Verbe (Eckhart)

« Comme une étoile du matin au milieu de la nuée. » Je vise le petit mot quasi, qui signifie « comme », ce que les enfants à l’école appelle un adverbe. C’est cela que je vise dans tous mes sermons. Le plus propre que l’on puisse dire de Dieu, c’est parole et vérité. Dieu se nomma soi-même une Parole. Saint Jean dit : « Au commencement était le Verbe », et veut dire qu’auprès du verbe l’on doit être un adverbe. Tout comme l’étoile libre d’après laquelle est nommé le vendredi, Vénus : elle a de multiples noms. Quand elle précède le soleil et se lève avant le soleil, elle s’appelle une étoile du matin ; quand elle suit le soleil en sorte que le soleil décline avant, elle s’appelle étoile du soir. Tantôt elle a sa course au-dessus du soleil, tantôt au-dessous du soleil. Plus que toutes les étoiles elle est toujours également proche du soleil ; elle ne s’en éloigne ni ne s’en approche jamais et signifie qu’un homme qui veut parvenir là doit en tout temps être près de Dieu et lui être présent, de sorte que rien ne puisse l’éloigner de Dieu, ni bonheur ni malheur ni aucune créature. Sermon 9

Le texte dit aussi : « Comme une pleine lune en ses jours ». La lune a maîtrise sur toute la nature humide. Jamais la lune n’est si proche du soleil que lorsqu’elle est pleine et lorsqu’elle prend immédiatement sa lumière du soleil ; et de ce qu’elle est plus proche de la terre qu’aucune étoile, elle a deux désavantages : qu’elle soir pâle et tachée et qu’elle perde sa lumière. Jamais elle n’est aussi puissante que lorsqu’elle est au plus loin de la terre, car c’est alors qu’elle repousse la mer au plus loin ; plus elle décroît, moins elle peut a repousser. Plus l’âme est élevée au-dessus des choses terrestres, plus elle est puissante. Qui ne connaîtrait que les créatures, il n’aurait jamais besoin de penser à aucun sermon, car toute créature est pleine de Dieu et est un livre. L’homme qui veut parvenir à ce dont je viens de parler – à quoi tend ce discours tout entier – il doit être comme une étoile du matin ; toujours présent à Dieu et toujours auprès et exactement proche et élevé au-dessus de toutes choses terrestres et près du Verbe être un adverbe. Sermon 9

Il est une parole qui fut produite, c’est l’ange et l’homme et toutes créatures. Il est une autre parole, pensée et produite, grâce à quoi peut advenir que je forme en moi des images. Il est encore une autre parole, qui là est non produite et non pensée, qui jamais ne vient au-dehors, plutôt elle est éternellement en celui qui la dit ; elle est toujours dans un acte de recevoir, dans le Père qui la dit, et demeurant à l’intérieur. Intellect, sans cesse, opère vers l’intérieur. Plus subtile et plus spirituelle est la chose, plus puissamment elle opère vers l’intérieur, et plus l’intellect est puissant et subtil, plus ce qu’il connaît se trouve davantage uni à lui et se trouve davantage un avec lui. Il n’en est pas ainsi des choses corporelles ; plus elles sont puissantes, plus elles opèrent vers l’extérieur. Béatitude de Dieu tient à l’opération de l’intellect vers l’intérieur, là où le Verbe demeure à l’intérieur. Là l’âme doit être un adverbe, et avec Dieu opérer une ( seule ) oeuvre, afin de prendre sa béatitude dans la connaissance qui se déploie à l’intérieur, là même où Dieu est bienheureux. Sermon 9

Pour qu’en tout temps il nous faille être un adverbe près de ce Verbe, qu’à cela nous aident le Père et ce même Verbe et le Saint Esprit. Amen. Sermon 9