », nous montons vers elle, nous avançons, nations en foule, nous exhortant mutuellement à l’adoration de Dieu qui, « en ces derniers jours », a resplendi par Jésus-Christ : « Allons et montons à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob. Il nous annoncera sa voie, et nous avancerons par elle. » Car « la loi » est sortie des habitants de « Sion », et elle est passée à nous toute spirituelle. De plus, « la parole du Seigneur » est sortie de cette « Jérusalem » pour être partout répandue et pour juger « chacun au milieu des nations » en se réservant ceux qu’elle voit dociles, mais pour condamner « la multitude » indocile. LIVRE V

Quel est donc cet Ammon d’Hérodote à qui Celse a emprunté sa citation afin de prouver que c’est un devoir pour chacun de garder les traditions ? Car leur Ammon ne permet pas aux gens de Maréa et d’Apis, habitant les régions limitrophes de la Libye, d’être indifférents à manger de la vache, pratique non seulement indifférente en elle-même, mais encore qui n’empêche personne d’être honnête homme. Si leur Ammon avait interdit de manger de la vache, parce que l’animal est utile pour l’agriculture, et en outre parce que c’est avant tout aux vaches que la race bovine doit son accroissement, peut-être le précepte serait-il plausible. Mais en fait il veut simplement dire : parce qu’ils boivent l’eau du Nil, ils doivent garder les lois égyptiennes sur les vaches. Bien plus, Celse ajoute cette moquerie sur les anges, considérés par les Juifs comme messagers de Dieu : Ammon n’est pas inférieur aux anges des Juifs pour transmettre les volontés divines. Il n’a pas examiné le sens de leurs messages et de leurs apparitions. Car il aurait vu que « Dieu ne se met pas en peine des b?ufs », lors même qu’il semble faire des lois sur les b?ufs ou les animaux sans raison ; mais ce qui est écrit à cause des hommes, en apparence à propos d’animaux sans raison, contient certaine vérité naturelle. LIVRE V

Qu’il était beau, chez eux, d’être instruit dès le plus jeune âge à s’élever au-dessus de toute la nature sensible, à penser que Dieu ne réside nulle part en elle, et à le chercher au-dessus et au delà des corps ! Qu’il était grand d’être instruit, presque dès la naissance et la formation de la raison, de l’immortalité de l’âme, des tribunaux souterrains, des récompenses méritées par une vie vertueuse ! Ces vérités étaient alors prêchées sous la forme d’histoire à des enfants, parce qu’ils avaient l’intelligence des enfants. Mais bientôt, pour ceux qui cherchaient la doctrine et voulaient y progresser, les histoires de naguère se transfiguraient pour ainsi dire en laissant voir la vérité qu’elles renfermaient. Et je pense qu’ils ont mérité d’être appelés la part de l’héritage de Dieu pour avoir méprisé toute divination comme une vaine fascination des hommes, venant de démons pervers plutôt que d’une nature supérieure, et pour avoir cherché à connaître l’avenir auprès d’âmes qui avaient obtenu par leur extrême pureté l’esprit du Dieu suprême. Faut-il dire à quel point la loi interdisant aux Juifs de maintenir en esclavage plus de six ans un coreligionnaire est conforme à la raison, et cela sans injustice ni pour le maître ni pour l’esclave ? Si donc les Juifs doivent garder jalousement leur propre loi, ce n’est pas en vertu des mêmes principes que les autres peuples. Ils mériteraient le blâme et le reproche d’être insensibles à la supériorité de leurs lois, s’ils croyaient qu’elles ont été écrites de la même manière que les lois des autres peuples. Et, en dépit de Celse, les Juifs ont une sagesse plus profonde non seulement que celle de la foule, mais que celle des hommes qui passent pour philosophes, car les philosophes, après leurs sublimes raisonnements philosophiques s’abaissent jusqu’aux idoles et aux démons, tandis que même le dernier des Juifs attache son regard au seul Dieu suprême. Et ils ont bien raison, pour cela au moins, de se glorifier et d’éviter la société des autres qu’ils jugent souillés et impies. Plût au ciel qu’ils n’aient point péché par leurs transgressions, d’abord en tuant les prophètes, ensuite en conspirant contre Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de la cité céleste que Platon a cherché lui-même à décrire ; mais je ne sais s’il aurait pu accomplir tout ce que réalisèrent Moïse et ses successeurs qui ont fait l’éducation d’une « race choisie », « d’une nation sainte » et consacrée à Dieu, par des doctrines exemptes de toute superstition. LIVRE V

Délibérément je m’abstiendrai de revenir aux mots que j’ai déjà cités en enseignant d’où nous venons, quel est notre chef, quelle est sa loi. La prétention de Celse à ne mettre aucune différence entre nous et les Égyptiens qui adorent le bouc, le bélier, le crocodile, le b?uf, l’hippopotame, le cynocéphale, le chat, ne regarde que lui-même et ceux qui sur ce point se rangent à son opinion. Mais par les nombreux arguments qui précèdent, j’ai justifié de mon mieux l’honneur rendu à notre Jésus, et montré que nous avons trouvé un bien supérieur. Et lorsque, seuls, nous affirmons que la vérité pure et sans mélange d’erreur est dans l’enseignement de Jésus-Christ, ce n’est pas nous-mêmes que nous exaltons, c’est notre Maître à qui le Dieu suprême a rendu témoignage par tant de signes, par les discours prophétiques des Juifs, et par l’évidence elle-même. Car il est manifeste qu’il n’a pu accomplir sans l’aide de Dieu de pareilles oeuvres. LIVRE V

Celse ajoute encore :” C’est donc le même Dieu qu’ont les Juifs et ces gens-là, ” évidemment les chrétiens. Et comme s’il tirait une conclusion qu’on ne saurait lui accorder, il dit :” C’est bien ce que reconnaissent ouvertement ceux de la grande Église qui reçoivent pour véridique la tradition courante parmi les Juifs sur la création du monde, par exemple sur les six jours et sur le septième. Ce jour-là,” dit l’Écriture, ” Dieu arrêta ses travaux, se retirant dans la contemplation de lui-même. Celse, ne remarquant pas ou ne comprenant pas ce qui est écrit, traduit se reposa, ce qui n’est pas écrit. Mais la création du monde et le repos sabbatique réservé après elle au peuple de Dieu offrent matière à une doctrine ample, profonde et difficile à expliquer. Il me paraît ensuite gonfler son livre et lui donner quelque importance en ajoutant des traits au hasard, par exemple l’histoire du premier homme que nous disons identique à celui que nommèrent les Juifs; et la généalogie de ses descendants que nous déterminons comme eux. Quant au complot que les frères ont ourdi l’un contre l’autre, je l’ignore. Je connais celui de Caïn contre Abel et celui d’Esaü contre Jacob. Mais il n’y en eut pas d’Abel contre Caïn, ni de Jacob contre Esaü. S’il y en avait eu, Celse aurait raison de dire que nous racontons après les Juifs les mêmes complots que les frères ont ourdis l’un contre l’autre. Accordons encore que nous parlons, eux et nous, de la même descente en Egypte, et du même exode de ce pays, et non pas d’une fuite comme pense Celse. Y a-t-il là de quoi fonder une accusation contre nous ou contre les Juifs ? Quand il pensait nous ridiculiser par l’histoire des Hébreux, il parlait de fuite ; mais quand il s’agissait d’examiner l’histoire des plaies que Dieu infligea à l’Egypte, il a préféré se taire. S’il faut préciser ma réponse à Celse, pour qui nous avons les mêmes opinions que les Juifs sur ces questions, je dirai : nous reconnaissons comme eux que ces livres ont été écrits par inspiration divine, mais nous ne sommes plus d’accord sur l’interprétation de leur contenu. Nous ne vivons pas comme les Juifs, car nous pensons que le sens de la législation dépasse l’interprétation littérale des lois. Et nous disons : « Toutes les fois que Moïse est lu, un voile est étendu sur leur c?ur », car l’intention de la loi de Moïse est cachée à ceux qui ne sont pas engagés avec ardeur sur la voie indiquée par Jésus-Christ. Nous savons que, « quand on se convertit au Seigneur – et le Seigneur c’est l’Esprit -, le voile » tombe ; l’on réfléchit pour ainsi dire comme en un miroir « à visage découvert la gloire du Seigneur » qui est dans les pensées cachées sous la lettre, et l’on participe pour sa propre gloire à ce qu’on appelle la gloire divine. Le mot visage, employé au figuré, est tout simplement ce qu’on pourrait dire entendement, et tel est le visage « selon l’homme intérieur », rempli de lumière et de gloire par la vérité contenue dans ces lois. LIVRE V

Dans ce sixième livre que je commence, pieux Ambroise, il me faut combattre les accusations de Celse contre les chrétiens, et non ses emprunts à la philosophie comme on pourrait croire. Celse, en effet, cite maints passages surtout de Platon, les compare à des extraits des saintes Écritures capables d’impressionner même un esprit intelligent, et soutient que tout cela a été mieux dit chez les Grecs, sans faire intervenir menace ou promesse de Dieu ou du Fils de Dieu. A cela je réponds : c’est le devoir des ministres de la vérité d’aider le plus grand nombre possible d’hommes et, autant que faire se peut, d’attirer à elle par philanthropie tous les hommes, aussi bien l’intelligent que le sot, et encore pas seulement les Grecs à l’exclusion des barbares ; et c’est une action très civilisatrice que de pouvoir convertir même les plus rustres et les simples. Il est donc évident qu’on doit avoir le souci de s’exprimer dans un style à la portée de tous et capable de gagner l’audience de chacun. Au contraire, congédier comme des esclaves les simples, incapables d’apprécier l’agrément du style des discours et de l’ordonnance de leurs messages, et n’avoir souci que des auditeurs formés aux lettres et aux sciences, c’est réduire la sociabilité à un domaine bien étroit et insignifiant. LIVRE VI

Qu’on présente donc les anciens sages à qui peut les comprendre ! En particulier que Platon, fils d’Ariston, s’explique sur la nature du Souverain Bien dans une de ses Lettres, et déclare qu’il est absolument ineffable, que c’est d’un long commerce qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme. A entendre cette parole, on convient de sa beauté, « car c’est Dieu qui le leur a révélé » ainsi que tout ce qu’ils ont dit de bien. Aussi affirmons-nous que ceux qui ont conçu la vérité sur Dieu sans pratiquer la religion conforme à cette vérité sur Dieu subissent les châtiments des pécheurs. LIVRE VI

