union (Orígenes)

Admettons que telle âme, pour des motifs mystérieux, méritant d’habiter le corps non d’un être totalement dépourvu de raison, ni non plus d’un être purement raisonnable, revête un corps monstrueux où la raison ne peut s’épanouir dans l’être ainsi conformé, à la tête disproportionnée au reste du corps et bien trop petite ; admettons que telle autre reçoive un corps lui permettant d’être un peu plus raisonnable que la précédente, et une autre mieux encore, la nature du corps faisant plus ou moins obstacle à l’emprise de la raison : pourquoi n’y aurait-il pas aussi une âme qui recevrait un corps totalement miraculeux, avec quelque chose de commun aux hommes afin de pouvoir vivre parmi eux, mais aussi quelque chose d’exceptionnel afin de pouvoir demeurer exempte de péché ? Admettons qu’il y ait du vrai dans la doctrine des physiognomonistes Zopyros, Loxos, Polémon, et de tous ceux qui ont écrit sur le sujet, se targuant d’un savoir étonnant sur la parenté de chaque corps avec le caractère de son âme : dès lors à cette âme, destinée à vivre miraculeusement et à accomplir de grandes actions, il fallait un corps, non pas comme le croit Celse, né d’un adultère entre Panthère et la Vierge, car d’une union aussi impure aurait dû plutôt sortir un fou nuisible aux hommes, maître d’intempérance, d’injustice et des autres vices, et non pas de maîtrise de soi, de justice et des autres vertus. Mais, comme l’ont encore prédit les prophètes, il fallait un corps né d’une Vierge, enfantant, suivant l’annonce du signe, l’enfant dont le nom qualifierait l’oeuvre, montrant qu’à sa naissance Dieu serait avec les hommes. LIVRE I

Mais, à l’adresse des Grecs qui ne croient pas que Jésus soit né d’une vierge, il faut ajouter : le Créateur a montré dans la naissance d’animaux variés que, ce qu’il fait pour un animal, il lui était possible, s’il le voulait, de le faire pour d’autres et pour les humains eux-mêmes. On trouve certaines femelles d’animaux qui n’ont pas commerce avec un mâle, comme les naturalistes le disent du vautour, et cet animal sauve la continuité de son espèce sans union sexuelle. Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire que Dieu, ayant voulu envoyer un maître divin à la race humaine, au lieu de créer par un principe séminal résultant de l’union des mâles aux femelles, ait décidé que le principe de celui qui allait naître fût d’un autre ordre ? De plus, selon les Grecs eux-mêmes, tous les hommes ne sont pas nés d’un homme et d’une femme. Si, en effet, le monde a été créé, comme bien des Grecs l’ont admis, nécessairement les premiers hommes ne sont pas nés d’une union sexuelle, mais de la terre qui contenait les raisons séminales : ce que je trouve plus extraordinaire que la naissance de Jésus à demi semblable à celle du reste des hommes. Et à l’adresse des Grecs, il n’est pas déplacé de citer encore des histoires grecques, pour qu’ils ne paraissent pas les seuls à user de cette extraordinaire histoire. Certains ont jugé bon, à propos non plus d’anciennes légendes héroïques, mais d’événements d’hier ou avant-hier, d’écrire comme chose possible que Platon même fut né d’Amphictione alors qu’Ariston avait été empêché d’approcher d’elle avant qu’elle eût enfanté ce fils conçu d’Apollon. Il s’agit là en réalité de mythes qui ont poussé à imaginer un prodige de ce genre au sujet d’un homme, parce que, jugeait-on, il était d’une sagesse et d’une puissance supérieures à celles de la plupart et il avait reçu de semences supérieures et divines le principe de sa constitution corporelle, comme il convient à ceux qui ont une grandeur plus qu’humaine. Mais quand Celse, après avoir introduit le Juif s’entretenant avec Jésus, crible de sarcasmes ce qu’il considère comme la fiction de sa naissance d’une vierge, et qu’il cite les mythes grecs de “Danaé”, “de Mélanippe”, “d’Auges et d’Antiope”, il faut dire que ces propos convenaient à un bouffon, non à un écrivain qui prend son message au sérieux. LIVRE I

