Ulysse (Orígenes)

De plus, je pourrais dire à ceux qui croient qu’en ces matières le Juif de Celse fait à Jésus de justes griefs : il y a dans le Lévitique et le Deutéronome un grand nombre d’imprécations ; dans la mesure où le Juif les défendra en avocat de l’Écriture, dans cette même mesure ou mieux encore, nous défendrons ces prétendues invectives et menaces de Jésus. Bien plus, de la loi de Moïse elle-même nous pourrons présenter une meilleure défense que celle du Juif, pour avoir appris de Jésus à comprendre plus intelligemment que lui les textes de la loi. En outre, si le Juif a vu le sens des discours prophétiques, il pourra montrer que Dieu n’use pas à la légère de menaces et d’invectives, quand il dit : « Malheur, Je vous prédis », et comment Dieu a pu employer pour la conversion des hommes ces expressions, qu’au jugement de Celse n’imaginerait même pas un homme de bon sens. Mais les chrétiens aussi, sachant que le même Dieu parle par les prophètes et par le Seigneur, prouveront le caractère raisonnable de ce que Celse juge des menaces et nomme des invectives. On fera sur la question une courte réplique à Celse qui se vante d’être philosophe et de savoir nos doctrines : Comment, mon brave, quand Hermès dans Homère dit à Ulysse : « Pourquoi donc, malheureux, t’en vas-tu seul le long de ces coteaux ? » tu supportes qu’on le justifie en disant qu’Hermès chez Homère interpelle Ulysse de la sorte pour le ramener au devoir ? car les paroles flatteuses et caressantes sont le fait des Sirènes, près de qui s’élève « tout autour un tas d’ossements », elles qui disent : « Viens ici, viens à nous, Ulysse tant vanté, l’honneur de l’Achaïe. » ? Mais lorsque mes prophètes et Jésus même, pour convertir les auditeurs, disent : « Malheur à vous ! » et ce que tu prends pour des invectives, ils ne s’adaptent point à la capacité des auditeurs par ces expressions, et ne leur appliquent pas cette manière de parler comme un remède de Péon ? A moins peut-être que tu ne veuilles que Dieu, ou Celui qui participe à la nature divine, conversant avec les hommes, n’ait en vue que les intérêts de sa nature et le respect qu’on lui doit, sans plus considérer ce qu’il convient de promettre aux hommes gouvernés et conduits par son Logos et de proposer à chacun d’une manière adaptée à son caractère fondamental ? De plus, comment n’est-elle pas ridicule cette impuissance à persuader qu’on attribue à Jésus ? Car elle s’applique aussi, non seulement au Juif qui a beaucoup d’exemples de ce genre dans les prophéties, mais encore aux Grecs : parmi eux, chacun de ceux que leur sagesse a rendus célèbres auraient été impuissants à persuader les conspirateurs, les juges, les accusateurs de quitter la voie du vice pour suivre, par la philosophie, celle de la vertu. LIVRE II

Là encore Celse me paraît être dans l’erreur totale en n’accordant point, à ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui ont l’habitude de le faire, la possibilité d’un changement complet, en pensant qu’ils ne peuvent être guéris même par des châtiments. En effet il semble manifeste que, nous les hommes, nous sommes tous naturellement enclins à pécher, et que quelques-uns non seulement sont naturellement enclins à pécher, mais en ont l’habitude. Néanmoins tous les hommes ne sont pas réfractaires au changement complet. On apprend dans chaque école philosophique, et dans la divine Ecriture, qu’il y a des gens tellement changés qu’on les propose en modèle de la vie parfaite. On cite parmi les héros Héraclès et Ulysse, plus tard Socrate, hier ou avant-hier Mousonios. C’est non seulement d’après nous que Celse a menti en disant qu’il est bien clair à chacun que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont l’habitude, personne ne pourrait les conduire, même par des châtiments, à un total changement pour une vie meilleure. C’est aussi d’après les philosophes de valeur qui ne refusent pas la possibilité pour l’homme de recouvrer la vertu. Mais, bien que sa pensée manque de précision, en l’entendant sans parti pris, je ne le convaincrai pas moins de tenir un propos qui n’est pas sensé. Il a dit en effet que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont l’habitude, personne ne pourrait, même par le châtiment, totalement les changer. Et le sens obvie de son texte, je l’ai réfuté de mon mieux. Mais voici probablement ce qu’il veut dire : ceux qui non seulement sont naturellement enclins à ces forfaits commis par les plus dépravés, mais encore en ont l’habitude, personne ne pourrait, même par des châtiments, totalement les changer. C’est encore un mensonge, comme le montre l’histoire de certains philosophes. Ne mettrait-on point au rang des plus dépravés des hommes celui qui accepte en quelque manière d’obéir à un maître qui l’a placé dans un mauvais lieu pour qu’il accueille quiconque voudrait le souiller ? Or c’est ce que l’histoire rapporte de Phédon. Comment ne pas qualifier comme le plus scélérat des hommes celui qui, avec une joueuse de flûte et d’autres convives, ses compagnons de débauche, pénétra dans l’école du vénérable Xénocrate, pour outrager un homme admiré même de son entourage ? Eh bien, la raison eut assez de force pour convertir ces hommes-là, et leur faire accomplir de tels progrès en philosophie que le premier fut jugé digne par Platon de retracer le discours de Socrate sur l’immortalité et décrire sa vigueur d’âme en prison quand, au lieu de s’inquiéter de la ciguë, sans crainte, il développait en toute sérénité d’âme des considérations d’une telle profondeur qu’ont peine à les suivre même les plus réfléchis que ne trouble aucune distraction. Polémon, lui, passa du libertinage à l’extrême tempérance, et reçut, dans son école, la succession de Xénocrate célèbre pour sa dignité. Celse ne dit donc pas la vérité dans son propos que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et en ont l’habitude, personne ne pourrait, même par le châtiment, totalement les changer. LIVRE III