Voici en quels termes Paul s’explique à leur sujet : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. Ses oeuvres invisibles, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit, et sa puissance éternelle et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent s’est enténébré. Dans leur prétention à être sages, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. » Comme en témoigne notre Ecriture, ils retiennent la vérité captive ceux qui pensent que « le Souverain Bien est absolument ineffable » et ajoutent : « c’est d’un long commerce avec lui et d’une vie commune qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme, et désormais il se nourrit lui-même. » LIVRE VI

Si certains paraissent s’être élevés au-dessus de tout cela, on découvrira cependant qu’ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature de préférence au Créateur. Aussi, parce que les sages et les savants de la Grèce se fourvoyaient dans leurs pratiques religieuses, « Dieu a choisi ce qu’il y a de fou dans le monde, pour confondre les sages, ce qui est sans naissance, ce qui est faible, ce que l’on méprise, ce qui n’est rien, pour réduire à néant ce qui est », et cela en vérité « afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant Dieu ». LIVRE VI

Remarque dès lors la différence entre la noble parole de Platon sur le Souverain Bien, et celles des prophètes sur la lumière des bienheureux ; considère que la vérité proclamée par Platon n’a nullement favorisé une religion pure chez ses lecteurs, ni même chez Platon, malgré sa vue pénétrante sur le Souverain Bien, mais que le style simple des divines Écritures a rempli d’ardeur divine ceux qui en font une lecture véritable ; chez eux, cette lumière est alimentée par ce qu’on appelle dans certaines paraboles l’huile qui entretient la lumière des flambeaux de cinq vierges sages. LIVRE VI

Celse cite un autre passage de la Lettre de Platon: « Si j’avais jugé qu’on dût l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public, qu’aurais-je pu accomplir de plus beau dans ma vie que de rendre à l’humanité le grand service de l’écrire et de mettre pour tous en lumière le fond des choses ? » Qu’on me permette de le discuter brièvement. D’abord, Platon a-t-il eu oui ou non une doctrine plus sage que celle qu’il a écrite et plus divine que celle qu’il a laissée, je laisse à chacun le soin de le rechercher de son mieux. Mais je montre que nos prophètes aussi ont eu dans l’esprit des pensées trop élevées pour être écrites et qu’ils n’ont pas écrites. Ainsi, Ézéchiel prend « un volume roulé, écrit au recto et au verso, où étaient des lamentations, des gémissements et des plaintes » et, sur l’ordre du Logos il mange le livre, afin qu’il ne soit ni transcrit ni livré aux indignes. Et il est rapporté que Jean a vu et fait des choses semblables. De plus, Paul « entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer ». Jésus, qui leur est supérieur à tous, comme il est dit, « expliquait à ses disciples en particulier » la parole de Dieu, surtout dans la solitude ; mais ses paroles n’ont pas été écrites. C’est qu’ils n’ont pas jugé devoir l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public. Et s’il n’est pas outrecuidant de dire la vérité sur de tels génies, j’affirme que, recevant leurs pensées par une grâce de Dieu, ils voyaient mieux que Platon ce qu’on devait écrire et comment l’écrire et ce qu’on ne devait absolument pas écrire pour le grand public, ce qu’on devait dire et ce qui était d’un autre ordre. C’est encore Jean qui nous enseigne la différence entre ce qu’on doit écrire et ce qu’on ne doit pas écrire, quand il dit avoir entendu sept tonnerres l’instruire de certains points, mais lui interdire de transmettre leurs paroles par écrit. LIVRE VI

Les Écritures reçues dans les églises de Dieu ne rapportent pas qu’il y ait sept deux, ou même un nombre nettement défini ; mais la Bible paraît enseigner qu’il y a plusieurs cieux, qu’il s’agisse des sphères de ce que les Grecs nomment des planètes ou de quelque chose d’autre plus mystérieux. Celse, après Platon, dit que la route des âmes pour aller vers la terre et en revenir passe par les planètes. Mais Moïse, notre prophète le plus ancien, raconte la vision de notre patriarche Jacob : dans un songe envoyé de Dieu, lui apparut une échelle arrivant jusqu’au ciel, par où les anges de Dieu montaient et descendaient, tandis que le Seigneur s’appuyait à son somme». Peut-être à propos de cette échelle suggérait-il les vues précédentes, ou quelques vérités supérieures. Cette échelle a fourni le sujet d’un livre de Philon qui mérite l’examen réfléchi et intelligent de ceux qui aiment la vérité. LIVRE VI

Il recherche ensuite la raison de l’ordonnance ainsi cataloguée des étoiles, indiquée symboliquement par les noms des espèces variées de la matière. Il ajoute des théories musicales à ce qu’il cite de la théologie des Perses. Il renchérit sur ce point et cite une seconde explication, qui contient encore des considérations musicales. Mais il m’a semblé hors de propos de citer le passage de Celse là-dessus : c’eût été faire ce qu’il fait lui-même quand, pour accuser les chrétiens et les Juifs, il expose à contretemps non seulement les paroles de Platon dont il eût pu se contenter, mais encore, comme il dit, les mystères mithriaques des Perses et leur explication. En effet, quoi qu’il en soit du mensonge ou de la vérité de leur interprétation par les Perses et ceux qui les pratiquent, pourquoi citer ces mystères-là plutôt que l’un des autres avec son explication ? Car il ne semble pas qu’en Grèce ceux de Mithra aient été plus exceptionnels que ceux d’Eleusis ou ceux d’Hécate qui sont communiqués aux initiés d’Égine. LIVRE VI

A en juger par ces paroles, je crois pouvoir conjecturer qu’il a tiré en partie sa description du diagramme des doctrines mal comprises de la secte fort obscure des Ophites. Dans mon avidité de savoir, j’ai fini par découvrir ce diagramme. On y trouve les inventions de ces hommes qui, au dire de Paul, « s’introduisent dans les maisons et envoûtent des femmelettes chargées de péchés, entraînées par toutes sortes de passions et qui, toujours à s’instruire, ne sont jamais capables de parvenir à la connaissance de la vérité ». Mais ce diagramme comporte tant d’invraisemblance qu’il n’obtient l’assentiment ni des femmelettes faciles à duper, ni des plus rustres prêts à se laisser convaincre par la moindre vraisemblance. J’ai eu beau parcourir bien des régions de la terre, rechercher partout ceux qui font profession de savoir, je n’ai jamais rencontré personne qui prît au sérieux l’enseignement de ce diagramme. LIVRE VI

La doctrine de la Géhenne n’a été connue ni des auteurs du diagramme ni de Celse : les premiers n’auraient pas gravement tracé figure et diagramme comme s’ils établissaient par eux la vérité ; et Celse, dans son traité contre les chrétiens, n’eût pas introduit dans ses griefs contre eux des opinions qui ne sont nullement leur fait, mais celui de sectaires qui peut-être n’existent même plus et ont totalement disparu, ou encore qui subsistent en un tout petit nombre facile à compter. De même que les Platoniciens n’ont pas à faire l’apologie d’Épicure et de ses doctrines impies, ainsi n’avons-nous pas à la faire pour le diagramme et les critiques que Celse lui adresse. Aussi je laisse de côté tout ce qu’il en dit comme superficiel et vain : j’aurais des critiques plus graves que les siennes à formuler si j’avais affaire à ceux qui ont été conquis par de telles doctrines. LIVRE VI

Après cela, comme s’il oubliait son propos d’écrire contre les chrétiens, il déclare avoir ouï dire à un certain Denys d’Egypte, musicien, que les pratiques de la magie n’ont de pouvoir que sur les gens sans culture et aux moeurs corrompues, mais restent sans effet sur les philosophes parce qu’ils ont à coeur de mener une vie saine. S’il était question pour moi de discuter ici de magie, j’aurais à ajouter quelques remarques à ce que j’en ai dit plus haut ; mais puisqu’il faut répondre du mieux possible au traité de Celse, je dis : pour savoir si même les philosophes sont séduits ou non par la magie, il n’y a qu’à lire ce qu’a écrit Méragène des mémoires d’Apollonius de Tyane, mage et philosophe. L’auteur, non chrétien mais philosophe, a observé que certains philosophes de valeur, séduits par le pouvoir magique d’Apollonius, étaient venus à lui le regardant comme un sorcier ; de ce nombre il mentionne, je crois, le fameux Euphratès et un Epicurien. Mais nous, nous affirmons avec énergie et savons par expérience que ceux qui servent le Dieu suprême selon la doctrine chrétienne et vivent en conformité avec son Évangile, s’acquittant des prières prescrites continuellement et avec la révérence exigée de nuit et de jour, ne sont séduits ni par la magie ni par les démons. Car en vérité, « l’ange du Seigneur établit ses tentes autour de ceux qui le craignent et il les protège » de tout mal. Et les anges des petits enfants de l’Église, préposés à leur garde, est-il dit, « voient sans cesse la face du Père qui est au ciel », quel que soit le sens du mot « face » et le sens du mot « voir ». LIVRE VI

Après la citation, sans expliquer comment ces mythes contiennent une doctrine supérieure, et comment nos doctrines les travestissent, il continue à nous injurier : Ces mythes ne sont pas la même chose que leur doctrine du démon adversaire ou, dirait-on avec plus de vérité, du sorcier rival. Ainsi comprend-il encore Homère insinuant les mêmes vérités qu’Héraclite, Phérécyde, et ceux qui introduisent les mystères des Titans et des Géants, dans ces paroles d’Héphaïstos à Héra : « Une fois déjà j’ai voulu te défendre : il m’a pris par le pied et lancé loin du seuil sacré. » De même, dans ces paroles de Zeus à Héra : « As-tu donc oublié le jour où tu étais suspendue dans les airs. J’avais à les pieds accroché deux enclumes et jeté autour de tes mains une chaîne d’or infrangible; et tu étais là, suspendue en plein éther, en pleins nuages. LIVRE VI

Quiconque a choisi la malice et y conforme sa vie en accomplissant le contraire de la vertu est un satan, c’est-à-dire un adversaire du Fils de Dieu qui est justice, vérité, sagesse. Mais l’adversaire au sens propre, c’est le premier de tous les êtres menant une vie pacifique et heureuse qui a perdu ses ailes et est tombé de son état bienheureux ; lui qui, selon Ézéchiel, marcha irréprochable dans toutes ses voies, jusqu’au jour où fut trouvée en lui l’iniquité ; lui qui était « un sceau de ressemblance et une couronne de beauté » dans le paradis de Dieu, pour ainsi dire saturé des biens, il tomba en perdition, selon l’expression mystérieuse de celui qui lui dit : « Te voilà perdu ; c’en est fait de toi à jamais !» LIVRE VI