La signification de l’ensevelissement, du tombeau, de celui qui l’ensevelit, je l’expliquerai d’une manière plus opportune et plus développée en d’autres écrits qui auront pour but essentiel d’en traiter. Pour l’instant, il suffit de mentionner le linceul pur où il fallait que le corps pur de Jésus fût enveloppé, et le sépulcre neuf que Joseph « avait taillé dans le roc, où personne n’avait encore été déposé », ou bien comme dit Jean, « dans lequel personne n’avait encore été placé ». Considère si l’accord des trois Evangélistes n’est pas impressionnant ! Ils ont pris la peine de noter le fait que le tombeau était taillé ou creusé dans le roc, pour qu’en examinant les paroles de la Bible, on puisse contempler là encore un aspect qui mérite réflexion, soit le caractère neuf du tombeau que Matthieu et Jean ont noté, soit d’après Luc et Jean, le fait que personne n’y eût été mis. Il fallait, en effet, que Celui qui n’était pas semblable aux autres morts, ayant montré jusque dans son état de mort des signes de vie dans l’eau et le sang, et qui, pour ainsi dire, était un mort d’un genre nouveau, fût déposé dans un tombeau neuf et pur. Ainsi, comme sa naissance avait été plus pure que toute autre, provenant non d’une union des sexes, mais d’une vierge, son tombeau aurait aussi la pureté symbolisée par la déposition de son corps dans un tombeau resté neuf, non point construit de pierres ramassées, dépourvues d’unité naturelle, mais taillé ou creusé dans un seul roc, tout d’une pièce. LIVRE II

Cette admirable piété que ni fatigues, ni péril de mort ni arguments captieux ne peuvent vaincre ne servira-t-elle de rien à ceux qui l’ont acquise pour leur éviter d’être comparés à des vers, même s’ils avaient pu l’être avant une telle piété ? En vérité, nous paraissent-ils frères des vers, parents des fourmis, semblables aux grenouilles, les vainqueurs du plus brûlant désir des voluptés, qui a rendu tant de coeurs mous comme cire, dont la victoire vient de leur persuasion que le seul moyen de parvenir à la familiarité avec Dieu est de monter vers lui par la tempérance ? Quoi donc, l’éclat de la justice qui lui fait observer à l’égard de son prochain et de ses parents la sociabilité, la justice, la charité et la bienfaisance n’empêcherait pas celui qui la pratique d’être une chauve-souris ? Au contraire ceux qui se roulent dans la débauche, comme la plupart des hommes, qui s’approchent indifféremment des prostituées et enseignent que ce ne peut être absolument contre le devoir, ne sont-ils pas des vers dans un bourbier ? C’est encore plus clair si on compare à ceux qu’on a instruits à ne pas « prendre les membres du Christ » et le corps habité par le Logos, pour en faire « les membres d’une prostituée », qui ont appris déjà que le corps de l’être raisonnable, consacré au Dieu de l’univers, est « le temple » du Dieu qu’ils adorent, et devient réellement tel si on a une pure notion du Créateur ; et qui, en se gardant de souiller « le temple de Dieu » par une union illicite, pratiquent la tempérance comme un acte de piété envers Dieu. LIVRE IV

Est-ce donc chez les Grecs une opinion saine, que défend l’école des Stoïciens qui à leurs yeux n’est pas négligeable ? Mais quand des jeunes filles, instruites de l’embrasement du monde mais d’une manière confuse, à la vue du feu qui dévaste leur ville et leur pays, supposèrent que la dernière étincelle de vie pour l’humanité subsistait dans leur père et en elles, et pourvurent, dans cette perspective, au maintien du monde, seraient-elles inférieures au sage de l’hypothèse stoïcienne qui s’unirait légitimement à ses filles dans la destruction de l’humanité ? Je n’ignore pas le scandale causé à certains par l’intention des filles de Lot, et leur jugement sur l’impiété de leur acte : ils ont dit que de cette union impie étaient issues les nations maudites des Moabites et des Ammonites. A vrai dire, on ne trouve pas que l’Écriture approuve clairement comme bonne cette action, ni qu’elle l’accuse ou la blâme. LIVRE IV