Elle était divine, tandis que le grand Ulysse, l’ami de l’Athéna d’Homère, n’était pas divin, mais il se réjouit quand il comprit le présage annoncé par la meunière divine, au dire du poète : « Et le divin Ulysse fut plein de joie à ce présage. » Considère donc que si les oiseaux ont l’âme divine et sentent Dieu, ou, comme le dit Celse, les dieux, manifestement, nous aussi les hommes, quand nous éternuons nous le faisons parce qu’une divinité est présente en nous qui accorde à notre âme une puissance divinatrice. C’est chose attestée par un grand nombre. D’où ces mots du poète : « Mais lui éternua en faisant un voeu » ; et ces mots de Pénélope : « Ne vois-tu pas ? Mon fils a éternué à toutes tes paroles. » La véritable Divinité n’emploie, pour la connaissance de l’avenir, ni les animaux sans raison, ni les hommes quelconques, mais les plus saintes et les plus pures des âmes humaines qu’elle inspire et fait prophétiser. C’est pourquoi, entre autres admirables paroles contenues dans la Loi de Moïse, il faut placer celle-ci : « Gardez-vous de prendre des auspices et d’observer les oiseaux » ; et ailleurs : « Car les nations que le Seigneur ton Dieu anéantira devant toi écouteront présages et divinations ; mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu. » Et il ajoute immédiatement : « Le Seigneur ton Dieu te suscitera un prophète parmi tes frères. » Et Dieu, voulant un jour détourner par un devin de la pratique de la divination, fit parler son esprit par la bouche d’un devin : « Car il n’y a pas de présage en Jacob, ni de divination en Israël ; mais en son temps il sera dit à Jacob et à Israël ce que Dieu voudra. » Reconnaissant donc la valeur de telles injonctions et d’autres semblables, nous tenons à garder ce commandement qui a un sens mystique : « Avec grand soin garde ton coeur », afin qu’aucun des démons ne pénètre dans notre esprit, et qu’aucun des esprits hostiles ne tourne à son gré notre imagination. Mais nous prions pour que resplendisse « dans nos coeurs la lumière de la connaissance de la gloire de Dieu », l’Esprit de Dieu résidant dans notre imagination et nous suggérant des images dignes de Dieu : car « ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». LIVRE IV

Pour répondre à sa prosopopée qui nous attribue des paroles que nous dirions pour défendre la résurrection de la chair, je dirai d’abord : l’habileté d’un auteur de prosopopée est de maintenir l’intention et le caractère habituel du personnage mis en scène ; son défaut, d’attribuer à celui qui parle des expressions en désaccord avec son personnage. Deux catégories d’auteurs méritent pareillement la critique : d’abord, ceux qui attribuent dans une prosopopée à des barbares, des gens incultes, des esclaves, qui n’ont jamais entendu de raisonnements philosophiques et ne savent pas correctement les articuler, une philosophie que connaît peut-être l’auteur, mais qu’on ne peut sans invraisemblance supposer connue du personnage mis en scène ; ensuite, ceux qui attribuent à des gens présentés comme des sages versés dans les choses divines les paroles dites par des gens incultes sous l’influence des passions vulgaires ou dictées par l’ignorance. Aussi l’un des nombreux titres d’Homère à l’admiration est d’avoir maintenu les personnages des héros tels qu’il les avait proposés au début : par exemple Nestor, Ulysse, Diomède, Agamemnon, Télémaque, Pénélope ou l’un des autres. Mais Euripide est bafoué par Aristophane comme discourant à contretemps, pour avoir souvent prêté à des femmes barbares ou esclaves l’expression de doctrines tirées par lui d’Anaxagore ou d’un autre sage. LIVRE VI