Dès maintenant, oui, le mystère de l’impiété est à l’oeuvre, seulement jusqu’à ce que celui qui le retient encore ait disparu. Et alors l’Impie se révélera, et le Seigneur Jésus le détruira du souffle de sa bouche, l’anéantira par l’éclat de sa venue. La venue de l’Impie se fera, par l’action de Satan, avec toutes sortes d’oeuvres de puissance, de signes, de prodiges mensongers, et avec toutes les séductions de l’injustice pour ceux qui se perdent, faute d’avoir accueilli l’amour de la vérité pour être sauvés. Voilà pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare, pour qu’ils croient au mensonge, afin que soient condamnés tous ceux qui, ayant refusé de croire à la vérité, se sont complus dans l’injustice. » LIVRE VI

Ensuite il mélange les sectes, je pense, et ne précise pas les doctrines d’une secte et celles d’une autre. Ce sont nos propres critiques à Marcion qu’il nous oppose ; peut-être les a-t-il mal comprises de la bouche de certains qui s’en prennent à la doctrine d’une manière vulgaire et triviale, et assurément sans aucune intelligence. Il cite donc les attaques faites à Marcion et, omettant d’indiquer qu’il parle contre lui, il déclare : Pourquoi envoyer secrètement détruire les oeuvres du démiurge ? Pourquoi l’irruption clandestine, la séduction, la tromperie? Pourquoi ramener les âmes que, d’après vous, le démiurge a condamnées ou maudites, et les dérober comme un marchand d’esclave ? Pourquoi leur enseigner à se soustraire à leur Seigneur ? Pourquoi, à fuir leur Père ? Pourquoi les adopter contre la volonté du Père? Pourquoi se proclamer le Père d’enfants étrangers ? A quoi il ajoute, feignant la surprise : Le beau dieu, en vérité, qui désire être le père de pécheurs condamnés par un autre, d’indigents ou, comme ils disent eux-mêmes, de déchets ! Le dieu incapable de reprendre et de punir celui qu’il a envoyé pour les dérober ! Après quoi, comme s’il s’adressait à nous qui confessons que ce monde n’est pas l’oeuvre d’un dieu étranger ou hostile, il déclare : Si ces oeuvres sont de Dieu, comment pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? Comment peut-il, quand les hommes sont devenus ingrats et pervers, se repentir, blâmer et haïr son oeuvre, menacer et détruire ses propres enfants ? Sinon, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Là encore, faute d’élucider la question du mal, alors que même parmi les Grecs il y a plusieurs écoles sur le bien et le mal, il me semble bien faire une pétition de principe : de notre affirmation que même ce monde est l’oeuvre du Dieu suprême, il conclut que, d’après nous, Dieu serait l’auteur du mal. LIVRE VI

Aucun chrétien dès lors ne répond à Celse ou à un des accusateurs du divin Logos : Comment puis-je connaître Dieu ? Car chacun d’eux à sa mesure connaît Dieu. Aucun ne demande : Comment puis-je apprendre la voie qui mène là-haut ? Car il a entendu Celui qui a dit : «Je suis la voie, la vérité, la vie » et il a goûté, en s’avançant par cette voie, le bienfait que procure cette marche. Aucun chrétien ne dirait à Celse : Comment me montres-tu Dieu ? LIVRE VI

S’il faut parler en général d’une vue offusquée et affaiblie, à quel autre attribuer cette maladie des yeux sinon à celui qui est retenu par l’ignorance de Dieu, et empêché par ses passions de voir la vérité ? Les chrétiens sont donc bien loin de croire que les paroles de Celse ou de quelque ennemi de la religion vont les aveugler. Ceux qui s’aperçoivent qu’ils sont aveuglés eux-mêmes en suivant les foules des égarés et les nations de ceux qui célèbrent des fêtes en l’honneur des démons n’ont qu’à s’approcher du Logos qui accorde des yeux : et comme les pauvres et les aveugles qui se prosternaient aux bords du chemin ont été guéris par Jésus pour avoir dit : « Fils de David, ayez pitié de nous ! » ils obtiendront miséricorde et recevront les yeux nouveaux et sains, tels que le Logos de Dieu peut les créer. LIVRE VI

Exprimé en termes corporels et prêché comme chair, il appelle à lui ceux qui sont chair pour les rendre conformes au Logos qui s’est fait chair, et pour les faire monter ensuite, afin qu’ils le voient tel qu’il était avant qu’il se fît chair ; de telle sorte qu’ils reçoivent ce bienfait, s’élèvent à partir de cette initiation selon la chair et peuvent dire : « Même si nous avons connu autrefois le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent. » Donc «il s’est fait chair », et, fait chair, il a habité parmi nous et non pas loin de nous. Ayant habité et vécu parmi nous, il n’est pas resté sous sa première forme ; il nous a fait monter sur « la haute montagne » spirituelle, il nous a montré sa forme glorieuse et l’éclat de ses vêtements : non seulement celle qui lui est propre, mais encore celle de la loi spirituelle, et c’est Moïse apparu dans la gloire avec Jésus. Il nous a montré également toute la prophétie, qui n’est pas morte après son incarnation, mais qui était transportée au ciel et symbolisée par Élie. Qui a contemplé pareil spectacle peut dire : « Et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » Elle est donc par trop simpliste la réponse que, d’après Celse, nous ferions à sa question : Comment pensons-nous apprendre à connaître Dieu et trouver le salut près de lui ? Car notre réponse est dans ce qui précède. LIVRE VI

Il en va de même pour l’expression « Dieu est esprit ». Parce que et les Samaritains et les Juifs pratiquaient les préceptes de la loi d’après la lettre et en figures, le Sauveur dit à la Samaritaine : « L’heure vient où ce n’est ni à Jérusalem, ni sur cette montagne qu’on adorera le Père ; Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer. » Il nous a enseigné par là que ce n’est pas charnellement, ni par des victimes charnelles qu’il faut adorer Dieu, mais « en esprit ». En effet, lui-même sera compris comme Esprit dans la mesure où on lui rendra une adoration intelligible et « en esprit ». En outre, ce n’est plus en figures qu’il faut adorer le Père, mais dans la vérité qui est venue par le Christ Jésus, après que la loi eut été donnée par Moïse. C’est « quand on se convertit au Seigneur, et le Seigneur est Esprit, que le voile est enlevé qui était posé sur le coeur lors de la lecture de Moïse. » LIVRE VI

Quant à Celse et aux ennemis du divin Logos qui n’examinent pas les enseignements du christianisme avec l’amour de la vérité, d’où pourraient-ils savoir la signification des différentes formes de Jésus ? Et j’ajoute même : la signification des différents âges de sa vie, et tout ce qu’il a pu faire soit avant sa passion, soit après sa résurrection des morts. LIVRE VI

Ayant supplié Dieu, par Jésus-Christ même dont Celse se fait l’accusateur, de faire resplendir en nos coeurs, puisqu’il est la vérité, les arguments qui réfutent le mensonge, je commence encore un septième livre en reprenant la prière adressée à Dieu par le prophète : « Par ta vérité détruis-les » : c’est-à-dire détruis les discours contraires à la vérité ; car ce sont eux que détruit la vérité de Dieu. Une fois qu’ils seront détruits, étant libéré de toute distraction on pourra dire ce qui suit : « De grand coeur je t’offrirai un sacrifice », en présentant au Dieu de l’univers un sacrifice raisonnable et sans fumée. LIVRE VI

Ainsi il décerne bien à Socrate la supériorité sur les poètes tragiques qualifiés par lui de sages, eux qui disputent un prix banal sur la scène et l’orchestre et provoquent chez les spectateurs tantôt des larmes et des lamentations, tantôt des rires malséants, car tel est le but du drame satirique. Mais il ne met pas en valeur la noblesse que confère la philosophie et la vérité, ni la louange que mérite cette noblesse. Et s’il a déclaré Socrate le plus sage des hommes, c’est peut-être moins pour sa philosophie que pour les sacrifices et les fumets de graisse qu’il lui avait offerts ainsi qu’aux autres démons. LIVRE VI

Parmi les prophètes juifs, les uns étaient sages avant de recevoir le don de prophétie et l’inspiration divine, les autres le devinrent lorsqu’ils eurent l’esprit illuminé par la prophétie même. Ils ont été choisis par la providence pour être dépositaires de l’Esprit divin et des paroles qu’il inspire, à cause de leur vie inimitable, d’une fermeté absolue, d’une liberté, d’une impassibilité totales devant les périls et la mort. La raison exige que tels soient les prophètes du Dieu suprême, en comparaison de qui la fermeté d’Antisthène, de Cratès, de Diogène sont un jeu d’enfant. Ainsi, à cause de la vérité et de leur liberté à reprendre les pécheurs, « ils ont été lapidés, sciés, torturés, passés au fil de l’épée ; car ils ont mené une vie vagabonde, vêtus de peaux de brebis et de chèvres, dénués de tout, maltraités, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes et les antres de la terre, eux dont le monde terrestre n’était pas digne »; les regards toujours fixés sur Dieu et les biens de Dieu non perceptibles aux sens et pour cette raison éternels. LIVRE VI

Les prophètes, suivant la volonté de Dieu, ont dit sans aucun sens caché tout ce qui pouvait être compris d’emblée par les auditeurs comme utile et profitable à la réforme des m?urs. Mais tout ce qui était plus mystérieux et plus secret, relevant d’une contemplation qui dépasse l’audience commune, ils l’ont fait connaître sous forme d’énigmes, d’allégories, de « discours obscurs », de « paraboles ou proverbes » ; et cela, afin que ceux qui ne renâclent pas devant l’effort, mais supportent tout effort pour l’amour de la vertu et de la vérité, après avoir cherché trouvent, après avoir trouvé se conduisent comme la raison l’exige. Mais le noble Celse, comme irrité de ne pas comprendre ces paroles prophétiques, en vint à l’injure : A ces outrecuidances, ils ajoutent aussitôt des termes inconnus, incohérents, totalement obscurs, dont aucun homme raisonnable ne saurait découvrir la signification tant ils sont dépourvus de clarté et de sens, mais qui fournissent en toute occasion à n’importe quel sot ou charlatan le prétexte de se les approprier dans le sens qu’il désire. Voilà, à mon avis, des propos de fourbe, dits pour détourner autant qu’il pouvait les lecteurs des prophéties d’en rechercher et d’en examiner le sens : disposition analogue à celle que dénote la question posée au sujet d’un prophète venu prédire l’avenir : « Qu’est allé faire chez toi cet insensé ? » Il est sans doute des raisons bien au-dessus de mes capacités pour établir que Celse ment et que les prophéties sont inspirées de Dieu. Je n’en ai pas moins tâché de le faire dans la mesure où je le pouvais, en expliquant mot à mot les termes incohérents et totalement obscurs, comme les qualifie Celse, dans mes Commentaires d’Isaïe, d’Ézéchiel et de quelques-uns des Douze. Et si Dieu permet d’avancer dans sa Parole, au moment où il voudra, viendront s’ajouter aux commentaires déjà cités sur ces auteurs ceux de tout le reste ou du moins ce que je parviendrai à élucider. Mais il y en a d’autres qui, désireux d’examiner l’Écriture et possédant l’intelligence, sauraient en découvrir la signification. Elle est vraiment dépourvue de clarté en bien des endroits, mais nullement dépourvue de sens, comme il dit. Il est non moins faux qu’un sot ou un charlatan puisse les éclaircir et se les approprier dans le sens qu’il désire. Seul, le véritable sage dans le Christ peut expliquer tout l’enchaînement des passages prophétiques qui ont un sens caché, en « comparant les choses spirituelles aux spirituelles » et en interprétant d’après le style habituel des Écritures tout ce qu’il découvre. LIVRE VI