Aussi bien faut-il chercher la nourriture qui convient ou ne convient pas à l’animal raisonnable et civilisé qui fait tout avec réflexion, au lieu d’adorer au hasard les brebis, les chèvres et les vaches. S’abstenir d’en manger est normal, vu la grande utilité de ces animaux pour les hommes. Mais épargner les crocodiles et les considérer comme consacrés à je ne sais quelle divinité mythologique, n’est-ce point le comble de la sottise ? Faut-il être extravagant pour épargner des animaux qui ne nous épargnent point, vénérer des animaux qui dévorent des hommes ! Mais Celse approuve ceux qui selon leurs traditions adorent les crocodiles et les vénèrent, et il n’a pas écrit de discours contre eux. Tandis que les chrétiens lui semblent blâmables, parce qu’ils ont appris à avoir en horreur le vice et à éviter les actions qui en procèdent, à adorer et honorer la Vertu comme née de Dieu et Fils de Dieu. Car il ne faut pas croire, d’après le genre féminin de leur nom, que la vertu et la justice soient également féminines en leur essence : selon nous, elles sont le Fils de Dieu, comme son véritable disciple l’a établi en disant : « Lui qui de par Dieu est devenu pour nous sagesse, justice, sanctification, rédemption. » Donc, même quand nous l’appelons « second Dieu », cette dénomination, qu’on le sache, ne désigne pour nous autre chose que la Vertu embrassant toutes les vertus, le Logos embrassant tout ce qu’il y a de raison des choses qui ont été créées selon les lois de la nature, soit principalement, soit pour l’utilité du tout. Ce Logos, disons-nous, s’unit à l’âme de Jésus d’une union bien plus intime qu’à toute âme, car seul il était capable de contenir parfaitement la participation suprême du Logos en personne, de la Sagesse en personne, de la Justice en personne. LIVRE V

Mais ceux qu’ils méprisent pour leur manque de culture et qu’ils traitent de fous et d’esclaves, du seul fait qu’ils se confient à Dieu après avoir reçu l’enseignement de Jésus, s’abstiennent de l’immoralité, de l’impureté et de toute l’indécence de l’union charnelle, au point que, comme les prêtres parfaits qui se sont interdits toute union, beaucoup d’entre eux se tiennent non seulement à l’écart de toute relation charnelle, mais dans une pureté parfaite. Sans doute chez les Athéniens il y a un hiérophante qui, se jugeant incapable de maîtriser sa virilité et de la dominer à sa guise, amortit par la ciguë sa virilité, et qu’on juge assez pur pour vaquer au culte traditionnel des Athéniens. Mais chez les chrétiens on peut voir des hommes qui n’ont pas besoin de ciguë pour servir Dieu dans la pureté ; au lieu de la ciguë, il leur suffit de la doctrine pour qu’ils servent Dieu dans la prière et chassent de leur pensée toute convoitise. Auprès des autres dieux prétendus, des vierges en tout petit nombre, gardées ou non par des hommes, il n’y a pas lieu de le chercher ici, semblent passer leur vie dans la pureté pour honorer la divinité. Chez les chrétiens, ce n’est pas les honneurs humains, ri un salaire ou des dons en argent, ni la gloriole qui leur font observer une virginité parfaite ; et comme « elles se sont plu à retenir la vraie connaissance de Dieu », Dieu les garde dans un esprit qui lui plaît et « pour faire ce qui convient », remplies de toute justice et toute bonté. LIVRE VI

Il revient ensuite au reproche sur Jésus : Bien qu’il soit formé d’un corps mortel, nous le croyons Dieu, en quoi nous jugeons faire un acte de piété. Inutile de répondre encore à l’objection, car on l’a déjà fait plus haut tout au long. Cependant les critiques doivent savoir que Celui que nous croyons avec conviction être dès l’origine Dieu et Fils de Dieu est, par le fait, le Logos en personne, la Sagesse en personne, la Vérité en personne. Et nous affirmons que son corps mortel et l’âme humaine qui l’habite, ont acquis la plus haute dignité non seulement par l’association, mais encore par l’union et le mélange avec Lui et que, participant à sa divinité, ils ont été transformés en Dieu. Est-on choqué de cette affirmation même à propos de son corps? Qu’on se réfère aux affirmations des Grecs sur la matière : à proprement parler dépourvue de qualités, elle est revêtue des qualités dont il plaît au Créateur de l’entourer, et fréquemment, elle abandonne ses qualités antérieures pour en recevoir d’autres supérieures et différentes. S’il y a là une vue saine, quoi d’étonnant que par la Providence de Dieu qui en décrète ainsi, la qualité mortelle du corps de Jésus ait été changée en une qualité éthérée et divine ? LIVRE III

