Ces témoignages, couverts de l’autorité des Écritures, doivent suffire à réfuter ce que les hérétiques objectent d’ordinaire. Il ne paraîtra pas cependant inconvenant de discuter un peu avec eux par la voie du raisonnement. Demandons-leur donc s’ils savent quelle est chez les hommes la nature de la vertu et de la malice et s’il leur semble logique de parler de vertus en Dieu, ou, comme ils le pensent, dans ces deux Dieux. Qu’ils disent aussi si la bonté leur paraît être une vertu – je pense qu’ils le reconnaîtront sans aucun doute -, mais que diront-ils aussi de la justice ? Jamais assurément, à mon avis, ils ne perdront le sens au point de nier que la justice est une vertu. Si donc la vertu est le bien et la justice une vertu, sans aucun doute la justice est la bonté. S’ils disent que la justice n’est pas un bien, elle sera alors nécessairement un mal ou quelque chose d’indifférent. S’ils disent que la justice est un mal, je pense que ce serait une sottise de leur répondre : il me semble que je répondrais alors à des paroles insensées ou à des hommes à l’intelligence détraquée. Comment peut-on penser que ce soit un mal de rendre le bien pour le bien ? Eux-mêmes le reconnaissent. S’ils disent que c’est quelque chose d’indifférent, il s’ensuit que si la justice est indifférente, c’est aussi le cas de la tempérance, de la prudence et de toutes les autres vertus. Et que répondrons-nous à Paul quand il dit : S’il y a une vertu, s’il y a quelque chose digne de louange, observez ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi ou vu en moi ? 191 II, 4-5
Mais de nouveau ils nous ramènent aux paroles de l’Écriture en posant leur fameuse question. Il est écrit, disent-ils, qu’un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits ni un arbre mauvais de bons fruits : par son fruit on reconnaît l’arbre. Qu’en est-il donc, disent-ils ? De quelle nature est l’arbre de la loi, cela est manifesté par ses fruits, c’est-à-dire par les paroles de ses préceptes. Si on trouve la loi bonne, sans aucun doute on peut croire que celui qui l’a donnée est aussi le Dieu bon ; mais si elle est plus juste que bonne, on pensera que son Dieu est un législateur juste. L’apôtre Paul n’a employé aucune circonlocution pour dire : Donc la loi est bonne, le commandement saint, juste et bon. De là il est clair que Paul ne s’était pas instruit dans les écrits de ceux qui séparent le juste du bon, mais avait été enseigné par ce Dieu et illuminé par l’Esprit de ce Dieu qui est à la fois saint, bon et juste : parlant par son Esprit, il disait que le commandement de la loi est saint, juste et bon. Pour montrer avec plus d’évidence qu’il y a dans le commandement plus de bonté encore que de sainteté et de justice, il répète sa parole en parlant seulement de la bonté au lieu des trois : Ce qui est donc bon serait mort pour moi ? Qu’il n’en soit pas ainsi. Parce qu’il savait que, parmi les vertus, la bonté représente le genre, la justice et la sainteté les espèces du genre, voilà pourquoi, alors que plus haut il avait nommé le genre et les espèces, en redisant cette parole il a répété seulement le genre. Mais dans ce qui suit il dit : Le péché, par le bien, a opéré en moi la mort. Là il conclut par le genre ce qu’il avait exposé auparavant par les espèces. Il faut comprendre aussi de la même manière ces paroles : L’homme bon, du bon trésor de son cœur, profère le bien et l’homme mauvais, de son mauvais trésor, le mal. Ici aussi l’auteur a pris le genre, bien ou mal, montrant sans aucun doute qu’il y a dans l’homme bon la justice, la tempérance, la prudence, la piété (ou miséricorde) et tout ce qui peut être dit ou compris bon. Pareillement il a parlé de l’homme mauvais, qui serait certainement injuste, impur, impie et tout ce qui forme l’homme mauvais dans ses divers éléments. De même que sans ces malices on ne peut penser qu’un homme est mauvais et qu’il ne peut être mauvais, de même sans ces vertus il est certain que personne ne peut être jugé bon. 193 II, 4-5