Pourquoi serait-ce là des choses très abominables et très impures, comme le dit Celse ? Cependant il semblera enseigner comment les souffrances qu’il a endurées étaient très abominables et très impures quand il dit : Pour un Dieu se nourrir de chair de brebis, boire du fiel ou du vinaigre, était-ce autre chose que de manger des excréments ? Mais d’après nous, Dieu n’a pas mangé de la chair de brebis ; quand il semble qu’il mangeait, c’était Jésus qui mangeait parce qu’il avait un corps. Par ailleurs, sur le fiel et le vinaigre prédits par le prophète : « Ils m’ont donné pour nourriture du fiel et dans ma soif ils m’ont fait boire du vinaigre », bien qu’on en ait parlé plus haut, Celse me contraint aux redites. Ceux qui conspirent contre l’Évangile de la vérité présentent sans cesse au Christ de Dieu le fiel de leur malice et le vinaigre de leur perversité ; et lui, « après avoir goûté, refuse d’en boire ». LIVRE VI

Après quoi, pour ruiner la foi de ceux qui admettent l’histoire de Jésus, parce qu’elle a été prédite, il ajoute : Eh bien ! que les prophètes aient prédit que le grand Dieu, pour ne rien dire de plus grossier, subirait l’esclavage, la maladie, la mort, Dieu devrait-il subir la mort, l’esclavage, la maladie sous prétexte que cela a été prédit, pour que sa mort fît croire qu’il était Dieu ? Mais les prophètes n’ont pu le prédire : c’est un mal et une impiété. On n’a donc point à examiner s’ils l’ont prédit ou non, mais si l’acte est honnête et digne de Dieu. Si l’acte est honteux et mauvais, quand bien même tous les hommes en transes sembleraient le prédire, il faut refuser de le croire. Comment donc la vérité admettrait-elle que Jésus ait subi cela comme un Dieu ? LIVRE VI

Il semble bien par ces mots avoir soupçonné la force de persuasion qu’aurait pour les auditeurs l’argument que Jésus a été prophétisé, et il essaie d’en ruiner la valeur par une autre raison plausible en affirmant : On n’a donc point à examiner s’ils l’ont prédit ou non. Or s’il voulait opposer à l’affirmation une raison non point captieuse mais apodictique, il aurait dû dire : il faut donc prouver qu’ils n’ont pas prédit, ou que les prophéties sur le Christ n’ont pas été accomplies en Jésus comme ils l’ont prédit, et il aurait dû ajouter la preuve qui lui semblait bonne. Ainsi on aurait vu ce que disent les prophéties que nous rapportons à Jésus et la manière dont il réfute notre interprétation ; et on aurait reconnu s’il réfute honnêtement les textes de prophètes que nous appliquons à la doctrine sur Jésus, ou s’il est surpris à vouloir impudemment faire violence à la vérité évidente comme si elle n’était pas la vérité. LIVRE VI

Comme il pose, par hypothèse, que des choses ne sont pas possibles et ne conviennent pas à Dieu, il dit : Qu’elles aient été prédites du Dieu suprême, faudra-t-il les croire de Dieu sous prétexte qu’elles ont été prédites ? Et il se fait fort d’établir que même si les prophètes les ont réellement prédites du Fils de Dieu, il serait impossible de croire aux prédictions qu’il doit souffrir ou agir de la sorte. Il faut répondre que son hypothèse est absurde et pose des prémisses qui amènent des conséquences contradictoires. En voici la preuve. Si les vrais prophètes du Dieu suprême disent que Dieu subira l’esclavage, la maladie ou même la mort, ces malheurs arriveront à Dieu, puisque les prophètes du grand Dieu disent nécessairement la vérité. D’autre part, si les vrais prophètes du Dieu suprême disent ces mêmes choses, puisque ce qui est par nature impossible ne peut être vrai, ce que les prophètes annoncent de Dieu ne saurait arriver. Or, quand deux prémisses ont des conséquences contradictoires en raison de ce qu’on appelle le syllogisme des deux propositions, l’antécédent des deux prémisses est détruit, en l’espèce : les prophètes prédisent que le grand Dieu va subir l’esclavage, la maladie, la mort. La conclusion est donc que les prophètes n’ont pas prédit que le grand Dieu subirait l’esclavage, la maladie, la mort. Et voici la forme du raisonnement : si A est vrai, B est vrai ; si A est vrai, B n’est pas vrai ; donc A n’est pas vrai. LIVRE VI

Mais ce qu’on a admis dans l’hypothèse n’a rien de comparable aux prophéties concernant Jésus. Les prophéties n’ont pas prédit que Dieu serait crucifié, elles qui disent de celui qui allait subir la mort : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté, mais sa forme était méprisable, inférieure aux enfants des hommes ; homme plongé dans l’affliction et la peine, sachant porter l’infirmité. » Vois donc comme ils ont dit clairement que celui qui a enduré des souffrances humaines était un homme. Et Jésus lui-même, sachant avec précision que ce qui mourrait c’était l’homme, déclare à ceux qui complotent contre lui : « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. » S’il y avait quelque chose de divin dans l’homme que l’esprit discerne en lui, c’était le Fils unique de Dieu, le Premier-né de toute créature, celui qui dit : « Je suis la Vérité, je suis la Vie, je suis la Porte, je suis la Voie, je suis le Pain vivant descendu du ciel. » Le raisonnement sur cet être et son essence est tout autre que celui qui concerne l’homme que l’esprit discerne en Jésus. LIVRE VI

Il n’y a donc qu’un point où Celse dise la vérité : Mais les prophètes n’ont pu le prédire : c’est un mal et une impiété. Que veut-il dire d’autre sinon que le grand Dieu subirait l’esclavage et la mort ? Au contraire, elle est bien digne de Dieu l’annonce faite par les prophètes qu’une certaine « splendeur et image » » de la nature divine viendrait vivre associée à l’âme sainte de Jésus qui prend un corps humain, afin de répandre une doctrine faisant participer à l’amitié du Dieu de l’univers quiconque la recevrait et cultiverait dans son âme, et amenant tout homme à la fin, à condition qu’il garde en soi-même la puissance de ce Dieu Logos qui devait habiter dans un corps et une âme d’homme. De cette façon, ses rayons ne seraient pas enfermés en lui seul et on ne pourrait penser que la lumière source de ces rayons, le Dieu Logos, n’existe nulle part ailleurs. LIVRE VI

S’il faut expliquer en même temps le massacre des ennemis et le pouvoir du juste sur toutes choses, on peut dire : en affirmant « Chaque matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre, afin de retrancher de la cité du Seigneur tous les artisans d’iniquité », le prophète appelait terre au sens figuré la chair « dont le désir est ennemi de Dieu », et cité du Seigneur, son âme dans laquelle était un temple de Dieu ; car il possédait de Dieu une opinion et une conception justes et admirées de tous ceux qui les observent. En même temps donc, rempli pour ainsi dire de puissance et de force par les rayons du Soleil de « la justice » qui illuminaient son âme, il supprimait tout « désir de la chair », nommé par le texte « pécheurs de la terre », et exterminait, de la cité du Seigneur qui était dans son âme, tous les raisonnements artisans d’iniquité et les désirs ennemis de la vérité. LIVRE VI

Mais j’ai donné plus haut des explications détaillées sur Dieu dans une juste mesure en examinant comment comprendre la parole : « Dieu est esprit et il faut que ses adorateurs l’adorent en esprit et en vérité ». LIVRE VI

Que Celse n’ait pas su la différence entre la position des chrétiens et celle des inventeurs de ces fables, qu’il pense que les griefs à leur faire s’appliquent à nous et qu’il nous les oppose sans qu’ils nous concernent, ressort clairement de ces mots : voilà donc la grande imposture, et ces conseillers admirables, et les paroles merveilleuses à l’adresse du lion, de l’amphibie à tête d’âne, et des autres portiers divins dont vous avez misérablement appris les noms par coeur, pour lesquels, ô infortunés, on vous tourmente cruellement, on vous traîne au supplice, on vous crucifie ! A coup sûr il ignore qu’aucun de ceux qui prennent pour les portiers de la voie montante les démons à forme de lion et à tête d’âne, et l’amphibie, ne résiste jusqu’à la mort, même pour ce qui lui paraît la vérité. Mais l’excès de piété pour ainsi dire qui nous livre à tout genre de mort et à la crucifixion, il l’attribue à ceux qui ne supportent rien de pareil. Et c’est à nous qui sommes crucifiés pour la religion qu’il reproche leur fable de démons à figure de lion, d’amphibie et autres. Ce n’est pas Celse qui nous détourne de cette doctrine sur le démon à forme de lion et autres : jamais nous n’avons rien admis de pareil. C’est à l’enseignement de Jésus que nous nous conformons en disant le contraire de ce qu’ils disent, et en refusant d’admettre que Michel, ou aucun de ceux qui viennent d’être énumérés ait une telle forme de visage. LIVRE VI

Il nous renvoie aux poètes, inspirés selon lui, aux sages, aux philosophes, sans donner leurs noms. Malgré sa promesse de nous montrer les guides, il se borne à indiquer en général les poètes inspirés, les sages, les philosophes. S’il avait cité les noms de chacun d’eux, il pourrait sembler logique de lui opposer que, pour induire en erreur, il nous donne comme guides des hommes aveugles par rapport au vrai, ou sinon tout à fait aveugles, du moins dans l’erreur sur bien des doctrines de la vérité. Entend-il donc par poètes inspirés Orphée, Parménide, Empédocle, ou Homère lui-même ou encore Hésiode ? Libre à chacun de montrer comment ceux qui suivent de tels guides marchent dans une voie meilleure et ont plus de secours dans les difficultés de la vie que ceux qui, grâce à l’enseignement de Jésus-Christ, ont dit adieu à toutes les images et statues, et même à toute la superstition judaïque, et qui par le Logos de Dieu lèvent leurs regards vers Dieu seul le Père du Logos. LIVRE VI