Donc, si les oiseaux et tous les autres animaux divinateurs prévoient par don de Dieu l’avenir et nous l’enseignent par des signes, ils semblent être par nature d’autant plus proches de l’union avec Dieu, plus savants et plus chers à Dieu. Des hommes intelligents disent même qu’il y a entre les oiseaux des entretiens, évidemment plus saints que les nôtres; eux-mêmes comprennent quelque peu leurs paroles; la preuve qu’ils donnent en pratique de cette compréhension est que, quand ils ont prévenu que les oiseaux leur ont annoncé qu’ils iraient à tel endroit pour y faire une chose ou l’autre, ils montrent qu’ils y vont bien et font ce qu’en fait ils avaient prédit. En outre, nul ne semble plus fidèle au serment, plus docile à la divinité que les éléphants, sans aucun doute parce qu’ils ont quelque connaissance de Dieu. Voilà bien comme il tranche et donne comme avérés bien des points en question chez les philosophes tant grecs que barbares, qui ont découvert ou appris de certains démons les secrets des oiseaux et des autres animaux par qui, dit-on, certains pouvoirs de divination ont été communiqués aux hommes. LIVRE IV

Il faut savoir que la prévision de l’avenir n’est pas nécessairement divine : elle est de soi chose indifférente qui échoit aux méchants et aux bons. Les médecins, par exemple, font des prévisions grâce à leur habileté médicale, même s’ils sont moralement mauvais. De même aussi les pilotes, fussent-ils pervers, prévoient les symptômes et la violence des vents, les changements des conditions atmosphériques, en se fondant sur l’expérience et l’observation. Et je ne suppose pas que ce soit une raison de les dire divins s’ils sont moralement mauvais. Mensonge donc l’assertion de Celse : que pourrait-on déclarer plus divin que la prévision et la prédiction de l’avenir ? Mensonge aussi de dire que beaucoup d’animaux revendiquent des notions divines : aucun des animaux sans raison ne possède une notion de Dieu. Mensonge enfin de dire que les animaux sans raison sont plus proches de l’union avec Dieu. En fait, parmi les hommes ceux qui sont encore méchants, fussent-ils à la tête du progrès, restent loin de l’union avec Dieu. Seuls, donc, les vrais sages qui pratiquent sincèrement la piété sont plus proches de l’union avec Dieu. Tels étaient nos prophètes, et Moïse à qui l’Écriture a rendu témoignage pour son extrême pureté : « Moïse seul s’approchera de Dieu, les autres n’approcheront pas. » LIVRE IV

Il n’y a que le Dieu suprême dont on doive chercher la faveur et qu’on doive prier d’être propice, en cherchant sa faveur par la piété et toutes les vertus. Et si Celse veut, après le Dieu suprême, se rendre favorables d’autres protecteurs, il doit comprendre que, comme le corps qui se déplace est suivi du mouvement de son ombre, ainsi la faveur du Dieu suprême entraîne la bienveillance de tous ceux qui l’aiment : anges, âmes, esprits. Ils connaissent ceux qui méritent la faveur de Dieu, et non contents d’accorder leur bienveillance à ceux qui ont ce mérite, ils collaborent avec ceux qui veulent rendre un culte au Dieu suprême ; remplis de bienveillance, avec eux ils prient et ils intercèdent. En conséquence nous osons dire : quand des hommes aspirent de tout leur coeur aux meilleurs biens et offrent à Dieu leur prière, une foule de saintes puissances, même sans être invoquées, prient avec eux et assistent notre race périssable. Et, si j’ose dire, elles combattent à nos côtés, à cause des démons qu’elles voient combattre et lutter contre le salut de ceux-là surtout qui se vouent à Dieu et qui dédaignent la haine des démons, quelle que soit leur fureur contre l’homme qui évite de leur rendre un culte au moyen du fumet de graisse et de sang, mais s’applique de toute manière, par ses paroles et ses actions, à vivre dans la familiarité et l’union avec le Dieu suprême, grâce à Jésus : car Jésus a causé la défaite d’un nombre infini de démons quand il allait partout « guérissant et convertissant ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable. » LIVRE VIII