Il nous renvoie ensuite à Platon comme à un maître plus efficace en matière de théologie, et cite l’affirmation du Timée : Découvrir l’auteur et le père de cet univers est laborieux, et une fois découvert, le dire à tous est impossible. Puis il y ajoute : Voyez donc comment les interprètes de Dieu et les philosophes cherchent la voie de vérité, et comment Platon savait qu’il était impossible à tous d’y marcher. Mais puisque les sages l’ont trouvée pour nous faire acquérir de l’Être innommable et Premier quelque notion qui le rend manifeste, soit par la synthèse qui domine les autres choses, soit par séparation d’avec elles, soit par analogie, je veux enseigner l’Être qui par ailleurs est ineffable; mais je serais bien étonné que vous puissiez me suivre, vous qui êtes si étroitement rivés à la chair et dont le regard n’a rien de pur. LIVRE VI

Voici donc ce qu’il dit : «L’essence et la génération constituent l’intelligible et le visible. La vérité accompagne l’essence, l’erreur la génération. A la vérité se rapporte la science, à l’autre domaine l’opinion. L’intelligible est affaire d’intellection, le visible de vision. C’est l’intellect qui connaît l’intelligible, et l’oeil le visible. Donc, ce qu’est le soleil pour les visibles ? il n’est ni oeil ni vue, mais il est cause, pour l’oeil, du fait de voir, pour la vue de ce que, par lui, elle existe, pour les visibles, de ce qu’ils sont vus, pour tous les sensibles, de ce qu’ils sont sujets à la génération ; bien plus, il est lui-même pour lui-même cause de ce qu’on le voit – voilà ce qu’est Dieu pour les intelligibles : il n’est ni l’intellect, ni l’intellection, ni la science, mais il est cause, pour l’intellect, de son acte d’intelligence, pour l’intellection, de ce que par lui elle existe, pour la science, de ce que par lui elle connaît, pour tous les intelligibles et la vérité même et l’essence même, de ce qu’ils existent, étant lui-même au delà de toutes choses, intelligible par une certaine puissance ineffable. LIVRE VI

Ces réflexions s’adressent aux intelligents. Si vous en comprenez quelque chose vous aussi, c’est tant mieux pour vous. Et si vous croyez qu’un esprit descend d’auprès de Dieu pour annoncer d’avance les choses divines, ce peut être cet esprit qui proclame tout cela; en vérité, c’est tout pénétrés de lui que les anciens ont annoncé tant d’excellentes doctrines. Si vous ne pouvez les entendre, taisez-vous, cachez votre ignorance, ne traitez pas d’aveugles ceux qui voient, de boiteux ceux qui courent, quand c’est vous-mêmes qui êtes boiteux et mutilés dans l’âme, et ne vivez que pour le corps, c’est-à-dire une chose morte ». LIVRE VI

Pour nous, qui avons soin de ne rien combattre de ce qui est noblement exprimé, même si les auteurs sont étrangers à notre foi, et de ne pas leur chercher noise ni vouloir renverser les doctrines saines, voici notre réponse. On a beau insulter ceux qui veulent consacrer tous leurs efforts à pratiquer la piété à l’égard du Dieu de l’univers qui agrée aussi bien la foi que les simples ont en lui et la piété réfléchie de ceux qui ont plus d’intelligence, et qui font monter leurs prières avec action de grâce vers le Créateur de l’univers comme par le Grand-Prêtre qui a réglé pour les hommes la pure piété envers Dieu ; on a beau traiter ces gens de boiteux et mutilés dans l’âme, et dire qu’ils vivent pour le corps, une chose morte, eux qui disent de tout leur coeur : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais puissantes par Dieu » : que l’on prenne garde, rien qu’en disant du mal de ceux qui prient pour être à Dieu, de faire boiter son âme et de mutiler en soi-même « l’homme intérieur » en l’amputant, par ces calomnies contre ceux qui veulent vivre dans la vertu, de la modération et de l’équilibre dont le Créateur a naturellement jeté la semence dans la nature raisonnable ! Quand au contraire on a appris entre autres choses du divin Logos pour le mettre en pratique, quand on est insulté, à bénir, quand on est persécuté, à endurer, quand on est calomnié, à supplier, on sera de ceux qui, ayant redressé les pas de l’âme, purifient et préparent l’âme toute entière. Il ne s’agit point de distinguer seulement en paroles l’essence de la génération, l’intelligible du visible, de rapporter la vérité à l’essence, de fuir par tous les moyens l’erreur qui accompagne la génération. On aspire, selon cet enseignement, non point aux choses de la génération, que l’on voit et qui, pour cette raison, sont passagères, mais aux réalités supérieures, qu’on veuille les appeler essence, ou invisibles parce qu’elles sont intelligibles, ou choses qu’on ne voit pas parce que leur nature est d’échapper aux sens. LIVRE VI

C’est bien la manière dont les disciples de Jésus considèrent ce qui est sujet à la génération, s’en servant comme d’un degré pour arriver à comprendre la nature des réalités intelligibles. Car « les ?uvres invisibles de Dieu », c’est-à-dire les réalités intelligibles, « depuis la création du monde, grâce aux choses créées se laissent voir » par l’acte de l’esprit. Cependant, après s’être élevés des choses créées du monde aux ?uvres invisibles de Dieu, ils ne s’arrêtent pas. Mais, après s’être suffisamment exercés par elles et les avoir comprises, ils montent jusqu’à l’éternelle puissance de Dieu, bref, à sa divinité. Il savent que Dieu dans son amour pour les hommes a manifesté la vérité et ce qu’on peut connaître de lui-même non seulement à ceux qui lui sont consacrés, mais encore à ceux qui sont étrangers à la pure religion et à la piété envers lui. Malheureusement, certains, élevés par la Providence de Dieu à la connaissance de si hautes réalités, ont une conduite indigne de cette connaissance, commettent l’impiété, retiennent « la vérité captive dans l’injustice » et, du fait de leur connaissance de ces hautes réalités, ils ne sauraient plus trouver une chance d’excuse auprès de Dieu. LIVRE VI

On peut donc voir comment ceux qui « se flattent d’être sages » ont donné des exemples d’une grande folie. Après avoir discuté ces belles doctrines sur Dieu et les intelligibles, « ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». Aussi, abandonnés par la Providence pour leur vie indigne des vérités que Dieu leur avait manifestées, ils se vautrent dans les convoitises de leur coeur qui les poussent à l’impureté, et avilissent leurs corps dans toutes les turpitudes d’une vie licencieuse ; tout cela, pour avoir échangé « la vérité divine contre le mensonge, adoré et servi la créature de préférence au Créateur. » LIVRE VI

Et ils ajoutent : « J’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a enfanté dans le péché ». » De plus, ils déclarent que « les pécheurs sont devenus étrangers dès le sein de leur mère », et font cette remarque étonnante : « Ils se sont égarés dès le sein, ils ont dit des mensonges. » Mais nos sages ont un tel dédain pour la nature des choses sensibles qu’ils qualifient les corps tantôt de vanité : « Car la création fut soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise avec l’espérance » ; tantôt, de vanité de vanités, selon le mot de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Où trouver un tel discrédit jeté sur la vie de l’âme humaine ici-bas que chez l’auteur qui dit : « Vanité cependant que toutes choses, que tout homme vivant ! » Il ne met pas en doute la différence pour l’âme entre la vie d’ici-bas et la vie hors de ce monde, il ne dit pas : « Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si mourir n’est pas vivre ? » Mais il a le courage de la vérité dans ces paroles : « Notre âme a été humiliée dans la poussière » ; « Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort ». Et comme il est dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ainsi encore : « Qui transformera notre corps de misère ? » Il y a aussi la parole du prophète : « Tu nous a humiliés dans un lieu d’affliction », où « lieu d’affliction désigne le lieu terrestre dans lequel vient Adam, qui est l’homme, après avoir été pour son péché expulsé du paradis. Et considère la profondeur de vue que possédait sur la condition de vie différente pour les âmes celui qui a dit : « Aujourd’hui nos voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » ; et encore : « Tant que nous demeurons dans ce corps, nous vivons en exil loin du Seigneur », aussi « préférons-nous déloger de ce corps et aller demeurer près du Seigneur ». LIVRE VI

Mais pourquoi devrais-je multiplier les citations contre la parole de Celse pour prouver que ces doctrines ont été professées chez nous bien avant les siennes, quand mon propos est évident d’après les témoignages rapportés ? Ici pourtant, il semble l’admettre, en disant que si un esprit divin descend d’auprès de Dieu pour annoncer d’avance les choses divines, ce peut être cet esprit qui proclame tout cela ; en vérité c’est tout pénétrés de lui que les anciens ont annoncé tant d’excellentes doctrines. Mais il n’a pas vu la supériorité des idées précises que nous avons quand nous disons : « Ton esprit incorruptible est en tout, aussi, peu à peu » Dieu convainc « ceux qui tombent ». Et nous affirmons, entre autres choses, que la parole : « Recevez le Saint-Esprit » indique que le don diffère en intensité de celui que désigne la parole : « Vous serez baptisés dans l’Esprit-Saint sous peu de jours. » LIVRE VI

Ce qu’il y a de laborieux, c’est de réfléchir sérieusement à ces matières et de voir la différence entre ceux qui ont pu, à de longs intervalles, s’ouvrir à la compréhension de la vérité et à une conception limitée de Dieu, et ceux qui, sous une plus haute inspiration divine, continuellement unis à Dieu, sont toujours sous la conduite de l’Esprit divin. Si Celse l’avait examiné et compris, il ne nous eût point accusés d’ignorance, ni interdit de traiter d’aveugles ceux qui voient une expression de la piété dans les ?uvres matérielles de l’art humain telles que les statues. Car quiconque ouvre les yeux de l’âme ne suit pas d’autre méthode pour adorer la divinité que celle qui enseigne à toujours fixer les yeux sur le Créateur de l’univers, à lui offrir toute prière et à tout faire comme sous le regard de Dieu qui voit même nos pensées. LIVRE VI

Que Celse n’aille pas s’indigner si nous traitons de boiteux et mutilés des jambes de l’âme ceux qui s’empressent autour des objets tenus pour sacrés comme s’ils l’étaient en vérité, et qui ne voient pas qu’aucune ?uvre d’artisans ne peut être sacrée. Mais ceux qui professent la piété conforme à l’enseignement de Jésus courent aussi, jusqu’à ce que, parvenus au terme de la course, ils s’écrient d’un coeur ferme et sincère : « J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi : il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice. » C’est bien « ainsi et non à l’aventure » que court chacun de nous, « ainsi » qu’il fait du pugilat, « sans frapper dans le vide », mais frappant ceux que domine « le Prince de l’empire de l’air, cet esprit qui agit actuellement dans les fils de la désobéissance ». Libre à Celse de dire que nous vivons pour le corps, qui est chose morte ! Nous entendons la parole : « Si vous vivez selon la chair, vous devez mourir ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez. » Nous avons appris : « Si nous vivons par l’Esprit, suivons aussi l’Esprit. » Ah ! puissions-nous montrer par nos actions qu’il a menti en disant de nous que nous vivons pour le corps, qui est une chose morte. LIVRE VI

Sur cette maxime et toutes les autres citées par Celse qui, ne pouvant résister à leur vérité, affirme qu’elles avaient été dites par les Grecs, voici ce qu’il faut dire. Que la doctrine soit bienfaisante et de sens raisonnable, qu’elle soit enseignée chez les Grecs par Platon ou l’un de leurs sages, chez les Juifs par Moïse ou l’un des prophètes, chez les chrétiens dans les paroles évangéliques de Jésus ou les discours des apôtres : on ne doit pas juger blâmable une affirmation des Juifs et des chrétiens du fait qu’elle a été dite aussi chez les Grecs, surtout quand est démontrée l’antériorité des écrits des Juifs par rapport à ceux des Grecs. On ne doit pas juger non plus la même doctrine revêtue de la beauté du style grec absolument supérieure à celle qui est énoncée dans un style plus vulgaire et en des termes plus simples chez les Juifs et chez les chrétiens. Cependant, le texte original des Juifs dans lequel les prophètes nous ont laissé leurs livres a été écrit en langue hébraïque avec l’art de composition littéraire de leur langue. LIVRE VI

Celse a encore cité le texte d’Héraclite insinuant, dans son interprétation, qu’il est stupide de prier les statues quand on ne connaît pas la vraie nature des dieux et des héros. Il faut répondre : il est possible de connaître Dieu et son Fils unique, comme les êtres qui sont honorés par Dieu du titre de dieu et participent à sa divinité, et qui sont différents de tous les dieux des nations qui sont de leur vraie nature des démons ; mais il n’est pas possible en vérité de connaître Dieu et de prier les statues. LIVRE VI

Me voici parvenu à la fin de sept livres et je veux en aborder un huitième. Que Dieu et son Fils unique le Logos daignent m’assister pour que les mensonges de Celse, vainement intitulés ” Discours véritable “, y trouvent une réfutation pertinente, et les vérités du christianisme, dans la mesure où le comporte le sujet, une démonstration inébranlable. Je demande de pouvoir dire avec la sincérité de Paul : « Nous sommes en ambassade pour le Christ, comme si Dieu exhortait par nous » ; et de pouvoir être en ambassade pour le Christ auprès des hommes dans l’esprit où le Logos de Dieu les appelle à son amitié : car il veut unir intimement à la justice, à la vérité, aux autres vertus ceux qui, avant de recevoir les doctrines de Jésus-Christ, avaient passé leur vie dans les ténèbres au sujet de Dieu et dans l’ignorance du Créateur. Et je dirai encore : que Dieu nous donne son noble et véritable Logos, le Seigneur puissant et fort « dans la guerre » contre le mal. Maintenant, il me faut aborder le texte suivant de Celse et y répondre. LIVRE VIII

Remarquons l’étourderie de son propos : Si en effet on rendre un culte à un autre des êtres de l’univers. Il indique par là que nous pouvons sans aucun tort pour nous-mêmes rendre un culte divin à l’un quelconque des êtres qui appartiennent à Dieu. Mais comme s’il sentait lui-même l’insanité du propos : si en effet on veut rendre un culte à un autre des êtres de l’univers, il se reprend et ajoute cette correction : il n’est pas permis d’honorer celui à qui Dieu n’a pas donné ce privilège. Demandons à Celse, à propos des honneurs qu’on rend aux dieux, aux démons, aux héros : comment peux-tu montrer, mon brave, que ces honneurs qu’ils reçoivent sont dus à un privilège donné par Dieu et non à l’ignorance et à la sottise humaine de ceux qui sont dans l’erreur et sont tombés loin de Celui à qui de plein droit revient l’honneur ? On honore par exemple, comme tu viens de le dire, Celse, le mignon d’Hadrien. Tu ne vas pas dire, je suppose, que le privilège d’être honoré comme dieu a été donné à Antinoos par le Dieu de l’univers ! On dira la même chose des autres, demandant la preuve que le privilège d’être honoré comme dieux leur a été accordé par le Dieu suprême. Si on nous fait la même réplique sur Jésus, nous prouverons que le privilège d’être honoré lui a été donné par Dieu, « pour que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Déjà les prophéties, avant sa naissance, affirmaient son droit à cet honneur. Plus tard les miracles qu’il accomplit, non par magie comme le croit Celse, mais par sa divinité prédite par les prophètes, bénéficiaient du témoignage de Dieu. Ainsi en honorant le Fils qui est Logos, on ne fait rien de déraisonnable : on tire avantage de l’honneur qu’on lui rend et en l’honorant, lui qui est la Vérité, on devient meilleur parce qu’on honore la vérité ; ainsi en est-il quand on honore la Sagesse, la Justice et toutes les prérogatives que les divines Écritures accordent au Fils de Dieu. LIVRE VIII

Après quoi, il déclare : En vérité, celui qui affirme qu’un seul être a été appelé Seigneur, en parlant de Dieu, commet une impiété : il divise le Royaume de Dieu et y introduit la révolte, comme s’il y avait une faction et un autre dieu son adversaire. Cette réflexion serait de mise s’il établissait avec des preuves rigoureuses que ceux qui sont adorés comme dieux chez les païens sont réellement dieux, et que les êtres qui hantent, croit-on, les statues, les temples et les autels ne sont pas des mauvais démons. De plus, ce Royaume de Dieu continuellement prêché dans nos discours et nos écrits, nous aspirons à le comprendre et à devenir tels que nous ayons Dieu seul pour roi et que le Royaume de Dieu devienne aussi le nôtre. Celse, au contraire, qui nous enseigne à adorer plusieurs dieux, pour être conséquent avec lui-même, aurait dû parler de royaume des dieux plutôt que de Dieu. Il n’y a donc pas chez Dieu de factions ni un autre dieu son adversaire ; et cela, en dépit de ceux qui, à l’instar des Géants et des Titans, veulent par leur perversité batailler contre Dieu avec Celse et les autres qui ont déclaré la guerre à Dieu qui a établi par tant de moyens la vérité sur Jésus, et à Celui-là même qui pour le salut de notre race s’est livré lui-même, en Logos qu’il est, au monde entier dans son ensemble, selon la capacité de chacun. LIVRE VIII

On pourrait juger plausible l’attaque qui suit : Encore, si ces gens-là ne rendaient un culte à nul autre que Dieu seul, ils auraient peut-être une raison valable à opposer aux autres. Mais non, ils rendent un culte excessif à Celui qui vient d’apparaître, et pourtant ne croient point offenser Dieu en rendant aussi un culte à son ministre. Il faut répondre : si Celse avait compris la parole : « Le Père et moi sommes un », et celle du Fils de Dieu dans sa prière : « Comme toi et moi sommes un », il ne penserait pas que nous rendons un culte à un autre que le Dieu suprême, car Jésus a dit : « Le Père est en moi et je suis dans le Père. » Si l’on craignait que ces paroles nous amènent au parti de ceux qui nient l’existence de deux hypostases, un Père et un Fils, que l’on considère la parole : « Tous ceux qui croyaient n’avaient qu’un coeur et qu’une âme », afin de comprendre : « Le Père et moi sommes un ». C’est donc à un seul Dieu, comme on vient de l’expliquer, le Père et le Fils, que nous rendons un culte, et il nous reste une raison valable à opposer aux autres. Et nous ne rendons pas un culte excessif à Celui qui viendrait d’apparaître comme s’il n’avait jamais existé auparavant. Car nous le croyons quand il a dit : « Avant qu’Abraham fût, je suis » et qu’il affirme : « Je suis la Vérité ». Personne d’entre nous n’a la stupidité de croire que la vérité n’existait pas avant le temps de la manifestation du Christ. C’est pourquoi nous rendons un culte au Père de la Vérité et au Fils qui est la Vérité : ils sont deux réalités par l’hypostase, mais une seule par l’humanité, la concorde, l’identité de la volonté ; en sorte que celui qui a vu le Fils, rayonnement de la gloire, empreinte de la substance de Dieu, a vu Dieu en lui qui est l’image de Dieu. LIVRE VIII

Ensuite, il déclare que nous évitons a édifier des autels, des statues et des temples; car il croit que c’est le mot d’ordre convenu de notre association secrète et mystérieuse. C’est ignorer que pour nous le coeur de chaque juste forme l’autel d’où montent en vérité et en esprit, parfums d’agréable odeur, les prières d’une conscience pure. Aussi est-il dit chez Jean dans l’Apocalypse : « Les parfums sont les prières des saints », et chez le Psalmiste : « Que ma prière soit comme un encens devant toi. » LIVRE VIII

Certains des justes donc sont de l’escarboucle, d’autres du saphir, d’autres du rubis, d’autres du cristal ; et ainsi les justes forment l’ensemble des pierres choisies et précieuses. Mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer la signification des pierres, la doctrine concernant leur nature, les catégories d’âmes auxquelles on peut attribuer le nom de chaque pierre précieuse. Il suffisait de rappeler brièvement le sens que nous donnons aux temples et celui de l’unique temple de Dieu fait de pierres précieuses. En effet, si les habitants de chaque cité se vantaient de leurs prétendus temples par comparaison avec les autres, dans leur fierté d’avoir des temples plus précieux, ils vanteraient l’excellence des leurs pour prouver l’infériorité des autres. Ainsi, pour répondre à ceux qui critiquent notre refus d’adorer la divinité dans des temples insensibles, nous opposons à ceux-ci les temples tels que nous les concevons ; et nous montrons, à ceux du moins qui ne sont pas insensibles et semblables à leurs dieux insensibles, qu’il n’y a aucune comparaison possible : ni entre nos statues et les statues des nations ; ni entre nos autels et les parfums, si l’on peut dire, qui montent de leurs autels et les graisses et le sang qui y sont offerts ; ni même entre les temples que nous avons indiqués et les temples des êtres insensibles qu’admirent des hommes insensibles qui n’ont pas la moindre idée du sens divin par lequel on atteint Dieu, ses statues, les temples et les autels qui conviennent à Dieu. Ce n’est donc point pour observer un mot d’ordre convenu de notre association secrète et mystérieuse que nous évitons d’édifier des autels, des statues et des temples ; mais parce que nous avons trouvé, grâce à l’enseignement de Jésus, la forme de la piété envers la divinité, nous évitons les attitudes qui sous l’apparence de la piété rendent impies ceux qui s’éloignent de la piété qui a pour médiateur Jésus-Christ : Lui seul est la voie de la piété, puisqu’il dit avec vérité : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie. » LIVRE VIII

Si toutefois les fêtes publiques, qui ne sont telles que de nom, ne présentent aucune raison démonstrative qu’elles s’harmonisent avec le culte offert à la divinité, s’il était prouvé au contraire qu’elles sont des inventions de gens qui les ont instituées d’aventure en relation avec des événements historiques ou des théories naturalistes sur l’eau, la terre, les fruits qu’elle semble produire, il est clair que, pour qui veut honorer la divinité avec le soin requis, il sera raisonnable de s’abstenir de prendre part aux fêtes publiques. En effet, comme dit excellemment un sage grec : « Célébrer une fête n’est rien d’autre que de faire son devoir. » Et c’est même célébrer la fête selon la vérité que de faire son devoir en priant toujours, en ne cessant pas d’offrir à la divinité les sacrifices non sanglants dans les prières. Pour cette raison, je trouve magnifique le mot de Paul : « Vous observez les jours, les mois, les saisons, les années ? J’ai bien peur pour vous d’avoir peut-être chez vous perdu ma peine. » LIVRE VIII

On objectera nos célébrations des dimanches, de la Parascève, de Pâques, de la Pentecôte ? Il faut répondre : si l’on est un chrétien parfait, quand on ne cesse de s’appliquer aux paroles, aux actions, aux pensées du Logos de Dieu qui par nature est le Seigneur, on vit sans cesse dans les jours du Seigneur, on célèbre sans cesse les dimanches. De plus, quand on se prépare sans cesse à la vie véritable, et qu’on s’éloigne des plaisirs de la vie qui trompent la multitude, sans nourrir « le désir de la chair », mais châtiant au contraire son corps et le réduisant à la servitude, on ne cesse de célébrer la Parascève. En outre, quand on a compris que « le Christ notre Pâque a été immolé » et qu’on doit célébrer la fête en mangeant la chair du Logos, il n’est pas d’instant où on n’accomplisse la Pâque, terme qui veut dire sacrifice pour un heureux passage : car par la pensée, par chaque parole, par chaque action on ne cesse de passer des affaires de cette vie à Dieu en se hâtant vers la cité divine. Enfin, si l’on peut dire avec vérité : « Nous sommes ressuscites avec le Christ », et aussi : « Il nous a ressuscites ensemble et nous a fait asseoir ensemble au ciel dans le Christ », on se trouve sans cesse aux jours de la Pentecôte, surtout lorsque, monté dans la chambre haute comme les apôtres de Jésus, on vaque à la supplication et à la prière pour devenir digne « du souffle impétueux qui descend du ciel » anéantir par sa violence la malice des hommes et ses effets, et pour mériter aussi d’avoir part à la langue de feu qui vient de Dieu. LIVRE VIII

Après nous avoir attribué de tels propos, calomniant les chrétiens qui ne disent rien de pareil, il croit se donner à lui-même une réplique, plaisanterie plutôt que défense ; il dit comme s’il s’adressait à nous : Ne vois-tu donc pas, mon brave, qu’on se dresse devant ton démon, que non seulement on l’injurie, mais encore on le bannit de toute la terre et toute la mer; et toi, comme une statue qui lui est consacrée, on te lie, on le traîne au supplice et on te crucifie. El le démon ou, comme tu dis, le Fils de Dieu ne se venge de personne. Cette réplique serait de mise si nous disions ce qu’il nous fait dire. Et encore, dans ce cas, ne serait-ce pas dire la vérité que d’appeler le Fils de Dieu un démon. Non certes, pour nous qui déclarons mauvais tous les démons, Celui qui a converti tant d’hommes à Dieu n’était pas un démon, mais le Logos et le Fils de Dieu. Mais pour Celse qui n’a jamais parlé de démons mauvais, je ne sais pourquoi il lui a échappé de présenter Jésus comme un démon. A la fin pourtant se réalisera tout ce qu’annonce l’Écriture sur les impies qui auront refusé tous les remèdes et seront surpris dans leur malice pour ainsi dire incurable. LIVRE VIII

Voilà donc ce qui est arrivé de nouveau depuis la passion de Jésus : je veux dire la destinée de cette cité et de toute la nation juive, et la naissance soudaine de la race des chrétiens qui paraît avoir été mise au monde tout d’un coup. Ce qui est encore nouveau, c’est que des gens étrangers aux alliances de Dieu et exclus des promesses, éloignés de la vérité l’aient acceptée par un miracle divin. Ce ne fut pas l’oeuvre d’un sorcier, mais celle de Dieu qui pour porter son message a envoyé son Logos en Jésus. On l’a si cruellement torturé que cette cruauté doit être imputée à ceux qui l’ont injustement torturé, et il l’a supportée avec un courage extrême et une douceur totale. Mais sa passion, loin de faire périr le message de Dieu, a au contraire, s’il faut le dire, concouru à le faire connaître, comme Jésus lui-même l’avait enseigné : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Donc, par sa mort, le grain de blé que fut Jésus a porté beaucoup de fruit, et le Père exerce une providence continuelle envers ceux qui ont été, sont encore et seront les fruits produits par la mort de ce grain de blé. Le Père de Jésus est donc un père juste : il n’a point épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous comme son agneau, afin que l’Agneau de Dieu, en mourant pour le salut de tous, ôtât le péché du monde. Aussi n’est-ce pas contraint par le Père, mais de lui-même qu’il a enduré les supplices que lui infligeaient les persécuteurs. LIVRE VIII

Cependant, puisque les âmes de ceux qui meurent pour le christianisme, glorieusement libérées de leur corps pour la religion, détruisaient la puissance des démons et faisaient échouer leur complot contre les hommes, pour cette raison, je pense, les démons, reconnaissant par expérience leur défaite et la victoire des témoins de la vérité, ont craint de revenir se venger, et ainsi, jusqu’à ce qu’ils aient oublié les peines qu’ils ont souffertes, le monde sera probablement en paix avec les chrétiens. Mais quand ils rassembleront leur puissance et voudront, dans leur méchanceté aveugle, se venger encore des chrétiens et les persécuter, ils subiront encore la défaite ; et alors encore les âmes des fidèles pieux, qui pour leur religion se défont de leur corps, détruiront l’armée du Malin. LIVRE VIII

Les Grecs diront que ce sont là des fables, bien que la vérité de ces histoires soit attestée par deux peuples entiers. Mais pourquoi donc les récits des Grecs ne seraient-ils pas des fables plutôt que celles-ci ? Si l’on aborde directement la question sans être arbitrairement prévenu en faveur de ses propres histoires ni incrédules à celles des étrangers, on pourra dire : celles des Grecs viennent des démons, celles des Juifs de Dieu par les prophètes, ou des anges et de Dieu par les anges, et celles des chrétiens de Jésus et de sa puissance qui résidait dans ses apôtres. Qu’on me permette de les comparer toutes entre elles en voyant le but poursuivi par ceux qui les ont accomplies et leur résultat, profit ou dommage ou inefficacité pour ceux qui en ont éprouvé les prétendus bienfaits. On verra sans doute la sagesse de l’antique peuple des Juifs avant qu’il outrageât la divinité. Celle-ci les a plus tard abandonnés pour la gravité de leur malice. Mais elle a miraculeusement rassemblé les chrétiens, amenés dès le début, plus par les prodiges que par la force persuasive des discours, à délaisser les croyances traditionnelles pour choisir celles qui leur étaient étrangères. En effet, s’il faut une explication vraisemblable du rassemblement initial des chrétiens, on dira qu’il n’est pas plausible que les apôtres de Jésus, hommes illettrés et ignorants, aient fondé leur assurance pour annoncer le christianisme aux hommes sur autre chose que sur la puissance qui leur avait été donnée et sur la grâce unie à la parole pour montrer la vérité des faits ; ni non plus que leurs auditeurs aient renoncé à leurs habitudes ancestrales invétérées sans qu’une puissance notable et des actes miraculeux les aient amenés à des doctrines si nouvelles, étrangères à celles dans lesquelles ils avaient été élevés. LIVRE VIII

Alors je ne sais pourquoi Celse, faisant état du courage de ceux qui luttent jusqu’à la mort pour ne point abjurer le christianisme, ajoute, comme s’il assimilait nos doctrines à celles que professent les initiateurs et les mystagogues : Par dessus tout, mon brave, comme tu crois à des châtiments éternels, les interprètes des mystères sacrés, initiateurs et mystagogues, y croient aussi. Les menaces que tu adresses aux autres, ils te les adressent à toi-même. Il est permis d’examiner lesquelles des deux sont les plus vraies ou plus puissantes. Car en paroles chacun affirme avec une égale énergie la vérité de ses doctrines propres. Mais quand il faut des preuves, les autres en montrent un grand nombre de manifestes, présentent des oeuvres de certaines puissances démoniaques et d’oracles, et résultant de toutes sortes de divinations. Il prétend donc par là que notre doctrine sur les châtiments éternels est la même que celle des initiateurs aux mystères, et veut examiner laquelle des deux est la plus vraie. Or je puis dire qu’est vraie la doctrine capable de mettre les auditeurs dans la disposition de vivre conformément à ses principes. Et telle est bien la disposition des Juifs et des chrétiens, relativement à ce qu’ils nomment le siècle à venir avec ses récompenses pour les justes, ses châtiments pour les pécheurs. Que Celse donc ou tout autre montre ceux à qui les initiateurs et les mystagogues inspirent de telles dispositions par rapport aux châtiments éternels ! Il est probable que l’intention de l’auteur de cette doctrine n’est pas seulement de donner lieu aux sacrifices expiatoires et aux discours sur les châtiments, mais encore de disposer les auditeurs à faire tout leur possible pour se garder eux-mêmes des actes qui sont la cause des châtiments. De plus, la lecture attentive des prophéties me paraît capable, par la prévision de l’avenir qu’elles contiennent, de persuader le lecteur intelligent et de bonne foi que l’Esprit de Dieu était présent en ces hommes. A ces prophéties on ne peut comparer le moins du monde aucune des oeuvres démoniaques que l’on exhibe, ni des actions miraculeuses dues aux oracles, ni des divinations. LIVRE VIII

Une fois admis que ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux et que les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels, Celse devait être conséquent avec lui-même et, s’il en était capable, après l’argument qui lui semble principal, il devait établir et démontrer longuement la vérité de l’affirmation que les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels, et que ceux qui auront mené une vie vertueuse seront heureux. LIVRE VIII

Puisqu’au témoignage même de cet ennemi de la vérité de Dieu il y a un tel risque en cette matière, combien vaut-il mieux écarter tout soupçon d’être absorbé par de tels démons, d’aimer le corps, de nous détourner des biens supérieurs, d’être retenu loin des biens supérieurs en les oubliant ; mais bien nous confier plutôt au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous présente un enseignement si admirable. On doit lui demander tout le secours et toute la protection de ses anges saints et justes, pour qu’ils nous arrachent aux démons terrestres absorbés dans la génération, rivés au sang et au fumet de graisse, attirés par des incantations étranges, liés aux choses de ce genre. De l’aveu unanime, au dire de Celse, ils ne peuvent rien de mieux que guérir le corps. Moi, je dirais qu’il n’est même pas évident que ces démons, quel que soit le culte qu’on leur rende, puissent guérir les corps. Il faut, pour la guérison des corps, si on l’entend de la vie simple et commune, l’usage de la médecine ; et si on aspire à une vie supérieure à celle de la multitude, il y faut la piété envers le Dieu suprême et les prières qu’on lui adresse. LIVRE VIII

Après en avoir tant dit dans les pages qui précèdent, nous avoir conduits aux sanctuaires des oracles et à leurs prédictions dont l’origine serait divine, voici que Celse a pris un meilleur parti : il avoue que la prédiction à l’individu et à la cité de leur destinée prochaine et l’intérêt porté aux choses mortelles est le propre des démons terrestres qui sont absorbés dans la génération, rivés au sang, au fumet de graisse, liés par des incantations et d’autres pratiques de ce genre, et ne peuvent rien faire de mieux. Il est probable que lorsque nous nous élevons contre la prétention de Celse à parler de Dieu au sujet des oracles et du culte en l’honneur des prétendus dieux, on nous soupçonne d’impiété parce que nous y voyons l’oeuvre des dénions qui ravalent les âmes humaines à ce qui concerne la génération. Eh bien ! que celui qui a eu de tels soupçons à notre égard soit persuadé que les déclarations chrétiennes sont exactes, à voir que même l’auteur d’un livre contre les chrétiens en vienne à cette conclusion comme s’il était vaincu par l’Esprit de la vérité. LIVRE VIII

S’il avait cru cette considération vraie, il aurait dû ne pas proposer l’autre, ou alors effacer celle-ci. En fait, la nature humaine n’est pas laissée par Dieu et par la Vérité qui est son Fils unique dans un abandon total. Aussi même Celse a dit la vérité sur le besoin qu’ont les démons du fumet de graisse et de sang. Mais, par sa faute, il s’est encore laissé glisser dans le mensonge en comparant les démons aux hommes qui s’acquittent parfaitement de leurs devoirs de justice même si nul ne leur en sait gré, et qui comblent de biens ceux qui manifestent en retour de la reconnaissance. LIVRE VIII

Mais il me semble ici commettre une confusion : parfois il a l’esprit troublé par les démons, parfois aussi, sortant de l’irréflexion qu’ils lui infligent, il entrevoit une lueur de vérité. Car de nouveau il ajoute : Quant à Dieu, il ne faut jamais le quitter d’aucune façon, ni jour ni nuit, ni en public ni en privé, en toute parole et en toute action d’une manière continue. Mais que, dans ces activités ou sans elles, l’âme ne cesse d’être tendue vers Dieu. LIVRE VIII

Or nous disons : pour bénir le soleil, nous n’attendons pas qu’on nous l’ordonne, nous qui avons appris à bénir non seulement ceux qui se rangent sous le même ordre que nous, mais encore les ennemis. Nous bénirons donc le soleil comme une belle créature de Dieu qui garde les lois de Dieu, entend la parole : « Soleil et mer, louez le Seigneur ! » et de toute sa puissance chante un hymne au Père et Créateur de l’univers. Toutefois, en rangeant Athènè avec le soleil, les traditions des Grecs ont inventé la fable, avec ou sans significations allégoriques, qu’elle est née toute armée du cerveau de Zeus et que, poursuivie un jour par Hèphaestos qui voulait corrompre sa virginité, elle lui échappa ; mais elle en aima la semence, dans l’ardeur du désir tombée à terre ; et elle éleva sous le nom d’Érichthonios, comme on le dit, « l’enfant de la glèbe féconde qu’Athènè, fille de Zeus, jadis éleva. « On voit ainsi que pour reconnaître Athènè, fille de Zeus, on doit admettre bien des mythes et des fictions que ne peut admettre celui qui fuit les mythes et cherche la vérité. LIVRE VIII

Il se demande ce qui arriverait si les Romains étaient convaincus par la doctrine chrétienne, négligeaient les honneurs à rendre aux prétendus dieux et les coutumes autrefois en usage chez les hommes, et adoraient le Très-Haut. Qu’il entende notre opinion sur ce point. Nous disons : « Si deux ou trois d’entre vous s’accordent sur la terre à demander quoi que ce soit, cela sera accordé par le Père des justes qui est dans les cieux. » Car Dieu prend plaisir à l’accord des êtres raisonnables et se détourne de leur désaccord. Que faut-il penser pour le cas où l’accord existerait non seulement comme aujourd’hui entre très peu de personnes mais dans tout l’empire romain ? Alors ils prieront le Logos qui autrefois dit aux Hébreux poursuivis par les Égyptiens : « Le Seigneur combattra pour vous et vous n’aurez qu’à vous taire. » Et l’ayant prié d’un accord total, ils pourront détruire un bien plus grand nombre d’ennemis lancés à leur poursuite que n’en détruisit la prière de Moïse poussant des cris vers Dieu en même temps que ceux qui étaient avec lui. Si les promesses de Dieu à ceux qui observent la loi ne sont pas réalisées, ce n’est pas que Dieu aurait menti, mais que les promesses étaient faites sous cette condition qu’ils garderaient la loi et y conformeraient leur vie. Et si les Juifs qui avaient reçu ces promesses conditionnelles n’ont plus ni feu ni lieu, il faut en accuser toutes leurs transgressions de la loi et singulièrement leur faute contre Jésus. Mais, comme Celse le suppose, que tous les Romains, convaincus, se mettent à prier, ils triompheront de leurs ennemis ; ou plutôt, ils n’auront même plus de guerre du tout, car ils seront protégés par la puissance divine qui avait promis, pour cinquante justes, de garder intactes cinq villes entières. Car les hommes de Dieu sont le sel du monde assurant la consistance des choses de la terre, et les choses terrestres se maintiennent tant que le sel ne s’affadit pas : « Car si le sel perd sa saveur, il n’est plus bon ni pour la terre, ni pour le fumier, mais on le jette dehors et les hommes le foulent aux pieds. Que celui qui a des oreilles entende » le sens de cette parole. Pour nous, quand Dieu, laissant la liberté au Tentateur, lui donne tout pouvoir de nous persécuter, nous sommes persécutés. Mais lorsqu’il veut nous soustraire à cette épreuve, en dépit de la haine du monde qui nous entoure, nous jouissons d’une paix miraculeuse, nous confiant en Celui qui a dit : « Courage, moi j’ai vaincu le monde. » En toute vérité, il a vaincu le monde, et le monde n’a de force que dans la mesure où le veut son vainqueur qui tient de son Père sa victoire sur le monde. Notre courage repose sur sa victoire. LIVRE VIII

Puis Celse, à son habitude, se remet dans la suite à faire des confusions, à dire ce que nous n’avons jamais écrit, et il déclare : En vérité, voici encore un de tes propos intolérables : si ceux qui règnent aujourd’hui sur nous, convaincus par toi, sont faits prisonniers, tu convaincras encore ceux qui règnent après eux, et puis d’autres, si ceux-là sont faits prisonniers. Et cela indéfiniment, jusqu’à ce que tous les rois, convaincus par toi, étant faits prisonniers, un chef avisé, prévoyant ce qui arriverait, vous supprime tous entièrement avant que vous l’ayez détruit. LIVRE VIII

S’il faut dire quelque chose sur cette question qui demanderait tant de recherches et de preuves, voici quelques mots pour mettre en lumière, non seulement la possibilité, mais la vérité de ce qu’il dit sur cet accord unanime de tous les êtres raisonnables pour observer une seule loi. Les gens du Portique disent que, une fois réalisée la victoire de l’élément qu’ils jugent plus fort que les autres, aura lieu l’embrasement où tout sera changé en feu. Nous affirmons, nous, qu’un jour le Logos dominera toute la nature raisonnable et transformera chaque âme en sa propre perfection, au moment où chaque individu, n’usant que de sa simple liberté, choisira ce que veut le Logos et obtiendra l’état qu’il aura choisi. Nous déclarons invraisemblable que, comme pour les maladies et les blessures du corps où certains cas sont rebelles à toutes les ressources de l’art médical, il y ait aussi dans le monde des âmes une séquelle du vice impossible à guérir par le Dieu raisonnable et suprême. Car le Logos et sa puissance de guérir sont plus forts que tous les maux de l’âme. Il applique cette puissance à chacun selon la volonté de Dieu ; et la fin du traitement, c’est la destruction du mal. Est-ce de manière qu’il ne puisse absolument pas ou qu’il puisse revenir, on n’a point à l’envisager ici. LIVRE VIII

Voilà donc achevée, pieux Ambroise, suivant la force que j’ai reçue et dont je dispose, la tâche que tu m’avais confiée. Mes huit livres contiennent tout ce que j’ai jugé utile d’opposer au livre de Celse intitulé ” Discours véritable ” . La lecture de son traité et de ma réponse fera discerner laquelle des oeuvres respire davantage l’esprit du vrai Dieu, le ton de la piété à son égard, la vérité des saines doctrines qui, parvenant aux hommes, les incitent à la vie la meilleure. Sache toutefois que Celse avait promis de composer un autre traité que celui-là où il a promis d’enseigner à ceux qui veulent et peuvent le croire comment on doit vivre. Si donc il n’a pas tenu la promesse d’écrire un second Discours, on peut se contenter des huit livres composés contre le premier. Mais s’il l’a entrepris et achevé, cherche le traité et envoie-le. Alors, contre celui-là aussi je mettrai en oeuvre tout ce que le Père de la vérité me donne pour réfuter les opinions fausses qui s’y trouvent, et, là où il dirait la vérité, rendre témoignage sans esprit de chicane à la justesse de ses paroles. LIVRE VIII